ALGÉRIE : LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT SACRIFIÉS SUR L'AUTEL DE LA POLITIQUE Mounir ABI - Cf2r.org

 
CONTINUER À LIRE
ALGÉRIE : LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT SACRIFIÉS SUR L'AUTEL DE LA POLITIQUE Mounir ABI - Cf2r.org
Centre Français de Recherche sur le Renseignement
                                                                      1

                                       ALGÉRIE :
     LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT
SACRIFIÉS SUR L'AUTEL DE LA POLITIQUE
                                          Mounir ABI
              Rapport de recherche #26
                                              Février 2020
ALGÉRIE : LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT SACRIFIÉS SUR L'AUTEL DE LA POLITIQUE Mounir ABI - Cf2r.org
2   PRÉSENTATION DE L’AUTEUR
    Mounir ABI est un spécialiste reconnu des questions de
    terrorisme, journaliste au Temps d’Algérie, quotidien de langue
    française. Il a auparavant travaillé dans plusieurs autres
    journaux algériens (Le Soir d'Algérie, Le Matin, Le Quotidien
    d'Oran, Le Temps d'Algérie, Le Jour d'Algérie et le journal satirique
    El Manchar) où il a été en charge de ce sujet. C’est également
    un caricaturiste de talent, dont les dessins ont été publiés
    dans ces mêmes journaux et qui lui ont valu, en 1985 et
    1986, d’obtenir le premier prix du concours national de bande
    dessinée organisé par le comité des fêtes de la ville d’Alger.

    Étudiant en biologie à l’Université des Sciences et de la
    Technologie (USTHb) de Bab Ezzouar, il a embrassé la
    carrière de journaliste en 1989, après les premiers attaques
    terroristes islamistes en Algérie. Gravement blessé lors d’un
    attentat perpétré par le Groupe islamique armé (GIA) en 1996,
    il a continué à enquêter sur les terroristes, leurs réseaux et
    leurs actions, réalisant notamment des reportages dans les
    fiefs du Groupe islamique armé. Il a également rencontré
    de nombreux chefs repentis du Groupe salafiste pour la
    prédication et le combat (GSPC, devenu Al-Qaïda au Maghreb
    islamique/AQMI), après leur décision de déposer les armes. Il
    s’est enfin rendu à Kidal, au Mali, en 2012, où il a rencontré
    des djihadistes d’Ansar Eddine avant le déclenchement de
    l’opération Serval.

    Mounir Abi est l’auteur d’un autre rapport de recherche publié
    par le CF2R : Le financement criminel du terrorisme algérien,
    Rapport de recherche n°24, Décembre 2018 (https://cf2r.org/
    recherche/le-financement-criminel-du-terrorisme-algerien/).
ABOUT THE AUTHOR                                                    3

Mounir ABI is a journalist with Le Temps d'Algérie, a French-
language newspaper. He is a acknowledge expert in terrorism
issues. He previously worked in several other Algerian
newspapers (Le Soir d'Algérie, Le Matin, Le Quotidien d'Oran, Le
Temps d'Algérie, Le Jour d'Algérie and the satirical newspaper El
Manchar) where he was in charge of this subject. He is also a
talented caricaturist, whose drawings are published in these
same newspapers and which led him, in 1985 and 1986, to
win the first prize in the national comic book competition
organized by the city of Algiers.

A student in biology at the University of Science and
Technology (USTHb) of Bab Ezzouar, he became a journalist
in 1989, after the first islamist terrorist actions in Algeria.
Seriously injured in an attack perpetrated by the Armed
Islamic Group (GIA) in 1996, he continued working on terrorist
groups, networks and activities through reports in the Armed
Islamic Group strongholds. He met with many repentant
leaders of the Salafist Group for Preaching and Combat
(GSPC, today Al-Qaeda in the Islamic Maghreb/AQIM), after
they decided to surrender. He also traveled to Kidal, Mali, in
2012, where he met with jihadists from Ansar Eddine, before
operation Serval.

He is the author of another research report published by
the CF2R : Le financement criminel du terrorisme algérien,
(The criminal financing of Algerian terrorism), Rapport de
recherche n°24, Décembre 2018 (https://cf2r.org/recherche/
le-financement-criminel-du-terrorisme-algerien/ in French,
with English summary).
4   RÉSUMÉ
    ALGÉRIE :
    LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT
    SACRIFIÉS SUR L'AUTEL DE LA POLITIQUE
    Les services de renseignement algériens ont été             pour devenir Délégation générale de la prévention et
    créés pendant la guerre d'indépendance sous l'impul-        de la sécurité (DGPS). Ce nouveau service ne vécut que
    sion du militant nationaliste Abdelhafid Boussouf.          quelques mois, bientôt remplacé par la Délégation
    Successivement dénommés MALG (ministère de                  générale à la documentation et à la sécurité (DGDS). En
    l’Armement et des Liaisons générales), puis Sécurité        1991, en pleine crise politique, est créé le Département
    militaire (SM), ils ont pu opérer dans la discrétion        du Renseignement et de la Sécurité (DRS), dissous à
    jusqu’à la fin des années 1970.                             son tour en 2019 par le clan présidentiel.

    Mais depuis cette date, ils ont été malgré eux              De telles pratiques ont eu des conséquences très
    constamment impliqués dans des querelles politiques         néfastes sur la capitalisation d’expérience au sein des
    et se sont vus médiatisés à outrance en 1979 et de          différents services, mais aussi sur l’efficacité de la lutte
    2013 à 2019, ce qui leur a fait perdre le caractère         contre le terrorisme et sur les investigations contre
    confidentiel qui faisait leur efficacité.                   la corruption.

    Au cours des quatre dernières décennies, les services       Ce rapport rappelle certains faits connus du grand
    de renseignement et de police algériens chargés             public et en dévoile d’autres, inconnus jusqu’à ce jour,
    de lutter contre le terrorisme ou de combattre la           dans le but d'alerter contre ces comportements qui ne
    corruption ont systématiquement vu, en dépit de             servent pas l'Etat de droit et afin d’appeler au respect
    leurs succès et de leur efficacité, leurs actions et leur   du travail réalisé par les services de renseignement
    existence remises en cause par le pouvoir, soit qu’il       et d’enquêtes, qui oeuvrent au profit de la sécurité
    ait décidé de négocier avec les terroristes islamistes,     nationale et de la lutte contre les comportements
    soit que ses représentants aient eu peur d’être mis en      criminels portant préjudice à l’économie et à la
    cause dans le cadre d’enquêtes pour corruption dans         cohésion nationales.
    lesquelles ils étaient impliqués.

    Ainsi, depuis 40 ans, de nombreuses réorganisations
    ont contribué à les fragiliser. En 1979, les services de
    renseignement algériens ont changé d'appellation
EXECUTIVE SUMMARY                                                                                                      5

ALGERIA :
INTELLIGENCE SERVICES SACRIFIED
ON THE ALTAR OF POLICY
Algerian intelligence services have been created          by the General Delegation for Documentation and
during the war of independence under the impetus of       Security (DGDS). In 1991, in the midst of a political
nationalist activist Abdelhafid Boussouf. Successively    crisis, the Intelligence and Security Department (DRS)
named MALG (Ministry of Armament and General              was created, but was in turn dissolved in 2019 by the
Liaisons), then Military Security (SM), they were able    presidential clan.
to operate with discretion until the end of the 1970s.
                                                          Such practices have had very negative consequences
But since that date, they have been, despite them,        on the capitalization of experience within the various
constantly involved in political quarrels and have been   specialized units, but also on the effectiveness of
put under the spotlights of the media in 1979 and from    the fight against terrorism and of investigations
2013 to 2019, which made them lose the confidentiality    against corruption.
which made their effectiveness.
                                                          This report recalls certain facts known to the general
Over the past four decades, the Algerian intelligence     public and reveals others, unknown to date, in order to
and investigation services responsible for combating      alert against these behaviors which do not serve the
terrorism and corruption have systematically seen,        rule of law. It calls for respect for the work carried out
despite their success and their effectiveness, their      by the intelligence services, working for the national
actions and their existence challenged by the power,      security and fighting criminal behavior which harms
either that it decided to negotiate with the Islamist     the national economy and cohesion.
terrorists, or that its representatives were afraid of
being implicated in the context of anti-corruption
investigations.

In 40 years, many reorganizations have contributed
to weaken them. In 1979, the Algerian intelligence
services changed their name to become the General
Delegation for Prevention and Security (DGPS). This
new service only lived a few months, soon replaced
6   SOMMAIRE
    INTRODUCTION.. ............................................................................................................................... . . . . . . . . . . 7

    1. LE DÉMANTÈLEMENT DE LA SÉCURITÉ MILITAIRE ET LA CRÉATION DU DRS (1979-1990). ...... . . . . . . . . . . 8
       LA CRÉATION DU DÉPARTEMENT DU RENSEIGNEMENT ET DE LA SÉCURITÉ (DRS). ............................... . . . . . . . . . . 8
       LE DRS ET LES ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE 2001. ......................................................................... . . . . . . . . . . 9

    2. LA CRÉATION ET LA DISSOLUTION DE L’OFFICE NATIONAL DE RÉPRESSION DU BANDITISME
      (1992-2006).... ............................................................................................................................... . . . . . . . . 10
       UNE UNITÉ D’ÉLITE D’UN GENRE NOUVEAU...................................................................................... . . . . . . . . 10
       L’ÉLECTION D’ABDELAZIZ BOUTEFLIKA ET LA DISSOLUTION DU SCRB. ............................................. . . . . . . . . 10

    3. LES ENQUÊTES ANTICORRUPTION DU DRS ET LA RIPOSTE DE LA PRÉSIDENCE (2012-2016).... . . . . . . . . 12
       DES ENQUÊTES D'HABILITATION NON PRISES EN COMPTE................................................................ . . . . . . . . 12
       LES POURSUITES CONTRE CHEKIB KHELIL. . ..................................................................................... . . . . . . . . 12
       L'ARRESTATION DU GÉNÉRAL HASSAN.. ........................................................................................... . . . . . . . . 13

    4. LA DISSOLUTION DU DRS ET LA REPRISE EN MAIN DES SERVICES PAR LE CLAN BOUTEFLIKA
    (2015-2019). . .................................................................................................................................... . . . . . . . . 15
       LES BÉVUES D’UN JOURNALISTE ACCÉLÈRENT LA FIN DU DRS........................................................ . . . . . . . . 15
       LE DÉMANTÈLEMENT PROGRESSIF DU DRS...................................................................................... . . . . . . . . 16
       DES AFFAIRES DE CORRUPTION ENTERRÉES.................................................................................... . . . . . . . . 16
       LE DRS DISSOUS POUR SAUVER UNE SEULE PERSONNE................................................................... . . . . . . . . 17

    5. LE COUP DE FORCE DU GÉNÉRAL GAÏD SALAH ET LA CONDAMNATION DE L’EX-PATRON DU DRS. . . . . 18
       L’ÉTONNANTE ALLIANCE SAÏD BOUTEFLIKA/MOHAMED MEDIÈNE. ................................................... . . . . . . . . 18
       LA CONDAMNATION DE L’ANCIEN CHEF DES SERVICES. .................................................................... . . . . . . . . 19
       MISSION ACCOMPLIE POUR AHMED GAÏD SALAH. ............................................................................. . . . . . . . . 20

    CONCLUSION : CONSACRER L'INDÉPENDANCE DES SERVICES VIS-À-VIS DES POLITIQUES. ......... . . . . . . . . 21
INTRODUCTION                                                                                                                             7

Les services de renseignement algériens ont été créés                De telles pratiques ont eu des conséquences très néfastes sur
pendant la guerre d'indépendance sous l'impulsion du militant        la capitalisation d’expérience au sein des différents services,
nationaliste Abdelhafid Boussouf.                                    mais aussi sur l’efficacité de la lutte contre le terrorisme
                                                                     et sur les investigations contre la corruption. Elles ont
Né en 1926 dans le Constantinois, Boussouf a rejoint très            notamment contribué à la suspicion et à la décrédibilisation
jeune le Parti du peuple (PPA), puis l'organisation secrète          de la plus grande partie de la classe politique, particulièrement
(OS), dont il devint l'un des membres éminents. En 1956, il          symbolisée par le mouvement populaire (hirak) de 2019.
est nommé au Conseil national de la Révolution algérienne
avec le grade de colonel. En septembre 1957, il devient              Ce rapport rappelle certains faits connus du grand public et en
membre du Comité de coordination et d'exécution de l'Armée           dévoile d’autres, inconnus jusqu’à ce jour, dans le but d'alerter
de libération nationale (ANL), devenue Armée nationale               contre ces comportements qui ne servent pas l'Etat de droit
populaire (ANP) après l’indépendance. En septembre 1958,             et d’appeler au respect du travail réalisé par les services de
Abdelhafid Boussouf est nommé ministre des Liaisons                  renseignement et d’enquêtes, qui oeuvrent au profit de la
générales et des Communications dans le gouvernement                 sécurité nationale et de la lutte contre les comportements
provisoire de la République algérienne (GPRA). Il joue un rôle       criminels nuisant à l’économie et à la cohésion nationales.
important dans la création de l'appareil de renseignement et
de communication national, ainsi que dans la formation de
cadres dans ces domaines et créé la première école d’officiers
de renseignement. Les services algériens sont alors connus
sous l'appellation de MALG (ministère de l’Armement et des
Liaisons générales). Lors de l'indépendance, en 1962, le
MALG devient la Sécurité militaire (SM), laquelle est dirigée
par Abdallah Khalaf, connu sous le nom de guerre Kasd
Merbah, un ancien chef du MALG formé par le KGB.

Au cours des dernières décennies, les services de
renseignement et d‘enquêtes algériens chargés de lutter
contre le terrorisme ou de combattre la corruption ont
systématiquement vu, en dépit de leurs succès et de leur
efficacité, leurs actions et leur existence remises en cause par
le pouvoir, soit qu’il ait décidé de négocier avec les terroristes
islamistes, soit que ses représentants aient eu peur d’être
mis en cause dans le cadre d’enquêtes pour corruption dans
lesquelles ils étaient impliqués.
8   1. LE DÉMANTÈLEMENT DE LA SÉCURITÉ
    MILITAIRE ET LA CRÉATION DU DRS
    (1979-1990)
    Les Algériennes et Algériens furent étonnés lorsqu’en 1979,                        du chef du gouvernement. Kasdi Merbah n'occupa toutefois
    un article parut dans l'hebdomadaire étatique Algerie Actualité                    pas longtemps ce poste puisqu’il fut limogé en 1989.
    sous le titre « SM : sécurité militaire ». L'article descendait en
    flammes Abdallah Khalaf - dit Kasdi Merbah -, le patron de                         Merbah quitta ensuite le Front de libération national (FLN) en
    la SM, les services de renseignement algériens. Un tel article                     1990 et créa son propre parti politique, le Mouvement pour
    apparaissait jusqu’alors impensable à une époque où citer                          la justice et la démocratie en Algérie (MAJD), en novembre
    le nom de la SM était considéré comme tabou. Comment                               de la même année. Il devint alors un critique du pouvoir et
    un journal étatique pouvait-il se permettre de parler de                           du président Chadli. Selon les médias et certains politiciens
    ce redoutable service, héritier du ministère des Liaisons                          de l'époque, Kasdi Merbah aurait été en contact avec des
    générales (MALG), et de surcroît, critiquer son patron ?                           dirigeants du Front islamique du Salut (FIS) dans le but de
                                                                                       négocier la réconciliation et mettre fin à la guerre lancée
    La suite des événements politiques en Algérie allait donner                        par les terroristes contre l'Algérie. Mais les terroristes du
    une réponse à l'opinion publique intriguée. Il y eut d'abord, en                   Groupe islamique armé (GIA), pour la plupart des vétérans de
    1980, la nomination de Kasdi Merbah au poste de ministre                           la guerre d'Afghanistan, étaient hostiles à toute perspective
    de l’Agriculture, puis la dissolution de la Sécurité militaire                     de paix. Kasdi Merbah se vit alors menacé par les terroristes,
    et la création de la Délégation générale de la prévention et                       ainsi que par certains responsables politiques de l'époque qui
    de la sécurité (DGPS) confiée à Yazid Zerhouni. Ce nouveau                         refusaient la compromission avec les islamistes.
    service ne vécut que quelques mois, bientôt remplacé par
    la Délégation générale à la documentation et à la sécurité                         La dissolution de la SM eut de graves répercussions sur la
    (DGDS), dirigée par Lakehal Ayat.                                                  lutte contre le terrorisme car ce service avait tissé sur le
                                                                                       pays une véritable toile d’araignée d’informateurs. Ainsi,
    Pour de nombreux spécialistes du renseignement, la                                 ni la police, ni l’armée ne purent empêcher que 27 000
    nomination de Kasdi Merbah à un poste politique était une                          personnes rejoignent alors les maquis du GIA, ni procéder
    façon pour le président de la République de l’époque, Chadli                       à leur identification. Alors que la guerre civile commençait,
    Bendjedid, de se débarrasser du patron de la SM. Le procédé                        la riposte contre les terroristes n'était pas préparée, faute
    choisi était d’abord de faire quitter à Merbah la direction du                     de renseignements.
    service en lui accordant une promotion. Il était ensuite plus
    facile pour le président de limoger Kasdi Merbah du poste de                       Pire, en 1991, dans sa précipitation à publier la liste des
    ministre que de celui du chef de la SM. Il devenait ainsi clair                    lauréats de son concours de recrutement, la Direction
    que l’article publié en 1979 dans Algérie Actualité avait été                      générale de la Sûreté nationale (DGSN) rendit publics les
    commandité par la présidence de la République dans le cadre                        noms et prénoms d'officiers de police qui furent les premières
    d’un plan de remplacement du patron de la SM.                                      cibles des attentats terroristes. Cette décision avait été prise
                                                                                       sans aucune évaluation de la situation politico-sécuritaire
    Mais les événements du 5 octobre 19881 fragilisèrent le                            dans le pays, travail traditionnellement effectué par les
    pouvoir du président Chadli Bendjedid. En novembre 1988, il                        services de renseignement.
    dut faire appel à l’ancien patron de la SM pour occuper le poste

    LA CRÉATION DU DÉPARTEMENT DU RENSEIGNEMENT ET DE LA SÉCURITÉ (DRS)

    En 1990, les services de renseignement algériens n’exis-                           de corps d’armée Mohamed Mediène - dit Toufik - et d‘autres
    taient pratiquement plus. Suite à la dissolution de la SM, les                     officiers supérieurs de l’Armée nationale populaire (ANP),
    organismes lui ayant succédé, DGPS et DGDS, avaient vu                             créèrent le Département du renseignement et de la sécurité
    leurs prérogatives considérablement réduites, alors même                           (DRS). Outre la lutte contre toute forme d'espionnage, la pré-
    que le terrorisme menaçait le pays. C’est alors que le général                     servation de la sécurité intérieure du pays et la défense des

    1
        Soulèvement populaire dû principalement aux pénuries de produits de grande consommation dans le pays.
9

intérêts vitaux de l'Algérie à l'étranger, le DRS se consacra à la                  Rappelé en Algérie en janvier 1992 en pleine crise politique -
lutte contre le terrorisme, domaine dans lequel il joua un rôle                     caractérisée par la dissolution de l'Assemblée populaire
décisif, apportant son soutien à l’Armée nationale populaire                        nationale (APN), l’annulation des élections et la proclamation
et aux Groupes de Légitime Défense (GLD), qu’il arma contre                         de l'état d'urgence par le président démissionnaire,
les terroristes.                                                                    Mohamed Boudiaf fut nommé président de la république
                                                                                    par le Haut Comité d'État constitué, suite au départ de
Le 12 juin 1990, les premières élections locales qui eurent                         Chadli, le 16 janvier 1992. Mais son mandat sera de courte
lieu sous le nouveau régime électoral furent dominées par le                        durée puisqu’il sera assassiné le 29 juin 1992, lors d'une
parti fondamentaliste, le FIS. Le 25 mai 1991, ce mouvement                         conférence des cadres à Annaba, par Lambarek Boumaarafi,
déclencha une grève générale et exigea du gouvernement                              un sous-lieutenant du Groupement d'intervention spécial
des changements constitutionnels, l'application immédiate                           (GIS) affilié au DRS. Ce dernier considérait que le président
de la charia (loi islamique), la démission du président et la                       Boudiaf était un obstacle à l'instauration d'un État islamique
tenue d'élections présidentielles. En réaction, le 5 juin, Chadli                   en Algérie. L'assassinat de cette grande figure de la guerre
Bendjedid déclarait l'état d'urgence et ordonnait à l'armée                         d'indépendance fut considéré comme un échec du DRS
de restaurer l'ordre dans le pays. L’état d’urgence fut levé                        et porta un sévère coup à la crédibilité du service de
le 29 septembre 1991 et des élections législatives furent                           renseignement algérien.
annoncées. Les résultats du premier tour du 26 décembre
consacraient une large victoire du FIS avec 188 sièges sur                          Un an plus tard, le 21 août 1993, Kasdi Merbah, ancien direc-
231, ce qui lui donnait la majorité. Les islamistes furent                          teur de la SM et éphémère chef du gouvernement, fut à son
alors accusés de fraude et le président Bendjedid envisagea                         tour assassiné à Bordj El Bahri, en compagnie de son fils
de négocier eux. Toutefois, les militaires s'y opposèrent et                        cadet Hakim (25 ans), de son frère Abdelaziz (42 ans), de son
accusèrent le président de préparer le terrain à l’accession                        chauffeur Hachemi Ait Mekidèche (30 ans) et de son garde du
des islamistes au pouvoir. Sous la pression de l’armée, Chadli                      corps Abdelaziz Nasri. Les raisons précises de cet assassinat
Bendjedid démissionna le 11 janvier 1992. Dans une lettre                           ainsi que ses instigateurs demeurent inconnus. La famille de
adressée à la nation, il déclara « Nous vivons aujourd’hui une                      Merbah considère que l'enquête a été bâclée et croit qu'il a
pratique démocratique pluraliste caractérisée par de nombreux                       été éliminé « par un clan du pouvoir, hostile à la démarche de
dépassements dans un environnement où s’affrontent des                              réconciliation » qu’il préconisait entre le FIS et les autorirtés.
courants. Ainsi, les mesures prises et les voies nécessaires au                     Kasdi Merbah, en raison de son charisme, dérangeait
règlement de nos problèmes ont atteint aujourd'hui une limite qu'il                 plusieurs courant politiques et s’était fait des ennemis au sein
n'est plus possible de dépasser sans porter gravement préjudice à                   du GIA comme du pouvoir politique.
la cohésion nationale, la préservation de l’ordre public et à l’unité
nationale1 », témoignant ainsi des désaccords opposant
différents courants politiques au sein du pouvoir.

LE DRS ET LES ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE 2001

En septembre 2001, Mohamed Mediène le chef du DRS                                   de grande ampleur contre les États-Unis. Mohamed Mediène
se rend en mission confidentielle aux États-Unis. Au cours                          rencontre George Tenet, le directeur de la CIA pour l’alerter
d’une rencontre avec des responsables de la CIA, il écoute un                       d’une menace imminente. Après la fermeture de l’espace
exposé sur la lutte contre le terrorisme islamiste. Un officier                     aérien américain sur ordre de Washington quelques heures
de l‘agence lui explique alors que les Américains excluent                          après les attaques kamikazes, seuls deux avions civils seront
l’éventualité d’une attaque terroriste sur leur sol. Dubitatif,                     autorisés à décoller : celui qui transportait des membres de
le chef des services de renseignement algériens répond au                           la famille royale saoudienne et des proches de Ben Laden…
conférencier : « Vous les connaissez mal. Ils sont capables de                      et celui qui ramenait le chef des services de renseignement
tout ». Au cours de ses nombreux entretiens avec ses inter-                         algériens Mohamed Mediène à Alger.
locuteurs américains, le chef des services algériens, sur la foi
d’un mémo secret envoyé le 6 septembre 2001 par Smaïn
Lamari, numéro 2 du DRS, évoque une attaque imminente

1
    http://www.conseil-constitutionnel.dz/index.php/fr/declaration-du-11-janvier-1992
10   2. LA CRÉATION ET LA DISSOLUTION
     DE L’OFFICE NATIONAL DE RÉPRESSION
     DU BANDITISME (1992-2006)
     En 1992, un décret signé par le président Mohamed Boudiaf            de la Sûreté nationale (DGSN), de la Police, de la Gendarmerie
     créé l'Office national de répression du banditisme (ONRB). Il        nationale et du DRS.
     est formé à partir d'éléments issus de la Direction générale

     UNE UNITÉ D’ÉLITE D’UN GENRE NOUVEAU

     Cette nouvelle unité d'intervention spéciale a pour vocation         "ninjas". Les investigations sur les affaires de corruption
     la lutte antiterroriste - en particulier les actions de contre-      ne sont pas appréciées par tout le monde, notamment à
     guérilla ainsi que dans la chasse aux terroristes dans les zones     l’occasion de l’élection en 1999, du président Bouteflika.
     hostiles et complexes -, la libération d'otages, la protection       En effet, certains responsables politiques avaient bénéficié
     rapprochée et tout autre type de missions à caractère spécial.       illégalement de prêts bancaires importants sans présenter
     Possédant son propre budget et bénéficiant de formations             aucune garantie de remboursement, ainsi que le révélèrent
     à l'étranger, l’ONRB dispose d’un personnel entraîné et              à l'époque à l’auteur des officiers du SCRB, brisant la loi
     hautement qualifié et emploie des tactiques et des moyens            du silence.
     d’action particuliers. Unité caractérisée par sa grande
     discrétion, elle constitue la force de frappe des services de        Le SCRB a enquêté sur de nombreuses affaires de corruption
     renseignement algériens. Ses hommes, encagoulés en                   dont les affaires Khalifa, celle de la Banque nationale d’Algérie
     raison de la présence de nombreux informateurs du GIA dans           (BNA) - concernant le détournement de 3 200 milliards de
     le pays, sont appelés les "ninjas" par les Algériens. L’ONRB         centimes, équivalant environ 170 millions d’euros -, celle de
     est alors considéré comme l'élite des forces spéciales               la Banque Commerciale et industrielle d'Algérie (BCIA), de
     algériennes et l'une des meilleures unités d'Afrique et du           Sonatrach et du Crédit populaire d'Algérie (CPA).
     bassin méditerranéen.
                                                                          L’efficacité du SCRB a été reconnue par le RAID français, le
     En 1997, avec l'amélioration de la situation sécuritaire en          FBI américain et les services de police de plusieurs autres
     Algérie, la Gendarmerie nationale et le DRS quittent l’ONRB          pays, dont l’Espagne et l’Allemagne et tous ont développé
     qui change alors d’appellation pour devenir le Service central       des coopérations avec lui. Des responsables du FBI ont,
     de répression du banditisme (SCRB). Une nouvelle mission             plusieurs fois, rendu visite à la direction de la police judiciaire
     lui est confiée : la lutte contre la corruption. C’est alors que     (DPJ) et au SCRB, reconnaissant son savoir-faire en matière
     commencent les ennuis pour les enquêteurs des légendaires            de lutte anti-terroriste.

     L’ÉLECTION D’ABDELAZIZ BOUTEFLIKA ET LA DISSOLUTION DU SCRB

     Le 15 avril 1999, Abdelaziz Bouteflika est élu président de          marchés conclus par Sonatrach et le ministère de la Défense
     la République. Il fait de la réconciliation nationale son objectif   nationale avec Brown & Root-Condor (BRC), une joint-venture
     politique majeur et décide des mesures d'apaisement en               entre Sonatrach et KBR, une filiale de la compagnie américaine
     direction des terroristes "repentis". L’unité d’intervention du      Halliburton dont le principal actionnaire au moment des faits
     SCRB continue toutefois à traquer les terroristes toujours en        était Dick Cheney, le vice-président américain. Le PDG de
     activité et les enquêteurs poursuivent leurs investigations          Sonatrach, Mohamed Meziane, est arrêté pour passation
     contre la corruption.                                                de marchés ne respectant pas les dispositions légales et
                                                                          réglementaires et espionnage au profit de la CIA. L'affaire
     Le 4 février 2006, le Premier ministre Ahmed Ouyahia charge          instruite par le tribunal de Bir Mourad Rais à Alger n'a jamais
     l'Inspection générale des finances (IGF) d’enquêter sur les          été jugée. On n'en a jamais parlé depuis.
11
Puis, en 2006, la dissolution du SCRB est décrétée, surpre-                         Evoquant l’assassinat d’un vice-président de l’Assemblée
nant beaucoup d'experts de la lutte contre le terrorisme.                           populaire communale (APC2) de Bordj El Bahri, connu dans
Certains dirent que la dissolution de ce service était un "geste                    cette commune pour s’être opposé à la « mafia du foncier »,
de bonne foi" en direction des terroristes qui ne pourraient                        ces officiers nous révélèrent que « l’arme du crime, un pistolet
qu'être enchantés de la disparition de cette unité d'élite les                      automatique, n’a toujours pas été retrouvée. À qui appartient
ayant combattus avec efficacité. D'autres eurent la conviction                      cette arme ? A-t-elle été utilisée dans d’autres assassinats ? »,
que la dissolution du SCRB avait été décidée pour mettre                            s’interrogaient-ils. Il est à noter que cet assassinat fut d’abord
un terme aux investigations contre la corruption conduite                           imputé à un homme âgé de 75 ans, accusé d’être terroriste,
pas ses enquêteurs et mettant en cause d'importants                                 mais la thèse la plus vraisemblable était celle d’une exécution
responsables politiques.                                                            ordonnée par la mafia du foncier. Le démantèlement d’un
                                                                                    réseau de trafic de faux diplômes d’avocat et de cartes du
Ce qui est sûr est que la dissolution du SCRB n’a pas respecté                      Sénat leva une partie du mystère quant à cet assassinat. Ce
la législation. L’ONRB, dont la SCRB était le successeur, avait                     réseau fut accusé de dilapidation du foncier agricole mais
été créé en 1992 par décret présidentiel, validé par un vote du                     l’homme de 75 ans demeura en prison.
Parlement. L‘unité ne pouvait donc être dissoute que via une
procédure similaire. Or, il n’en fut rien et le SCRB est dissout                    Le SCRB fut par ailleurs l’objet de fausses accusations. « Le
en "catimini"par le patron de la DGSN, Ali Tounsi.                                  SCRB est un service qui bénéficie, de par son statut défini lors de
                                                                                    sa création, d’une caisse noire qui peut être utilisée pour financer
À l'époque, l’auteur put recueillir les témoignages de                              des opérations d’infiltration de réseaux de trafic de drogue ou
quelques-uns de ses officiers qui décidèrent de briser la loi                       autre. Les 30 millions de centimes dont il est question dans une
du silence, « déçus » par la dissolution de leur service. « Rien                    affaire de cocaïne pour laquelle un commissaire, un policier et
ne présageait de la disparition du SCRB puisque, à la veille de la                  trois inspecteurs de l’ONRB sont mis en détention préventive,
fermeture du siège de ce service de police, l’unité avait bénéficié                 proviennent de la caisse noire de ce service de police pour le
d’un programme d’équipement, de l’octroi de véhicules et venait                     financement d’une opération d’infiltration. Ces fonctionnaires
de créer une cellule chargée de la lutte contre le blanchiment                      n’ont commis aucun délit » nous révélèrent ces officiers.
d’argent » nous déclarèrent-ils. Ils s’interrogeaient sur la                        « Même si des éléments du SCRB avaient commis des délits, il
légalité de la dissolution de leur service et le caractère                          fallait engager leur responsabilité pénale individuelle et non pas
« précipité » de cette décision. « Comment a-t-il pu disparaître                    faire disparaître tout un service de police », ajoutèrent-ils, tout
sans décret présidentiel et sans un vote de l’Assemblé populaire                    en insistant sur l’innocence de leurs collègues.
nationale ? La promesse nous a été faite, verbalement, d’une
recréation du SCRB, mais comment cela peut-il être possible                         Evoquant le terrorisme, ces officiers nous expliquèrent
puisque de nombreux éléments ont été mutés à l’extrême sud du                       qu’avec la disparition du SCRB, c’était 15 années d’efforts
pays ? » poursuivaient-ils.                                                         dans la lutte contre le terrorisme qui étaient remises en cause
                                                                                    alors même que l’Algérie avait besoin de cette expérience
« Des enquêtes sur la dilapidation du foncier dans les communes de                  pour maintenir la sécurité et que 72 membres du SCRB y ont
Birkhadem, Bordj El Bahri, Douéra et Khraïcia ont été suspendues                    laissé la vie, tués par les terroristes. « Le SCRB dispose d’un
avec la disparition de ce service de police », ajoutèrent-ils.                      fichier national du terrorisme identifiant les terroristes fichés dans
« Nous avions commencé à recueillir des informations sur l’affaire                  les 48 wilayas du pays », ajoutent-ils. « Avec la disparition du
Khalifa et nous allions enquêter sur d’autres affaires, dont celle                  SCRB, les terroristes ont gagné 50% de la guerre psychologique. »
de la BCIA1 », nous dirent ces officiers. « Les interventions
étaient nombreuses pour qu’un terme soit mis à ces enquêtes,                        De même, en matière de lutte contre la corruption,
notamment dans l’affaire de la BCIA. Nous avions obtenu de                          la dissolution du SCRB a entraîné l’arrêt de plusieurs
la justice une autorisation de perquisition au domicile d’un                        investigations qui n'étaient pas encore finalisées et qui
des frères Kharroubi, frère du PDG de la BCIA, ex-conseiller au                     ont été mises au placard. Les principaux accusés dans ces
ministère de la Justice. Celui-ci s’est présenté au siège du SCRB et                affaires ont été, d’après les policiers, mis à l'abri par certains
a appelé, en présence d’éléments de ce service de police, un haut                   importants responsables politiques.
responsable pour intervenir en sa faveur » expliquèrent-ils. Une
autre enquête fut stoppée avec la disparition du SCRB, « celle
relative à la découverte d’un trafic de faux chèques du Crédit
populaire d'Algérie (CPA), certifiés dans plusieurs wilayas, dont
celles d’Alger, de Blida, de Constantine et d’Oran. L’un de ces faux
chèques certifiés était d’un montant d‘1 milliard de centimes »,
nous confièrent-ils pour illustrer l’importance de cette affaire.

1
  Un scandale financier- blanchiment d'argent, détournements de fonds et dilapidation de deniers publics - toucha en 2003 la Banque commerciale et industrielle
d'Algérie (BCIA).
2
  En Algérie, une Assemblée populaire communale est une mairie.
12   3. LES ENQUÊTES ANTICORRUPTION DU
     DRS ET LA RIPOSTE DE LA PRÉSIDENCE
     (2012-2016)
     À partir de 2012, le Département du renseignement et de la         la corruption après avoir participé à la défaite du terrorisme.
     sécurité (DRS) se lance à son tour dans des enquêtes contre

     DES ENQUÊTES D'HABILITATION NON PRISES EN COMPTE

     Jusqu’à la dissolution du DRS, la nomination de cadres             nomination de Chekib Khelil au poste de ministre de l'Energie,
     supérieurs de l'Etat, parmi lesquels les ministres, était          mais le président de la République n'en tint pas compte. Ce
     précédée d’une enquête d'habilitation de ce service. Les           service jugeait Chekib Khelil trop proche de Washington. Pour
     résultats de cette enquête étaient pris en considération par le    de nombreux observateurs, le non-respect des avis du DRS
     président de la République jusqu'à ce que le clan présidentiel     à l’issue des enquêtes d’habilitation contribua à favoriser la
     décide de réduire leur rôle à un simple avis non contraignant.     corruption à grande échelle en Algérie.
     Le DRS avait notamment émis un avis défavorable à la

     LES POURSUITES CONTRE CHEKIB KHELIL

     Chekib Khelil, ministre de l'Energie considéré proche du           que le DRS s’immiscait dans le fonctionnement de la justice
     président Bouteflika, fut alors accusé dans l'affaire Sonatrach    et des parti politiques.
     et dut démissionner de son poste. Il quitta aussitôt l'Algérie
     pour se réfugier aux États-Unis.                                   Les experts considéraient que le patron du DRS était
                                                                        directement visé car il ne soutenait pas la candidature
     Le 12 août 2013, le procureur général près la cour d'Alger,        d'Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat présidentiel
     Belkacem Zeghmati, lança un mandat d'arrêt contre lui.             en avril 2014. Amar Saidani affirma « le général Toufik n’est
     Mais Chekib Khelil dira n'avoir jamais reçu de convocation.        pas en position de dire oui ou non à la candidature du président
     Pourtant, il confirmera avoir répondu à la convocation du 20       Bouteflika à la prochaine présidentielle ». Il accusa également le
     mai 2012 par le biais d'une lettre manuscrite adressée au          DRS d’avoir fait éclater « le soi-disant scandale de Sonatrach
     juge d'instruction chargé de l'affaire Sonatrach II et parvenue    pour cibler Chekib Khelil, l’un des cadres les plus intègres et le plus
     au parquet le 13 mai 2013, disant ne pas pouvoir répondre          compétents d’Algérie ».
     à ladite convocation. En dépit de sa mainmise sur toutes les
     opérations financières de Sonatrach, Chekib Khelil ne sera         Ces déclarations virulentes d’Amar Saïdani allaient marquer
     jamais cité comme témoin dans ces procès.                          l’histoire. Pour la première fois de l’histoire de l’Algérie, un
                                                                        responsable politique aussi important que le secrétaire
     Le cercle présidentiel fut très en colère contre l'incrimination   général du FLN s’attaquait frontalement et violemment
     de Chekib Khelil dans l'enquête lancée par le département          au chef des services des renseignement. Ces accusations
     d’enquête judiciaire du DRS. C'est à partir de ce moment           de l'ancien patron du FLN contre le chef du DRS furent
     que la présidence se lança dans une guerre contre le service       dénoncées par de nombreux politiciens qui comprirent que
     de renseignement, rappelant étrangement celle lancée en            Mohamed Mediène était victime d’un règlement de compte
     1979 par le président Chadli Bendjedid contre la Sécurité          pour non-acceptation d'un nouveau mandat présidentiel
     militaire (SM).                                                    d’Abdelaziz Bouteflika.

     En janvier 2014, Amar Saidani portait publiquement de              En février 2014, les médias annonçaient que le DRS avait
     graves accusations contre le général Mohamed Mediène. Il           décidé de déposer plainte contre Amar Saidani, arguant que
     accusait le patron du DRS d’avoir échoué dans la mission de        le secrétaire général du FLN « était allé trop loin en accusant le
     garantir la sécurité intérieure du pays, allant jusqu’à affirmer   DRS d’avoir échoué dans sa mission de garantir la sécurité des
13
présidents de la République, en citant l’assassinat de Mohamed                           pour diffamation », précise la presse. Et d’ajouter que Amar
Boudiaf et l’attentat manqué contre Abdelaziz Bouteflika à                               Saidani pourrait encourir de lourdes peines pour attaques
Batna ». Le patron du DRS, en choisissant de porter l’affaire                            contre les corps constitués. Mais le procès n’eut jamais lieu,
devant la justice, signifiait qu’il n’entendait ni polémiquer, ni                        confortant l’hypothèse d'accusations lancées contre le DRS
encore moins justifier son travail et ses attributions. «  Ce                            sur ordre du cercle présidentiel, lequel excellait en matière
sera donc au patron du FLN d’apporter devant la justice, les                             d'empêchement de procès. Amar Saidani était donc chargé
preuves de ses accusations, faute de quoi, il sera condamné                              par le clan présidentiel d'attaquer le DRS.

L'ARRESTATION DU GÉNÉRAL HASSAN

En février 2014, le général Hassan, chargé de la lutte                                   a mis fin ce jour aux fonctions de chef du Département du
antiterroriste au sein du DRS et proche collaborateur de                                 Renseignement et de la Sécurité, exercées par le général de corps
Toufik, est arrêté, accusé de « constitution de groupe armé »                            d’armée, Mohamed Mediène, admis à la retraite », annonça la
et de « détention illégale d’armes de guerre ». De graves                                présidence de la République dans un communiqué daté du
accusations qui auraient pu lui valoir la peine de mort. Il fut                          14 septembre 2015.
aussitôt jugé à huis clos par le tribunal militaire et incarcéré.
Tous les détails de l'affaire ne sont pas connus du grand public                         Mais en décembre 2015, Mohamed Mediène, sortit de son
et les informations de ce dossier sont contradictoires. Si la                            silence et réagit via une lettre adressée à la presse contre
détention d’armes et de munitions semble avérée, certains                                l'arrestation et l’incarcération du général Hassan. C'est une
disent que le général les avait acquises dans le cadre d’une                             première dans l'histoire de l'Algérie contemporaine. Voici le
mission décidée par le DRS, afin d’acheter ces armes en Libye                            texte intégral de la lettre :
avant qu’elles ne soient vendues aux terroristes. Le général
Hassan fut arrêté à son retour en Algérie en leur possession.                            « Consterné par l’annonce du verdict prononcé par le tribunal
                                                                                         militaire d’Oran à l’encontre du général Hassan, et après avoir usé
D'après les experts, le clan présidentiel dirigé par Saïd                                de toutes les voies réglementaires et officielles, j’ai estimé qu’il est
Bouteflika – le frère du président – écartait tous ceux                                  de mon devoir de faire connaître mes appréciations à l’intention
qui étaient opposés au quatrième mandat présidentiel                                     de tous ceux qui sont concernés par ce dossier, ainsi que tous
d’Abdelaziz Bouteflika. Les accusations portées contre le                                ceux qui le suivent de près ou de loin.
général Hassan furent exploitées par les adeptes du « Qui tue
qui ?1 », actifs depuis les années 1990. Ceux-ci s’attachaient                           Le général Hassan était le chef d’un service érigé par le décret
à innocenter les terroristes du GIA et d’Al-Qaïda au Maghreb                             agissant sous l’autorité de mon département. À ce titre, il
islamique (AQMI) de leurs crimes en les imputant injustement                             était chargé d’une mission prioritaire avec des prérogatives lui
aux forces de sécurité. L'achat probable par le DRS d'armes                              permettant de mener des opérations en relation avec les objectifs
libyennes leur permettait d’argumenter en ce sens, en                                    fixés. Les activités de son service étaient suivies régulièrement
détournant la réalité des faits.                                                         dans le cadre réglementaire.

En 2015, le cercle présidentiel entama la dissolution du                                 En ce qui concerne l’opération qui lui a valu l’accusation d’
DRS. C'est au très contesté secrétaire général du FLN,                                   « infraction aux consignes générales », j’affirme qu’il a traité
Amar Saidani – accusé du détournement de trois milliards                                 ce dossier dans le respect des normes et en rendant compte
de centimes du Plan national de développement agricole                                   aux moments opportuns. Après les résultats probants qui ont
(PNDA) – que le clan présidentiel confia la mission de diaboliser                        sanctionné la première phase de l’opération, je l’ai félicité – lui
et d’écarter le patron du DRS, le général Mohamed Mediène,                               et ses collaborateurs – et l’ai encouragé à exploiter toutes les
et de préparer la dissolution des services de renseignement,                             opportunités offertes par ce succès. Il a géré ce dossier dans
via une guerre médiatique comparable à celle que fit le journal                          les règles, en respectant le code du travail et les spécificités qui
étatique Algérie Actualité en 1979.                                                      exigent un enchaînement opérationnel vivement recommandé
                                                                                         dans le cas d’espèce.
Le patron du DRS fut alors abruptement mis à la retraite :
« Conformément aux dispositions des articles 77 (alinéas 1 et 8)                         Le général Hassan s’est entièrement consacré à sa mission. Il a
et 78 (alinéa 2) de la Constitution, Monsieur Abdelaziz Bouteflika,                      dirigé de nombreuses opérations qui ont contribué à la sécurité
président de la République, ministre de la Défense nationale,                            des citoyens et des institutions de la République. Sa loyauté et

1
    Principalement les islamistes et certains médias occidentaux qui attribuaient systématiquement les attentats terroristes à l'armée et à la police.
14
     son honnêteté professionnelle ne peuvent être mises en cause. Il
     fait partie de cette catégorie de cadres capables d’apporter le plus
     transcendant aux institutions qu’ils servent.

     Au-delà des questionnements légitimes que cette affaire peut
     susciter, le plus urgent, aujourd’hui, est de réparer une injustice
     qui touche un officier qui a servi le pays avec passion, et de laver
     l’honneur des hommes qui, tout comme lui, se sont entièrement
     dévoués à la défense de l’Algérie.

     Les médias ont traité abondamment cette affaire en faisant
     preuve de beaucoup d’à-propos, malgré l’absence d’éléments
     d’appréciation officiels. J’ose espérer que mon intrusion
     médiatique, même si elle constitue un précédent, ne suscite pas
     de commentaires qui risquent de la dévoyer et de la détourner du
     but recherché ».
4. LA DISSOLUTION DU DRS                                                                                                                                                           15

ET LA REPRISE EN MAIN DES SERVICES
PAR LE CLAN BOUTEFLIKA (2015-2019)
LES BÉVUES D’UN JOURNALISTE ACCÉLÈRENT LA FIN DU DRS

Hichem Aboud, un ancien officier des services de                                          Le 11 mai 2013, le ministère de la Communication affirma
renseignement algériens était exilé en France car il était en                             qu'il n'avait jamais été question de censure concernant
conflit avec certains généraux algériens. En 2012, il rentre                              les quotidiens Mon Journal et Djaridati d’Aboud Hichem.
en Algérie et créé deux journaux : Mon Journal (version                                   Le ministère n'avait donné aucun ordre de censure et ces
francophone) et Djaridati (version arabophone). Le nouveau                                quotidiens pouvaient continuer à être imprimés par les
code de l'information oblige en effet tout éditeur à créer un                             imprimeries publiques. Selon le ministère, « c'est le directeur
journal arabophone s'il crée un journal francophone. Hichem                               de ces publications qui a initialement accepté de renoncer à
Aboud est soutenu pour ces deux publications par de la                                    leur impression après les observations qui lui ont été faites
publicité étatique émanant de l'Agence nationale d'édition et                             sur le non-respect de l'article 92 de la loi organique relative à
publicité (ANEP).                                                                         l'information ». Aussi, il s’étonnait de la campagne lancée
                                                                                          par le directeur du journal qui avait indiqué que ses journaux
Dans ses deux journaux, Hichem Aboud opta d'emblée                                        avaient été saisis à l'imprimerie1.
pour le sensationnel mais les articles publiés se révélèrent
souvent peu sérieux. L'un d’entre eux allait chambouler la                                Le 19 mai 2013, le parquet général près la cour d'Alger
scène médiatique et sécuritaire de l'Algérie.                                             ordonna des poursuites judiciaires contre Aboud Hichem
                                                                                          pour « atteinte à la sécurité de l'Etat, à l'unité nationale, à la
En mai 2013, le président de la République Abdelaziz                                      stabilité et au bon fonctionnement des institutions ». Il fut
Bouteflika était hospitalisé à l'hôpital militaire du Val de                              également accusé d’avoir tenu des propos tendancieux
Grâce à Paris. Les rumeurs sur le sort du président victime                               tenus sur certaines chaînes d'information étrangères - dont
qu'une attaque cardiovasculaire allaient bon train et l'absence                           France 24 - et serait allé jusqu’à déclarer que « le chef de l'Etat
de communication de la Présidence n'arrangeait pas les                                    est dans un état comateux »2.
choses. Hichem Aboud publia alors une information dans ses
journaux selon laquelle le président était rentré en Algérie                              La fausse information publiée par Hichem Aboud déplu
pour mourir dans son pays. L'information était fausse et le                               profondément à Abdelaziz Bouteflika ni à son frère Saïd.
ministère de la Communication réagit immédiatement face à                                 D'après certains cadres du DRS, dès son retour en Algérie le
« des informations erronées et totalement fausses sur l'état de                           16 juillet 2013, le président aurait demandé qui avait accordé
santé du Président de la République ».                                                    l'accréditation à Hichem Aboud pour la publication de ses deux
                                                                                          journaux et pour la publicité étatique de l'ANEP. Le colonel
Hichem Aboud fut prié de retirer l'information - ce qu'il fit                             Faouzi, responsable de la direction de la communication du
selon lui - et fut attaqué en justice. La publication de ses deux                         DRS fut contraint – peut-être à tort – de prendre sa retraite
journaux fut alors suspendue. L'ancien officier des services                              le 22 juillet et sa direction fut dissoute3.
de renseignement cria à la censure et alerta les médias pour
faire pression sur les pouvoirs publics. L’affaire prit ainsi une
dimension politico-médiatique.

1
  Selon certaines sources, le 2 septembre 2013, Hichem Aboud a été saisi par l'imprimerie étatique pour non-paiement de ses dettes. L'imprimerie d'Alger a refus, de
procéder au tirage des journaux. L'imprimeur a exigé le paiement de toutes les factures en instance concernant ses deux journaux.
2
  Le 6 février 2020, Hichem Aboud, a été condamné par contumace par le tribunal de Tebessa à dix ans de prison ferme et une amende de 100 000 Dinars. Le jour-
naliste Abdessami Abdelhai, qui travaillait comme correspondant dans les journaux de Aboud, a été condamné à trois ans de prison ferme pour avoir aidé Aboud à fuir
en Tunisie via le poste frontalier Bouchebka alors que ce dernier était frappé d'interdiction de quitter le territoire national. Le journaliste a déja purgé deux ans et demi en
détention provisoire.
3
  Fait peu connu hors d’Algérie, la suppression de la direction de la communication du DRS par le clan présidentiel a privé les médias d’une source d’information capitale.
Dirigée par le colonel Faouzi, cette direction de la communication briefait les journalistes lorsque ceux-ci ne maîtrisaient pas les tenants et aboutissants d'importants
événements géostratégiques. Une telle pratique n’est pas propre à l’Algérie et s’observe dans d’autres États. Aujourd’hui, les journalistes, dont très peu ont reçu une
formation aux questions géopolitiques, sont livrés à eux-mêmes, ce qui nuit à la qualité de l’information médiatique. Pourtant, les défis internationaux auxquels l'Algérie
est confrontée sont nombreux : conflit en Libye, terrorisme au Mali, activités de Boko Haram au Nigeria et présence d'AQMI dans la région.
Vous pouvez aussi lire