Carrière morale et itinéraire moral dans les écoles " de dernière chance " : les identités vacillantes Moral careers and trajectories in "last ...
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Document generated on 10/16/2023 8:23 a.m. Lien social et Politiques Carrière morale et itinéraire moral dans les écoles « de dernière chance » : les identités vacillantes Moral careers and trajectories in “last chance” schools. Shifting identities Philippe Vienne Number 53, Spring 2005 Article abstract Two meaning sets provide a comprehensive approach to “last chance” schools Identités : attractions et pièges for students relegated to them. The institution provides a cloistered moral career and a moral trajectory of stigmatisation. These two meaning sets allow URI: https://id.erudit.org/iderudit/011646ar one to understand the students’ identities as a mix of being shut in and the DOI: https://doi.org/10.7202/011646ar feeling of being shut into a closed educational universe and interactions and marking systems that disqualify the students. Games of interaction, cover-ups and miscommunication, strategies for self-presentation or dissimulation of See table of contents one’s biography help to account for students’ shifting and changeable identities. Publisher(s) Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Vienne, P. (2005). Carrière morale et itinéraire moral dans les écoles « de dernière chance » : les identités vacillantes. Lien social et Politiques, (53), 67–80. https://doi.org/10.7202/011646ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2005 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
LSP 53 7/8/05 10:00 AM Page 67 Carrière morale et itinéraire moral dans les écoles « de dernière chance » : les identités vacillantes Philippe Vienne Pourquoi ton chien et ton coq sont-ils à l’attache ? demandé-je. À Sakhaline, tout le monde porte des chaînes, ironise-t-on. C’est l’endroit qui veut ça. Tchekhov, L’Île de Sakhaline Anton Tchekhov a mené sur l’île « carrière morale » du reclus de l’ins- † † également une donne importante de la de Sakhaline (Extrême-Orient russe) titution totale répond donc l’« itiné- † vie quotidienne dans ces écoles; ce une enquête minutieuse sur l’organi- raire moral » du stigmatisé à † principe permet de saisir l’« itinéraire † sation et la vie sociale des bagnards l’identité déclassée. moral » de l’élève stigmatisé au fil de † et colons habitant et tentant de sur- ces stigmatisations (Goffman, 1975). vivre sur cette île moisie, Cayenne La situation des établissements Pour illustrer chacune des grilles de glacée et inculte 1. Ce témoignage « de dernière chance » où j’ai mené lecture en matière d’identité, je † † † nous permettra d’introduire ce qui se mes travaux de terrain 2 mérite, reprendrai des éléments de mon tra- † passe en matière de combinaison de comme celle de Sakhaline d’être vail de terrain (voir l’encadré). « carrière morale » et d’« itinéraire † † † interprétée en fonction de deux prin- moral » dans les établissements sco- † cipes d’intelligibilité au sens de École et institution totale laires de « dernière chance », à la † † Robert Castel (Castel, 1968). Le lumière des théorisations d’Erving premier est l’« institution totale », † † À l’application à l’institution sco- Goffman sur l’institution totale et le qui aide à comprendre l’enferme- laire contemporaine de la théorisa- stigmate. La phrase mise en exergue ment et le sentiment d’enfermement tion goffmanienne sur l’institution est en effet un puissant évocateur de dans l’établissement déshérité, avec totale, on oppose généralement des la situation des habitants de en perspective la possibilité de considérations « techniques » sur la † † Sakhaline, mélange d’enfermement mieux saisir comment se construit nature de cette dernière (Vienne, dans une institution totale étendue l’identité de l’élève selon une « car- † 2003), en soulignant l’ouverture au aux vastes proportions de cette île rière morale » en institution totale † monde de l’école moderne. Si l’école isolée du monde, et de stigmatisa- (Goffman, 1968). Le second est l’en- est « ouverte » (à son environnement † † tions dénigrant leur identité de semble des « stigmatisations quoti- † social et économique, aux parents bagnards ou, à tout le moins, de diennes » qui ont marqué la trajectoire † d’élèves, au quartier, etc.), il n’y a colons de second ordre, relégués sur des élèves entraînés par l’échec vers plus de raisons de faire intervenir une île dont personne ne veut. À la les établissements étudiés, et forment une grille de lecture adaptée à l’étude Lien social et Politiques–RIAC, 53, Identités : attractions et pièges. Printemps 2005, pages 67-80.
LSP 53 7/8/05 10:00 AM Page 68 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 53 des formes scolaires plus anciennes ras de surveillance, agents de sécu- que sont le collège médiéval ou l’ins- rité de sociétés privées) qui pour- Carrière morale et itinéraire moral dans les écoles « de dernière chance » : les identités titution scolaire qu’a connue raient annoncer une relative mise en vacillantes Durkheim 3, car l’« institution totale » † † † forme « sécuritaire », à l’américaine, † † suppose la fermeture au monde de des barrières traditionnelles, histo- l’institution. C’est oublier que riques, entre eux et le monde qui les l’« ouverture » invoquée est essen- † † entoure 5. † tiellement rhétorique 4. † La situation des établissements E1 François de Singly a bien mis en et E2 s’oppose en termes d’architec- évidence au contraire l’actualité ture. Le vaste bâtiment industriel qui d’une grille de lecture en termes abrite E1, ainsi que d’autres espaces 68 d’institution totale dans le cadre sco- d’enseignement, date pour partie des laire, en s’attachant à montrer com- années 1930. Sans préau pour les bien, dans les pédagogies réformistes élèves, il se compose de différentes Observation participante en de type Freinet, on ne chassait l’au- ailes reliées entre elles. À l’arrière du situation d’enseignant à des élèves torité « traditionnelle » que pour † † bâtiment principal, une arrière-cour de terminale professionnelle mieux réintroduire des formes plus isole d’un autre bâtiment plus petit insidieuses de domination, à travers relevant d’une autre école, et d’une Dans ma classe de morale non la psychologisation des relations de zone verte où deux carcasses de voi- confessionnelle de terminale pro- fessionnelle (une vingtaine d’élèves domination. À la férule se substi- tures destinées à appuyer les cours de de sections différentes), ce qui se tuent la « confiance », le « respect † † † pratique professionnelle achèvent de déroulait au quotidien dès le pre- bilatéral » entre maître et élève et la † rouiller. Des barrières Nadar empê- mier cours ressemblait au chahut transparence des sentiments (de chent l’accès par le rez-de-chaussée anomique décrit par Testanière, à Singly, 1988). Mais ainsi s’installe aux échelles d’incendie menant au savoir un désordre chaotique, mené ce qui se rapproche du « totalitarisme † toit du bâtiment. En principe, les par des figures différentes et parfois doux » décrit par Baudry, une domi- † élèves des différentes écoles ne peu- antagonistes au sein des élèves. Il y nation par persuasion invisible, vent entrer que par le hall principal avait bien ces deux élèves au pre- mier rang de la classe, qui avaient inconsciente (Baudry, 1988). La du corps de bâtiment. Les vigiles se cherché à participer au cours dès le « forme scolaire » se transforme mais † † tiennent dans le hall de l’école. La début. Deux élèves qui ont de la l’institution totale comme grille de surveillance des vigiles dans ce hall compassion devant mes problèmes lecture compréhensive permet de est complétée par des dispositifs au avec le reste de la classe, mais qui visualiser la domination qui continue sein du personnel; ainsi, chaque hésitent néanmoins (non sans rai- à se perpétuer sous d’autres atours. matin dans l’établissement E1, de son) à manifester plus clairement manière à éviter les intrusions, il y a leur soutien à mon égard, ou à Pour ma part, a contrario de la prendre ma défense (à cause de la « filtrage » des élèves par un « sas » † † † † thèse très rhétorique d’une ouverture humain de membres du personnel pression des pairs). Un de ces deux toujours croissante de l’école au élèves, William A., d’origine gha- (éducateurs, enseignants, sous-direc- monde qui l’entoure, je soulignerai tion). L’entrée des élèves dans un néenne, anglophone, aux grandes difficultés à s’exprimer en français, le renfermement accentué, sur des goulet d’étranglement entre les prit clairement ma défense au cours aspects matériels et intellectuels, qui vigiles d’une part et les membres du de l’année, et subit apparemment se déroule dans les établissements de personnel d’autre part illustre assez les représailles des autres élèves, « dernière chance » où sont relégués † † bien la césure qui se crée, dans le sans que le personnel sache claire- les « exclus de l’intérieur ». Ces éta- ment ce qui se passait. Parmi les † † regard et l’expérience des élèves blissements, étiquetés comme « diffi- † comme des membres du personnel, élèves «†difficiles†», c’est de ma ciles » (non sans raisons), parfois en relation avec Steve B., qui causait † entre l’école et le monde extérieur. proie à des intrusions de bandes exté- des incidents répétés mais restait isolé, peu suivi par les autres dans rieures, en sont venus dans certains L’établissement E2, construit dans ses tactiques, que je vais parler. cas à mettre en place des dispositifs les années 1970, est de dimensions de contrôle et de surveillance (camé- plus réduites et percé de nombreuses
LSP 53 7/8/05 10:00 AM Page 69 baies vitrées; autour du bâtiment élèves 6. Une autre « porte » se ferme † † † pour toutes les questions de sur- s’étendent un préau, des espaces donc entre les établissements et le veillance et de contrôle (y compris sportifs et une zone verte. Une grille monde qui les entoure. L’attitude des physique) des élèves, que les ensei- entoure l’école, et les élèves ne peu- parents vient compléter le tableau de gnants ont abandonnées. C’est la part vent entrer que par la porte grillagée, cette fermeture : aux injonctions croissante du gardiennage dans les qui est contrôlée par ouverture élec- actuelles de « participation » des † † établissements scolaires qu’il faut trique en dehors des heures d’arrivée parents d’élèves à la vie d’un établis- retenir, représenté dans l’exemple et de départ des élèves. Un éducateur sement (visant toujours à y « amélio- † précédent par des vigiles qui assu- « filtre » quelquefois les arrivées à † † rer » le climat relationnel) ne répond † ment la sécurité dans une école cette porte, en contrôlant aussi la qu’une très faible implication des publique qualifiée par Devine présence du journal de classe, docu- parents dont la distance sociale et cul- d’« institution disloquée ». En utili- † † ment qui faisait l’objet d’un trafic turelle avec le monde de l’école est la sant le terme « gardiennage », † † amusant : les élèves se repassaient le plus grande. Peu habitués aux codes et Goffman avait dénoncé l’hypocrisie 69 même document par la grille et langages de l’école, ces parents hési- du système psychiatrique des années empêchaient ainsi l’information les tent à en emprunter la porte, et ne sont 1950. À ses yeux, le « rangement » † † concernant d’être portée dans ce sollicités que trop tard, généralement des malades dans l’hôpital est une journal à l’attention des parents. lorsqu’il s’agit d’acter la situation de fonction officieuse de cette institu- quasi-exclusion de l’établissement de tion, simplement destinée à mettre à Mais à cette fermeture matérielle, l’écart des êtres désignés comme les leur enfant. L’absence des parents ren- défensive des deux établissements à « mauvais produits » d’un système l’égard de l’environnement, qui va se force la dualité d’un tableau du social † † où deux catégories seulement se ren- social, mais impuissante à les « soi- † radicalisant, s’ajoutent toutes sortes de gner » et à les « réhabiliter » comme fermetures intellectuelles. La question contrent et s’opposent : les élèves et le † † † personnel. le suppose la mission officielle de des sorties éducatives ou ludiques l’hôpital (Goffman, 1968 : 121, avec les élèves en est un premier Les « ingrédients » de l’institution † † 406) 8. † exemple. Les incidents répétés qui se totale sont à présent réunis : à une sont déroulés lors des sorties et fermeture relative au monde qui Le gardiennage revient comme voyages avec les élèves ont érodé la entoure l’institution 7 s’ajoute une † notion majeure à l’heure actuelle bonne volonté des membres du per- autorité exercée par le personnel pour éclairer ce qui se déroule dans sonnel scolaire qui les organisent et y d’encadrement sur les usagers de les établissements scolaires de for- engagent leur responsabilité. Aussi, l’institution. Ces deux caractéris- tune. Après l’écroulement de leurs malgré l’idée répandue au sein du per- tiques, que j’isole parmi d’autres aspirations et carrières scolaires, les sonnel que les sorties sont « bonnes » † † citées par Goffman, sont celles que élèves qui arrivent dans les établisse- pour le climat relationnel avec les l’on peut considérer comme essen- ments « de dernière chance », « forte- † † † élèves, elles sont abandonnées pro- tielles au type idéal qu’est l’institu- resses » défensives, se heurtent à une † gressivement. Ensuite, ce qui est plus tion totale. Elles peuvent nous aider situation scolaire où la relative grave, vient la faillite de l’organisation à comprendre la vie sociale des éta- faillite du projet d’enseignement 9 † des stages en milieu professionnel. blissements déshérités, et à voir conduit, au pire à des activités occu- Leur population étant composée comment se construit l’identité des pationnelles où les élèves sont sur- d’élèves relégués, rassemblés de élèves dans cet univers cloisonné. veillés dans la mesure du possible, manière homogène dans une origine au mieux à une socialisation où marocaine commune, ces établisse- École et gardiennage l’éducatif l’emporte sur le scolaire. ments se heurtent à des refus très clairs L’absentéisme d’une partie des mais uniquement officieux de la part L’anthropologue américain John enseignants vient renforcer cette des dispensateurs de stages (banques, Devine a bien mis en évidence un situation de gardiennage. Les élèves chaînes de montage, etc.). Qui pour aspect qui me semble crucial dans arrivent le matin à l’école pour des raisons de « visibilité auprès des † cette vie sociale (Devine, 1996), en apprendre que leur professeur ne clients », qui pour des raisons de délit † évoquant le rôle des agents de sécu- viendra pas (le tableau des absences de faciès (racial profiling), ces der- rité qui, dans les écoles newyor- est généralement rempli). Un niers refusent d’accueillir leurs kaises, se subrogent aux enseignants dilemme se pose alors pour les res-
LSP 53 7/8/05 10:00 AM Page 70 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 53 vie sociale d’un univers scolaire fication planifiée par l’institution tournant autour de deux réalités quo- totale pour asseoir sa domination sur Carrière morale et itinéraire moral dans les écoles « de dernière chance » : les identités tidiennes : l’enfermement et le senti- les reclus pèse sur les identités de ces vacillantes ment d’enfermement. Les allusions à derniers, modèle ces identités par cette fermeture sont malheureuse- cette pesanteur envahissante et ment laissées en jachère dans la litté- tyrannisante de l’institution (les rature sur le système scolaire et ses reclus subissent également la tyran- « violences » éventuelles. Or l’image † † nie les uns des autres). La « bienve- † de la prison, présente dans le regard nue » décrite par Goffman en est un † des élèves sur leur établissement, est très bon exemple, car l’accueil ritua- fondamentale pour qui veut com- lisé du nouveau reclus, dans les céré- prendre ce qui se joue là en matière monies organisées par le personnel 70 de construction des identités, tant d’encadrement, est destiné à bien lui pour les élèves que pour le person- faire comprendre qu’il a quitté le nel. Pour reprendre une image que monde extérieur, et qu’il intègre ponsables de l’établissement. Libérer Goffman avait associée dès 1957 à l’univers de l’institution. La cérémo- les élèves conduit souvent à des l’institution totale, mais qui n’est pas nie met en scène à la fois la dualité plaintes et répercussions négatives reprise dans son ouvrage Asiles, ils entre le monde extérieur et l’univers venant de l’extérieur (les élèves ont sont un peu comme dans une serre de l’institution, et la dualité (ainsi provoqué des incidents dans le où s’exerce une pression institution- que la distance à maintenir) entre métro, etc.). Les conserver au sein de personnel et reclus; le nouvel usager nelle, un sentiment d’oppression l’établissement implique de les occu- devra acter cette dualité. pèse sur ceux qui partagent l’institu- per durant les plages vacantes de la tion, ils ressentent la pression quasi journée scolaire, qui commence Un rapport de force s’établit, dans palpable, atmosphérique, d’un uni- farouchement à ressembler à un le cadre de cette « bienvenue », entre vers cadenassé (Goffman, 1957). On † † gruyère. Et ils sont alors confiés aux le personnel et le nouveau venu qui reconnaît cette pression dans le dou- membres les plus subalternes du per- « fait ses débuts ». Pour installer dès loureux témoignage d’un chef d’éta- † † sonnel (les aides-éducateurs) 10, par les premiers instants la pesanteur de † blissement interviewé par Balazs et une délégation du « sale boulot » l’institution sur le reclus, un † † Sayad (1991), réduit au rôle de (dirty work) qu’a très bien perçue dépouillement de ce dernier est orga- concierge pour défendre l’accès de Everett Hughes dans différents envi- nisé. Ses effets personnels lui sont l’école aux intrus (y compris physi- ronnements professionnels (Hughes, retirés et il devra endosser dans cer- quement), vivant coupé de sa 1996). La « surveillance » de ces tains cas l’uniforme de l’institution. † † famille, aux aguets dans son institu- élèves devient vite un piège aux J’ai vu dans ce cadrage théorique la tion, en proie à l’amertume et au mâchoires acérées pour le membre possibilité de donner une autre désarroi. La situation de ce principal du personnel qu’on a affecté à cette lumière à une épineuse probléma- est très significative de cette image tâche. Plus généralement, en posant tique de terrain. Certains règlements de « serre » ou de « prison », qui vaut † † † † un regard sans œillères sur les scolaires d’autorités locales, par aussi pour les élèves et les membres filières de relégation, il est raison- souci de correction vestimentaire, du personnel gagnés par le sentiment nable de se demander si, tel l’« asile » prohibent le port du survêtement de † † d’être pris au piège. dénoncé par Goffman, l’école de la sport (le « training »). Parmi les † † relégation ne devient pas un lieu de La carrière morale « petits rituels » du matin, lorsque le † † « rangement » où parquer les « mau- † † † personnel met en place son sas vais produits » du système scolaire † Le concept central de Goffman humain destiné à filtrer les élèves, en attendant mieux. pour décrire l’expérience du reclus une vigilance se manifeste en dans l’institution totale est la car- matière d’apparence vestimentaire Le gardiennage ainsi révélé, terri- rière morale, à savoir ce qui se des élèves, et celui qui viendrait vêtu blement palpable à certaines heures construit comme identité dans les d’un « training » serait invité à rentrer † † de la journée (comme lors des sur- limites de ce « monde enfermé à l’in- † chez lui pour s’habiller autrement. veillances), s’inscrit au cœur de la térieur d’un autre monde ». La morti- † Cette mesure entraîne bien sûr son
LSP 53 7/8/05 10:00 AM Page 71 lot de défis envers l’autorité, quand comme dispositif de mortification, drogué », « Regardez M’sieur, il a les † † ils arrivent par provocation dans coupant ainsi un peu plus profondé- yeux tout rouges », « Il deale », etc. En † † † cette tenue, ou, comme cela arriva un ment les élèves des attributs valori- réponse, Steve ricane, ne dément pas et jour à un collègue enseignant, quand sés, notamment vestimentaires, de en rajoute même par des remarques l’élève décide de se déshabiller en leur vie quotidienne à l’extérieur des délirantes : « Et si on donne du LSD à † classe pour enfiler triomphalement murs de l’école, pour leur assigner une vache, M’sieur ? ». Les autres † son « training » devant les pairs et † † les emblèmes déclassés de leur « pri- † demandent : « C’est quoi du LSD ? ». † † l’enseignant. Mais cette interdiction son » scolaire. † On me demande régulièrement le d’une tenue valorisée par les élèves même jour : « Et vous M’sieur, vous † d’origine populaire, considérée par Pour faire face à la mortification fumez du shit ? ». « Ouais, il a une tête † † le personnel comme « sale » ou au † † institutionnelle, les reclus mettent en à fumer, le prof. » Dans ce registre de † moins inconvenante, peut aussi se place différentes stratégies d’adap- provocation qui ne se limite pas à la lire comme un des dispositifs de tation, sériées par Goffman. On thématique de la consommation de 71 mortification mis en place par l’insti- remarque, dans ce cadre, l’impor- drogues douces, mes élèves avaient tution scolaire. En interdisant aux tance d’un binôme « histoire de ses † aussi insisté lourdement sur leurs élèves certains ports vestimentaires malheurs-histoire d’une réussite » † « petits ennuis » répétés avec la justice † † qu’ils considèrent comme pleine- dans les discours que le reclus tient et la police, se donnant une image de ment légitimes voire valorisants, au personnel : selon son auditoire, il « durs », mais refusant de me donner † † l’institution scolaire les dépossède peut alterner entre une vision triste et plus de détails. Leur fascination non de manière injuste à leurs yeux. tragique de sa trajectoire (sad tale), dissimulée pour les figures « légen- † destinée à susciter la compassion, et daires » du grand banditisme, leurs † À l’interdiction du survêtement de une version magnifiée et valorisée rodomontades en la matière (« Eh † sport s’ajoute une imposition. Dans (une apologie), destinée à susciter M’sieur, si vous me donnez 5000 l’établissement E1, où des filières l’envie et l’admiration. De même, francs je vous trouve une arme à feu professionnelles « lourdes » impli- † † au sein des élèves, selon l’interlocu- dans les 24 heures ») composent égale- † quent le travail en atelier, le « bleu de † teur du moment et les conditions de ment l’histoire d’une réussite contée travail » devient l’uniforme néces- † l’interaction, le reclus présente sa au professeur par provocation, qui saire, obligatoire, pour la sécurité de biographie stratégiquement : il expri- conteste le système de valeurs que l’élève devant la machine. Or, et les mera des regrets à propos d’un inci- l’enseignant est censé représenter, en situations française et belge sem- dent, en insistant par exemple sur la imposant des constructions biogra- blent marquées par la même réalité, sad tale d’une trajectoire d’échec à la phiques et tout un légendaire opposés à les élèves se rebellent contre cette fois social et scolaire, ou magnifiera ce système. Cette apologie est donc en injonction en détruisant, modifiant à l’égard de ses pairs les mêmes partie une fiction, une construction ou perdant le bleu de travail, se aspects de sa trajectoire. Ce qui est stratégique, qui ne se rattache pas débarrassant ainsi d’un attribut destiné à susciter la pitié chez les uns nécessairement à des éléments réels de déclassé, symbole de leur aboutisse- est retourné stratégiquement pour leur biographie. ment dans une filière d’enseigne- susciter l’admiration des pairs, le ment non souhaitée au départ. reclus insistant par exemple sur ses Cette valse des éléments biogra- Comme Béaud l’a montré, c’est conduites de défi envers l’autorité ou phiques finit par engendrer une aussi le refus du « destin d’ouvrier » † † sur le cumul d’un grand nombre méfiance viscérale chez certains pour des enfants d’ouvriers qui n’ont d’exclusions d’établissements. membres du personnel quant à la jamais choisi ces filières en connais- véracité des « histoires », qui com- † † sance de cause. Le refus du « bleu de † Les histoires d’une réussite portent effectivement déformations travail » est le refus de l’emblème du † et mises en boîte destinées à « tester » † † destin scolaire qu’ils refusent d’assu- Steve B. se faisait « chambrer » † † leurs réactions. Cette méfiance est mer (Béaud, 1996). Mais à cette vue, régulièrement par ses pairs. Dès mon accentuée par une relation de dualité qui concorde avec les théorisations premier cours, les petites provocations et de distance fortement ancrée entre de Bourdieu, peut s’ajouter une vue que lancent les autres élèves pour dis- personnel et élèves; il peut d’ailleurs plus institutionnelle de la situation, traire l’attention se dirigent en partie être stratégiquement nécessaire de où l’uniforme imposé intervient vers lui : « Untel fume du shit, c’est un † montrer, dans les interactions avec
LSP 53 7/8/05 10:00 AM Page 72 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 53 la mesure où les reclus ont « très peu † dernière demi-heure, une discussion à perdre en matière de réputation et un peu échevelée s’ensuit où Steve, Carrière morale et itinéraire moral dans les écoles « de dernière chance » : les identités de droits », ils peuvent se permettre † sans vraiment « participer », lance † † vacillantes de telles libertés de conduite des déclarations sur la misère, sur la (Goffman, 1968 : 221-223). « merde » qu’on vit « autour de lui », † † † † et ce faisant me dénie le droit de par- Steve B., seul contre tous ler de cette misère : « Vous ne com- † prenez pas le monde avec tous vos Une scène se déroulant dans ma diplômes »; « Vous n’avez jamais été † † classe permettra d’illustrer conjoin- dans la merde. Ou alors c’était parce tement l’apathie civique et une sad que vous n’avez pas reçu votre mois tale d’élève. Avec Steve B., les inci- chez vos parents ». J’abonde alors † dents vont augmenter en importance 72 dans son sens parce que je sais que au cours de l’année, les insultes et les c’est de lui qu’il est en train de par- menaces succédant au tutoiement ler, et que le fait de parler le soulage les élèves, que l’on n’est « pas † répété par provocation. Durant le sans doute, même s’il ne veut pas le dupe », que l’on « ne marche pas », † † † ramadan, à l’heure où je donne cours reconnaître. En effet, Steve parle en même si quelquefois la véracité des (de morale non confessionelle, je termes généraux, comme s’il ne histoires ne peut être mise en doute. précise) au seul élève présent s’agissait pas de lui, mais c’est bien Entre le vrai et le faux, et avec cette (William), entre soudain dans la son histoire qu’il est en train de me méfiance institutionnalisée, un classe, très en retard (trop) et assez raconter. Je laisse s’écouler cet exu- brouillage dans la communication se bravache, Steve, qui s’installe sans toire. Il me présente ainsi son met en place. faire attention à mes remarques et « idéal » de vie, où il est seul, où il ne † † fait mine de ne s’adresser qu’à Goffman a montré que cette mise peut faire confiance à personne et où William, pour lui demander par en doute systématique des « his- il s’en sortira seul contre tous : « Moi † † exemple combien il a acheté son toires » et leur recomposition selon je crois à la volonté. Je m’en sortirai † « portable ». Lorsque je le menace tout seul, je n’ai besoin de per- † † l’auditoire pouvaient créer dans une dernière fois en lui demandant l’univers social de l’institution sonne »; « Quand vous êtes vraiment † † de sortir de mon cours à cause de son totale une sorte d’apathie civique. dans la merde, il n’y a plus personne retard, il exhibe triomphalement un L’institution favorise l’émergence autour de vous ». Je fais mine de † mot du secrétariat justifiant son d’un « contexte moral peu sérieux » l’écouter avec sérieux mais peu à peu † † retard. Je le renvoie au secrétariat, et où se construire un « moi » et le voir son discours, cette rage contenue me † † durant l’absence de Steve, William détruire devient une espèce de jeu plonge dans un profond malaise. Le m’explique que ce que fait Steve est cynique. Et voir cela comme un jeu, désespoir anonyme qui sort de cet scandaleux, et que jamais en Afrique selon l’auteur, c’est en quelque sorte élève me renvoie moi-même à un les choses ne pourraient se passer perdre le sens moral tant l’emprise sentiment de détresse. J’en viens à comme ça : « Si, dans la rue, je me me demander, la gorge serrée, mais † du jeu devient prépondérante. conduis mal, n’importe qui pourrait qu’est-ce que je fous ici ? Puisque le « moi » est ouvert à tous, † † me frapper, même pas quelqu’un de visible, qu’il n’est plus protégé des ma famille ». Lorsque Steve revient, † Je dirai que ces aspects de la car- regards, le reclus éprouve une lassi- un quart d’heure plus tard, je conti- rière morale se retrouvent au moins tude morale, un relâchement tel qu’il nuais un cours sur les attentats en germe dans l’institution scolaire lui est difficile de prendre le monde racistes contre les Tsiganes commis défavorisée. Faute de sens à investir de l’institution au sérieux. C’est dans en Autriche. Steve, en faisant moins dans leur scolarité, faute de légiti- ce contexte que peut apparaître de la mine de me défier, se met alors à par- mité à lui reconnaître, et dans le part des « malades » en hôpital psy- † † ler un peu comme si je n’étais pas là, cadre de ce sentiment d’échec et chiatrique une sorte de désinvolture en monopolisant l’attention, pour d’humiliation que l’École peut faire associée à un humour macabre, qui causer « bagnoles » avec William. Je † † subir, certaines situations de conflit les pousse à tenir tête au personnel et rappelle William à l’ordre en disant ou de retrait des élèves en établisse- à retourner insulte pour insulte. Dans que le cours continue et, durant la ment scolaire défavorisé peuvent
LSP 53 7/8/05 10:00 AM Page 73 être lues dans les termes utilisés par l’occupation officieuse d’espaces magnétique » du décrochage scolaire. † Goffman, qui parlait d’« apathie † réservés à la sociabilité des élèves, Les élèves y trouvaient une sociabilité civique » et de « lassitude morale » † † † hors de la vue et du contrôle du per- ludique et bruyante, y téléphonaient des reclus. sonnel, est une manière de réinventer avec leur « portable » et, systématique- † † la vie scolaire à ses propres fins, de ment, se faisaient renvoyer du cours Mais au-delà de cette réponse du « détourner » l’institution (working † † ou arrivaient en retard afin de rega- reclus à la mortification institution- the system) à son avantage, comme gner cet espace devenu très plaisant à nelle, il faut encore considérer deux l’indique Goffman lorsqu’il parle leurs yeux. autres de ses tentatives pour contrer notamment de la « géographie de la † l’emprise de l’institution et s’y assu- liberté » recréée par les patients psy- † Nous voyons que les élèves s’ap- rer une « survie ontologique », à † † chiatriques qui détournaient les proprient ainsi l’institution bien autre- savoir l’installation dans l’institution espaces de leur fin institutionnelle, ment que dans les termes « idéaux » † † totale et l’existence d’une vie clan- en y créant des zones franches hors prônés par les pédagogies de « partici- † 73 destine au sein de cette dernière. de la vue et du contrôle du personnel. pation » des élèves à la vie scolaire. Et † il peut arriver qu’à force de se réap- Commençons par la seconde pro- Ainsi, l’établissement E1 fournit proprier l’institution en la réinventant, position. Goffman présente la « vie † deux illustrations de la « vie clandes- † les élèves s’y « installent ». C’est tout † † clandestine » (underlife) comme † tine ». Dans les cours de mécanique † le domaine de l’installation du reclus l’ensemble des « adaptations secon- † garage, les élèves peuvent utiliser leur au sein de l’institution totale qui nous daires » des reclus à l’institution † propre véhicule pour le cours et y arrêtera ici. Pour commencer, on ne totale. Il existe à mon sens une vie engager des réparations. Ils manifes- saurait trop rappeler la fugacité des clandestine dans les établissements tent alors plus de bonne volonté, trou- trajectoires d’élèves dans les écoles scolaires étudiés, qui vient de l’accu- vant dans le cours un avantage direct à considérées. Le directeur de l’établis- mulation de ce qui peut être défini retirer. L’enseignant qui offre ce « petit † sement E2 avait fait le calcul statis- comme l’ensemble des résistances et service » aux élèves introduit dans † tique qu’un élève passait en moyenne adaptations introduites par les élèves l’institution totale ce que Goffman deux ans seulement dans son école. pour lutter contre l’emprise morti- appelle « relation de patron à pro- † Des flux d’élèves entrant dans ces éta- fiante de leur univers scolaire. tégé ». Par ailleurs, les élèves † blissements et en sortant rapidement Puisque les carrières scolaires ont s’étaient approprié le sous-sol de (par échec ou exclusion) sont donc à perdu une bonne partie de leur sens l’une des ailes du bâtiment, où ils considérer. Il arrive qu’un élève pour ces « exclus de l’intérieur », il pouvaient boire, manger et fumer à † † contraint de quitter l’institution ne leur reste, comme l’ont montré l’abri du contrôle du personnel. Le trouve une « place » que dans un éta- † † Bourdieu et Champagne, à « tuer le † personnel de nettoyage se plaignait de blissement de réputation encore plus temps » passé au sein de l’institution, † traces de miction dans ce sous-sol. Les dégradée. Si la « greffe » prend mal, † † notamment en réintroduisant des élé- surveillants-éducateurs y faisaient par- l’élève peut revenir, pour supplier par ments de la vie quotidienne hors des fois une « descente », mais une sorte de † † exemple le personnel ou la direction murs de l’école qui deviennent d’au- tolérance informelle à l’égard des de le « reprendre », de lui laisser une † † tant plus légitimes que l’école perd élèves s’était peu à peu installée. seconde chance. On trouve régulière- en comparaison de sa légitimité ment dans les couloirs de l’école de (Bourdieu et Champagne, 1992). Dans l’établissement E2, c’est le ces « petits fantômes », incapables † † Mais à cette approche en termes de hall d’entrée de l’établissement qui d’intégrer leur nouvel établissement, système scolaire dégagée par les avait été « occupé » par les élèves. Les † † et revenant comme aimantés vers leur deux auteurs se combine une réalité élèves arrivés en retard ou renvoyés école de départ. plus institutionnelle, celle d’un uni- du cours étaient installés dans un vers scolaire fermé au monde, où il même espace, le « local-retrait », sous † † Goffman a très bien rendu cette devient nécessaire pour les élèves de la surveillance d’un aide-éducateur. situation au sein de l’institution totale se créer un univers qui leur est Cet espace ainsi que le hall attenant en parlant de l’« installation » des † † propre pour contrebalancer la morti- était rapidement devenu, quand je l’ai reclus. S’adapter à l’univers de l’insti- fication institutionnelle, afin d’assu- connu au cours de ma première année tution, acquérir les « trucs » et † † rer leur survie ontologique. Dès lors, d’observation, une sorte de « carrefour † « ficelles » qui permettent d’y survivre † †
LSP 53 7/8/05 10:00 AM Page 74 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 53 établissements déshérités soulève à considérant quatre formes de stigma- la fois celle de ce qui s’est construit tisations à l’œuvre dans les établisse- Carrière morale et itinéraire moral dans les écoles « de dernière chance » : les identités au fil de ces passages négatifs et ments étudiés : vacillantes rapides d’un établissement à l’autre, par les échecs et les exclusions, et 1. Une stigmatisation « tribale » au † † celle de ce qui se déroule au quoti- sens de Goffman (« ethnique » au † † dien dans les établissements de « der- † sens de Bourdieu), qui peut prendre nière chance » en matière de † les aspects outrés du racisme. stigmatisations. Rappelons que 2. Un autre groupe de deux stig- Goffman définit le stigmate comme matisations essentiellement sco- la situation de l’individu que quelque laires, ayant trait à la disqualification chose disqualifie et empêche d’être des élèves par le personnel sur des 74 pleinement accepté par la société. critères de performances scolaires et Nous préférons à cette définition le de comportements adéquats dans le caractère dynamique du processus cadre scolaire. au mieux demande du temps, de la social relationnel qu’est la stigmati- ruse, des efforts. Perdre cet univers de sation. On peut définir celle-ci à tra- 3. Une quatrième forme de stig- référence que l’on a fini par conqué- vers l’interrelation entre les trois matisation, que nous n’examinerons rir, avec lequel l’on s’est familiarisé, identités définies par Goffman : pas ici, concerne la disqualification représente sans doute une « cassure » l’identité sociale, l’identité person- que les élèves font subir aux † † considérable dans la trajectoire des nelle et l’identité pour soi. C’est en membres du personnel sur des cri- reclus. Goffman montre ainsi que la définitive un élément de l’identité tères ayant trait à la virilité (Vienne, « réintroduction » (et l’éventuelle personnelle (ce que l’on est de 2005b). † † « réhabilitation ») dans la « vraie vie », † † † † manière visible, ce qui se dégage de au-delà des murs de l’institution, peut quelqu’un comme signes) qui vient Je ne m’étendrai pas sur la forme poser de sérieuses difficultés au bouleverser l’identité sociale vir- « tribale » de la stigmatisation 11, qui † † † reclus, qui perd ses repères familiers tuelle (le rôle que l’on était censé concerne le domaine qualifié par et tâche donc quelquefois de retourner incarner aux yeux du public), disqua- Dannequin (1999) de « remarques et † vers le monde mieux connu qu’il a dû lifiant la personne en révélant son comportements racistes et ségréga- quitter. Les « petits fantômes » sco- † † identité sociale réelle dépréciée (ce tifs ». Ces disqualifications cultu- † laires que j’ai décrits sont dans la que l’on devient alors réellement aux relles ne sont évidemment pas le seul même situation limitrophe. Ils ont yeux du public); ce processus fait de membres du personnel à perdu l’univers avec lequel ils engendre des conséquences domma- l’égard des élèves mais peuvent éga- s’étaient familiarisés, reconstruisant geables pour l’identité pour soi ou lement, en miroir, aller des élèves au un « pauvre » royaume en « réadap- † † † identité sentie (ce que l’on ressent de personnel, ou encore se manifester tant » ces écoles à leur meilleure † ce que l’on est) de la personne stig- entre les élèves, lorsque ces derniers convenance. Il leur faudra éventuelle- matisée (Goffman, 1975 : 73-74 et se repèrent et se désignent par leurs ment construire une adaptation à leur 127-128). « origines » différentes (dans le † † nouvel univers de référence, prendre registre connu du « sale » : sale † † le temps d’en découvrir les « trucs » et † † L’application des stigmatisations arabe, sale juif, noir, Belge…). Les « ficelles », les ruses avec le person- † † comme principes d’intelligibilité des stages refusés aux élèves sont un nel, les jeux sur les espaces. N’est-il interactions et jugements scolaires est prolongement de ces stigmatisations. pas alors plus commode, plus rassu- un domaine largement défriché par Claudine Dannequin. Les travaux Goffman ne retient au sein du rant, de tâcher de regagner l’univers sociologiques réalisés dans le prolon- monde scolaire que les stigmatisa- perdu ? gement de l’œuvre de Bourdieu reflè- tions nées de l’ostracisme des pairs. Les stigmatisations dans l’école tent également un intérêt pour le Cette perspective limitée innocente « stigmate scolaire » inspiré des théo- † † l’institution scolaire, car elle ne tient La question de la trajectoire sco- risations sur la « reproduction ». Il est † † pas compte des jugements scolaires, laire qui conduit les élèves vers ces possible d’unifier ces perspectives en dont Bourdieu a relevé l’ethnocen-
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