AMBQ - 30 ANS D'ASSOCIATION 1990 2020 - Association des microbrasseries du ...
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30 ANS D’ASSOCIATION ET DE DÉVELOPPEMENT DE L’INDUSTRIE Le 7 février 2020 sonnera pour l’Association des microbrasseries du Québec un anniver- saire important : 30 ans d’association et de développement de l’industrie microbrassi- cole. Trente ans à mener différentes batailles pour et au nom de l’industrie afin d’améliorer son environnement d’affaires. Trente ans à faire découvrir des bières aux goûts distincts à des consommateurs de plus en plus exi- geants. Trente ans à prendre part au déve- loppement économique partout au Québec à travers les investissements et la création d’emplois des microbrasseries. La dernière décennie a été caractérisée par une croissance très importante du nombre de microbrasseries partout sur le territoire qué- bécois avec de nouveaux modèles d’affaires. Le regard de nos collaborateurs à cette revue anniversaire met aussi en lumière l’évolution des différents enjeux de notre industrie : utili- sation des matières premières, diversification des équipements, goût des consommateurs, grandes batailles et victoires, place sur la scène internationale, etc. Mettre en place une nouvelle microbrasserie ou lancer une nouvelle bière constitue déjà tout un défi individuel. Cependant, il y a cer- taines questions qu’une microbrasserie seule ne peut résoudre. L’AMBQ est devenue, au fil des années, ce rempart qui dynamise entre microbrasseries l’échange professionnel, qui répond aux maintes questions techniques, environnementales et légales et s’avère essentiel et vital pour la pérennité des PME brassicoles. C’est vous, microbrasseries et partenaires, femmes et hommes passionnés qui don- nez toute sa force à l’AMBQ qui souffle cette année ses 30 bougies ! Levons notre verre à notre industrie ! Philippe Jaar Président Marie-Eve Myrand Directrice générale AMBQ 1990-2020 3
BRJ19-313_AnnAMBQ_CF1.pdf 1 2019-09-20 10:49 AM 30 ANS D'HISTOIRE Éditeur Association des microbrasseries du Québec (AMBQ) Directrice générale L'AMBQ au fil du temps Marie-Eve Myrand ENSEMBLE Ces président(e)s qui ont marqué l’histoire de l’AMBQ Cinq grandes réalisations de l'AMBQ L'essor fulgurant des microbrasseries 6 8 11 Rédactrice en chef Catherine Schlager on peut brasser de Les artisans de la révolution microbrassicole Trente ans de brassage L'évolution des styles de bière au Québec... sur 30 ans 12 14 16 Graphiste et illustrateur Fardoche - Olivier L. Pelletier Correctrice GRANDES CHOSES Une évolution dans l'utilisation des matières premières 18 Les formats de la bière d'hier à aujourd'hui 20 Catherine Schlager Rédacteurs Félicitations Vladimir Antonoff, Andréanne Brault, Une histoire riche Valérie R. Carbonneau, Mario D’Eer, Matthieu Dorion, Pierre-Luc Gagnon, Quatre brasseurs qui se distinguent 22 Paule Gosselin, Yan Lortie, Anne-Marie Luca, À L’AMBQ Les microbrasseries, moteur économique des régions 26 Catherine Schlager, David Sparrow, La place des bières québécoises à table 28 Martin Thibault et Philippe Wouters Le Québec sur la scène internationale 30 Photographes Simon Émond, Caroline Leclerc, Un avenir prometteur Nicolas Levesque, Emmanuelle Roberge, Julie Rodrigue, Martin Thibault, et David Vachon Brasser à contrat, nouvelle réalité du marché 31 Le Québec se forme 32 Impression L'image de la bière 34 Alternative Le jeu de la séduction 36 Provincialiser la bière artisanale grâce aux distributeurs 37 Association des microbrasseries du Québec La guerre des tablettes, enjeu crucial pour les brasseurs 38 5262, boulevard Wilfrid-Pelletier, local 112 Une bouteille à la mer ? 40 Québec (Québec) G2E 2G9 Un programme qualité pour les micros et une certification pour les consommateurs 42 En haut de la vague 44 info@ambq.ca Et l'avenir... ? 46 www.ambq.ca www.facebook.com/AMBQc Toute reproduction de ce magazine, en tout ou en partie, est interdite sans le consentement de l’éditeur. 4 AMBQ 1990-2020 AMBQ 1990-2020
CES PRÉSIDENT(E)S QUI ONT MARQUÉ L’HISTOIRE DE L’AMBQ Depuis la constitution officielle de l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ) le 7 février 1990, plusieurs présidentes et présidents ont officié à la tête de cette belle association. Les voici. 2003-2012 2012-2017 2017-... Catherine Schlager Oeuvrant dans le milieu journalistique depuis Laura Urtnowski Frédérick Tremblay : 2012-2017 Philippe Jaar : 2017-... une vingtaine d’années, Catherine Schlager En 1987, Laura Urtnowski cofonde Les Brasseurs amateurs de bière, Frédérick C’est en 1998 que Roger et Raymond Jaar travaille à La Presse. Elle collabore également Brasseurs du Nord à Blainville avec Bernard Tremblay et sa conjointe Caroline Bandulet rachètent Les Brasseurs GMT sur le Plateau à Bières et plaisirs depuis les débuts. et Jean Morin. La microbrasserie lance caressent le rêve d’ouvrir une microbrasserie. Mont-Royal, brasseurs de la bière Belle d’abord la première bière rousse québé- Le rêve devient réalité en juillet 1998 lors de Gueule, ainsi que la Brasserie Cheval Blanc coise, la Boréale rousse, devenue la bière de l’ouverture de la Microbrasserie Charlevoix qui deviennent Les Brasseurs RJ, le tout pre- microbrasserie la plus vendue au Québec. Les à Baie-Saint-Paul et de son restaurant Le mier groupe de microbrasseries au Québec. Boréale blonde, noire, forte, dorée et cuivrée Saint-Pub. Connue notamment pour ses Philippe Jaar, fils de Roger, est mandaté pour suivront. En 2013, après plus de 25 ans à diri- célèbres bières des gammes Vache folle et diriger l’entreprise qui prend rapidement de ger l’une des plus importantes microbrasse- Dominus Vobiscum, pour sa Flacatoune et l’expansion. En 2013, les Brasseurs RJ devient 1990-1995 (présidence partagée) ries québécoises, Laura et ses partenaires sa Lupulus, Microbrasserie Charlevoix doit aussi propriétaire de la Brasserie McAuslan passent le flambeau au Fonds de solidarité agrandir ses installations pour répondre à la quand les fondateurs, Peter et Ellen, décident FTQ. demande. Une nouvelle usine de production de se retirer. André Martineau Peter McAuslan est donc en opération depuis janvier 2009. Le 22 avril 1987, André Martineau, Gilbert C’est en janvier 1989 que Peter McAuslan Gravel et Yves Thibault fondent Les Brasseurs cofonde la Brasserie McAuslan dans Saint- GMT, première microbrasserie à vocation Henri à Montréal avec sa femme Helen industrielle à Montréal. Située sur le Plateau Bounsall. Ensemble, le duo crée plusieurs Mont-Royal, celle-ci se spécialise dans la bières à succès : la Saint-Ambroise blonde, les fermentation basse. Sa Belle Gueule est un Griffon rousse et extra blonde, la Frontenac, succès monstre. D’autres bières comme les les saisonnières (abricot, citrouille, fram- Blanche de l’île, Canon, Monalisa et Tremblay boise, érable) et sa célèbre Stout impériale suivront. En 1998, Les Brasseurs RJ rachète russe. En 2013, l’heure de la retraite sonne Les Brasseurs GMT. pour Peter et Helen. La Brasserie McAuslan est vendue à Roger Jaar des Brasseurs RJ. 1995-2000 2000-2003 Jérôme Catelli-Denys & Laura Urtnowski André Dion Après avoir hérité de la taverne familiale André Dion et Serge Racine débutent l’aven- en 1983, Jérôme Catelli-Denys obtient le ture Unibroue en 1990 en faisant l’acquisition tout premier permis de production de bière de la Brasserie Massawippi. En 1992, la pre- artisanale du Québec en avril 1987 pour Le mière bière Unibroue est lancée : la Blanche Cheval blanc. Audacieux, Jérôme aménage en de Chambly. Celle-ci remporte un vif succès. 1992 une ligne d’embouteillage au sous-sol Après un déménagement à Chambly en 1993, lui permettant de vendre ses bières (Berlue, Unibroue connaît la consécration grâce aux Titanic et Cap Tourmente) à la SAQ. Après l’ou- Maudite, Fin du monde et Trois-Pistoles. verture d’une usine de production sur la rue L’exportation aux États-Unis et en Europe Saint-Patrick en 1995, celle-ci fusionne avec permet ensuite à la compagnie d’augmen- Brasseurs RJ en 1998. Le brewpub de la rue ter sa production. En avril 2004, André Dion, Ontario continue quant à lui d’être exploité de Serge Racine et Robert Charlebois vendent façon indépendante par Jérôme C. Denys, Luc leurs parts à Sleeman, ensuite avalée par Senécal et François Martel. Sapporo en octobre 2006. 6 AMBQ 1990-2020 AMBQ 1990-2020 7
5 CINQ GRANDES RÉALISATIONS DE L'AMBQ Qui suis-je pour en juger des réalisations de l’AMBQ ? Un simple amateur fortement impliqué 4 dans les premiers balbutiements de la révolution du goût, qui possède néanmoins l’âge vénérable d’avoir connu la dévolution du goût des années 60-70. J’ai néanmoins consulté Mario D'Eer Jean-Pierre Tremblay, directeur général de 2005 à 2016, qui a joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’AMBQ. Je vous assure que l’association a réalisé beaucoup plus que cinq Avalant 35 ans d’expérience dans l’univers grandes choses. Celles dont je trace ici les contours se sont produites dans l’enfance et de la bière, Mario D’Eer a signé plusieurs ouvrages, chroniqué dans divers médias écrits, l’adolescence de l’association. 3 radiophoniques et télévisuels, en plus d’être un conférencier internationalement reconnu. Les premières bières microbrassées ont vite fait rigoler les papilles des amateurs. C’était une tout autre histoire du côté des brasseurs. La relation entre eux pétillait d’animosité, de sentiment d’injustice, d’espionnages, de frustrations, et d’égos écorchés. La création 2 d’une association en 1990 a été une première grande réussite. Les rencontres initiales offraient d’abord un exutoire à leurs frustra- tions. Ce qui a permis de constater que sous FESTIBIÈRE l’angle de la vente, un plus un égalait cinq. Ils n’étaient pas en compétition : ils s’entrai- MODULATION DE DE CHAMBLY ET daient par voie de détaillants interposés. À compter de ce moment, il leur était LA TAXE SPÉCIFIQUE DÉCLOISONNEMENT LA REDOUTABLE PLANIFICATION possible de s’unir véritablement. S’allier contre les grandes brasseries qui les ET D’ACCISE DE L’AMBQ CONTRÉTIQUETTE STRATÉGIQUE menaçaient et entreprendre des actions communes au bénéfice de Dès qu’une bière est produite, et avant Revenons à la rédaction du mémoire. Je Une réalisation est habituellement À la suite du décloisonnement, il été conve- tous. même sa vente, il faut payer des taxes. Taxe devais rencontrer le président Dion réguliè- visible. Certaines sont plus discrètes, nu d’encapsuler un programme stratégique spécifique au Québec, taxe d’accise au fédé- rement. Pendant l’une de ces rencontres, il comme dans « heureusement que les basé sur une vision commune. La seule ral. L’AMBQ souhaitait une taxation tenant m’indique que la Corporation de développe- bières ne sont pas obligées d’afficher tenue des ateliers de planification devenait compte de la production, comme cela se fait ment économique de Chambly avait réservé une tête de mort sur une contrétiquette », des rencontres d’échanges, de conseils et 1 ailleurs. À l’époque où internet n’existait pas vraiment, des analyses, des comparaisons une subvention pour un « festival de la bière naturelle et microbrassée ». Il me propose appuyée par un texte du genre : « ce produit peut être dangereux pour votre santé ». Le de soutien… Les échanges entre les par- ticipants ont créé une solidarité conta- et des justifications ont enrichi le contenu alors de prendre en charge le projet. Sauf député représentant la circonscription de gieuse. L’engagement dans la création du d’un mémoire. Lequel a réussi à convaincre qu’aucune microbrasserie ne souhaitait Mississauga–Brampton-Sud à la Chambre Programme qualité, issu d’une volonté Québec de moduler la taxe : les premiers faire la promotion d’Unibroue dans sa cour. À des communes dépose, en 2005, un pro- d’autogouvernance, constituait un déve- CONSOMMATION milliers d’hectolitres seraient désormais moins taxés que les subséquents, jusqu’à l’époque, la région était également considé- rée être à des années-lumière de Montréal. jet semblable. On l’a lu deux fois. Une lec- ture additionnelle et la loi s’appliquait ! loppement majeur. Ils ont fixé des objec- tifs et proposé une démarche permettant SUR PLACE DANS LES 300 000 hl. Même les grandes brasseries ont Les microbrasseries appréciaient toutefois Les représentants de l’AMBQ, appuyés par l’établissement d’assises solides. Celles-ci profité de cet allègement ! le travail que je venais d’accomplir. Je les ai Éduc’alcool, ont levé le coude rhétorique en ont fortement contribué au développement MICROBRASSERIES consultées à toutes les étapes de l’organi- titi, pointant l’index vers les conséquences fulgurant du marché auquel nous assistons Une dizaine d’années plus tard, le fédéral sation et nous avons convenu qu’Unibroue funestes de cette initiative. depuis ! trinquera enfin à cette chope et ajustera allait choisir son stand en dernier. L’un des premiers fûts de bataille a été de sa taxe, un dossier dans lequel l’AMBQ a convaincre le gouvernement d’autoriser les joué un rôle de leader. Mais comme le fre- C’est devenu Festibière [NDLR : Depuis 2002, détenteurs de permis industriel à vendre donnait Brassens « rien n’est jamais acquis le festival se nomme Bières et saveurs de leurs produits sur place. Cette lutte nécessi- à l’homme… ». Il n’y a rien de plus agui- Chambly], un festival moulé sur mesure Après avoir abusé de l’espace rédactionnel qui m’était réservé, je suis dans l’obligation de ta six ans d’efforts, notamment pour neutra- chant pour le numéraire que de ponction- pour les microbrasseries. Lors de l’édition faire du « name dropping » de réalisations. Il n’en tient qu’à vous de vous rendre sur le liser le lobby des géants. Pendant ce temps, ner les luxes, l’alcool par exemple. En 2015, 2004, un développement majeur s’y est site de l’AMBQ afin de verser dans votre chope les informations nécessaires : l’élargisse- plusieurs microbrasseries régionales assé- le fiscaliste Luc Godbout faisait miroiter au déroulé. L’association était devenue un club ment du membership, le programme de certification, les congrès de l’AMBQ, l’entente avec chaient leurs tonneaux et déclaraient fail- gouvernement des gains importants si les sélect réservé à ses membres fondateurs. Recyc-Québec, Ça va brasser !, l’entente portant sur les bouteilles de 500 ml, les timbres lite. La possibilité de pouvoir déguster sous allègements étaient… allégés. Les interven- Le départ d’André Dion à la présidence, qui CSP (consommation sur place), et j’en passe. leurs toits constituera la chope d’assise d’un tions de l’AMBQ basées sur leurs études per- venait de vendre Unibroue à Sleeman, a don- nouveau modèle d’affaires. Cette réussite mettaient d’attirer l’attention sur les effets né l’occasion à Laura Urtnowski de décloî- Dans mon humble chope, l’AMBQ a joué un rôle déterminant dans le développement mathusalemiène de l’AMBQ a permis la via- collatéraux : ces augmentations allaient trer l’association. L’arrivée des nouveaux d’une industrie microbrassicole solide et de qualité au Québec. Bravo et merci AMBQ ! bilité des petites brasseries régionales. Une exercer des conséquences dramatiques, membres a permis son véritable essor… et nouvelle révolution microbrassicole souffle non seulement sur l’industrie elle-même, ce, depuis la cour d’Unibroue ! dès lors sur le Québec. Ce vent effervescent mais allait également fragiliser les écono- tourbillonne toujours de nos jours. mies régionales. 8 AMBQ 1990-2020 AMBQ 1990-2020 9
L’ESSOR FULGURANT DES MICROBRASSERIES Lors de la naissance de l’AMBQ il y a 30 ans, le Québec ne comptait que 13 microbrasseries. Dix ans plus tard, tout juste avant le tournant du nouveau millénaire, le nombre de microbrasseries avait certes augmenté, mais pas de manière exponentielle. Catherine Schlager On en comptait alors 46. Oeuvrant dans le milieu journalistique depuis une vingtaine d’années, Catherine Schlager En 2011, l’industrie de la microbrasserie avait le vent dans les voiles. Elles étaient au nombre de travaille à La Presse. Elle collabore également 87. Après avoir atteint la centaine en 2012, on observa une augmentation marquée entre 2015 et à Bières et plaisirs depuis les débuts. 2016 : 35 nouvelles brasseries avaient en effet vu le jour, pour un total de 166. Au fil des ans, plusieurs nouveaux établissements ont été créés, de sorte qu’en date du mois de septembre 2019, on atteint maintenant 242 microbrasseries. De ces 242 établissements, 174 détiennent le permis de brasseur tandis que 68 possèdent celui d’artisan brasseur. L’AMBQ défend les intérêts de plusieurs de ces microbrasseries puisqu’en septembre 2019, l’association comptait 160 permis. LES DIFFÉRENTS PERMIS 72% Permis de brasseur 28% Le permis de brasseur permet de vendre Permis d’artisan brasseur la bière fabriquée dans une microbrasse- Le permis d’artisan brasseur permet de rie pour consommation sur place ou pour vendre la bière fabriquée dans une microbras- emporter (canettes, bouteilles et cruchons). serie pour consommation sur place ou pour Cette bière peut aussi être vendue à des res- emporter (canette, bouteille et cruchon). Elle taurateurs et des propriétaires de bars qui ne peut être distribuée dans les restaurants, pourront ensuite l’offrir en fût, en bouteille bars, épiceries et dépanneurs. ou en canette, ou encore à des épiciers et propriétaires de dépanneurs qui pourront la vendre sur leurs tablettes en canette, bou- teille et cruchon. 250 200 150 100 50 0 2002 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 Nombre total de permis Permis de brasseur Permis d'artisan brasseur AMBQ 1990-2020 11
Avalant 35 ans d’expérience dans l’univers de la bière, Mario D’Eer a signé plusieurs ouvrages, chroniqué dans divers médias écrits, radiophoniques et télévisuels, en plus d’être un conférencier internationalement reconnu. Mario D'Eer LES ARTISANS DE LA RÉVOLUTION MICROBRASSICOLE Cette chronique est biaisée. J’ai retenu des incontournables : « des » et non « les ». La nuance est importante. Débutons avec le regretté Jamie Gordon. me montrer cet équipement qui permettait ce réservée. Elle passait par-dessus ses han- bière microbrassée poursuivait sa crois- Gordon’s Cave à vin était le premier détail- miracle scientifique. Pendant que je donnais tises lorsqu’il fallait défendre la cause. Elle sance, on endossait les attaques ultérieures. lant branché, à la fine pointe des ingrédients la réplique à la ribambelle de vice-présidents, a ainsi permis le décloisonnement de l’AMBQ L’importance d’avoir une AMBQ stable, forte et des équipements. Il a parrainé indirec- Gauthier me lançait des clins d’oeil com- en septembre 2004 lorsqu’elle en assurait la et solide s’imposait. L’arrivée de Jean-Pierre tement McAuslan et Brasseurs du Nord et plices. Quelques chopes plus tard, il quitte la présidence. Tremblay à la direction a permis de consolider formé plusieurs intervenants des premières maison, fonde Les Laboratoires Maska avec des acquis toujours menacés. Sa profonde heures. Puis les duos Stan Groves/Robert son collègue « molsonais » Pierre Meunier. Après avoir permis à RONA de devenir un connaissance des dossiers, sa mémoire, sa Barnett du Golden Lion à Lennoxville et Peter Il devient le principal consultant d’un très quincailler important, André Dion souhai- capacité à travailler en équipe et sa compré- Provencher/Don Fleischer de Massawippi à grand nombre d’entrepreneurs. tait devenir brasseur. Il a fondé Broubec hension des rouages des gouvernements ont North Hatley, les premières microbrasseries pour brasser et Unibroue pour distribuer les permis à l’association de se solidifier et de en 1986. Ils ont fait dépoussiérer les textes Nullum crimen, nulla pœna sine lege : « aucun bières microbrassées. Les microbrasseries croître. concernant l’émission de permis de brassage. crime, aucune peine, sans loi ». Pour les pro- refusent. Et un moratoire vient de s’abattre duits alcoolisés, c’est le principe inverse : si sur l’émission de permis : on pensait le point Danny Chabot (Dépanneur de la Rive, Cap- ce n’est pas autorisé, c’est interdit ! Dans le de saturation atteint en 1990. Il avale une Rouge), Jean-François Joannette (Marché L’année suivante, le premier labyrinthe bureaucratique des lois, le traduc- importante gorgée en achetant le canard Joannette, Verdun), Jacques et Laurette permis de brassage artisanal est teur se nomme Luc Desautels de la Régie des boiteux Massawipi. Ses produits gueuzés Gibson (Chez Gibb, Rouyn-Noranda) et émis à Jérôme Catelli Denys pour alcools, des courses et des jeux du Québec ne font pas honneur au mot « pale ale » des Jeannot Lemieux (Marché du Boisé, Trois- Le Cheval blanc. (RAJCQ). Au ministère de l'Agriculture, des étiquettes. Lorsqu’il accepte la présidence Rivières) sont devenus les premiers détail- Pêcheries et de l'Alimentation du Québec de l’AMBQ, il enfourche un cheval de bataille lants spécialisés. On pouvait bien nous offrir (MAPAQ), Luc Vallée y a mis du sien pour ambitieux : faire diminuer la taxe spécifique. toutes les couleurs de la chope; fallait quand Premier permis artisanal l’analyse de marché et proposer des normes Il réussira. même qu’elles se rendent à nos papilles. L’année suivante, le premier permis de bras- de qualité. Il a mis en valeur l’importance de Lorsque nous écrivions 404 bières à déguster sage artisanal est émis à Jérôme Catelli cette industrie sur l’agriculture. Ses écrits L’arrivée de Robert Charlebois Alain Geoffroy et moi, c’était des arrêts obli- Denys pour Le Cheval blanc. Coincé dans le ont permis à plusieurs micros d’enrichir leurs gés. Ces gentlemans nous accueillaient inva- propulse non seulement sous-sol exigu de l’établissement, il devait plans d’affaires. riablement avec un « Servez-vous les gars : vraiment démontrer une grande motiva- Unibroue, mais l’ensemble prenez tout ce que vous avez besoin ! ». tion pour y transformer l’eau en bières. Il a de l’industrie. convaincu la Société des alcools du Québec Laura Urtnowski invente le terme À la bonne vôtre les ami(e)s ! de vendre les produits des détenteurs de per- Robert Charlebois et la bière mis artisanaux ! « rousse ». Lors de l’introduction L’arrivée de Robert Charlebois propulse de la Boréale blonde, elle ajoute non seulement Unibroue, mais l’ensemble Pierre Rajotte est un pionnier de la concep- cet adjectif à la Boréale tout de l’industrie. Le brasseur de micro deve- tion d’équipements. Il s’implique dès le début court. nu microbrasseur a été un ambassadeur de la révolution. Il est aussi un aficionado des enthousiaste. Pendant longtemps, toute bière concertos en chaud ou en froid joués par les microbrassée était perçue comme « une bière levures. Il collectionne les petites bestioles Une première « rousse » à Charlebois ». Lorsqu’il accepte d’être le pré- microscopiques et offre leurs reproductions Laura Urtnowski invente le terme « rousse ». sident d’honneur du premier Festibière de à ses clients. Parmi elles, les ouvrières qui Lors de l’introduction de la Boréale blonde, Chambly en 1995, il consent à se faire timide sculpteront la sublime Cerna Hora de L’Amère elle ajoute cet adjectif à la Boréale tout au stand d’Unibroue et à socialiser avec à boire à Montréal. court. Molson l’imite avec Molson rousse, effervescence partout ailleurs. une « pale » version colorée de la Molson Michel Gauthier était maître brasseur chez Export. Lorsque la Griffon brown ale est deve- Lorsque le bureau de la concurrence conclut Labatt. J’ai fait sa rencontre à la suite du lan- nue « rousse », sa popularité a connu une que les grandes brasseries exerçaient des cement d’une bière « brassée dans la glace ». renaissance pétillante ! Le mot « rousse » pratiques abusives, il n’applique aucune La Presse a amplifié l’impact de mon opinion est devenu synonyme de bière microbras- mesure disciplinaire. Les manoeuvres dénonçant cet abus de langage en y ajoutant sée, peu importe ses saveurs. Urtnowski est n’avaient pas empêché les petites de une grosse photo ! La maison m’a invité pour une femme modeste, timide, généreuse et prendre de l’essor. Puisque le marché de la 12 AMBQ 1990-2020 AMBQ 1990-2020 13
30 e TRENTE ANS DE BRASSAGE En 1989, tout juste avant la fondation de l'AMBQ en 1990, nous assistions à la chute du mur BON de Berlin et au déclin du bloc de l'Est. Nous n'avions ni téléphones intelligents ni tablettes et les ordinateurs avaient une puissance de calcul inférieure à celle que l'on trouve dans certaines cafetières modernes. Matthieu Dorion À L'AMBQ ! La bière, elle, était la même depuis des Ils se sont permis lorsqu'il y avait des flous. millénaires. Sensiblement. Les mêmes Ils ont osé franchir des limites théoriques ingrédients, des procédés similaires, des pour démontrer leur ridicule et se battent Matthieu Dorion est directeur général, traditions centenaires rigoureusement res- encore pour faire changer des lois qui les porte-parole et formateur de l'Association pectées... et une révolution brassicole qui se empêchent de brasser les bières qui défini- des brasseurs amateurs du Québec (LABAQ) tramait dans l'ombre. ront le paysage brassicole de demain. en plus d'être chroniqueur pour Bières et plaisirs. Quelques amateurs parlaient bières, impor- La vraie révolution Fier partenaire, nous sommes heureux de commanditer cet événement taient quelques raretés, tentaient de brasser Mais la vraie révolution n'a pas eu lieu dans pour supporter l'Association et redonner à notre florissante industrie. Photo > Caroline Leclerc à la maison avec les moyens du bord, avec la salle de brassage. La vraie révolution a eu surtout pratiquement aucune documenta- un impact sur les productions, les recettes, le tion. Pour connaître la bière, il fallait voyager, marketing, la compétition et le savoir : le web parcourir le monde, visiter des brasseries, a démocratisé la connaissance de la bière. Forte de ses 22 années d'expérience, Concept B élabore des stratégies parfois devenir apprenti. Avec le BJCP (Beer Judge Certification Program) naissant et les Les brasseurs n'ont plus à parcourir le monde personnalisées pour chaque client : organisation d'événements, travaux de Michael Jackson [NDLR : auteur pour connaître techniques et ingrédients. développement international, aide logistique, initiatives numériques et autres. de plusieurs livres sur la bière], les styles Ils n'ont plus à se réfugier dans d'obscures prenaient forme et amenaient des balises publications pour parfaire leur art : tout est pour ce qui allait être autant de frontières à disponible en ligne. apprivoiser et éventuellement... transgresser. Mais le client est aussi en ligne et, avec les RASSEMBLER LES GENS. L'accès et la possibilité médias sociaux, a une voix qu'il est impos- Dans les dernières 30 années, les brasseurs sible d'étouffer ou d'ignorer. Il a un goût, une ont eu accès à davantage d'ingrédients, à de opinion (quoi qu'on pense de celle-ci) et, l'équipement en provenance d'Europe, des maladroitement, une soif de nouveauté qui VALORISER LES ARTISANS. États-Unis, puis de Chine. Ils ont pu (par- ne semble pas près d'atteindre la satiété. fois) automatiser leurs procédés, profiter des développements informatiques et des Il faut donc satisfaire son goût de nou- DIFFUSER LA CULTURE. logiciels de brassage pour suivre leurs bras- veaux styles, ses exigences de qualité, ses sins. Ils ont graduellement eu accès à des diktats de la mode brassicole à un rythme tonneaux, des foudres, des levures de plus en effréné. Il faut maintenant instaurer des cri- plus exotiques, des ingrédients provenant de tères de contrôle de qualité jadis inconnus. tous les continents et, plus récemment, aux Développer sans cesse de nouvelles recettes canettes qui étaient l'apanage des grands. et adapter les techniques de brassage pour satisfaire sa soif. Quand les lois les ont arrêtés, ils se sont battus et ont gagné le droit de brasser des Il y aurait un livre à écrire sur l'évolution du bières spontanées, de servir des cruchons, brassage dans les 30 dernières années, mais CONTACTEZ-NOUS ! d'embouteiller sur les lieux et de vendre sans conteste, la conclusion serait que la leurs brassins aux consommateurs venus les encourager. plus grande révolution est celle du lien direct entre le brasseur et le consommateur. 450.447.2096 Info@Conceptb.ca ConceptB.ca 14 AMBQ 1990-2020
L'ÉVOLUTION DES STYLES DE BIÈRE AU QUÉBEC... SUR 30 ANS ! La première bière maison brassée au Cheval Laurier, à Montréal. La créativité gastrono- une fois dans ce que l’amateur de bière de blanc, il y a plus de 30 ans, était conçue à par- mique, amenant des aromates originaux et microbrasserie désire consommer. tir d’extrait de malt et de levure en poudre… des hybridations stylistiques mémorables Martin Thibault Une fois la formule améliorée et les ingré- (comme le tout premier stout impérial au La Brasserie du Bas-Canada, par exemple, dients raffinés, l’ardoise du bistro-brasserie café), faisait son apparition dans l’univers de fait courir les foules le long d’un boulevard Martin Thibault est l'auteur de nombreux livres est demeurée relativement stable pendant la bière alors que le bistro-brasserie montré- commercial à Gatineau lorsqu’elle com- et articles primés sur l'univers de la bière près de 15 ans. Avec une levure d’origine trap- alais devenait la figure de proue québécoise mercialise une de ses india pale ales hyper et le créateur du site Les coureurs des boires. piste, Jérôme Denys brassait une ambrée, de ce mouvement nord-américain. Le Québec juteuses mettant l’accent sur des cultivars de une blanche, une noire et une blonde pour sa brassicole de demain était en train de naître. houblon du Nouveau Monde qui n’existaient clientèle fidèle. Avec quelques brassins spé- même pas au début du siècle. L’engouement ciaux de temps à autre, comme les célèbres Dans ces mêmes années au tournant du mil- pour la Brasserie Auval est tout aussi impres- Photo p. 16 > Cheval blanc (Jérôme Denys) Coup de grisou, Titanic et Loch Ness, ce lénaire, Jérôme Denys a laissé sa place dans sionnant. Une simple cargaison d’une des Photo p. 17 > Dieu du ciel ! modèle était la norme de la petite industrie la salle de brassage à Éloi Deit. Ce dernier créations de Benoit Couillard dans une bou- microbrassicole des premières heures. Le s’intéressait aux IPA et voulait changer les tique spécialisée sème la panique en ville Lion d’or, Unibroue et autres Brasseurs du levures classiques de la maison. De leur côté, chez les fans de la brasserie gaspésienne. Nord misaient tous sans exception sur une les fournisseurs se multipliaient et il deve- Encore une fois, le portfolio Auval est rem- gamme fiable qui se démarquait avec fierté nait de plus en plus facile pour un brasseur pli de bières misant soit sur le houblon du des bières industrielles. d’obtenir des malts autres que le 2 rangs et Nouveau Monde aux accents tropicaux, soit le carastan de Canada Malting. L’époque où sur les fermentations dites « funky » aux Jérôme devait se pourvoir en blé cru et en sar- accents acidulés et fruités. rasin chez un grossiste de boulangerie dispa- raissait du rétroviseur à vitesse grand V… Devrions-nous nous réjouir de l’attrait pour la nouveauté ? 2020 : l’odyssée du fruité Cette explosion de saveurs fruitées a aussi Saut dans le temps de 20 ans : Le Cheval fait surgir une réalité bien différente de ce blanc a à peine augmenté sa surface de pro- qui définissait le milieu de la microbrasserie duction. Mais aujourd’hui, on y trouve des IPA à ses débuts. Une réalité qui inquiète quelque Jean-François Gravel, aujourd’hui brasseur aux parfums de houblons du Nouveau Monde peu : la nouveauté à tout prix. D’un côté, il de réputation internationale grâce à ses poussées à l’azote, des saisons sèches et faut se réjouir de la curiosité incessante des nombreuses créations à succès chez Dieu du mûries en barriques de chêne avec des consommateurs en mode découverte. Alors ciel !, n’était qu’un simple amateur de bière à brettanomyces, des lagers de soif inspirées qu’il n’y a pas si longtemps, on peinait à faire cette époque. Il visitait Le Cheval blanc, entre des meilleures recettes de l’Allemagne et boire des bières bien voilées à un néophyte, autres parce que la bière y était brassée sur de la République tchèque… et la sélection force est d’admettre que cet obstacle n’existe place, mais aussi parce que les quelques change presque toutes les semaines grâce plus. L’amateur de bière de microbrasserie bars à bières importées vendaient à gros prix au talent d’Isaël Dagenais, successeur d’Éloi semble prêt à tout accepter visuellement, de des brassins souvent affadis par le temps. Le Deit, aujourd’hui architecte du succès bras- la blondeur dorée à la noirceur impénétrable, Cheval blanc l’attirait parce que l’ambiance sicole de la Brasserie Dunham. De son côté, de la clarté scintillante à la brume opaque était sans prétention mais aussi stimulante Dieu du ciel ! concocte près de 400 recettes de style smoothie aux fruits. Cette soif inas- grâce à ses expositions artistiques en rota- différentes et a pris beaucoup d’expansion souvissable de nouveauté amène donc le tion et sa sélection musicale. Lorsque la Loch en construisant une usine à St-Jérôme pour dégustateur à une ouverture d’esprit que Ness, une scotch ale au caractère belge, est embouteiller ses bières. Jérôme Denys n’aurait jamais osé demander apparue au tableau du Ch’val, il a découvert de ses clients lors des premières années du que la bière pouvait être très goûteuse. Plus Cheval blanc. Mais Jean-François Gravel, un tard, lorsque la Coup de grisou est arrivée, des acteurs principaux de cette lancée ini- Jean-François a vu la lumière. Il a réalisé qu’il Aujourd’hui, la mode est tout tiale vers la diversité gustative dans le monde y avait d’autres options que l’orge et le blé d’abord au houblon. Chose qui de la microbrasserie, aimerait nous mettre pour brasser. aurait été impossible à prédire en garde avec une analogie. « Un jam de garage, c’est cool », dit-il, « mais on n’est pas il y a une vingtaine d’années. Les débuts de la diversité nécessairement obligé d’en faire un album ». Ses expérimentations de styles variés et ses En d’autres mots, la vente de brassins non croisements de traditions, grandement aidés Aujourd’hui, la mode est tout d’abord au peaufinés en cuves pilotes n’aiderait pas à par des fournisseurs d’ingrédients à l’offre de houblon. Chose qui aurait été impossible à faire croître l’industrie. La persistance de ce plus en plus diversifiée, l’aidaient à être plus prédire il y a une vingtaine d’années, alors phénomène au cours des prochaines années, créatif dans ses chaudrons à la maison. Et que les bières étaient encore majoritaire- jumelée aux performances des microbras- lorsqu’il a fondé Dieu du ciel ! avec des amis ment issues de styles axés sur la céréale et series en parts de marché, nous dira si cette de l’université, la variété allait certainement la fermentation. La tendance du moment effervescence stylistique débridée aura été être au rendez-vous. Des styles anglais, porte également vers l’acidité et le fruit, ce positive ou non. À moins qu’une prochaine belges, allemands, écossais, irlandais et dernier provenant du houblon ou d’ajouts de mode, aujourd’hui inimaginable, s’installe américains sont sortis des cuves de la rue jus de fruits. Un changement énorme encore encore une fois chez nous ? AMBQ 1990-2020 AMBQ 1990-2020 17
3 UNE ÉVOLUTION DANS L’UTILISATION DES MATIÈRES PREMIÈRES La provenance des matières premières utilisées pour fabriquer la bière a évolué Andréanne Brault au fil du temps, mais il reste encore bien du chemin à parcourir. Andréanne Brault est journaliste et rédactrice pigiste pour plusieurs magazines, Les Trois Mousquetaires, en opération depuis journaux (dont Bières et plaisirs) et sites web. 2004, utilise uniquement du malt québé- cois, à l’exception du malt torréfié et du malt fumé qu’on ne trouve pas au Québec. C’est le cas depuis que la Malterie Frontenac a com- mencé à en produire en 2009. La microbras- serie s’approvisionne également auprès LE JOURNAL BARON V4 N1 - de MaltBroue – la seule à offrir du malt de spécialité au Québec – , la Malterie Caux- Laflamme et Innomalt. « C’est une valeur ajoutée de travailler avec des producteurs locaux et de fabriquer des produits avec ÉDITION SPÉCIAL BIÈRES ET SAVEURS 2019 des ingrédients d’ici », affirme le coproprié- taire et directeur des opérations des Trois Mousquetaires, Christian Marcil. Avant, la microbrasserie se procurait son malt en Allemagne et dans l’Ouest canadien. Selon M. Marcil, les malteries québécoises – qui avaient autrefois mauvaise presse – ont beaucoup amélioré leurs techniques, leur permettant aujourd’hui d’offrir du malt de Dé m y s t i fi e r qualité. Le malt québécois goûte différent erie la bi grâce à la terre dans laquelle l’orge et les ss è e ra r de b micro autres céréales poussent. Et le houblon ? Co nseille ei l l er sén r ns En ce qui concerne le houblon québécois, Puisque le houblon au Québec est une indus- Co io r on n’en entend parler que depuis quelques trie assez jeune, Christian Marcil, utilise ie ie bièr bièr ser ser années. « Il n’y a pas eu tant d’évolution que environ 10 à 15 % de houblons québécois, as as es es de r de r microb microb ça en matière d’utilisation de houblon au 20 % de houblons d’Allemagne et le reste des Québec », explique Luc Beaulieu, gérant des États-Unis. ventes pour l’Est du Canada chez Yakima Chief Hops (un regroupement de 11 fermes Du chemin à faire, mais sur la bonne voie des États-Unis qui produisent du houblon et « Il y a encore beaucoup de chemin à faire au le vendent internationalement). niveau du houblon. Il faut choisir des varié- tés qui poussent bien ici, car on a un climat Il n’est pas si simple de faire pousser du hou- trop humide pour certaines sortes. Mais les blon au Québec, mais il est plus facile qu’avant jeunes micros sont de plus en plus ouvertes d’avoir accès à ceux qui poussent aux États- à utiliser des ingrédients québécois, car Unis. Beaucoup de houblons sont brevetés et on parle beaucoup d’achat local », conclut donc privés. Les micros québécoises doivent M. Marcil. utiliser des houblons publics, sans brevet, car il est interdit de faire pousser au Québec les houblons brevetés sans permission. Bien qu’il soit plus facile de faire venir du houblon des États-Unis au Québec depuis quatre ou cinq ans, ça ne va pas durer. « On utilise de Photo (gauche) > David Vachon plus en plus de houblon par baril brassé en Photo (droite) > Caroline Leclerc raison des IPA. Il y a une pénurie de houblon américain à prévoir pour les deux-trois pro- chaines années », mentionne M. Beaulieu. AMBQ 1990-2020 AMBQ 1990-2020 19
LES FORMATS DE LA BIÈRE Sensibiliser et soutenir les uns et les autres Avec Bruno Blais de La Barberie, Frédérick voir qu’un format qui passait pour cheap il y Vers 2015, l’explosion des différents formats Tremblay de la Microbrasserie Charlevoix a 30 ans soit aujourd’hui considéré comme était à son paroxysme et emmenait avec elle figurait parmi les premiers clients de étant celui de l’avenir », admet le fonda- D'HIER À AUJOURD'HUI son lot de désagréments : le consommateur qui doit trier ses bouteilles, les détaillants pris avec plus de manipulations, plus de ges- M. Gauthier pour la 500 ml Ale. « À l’aube des années 2000, il est vrai que l’on voulait se distinguer des Labatt et Molson avec leur teur de la microbrasserie installée à Baie- Saint-Paul depuis 1998, qui migre lui aussi quelques-unes de ses bières vers la canette. tion et éventuellement un manque d’espace fameuse 341 ml. Puis, on a voulu simplifier d’entreposage étant donné que l’ensemble le ramassage et faciliter la gestion, d’où Les époques ont vu défiler la bière de fini 33-400, 32 oz Cruchon Ambré 38-400, des acteurs boudent certains formats ; des le travail qui a été fait pour aboutir à des microbrasserie dans nombre de contenants 622 ml Bière fini 26 mm… Cette multipli- laveurs, conditionneurs et distributeurs qui ententes de standardisation, précise l’ancien diversifiés et tout le monde s’entend pour cation est peut-être agréable pour l’œil doivent eux aussi vivre avec une logistique président de l’AMBQ, Frédérick Tremblay. Valérie R. Carbonneau dire que l’idée de départ pour les micros lorsqu’on aperçoit les produits des micros alourdie sur toute la chaîne, entraînant ain- Maintenant, si ce n’est que pour quelques était de se démarquer des gros joueurs, québécoises exposés chez les détaillants, si des pertes financières pour tous… À la produits spécialisés, tous les nouveaux Journaliste indépendante omnivore, non seulement dans le contenu, mais par mais elle est certainement venue complexi- recherche de solutions, l’AMBQ a rassem- joueurs s’en vont vers la canette. » Valérie R. Carbonneau collabore à la presse écrite le contenant. Pensons à McAuslan avec sa fier la situation. Pour faire simple, rappelons blé tous les intervenants pour dévelop- depuis plusieurs années. Et en tant que péché première flotte de bouteilles vertes mises que l’on retrouve deux types de contenants : per des ententes bénéficiant à l’ensemble. La canette partie pour rester mignon, la bière figure parmi ses sujets favoris ! en marché vers 1990 et à Brasseurs du Nord, les CRM (contenants à remplissage multiple) Les efforts concertés des microbrasseurs, Moins coûteuse à l’achat, plus facile à qui avait embouteillé ses premières bières relevant d’un système géré par l’entreprise détaillants, Recyc-Québec, laveurs, condi- entreposer, plus économique à trans- dans des bouteilles brunes légèrement dif- privée et pouvant être remplis au minimum tionneurs et distributeurs et de l’AMBQ porter, exempte de contraintes de lavage férentes des 341 ml standards adoptées dix fois et les CRU (contenants à remplissage auront donné lieu à deux ententes privées et de reconditionnement… avec en plus par les macros, se souvient le biérologue unique), qui sont assujettis d’une entente pour ainsi standardiser un format de bou- une réputation traditionnelle de garder Mario D’Eer. Or, après être passée de peu publique gérée par Recyc-Québec et qui, une teille et mettre de l’ordre dans le fouillis. la bière fraîche, la canette semble être le de contenants à trop de contenants et plu- fois vidés, sont recyclés. En réalité, Recyc- Les deux formats de bouteilles touchés par CRU de l’avenir, pense aussi Mario D’Eer. sieurs rencontres de comités sur plusieurs Québec reconnaît trois CRM : la bouteille une entente respective en fonction depuis « Honnêtement, je ne vois pas ce qui pour- années plus tard, l’AMBQ est fière d’entre- classique 341 ml, la 500 ml Ale et la 500 ml bientôt deux ans demeurent les plus répan- rait venir challenger la canette aujourd’hui, voir aujourd’hui un retour à l’équilibre grâce Célébration, appelée BN050 dans le jargon dus : la 500 ml Ale, contenant tout indiqué ajoute Frédérick Tremblay. D’un côté, il y a à une certaine uniformisation des formats. microbrassicole. Quant au rôle de l’AMBQ, il pour les types plus standards de bières et la moyen de s’éclater côté design avec le mar- a toujours été de soutenir ses membres, tout 500 ml Célébration, idéale pour la refermen- keting qui peut se jouer sur l’ensemble de En 30 ans, il aura existé autant de formats en freinant la multiplication des contenants tation mixte et les bières barriquées. Celle- la surface et de l’autre, la facilité de manu- de contenants que de types de bières : pour faciliter la vie des détaillants, explique ci a une meilleure résistance à la pression, tention et de ramassage », renchérit-il, en 750 ml Belge fini liège, 1 Litre Boston Rond la directrice générale, Marie-Eve Myrand. explique Noël Gauthier, PDG chez Le Maître admettant qu’il serait le premier surpris à Emballage Durable, qui cumule plus de 15 voir une nouvelle microbrasserie démarrer ans d’expertise dans le domaine. avec de la bouteille. « Bref, c’est fascinant de 20 AMBQ 1990-2020 AMBQ 1990-2020 21
Martin Desautels Tête d’allumette, Saint-André-de-Kamouraska Maîtriser les flammes Le premier projet brassicole de Martin, La Camarine, s’est vu ravagé par le feu avant même qu’il ne prenne son envol. Les flammes sont au cœur de son projet suivant, Tête d’allumette, qui mise sur le feu de bois question de faire les choses autrement et de trouver sa couleur. « Revenir à la base, dompter la force brute du feu dans sa forme la plus simple était un beau clin d’œil et quelque chose de très stimulant. Mes amis diraient que je suis le genre qui ne choisit jamais le chemin facile et qui ne fait pas les choses comme les autres. » Le processus de création des installations a d’ailleurs nécessité beaucoup de réflexions, de recherches, de tests et d’ajustements. « Notre façon de faire est très différente compte tenu de l’utilisation du feu de bois, mais aussi à cause du design assez particulier des équipements », explique Martin. La brasserie a ainsi ses méthodes particulières pour chacune des étapes du brassage. Le feu de bois demande une rigueur et une précision qui ne peuvent être négligées. « Nous devons gérer les entrées et sorties d’air de la chambre de combustion en tenant compte de la météo et des vents; la quantité de bois utilisée varie selon tous ces facteurs et selon les étapes du brassage. On a aussi un ingrédient de plus à gérer : le bois servant à la combustion. La grosseur des bûches et leur humidité sont d’une importance capitale ». Difficile d’évaluer l’influence du feu de bois sur le produit, car la brasserie n’a jamais travaillé ses bières autrement. Les méthodes de travail, les équipements et l’eau de puits bien particulière peuvent aussi influencer le produit. D’après Martin, « il se crée forcément un point de chaleur plus intense au fond de la cuve qui a sans doute un impact sur le moût qui est soumis à une chaleur plus intense qu’avec un système d’ébullition diffus à la vapeur ou électrique. La plupart de nos bières sont très pâles et délicates et aucune trace de caramélisation n’y est pourtant perceptible ». C’est plutôt le plaisir qu’ils ont eu à produire la bière qui fait la différence sur le produit fini selon lui. BRASSER À LEUR MANIÈRE Élise Cornellier Bernier À l’abri de la tempête, Îles-de-la-Madeleine La scène brassicole québécoise regorge d’excellents artisans qui se passionnent pour leur métier. Certains se démarquent par leur façon de faire particulière, les ingrédients qu’ils S’exiler pour se retrouver utilisent et les défis auxquels ils ont choisi de faire face au quotidien pour l’amour de leur art. En voici quatre qui nous partagent leurs motivations, leurs labeurs quotidiens, et surtout, le fruit de leurs efforts dans le produit fini. Pour la brasserie À l’abri de la tempête, les défis techniques liés à l’insularité se transforment en des opportunités d’innover et David Sparrow Pat Roy d’essayer de nouvelles façons de faire. Sutton Brouërie, Sutton David Sparrow se passionne pour la scène brassicole québécoise et est rédacteur en chef Apprivoiser le sauvage Élise a débuté sa carrière de brasseuse il y a plusieurs années au Bilboquet, puis à la Brasserie du journal Bières et plaisirs depuis ses tout débuts. aux 4 temps où sa scotch ale, la Corne de brume, a marqué le Québec. En 2002, question de chan- Pat Roy a subitement débuté sa carrière de brasseur aux cuves de la Brasserie Dunham alors ger d’air et de créer son propre emploi, elle quitte la banlieue montréalaise avec Anne-Marie qu’elle venait de perdre son brasseur en chef. Pat avait d’abord quitté Montréal afin de s’établir Lachance pour s’installer définitivement aux Îles-de-la-Madeleine et ouvrir deux ans plus tard À à la campagne à Dunham. Lorsqu’Éloi Deit quitte le Cheval Blanc pour rejoindre la brasserie, il l’abri de la tempête. Amoureuse de l’île, elle s’inspire des ressources qui s’y trouvent pour parfaire Photo p. 22 > Caroline Leclerc prend Pat sous son aile et lui enseigne les trucs du métier. Pat affectionne surtout les bières son art et réaliser son rêve. Photo p. 23 (haut) > David Vachon sèches et houblonnées, les levures brettanomyces lui plaisent ainsi particulièrement et il décide Photo p. 23 (bas) > Emmanuelle Roberge éventuellement d’y consacrer son prochain projet, Sutton Brouërie. « On a approché un producteur local pour avoir du grain qu’on maltait nous-même initialement. On s’est mises à ramasser des algues qu’on utilisait pour leur pouvoir clarifiant dans la bière. « Faire des bières 100 % brett, ça ne change pas tant les façons de faire, mais ça demande beau- On a fumé notre grain dans un ancien fumoir et on mise beaucoup sur les herbes et aromates coup d’expérimentations, particulièrement au début. J’ai appris à travailler mes grains et mes sauvages de l’île », explique Élise. Pour la brasserie, les défis techniques liés à l’insularité se houblons de différentes façons pour en arriver aux résultats souhaités. Certains grains ressortent transforment en des opportunités d’innover et d’essayer de nouvelles façons de faire. La gamme beaucoup plus que d’autres avec la brett. J’ai fait beaucoup de découvertes et j’ai compris com- des Palabres exploite d’ailleurs tant les ingrédients que les légendes locales pour créer des pro- ment certaines choses influençaient le résultat final », raconte le brasseur qui utilise aujourd’hui duits uniques. principalement deux mélanges maison de levures brettanomyces de diverses souches. On peut ainsi goûter les Îles dans une bière aussi subtile que l’Écume, une lager brassée depuis La levure confère à la bière une sècheresse plus marquée et des notes sauvages qui peuvent près de 15 ans proposant un délicat côté salin et une finale sèche qui caractérisent la brasserie. s’avérer plus subtiles ou très intenses. Les levures utilisées et cultivées par Sutton lui confèrent On s’efforce d’ailleurs de créer des produits qui ont une personnalité qui leur est propre et qui une signature qui lui est propre et qu’on reconnaît désormais dans pratiquement tous ses pro- transcendent les styles. Les maillages insulaires sont également favorisés; que dire des malts duits. La brett ressort quelquefois agréablement fruitée, d’autrefois complètement sauvage ! fumés dans l’ancien fumoir de l’île qui confèrent des notes à la fois tourbées et poissonneuses ! 22 AMBQ 1990-2020 AMBQ 1990-2020
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