VULNÉRABILITÉS EN DÉTENTION - Procédure à la frontière, procédure accélérée, visioconférence - NANSEN

 
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De janvier 2019 à mars 2020,
                                      l’équipe de NANSEN a effectué 34
                                      visite en centres fermés et s’est
                                      entretenue avec 199 personnes
                                      détenues. Le rapport «Vulnérabilités
                                      en détention »présente, en cinq
                                      chapitres thématiques, l’analyse de
                                      nos constats. Vous trouverez ici nos
                                      objectifs et notre méthodologie. Ce
                                      rapport     est   représentatif  des
                                      difficultés rencontrées en détention
                                      par les personnes ayant besoin de
                                      protection internationale. Il ne
                                      prétend pas être exhaustif. Il ne
                                      prétend pas non plus que les
                                      situations       analysées      sont,
                                      statistiquement,        les      plus
                                      représentées dans l’ensemble de la

 VULNÉRABILITÉS EN DÉTENTION          population détenue en centres
                                      fermés en Belgique aujourd’hui..

Procédure à la frontière, procédure   Auteur : Valérie Klein
                                      Rédaction finale : Marjan Claes – Julie
      accélérée, visioconférence.     Lejeune

                                                                   1
IV. Application de la procédure à la frontière et de la procédure accélérée (et focus sur les entretiens
personnels par vidéoconférence) ........................................................................................................................ 3
   IV.1. Constats ..................................................................................................................................................... 3
   IV.2. Analyse ....................................................................................................................................................... 6
      A.         Traitement de la demande à la frontière et selon une procédure accélérée............................. 6
      B.         Detention .............................................................................................................................................. 9
   IV.3. FOCUS : entretiens personnels par videoconference ...................................................................... 11
      1. Absence de fondement légal ................................................................................................................. 11
      2.         Absence de garanties quant à la confidentialité des entretiens par vidéoconférence........... 18
      3.         Droit à l’assistance et à la représentation juridique..................................................................... 20
      3.         Impact de la vidéoconférence sur le demandeur de protection internationale ....................... 22
      4.         Nécessité d’une évaluation de la pratique existante dans les centres fermés ....................... 26

                                                                                                                                                                         2
IV. APPLICATION DE LA PROCÉDURE À LA FRONTIÈRE ET DE LA PROCÉDURE
ACCÉLÉRÉE ( ET FOCUS SUR LES ENTRETIENS PERSONNELS PAR
VIDÉOCONFÉRENCE )

IV.1. CONSTATS
En 2019 et 2020, NANSEN a poursuivi ses visites à Caricole, où sont détenues la plupart des personnes
qui introduisent une demande de protection internationale à la frontière. Toutefois, en raison d’un
manque de place, lié à un nombre plus important d’arrivées à certaines périodes, des demandeurs de
protection internationale ont parfois été transférés vers d’autres centres 1 , où NANSEN a pu les
rencontrer. Bien que NANSEN ne visite pas les maisons de retour, certains dossiers de personnes qui
s’y trouvaient ont été suivis 2.

NANSEN constate que, dans les dossiers suivis, les demandeurs de protection internationale à la
frontière continuent à être systématiquement détenus 3. Selon l’Office des Étrangers, c’est effectivement
le cas des personnes qui ne remplissent pas les conditions d’accès au territoire. L’administration a
expliqué à NANSEN que certains demandeurs ne sont pas placés en détention, mais n’a pas
communiqué de données chiffrées.

En outre, la détention a systématiquement entraîné l’application de la procédure à la frontière prévue à
l’article 57/6/4 de la loi du 15 décembre 1980, et de la procédure accélérée visée à l’article 57/6/1, §1er
de la loi du 15 décembre 1980. Ces deux constats avaient déjà été faits en 20184.

Les situations analysées par NANSEN montrent que la décision du CGRA de faire application de la
procédure à la frontière et de la procédure accélérée repose sur l’un des motifs suivants :

         Le demandeur a tenté d’entrer sur le territoire et, sans motif valable, n'a pas présenté une
         demande de protection internationale dans les délais les plus brefs,
         Le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité et/ou sa
         nationalité, en présentant de fausses informations ou de faux documents ou en dissimulant des
         documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable ou a
         induit les autorités en erreur quant aux motifs de son voyage,
         Il est probable que, de mauvaise foi, le demandeur a procédé à la destruction ou s’est défait
         d’un document d’identité ou de voyage qui aurait aidé à établir son identité ou sa nationalité,

1
  Loi du 15 décembre 1980, art. 74/5, §2.
2 Ces centres sont visités par le Jesuit Refugee Service.
3
  NANSEN, Beschermingstandaarden in detentie. Naar volledige implementatie – Bevindingen 2018, p.16 et
NANSEN Note 2018-1, Demandeurs d’asile à la frontière : procédure à la frontière et détention, avril 2018,
https://www.nansen-refugee.be/wp-content/uploads/2018/12/demandeurs-asile-frontiere-procedure-frontiere-
detention.pdf. À propos de la détention des demandeurs de protection internationale à la frontière, voyez également
les Conclusions de l’Avocat général M. Maciej SZPUNAR présentées le 30 avril 2020 dans l’affaire C-36/20 PPU,
§ 107 dans lesquelles il a rappelé que :
« En outre, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les autres paragraphes de l’article 8 de la directive 2013/33 apportent
des limitations importantes au pouvoir conféré aux États membres de procéder à un placement en rétention.
Notamment, l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, de cette directive énumère de manière exhaustive les
différents motifs susceptibles de justifier un placement en rétention et chacun de ces motifs répond à un besoin
spécifique et revêt un caractère autonome. Ainsi, lorsqu’il existe un motif susceptible de justifier la rétention,
l’article 8, paragraphe 2, de cette directive exige que cette rétention ne puisse être ordonnée que lorsque
cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, si d’autres mesures moins
coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.
4 NANSEN, Beschermingstandaarden in detentie. Naar volledige implementatie – Bevindingen 2018, p.16, op.cit.,

et NANSEN Note 2018-1, Demandeurs d’asile à la frontière : procédure à la frontière et détention, avril 2018, op.cit.

                                                                                                                   3
Le demandeur a fait des déclarations manifestement fausses, ce qui rend sa demande peu
         convaincante.

Les situations analysées révèlent également que le CGRA reprend fréquemment tels quels les motifs
invoqués par l’Office des Étrangers pour justifier la détention sur la base de l’article 74/5, §1er, 2° de la
loi du 15 décembre 1980, sans toutefois procéder lui-même à une analyse individuelle, ni faire référence
dans sa décision aux éléments concrets du dossier.

Ce constat est notamment illustré par la situation d’un jeune homme palestinien, arrêté à l’aéroport de
Zaventem et placé en détention à Caricole. La décision de maintien, prise sur la base de l’article 74/5,
§1er, alinéa 1er, 2° indiquait que « l’intéressé ne peut présenter aucun document de voyage valable. Il
est uniquement en possession d’une carte d’identité palestinienne dont l’identité ne peut être garantie.
L’intéressé s’est vu notifier une décision de refus d’entrée (…) car il n’était pas en possession d’un
document de voyage ni d’un visa valable pour pénétrer sur le territoire. Le maintien est jugé nécessaire
pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne
pourraient être obtenus si l’intéressé n’était pas maintenu, en particulier car il y a risque de fuite du
demandeur. L’intéressé a utilisé des informations trompeuses ou a employé d’autres moyens illégaux
dans le cadre d’une procédure de protection internationale ou de refoulement (…). Le maintien se justifie
par le fait qu’il a délibérément soustrait des informations aux autorités belges ».

Dans sa décision relative à la demande de protection internationale, le CGRA indiqua, sans référence
à des éléments concrets du dossier : « La circonstance qu’il était probable que, de mauvaise foi, vous
aviez procédé à la destruction ou vous étiez défait d’un document d’identité ou de voyage qui aurait été
à établir votre identité ou votre nationalité était jusqu’alors établie et a justifié qu’une procédure
accélérée a été appliquée ou traitement de votre demande lors de cette phase de la procédure ».

Suite à l’annulation de la décision du CGRA par le CCE5, l’Office des Étrangers délivra un nouveau titre
de détention, fondé sur l’article 74/6, §1er, 2° de la loi du 15 décembre 1980, au motif ici encore de
l’utilisation d’informations trompeuses ou d’autres moyens illégaux. Cette décision fut soumise au
contrôle de la chambre des mises en accusation, qui ordonna la remise en liberté : « (…) la décision
querellée ne donne aucune indication concrète relative aux fausses informations ou informations
trompeuses (…) utilisées dans le cadre de la demande de protection internationale qu’il a introduite.
Les informations qu’il aurait délibérément soustraites aux autorités belges ne sont pas non plus
énoncées ».

La chambre des mises en accusation, après avoir fait référence à la décision du CGRA et à l’arrêt du
CCE, conclut que « dans la mesure où (…) demande une protection internationale, la simple
circonstance qu’il n’est pas en possession d’un passeport valable ne justifie pas le risque de fuite
invoqué par l’administration et il n’apparait pas que sa détention soit nécessaire pour vérifier son identité
eu égard aux documents qu’il présente. Il n’apparait pas qu’il ait utilisé des fausses informations ou des
faux documents ». Le constat de l’Office des Étrangers, qui avait mené à la délivrance de deux titres de
détention, et à l’application par le CGRA, sans analyse complémentaire, d’une procédure accélérée, fut
donc invalidé.

Il arrive également que le CGRA motive la décision de recourir à la procédure accélérée sur la base
d’autres éléments que ceux invoqués par l’Office des Étrangers pour justifier le maintien. Dans cette
hypothèse, il n’apparait toutefois pas non plus qu’il soit procédé à une analyse individuelle. Ainsi, dans
le cas d’un couple de Palestiniens 6 , l’Office des Étrangers avait retenu, pour motiver le maintien,
l’introduction tardive de la demande et le fait qu’ils soient venus en Belgique pour d’autres raisons que
l’introduction d’une demande de protection internationale. Le CGRA décida pour sa part d’appliquer la
procédure accélérée au motif que les intéressés avaient induit les autorités en erreur en ce qui concerne
leur identité et/ou nationalité. La lecture de la décision révèle toutefois le contraire, puisqu’ils ont déposé
différents documents relatifs à leur identité ou leur nationalité, éléments non mis en doute par la même
décision.

5
 CCE n° 240 639 du 24 décembre 2019.
6NANSEN ne les a pas identifiés comme vulnérables, et leur situation ne fait donc pas partie des 26 situations
auxquelles il est fait référence ailleurs dans le rapport. Il est toutefois fait référence à leur situation, dans la mesure
où elle illustre la pratique du CGRA relative au recours à la procédure accélérée à la frontière.

                                                                                                                         4
Enfin, dans deux des situations analysées, la décision de faire application de la procédure accélérée ne
fait l’objet d’aucune motivation7.

Dans plusieurs dossiers, le CGRA a décidé, sur la base de l’article 57/6/4 de la loi du 15 décembre
1980, de procéder à un examen ultérieur de la demande. La loi du 15 décembre 1980 n’imposant pas
d’obligation de motivation de cette décision, il n’est pas possible de connaitre les raisons qui la sous-
tendent. NANSEN a constaté que certaines personnes ont été maintenues en détention suite à une
décision d’examen ultérieur, ou à l’annulation par le CCE de la décision du CGRA 8. Il en est de même
des personnes pour lesquelles une décision n’avait pas été prise par le CGRA dans le délai de quatre
semaines prévu à l’article 57/6/4. Cette pratique est matérialisée par la délivrance d’une annexe 39bis.
Les décisions de maintien sont fondées sur la nécessité de déterminer les éléments sur lesquels se
fonde la demande de protection internationale et sur un risque de fuite. Il s’agit donc de motifs similaires
à ceux des titres de détention initiaux.

Enfin, dans plusieurs situations analysées, le constat par le CGRA de l’existence de besoins
procéduraux spéciaux dans le chef du demandeur n’a pas fait obstacle à l’application de la procédure
à la frontière, ou de la procédure accélérée. Selon l’Office des Étrangers, un dialogue s’établit entre ses
services et ceux du CGRA au moment de la décision d’examen ultérieur, de l’annulation par le CCE ou
de l’expiration du délai de quatre semaines. La décision de maintien en détention sur le territoire est
prise en fonction des informations fournies par le CGRA sur les raisons qui fondent la décision d’un
examen ultérieur, et sur la possibilité de prendre une décision rapidement. En outre, l’Office des
Étrangers explique que sa décision est influencée par la présence d’un passeport en cours de validité 9.
Les contacts entre l’Office des Étrangers et le CGRA au moment de l’adoption par ce dernier d’une
décision d’examen ultérieur ont été confirmés par le CGRA, qui explique qu’il informe par écrit l’Office
des Étrangers si une décision peut être prise à bref délai, et que l’Office des Étrangers décide, sur la
base de cette information, si le maintien en détention reste justifié 10 . Bien que quelques-unes des
personnes rencontrées par NANSEN lors des visites aient indiqué apprécier que la procédure se
déroule rapidement, NANSEN constate que la procédure à la frontière est souvent inadaptée, en tout
cas aux personnes les plus vulnérables.

Ce constat est illustré par le récit d’une femme congolaise arrivée avec sa fille mineure. Elle fut placée
avec sa fille en détention dans une maison de retour. Bien qu’elle ait mentionné, dans le questionnaire
rempli préalablement à son audition et ensuite au cours de son audition, avoir été victime de viols dans
son pays d’origine, le CGRA ne constata pas de besoins procéduraux spéciaux dans son chef 11. Le
dossier fut signalé à NANSEN par les visiteurs des maisons de retour, qui eurent l’attention attirée par
la grande vulnérabilité de l’intéressée. Ceux-ci mirent en place, dans un délai très court, un suivi
psychologique et firent en sorte qu’elle puisse être examinée par un médecin de CONSTATS. En raison
de l’application de la procédure à la frontière et de la procédure accélérée, aucun document médical ne
put être transmis au CGRA avant la décision, qui rejeta la demande de protection internationale. Le
CGRA estima, entre autres, que les propos de l’intéressée relatifs à sa séquestration, au cours de
laquelle les viols furent perpétrés, n’étaient pas crédibles. NANSEN assista l’avocat dans la rédaction
d’un recours auprès du CCE, par l’envoi l’informations juridiques. À l’appui du recours, furent déposés
le rapport établi par CONSTATS, ainsi qu’une attestation de suivi psychologique. Le CCE annula la
décision du CGRA, après avoir constaté que les documents déposés faisaient état de sérieuses lésions
physiques et de troubles psychologiques importants 12.

NANSEN estime que le recours à une procédure à la frontière, couplée à une procédure accélérée,
constitue une approche trop souvent inadaptée à la situation des demandeurs de protection
internationale. Bien que ces procédures requièrent un examen individuel, les décisions analysées

7 Une des deux situations ne fait pas partie des 26 situations de personnes vulnérables.
8 Cette pratique a été déjà constatée par le passé. Voyez CLAES, M., “Vasthouding van personen met een
mogelijke nood aan internationale bescherming als uitzonderingsmaatregel na de wet van 21 november 2017”, T.
Vreemd., 2019, n°3, p. 209.
9 Ces informations ont été communiquées à NANSEN par l’Office des Étrangers à l’occasion d’une réunion

bilatérale, le 18.6.2020.
10 Lettre du CGRA à NANSEN, 14 septembre 2020.
11
   Les besoins procéduraux spéciaux font l’objet du chapitre 3.
12 CCE n° 233 218 du 27 février 2020. NANSEN assista également l’avocat dans le cadre de la procédure devant

la chambre du conseil, qui décida de libérer l’intéressée, au motif que la décision de maintien n’avait pas tenu
compte de sa situation médicale, pourtant connue de l’administration.

                                                                                                              5
montrent que le CGRA y recourt de façon très fréquente 13 et en justifiant sa décision de façon
stéréotypée, voire erronée.

Selon le CGRA14, les constats de NANSEN ne sont fondés que sur les dossiers dans lesquels il est fait
application de la procédure à la frontière / accélérée, et NANSEN n’a donc pas de vue sur l’ensemble
des décisions d’examen ultérieur prises par le CGRA, et partant, sur les situations dans lesquelles il
n’est pas fait application de ces procédures, et donc sur la politique menée.

Le CGRA indique en outre que, conformément à la loi, il n’applique pas la procédure à la frontière s’il
estime qu’une décision d’irrecevabilité ne peut être prise, sur la base d’un des motifs permettant le
recours à une procédure accélérée, ou s’il n’est pas possible de prendre une décision endéans le délai
de quatre semaines (article 57/6/4 de la loi du 15 décembre 1980). Il indique également ne pas / plus
appliquer la procédure à la frontière s’il estime que le demandeur a des besoins procéduraux spéciaux
incompatibles avec cette procédure. Par contre, le simple constat de l’existence de besoins procéduraux
spéciaux n’implique qu’il renonce à appliquer la procédure à la frontière.

Comme indiqué ci-dessus, dans certaines des situations analysées par NANSEN, le CGRA a
effectivement pris une décision d’examen ultérieur et NANSEN est bien consciente de n’avoir pas accès
à la totalité des décisions d’examen ultérieur à la frontière ou de non-application de la procédure à la
frontière prises par le CGRA. Un accès régulier à des statistiques détaillées et à jour sur la protection
internationale est donc nécessaire 15. NANSEN regrette en outre que ces décisions ne soient pas
motivées, ce qui empêche effectivement d’en connaitre des motifs et d’approfondir l’analyse de la mise
en œuvre de la procédure frontière. Enfin, dans les situations analysées, NANSEN constate que la
décision d’examen ultérieur a été prise après l’entretien personnel, voire après l’arrêt du Conseil du
Contentieux des Étrangers. Or, vu les conséquences que peut avoir une procédure accélérée, couplée
à un maintien en détention (voyez infra), NANSEN estime qu’une décision d’examen ultérieur doit être
prise le plus tôt possible. La procédure à la frontière / accélérée devrait être abandonnée avant
l’entretien personnel pour les personnes en situation de vulnérabilité et/ou pour qui des besoins
procéduraux sont identifiés. À défaut, le demandeur sera privé de la possibilité de se préparer
adéquatement à cet entretien, et de bénéficier d’un accompagnement pour ce faire.

IV.2. ANALYSE
     A. TRAITEMENT DE LA DEMANDE À LA FRONTIÈRE ET SELON UNE PROCÉDURE
         ACCÉLÉRÉE

La procédure à la frontière a été introduite dans la loi du 15 décembre 1980 par la loi du 21 novembre
201716. L’article 57/6/4 constitue la transposition de l’article 43 de la Directive Procédure, qui autorise
les États membres à instaurer une procédure d’asile à la frontière 17.

L’article 57/6/4 stipule que le CGRA est compétent, à l’égard de l’étranger qui ne satisfait pas aux
conditions d’accès fixées aux articles 2 et 3 de la loi du 15 décembre 1980 et qui a introduit à la frontière
une demande de protection internationale, pour y déclarer la demande irrecevable sur la base de l'article

13   Comme il l’avait d’ailleurs annoncé lors d’une journée d’étude organisée en mars 2018,
https://www.agii.be/nieuws/presentaties-studiedag-wetswijzigingen-in-de-asielprocedure-en-opvang-van-
asielzoekers et NANSEN Note 2018/1, Demandeurs d’asile à la frontière : procédure à la frontière et détention,
op.cit., p.4.
14 Lettre du CGRA à NANSEN, 14 septembre 2020.
15 Dans son exposé d’orientation politique, le nouveau Secrétaire d’État à l’asile et la migration a d’ailleurs indiqué :

« (…) il est nécessaire de mettre en place une politique transparente dans le cadre de laquelle des chiffres et des
décisions actualisés sont publiés régulièrement. De cette manière, la clarté est fournie aux parties prenantes et au
citoyen » (La Chambre, Exposé d’orientation politique. Asile, Migration et Loterie nationale, 4 novembre 2020, DOC
55 1610/11, p.5, https://www.dekamer.be/FLWB/PDF/55/1610/55K1610011.pdf
16 Loi du 21 novembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement

et l’éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines
autres catégories d’étrangers, M.B., 12.3.2018.
17
   Ces questions ont déjà fait l’objet d’une analyse par NANSEN dans la NANSEN Note 2018-1, Demandeurs d’asile
à la frontière : procédure à la frontière et détention, avril 2018, op.cit., p. 3. Voyez également, CLAES, M.,
Vasthouding van personen met een mogelijke nood aan internationale bescherming als uitzonderingsmaatregel na
de wet van 21 november 2017, T. Vreemd., 2019, nr.3, pp. 198-200.

                                                                                                                       6
57/6 §3 de la loi du 15 décembre 1980 ou pour y prendre une décision sur le fond de la demande dans
l'une des situations énumérées à l'article 57/6/1 de la loi du 15 décembre 198018. Dans le cas où aucune
des situations prévues à l'article 57/6 §3 ou à l'article 57/6/1 ne trouve à s'appliquer, le CGRA décide
qu’un examen ultérieur est nécessaire, ce qui a pour conséquence que le demandeur est autorisé à
entrer sur le territoire19.

L’article 57/6/4 précise également que la procédure à la frontière exige du CGRA qu’il prenne une
décision dans un délai de quatre semaines après réception de la demande de protection internationale.
À défaut, le demandeur est autorisé à entrer sur le territoire.

La demande introduite à la frontière est traitée en priorité, en vertu de l’article 57/6, §2. En outre, les
articles 57/6/4 et 57/6/1, §1er combinés prévoient que certaines demandes de protection internationale
traitées dans la cadre de la procédure à la frontière font l’objet d’une procédure accélérée.

La décision d’appliquer ou non la procédure à la frontière doit être prise sur la base d’une analyse
individuelle 20 . Le considérant 21 de la Directive Procédure indique par ailleurs que « l’absence de
documents à l’entrée ou l’utilisation de documents falsifiés ne devrait pas entraîner en soi un recours
automatique à la procédure à la frontière ou à la procédure accélérée ». Les articles 31, §8 et 43 de la
Directive Procédure fixent un cadre strict pour l’application de ce type de procédure. Dans l’arrêt Samba
Diouf, la CJUE a précisé que la procédure accélérée concerne « notamment les demandes dont tout
porte à croire qu’elles sont infondées, car des éléments clairs et évidents permettent aux autorités de
considérer que le demandeur ne pourra pas bénéficier d’une protection internationale, ainsi que les
demandes frauduleuses ou abusives »21.

Enfin, l’article 48/9, §5 de la loi du 15 décembre 1980 indique que le CGRA n’appliquera pas la
procédure à la frontière si le demandeur a des besoins procéduraux spéciaux incompatibles avec une
telle procédure. Cette disposition vise, en particulier mais pas uniquement, les victimes de torture, de
viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle.

Dans la mesure où elle a pour conséquence des délais de traitement et de recours raccourcis, NANSEN
maintient que l’application de la procédure à la frontière est problématique, pour les raisons suivantes :

         La détention et le raccourcissement des délais augmentent la situation de vulnérabilité du
         demandeur de protection internationale
         Les délais très courts rendent difficile la préparation de l’entretien personnel
         Les délais très courts, et la détention elle-même rendent difficiles l’obtention de documents, en
         particulier médicaux.
         La grande majorité des auditions ont lieu par vidéoconférence 22 (cf. infra).
         Ce cadre procédural rend plus difficile pour le CGRA d’identifier les victimes de torture, ou les
         demandeurs souffrant de traumatismes

18 Il s’agit des hypothèses suivantes :
 - éléments non pertinents pour la demande de protection internationale ;
 - pays d’origine sûr ;
- autorités induites en erreur sur l’identité et/ou la nationalité ;
- demandeur probablement de mauvaise foi, qui aurait détruit ou se serait défait d’un document d’identité ou de
voyage ;
- déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles qui
contredisent les informations suffisamment vérifiées ;
- demande ultérieure traitée au fond ;
- demande tardive ;
- refus de prise d’empreintes digitales ;
- danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public.
19 NANSEN Note 2018-1, Demandeurs d’asile à la frontière : procédure à la frontière et détention, p. 3
20 Exposé des motifs de la loi du 21 novembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire,

le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et de la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs
d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers, La Chambre, 2016-2017, DOC 54 -2548/001, pp. 150-151.
Voyez aussi, CORNELISSE, G., “Territory, Procedures and Rights : Border Procedures in European Asylum Law”,
Refugee Survey Quarterly 2016, p. 81.
21 CJUE 28 juillet 2011, C-69/10, Samba Diouf, ECLI:EU:C:2011:524, § 31.
22 Dans un des dossiers analysés par NANSEN, le CGRA y a renoncé, car le demandeur avait des troubles auditifs.

                                                                                                                    7
Ce cadre procédural rend plus difficile pour le CGRA de détecter d’éventuels besoins
         procéduraux spéciaux (alors qu’ils peuvent faire obstacle à l’application de la procédure à la
         frontière)

Une audition insuffisamment préparée, l’absence de détection d’un traumatisme ou d’identification de
besoins procéduraux spéciaux peuvent avoir d’importances conséquences sur la capacité du
demandeur à livrer son récit, et donc sur l’issue de sa demande de protection internationale 23.

En outre, plusieurs instances recommandent que certains types de demandes ne soient pas traités dans
le cadre d’une procédure accélérée. Il en va ainsi, par exemple, des demandes liées au genre 24, à
l’orientation sexuelle25, ou des demandes introduites par des victimes de trafic d’êtres humains 26.

Les dispositions de la loi du 15 décembre 1980 ne prévoient pas de possibilité de recours contre la
décision du CGRA de traiter une demande de protection internationale à la frontière, ou dans le cadre
d’une procédure accélérée. Dans l’arrêt Samba DIOUF, la CJUE a confirmé que cela est conforme au
droit européen, pour autant que cette décision puisse être contestée dans le cadre du recours contre la
décision de rejet de la demande de protection internationale :

       « (…) l’article 39 de la directive 2005/85 et le principe de protection juridictionnelle
       effective doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une
       réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle aucun
       recours autonome ne peut être introduit contre la décision de l’autorité nationale
       compétente d’examiner une demande d’asile dans le cadre d’une procédure accélérée,
       dès lors que les motifs qui ont conduit cette autorité à examiner le bien-fondé de
       ladite demande dans le cadre d’une telle procédure peuvent être effectivement
       soumis à un contrôle juridictionnel dans le cadre du recours dont la décision finale
       de rejet est susceptible de faire l’objet, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi
       d’apprécier27.

La décision du CGRA de recourir à la procédure à la frontière et à la procédure accélérée est parfois
contestée dans le cadre des recours auprès du CCE. Un argument y relatif a récemment été admis par
le Conseil 28, qui a reproché au CGRA de ne pas avoir indiqué :

         « expressément dans ses décisions à quelle situation prévue par l’article 57/6/1, §1 er, de la loi
         du 15 décembre 1980, en application de laquelle, elle décide de traiter la présente demande de
         protection internationale selon une procédure accélérée, d’une part, ni auquel des a, b, c, d, e,

23 L’impact de la procédure accélérée sur l’égalité des armes et la collecte de preuves est d’ailleurs reconnu par le
CCE dans une jurisprudence constante. Voyez entre autres, CCE n° 204 154 du 22 mai 2018.
24     Parlement     européen,     Demandes        d’asile  liées   au     genre    en    Europe,     2012,    p.100,
https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2012/462481/IPOL-FEMM_ET(2012)462481_FR.pdf
25 UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), Guidelines on International Protection nr. 9: Claims to Refugee

Status based on Sexual Orientation and/or Gender Indentity within the context of Article 1A(2) of the 1951
Convention          and/or its 1967 Protocol relating to the Status of Refugees, 2012, §59,
https://www.unhcr.org/509136ca9.pdf
26 UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), Guidelines on International Protection: the application of article

1A(2) of the 1951 Convention and/or Protocol relating to the Status of Refugees to victims of trafficking and persons
at risk of being trafficked, 2006, § 45, https://www.unhcr.org/publications/legal/443b626b2/guidelines-international-
protection-7-application-article-1a2-1951-convention.html
27 CJUE, 28 juillet 2011, C-69/10, Samba Diouf, ECLI:EU:C:2011:524, § 31, 36 et 70. Sur cette question, voyez

également CLAE/S, M., Vasthouding van personen met een mogelijke nood aan internationale bescherming als
uitzonderingsmaatregel na de wet van 21 november 2017, p. 199. Voyez également EASO, Analyse juridique. Les
procédures d’asile et le principe de non-refoulement, pp. 110-111, https://easo.europa.eu/sites/default/files/Asylum-
Procedures-JA-FR.pdf et UNHCR Statement on the right to an effective remedy in relation to accelerated
procedures,          https://www.unhcr.org/protection/operations/4deccc639/unhcr-statement-right-effective-remedy-
relation-accelerated-asylum-procedures.html
28 CCE n° 234 256 du 19 mars 2020. Voyez également, CCE n° 225 004 du 19 août 2019, dans lequel le Conseil

a conclu que la demande devait faire l’objet d’un examen plus approfondi, notamment pour permettre au requérant
de faire traduire des pièces. Dans cet arrêt, le CCE a par ailleurs estimé que le CGRA n’avait pas correctement
justifié le recours à la procédure accélérée : « Le Conseil ne comprend pas ce qui autorise la partie défenderesse
à déduire du seul constat de l’entrée irrégulière des requérants en Belgique qu’ils ont tenté de tromper les autorités
belges sur leur identité ».

                                                                                                                    8
f, g, h, i ou j, de cette même disposition qui l’autorise à prendre à la frontière une décision sur
        le fond de la demande, conformément à l’article 57/6/4, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre
        1980, d’autre part, correspond cette circonstance ».

Le CCE a également relevé que l’argument soulevé par le CGRA, en l’espèce le fait que les requérants
aient induit les autorités en erreur sur les motifs de leur venue en Europe, ne correspondait à aucune
des situations visées à l’article 57/6/1, §1 er :

        « Pour sa part, le Conseil n’aperçoit pas en quoi la situation des requérants correspondrait aux
        hypothèses énumérées par l’article 57/6/1, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980. En particulier,
        il n’aperçoit, à la lecture des actes attaqués et des dossiers administratifs, aucun élément de
        nature à démontrer qu’ils auraient dissimulé leur identité et/ou leur nationalité. La
        circonstance qu’invoque la partie défenderesse pour estimer que les requérants ont « induit les
        autorités en erreur en ce qui concerne le motif de […] [leur] venue en Europe », ne correspond
        par ailleurs à aucune des situations visées à l’article 57/6/1, § 1er, alinéa 1er, a, b, c, d, e, f, g,
        i ou j, de la loi du 15 décembre 1980, qui l’autorise à prendre à la frontière, selon une procédure
        accélérée, une décision sur le fond de la demande, conformément à l'article 57/6/4, alinéa 1er,
        de la loi du 15 décembre 1980 ».

Ce raisonnement rejoint le constat de NANSEN selon lequel les raisons invoquées par le CGRA pour
faire application de la procédure accélérée ne trouvent pas systématiquement de fondement dans les
éléments du dossier. Quant aux conséquences qui s’attachent à cette irrégularité, le Conseil a conclu :

        Dans leur requête, les requérants soutiennent que le recours à une procédure accélérée à la
        frontière a supprimé leur liberté de mouvement, ce qui a eu notamment pour
        conséquence de limiter leur accès aux garanties procédurales offertes par différentes
        dispositions européennes qu’ils citent et a nui à la qualité de la préparation de leur entretien
        personnel en réduisant notamment la possibilité de rencontre préalable avec un avocat et un
        interprète de leur choix.

        Au vu de ce qui précède, le Conseil estime qu’en invoquant un préjudice lié à leur
        détention et aux contraintes spécifiques à la procédure accélérée qui leur a été imposée
        à tort, les requérants justifient à suffisance leur intérêt à invoquer l’irrégularité substantielle
        viciant cette procédure et qu’il convient pour cette raison d’annuler les actes attaqués en
        application de l’article 39/2, §1er, 2° de la loi du 15 décembre 1980 ».

D’autres arrêts analysés par NANSEN montrent que si le CCE est enclin à admettre que le recours
injustifié à la procédure accélérée est constitutif d’une irrégularité substantielle, il appartient toutefois au
demandeur de démontrer un préjudice lié à l’application de cette procédure (impact des délais de
recours raccourcis, impossibilité de se procurer des documents pertinents, etc.). Faute de quoi, le
Conseil conclut au défaut d’intérêt 29.

     B. DETENTION
Les demandeurs de protection internationale sont détenus à la frontière conformément à l’article 74/5,
§1er, alinéa 1, 2° de la loi du 15 décembre 1980, en attendant l’autorisation d’entrer sur le territoire ou
d’être refoulés. La détention des demandeurs de protection internationale sur le territoire est prévue à
l’article 74/6 de la loi du 15 décembre 1980. Selon les travaux préparatoires de la loi du 21 novembre
2017, qui a introduit cette disposition dans sa version actuelle dans la loi du 15 décembre 1980, elle
s’applique également aux personnes initialement détenues à la frontière, mais qui ont par la suite été
autorisées à entrer sur le territoire 30. Ces dispositions doivent être lues à la lumière de l’article 57/6/4,
en vertu duquel le demandeur de protection internationale est autorisé à entrer sur le territoire lorsque
le CGRA décide qu’un examen ultérieur est nécessaire, ou qu’il n’a pris aucune décision dans un délai
de quatre semaines après réception de la demande.

29
  CCE n° 228 232 du 30 octobre 2019 ; CCE 228 949 du 19 novembre 2019.
30Exposé des motifs, de la loi du 21 novembre 2017, op.cit., p. 151. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 21
novembre 2017, cette pratique avait été invalidée par la chambre des mises en accusation, à plusieurs reprises.
Voyez, entre autres, Bruxelles (mis.acc.), 8 mars 2018, n° 2018/932, et CLAES, M., op.cit., pp. 208-209.

                                                                                                              9
Cette pratique de l’Office des Étrangers a été validée par la Cour de cassation 31. Elle a toutefois de
nouveau été invalidée, dans l’hypothèse où aucune décision n’est prise par le CGRA dans le délai de
quatre semaines. Dans un arrêt du 22 novembre 2019 32, la chambre des mises en accusation de
Bruxelles a en effet conclu que cette pratique entrainait une violation des articles 5.1.f et 14 de la CEDH :

        Lorsque le commissariat général aux réfugiés et aux apatrides n’adopte pas une décision dans
        le délai de quatre semaines à dater de la réception de la demande, le demandeur de protection
        internationale à la frontière est autorisé à entrer sur le territoire.

        Ainsi, comme en l’espèce, le demandeur de protection internationale à la frontière se voit
        décerner une première décision de maintien, valable pour 2 mois mais prolongeable jusqu’à 5
        mois, lors de l’introduction de sa demande à la frontière, et, ensuite, une deuxième décision de
        maintien, également valable pour 2 mois mais prolongeable jusqu’à 5 mois.

        Partant, la situation du demandeur de protection internationale est aggravée (par une
        possible prolongation de sa détention de plusieurs semaines) par le seul fait de la lenteur
        administrative du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides. Même si, à l’heure
        actuelle, il n’est pas établi que la durée de la détention de l’intéressé dépassera réellement une
        durée de 5 mois à compter de l’introduction de sa demande de protection internationale, le seul
        fait de l’existence d’une possibilité de prolongation amène une aggravation réelle de la situation
        d’une personne déjà fragilisée.

        (…)

        La cour, chambre des mises en accusation, considère n’existe pas un rapport raisonnable de
        proportionnalité entre les moyens et le but visé entre, d’une part, les demandeurs de protection
        internationale à la frontière, à l’égard desquels le Commissariat général aux réfugiés et aux
        apatrides adopterait une décision dans le délai de quatre semaines à dater de la réception de
        la demande et ces mêmes personnes à l’égard desquelles une telle décision n’aurait pas été
        prise dans le délai de quatre semaines, ce dernières pouvant, de ce fait, être détenus pendant
        une durée supérieure à cinq mois (à compter de la date de l’introduction de la demande de
        protection internationale) et cette différence de traitement ne poursuit pas un but légitime.

        Le régime légal entraine une violation de l’article 14 combiné avec 5.1.f de la Convention
        de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre les deux
        catégories de demandeurs de protection internationale à la frontière et entraine une
        violation de ces dispositions légales dans le chef de l’intéressé ».

Ce raisonnement est applicable tant lorsque le CGRA s’abstient de prendre une décision endéans les
quatre semaines que lorsque le CCE annule la décision du CGRA, puisque l’Office des Étrangers
considère dans ce dernier cas qu’aucune décision n’a été prise endéans les quatre semaines.

En dehors de la question de la discrimination, NANSEN estime cette pratique de l’Office des Étrangers
illégale, même dans l’hypothèse où le maintien en détention est consécutif à la décision du CGRA de
procéder à un examen ultérieur. En effet, “De vraag stelt zich welk wettig doel de vasthouding op basis
van artikel 74/6 van de Vreemdelingenwet nastreeft voor een verzoeker die toegang kreeg tot het
grondgebied en tijdens de asielprocedure niet kan worden uitgewezen. Artikel 5, § 1, (f) EVRM bepaalt
op limitatieve wijze dat vasthouding mogelijk is van een persoon om hem te beletten op onrechtmatige
wijze het land binnen te komen of van een persoon waartegen een uitwijzings- of uitleveringsprocedure
hangende is”33. Dans la mesure où le demandeur est autorisé à entrer sur le territoire, aucune mesure
d’éloignement sur pied de l’article 52/3, §2 de la loi du 15 décembre 1980 n’a encore été prise. En outre,
conformément à l’article 49/3/1, le demandeur est protégé contre l’éloignement jusqu’à une décision sur
sa demande de protection. Dans cette hypothèse, la détention sur pied de l’article 74/6 n’a pas de but
légitime, puisque la loi du 15 décembre 1980 interdit l’éloignement tant que la demande de protection

31 Cass., 21 novembre 2018, P.18.1108.F et Cass., 8 septembre 2019, P.19.0375.F. Ces arrêts sont commentés
par M. CLAES dans l’article précité, p. 209.
32 Arrêt n°2019/4198, inédit. Voyez également Corr., Bruxelles, (ch.cons.), 10 janvier 2020 et et 20 avril 2020,

inédits.
33 CLAES, M., op.cit., 209.

                                                                                                             10
est encore à l’examen. Ce raisonnement trouve son fondement dans la jurisprudence de la CourEDH,
en particulier l’arrêt Suso Musa c. Malte 34 . Dans cet arrêt, la Cour a estimé qu’un demandeur de
protection ne pouvait être détenu pendant la durée de sa procédure d’asile, lorsque la législation
nationale interdisait l’éloignement au cours de celle-ci. Elle a conclu à une violation de l’article 5.1.f de
la CEDH.

En tout état de cause, NANSEN rappelle que les articles 8 et 9 de la Directive Accueil prévoient que la
détention des demandeurs de protection internationale doit rester l’exception, et doit être la plus brève
possible, ce qui est incompatible avec une prolongation de la détention au-delà du délai légal de quatre
semaines si le CGRA n’est pas en mesure de se prononcer sur la demande endéans celui-ci, ou s’il
estime qu’un examen ultérieur est nécessaire.

IV.3. FOCUS : ENTRETIENS PERSONNELS PAR VIDEOCONFERENCE
En juin 2016, le CGRA a annoncé le lancement d’un projet visant à auditionner par vidéoconférence les
demandeurs de protection internationale détenus à Merksplas35. Le système a depuis lors été étendu 36,
et des entretiens personnels par vidéoconférence ont désormais lieu dans tous les centres fermés, ainsi
que dans les prisons 37. En 2019, 475 entretiens par vidéoconférence ont été organisées (sur un total
de 904 auditions en centre fermé)38. Selon le CGRA, le déplacement de l’officier de protection au centre
fermé était exceptionnel 39. Au début du mois de novembre 2020, NANSEN a été informée de l’existence
d’une enquête à destination des avocats, relative à la pratique des entretiens personnels en
vidéoconférence en détention, dans l’objectif de l’étendre aux centres ouverts. À l’occasion de la réunion
de contact du 18 novembre 2020, alors que le délai octroyé aux avocats pour répondre à cette enquête
n’avait pas encore expiré, FEDASIL a annoncé que des entretiens personnels par vidéoconférence pour
les demandeurs de protection internationale résidant dans certains centres d’accueil ouverts étaient
déjà planifiés pour le mois de décembre, dans le cadre d’un nouveau projet-pilote40. L’exécution de cette
décision a été suspendue par le Conseil d’État 41, au motif que l’organisation d’entretiens personnels par
vidéoconférence requiert une modification de l’arrêt du 11 juillet 2003 fixant la procédure devant le
Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement, pour laquelle le
CGRA n’est pas compétent 42. Entre-temps, les parties requérantes devant le Conseil d’État, dont fait
partie NANSEN, ont été informées par le CGRA du retrait de la mesure litigieuse. Dans la mesure où le
CGRA n’a renoncé, à terme, à l’organisation d’entretiens personnels par vidéoconférence, et où les
entretiens personnels dans les centres fermés continuent à être organisés, NANSEN expose ci-dessous
les raisons pour lesquelles elle est opposée à cette pratique, qu’elle estime par ailleurs illégale.

1. ABSENCE DE FONDEMENT LÉGAL

        1.1.

34
   CourEDH, 9 décembre 2013, requête n° 42337, Suso Musa c. Malte et CLAES. M., op. cit, p. 210.
35 https://www.cgra.be/fr/actualite/premieres-auditions-du-cgra-par-videoconference. Voyez également le courrier
envoyé          par       le       CGRA        à       l’ordre      flamand       des      avocats        (OVB),
http://www.ordeexpress.be/UserFiles/ArtikelDocumenten/Brief%20van%20CGVS%2018%2005%202016%20ivm
%20Horen%20van%20asielzoekers%20in%20gesloten%20centra%20via%20videoconferentie-1.pdf.
36
   https://www.cgra.be/fr/actualite/davantage-dauditions-par-videoconference
37 MYRIA, Compte-rendu de la réunion de contact protection internationale 22 janvier 2020, p.13,

https://www.myria.be/files/20200122_PV_r%C3%A9union_contact.pdf
38 Les chiffres relatifs à 2020 ne sont pas encore disponibles. À l’occasion de la réunion de contact protection

internationale du mois de septembre 2020, le CGRA a indiqué que 18 auditions par vidéoconférence avaient eu
lieu           en          centre         fermé           entre         juin       et         août          2020
(https://www.myria.be/files/20200916_CR_r%C3%A9union_de_contact.pdf). Au mois de septembre, il y en a eu 7,
voyez compte-rendu de la réunion de contact protection internationale du mois d’octobre 2020
(https://www.myria.be/files/20201021_PV_r%C3%A9union_de_contact.pdf).
39 MYRIA, Compte-rendu de la réunion de contact protection internationale 22 janvier 2020, p. 12.
40
   Cette information a été confirmée par le CGRA, qui était absent à la réunion en question, mais qui a transmis
ses communications écrites, qui ont été diffusées par MYRIA.
41 C.E., arrêt n° 249.163 du 7 décembre 2020.
42 M.B., 27 janvier 2004.

                                                                                                             11
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