Méthodes visuelles Approche de la dimension rituelle des raids de World of Warcraft par l'anthropologie visuelle - Revista Latina de ...

 
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Méthodes visuelles Approche de la dimension rituelle des raids de World of Warcraft par l'anthropologie visuelle - Revista Latina de ...
Comunicación y música: mensajes, manifestaciones y negocios
    Universidad de La Laguna, diciembre de 2018 (2ª edición)

            Méthodes visuelles
 Approche de la dimension rituelle des raids
  de World of Warcraft par l’anthropologie
                  visuelle
                         Visual methods
         An a pproach of the ritual dimension in World of
                          Warcraft raids

Jacques Ghoul Samson – Université de Toulon – jacques.ghoul-samson@univ-
tln.fr

Résumé : Au cours d’une ethnographie de deux ans interrogeant les
dynamiques d’interaction des membres de groupes d’avatars (guildes) du jeu
de rôle en ligne massivement multijoueur « World of Warcraft » (WoW), nous
avons dû faire face à la nécessité de garder des traces visuelles des moments
d’activité les plus intenses, les raids. L’implication cognitive qu’ils exigent est
telle que la prise de notes du chercheur en situation d’observation participante
devient nécessairement lacunaire (Nardi 2010; Taylor 2006). Pour saisir ces
périodes d’activité nous avons opté pour la mise en place d’un système de
captation vidéo et audio enregistrant l’écran du chercheur et donnant ainsi à
voir son avatar à la troisième personne. La possibilité, proposée par le logiciel
d’analyse qualitatif Atlas T.I., de découper plusieurs heures de vidéo en
centaines de fragments, isolant une interaction, a mis en relief la richesse de
ces enregistrements. Ainsi, au fil des mois, ce qui n’avait été pensé que comme
un carnet de terrain s’est révélé être une source de données à part entière
dépassant l’unique fonction de rappel de ce qui a été (Barthes 1980) faisant
prendre, de cette manière, un tournant décisivement visuel à notre
ethnographie. Cet article présente la démarche méthodologique que nous
avons mis en place pour réaliser une analyse descriptive de ces captations.
L’analyse de ces films nous permet de faire émerger la fonction rituelle des
raids au sein de WoW comme « des manières d’agir qui ne prennent naissance
ISBN-13: 978-84-17314-13-2/ D.L.: TF 44-2019/ DOI del libro: 10.4185/cac155                  Página | 430
          Libro colectivo enlínea: http://www.revistalatinacs.org/18SLCS/libro-colectivo-2018-2.html
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qu’au sein des groupes assemblés et qui sont destinés à susciter, à entretenir
ou à refaire certains états mentaux de ces groupes » (Durkheim 2014).

Mots clefs : interactions ; ethnographie ; captations vidéo ; anthropologie
visuelle

Abstract: In the course of a two-year ethnography questioning the interaction
dynamics of the members of groups of avatars (Guilds) in the massively
multiplayer online role-playing game World of Warcraft (WoW), we had to face
the necessity of keeping visual track of the most intensely active moments, the
raids. Cognitive involvement they require is so demanding that note-taking gets
necessarily incomplete for the researcher in a participant observation situation
(Nardi, 2010 ; Taylor, 2006). In order to catch these activity moments, we chose
to set up a system of video and audio recording of the screen of the researcher,
thus making visible his avatar in the third person. The possibility provided by the
qualitative analysis software Atlas T.I., of cutting up several hours of video into
hundreds of fragments, isolating an interaction, has highlighted the richness of
these recordings. Over the months, a tool only designed as a field-notebook
prooved to be a full data source far beyond the single function of remembering
of what "that has been" (Barthes, 1980), inducing a decisively visual turn in our
ethnography. The following article introduces the methodological approach we
set up in order to realize a descriptive analysis of these recordings. The
analysis of the videos allowes us to raise the ritual function of the raids in WoW
as "ways of acting which can only occur in gathered groups and designed to
create, maintain or remake certain mental states of these groups" (Durkheim
2014)

Keys words: interactions ; ethnography ; digital recording ; visual anthropology

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1 Introduction
Lorsque Margaret Mead et Gregory Bateson filment le rite qui donnera lieu à
Trance and Dance in Bali (Mead, Bateson 1952), on retrouve leur attachement
au corps mais aussi une tradition proprement ethnographique : l’appétence
pour le rite magique/religieux, qui tout en rythmant la vie des groupes sociaux
est, littéralement, extra-ordinaire. Il faudra attendre les relectures de Durkheim
(1912) proposées par les travaux de Goffman (Goffman 1974) et de Garfinkel
(Garfinkel et al. 2007) pour que la notion de rite soit associée à l’ordinaire, au
quotidien. Depuis lors, l’anthropologie visuelle s’est aussi attachée à rendre
compte, décrire et analyser ces interactions ordinaires à la fonction sociale
indéniable. Cependant, la captation sur le long court que requiert l’analyse des
rites de la vie quotidienne entraine quantité de contraintes (temporelles : doit-on
tout filmer ? quand faut-il s’arrêter ? ; matérielles : comment filmer ? ; éthiques :
que peut-on filmer ? etc.).

    En interrogeant, dans le cadre de notre recherche doctorale, la nature de la
frontière entre le monde physique et un monde numérique lorsqu’une
interaction se joue entre des acteurs appartenant à ces mondes, nous avions
entrepris l’enregistrement audiovisuel des moments d’activités les plus intenses
pour compenser la prise de note nécessairement lacunaire induite par
l’implication cognitive exigée par ces situations. Ces captations (représentant
plus de 400 heures en tout) étaient donc avant tout pensées comme un carnet
de note ne devant pas dépasser l’unique fonction de rappel de ce qui a été
(Barthes 1980). C’est empiriquement et après plusieurs semaines de captation
qu’a émergé la possibilité d’en faire une source de données à part entière. En
effet,   il   nous      est    rapidement         apparu       que      ces     centaines        d’heures
d’enregistrement étaient trop riches pour pouvoir être résumés en quelques
lignes car nous avions capté – involontairement d’abord – les rites quotidiens
« entretenant les états mentaux des groupes » que nous avions suivis pendant
nos deux années d’ethnographie (Durkheim 2014).

    L’objectif de cet article est donc de montrer comment nous avons procédé
pour condenser l’analyse descriptive de 150 heures d’enregistrement en
données quantitatives capables aussi bien de rendre compte des dynamiques
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d’interaction présentes dans ces vidéos que de faire l’objet d’une analyse
statistique. Pour ce faire nous présenterons, dans un premier temps, les
éléments propres au monde numérique que nous avons étudiés nous semblant
indispensables          à   la   compréhension           des     différents      aspects       de     notre
méthodologie. Puis, dans un deuxième temps, nous exposerons brièvement la
méthode générale que nous avons utilisée au cours de cette recherche. Dans
un troisième temps, nous nous pencherons sur le processus d’analyse que
nous avons mis en place et qui nous a conduit à constituer ce que nous avons
appelé des « unités d’interaction ». Finalement, nous présenterons quelques-
uns de nos résultats, mais aussi les limites auxquelles nous nous sommes
confrontés et les perspectives que nous entrevoyons.

2 Présentation du terrain

2.1 World of Warcraft
La première étape, évidente mais non moins primordiale, d’une recherche
visant à interroger la frontière entre monde physique et monde numérique
consiste à choisir quel monde numérique étudier. Entre les simulateurs de vie
(Second Life) et les multiples types de jeux vidéo reposant principalement, et de
plus en plus uniquement, sur des modes de jeu en ligne (MOBA, RTS, FPS,
    1
etc. ) le choix peut se porter sur des centaines de mondes aux caractéristiques
et histoires différentes. Dans le cadre d’une recherche doctorale s’inscrivant sur
le long cours deux critères nous ont semblés primordiaux pour sélectionner le
monde que nous allions étudier : sa pérennité (avoir l’assurance, dans la
mesure du possible, que le monde sera habité pendant toute la durée de la
recherche) et son accessibilité (facilité de la prise en main). A partir de cette

1        « MOBA » est l’acronyme de Multiplayer Online Battle Arena il s’agit de jeux opposant
deux équipes de cinq joueurs dont l’objectif est de détruire la base de l’équipe adverse. « RTS »
est l’acronyme de Real Time Strategy, archétype par excellence des jeux de stratégies, l’objectif
est de développer sa base (que ce soit un village, une ville ou une nation) puis de forger des
alliances ou de conquérir celles des autres joueurs. Les « FPS » (First Person Shooter) sont
des jeux de tir à la première personne où l’objectif est que son équipe ou son personnage soit
le dernier survivant.

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restriction nous avons été en mesure de choisir World of Warcraft, édité par
Blizzard Entertainment et lancé en février 2005 en Europe. WoW, acronyme du
titre, est le Massively MultiPlayer Online Role Playing Game (MMORPG ou Jeu
de rôle massivement multijoueur en ligne) le plus populaire depuis son
lancement. Il propose à l’utilisateur de plonger dans un monde d’inspiration
médiévale-fantastique          mêlant       mythologies         celtiques,      nordiques,           culture
populaire et éléments de l’œuvre de J.R.R. Tolkien (Berry 2012; Di Filippo
2016). Ces seuls éléments narratifs ne permettent pas d’expliquer le succès de
ce titre reposant sur un modèle économique aujourd’hui en désuétude –
l’abonnement – il faut aussi prendre en considération le dynamisme de ce
monde. En effet, si ce jeu est disponible depuis treize ans, il n’est plus du tout le
même que celui qu’ont connu les premiers utilisateurs en 2005 car tous les
deux ans (en moyenne) est édité une « extension » qui pourrait pratiquement
être assimilée à un nouveau jeu dans la mesure où elles apportent aux joueurs
d’importants contenus originaux (nouvelles terres à découvrir, nouveaux pans
de l’histoire à explorer, etc.). Cependant, le conflit est resté une constante tout
au long des sept dernières extensions : les combats font partie intégrante de
WoW aussi bien du point de vue narratif que du gameplay.

2.2 Les raids
L’utilisateur explore ce monde à travers son avatar qui fait l’objet d’un double
processus de personnalisation. Premièrement, a lieu une personnalisation
esthétique ; outre le choix du sexe, se présente le choix de la race (elfes, orcs,
trolls ou nains font parties des douze races disponibles) qui induit des
spécificités physiques (la longueur de la barbe pour les nains vs la forme des
oreilles pour les trolls). Secondement, se produit une spécialisation au niveau
du gameplay car les combats sont construits autour du triptyque (cher aux
                                              2
MMORPG) : tank, soigneur, DPS . Ainsi certains avatars auront pour rôle,
durant les combats, d’attirer l’attention des ennemis (joueurs ou IA), les tanks,

2       « DPS » est l’acronyme de Damage Per Second (dégâts par secondes), ce rôle
renvoie donc à la capacité d’un avatar à infliger la plus grande quantité de dégâts possibles en
un temps réduit.

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pendant que d’autres avatars, les DPS, moins résistants mais plus puissants
infligent de lourds dégâts aux adversaires. Le tout sous la protection des
soigneurs dont l’objectif est de maintenir l’ensemble de ces alliés en vie.

Cette spécialisation du rôle des avatars atteint son paroxysme lors des raids.
Ce terme fait référence à un espace-temps désignant à la fois des activités et
des lieux, au cours desquels le but est de vaincre, en groupe de 10 à 30
avatars, toutes les créatures – appelées « boss » (contrôlées par l’ordinateur) –
regroupées dans un même lieu (souvent une forteresse, un château ou un
manoir). Or, pour réussir à vaincre ces puissantes créatures les groupes
d’avatars doivent être organisés et respecter un certain équilibre dans la
répartition des rôles ainsi que des stratégies particulières à chaque boss afin de
parer leurs capacités et de sortir victorieux de l’affrontement.

2.3 Les guildes
Pour organiser ces activités les utilisateurs se reposent sur des structures
pérennes et formelles : les guildes. Ces rassemblements d’avatars subsistent
après leur déconnexion et, sous l’égide d’un nom commun, leur donnent accès
à un ensemble d’outils (banque, planning, canaux de discussions) facilitant,
entre autres, l’organisation et la réalisation des raids.

Les différents entretiens (formels et informels) que nous avons pu mener avec
des utilisateurs montrent que la participation aux raids est bien souvent la
première raison d’appartenance à une guilde et que les raids sont considérés
comme l’activité la plus motivante et la plus gratifiante dans ce monde. C’est en
partant de cette centralité qu’il nous a semblé nécessaire d’étudier plus
précisément ces raids et la fonction (sociale) qu’ils occupent pour une guilde.

3 Méthodologie

3.1 Ethnographie
Pour mener à bien cette étude et compte tenu des différentes contraintes
(population totale inconnue, multiplicité des avatars par utilisateurs, etc.) la
méthodologie la plus adaptée nous a semblé être l’ethnographie. Nous avons
abordé cette approche du terrain de manière classique (Bourgois 2001;

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Malinowski 1989; Evans-Pritchard 1994) tout en prenant en compte les
contraintes et particularités propres à la mise en place de cette méthodologie
de recherche dans des environnements numériques (Berry 2012; Pink et al.
2015; Nardi 2010; Boellstorff et al. 2012). Notre approche est donc avant tout
compréhensive et/ou bottom-up, nous souhaitons dépasser notre statut
« d’étranger » au terrain (Combessie 2007) pour comprendre le fonctionnement
et les dynamiques qui sous-tendent les interactions menées par la population
de ce monde numérique. Dans le cadre de cet article l’indistinction caractérisant
l’avatar du chercheur de l’ensemble des autres avatars est sans doute l’élément
le plus important. Puisque dans un cadre « classique » (soit un terrain où
l’ethnographe n’a pas besoin d’un avatar pour y mener ses observations) cette
position – d’étranger – du chercheur est, souvent, une évidence. L’étape de
négociation du terrain consiste alors à dépasser cette position afin d’avoir accès
à l’expérience vécue par les acteurs et tenter de la comprendre. Dans un
monde numérique, qui plus est ludique, le chercheur n’a aucun moyen
d’afficher sa position. Ce déplacement méthodologique de ce qu’est l’approche
et la négociation du terrain implique aussi que l’observation participante soit
fortement engageante, tout particulièrement lors des événements où il est
attendu que chaque avatar remplisse son rôle ; comme c’est le cas des raids.

3.2 De la trace de « ce qui a été » …
Précisons que notre ethnographie repose sur le suivi de deux guildes
appartenant à des serveurs et des factions différentes de WoW, l’objectif étant
de tendre vers une certaine représentativité en multipliant (dans la mesure du
raisonnable pour une approche qualitative) les points de vue. C’est aussi avec
cet esprit que nous avons choisi ces deux groupes d’avatars particuliers parmi
les milliers de guildes existantes, puisqu’une étude des quelques données
dessinant les contours de la morphologie de ce monde indiquent qu’entre un
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tiers et la moitié des guildes se définissent comme « semi-HL » . Cette

3       Ces données proviennent principalement de WoWProgress et RaiderIO, des sites
spécialisés, permettant un tracking de l’évolution et de la composition de l’ensemble des guildes
existantes sur World of Warcraft.

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identification comme « semi-HighLevel » indique de ces groupes qu’ils
souhaitent se donner les moyens d’aborder le maximum de contenu possible
des raids (soit, tuer le plus de boss possible) tout en gardant un temps de
connexion raisonnable leur permettant de vaquer « normalement » à leurs
occupations quotidiennes (travail, vie de famille, autres hobbies, …).
Concrètement, ils dédient donc, en moyenne, trois soirées (de 20h30 à minuit)
par semaines à effectuer des raids. Notons que si ce temps peut sembler
conséquent, il est très inférieur à celui des guildes « HighLevel » qui alternent
entre des périodes de progress où elles dédient des journées entières aux raids
(de 10h à minuit) et des périodes de farm où elles ne raident plus que cinq soirs
par semaine.

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La première guilde que nous avons suivie (Guilde A ) raidait le mardi, jeudi et
dimanche. Et la seconde (Guilde B) le lundi, mercredi et dimanche. Il nous a, en
effet, était impossible de trouver deux guildes n’ayant pas au moins un soir de
raid en commun, aussi nous avons convenu avec chacun de ces groupes que
nous raiderions une semaine sur deux avec eux. Il est aussi important de noter
que les combats contre les boss de raids durent, généralement, entre cinq et
dix minutes et sont caractérisés par un rythme précis. Pour l’emporter les
groupes d’avatars doivent effectuer un enchainement d’actions où la moindre
erreur d’un avatar peut entrainer la perte de ses 29 coéquipiers. Dans le cadre
d’une    ethnographie,         cela     place      le    chercheur         face     à    une         double
contrainte (Bateson et al. 1956) : le besoin de pouvoir observer attentivement
ce qui se joue devant ses yeux et l’impératif de ne pas altérer le déroulement
des événements par une présence-absence où son avatar serait présent mais
immobile car le chercheur serait en train de prendre des notes de son côté de
l’écran. L’engagement cognitif exigé par l’espace-temps du raid et les

4       Pour des raisons d’anonymisation nous appellerons les guildes Guilde A et Guilde B et
les avatars seront numérotés. Sachant que Guilde A fera référence tout au long de ce
document au même groupe et qu’il en va de même pour les avatars, en précisant que lorsque
nous parlons d’un avatar nous faisons référence à l’ensemble des avatars appartenant à un
utilisateur. Ainsi, si nous avons guerroyé aux côtés de plusieurs avatars appartenant au même
utilisateur nous ferons référence à l’ensemble de ces derniers sous le même nom.

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problèmes qu’il suppose a déjà été relevé par d’autres ethnographies (Nardi
2010; Berry 2012) et la capture d’écran (screenshot), soit le recours à l’image
fixe, semble avoir été la résolution majoritairement adoptée.

3.3 … au déploiement d’une méthodologie
C’est donc partiellement conscient du caractère problématique de cette
situation que nous avons entrepris la recherche d’une méthode nous offrant la
possibilité de ne pas nuire aux événements tout en ayant la liberté de les
observer pleinement. Par un procédé de « bricolage » (Lévi-Strauss 1990) nous
sommes parvenus à mettre en place un système de captation audiovisuelle de
ces raids. D’abord épars et tâtonnant, avec le temps et en répondant
pragmatiquement à deux questions principales : que doit-on capter ? et
comment le faire ? nous sommes parvenus à rendre nos outils plus précis et
notre méthode plus sûre. Ainsi, dans un premier temps s’est posée la question
de ce qui devait être capté : l’entièreté de notre temps de présence dans le
monde numérique ou seulement l’espace-temps des raids ? Il s’est rapidement
avéré qu’il était techniquement difficile d’enregistrer chaque instant de
connexion de nos avatars dans la mesure où nous cumulons plusieurs milliers
d’heures de présence et que même si l’enregistrement ne se faisait qu’à 30
Images Par Secondes (reduisant de moitié la cadence par rapport à celle du
jeu) chaque heure d’enregistrement pèse plusieurs Go de données. Outre le fait
qu’un tel choix aurait supposé plusieurs To de données, il est incontestable
qu’en dehors de l’espace-temps des raids le ralentissement du rythme des
interactions permet le retour à une prise de note classique. Nos captations se
sont donc rapidement concentrées sur les raids. Notre deuxième préoccupation
concernait la solution logicielle à adopter pour obtenir des enregistrements
satisfaisants. Si dans un premier temps nous avions opté pour le software
                                                                                     5
fourni par le constructeur de notre carte graphique (PlaysTV ) et le célèbre
         6
FRAPS , il s’est rapidement avéré que ces solutions étaient trop instables ou

5       https://plays.tv/

6       http://www.fraps.com/

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couteuses. Après plusieurs essais notre choix définitif s’est porté sur deux
solutions particulièrement stables, peu gourmandes en ressources et aux
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licences abordables : Bandicam et Action! . La principale problématique s’étant
posée lors des enregistrements concernait la captation sonore. En effet, dans la
mesure où il est d’usage que les membres d’une guilde communiquent
oralement par le biais de logiciels externes au monde numérique il était
nécessaire d’enregistrer les sons émis par l’intégralité des programmes en
cours d’exécution tout en réduisant les parasitages provenant de notre micro.
Le choix retenu a été de couper ce dernier, ce qui n’était guère dérangeant pour
le déroulement des interactions puisque, conformément à la méthode
ethnographique, nous nous sommes efforcés d’entretenir une posture en retrait
afin de limiter les perturbations produites par notre présence.

Dans sa forme finale notre méthode permet d’enregistrer l’espace-temps du
raid tel qu’il apparaissait sur notre écran (cf. illustration 1.), en y ajoutant la piste
audio des échanges vocaux menés par la guilde et en cachant toutes les autres
applications en cours d’exécution.

7       https://www.bandicam.com/fr/

8       https://mirillis.com/fr/produits/action-enregistreur-d-ecran.html

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Illustration 1. Capture d'écran présentant le point de vue obtenu par le dispositif de
captation

 4 Processus analytique

Tout au long de cette période de bricolage méthodologique ces éléments
n’avaient d’autres finalités que de permettre de garder une trace de ce qui a
été. A la manière des photographies alimentant tout carnet de terrain. Ainsi cinq
soirs par semaine, pendant plus d’un an, nous avons lancé, presque
machinalement (avec quelques oublis tout de même), notre processus de
captation. Sans avoir une idée précise de ce que nous allions en faire, ni de
comment nous allions appréhender ces données mais, avec la certitude que les
raids étaient des pièces essentielles de la vie des guildes.

 4.1 Délimitation du corpus
C’est après plusieurs mois d’enregistrement et en réexaminant ces vidéos que
nous avons fait deux constats. D’une part, nous comptabilisions déjà plus de
quatre cents heures de captations et cette quantité s’incrémentait toutes les
semaines. Et, d’autre part, le visionnage de ces vidéos révéla qu’effectivement
pendant les raids il se jouait autre chose que l’unique tentative de vaincre des
boss de plus en plus puissants. C’est à partir de ces données que nous avons
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pu formuler l’hypothèse que les raids sont d’un point de vue communicationnel,
interactionnel et social d’importantes expériences collectives où la structure du
groupe se forge et se consolide. Fort de cette proposition et d’une quantité de
matériaux nous paraissant suffisant pour la mettre à l’épreuve nous avons
entamé une phase de tri de ces données de manière à former un corpus
cohérent.

Pour cela et après avoir recensé l’intégralité de nos enregistrements, nous
avons     commencé          par     écarter      tous     ceux      qui     étaient      inexploitables
(principalement parce que le son et/ou l’image étaient de mauvaise qualité).
Ensuite, nous avons classé chronologiquement les captations de manière à
pouvoir les rapporter aux cycles rythmant la vie de WoW, car il nous faut encore
préciser qu’il n’y a pas un raid mais plusieurs dizaines de raids. Or, si les
membres d’une guilde ne trouveront pas grand intérêt à terrasser les boss des
anciens raids, tout l’enjeu consiste à affronter ceux du dernier raid en date. Ce
qui implique qu’un nouveau raid est implémenté dans le monde numérique, en
moyenne, tous les trois à quatre mois. Ainsi, en croisant les dates de sortie des
raids, les dates auxquelles les guildes A et B ont fait des raids et les dates de
nos captations, nous sommes parvenus à trouver une période correspondant à
un raid précis où nous avions pu participer à une majorité des soirées
organisées par nos guildes et où nous avions pu enregistrer ces participations.

                                                             Guilde A                     Guilde B

 Date première soirée de raid                            24 janvier 2017              18 janvier 2017

 Date dernière soirée de raid                             14 mars 2017                 er
                                                                                      1 mars 2017

 Nombre de participations (taux de
 participation par rapport au nombre total                   29 (65%)                     31 (70%)
 de soirées de raid sur la période)

 Nombre de raids enregistrés (taux par
                                                            29 (100%)                    31 (100%)
 rapport à la participation)

 Nombre de vidéo exploitables (taux)                         24 (88%)                    31 (100%)

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    Nombre d’heures totales de vidéos                        63,5 heures                   87 heures

Tableau 1. Récapitulatif des informations concernant les captations formant le corpus
d'analyse

Le tableau (1) permet de récapituler les éléments qui nous ont conduits à
choisir cette période précise pour former notre corpus. Toutefois, deux
éléments doivent être soulignés, tout d’abord concernant notre taux de
participation (65% et 70%) ; s’il n’est pas très élevé il était mathématiquement
difficile d’obtenir une période avec un taux de participation supérieure dans la
mesure où, comme nous l’avons dit, l’un des soirs de raid était commun aux
deux guildes. De plus, cette période est particulièrement intéressante
puisqu’elle correspond exactement à la sortie (le 18 janvier 2017) d’un nouveau
raid (appelé Le Palais Sacrenuit). Cela nous a amené à valider ce corpus par
rapport à la quantité de données dont nous disposons ainsi qu’au rythme
interne à WoW.

4.2 L’analyse, ou la composition avec des limites techniques
Face à notre corpus établi nous avons constamment été animé par une
problématique : comment embrasser, dans son intégralité, ces cent-cinquante
heures d’enregistrement d’un seul regard ? L’objet de ce questionnement étant
de parvenir à saisir de manière condensée ce qui se joue dans l’espace-temps
des raids. Il nous a rapidement semblé que la réponse adaptée à ce type
d’interrogation était de procéder à une analyse descriptive de nos données.

Pour mettre en place cette dernière nous avons décidé d’utiliser le logiciel
                                           9
d’analyse qualitative Atlas T.I. dans la mesure où il permet de tagger (ou
d’annoter) avec des codes un document vidéo puis de l’analyser et/ou
d’exporter les données (vers Excel, entre autres). L’utilisation de ce logiciel
repose donc sur la création d’une table de code intégrant toutes les étiquettes
que le chercheur souhaite apposer à ses données. Pour la création de notre
table nous avons suivi un processus en deux temps : premièrement, nous
avons défini quatre catégories principales répondant à notre volonté de saisir

9         https://atlasti.com/fr/

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les dynamiques interactionnelles en jeu au cours d’un raid et pouvant nous
permettre d’intégrer l’ensemble des situations susceptibles d’être rencontrées.
Les deux premières catégories ont pour fonction d’identifier les interactants en
fonction de leur médium de communication : oral ou écrite (via les chats
disponibles dans WoW). La troisième permet de définir la thématique de
l’interaction et la quatrième de saisir les évènements se déroulant à l’écran
mais n’incluant pas systématiquement un processus de communication verbal.
Dans un second temps, nous avons rempli de manière empirique ces
catégories     de     codes.      C’est-à-dire,       qu’en      visionnant       attentivement      les
enregistrements nous avons décrit, par le biais des codes, tout ce que nous
voyons. Nous avons pris garde de constituer des codes à la fois assez
généraux pour ne pas être uniques sans être trop globaux (ce qui nous aurait
fait courir le risque de perdre une part non-négligeable de la richesse de ces
données). Par exemple, pour ne pas multiplier les interactants de manière
inutile lorsqu’un utilisateur changeait d’avatar nous continuions à le coder de la
même manière, tout en notant à part qu’un changement d’avatar avait eu lieu.
Nous avons aussi créé des ramifications autour de thématiques centrales aux
raids. Ainsi, le fait de donner des ordres ou des indications pendant un combat
est un élément récurrent mais comportant certaines nuances, à partir du code
TM_RL (pour la catégorie « thématique » et le champ « raid lead », soit « chef
de raid ») nous avons créé les branches : TM_RL_Question (pour tous les cas
où une interrogation était incluse), TM_RL_Reprise (quand une personne est en
train de donner des consignes et qu’elle est coupée par une autre qui reprend
le leadership), TM_RL_Réprimande (désignant les moments où les consignes
sont données avec un ton de réprobation) et TM_RL_Discussion (lorsque la
consigne est remise en question ou sujette au débat). Cette méthode nous a
permis, par exemple pour la Guilde A, d’arriver à une table composée de 176
codes, dont 54 pour la catégorie Thématique, 45 pour la Communication Ecrite,
42 pour la Communication Orale, 13 pour les Evènements et 22 hors
catégories.

Si la lecture des quatre catégories que nous avons constituées permet de le lire
en filigrane, nous tenons à préciser dès à présent que notre analyse descriptive

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 n’intègre    que     la    communication           verbale,      laissant      de     côté     toute   la
 communication non-verbale. Cet état des choses est davantage le résultat
 d’une forme d’évidence pragmatique que d’un choix. En effet, dans la mesure
 où toutes les vidéos sont enregistrées depuis le point de vue que nous avions
 de la situation, il s’agit d’une vision non seulement partielle, mais surtout en
 déplacement constant. Dans ce cadre, un élément aussi basique que la
 proxémie inter-avatar suppose de calculer, image par image, la position de tous
 les avatars nous entourant (ce qui inclut les entrées et sorties de champs) puis
 de rapporter ces positions à la physicalité du monde numérique. Si ce procédé
 est théoriquement réalisable, non seulement il nous semblait trop lourd mais,
 surtout, non-pertinent. Car il ressort des entretiens que nous avons réalisés que
 la majorité des utilisateurs affirment être incapable de définir avec précision, en
 temps réel, les avatars les entourant et que leur déplacement est dicté par les
 besoins du combat (être à tel endroit précis pour éviter une attaque du boss,
 être à côté d’un autre avatar pour partager une quantité de dégâts, etc.). Il
 semblerait donc qu’une donnée comme la proxémie relèverait davantage de
 l’inconscient, c’est pourquoi nous pensons qu’explorer cette dimension
 demanderait la mise en place d’une démarche plus quantitative et automatisé.
 On pourrait ainsi penser à un dispositif où la position des membres de plusieurs
 guildes seraient enregistrés puis analysés pour observer si, en croisant ces
 données avec celles issues d’entretiens, une corrélation peut apparaitre (par
 exemple, les avatars se placent-ils en fonction d’affinités ?).

  4.3 Constitution des unités d’interaction (UI)
 Si Atlas T.I. permet d’annoter une image inanimée en la découpant partie par
 partie, l’annotation d’images animées se fait sur la timeline de celles-ci. C’est

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Illustration 2. Capture d'écran de l'interface d'Atlas T.I. pendant une phase de codage
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donc un passage temporel qui fait l’objet de la codification (cf. capture d’écran
ci-dessous).

   Cette conception permet une visualisation de la manière dont la plupart des
analyses audiovisuelles sont conçues : le film est découpé en séquences qui
font l’objet d’un minutage et d’une analyse minutieuse (scène par scène ou,
parfois, image par image) (Berthier 2011). Cependant, dans le cadre de
l’analyse descriptive de la captation d’actions quotidiennes durant plusieurs
heures, il est impossible de se reposer (en partie) sur le montage et les prises
de vue pour définir des séquences. La principale problématique est donc de
parvenir à constituer des segments de vidéo cohérents. Notre focale étant
posée sur les interactions tout l’enjeu du processus de segmentation des
captations est d’identifier des unités d’interaction (UI) qui fassent sens en elles-
mêmes, relativement au contexte. Nous avons pris en compte quatre
paramètres pour délimiter chacune des UI composant nos vidéos : le temps, le
rythme, les limitations techniques et l’indexicalité. Ces paramètres sont
dépendants, c’est leur relation qui permet de borner chaque UI. Nous pouvons
illustrer cette démarche à travers la schématisation suivante.

Schéma 1. Relation des paramètres permettant la constitution des unités d'interactions

Nous voyons que deux paramètres (temps et rythme) permettent de délimiter
une UI par rapport à la précédente et la suivante. Le temps est le paramètre

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principal de cette dyade dans la mesure où, en général, on observe que si un
délai de dix secondes sépare deux échanges communicationnels (discussion
verbale écrite et/ou orale) alors il s’agit de deux unités d’interaction distinctes.
Cependant, il apparait que ce caractère de généralité provient du fait que le
temps n’est pas absolu mais relatif au rythme de l’interaction en cours. Ainsi,
lors des périodes où le rythme est soutenu (typiquement durant les combats),
ce délai peut se réduire à une ou deux secondes et, inversement, lors des
phases plus lentes (comme les pauses) ce délai peut augmenter jusqu’à une
vingtaine de secondes. Le rythme module donc le paramètre du temps.

Le troisième paramètre, les limitations techniques, intervient tout au long de
l’analyse de chaque document en imposant certaines concessions. Par
limitation technique, nous entendons le fait que dans la mesure où nous
travaillons sur des documents lourds (plusieurs Go) et long (en moyenne 2h38)
nous observons un ralentissement systématique de la part du logiciel (freeze et
lag) passé un certain nombre d’UI (généralement 200). Ces phénomènes allant
                                    ème
crescendo, une fois la 500                UI passée il faut compter un délai de réaction
d’environ 4 à 5 secondes pour chaque action sur le logiciel. Passée la limite des
700 UI l’annotation du document devient bien trop laborieuse pour être
dupliquée à 55 captations. Concrètement, cela a contribué à définir le délai du
paramètre temps ainsi qu’au fait que certains éléments n’ont été annotés qu’un
nombre de fois limité pour ne pas alourdir le document. Par exemple, lors d’un
raid un participant avait des quintes de toux régulières et n’avait pas eu le
réflexe de couper son micro quand cela lui arrivait. Dans la mesure où nous
nous intéressons principalement à la jonction entre monde physique et monde
numérique nous avons prêté une attention particulière à cet élément
potentiellement perturbateur pour observer s’il provoquait une réaction de la
part des autres participants. Il s’est rapidement avéré que les quintes de toux
étaient si nombreuses qu’il n’était pas soutenable de toutes les annoter, après
en avoir annoté une vingtaine nous n’avons spécifié que celles induisant une
réaction de la part des autres participants.

Finalement, le quatrième paramètre, l’indexicalité, directement issue de la

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tradition ethnométhodologique (Garfinkel et al. 2007; Fornel et al. 2001; Coulon
2014) permet, sous deux aspects, une validation interne des paramètres
précédents. Premièrement, à travers notre connaissance du terrain – acquise
par notre posture d’observateur participant – nous sommes à même de repérer
les changements de thématiques et les inflexions rythmiques induisant un
changement d’UI. Car une UI est avant tout délimitée par son contenu, sa
thématique. Si, deux individus commentant le combat en cours sont
interrompus par un troisième donnant une indication, cela formera deux UI.
Deuxièmement, notre expérience nous permet de comprendre l’ensemble des
éléments se déroulant durant le raid (erreur d’un avatar causant sa mort,
difficultés des combats, stratégies mises en place, etc.) ce qui nous permet de
rattacher chaque UI à son contexte, lequel participe évidemment à la
délimitation de chaque interaction.

5 Premiers résultats, limites et perspectives
Ayant présenté la méthode que nous avons élaboré pour tenter d’embrasser
une importante quantité de données qualitatives, notamment en réalisant une
analyse descriptive consistant en la fragmentation de nos documents en unités
d’interaction. Nous nous proposons, avant de conclure cet article, de présenter
succinctement certains de nos premiers résultats.

5.1 Aperçu global du contenu des raids
Premièrement, il apparait que l’exportation des données obtenues par Altas
permet une quantification répondant à notre problématique principale : saisir
rapidement les dynamiques communicationnelles en jeu lors des raids. Ainsi, si
                                                   10
nous prenons l’exemple de la Guilde A , nous sommes en mesure d’interroger
une relation entre le nombre de participants à une soirée de raid et le nombre
d’UI. Ce qui pose la question de l’effet de la taille du groupe sur la
communication : un cercle restreint invite-t-il à plus de conversations ? ou est-
ce l’effet de groupe qui engage la communication ?

10      Pour éviter de submerger le lecteur de données, nous avons fait le choix de ne
présenter, dans cet article, que des résultats issus des raids captés avec la Guilde A.

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                         Nombre total d’UI                      10 342

                           Effectif Moyen                         18,2

                             Moyenne UI                          430,9

                             Médiane UI                           457

                              Ecart-type                          143

                          Moyenne UI / Hr                        168,3

                          Médiane UI / Hr                        166,3

                             Ecart Type                           34,6

Tableau 2. Eléments statistiques du corpus de captations de la Guilde A

Pour apporter des éléments de réponse à ce questionnement, nous
commençons par recenser l’effectif des 24 soirs de raid que nous avons
enregistré (effectif moyen de18,2 participants) et le nombre d’UI qui leur sont
rattachés (10 342 UI au total, moyenne de 430,9 et médiane de 457). Dans la
mesure où la durée des soirées de raid, et donc des enregistrements, est
relativement dispersée (écart-type de 143), nous avons décidé de pondérer le
nombre d’UI par le temps, en considérant le nombre d’UI par heure. Ce calcul
permet de réduire considérablement la dispersion (moyenne UI / Hr de 168,3
avec un écart-type de 34,6).

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Figure 1. Diagramme croisant l'effectif du raid et le nombre d'UI/hr pour chaque soirée
de raid

Ce graphique superposant l’effectif de chaque soirée de raid et la densité des
interactions pondéré par le temps qui leur est rattaché met en évidence une
certaine dépendance entre ces deux éléments puisqu’on observe qu’une
hausse de l’effectif aura tendance à avoir un impact négatif sur la densité des
interactions (soirées 2, 9, 18, 19, 22) et inversement un effectif plus faible
semble avoir un impact positif (soirées 4, 6, 11). Cependant, il est aussi
nécessaire de prendre en compte le fait que les soirées avec un effectif très
élevé correspondent à une période de recrutement de la guilde ; l’arrivée de
nouvelles recrues peut donc aussi avoir eu un impact sur la dynamique
communicationnelle. De plus, il faut aussi considérer que les soirs de raids
ayant une durée réduite ont dues avoir un effet sur l’annotation puisque nous
avions conscience que le paramètre limitation technique serait moins important
pour ces enregistrements. Bien que nous ayons fait tout notre possible pour ne
pas être influencé par cet élément, nous ne pouvons écarter un possible biais et
donc une surévaluation de la densité des interactions de certains soirs (soirées
16, 20 et 24).

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5.2 L’écart entre indication et humour ou la fonction rituelle des
raids
Deuxièmement, nous pouvons aussi avoir accès à une dimension plus sensible,
compréhensive des raids tout en gardant un point de vue global. Il est ainsi
possible d’interroger la répartition, parmi les participants, de certaines
thématiques particulières. Prenons, par exemple, deux thématiques a priori
antagonistes : le fait de donner des ordres ou des indications pendant le
combat et les traits d’humour (blagues, moqueries bon enfant, provocations
etc.). Notons, qu’en représentation absolue, la thématique « donner des
ordres/indications » est bien plus présente que celle portant sur l’humour
(respectivement 229,7 UI / raid et 11,9 UI / raid en moyenne). Concernant ces
thématiques, on observe deux répartitions radicalement différentes. D’une part,
les ordres sont donnés majoritairement par un ou deux individus. S’ils sont
deux, ils interviennent tous les deux dans plus de 54% des UI ayant pour
thématique « donner des ordres/indications », si c’est une personne, elle
participe généralement à plus de 85% de ces UI. Ajoutons, qu’à ce(s) leader(s)
s’agrège une petite cohorte (trois à quatre individus) qui participent en moyenne
à 5% de ces interactions, quand tout le reste du groupe sera entre 0% et 1%.
D’autre part, les traits d’humour sont plus également répartis entre les
participants. C’est-à-dire, que cinq à six individus participent à plus d’un quart
des UI ayant l’humour pour thématique.

Cependant, outre cette différence de répartition pouvant s’expliquer par la
dimension plus collective – dans l’interaction – de l’humour par rapport au
leadership (qui peut avoir la réputation d’être plus efficace s’il est concentré), ce
qui nous semble particulièrement intéressant c’est que peu importe quel avatar
tient quel rôle (leader ou non) cette répartition reste sensiblement identique. On
assiste donc, d’un soir à l’autre, à une substituabilité des rôles (leader,
humoriste d’un soir, …) ; celui qui ne participait guère à la prise de décision
devient leader et la cohorte de la veille n’est pas forcément celle du lendemain,
mais ce petit groupe assistant/participant à la prise de décision existe toujours.
Ce sont ces éléments qui nous font pencher en faveur d’une analyse suggérant
une dimension rituelle de l’espace-temps des raids (Goffman 1974; Durkheim

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