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Mémoires du livre
Studies in Book Culture

« Ce n’est pas tous les jours qu’une étudiante a la chance
d’écrire à un auteur » : lettres d’admiratrices et d’admirateurs
dans les archives de Marie‑Claire Daveluy (1880-1968)
Louise Bienvenue

Volume 12, Number 2, Fall 2021                                                      Article abstract
Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et                      The Marie‑Claire Daveluy archives, held at Library and Archives Canada (LAC),
histoire de l’imprimé                                                               attest to the important influence of this historian and woman of letters, but
Refusing to Forget. Amongst Men. Women, Archives and Studies in                     also to the bond that connected her to her readers. Discovered in the archives
Print History                                                                       thanks to precise archival indexing, letters from admirers, both male and
                                                                                    female, invite the idea of stardom into the analysis of her literary trajectory.
                                                                                    Written between 1935 and 1966, the letters give rare access to the voice of
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1089045ar
                                                                                    young readers and contribute to a better understanding of their rapport with
DOI: https://doi.org/10.7202/1089045ar
                                                                                    books and with reading. Revealing the reasons for the devoted admiration of
                                                                                    Daveluy, this sub‑corpus also illuminates for us the conditions that enabled the
See table of contents                                                               crystallization of her auctorial stardom in the particular context of the 1940s, a
                                                                                    time when she is present in various communication media. Finally, with
                                                                                    regard to the issue of gender, these letters provide insight into ways young
Publisher(s)                                                                        female readers identified with this unmarried woman who knew how to carve
                                                                                    out a place for herself in a man’s world.
Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec

ISSN
1920-602X (digital)

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Bienvenue, L. (2021). « Ce n’est pas tous les jours qu’une étudiante a la chance
d’écrire à un auteur » : lettres d’admiratrices et d’admirateurs dans les
archives de Marie‑Claire Daveluy (1880-1968). Mémoires du livre / Studies in
Book Culture, 12(2), 1–29. https://doi.org/10.7202/1089045ar

© Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec, 2022                    Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
                                                                                   services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
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                                                                                   This article is disseminated and preserved by Érudit.
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                                                                                   l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
                                                                                   Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                                   https://www.erudit.org/en/
" Ce n'est pas tous les jours qu'une étudiante a la chance d'écrire à un auteur " : lettres d'admiratrices et d'admirateurs dans les archives de ...
« “CE N’EST PAS TOUS LES JOURS
         QU’UNE ÉTUDIANTE A LA
         CHANCE D’ÉCRIRE À UN
         AUTEUR” » : LETTRES
         D’ADMIRATRICES ET
         D’ADMIRATEURS DANS LES
         ARCHIVES DE MARIE-CLAIRE
         DAVELUY (1880-1968)1

                                                                                 Louise BIENVENUE
                                                                                Université de Sherbrooke

         Le fonds d’archives de Marie-Claire Daveluy, conservé à Bibliothèque et Archives
         Canada (BAC), atteste de l’important rayonnement de cette femme de lettres et
RÉSUMÉ

         historienne, mais aussi du lien qui la rattachait à ses lecteurs et lectrices. Découvertes
         dans le fonds grâce à la précision du travail d’indexation archivistique, des lettres
         d’admirateurs et admiratrices permettent d’introduire la notion vedettariat dans
         l’analyse de cette trajectoire littéraire. Ces lettres, rédigées entre 1935 et 1966,
         donnent un rare accès à la voix des jeunes lecteurs et lectrices et favorisent une
         meilleure compréhension de leur rapport au livre et à la lecture. Dévoilant les motifs
         de l’admiration qu’on vouait à Daveluy, ce sous-corpus nous éclaire aussi sur les
         conditions de cristallisation de son vedettariat auctorial dans le contexte particulier
         des années 1940 où elle est présente dans différents médias de communication.
         Enfin, s’agissant de l’enjeu du genre, les lettres permettent d’entrevoir le travail
         d’identification des jeunes lectrices à cette demoiselle qui avait su se tailler une place
         dans un monde d’homme.

                                                                                                           1
         Vol. 12, n° 2 | Automne 2021
         « Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
" Ce n'est pas tous les jours qu'une étudiante a la chance d'écrire à un auteur " : lettres d'admiratrices et d'admirateurs dans les archives de ...
The Marie-Claire Daveluy archives, held at Library and Archives Canada (LAC),
ABSTRACT   attest to the important influence of this historian and woman of letters, but also to
           the bond that connected her to her readers. Discovered in the archives thanks to
           precise archival indexing, letters from admirers, both male and female, invite the
           idea of stardom into the analysis of her literary trajectory. Written between 1935 and
           1966, the letters give rare access to the voice of young readers and contribute to a
           better understanding of their rapport with books and with reading. Revealing the
           reasons for the devoted admiration of Daveluy, this sub-corpus also illuminates for
           us the conditions that enabled the crystallization of her auctorial stardom in the
           particular context of the 1940s, a time when she is present in various communication
           media. Finally, with regard to the issue of gender, these letters provide insight into
           ways young female readers identified with this unmarried woman who knew how to
           carve out a place for herself in a man’s world.

           Mots-clés
           Femmes, autrices, archives littéraires, lecteurs, jeunes, célébrité

           Keywords
           Women, female authors, literary archives, readers, youth, celebrity

           En amorce à cette réflexion sur les archives de la femme de lettres
           Marie-Claire Daveluy (1880-1968), j’aimerais relater une scène de la vie
           quotidienne, survenue il y a trois ans environ. J’étais à la Société de l’assurance
           automobile, patientant pour la réception de mon nouveau permis de conduire,
           quand je croise au hasard une collègue historienne retraitée. Nous engageons
           la conversation, heureuses d’échapper à la monotonie de l’attente. Comme je
           tenais entre les mains un livre de Marie-Claire Daveluy, L’Orphelinat catholique
           de Montréal, j’informe mon interlocutrice de mon intérêt pour la carrière de
           cette écrivaine et historienne2. « Est-ce que tu la connais ? », lui dis-je. « Si je
           connais Marie-Claire Daveluy ! », me répond-elle énergiquement. « J’ai dévoré
           toute sa série des Perrine et Charlot quand j’étais petite. C’était une véritable
           vedette en son temps ! », insista-t-elle pour marquer le coup.

           « Une vedette » ? Le mot de ma collègue m’avait semblé un peu fort… Je
           savais, grâce aux travaux de Dominique Garand sur les éditions Granger, que
           les livres pour enfants de Marie-Claire Daveluy avaient connu d’excellents
           tirages et qu’ils avaient même fait l’objet de nombreuses réimpressions au fil
           des ans. Les 33 000 exemplaires du premier volume de la série des Aventures
           de Perrine et de Charlot en Nouvelle-France, paru une première fois en 1923,

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           Vol. 12, n° 2 | Automne 2021
           « Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
" Ce n'est pas tous les jours qu'une étudiante a la chance d'écrire à un auteur " : lettres d'admiratrices et d'admirateurs dans les archives de ...
attestaient assurément d’un grand succès éditorial3. Pour autant, je n’avais
jamais songé à la « grave et consciencieuse4 » Daveluy comme à une
célébrité… C’est plus tard, en explorant son fonds d’archives conservé à
Bibliothèque et Archives Canada, à Ottawa (LMS-0009), que j’ai pu recouper
le témoignage de ma collègue historienne à d’autres documents attestant, eux
aussi, de l’important rayonnement de cette écrivaine et, surtout, du fort lien
qui la rattachait à ses lecteurs et lectrices.

Cet article entend contribuer à une réflexion collective sur les traces laissées
par les femmes dans les archives du livre et de l’imprimé. J’y évoquerai
d’abord, d’une manière générale, l’intérêt que représente le fonds d’archives
de Marie-Claire Daveluy pour éclairer et contextualiser cette carrière d’autrice
en poussant la recherche au-delà de la seule œuvre imprimée et de sa réception
critique. Après ce tour d’horizon général, je m’attarderai à un sous-corpus de
lettres de lecteurs et lectrices adressées à l’autrice, disséminées dans cette
collection. Cette correspondance, que je n’aurais pu rassembler sans le travail
intelligent des archivistes qui ont œuvré à l’indexation du fonds, me permettra
d’introduire la notion de notoriété — ou de vedettariat5 — dans l’analyse de
cette trajectoire littéraire. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il semble
utile de rappeler, en quelques grandes lignes, la carrière exceptionnelle de cette
femme de lettres montréalaise.

Qui était donc Marie-Claire Daveluy ?

Si Marie-Claire Daveluy a pu jouir en son temps d’une véritable popularité,
on admettra que son nom nous est moins familier aujourd’hui et que les lieux
de mémoire qui évoquent encore sa contribution au monde de la culture se
font rares6. Pour autant, l’œuvre protéiforme de cette romancière, dramaturge
et historienne, née à Montréal la fin du XIXe siècle, n’a pas totalement
échappé à la vigilance des chercheur·e·s. Son rôle de pionnière de la littérature
pour la jeunesse, par exemple, a été reconnu par des spécialistes du champ 7.
Certains écrits de celle qu’on identifiait à son époque comme la Comtesse de
Ségur du Canada français ont même fait l’objet d’analyses littéraires
approfondies8.
Par ailleurs, la recherche dans le domaine de bibliothéconomie a fait ressurgir
un autre volet de l’apport de Daveluy au monde de l’imprimé. Ses 27 années
au service de la Bibliothèque municipale de Montréal et son rôle déterminant

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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
dans la cofondation de l’École des bibliothécaires de Montréal en 1937 —
ancêtre de l’actuelle École de bibliothéconomie et des sciences de
l’information — n’ont pas manqué d’être soulignés9. Quant à la place de cette
fervente disciple de Clio à l’historiographie de son temps, elle fait
présentement l’objet de nouvelles investigations. Ses travaux érudits sur les
origines de Ville-Marie, fruits d’une fréquentation étroite des documents
anciens, de même que son rôle de vulgarisatrice de l’histoire nationale sont
explorés à de nouveaux frais à l’heure où l’on se penche sur la contribution
des femmes à la discipline historique10. Rappelons que la savante Montréalaise
avait eu l’honneur, en 1917, d’être la première femme admise à la Société
historique de Montréal et, cela, malgré l’avis de spécialistes du temps qui
préféraient conserver exclusivement masculine la composition de ce
cénacle11.

Pour un portrait plus complet de la trajectoire de Marie-Claire Daveluy, il faut
l’associer également à la vie des idées et au monde intellectuel de son époque.
Fille d’une lignée de politiciens, l’essayiste fait ses premières armes dans la vie
publique en 1912 en prononçant une causerie intitulée « Glanures féministes »
devant des membres de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste12. Dans
les années 1920, on la retrouve également dans des périodiques comme La
Bonne parole et La Revue nationale, où elle signe quelques réflexions sur la société
de son temps. Son engagement en faveur de la promotion des femmes et du
nationalisme canadien-français tisse d’ailleurs un fil continu dans sa carrière
qui permet de rallier en gerbe une œuvre polygraphique, qui s’étend de 1913
à 1965, composée d’articles de revues, de romans, de travaux historiques, de
piécettes de théâtre, d’émissions de radio et de critiques de livres.

Reconnue pour son labeur incessant, Daveluy reçut en carrière sa part de
décorations : deux fois récipiendaire du prix David (1924, 1934), elle fut aussi
gratifiée d’un prix de l’Académie française (1934), d’un doctorat honoris causa
de l’Université de Montréal (1943) et de la Médaille du centenaire de la Société
historique de Montréal en 1958. Mais une personnalité reconnue par l’élite
intellectuelle de son temps n’est pas, pour autant, une vedette… La
fréquentation de ses archives permet de mieux prendre la mesure de son
rayonnement et, surtout, de percevoir l’affection que lui vouait son lectorat
en grande partie composé d’enfants et d’adolescents. Ces documents

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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
personnels et professionnels éclairent, de diverses façons, les stratégies et
mécanismes qui ont favorisé sa reconnaissance dans l’espace public.

Un fonds d’archives d’une grande richesse

Représentant sept mètres de documents textuels et quelques photos, le fonds
d’archives Marie-Claire Daveluy est substantiel13. Les documents ont été
acquis par la Bibliothèque nationale du Canada l’année précédant le décès de
l’autrice, en 1967. C’est Régina Daveluy, la sœur de Marie-Claire, mandataire
et fondée de pouvoir, qui semble avoir été la principale artisane de ce legs. Au
moment de l’acquisition des documents, le nouveau directeur de l’institution
canadienne était nul autre que le cousin des sœurs Daveluy, Guy Sylvestre.
C’est d’ailleurs sous sa gouverne qu’un programme d’acquisition d’archives
littéraires avait été mis sur pied. On imagine Sylvestre militant auprès de sa
cousine pour qu’elle verse les papiers attestant de sa riche carrière dans le
domaine du livre et de la culture14. La famille pensait-elle alors qu’en plus de
pérenniser la mémoire de Marie-Claire, le versement de ses archives
représenterait un petit pécule pour Régina qui avait si fidèlement soutenu sa
célèbre sœur dans ses recherches et ses écrits ? Il faudrait retracer les
politiques de compensation assorties à ce type de transactions à la fin des
années 1960 pour y voir plus clair. Il est plausible en tout cas que l’autrice ait
eu, vers la fin de sa vie, une pensée de gratitude pour cette complice qui l’avait
si bien soutenue dans son labeur. Régina, après tout, était restée auprès d’elle
sa vie durant sans jamais occuper de travail salarié, vraisemblablement. Les
Daveluy n’étant pas indépendantes de fortune, c’est Marie-Claire qui assumait
alors le rôle de « soutien de famille » tandis que Régina s’occupait de la
maisonnée15.

Telle que nous pouvons l’établir, la séquence des événements laisse croire que
le sort des papiers de la femme de lettres vieillissante n’avait pas été laissé au
hasard. Et en planifiant ce legs archivistique, il est plausible que la principale
intéressée — une spécialiste de la gestion documentaire, après tout — ait eu
le souci de procéder à un certain classement des documents. Certaines pièces,
jugées trop personnelles, ont ainsi pu être exclues de la collection, tant les
traces de la vie plus intime de Daveluy se font rares dans le fonds. Tout ceci
demeure dans l’ordre de la spéculation, bien évidemment, puisqu’il n’a pas été

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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
possible de consulter le dossier d’acquisition des archives et d’éclairer
davantage le contexte de création de cette collection.

Dans son état actuel, le fonds d’archives de Marie-Claire Daveluy est constitué
de ce premier versement de 1967 et d’un autre plus tardif et plus restreint,
réalisé en 1999 par une nièce de l’autrice. L’ensemble comprend des lettres,
des rapports de recherche, des manuscrits de pièces de théâtre et de textes
historiques. On y trouve aussi les notes des cours en bibliothéconomie
qu’offrait Daveluy, des épreuves de ses articles et de ses livres ainsi que de la
documentation liée à sa vie associative dans les domaines historique, littéraire
et religieux. La Montréalaise était en effet engagée au sein de plusieurs
regroupements culturels et professionnels, qu’il s’agisse de l’Association
canadienne des bibliothécaires de langue française, de l’Institut d’histoire de
l’Amérique française ou de l’Académie canadienne-française, par exemple.

La correspondance de Daveluy occupe la part du lion de ce vaste fonds. Ses
lettres permettent de retracer les réseaux dans lesquels elle s’inscrivait, qu’il
s’agisse des cercles archivistiques et historiens (notons, par exemple, ses
échanges avec les Lionel Groulx, Édouard-Zotique Massicotte,
Pierre-Georges Roy, Benjamin Sulte, Albert Tessier, Maria Mondoux, et
Gérard Malchelosse), du monde littéraire (Marcel Dugas, Maurice Hébert,
Albert Lozeau, Félicité Angers, Rita Lasnier, Jean Bruchési, Berthelot Brunet,
Séraphin Marion et Nérée Beauchemin, entre autres) ou des professionnels
de la bibliothéconomie (Ægidius Fauteux, Hélène Charbonneau,
Juliette Chabot, etc.). Un certain nombre de lettres échangées avec des
éditeurs — l’Action française, Albert Lévesque, Granger, Fides — et avec des
interlocuteurs comme le Secrétariat de la province, les membres du Conseil
de l’Instruction publique et les commissions scolaires rappellent aussi ses
efforts incessants pour promouvoir ses livres et en tirer le meilleur parti.

Une autre richesse du fonds Marie-Claire Daveluy tient aux inédits qui le
composent. Ils donnent à voir l’énorme travail investi par l’autrice pour la
réalisation d’une partie de son œuvre fatalement plus éphémère, puisque
composée de manuscrits de conférences et de sketches radiophoniques. Des
causeries ayant pour titre « Les femmes aiment-elles les livres ? » et « Nos amis
les livres » ne font pas de mystère quant à la grande mission que s’était donnée

                                                                                           6
Vol. 12, n° 2 | Automne 2021
« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
Daveluy d’insuffler chez les Canadiens français le goût du savoir et de la
lecture.

Vedette et modèle : le courrier de petits auditeurs et lecteurs

En 2017, une stagiaire de Bibliothèque et Archives Canada fut chargée de
préparer un instrument de recherche du fonds Daveluy pour remplacer celui
qui servait jusqu’alors et demeurait trop approximatif16. Par son étonnant
degré de détail, le nouveau document qu’elle contribua à constituer sur
support Excel fut particulièrement utile pour orienter mes recherches dans la
correspondance touffue de Marie-Claire Daveluy.

Loin de se limiter à une description générale du contenu des boîtes,
l’inventaire s’attarde à chacun des dossiers de la correspondance. Classés par
ordre alphabétique, ceux-ci rassemblent règle générale les lettres d’un
épistolier unique : on aura ainsi un dossier pour les lettres d’Ægidius Fauteux,
un autre pour Marie Gérin-Lajoie, un autre encore pour Albert Tessier, etc.
Mais on retrouve aussi dans le fonds, pour chacune des lettres de l’alphabet
ou presque, une chemise de « miscellanées », réunissant le courrier
d’interlocuteurs de plus faible notoriété et n’ayant adressé qu’une lettre ou
deux à Daveluy, tout au plus.

J’aurais sans doute négligé de consulter soigneusement ces dossiers de lettres
mélangées si ce n’était les annotations qu’on avait pris soin d’inscrire sur
l’instrument de recherche. Car la stagiaire avait eu la patience d’établir pour
chacun de ces dossiers de « miscellanées » la liste complète des signataires des
lettres et d’ajouter des indications concernant l’âge des correspondants. Un
certain Ernest Bernard était présenté, par exemple, comme un « jeune
lecteur », une personne du nom d’Odile Baril, désignée comme une « jeune
lectrice de 10 ans », et le nom de Lumina Chevalier, assorti de cette
parenthèse : (11 ans, 5e année).

De telles informations ont piqué ma curiosité. En allant consulter de plus près
ces lettres de jeunes lecteurs, j’ai pu récolter aussi au passage certains plis
rédigés par des adultes que je pouvais faire entrer dans la catégorie des
admirateurs de Daveluy. J’ai ainsi rassemblé un intéressant corpus de
45 lettres dont la composition se décline ainsi (tableau 1) :

                                                                                           7
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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
Tableau nº 1. Lettres d’admirateurs et d’admiratrices dans les « miscellanées » du
       fonds Marie-Claire Daveluy à BAC17.
                Enfants                             15
                Adolescent·e·s                      20
                Adultes                             10

                Total                               45

Rédigées entre 1935 et 1966, ces lettres sont en grande partie celles d’un jeune
lectorat (à plus de 80 %). Elles sont signées par 37 filles ou femmes et
seulement 8 garçons ou hommes. Certes, on ne saurait consacrer à posteriori
une vedette à partir d’un corpus aussi modeste. Mais cet ensemble se révèle
précieux par certaines de ses caractéristiques. D’abord les lettres donnent un
rare accès historique à la voix des jeunes lecteurs et lectrices ; elles permettent
une meilleure compréhension de leur rapport au livre et à la lecture en cette
période qui précède les années 1970 et le développement d’une attention plus
aiguisée au ressenti des jeunes18. Ce courrier nous instruit aussi de la posture
de déférence adoptée envers Daveluy en tant que figure publique et dévoile
les motifs de l’admiration qu’on lui vouait. Ce petit corpus nous éclaire encore
sur les conditions de cristallisation de son vedettariat dans le contexte
particulier des années 1940, nous le verrons. Enfin, s’agissant de l’enjeu du
genre, les lettres permettent d’entrevoir le travail d’identification des jeunes
lectrices envers cette demoiselle qui avait su se tailler une place dans un
monde d’hommes19.

Quelques considérations méthodologiques

Le caractère attendrissant de ces petits plis à la calligraphie parfois hésitante
(figure 1) ne doit pas nous faire perdre notre sang-froid interprétatif. Il est
tentant, en effet, de prêter une grande agentivité à ces enfants et adolescents
qui avaient osé prendre la plume pour s’adresser à leur autrice préférée20. Bien
qu’elles semblent signées par de petits agents autonomes, capables d’exprimer
leurs goûts et de nommer leur émotion face à une œuvre, certaines de ces
missives n’en sont pas moins rédigées sous tutelle.

                                                                                            8
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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
Figure 1. Lettres de Marcel Saint-Jacques (1ère année B) et de Thérèse Séguin (élève au
pensionnat Notre-Dame des Anges) à leur autrice préférée. Bibliothèque et Archives
Canada (BAC), Fonds Marie-Claire Daveluy.

En les lisant de près, on comprend que ces lettres ne jaillissent pas toutes de
l’élan spontané de jeunes admirateurs. On sent parfois nettement un regard
d’adulte au-dessus de l’épaule du petit correspondant. Certaines lettres nous
renseignent davantage peut-être sur la façon dont Daveluy soignait ses
relations avec les membres de son réseau et sur ses stratégies d’autrice pour
faire circuler ses livres que sur la subjectivité des petits lecteurs. Car
quelques-uns de ses correspondants sont, en effet, des enfants de ses amis ou
collègues de travail. La petite Marie-Laure, par exemple, fille du patron de
Daveluy à la Bibliothèque municipale, Ægidius Fauteux, lui écrit un mot de
remerciement qui indique qu’elle avait bien saisi les attentes assorties à ce
genre de cadeau : « […] je suis sûr de vous avoir déjà gagné plusieurs nouvelles
lectrices car je n’ai pas manqué de dire à toutes mes petites amies comme vous
savez admirablement conter et comme il est agréable de voyager avec vous au
pays des Fées21 ». La petite Anne Hébert, fille du critique littéraire
Maurice Hébert et futur monument de notre littérature, écrit elle aussi à
Daveluy pour la remercier du don d’un livre :
           Comment pouvez-vous inventer si jolies histoires qui ont
           l’air si vraies ? Le bon Dieu vous a gâtée de ses dons. Et
           j’admire l’œuvre du bon Dieu en votre cœur et votre esprit
           qui se dépensent pour les petits enfants comme nous. Jean

                                                                                           9
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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
vous écrira lui-même, car Papa lui lit votre cher Filleul du
             Roi Grolo22.

Ici encore, et sans que l’on puisse mettre en cause l’authenticité des sentiments
des petits locuteurs et locutrices on devine qu’un parent aura rappelé à ceux-ci
l’opportunité d’écrire à Mlle Daveluy pour la remercier de sa générosité. Au
passage, l’adulte aura peut-être retouché la grammaire et l’orthographe de la
lettre avant que l’enveloppe ne soit cachetée.

Or même les missives les plus formatées en apparence conservent quelque
chose de précieux pour l’analyse, en ce qu’elles nous renseignent sur l’horizon
d’attente de la période étudiée s’agissant des rapports entre enfant et adulte,
du niveau de langage approprié pour s’adresser à une autrice ou du statut du
livre dans une société canadienne-française encore peu scolarisée23. Ces
témoignages de lecture nous éclairent ainsi sur le processus de fabrication de
l’auteur à l’œuvre dans le rapport dialectique entretenu avec un lectorat 24.
Enfin, les lettres adressées à Marie-Claire Daveluy indiquent encore la
résonance du projet éducatif qu’elle s’était donné et qui visait à rejoindre les
enfants par le cœur pour mieux instiller le goût de la lecture et l’amour de la
nation25.

Le livre, cet objet précieux

Les lettres de petits et grands lecteurs adressées à Marie-Claire Daveluy nous
ramènent assurément à une époque de plus grande rareté du livre et, plus
encore, de livres dédiés à un public jeune, quoique l’offre s’élargisse dans les
années 1940 avec l’essor de maisons comme les Éditions Variétés, prolifiques
dans ce créneau26. Même dans les familles bourgeoises, les enfants ne
possèdent pas encore en propre une profusion de livres susceptibles de rendre
banal un cadeau littéraire. Le sentiment de cette préciosité apparaît comme
une constante dans le petit corpus étudié. Au moins deux correspondants
osent demander à l’autrice de leur faire parvenir gracieusement des ouvrages.
Ainsi Maria Allard, de La Tuque, une adulte qui se présente comme une
pauvre malade alitée et qui se dit trop pauvre pour acheter elle-même des
livres, sollicite un don. Son bonheur serait total, précise-t-elle, si Daveluy
pouvait lui écrire « quelques mots à l’intérieur » de l’ouvrage offert et assortir
son paquet d’une « petite lettre27 ». Le jeune Maurice Laporte, journaliste en

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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
herbe pour Le Monde collégial du collège classique Saint-Sulpice, voudrait bien,
pour sa part, mener une entrevue avec l’autrice qui vient de publier sa
biographie de Jeanne Mance en 1934 : « Vous pouvez vous imaginez, écrit-il,
combien un cœur de jeune patriote et une âme d’étudiant de quinze ans
peuvent avoir de l’admiration pour une si remarquable historienne ». Mais,
pour se préparer à l’entretien, le jeune homme explique qu’il lui faudrait
d’abord lire ses œuvres et faire la même démarche pour d’autres auteurs dont
il souhaite commenter les livres dans sa colonne : « Connaissant votre
générosité je vous demande bien humblement si vous ne pourriez pas
m’envoyer quelques exemplaires de volumes canadiens, car je veux bien parler
à mes lecteurs […]28 ».

La circulation des œuvres de Daveluy en milieu scolaire

D’autres interlocuteurs s’adressent à Marie-Claire Daveluy pour obtenir des
notes biographiques à son sujet et, si possible, une photo. Dans bien des cas,
on s’en doute, cette quête d’information s’inscrit dans le cadre de travaux
scolaires. Les lettres révèlent les usages que l’on faisait alors des publications
de l’autrice dans le monde éducatif et, en particulier, dans les pensionnats
pour jeunes filles dirigés par des religieuses. Écrite en 1951, la lettre de la jeune
Pauline Boisvert, qui s’emploie à préparer la Semaine étudiante de son école,
témoigne de la renommée de l’autrice dans les milieux couventins :
           Durant cette semaine, les écrivains canadiens seront à
           l’honneur et le nom de Marie-Claire Daveluy doublement
           car cette année le programme de lecture scolaire porte sur
           les romans pour jeunes. Nous dégustons vos
           chefs-d’œuvre avec un appétit littéraire espérant par là
           obtenir une parcelle de votre grande imagination. J’ai
           fouillé ma Littérature Canadienne et je déplore de n’y
           trouver aucune note biographique à votre adresse. Mes
           compagnes de 9e regrettent cette sécheresse
           d’informations et s’unissent à moi pour vous mendier
           quelques miettes de votre temps pour nous parler de
           vous29.

On le voit, la lettre révèle autant l’admiration de la jeune fille, nourrie par
l’institution scolaire, que le désintérêt encore grand des critiques et auteurs de

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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
manuels de littérature à l’endroit des femmes autrices, surtout celles qui
s’adressent à un jeune public. Or les religieuses enseignantes, manifestement,
n’attendent pas ce genre de consécration pour s’enticher des œuvres de
Daveluy. En plus d’être irréprochables sur le plan des valeurs patriotiques et
religieuses, ses livres ont l’avantage de rejoindre les jeunes filles en mettant de
l’avant — chose rare — des héroïnes féminines, dont certaines
particulièrement dégourdies et agissantes. La jeune Madeleine Valade, de
Rosemont, qui s’adresse à Daveluy sur un ton admiratif, témoigne bien de la
circulation de ses livres dans les écoles pour jeunes filles. Non seulement,
l’écolière souligne-t-elle que « [l]a bibliothèque de notre classe compte
plusieurs de vos œuvres », mais elle informe également Daveluy de la
présentation prochaine de sa pièce « À l’heure des ombres » à son école30.

Parmi les lettres de lecteurs et lectrices retrouvées dans le fonds Daveluy
déposé à BAC, plusieurs prennent la forme d’invitations adressées à cette
figure connue. L’attachement de ces jeunes d’âge scolaire envers Daveluy
semble attribuable en partie à la persona publique de l’autrice, celle d’une tante
charmante et généreuse qui sait captiver son auditoire grâce à son « talent inné
pour la narration31 ». Cette représentation était accompagnée d’une réputation
de bienveillance à l’endroit des jeunes. On comprend mieux, dès lors, que la
jeunesse des écoles ait voulu non seulement lire les livres de Daveluy
goulument, mais aussi la rencontrer en personne. La lettre de la jeune
Thérèse Séguin, responsable du cercle d’étude scolaire du pensionnat
Notre-Dame des Anges de Ville Saint-Laurent, est révélatrice à cet égard :
          Vous étonnerez-vous que nous vous avons choisie en
          premier lieu ? C’est que nous avons l’occasion d’apprécier
          vos œuvres dans lesquelles se révèlent votre affection vraie
          pour la jeunesse, le réel intérêt que vous lui accordez ainsi
          que l’entier dévouement que vous lui apportez32.

Si l’admiration des jeunes pour la figure de Marie-Claire Daveluy peut être
attribuée à sa présence dans la sphère publique, elle procède aussi, de façon
plus localisée, de la place qu’on lui accordait dans les milieux de couventines.
Les propos de Rita Bourbon, présidente générale des Jeunes Laurentiennes,
témoignent de cette particularité :
           Celle qui vient à vous aujourd’hui est une jeune fille, qui
           vous a connue au Pensionnat de Longueuil alors qu’elle

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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
était étudiante et qui admirait beaucoup Mademoiselle
             Daveluy dont la Rév. Sr. Véronique de Jésus nous vantait
             les qualités33.

Le fonds d’archives de l’autrice ne contient malheureusement pas de traces de
réponses qu’elle aurait adressées à la jeune Bourbon et à ses autres
admirateurs. Or des indices laissent croire qu’elle donnait suite au courrier
reçu et qu’elle était généreuse de sa personne, voire encline à accepter diverses
invitations. Ainsi cette missive de Monique Levasseur, élève de l’Institut de
pédagogie familiale de Montréal, qui la remercie pour les renseignements
obtenus à son sujet :
          Chère Mademoiselle,
          J’ai reçu vos deux lettres et je vous suis très reconnaissante.
          Vous avez dépassé de beaucoup ce que j’attendais de vous.
          Mon enthousiasme était si grand que je n’ai pas trouvé
          d’autres moyens que celui de le partager avec mes
          compagnes. Plusieurs ont lu vos lettres et toutes furent
          étonnées de l’attention que vous avez porté [sic] à ce
          travail34.

La présence dans le fonds d’archives de programmes de soirée de théâtre de
couvents où ses pièces sont mises à l’honneur atteste aussi de sa participation
à certaines des soirées estudiantines où elle était invitée35.

D’autres lettres adressées à Daveluy indiquent, par ailleurs, l’usage que l’on
faisait de ses livres comme prix scolaires. Ainsi, le petit Marcel Saint-Jacques,
âgé d’à peine 6 ans, écrit de sa petite main maladroite ce mot touchant :
           Je suis l’heureux petit gagnant de « Les aventures de
           Perrine et de Charlot ».
           J’ai six ans et je suis sorti le troisième de la 1ere année B
           de l’École Bruchési. Je n’ai pas eu de prix car nous avons
           fait le sacrifice pour obtenir la paix36.

Une autrice en chair et en os : autographes, dédicaces et photos…

En 1937, la jeune Odile Baril, 11 ans, de Boucherville, a l’honneur, elle aussi,
de recevoir un livre de Daveluy comme prix scolaire. Dans sa lettre de

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« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
remerciement, la fillette se disait ravie que son livre soit autographié :
« maman ne dit qu’il [ce prix] est encore plus précieux par que vous avez bien
voulu le signer de votre main37 ».

La valeur accordée par les admirateurs et admiratrices de Marie-Claire
Daveluy aux autographes, aux dédicaces et aux photos de l’autrice se présente
comme une autre constante du corpus de correspondance étudié. Les jeunes
lecteurs de la romancière, de même que certains admirateurs adultes, semblent
attacher beaucoup d’importance aux quelques mots qu’elle pourrait leur écrire
de sa main. Tout se passe comme si ces marques tangibles permettaient
d’établir un lien privilégié, chaleureux et authentique entre l’écrivaine et
quelques lecteurs élus. La jeune Jacqueline Boucher de Lanoraie, qui a reçu
en cadeau un livre de Daveluy par l’intermédiaire d’une tante — à l’évidence,
une amie de l’autrice — exprime particulièrement bien la plus-value que
représente la dédicace de l’écrivaine :
          Je vous remercie de tout cœur, chère mademoiselle
          Daveluy et je vous remercie aussi des jolies lignes que vous
          m’avez écrites et que vous avez signées de votre nom. Je
          vois déjà les regards d’envie de mes petites amies
          lorsqu’elles verront mon livre38.

Lise Roy de Lévis, gratifiée elle aussi d’un livre en cadeau, assure qu’« [e]lle
donnera une place d’honneur à l’autographe de Mlle Daveluy39 ». Quant à
Luc-André Biron, archiviste de la cité de Trois-Rivières, il semble un
admirateur de longue date de l’autrice. En 1961, il s’adresse à elle afin qu’elle
autographie Le Cœur de Perrine, un cadeau qu’il destine à ses deux enfants40. Or
au moment où elle reçoit cette requête, Marie-Claire Daveluy a déjà 81 ans
bien sonnés et il y a longtemps qu’elle n’a plus rien publié de neuf à l’attention
des jeunes. Le roman dont il est question dans la lettre a paru pour la première
fois en 1940, ce qui indique assez bien la postérité de ses histoires41. On peut
penser que Biron avait été un fervent lecteur de Daveluy durant sa propre
enfance et qu’il cherchait à transmettre cette passion à sa progéniture.

Écrire en tremblant à une autrice : timidité et marques de déférence

L’extrême civilité avec laquelle la plupart des lettres adressées à Daveluy sont
rédigées participe certes des normes épistolaires prévalant dans les décennies

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étudiées, surtout au sein de la classe bourgeoise. Mais elle témoigne aussi du
caractère encore très vertical des rapports entre enfants et adultes à cette
époque : le vouvoiement est systématique, les fautes de syntaxe ou
d’orthographe sont souvent corrigées, les formules de politesse, multipliées...
Si cette déférence indique une hiérarchie marquée entre générations, elle est
redoublée par une autre, distinguant l’écrivain du simple profane. L’exemple
du petit André Savoie de Montréal révèle bien cet écart de statut :
           Cela me gêne beaucoup d’écrire à la dame qui a si bien écrit
           le joli livre que papa m’a apporté. Mais maman me dit que
           quand il s’agit de remercier il ne faut jamais être trop
           timide. Donc vous serez indulgent pour le petit garçon que
           je suis et qui ne sait pas encore bien écrire42.

La lettre déjà citée de la jeune Marie-Laure Fauteux, se disant intimidée au
moment de s’adresser à l’écrivaine, atteste encore de tels rapports. Bien que
la jeune fille provienne d’une famille lettrée, elle ne se dit pas moins envahie
par la gêne au moment d’écrire à l’autrice admirée :
           Après avoir pendant plusieurs jours inutilement creusé ma
           petite tête pour tirer les mots rares ou exquis que les
           circonstances me semblaient exiger, je me suis enfin
           aperçue que le mieux était de laisser parler tout simplement
           mon cœur43.

Tout comme la petite Marie-Laure, plusieurs écolières auront ainsi tendance
à percevoir Daveluy comme revêtue d’une aura. Julienne Moreau, de l’École
supérieure d’enseignement ménager de Saint Lambert, est du nombre. Elle ne
craint pas l’enflure en s’adressant ainsi à la romancière : « J’admire beaucoup
les génies de notre pays au rang desquels vous êtes44 ». Moins obséquieuse, la
jeune Gisèle Bourbeau s’estime tout de même privilégiée de s’adresser à
l’écrivaine : « Ce n’est pas tous les jours qu’une étudiante a la chance d’écrire
à un auteur et j’en suis très heureuse45 », conclut-elle avec simplicité.

La convergence médiatique au service d’une autrice-vedette

Si Daveluy suscite l’admiration de ses lecteurs, et surtout de ses lectrices, on
doit l’attribuer d’abord à sa capacité exceptionnelle à rejoindre les jeunes de
son époque. On s’en étonne aujourd’hui tant sa prose est complexe, son

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vocabulaire recherché, ses phrases longues et ses livres, surchargés de dates
et de faits historiques. Qu’à cela ne tienne, le petit Ernest Bertrand, qui signe
de manière touchante « un de vos admirateurs », se dit tout simplement
conquis : « J’ai lu vos compositions avec un tel amour que je serais près [sic]
à les relire tant elles me plaisaient46 ». Quant à Cécile Dorais, de Beauharnois,
elle avoue aimer les sketches de Daveluy surtout parce qu’ils sont « si facile
[sic] et si vivants47 ». La petite Claude Deland, pour sa part, affirme s’être
identifiée totalement à l’histoire racontée par la romancière : « je pensais pour
vrai que c’était nous qui visitions le pays des fées », écrit-elle après sa lecture
du conte Sur les ailes de l’Oiseau-bleu.48.

Mais comme nous l’ont appris les historiens du livre, il y a plus dans la
rencontre entre l’auteur et le lecteur que le seul talent. Le sous-corpus de
lettres d’admirateurs que nous étudions recouvre, on l’a vu, les années 1935 à
1966. Ces dates, déjà, doivent attirer notre attention, car les premiers succès
pour enfants de Daveluy sont plus anciens et remontent au début des
années 1920. Plus encore, dans les années 1940, la Montréalaise n’écrit à peu
près plus de nouvelles œuvres pour la jeunesse, se consacrant davantage à ses
travaux historiques.

Comment expliquer alors la datation des lettres d’admirateurs contenues dans
notre corpus ? Formulons une première hypothèse : l’autrice, en début de
carrière, n’aurait tout simplement pas pris soin de conserver les lettres reçues
de ses lecteurs et lectrices. Ce ne serait que plus tard, en développant un sens
plus vif de sa valeur d’écrivaine et de l’historicité de son rôle de pionnière du
livre jeunesse, qu’elle se serait mise à archiver ce courrier. Un tel scénario est
possible, mais je lui préfère nettement une seconde hypothèse. Au milieu des
années 1930, Daveluy est consacrée grâce au succès de sa biographie de
Jeanne Mance. La publicité faite à ce livre doublement primé et la réception
critique dont il est l’objet permettent à son nom de circuler davantage dans
les médias, confirmant de la sorte son statut de personnalité publique. Qui
plus est, la polygraphe devient alors une conférencière sollicitée qu’on entend
de plus en plus à la radio. Ses livres pour enfants, parus quelque vingt ans plus
tôt, connaissent moult réimpressions et rééditions alors que ses pièces
historiques continuent d’être jouées dans les écoles49.

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Ainsi, dans les années 1940, la notoriété de Marie-Claire Daveluy atteint un
sommet grâce à sa collaboration régulière à l’émission de Radio-Collège.
Chaque semaine, entre 1943 et 1947, des comédiens bien connus du public
incarnent les personnages de ses piécettes historiques qui ravissent un large
auditoire. Plusieurs de celles-ci portent sur des personnages féminins de
l’histoire du Canada français50. Le programme de l’émission est distribué
largement et reproduit dans les médias avec la photo de Daveluy.

Figure 2. Exemple d'un programme-horaire annuel de l'émission Radio-Collège où les
pièces historiques de Daveluy sont bien en évidence.

Cette présence simultanée de la femme de lettres à la radio et dans les
journaux, combinée au large déploiement de son œuvre dans le réseau scolaire
contribuent à créer une véritable synergie qui la porte au rang de vedette.
Daveluy ne devait certes pas se plaindre d’une telle visibilité médiatique, utile
à la circulation de son œuvre. Mais on peut imaginer qu’une telle attention
entrait un peu en contradiction avec la posture modeste adoptée sa vie durant
par l’autrice, en conformité avec les injonctions de son temps. Cette tension
a dû être difficile à assumer certains jours51.

Quoi qu’il en soit, doublée par la puissance de rayonnement de la machine
radio-canadienne, la capacité polygraphique de Daveluy avait participé à sa
notoriété. La lettre de Madeleine Valade, évoquée plus haut, témoigne de cette
réalité. Évoquant sa joie de fréquenter les romans et le théâtre de l’autrice, la
jeune fille notait aussi le grand intérêt qu’elle trouvait à écouter ses sketches
radiophoniques diffusés à l’émission de Radio-Collège52 :

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Vol. 12, n° 2 | Automne 2021
« Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé »
C’est avec un plaisir toujours nouveau que je me rends à
             l’appareil afin d’entendre vos auditions littéraires.
             J’ai bien goûté ces sketches : ils nous font connaître les
             personnages illustres du berceau de la colonie. Dramatisés,
             ces personnages frappent plus notre imagination53.

Ainsi, la présence de Daveluy sur diverses « plateformes », comme on dirait
aujourd’hui, contribue à accroître son capital de visibilité54. D’autres lettres du
corpus en témoignent aussi, ses correspondants saluant tout à la fois ses
émissions de radio, ses pièces de théâtre et ses livres 55, et n’hésitant pas à
l’inscrire au rang des « écrivains célèbres »56. L’émotion ressentie par la jeune
Pauline Valiquette, 11 ans, d’Ottawa, s’explique à l’évidence par un tel effet
de convergence :
            L’autre jour en apercevant votre portrait sur « Le Droit »,
            je fus toute surprise d’apprendre que l’auteur de mon livre
            préféré « Perrine et Charlot » vivait encore. Aussitôt, j’ai
            pensé à vous écrire pour vous témoigner toute ma
            reconnaissance. Merci chère Mademoiselle d’avoir écrit
            pour intéresser les petites filles de mon âge57.

Un modèle pour les jeunes filles

« Si les femmes de lettres sont rares en notre pays encore au début de sa gloire
littéraire, nous saurons aimer et admirer celles que nous possédons58 ». C’est
avec un tel mot d’ordre que l’adolescente Cécile Dorais, de Beauharnois,
s’adresse à Daveluy en 1943. La lettre de cette écolière qui signe « une grande
admiratrice » soulève une réflexion sur l’effet d’identification suscité par
l’écrivaine-vedette auprès des jeunes filles, sachant par ailleurs que celles-ci
composent jusqu’à 80 % de notre corpus.

Considérant le succès qu’elle remporte mais aussi la difficulté encore grande
des femmes à percer le champ littéraire, il n’est pas étonnant que Daveluy soit
sollicitée aussi pour jouer les mentores. Des jeunes filles désireuses de prendre
elles-mêmes la plume se tournent, en effet, vers l’autrice-vedette pour des
conseils et des encouragements. C’est le cas de Marjorie McCullin, une
finissante du Pensionnat de Sainte-Thérèse de Blainville. Après avoir souligné
combien elle avait apprécié l’ouvrage Aux feux de la rampe, un recueil de pièces

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