A Montreuil, après les cafards et les souris, le "paradis" - Coordination ...

 
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Libération 20180927
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paradis_1681647

A Montreuil, après les cafards et les souris, le
«paradis»
Par Sylvain Mouillard — 27 septembre 2018 à 17:29 (mis à jour à 17:35)

Jeudi dans les anciens locaux de l'Afpa, réquisitionnés par la mairie de Montreuil pour loger les travailleurs du
foyer Bara. Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération

La mairie communiste de la ville de Seine-Saint-Denis a réquisitionné
mercredi un immense bâtiment vide appartenant à l'Etat pour loger des
travailleurs maliens.

Arrivé en France en 1988, Moussa Doucouré n’a «connu qu’une ville, Montreuil, et une seule
maison, le foyer Bara». Depuis mercredi, la vie de ce Malien de 56 ans est chamboulée. Il
réside désormais avenue Pasteur, dans les anciens locaux de l’Afpa (Agence pour la formation
professionnelle des adultes), où Patrice Bessac, le maire communiste de la ville de Seine-
Saint-Denis, a mené à l’aube une action coup de poing : réquisitionner cet immense bâtiment
de 15 000 m², inoccupé depuis 2015, pour y héberger temporairement les résidents de «Bara»,
foyer historique mais gravement insalubre. Le tout contre l’avis de l’Etat, propriétaire des
murs.

«Ici, c’est le paradis, rien ne manque, salue Moussa Doucouré, président de l’association des
résidents. Alors qu’à Bara, on vivait au milieu des cafards, des punaises et des souris.» Situé
dans la rue éponyme de Montreuil, le foyer est un morceau d’histoire française. Ancienne
fabrique de pianos transformée en résidence sociale en mai 1968, le lieu a accueilli des
milliers de travailleurs migrants lors des dernières décennies, quasi exclusivement des
hommes maliens. Mais faute d’entretien, les conditions de vie s’y sont détériorées.
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Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération

«J’ai vu des rats courir sur des corps endormis»

Patrice Bessac, le maire communiste de Montreuil, y a passé une nuit la semaine passée.
«C’est horrible, indigne, raconte-t-il. J’ai vu des rats courir sur des corps endormis, des
matières fécales tomber du plafond dans les douches.» Au total, ils étaient en début de
semaine encore 250 à 300 personnes à s’entasser dans le taudis, payant un loyer (certes faible,
entre 100 et 150 euros mensuels) au gestionnaire, Coallia.

La mairie de Montreuil a préparé son affaire. Deux cabinets d’avocats ont planché sur la
procédure de réquisition (inédite, mais légale), afin de la sécuriser au maximum. Mardi, une
ultime réunion avec la préfecture pour trouver une solution de relogement pour les habitants
de Bara a fait long feu. Une convention signée en 2013 entre l’Etat et la Ville s’y engageait
pourtant. C’en est trop pour Patrice Bessac, lassé de ces discussions qui n’avancent plus
depuis des années.

Le maire de Montreuil Patrice Bessac. Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération
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A 5 h 50 mercredi, les élus montreuillois se pointent devant les anciens locaux de l’Afpa et
présentent au veilleur l’arrêté de réquisition. Une quarantaine de minutes plus tard, les
premiers résidents de Bara arrivent en bus. Le bâtiment, haut de huit étages, est bien assez
grand. Les 130 premiers occupants investissent l’aile nord, sur deux niveaux seulement. Les
agents de la Ville aident à leur installation, soutenus par les associations locales et certains
habitants. A l’extérieur, un cordon de CRS envoyé par la préfecture bloque les entrées.

«La France négocie avec certaines valeurs fondamentales»

Jeudi matin, nulle trace des pandores. Dehors, quelques-uns des nouveaux locataires
s’attellent à débroussailler les herbes folles qui ont envahi le perron de l’ancienne Afpa. A
l’intérieur, chacun prend ses marques. Certains déchargent de nouveaux lits de camp ainsi que
des tables et chaises pour les lieux communs. Devant sa chambre, qu’il partage avec trois
autres personnes, Makal Kanouté, 48 ans dont 29 à Bara, a passé une bonne nuit. «L’ancien
foyer était trop dégradé. Je suis heureux d’avoir déménagé», dit-il. Ce matin, comme
d’habitude, il s’est réveillé à 3 h 30, avant de rejoindre le point de départ du bus Noctilien 16,
qui lui permet ensuite d’attraper le premier métro pour embaucher à 6 heures du matin dans le
sud de Paris. Au programme : ménage et manutention. «Je travaille et paye mes impôts en
France, ça me paraît normal d’être logé dignement.»

Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération

 C’est pour ces «invisibles qui prennent le métro quand on dort encore, qui travaillent dans
nos administrations, nos mairies», que le maire Patrice Bessac est heureux d’avoir «mis un
coup de pied dans la fourmilière». La tâche n’est pas terminée. Une centaine de Maliens
restent encore à Bara, souvent les plus âgés, pour certains retraités et arrivés en France sous
Valéry Giscard d'Estaing. Déménager sera un déchirement.

Dans les nouveaux locaux, le provisoire peut durer. La municipalité a commandé 300 lits de
camp et installé douze douches dans des préfabriqués. Elle se prépare aussi à un éventuel
recours devant la justice de la préfecture de Seine-Saint-Denis. Mais le maire reste optimiste :
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«Un bon accord vaut mieux qu’un mauvais procès.» Il en est convaincu, ces nouveaux locaux,
qui doivent connaître une seconde vie en hébergeant le tribunal administratif d’ici… 2024,
sont «adaptés» et «économes en ressources publiques». Il conclut : «Il faut dépasser les
réalités de gestion. Des choses ne sont pas négociables. Or, aujourd’hui, la France comme
l’Europe négocient avec certaines valeurs fondamentales.»

Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération

Sylvain Mouillard
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