CHÔMEURS : ACCOMPAGNER PLUTÔT QUE SANCTIONNER - NOS 17 PROPOSITIONS POUR FAIRE DURABLEMENT RECULER LA PAUVRETÉ
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POUR UN MONDE JUSTE ET FRATERNEL SUPPLÉMENT AU JOURNAL MESSAGES N° 754 – FÉVRIER 2022 COMPRENDRE CHÔMEURS : ACCOMPAGNER PLUTÔT QUE SANCTIONNER ÉLECTIONS 2022 NOS 17 PROPOSITIONS POUR FAIRE DURABLEMENT RECULER LA PAUVRETÉ INNOVER LE PARI DU « AGIR AVEC »
31 06 28 Supplément au trimestriel Messages 14 du Secours Catholique-Caritas France : 106, rue du Bac – 75341 Paris CEDEX 07 Tél. : 01 45 49 73 00 • Fax : 01 45 49 94 50 Présidente et directrice de la publication : 04 NOTRE PLAIDOYER Véronique Devise Directrice de la communication : Prenons le parti de la fraternité Agnès Dutour Rédacteurs en chef : Emmanuel Maistre (7576) 06 INNOVER Clarisse Briot (7339) Le pari du « agir avec » Rédacteur en chef adjoint : Jacques Duffaut (7385) Rédacteurs : 11 DÉBATTRE Aurore Chaillou (5239) Faut-il (continuer à) dématérialiser les services publics ? Benjamin Sèze (5239) Cécile Leclerc-Laurent (7534) Rédacteur-graphiste : 14 COMPRENDRE Guillaume Seyral (7414) 14 Enquête. Chômeurs : accompagner plutôt que sanctionner Rédactrice photo : Elodie Perriot (7583) 22 L’entretien : « Les contrôles n’ont pas un objectif exclusivement Correction : répressif » Corinne Lebel 26 Ici et là-bas. Permettre aux jeunes de prendre conscience de leurs Imprimerie : Imaye Graphic © Messages capacités du Secours Catholique – Caritas France, reproduction des textes, des photos et 27 Des outils pour comprendre des dessins interdite, sauf accord de la rédaction. Le présent numéro a été tiré à 56 562 exemplaires. 28 RENCONTRER Dépôt légal : n° 111 527 ABDUL SABOOR. Quand photographier est une nécessité vitale Numéro de commission paritaire : 1122 H 82430 / Édité par le Secours Catholique – Caritas France. 31 EXPLORER Photo de couverture : Sous les pavés, le pré Christophe Hargoues / SCCF 38 POINT DE VUE ABDUL SABOOR. « Je sens à nouveau la fumée, le froid, l’obscurité. » 39 LE REGARD DE BESSE ET ÉRIC LA BLANCHE Ce produit est imprimé par une usine Qui ruiselle ment certifiée ISO 14001 dans le respect des règles environnementales. 2 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
ÉDITORIAL INVITER NOS ÉLUS À LA NOBLESSE GAEL KERBAOL / SCCF DE LEUR FONCTION PAR JEAN MERCKAERT DIRECTEUR ACTION PLAIDOYER FRANCE EUROPE DU SECOURS CATHOLIQUE «L LE MONDE JUSTE a politique est une vocation très noble, une des formes les ET FRATERNEL QUE plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien NOUS APPELONS commun ». Ce rappel, par le pape François (Fratelli tutti, DE NOS VŒUX A BESOIN § 180), d’une constante de la pensée sociale catholique, résonne aussi comme un appel. C’est cet appel à la DE POLITIQUES JUSTES noblesse de leur fonction que le Secours Catholique entend relayer auprès ET FRATERNELLES des responsables politiques, afin qu’ils mettent leur parole et l’exercice de leur mandat au service du bien commun, qui suppose une attention prioritaire aux plus vulnérables comme à notre planète malmenée. Demander un mandat à ses concitoyens, c’est faire la promesse de se mettre au service. Et c’est bien l’esprit qui habite une majorité de nos élus. C’est le plus souvent un engagement sans compter, doublé d’une prise de risques, par laquelle on est obligé à des compromis, on s’expose aux incompréhensions, aux déceptions. Rarement, on est remercié. Noble vocation. Mais qu’il est escarpé, le chemin qui mène aux plus hautes responsabilités nationales ! La bataille est si rude qu’elle pousse au cli- vage pour exister, à l’outrance pour discréditer, à attiser les peurs pour paralyser la réflexion. Et l’on risque, collectivement, d’en perdre le cap. Au Secours Catholique, notre boussole est claire : nous prenons le parti de la fraternité. C’est cette fraternité vécue, au quotidien, dans notre action d’accueil, d’écoute, d’aide et d’accompagnement des plus précaires en France, dans notre dialogue avec nos partenaires à travers le monde, qui fonde notre attente de justice. En France, derrière les 9 millions de per- sonnes sous le seuil de pauvreté, les 12 millions en précarité énergétique, les 4 millions mal logées, les 3 millions durablement privées d’emploi, les 7 millions bénéficiaires de l’aide alimentaire, les familles évacuées de leurs campements de fortune, les populations obligées de fuir leurs terres… nous mettons des visages. Avec elles, nous cherchons des solu- tions. Cela fait toute la différence. Cela interdit l’indifférence. Cela interdit l’accoutumance. Cela interdit le fatalisme. Nous tirons de notre expérience la conviction que la fraternité peut renverser des montagnes. Mais le monde juste et fraternel que nous appelons de nos vœux a besoin de politiques justes et fraternelles pour advenir. Garantir à chacune et chacun une planète habitable, un traitement respectueux, un logement décent, un emploi décent, un revenu décent, une alimentation digne, c’est possible. Les propositions que nous défendons en attestent : tout n’a pas été tenté. Alors, et si on essayait ? Aux candidats comme aux élus, nous poserons la question, inlassablement. Afin de les rappeler à l’exigence de leur noble vocation. FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 3
NOTRE PLAIDOYER PRENONS LE PARTI DE LA FRATERNITÉ NOS 17 PROPOSITIONS POUR FAIRE RECULER LA PAUVRETÉ EN FRANCE ET DANS LE MONDE Rendre effectif l’accès Permettre un accès digne à à un travail ou à un revenu décent l’alimentation durable et de qualité pour tous pour tout le monde 1 Rendre effectif le droit à l’emploi et à l’ac- compagnement des chômeurs de longue 3 Assurer à chacun les moyens d’accéder à une alimentation de qualité. 4 durée, en partant des territoires et en s’ap- Développer une alimentation durable puyant sur les acteurs locaux. et de qualité disponible et accessible. 2 Assurer un revenu minimum garanti décent à tous ceux qui en ont besoin. 5 Associer les personnes en situation de précarité aux décisions sur leur alimentation. 4 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
NOTRE PLAIDOYER Accompagner toutes les personnes Traiter la situation des personnes mi- sans-abri, de la rue au logement grantes dans le respect de la dignité 6 Renforcer les dispositifs destinés à re- pérer, à rencontrer et à accompagner les personnes à la rue pour leur permettre 12 Préserver l’intégrité des personnes, qui tentent d’accéder au territoire fran- çais ou européen, et qui sont potentiellement d’en sortir directement. en danger, avant toute autre considération. 7 Offrir des conditions d’habitat dignes à toutes les personnes sans domicile. 13 Porter une attention spécifique aux mesures de protection que requièrent les personnes particulièrement vulnérables. 8 Investir massivement et durablement dans le développement de logements accessibles aux ménages à très faibles re- 14 Faciliter l’accès à un titre de séjour et de travail pour permettre aux per- venus, et s’assurer que les logements dispo- sonnes étrangères concernées de s’intégrer, de nibles leur bénéficient prioritairement. contribuer et de vivre comme tout un chacun. 15 Renoncer à l’application, en France, du règlement européen de Dublin. Rénover toutes les passoires thermiques occupées par des ménages modestes Mener une transition écologique 9 juste et solidaire Renforcer les aides financières à la ré- novation des logements pour que le manque de ressources cesse d’être un obs- tacle pour les ménages les plus précaires. 16 La France doit prendre toute sa part à une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre en respec- 10 tant l’Accord de Paris : pour cela avoir des ob- Déployer et financer sur l’ensemble jectifs ambitieux dans les secteurs émetteurs du territoire, dans le cadre de de gaz à effet de serre et adopter des mesures « France Rénov’ », le nouveau service public d’accompagnement social adaptées aux be- de la rénovation de l’habitat. soins des personnes précaires, en matière 11 Instaurer une obligation de rénover les logements de façon à ce qu’ils soient vraiment bien isolés, en échange d’un ac- d’isolation du logement, d’accès à des moyens de transport propres et à une alimentation respectueuse de l’environnement. compagnement adapté des propriétaires. 17 À l’international, notre pays doit pro- mouvoir des politiques de transition écologique ambitieuses et respectueuses des droits humains. Scannez le qr code Pour en savoir plus sur les propositions du secours catholique en vue des élections en 2022. FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 5
INNOVER CHRISTOPHE HARGOUES/ SCCF LE PARI DU « AGIR AVEC » PAR BENJAMIN SÈZE Ghedjati, l’une des bénévoles. Une Pour éviter d’apporter des réponses inadaptées à un besoin, le étude effectuée pendant six mois mieux est finalement de consulter les premiers concernés. C’est autour du flux des produits vient le principe de la participation : impliquer les personnes dans confirmer cette impression. « Plus l’analyse de leur situation et dans la recherche de solutions. de 40 % des denrées qu’on nous À Montpellier et à Vannes, les équipes locales du Secours donnait restaient sur les étals, rend Catholique ont fait ce choix. compte Sonia. Surtout des boîtes J de conserve, mais aussi des fruits, usqu’à sa fermeture en des légumes et de la viande parti- mars 2020, à cause de culièrement périssables. » La ques- la pandémie de Covid 19, tion de l’adéquation entre l’offre et l’épicerie sociale tenue par les besoins des adhérents se pose le Secours Catholique, à alors. Et lorsque survient la crise du Montpellier tournait bien. Les Covid, qui contraint l’association à À Montpellier, rayons approvisionnés par la fermer les locaux pendant de longs l’épicerie solidaire du banque alimentaire étaient fournis. mois, l’équipe sait déjà qu’elle ne re- Secours Catholique a complètement Et une cinquantaine de personnes prendra pas l’activité comme avant. repensé son et de familles venaient chaque se- « Plusieurs d’entre nous avaient fonctionnement à maine remplir leur cabas. Pourtant envie d’une action plus participative, partir des besoins l’équipe de bénévoles qui gère le lieu notamment pour répondre plus jus- et propositions d’améliorations n’était pas totalement satisfaite. tement aux besoins des personnes », exprimés par ses « On ressentait qu’il y avait beau- raconte Geneviève Silberstein, la adhérents. coup de gaspillage », explique Sonia responsable. Malgré la ferme- 6 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
MODE D’EMPLOI LES BESOINS IDENTIFIÉS Associer les personnes Pour répondre au plus près des besoins Pour quoi ? Pour susciter l’adhésion à un projet ou un changement. Pour redonner du pouvoir d’agir aux personnes sur leur situation et sur leur vie. Construire ensemble. Consulter les personnes concernées pour identifier les problèmes et les L’IDÉE besoins, et les impliquer dans la recherche et la mise en oeuvre des solutions. AVEC QUI ? Les habitants d’un quartier, les adhérents ou les habitués d’un lieu, les participants à une activité ou un groupe de parole… Les bénévoles, les autres acteurs sociaux, les élus, les institutions. LES OBJECTIFS La transformation L’adéquation sociale : En développant du projet : La coopération : les capacités d’agir des Les personnes concer- En permettant personnes, on permet nées savent le mieux à chacun de prendre que les choses s’amé- les difficultés une place active dans liorent de façon durable qu’elles rencontrent l’action, on ouvre à l’échelle individuelle et ce dont elles ont l’horizon des solutions comme collective. besoins. possibles. LES LEVIERS DE RÉUSSITE Consentir à ne pas tout maîtriser et accepter Prendre le temps de créer un lien de confiance. Être le temps long. à l’écoute des personnes et valoriser leur apport. Faire confiance aux personnes, les mettre Établir ensemble une charte de conduite ou de en position de décider et respecter ces décisions. fonctionnement dans le groupe. Ne pas se décourager face à des imprévus ou Vivre des temps conviviaux. Fêter les réussites lorsque la dynamique semble s’essouffler. (petites et grandes). Proposer sans imposer. FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 7
INNOVER ture du lieu, le lien est mainte- Square Morbihan. C’est grâce au font part d’un besoin de lien social. nu avec une vingtaine d’adhérents, Fraternibus1 du Secours Catholique Il manque, selon elles, un lieu convi- essentiellement des femmes, par et par l’entremise d’autres acteurs vial où se rencontrer pour échanger, le biais de paniers solidaires de sociaux, reconnus dans le quartier, boire un café… fruits et de légumes biologiques. que la jeune femme et les bénévoles À Montpellier, la consultation prend C’est avec elles que sera pensée impliqués dans le projet ont pu fa- la forme d’entretiens individuels où la future épicerie. Lorsqu’il leur est cilement entrer en contact avec les chacun s’exprime sur son rapport à proposé de s’investir dans le pro- l’alimentation, à la cuisine, sur ses jet, certaines acceptent avec plaisir, goûts et ses habitudes alimentaires, d’autres déclinent « par manque de sur ses contraintes pratiques et fi- temps, à cause de la barrière de la nancières ; dit, aussi, ce qu’il attend langue, ou parce qu’elles sont dans DANS UNE DÉMARCHE du futur lieu, comment il le conçoit la recherche d’une aide, sans forcé- PARTICIPATIVE, ON DÉPEND idéalement. « On a eu des sur- ment, avoir envie de s’impliquer », ex- DE LA DISPONIBILITÉ DES prises, des choses qu’on n’imaginait plique Anne, une bénévole. GENS. IL FAUT AUSSI DU pas », confie Geneviève. Consultée, TEMPS POUR QUE CHACUN Halima Benyamina, 49 ans, a émis, Lien de confiance OSE S’EXPRIMER. avec d’autres, l’envie d’un lieu ou- Fédérer autour d’une démarche vert à tous avec des tarifs différen- participative ne va pas de soi. « Il résidents. « Sans ces entrées, cela ciés selon les revenus. « Le Secours faut d’abord que s’instaure un lien aurait été compliqué, assure-t-elle. Catholique, c’est pour tout le monde, de confiance, que les personnes Ici, si vous faites du porte-à-porte, les pas que pour les “mendiants”, dit-elle. comprennent qui vous êtes, ce que gens ne vous ouvrent pas. » Les ré- C’est important que des personnes vous leur voulez et pourquoi », sou- ponses à un questionnaire distri- dans des situations différentes se ligne Mireille Wilhelm, anima- bué à une cinquantaine d’habitants, croisent. Et puis, si certaines peuvent trice au Secours Catholique, à notamment à l’aide du Fraternibus, payer plus que les autres, c’est bien Vannes, et initiatrice d’une mobili- valident les observations faites par pour équilibrer les comptes. » sation d’habitants dans le quartier Mireille : les personnes interrogées Expérimentation À Vannes, l’équipe du Secours Catholique met en place un groupe REGARD de travail avec les autres acteurs so- CLAIRE LELOGE, ADHÉRENTE À L’ÉPICERIE DU SECOURS ciaux et une quinzaine d’habitants CATHOLIQUE, À MONTPELLIER volontaires. Au fil des rencontres, un premier projet éclot : l’organisation « SE SENTIR RECONNUE, PERMET D’AVANCER » d’une fête de quartier pendant l’été. « C’était une première étape pour se ras- L orsqu’on monte un projet, c’est important de laisser la parole surer, vérifier qu’il y avait du répondant aux personnes concernées, de les interroger sur ce qu’elles dans la population », précise Mireille. souhaiteraient et pourquoi. D’abord, pour répondre au plus Devaient suivre la création d’une as- près de leurs besoins. Ensuite, pour susciter leur adhésion, surtout sociation d’habitants, puis, à terme, quand il s’agit de changements qui vont avoir un impact sur leur l’ouverture d’un espace de vie sociale. fonctionnement au quotidien. Pour la personne, être consultée et « Dans une démarche participa- impliquée, c’est très valorisant. Elle est considérée, elle existe. Elle tive, le temps est plus long, observe ne se dit plus : « Je vais dans un lieu pour les pauvres », mais : « Je Geneviève Silberstein. D’abord, on participe à un projet ». C’est un regard différent sur les personnes dépend de la disponibilité des gens. en précarité qui fait beaucoup de bien. Et puis, concrètement, venir Ensuite, il faut un temps pour que cha- à des réunions, discuter, échanger, rompt la solitude. Se sentir en- cun se sente légitime pour s’exprimer, tourée et reconnue rebooste le moral. Cela permet d’avancer. donner son avis. Puis, on expérimente en prenant le risque de se tromper. 8 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
INNOVER du tout. Il faut faire confiance aux personnes dans l’analyse de leurs besoins et des réponses à trouver. » À Vannes, malgré la réussite de la fête organisée, le projet initial de création d’un lieu de vie a été abandonné. L’annonce d’une réha- bilitation prochaine du quartier et du relogement, ailleurs, de ses ré- sidents est venue bouleverser les priorités. « Les habitants ont expri- mé le souhait de monter un collectif pour défendre leurs intérêts face à la mairie et au bailleur social. On s’est donc mis à travailler dans ce but », raconte Mireille. Démocratie représentative Mais au bout de quelques se- maines, la plupart des résidents impliqués font marche arrière. Ils craignent d’être pénalisés, par le bailleur social, en étant mal relo- gés. Le collectif ne voit pas le jour. « Il faut accepter cela, commente Mireille. Se dire que ce n’est pas CHRISTOPHE HARGOUES / SCCF notre projet, mais celui du groupe, et, que si le groupe n’est plus, le pro- jet n’a plus lieu d’être. » À Montpellier, Geneviève réfléchit à la suite, lorsque l’épicerie aura complètement réouvert et atteint C’est donc nécessaire d’avancer petit alimentaire, c’est qu’ils vont être jetés son rythme de croisière. « Pour à petit, par étapes. Même si ce temps alors qu’ils sont encore consom- l’instant, on est dans une démarche long n’est pas forcément compris par mables. C’est du gaspillage », explique expérimentale avec une vingtaine de tout le monde. » Début janvier, lors la jeune femme. D’autres, pour des personnes qu’on connaît bien, qu’on d’une réunion de travail rassemblant raisons financières, ont dit préférer peut facilement consulter, souligne- bénévoles et adhérents, une ques- une offre plus équilibrée mêlant des t-elle. Mais lorsque nous serons tion était soumise : faut-il arrêter de bons produits et des aliments de plus nombreux, le fonctionnement s’approvisionner auprès de la banque moins bonne qualité, mais du coup ne pourra plus être le même. » Elle alimentaire ? En effet, certains béné- moins chers. « Quand on consulte imagine un conseil d’administra- voles, dont Geneviève, souhaitaient, les personnes, il faut accepter de ne tion composé pour moitié de bé- pour des raisons éthiques et à cause pas tout maîtriser, et donc de changer névoles, pour l’autre d’adhérents. de la qualité des produits, ne plus d’orientation. [On ne va pas] là où on « On passerait d’une démocratie di- dépendre des invendus des super- comptait emmener tout le monde », recte à une démocratie représenta- marchés. Mais plusieurs adhérents, explique Geneviève. tive », s’amuse-t-elle. comme Khadija Mohamat, n’étaient Mireille Wilhelm confirme : « Au 1 Véhicule équipé du Secours Catholique à bord pas d’accord. « Le problème, si on ne départ, on a l’impression qu’il faut duquel les bénévoles de l’association se rendent sur les places des villages et des quartiers à la prend pas les produits de la banque qu’on apporte la solution. En fait, pas rencontre des habitants en difficulté. FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 9
INNOVER AEQUITAZ DES PARLEMENTS LIBRES DE JEUNES ILS Y PENSENT AUSSI PAR CLARISSE BRIOT Experte dans l’accompagnement de collectifs, l’as- sociation Aequitaz, située en Auvergne-Rhône-Alpes, déploie des Parlements libres de jeunes adultes. Ces espaces d’expression rassemblent des participants d’horizons variés — qui se sont inscrits individuelle- ment ou par des réseaux d’éducation populaire_, leur permettant de partager leurs préoccupations et de formuler des propositions concrètes. Cette initiative est née du double constat que ce public, particulière- ment touché par la précarité, est trop peu écouté et qu’il n’est pas associé aux politiques qui le concernent. Un partenariat avec la Cnaf a été signé en 2020 et un livre blanc des propositions des jeunes est en projet. SCCF Plus d’infos sur : www.aequitaz.org MEXIQUE APPUI À DES COMMUNAUTÉS COLLECTIFS D’HABITANTS LOCALES DES « TABLES DE QUARTIER » Dans la région de la Sierra Norte de Veracruz, la À la suite d’une expérimentation nationale du communauté Jalamelco, inquiète de la pollution dispositif, les « Tables de quartier » sont devenues des eaux due à l’implantation d’une société minière, une réalité dans une vingtaine de quartiers prioritaires a pris position contre ce type d’activités. L’ONG de Marseille. Ces lieux d’expression sont investis par Fomento accompagne cette population dans sa des collectifs d’habitants épaulés par un animateur. démarche de sensibilisation des villages exposés Son rôle est d’appuyer leurs capacités de mobilisa- aux mêmes menaces, et dans l’organisation de la tion autour d’enjeux partagés, ayant trait à leur cadre mobilisation, en particulier au moyen d’une radio. de vie. Dans le XIe arrondissement, un collectif d’ha- « C’est la communauté qui fixe les limites de la mobi- bitants se mobilise, par exemple, avec de premiers lisation », souligne Ismael Flores Rosado, qui suit le résultats pour la réhabilitation de 200 logements vé- projet pour le Secours Catholique. tustes au sein de leur résidence. Plus d’infos sur : laligue13.fr/les-tables-de-quartier RETOUR SUR… LE HAMEAU SAINT-FRANÇOIS, ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE O uvert depuis juin 2019, par une femme sans descendance tager un grand jardin, des aires de l ’ Éc o - h a m e a u s o l i - afin d’y accueillir les blessés de jeu, une chapelle, des salles com- daire Saint-François à la vie. L’Union diocésaine du Var munes pour se réunir ou prendre Draguignan se compose de 39 lo- (UDV) a confié la construction des repas ensemble. Le hameau ré- gements écologiques à faibles des logements à Habitat et huma- serve aussi un grand appartement charges où vivent 60 à 70 per- nisme, et a fait appel à Ludovic de pour accueillir des hôtes de pas- sonnes fragiles. Dans ce lieu de Lalaubie du Secours Catholique sage ou met son champ d’oliviers vie, elles peuvent acquérir une plus pour y tenter une expérience de à la disposition de scouts-compa- grande autonomie et dépendent vivre-ensemble. Depuis trois ans, gnons qui, tous les étés, viennent moins des travailleurs sociaux. La les habitants se félicitent du cadre planter leurs tentes et aider aux tra- propriété a été léguée au diocèse et du confort de vie. Ils peuvent par- vaux du hameau.. J.D. 10 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
DÉBATTRE FAUT-IL (CONTINUER À) DÉMATÉRIALISER LES SERVICES PUBLICS ? CONTEXTE. Le mouvement de dématérialisation des démarches administratives est enclenché. Le gouvernement ambitionne notamment de dématérialiser, d’ici mai 2022, les 250 démarches les plus utilisées par les citoyens. Cette numérisation des services ne va pas sans conséquence pour une partie de la population, peu ou mal connectée. Quelles propositions, quels accompagnements ? VÉRONIQUE DEVISE, AMÉLIE DE MONTCHALIN, PRÉSIDENTE NATIONALE MINISTRE DE LA TRANSFORMATION DU SECOURS CATHOLIQUE — CARITAS FRANCE ET DE LA FONCTION PUBLIQUES. V. D. : La dématérialisation permet que nos services publics restent mériser, nous voulons le faire de gagner du temps pour la majorité ouverts, qu’ils continuent d’accueil- correctement. Ce numérique-là est de nos concitoyens, et pour les admi- lir ceux qui sont en plus grande fra- d’ailleurs plébiscité par les associa- nistrations. Mais nous nous préoccu- gilité afin qu’ils n’accroissent pas tions qui accompagnent les per- pons de la frange de la population qui les délais de réponse pour tous sonnes en situation de handicap, il n’est pas connectée. Treize millions les Français. Mon combat, c’est l’est aussi par la population en mi- de personnes en France souffrent de concilier numérique et proxi- lieu rural. Ensuite, nous voulons ac- d’illectronisme1. Nous côtoyons une mité. Et donc d’agir à la fois pour compagner ceux qui sont les plus partie de ce public qui nous parle des le « bon » numérique — simple, er- éloignés du numérique. C’est pour- difficultés rencontrées. Ce sont des gonomique, accessible à tous — quoi nous déployons 4 000 conseil- jeunes, diplômés ou non, des mé- et pour une refonte profonde des lers numériques France services nages à bas revenus, des personnes lieux de proximité des services sur l’ensemble du territoire qui ap- âgées et des personnes en situation publics du quotidien, à travers le porteront leur aide pour utiliser les de handicap. Pour beaucoup, cet il- programme France services. Je outils numériques à ceux qui le sou- lectronisme empêche l’accès aux suis d’accord avec vous : le numé- haitent. Enfin, il y a des personnes droits. C’est le cas d’un tiers des per- rique bien fait est une bonne chose. qui, pour une raison ou pour une sonnes que nous accueillons. C’est pour cela que je rends compte autre, seront toujours étrangères tous les trimestres de la qualité des au numérique. Pour elles, nous A. de M. . : Ma priorité, depuis le démarches en ligne. Ces 250 dé- avons mené depuis deux ans une début de cette crise sanitaire, est marches, que nous voulons nu- réouverture massive de lieux FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 11
DÉBATTRE XAVIER SCHWEBEL / SCCF AMÉLIE DE MONTCHALIN VÉRONIQUE DEVISE D’ici fin 2022, il y aura un espace Il faut conserver des personnes pour France services à trente minutes accueillir car les 20 % qui n’ont pas accès de chacun des citoyens. aux services aujourd’hui risquent d’être Ce maillage fin est notre priorité. encore plus éloignés de leurs droits demain. d’accueil de proximité : France A. de M. :Tous les espaces France A. de M.: D’ici fin 2022, il y aura un services. Ce sont 2 000 lieux d’ac- services ont des postes informa- espace France services à trente mi- cueil (sur un objectif de 2 500 tiques et des imprimantes en libre nutes de chacun des citoyens. Ce cette année) qui rassemblent les accès, ainsi que des personnes maillage fin est notre priorité, c’est neuf services publics du quotidien. formées pour accompagner les pourquoi nous avons par exemple Nous déployons aussi des modèles publics les plus éloignés des dé- opté pour le renforcement des bus innovants : des bus, des numéros marches administratives. Notre itinérants dans certains territoires de téléphone uniques… et c’est un objectif est bien que 100 % de la ruraux et dans des quartiers prio- vrai accompagnement puisque population bénéficie de ce réseau. ritaires pour aller chercher les pu- 82 % des personnes qui ressortent C’est pourquoi il ne faut pas que blics les plus éloignés. d’une antenne France services ont l’on se vive, vous et nous, comme obtenu une solution. Alors oui, le des concurrents, mais bien comme V. D. : Nous-mêmes expérimentons numérique, c’est le XXIe siècle et des partenaires, au service des plus des « Fraternibus »2. Mais j’insiste cela fonctionne pour 80 % de la po- fragiles. sur les difficultés des personnes pulation, mais nous ne renierons qui sont dans des situations com- jamais l’importance de la proximi- V.D. : En effet, mais nous vous aler- plexes et ne rentrent pas dans des té. Je pense que nos objectifs sont tons sur cette frange de la popula- cases de formulaire. Cela pose des convergents. tion qui n’ira pas forcément dans difficultés d’accès à leurs droits. les maisons France services. Ces V. D. : Vous dites assurer l’accès au personnes, nous les accueillons A. de M. : Ce sont ces difficul- numérique à 80 % de la population, dans nos équipes locales, et nous tés que ces lieux d’accueil vont mais, nous, nous pensons aux per- essayons de les accompagner au résoudre. Je me bats aussi pour sonnes à la rue, en logement pré- mieux, en créant avec elles un lien que les démarches complexes caire, à celles qui vivent à l’hôtel fraternel qui permet la confiance. qui freineraient l’accès aux droits — l’hôtel profitant parfois de leur si- Elles ont besoin qu’on les accom- soient supprimées. Dans le pro- tuation pour réclamer dix euros par pagne, même si c’est pour se jet de loi de finances 2022, nous jour pour le wifi au public étranger. rendre dans une administration avons ainsi acté l’accès automa- Nous côtoyons une population qui ou une maison France services, si tique à la complémentaire santé n’est ni forcément logée ni équipée. toutefois il y en a une à proximité. solidaire pour les bénéficiaires du 12 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
DÉBATTRE RSA. Autre exemple : l’intermédia- V. D. : Concernant les municipali- peuvent pas prendre rendez-vous tion financière des pensions ali- tés, elles doivent réaliser pendant sur la plateforme en ligne. mentaires sera activée par défaut leur mandature une analyse des be- pour prévenir le risque d’impayé et soins sociaux4. Il faudrait modifier A. de M. : Pour les personnes en les familles monoparentales en bé- cette procédure réglementaire pour procédure de demande ou de re- néficieront particulièrement.. y intégrer des éléments d’analyse nouvellement de titre, il y a ef- comme le taux d’équipement des fectivement l’enjeu de la prise de V. D. : Certaines procédures de- habitants et les lieux ressources rendez-vous, avec des cas drama- meurent complexes. Les per- pour qu’ils puissent se former [au tiques que nous connaissons. Un sonnes se découragent d’aller vers numérique]. vrai travail est fait par le ministère les services sociaux, parce qu’elles de l’Intérieur pour que l’accès à la n’en peuvent plus de quémander. A. de M. : C’est une très bonne procédure puisse se faire dans de idée d’ajouter dans l’analyse des bonnes conditions. A. de M. : Nous avons fait voter besoins sociaux celui lié à la dans la nouvelle loi 3DS3 le partage connexion. V. D. : Le tout numérique a ses li- de données pour les acteurs de l’in- mites, et nous espérons que vous sertion, afin que les personnes qui V. D. . : Nous sommes égale- continuerez d’humaniser les ser- voient un accompagnateur social ment favorables au maintien vices publics en conservant des n’aient pas à répéter systémati- de la connexion ; en cas d’im- personnes pour accueillir. Car les quement leur parcours ou fournir payés, comme cela est fait pour 20 % de la population qui n’ont pas plusieurs fois le même document. l’eau, l’électricité. C’est une façon accès aux services aujourd’hui L’accompagnement humain et fra- de ne pas être en rupture d’ac- risquent d’être encore plus éloignés ternel que vous défendez est un ac- cès aux services publics. Et, j’in- de leurs droits demain. compagnement de la personne, pas siste, coupler l’équipement avec de sa vie administrative. Le combat l’accompagnement. A. de M. : Ce gouvernement n’est pour l’accès aux services numérisés pas celui qui, comme d’autres, vous et pour un retour à des rapports hu- A. de M. : C’est là qu’interviennent explique qu’il faut supprimer des mains entre les services publics et les conseillers numériques France fonctionnaires sans discernement. les usagers est essentiel. services qui sont pour beaucoup Au contraire : puisqu’il y a des be- d’entre eux attachés à un espace soins d’accueil et d’orientation, V. D. : Nous pointons aussi le coût du même nom. Je souhaite que nous redéployons des agents sur de l’équipement et de l’abonnement les responsables de ces lieux le terrain. Aujourd’hui, avec France pour les personnes en situation de présentent à tous les acteurs de services, ce sont les services pu- précarité, ainsi que la formation ou l’accompagnement social de leur blics qui vont vers le citoyen. C’est l’accompagnement à l’utilisation territoire, comment ils fonctionnent une révolution que nous portons des outils. Vous avez parlé des mai- pour que tout le monde puisse tra- avec beaucoup de volontarisme. sons France services, mais les mai- vailler ensemble. Et que l’on fasse Propos recueillis ries sont des lieux de proximité où du cousu main, dans chaque ter- par Clarisse Briot ces personnes peuvent aller et où ritoire, pour qu’il y n’ait aucun ci- il faut proposer ces services. toyen oublié. 1 Difficulté, voire incapacité, à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques en raison d’un manque ou d’une absence totale de A. de M. : Nous allons justement faire V. D. : Près de la moitié des per- connaissances à propos de leur fonctionnement. 2 Minibus allant à la rencontre des publics isolés évoluer le rôle des 25 000 secrétaires sonnes accueillies par le Secours ou en précarité, dans une démarche de rencontre fraternelle, certains proposant des services (lave- de mairie qui sont, pour les citoyens Catholique sont étrangères.. rie, informatique…). Une vingtaine sont en cours de dans des zones plus isolées, le visage Certaines sont en cours de régu- déploiement. 3 Projet de loi dit « 3DS » sur la différenciation, la du service public. Nous avons une ac- larisation, et par manque d’outils décentralisation et la déconcentration. 4 L’analyse des besoins sociaux (ABS) permet tion forte pour faire connaître leur mé- numériques, ne peuvent pas re- à la commune de procéder à une analyse des tier, revaloriser leur salaire et travailler nouveler leurs droits — et c’est dra- besoins réels de sa population : familles, jeunes, personnes âgées, handicapées, personnes en sur leur formation. matique — ou, tout simplement, ne difficulté… FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 13
COMPRENDRE ENQUÊTE CHÔMEURS : ACCOMPAGNER PLUTÔT QUE SANCTIONNER. PAR AURORE CHAILLOU D’un côté, 2,8 millions de personnes durablement privées d’emploi. De l’autre, des centaines de milliers d’emplois non pourvus. Pour beaucoup, l’équation est simple. Certains chômeurs ne font pas preuve d’une recherche active et doivent être sanctionnés et voire leurs allocations suspendues. Pour les chercheurs d’emploi, la réalité est plus complexe. Faible niveau de qualification, problèmes de santé, de mobilité, image de soi dégradée… Une multitude d’obstacles fait du chemin vers l’emploi un véritable parcours du combattant. Plus que de sanctions, ces hommes et ces femmes ont besoin d’un accompagnement social dans la durée ; de ressources stables pour traverser sereinement cette épreuve. De voir leurs compétences prises en compte CHRISTOPHE HARGOUES / SCCF et reconnues. Et, plus encore, que l’on porte sur eux un regard bienveillant. Une manière de s’entendre dire : on compte sur toi. 14 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
COMPRENDRE FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 15
dans le cadre de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) , si la candidature du territoire de Gerzat et des Vergnes est retenue. Attenant à Gerzat, Les Vergnes est un quartier prioritaire politique de la ville de Clermont-Ferrand, classé dans la catégorie grande pauvreté. Gerzat, elle, connaît un taux de chômage de 10 %, su- périeur de deux points à la moyenne natio- nale. Le Secours Catholique accompagne les personnes privées d’emploi stable comme Myriam, Laaziza, Isabelle, volontaires pour occuper les postes qui pourraient être créés. En France métropolitaine, 5,6 millions de per- sonnes sont inscrites à Pôle emploi et tenues de chercher un emploi1 (catégories A, B, C, 3e tri- mestre 2021). Parmi elles, 2,8 millions sont des demandeurs d’emploi de longue durée : des personnes sans emploi depuis au moins un an. Les moins diplômés y sont surreprésen- tés. Les actifs ayant au plus le brevet des col- lèges connaissent un taux de chômage de 14 % CHRISTOPHE HARGOUES / SCCF contre 5 % pour les diplômés du supérieur, selon l’Insee. Parmi ces chômeurs de longue durée, on retrouve davantage de personnes d’origine étrangère, de personnes ayant un handicap re- L connu ou non, de mères seules, de jeunes en Des étudiants e métier de ses rêves ? « Ambulancière. » quête d’une première expérience profession- et des demandeurs Myriam, la quarantaine, prononce le nelle. Pour trouver un travail, ils rencontrent d’emploi se mot avec regret. « C’est le métier que souvent une multitude de freins, comme en retrouvent je faisais ! » précise cette habitante témoignent les personnes rencontrées dans le pour un atelier collectif recherche de Gerzat, une commune voisine de Puy-de-Dôme, à Paris et en Seine-Saint-Denis. d’emploi Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Voici quatre à L’Escale (Secours ans, elle s’est blessée. « Du coup, je suis inapte Des freins multiples au retour à l’emploi Catholique, au poste. » Peu de temps après, sa maison est « Personnellement, je ne peux pas accepter un Clermont-Ferrand). partie en fumée. Puis il y a eu le décès de sa travail dans un snack jusqu’à 22 heures, explique mère, la maladie de son père, atteint d’Alzhei- Laaziza. Avec mes enfants, je ne peux pas ! » mer. « Je me suis retrouvée coincée : je ne pouvais Depuis qu’elle s’est séparée de son conjoint, pas chercher activement du travail, car je m’oc- cette habitante du quartier des Vergnes élève cupais de mon père. Je devais aller le voir toutes seule ses enfants. Comme beaucoup de les deux heures. » mères, elle aimerait un travail lui permettant « Parfois, ce n’est pas qu’on ne veut pas travailler, de les déposer à l’école le matin et d’être au- c’est qu’on ne peut pas ! » s’exclame Laaziza, près d’eux le soir. 43 ans, assise à côté de Myriam dans la Camille, 17 ans, a, quant à lui, des difficultés salle à manger de “La maison”, une bâtisse pour rentrer de son travail. Il effectue une for- d’un étage louée par le Secours Catholique mation dans un restaurant-école de Clermont- à quelques pas de la mairie de Gerzat. Elle Ferrand. La ligne de bus qui dessert son sert de lieu de rencontres aux personnes domicile ne fonctionne plus après la fermeture prêtes à intégrer les emplois qui seront créés du restaurant, au-delà de 22 heures. 16 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
COMPRENDRE Plus la précarité est grande, plus les freins à de coûter à la collectivité. « Quand on ne travaille l’emploi sont difficiles à surmonter, constate pas, on est sous tutelle, on dépend des aides de Odile Rosset, directrice de Carton plein. Cette l’État, confie Marie-Suzanne. Avant, je ne pouvais structure de l’insertion par l’activité écono- pas parler devant les gens. Maintenant que j’ai un mique emploie, à Paris, des personnes qui ont travail stable, je peux les regarder en face. » vécu dans la rue et qui se confrontent à « des Si le travail occupe une place à ce point cru- problèmes de logement, une méconnaissance cial dans nos vies, c’est qu’il constitue « l’activité totale du système de travail légal, une mauvaise extérieure à nous la plus à même de nous faire maîtrise du français, un handicap pas toujours nous sentir utile aux autres », souligne Pierre reconnu, des addictions, des problèmes de santé Kirgo, psycho-sociologue du travail, distinguant mentale, un passage en prison… » en cela le travail des tâches domestiques. En outre, « plus la période de chômage s’allonge, plus Des conditions de travail interrogées il est difficile de retrouver un travail », précise-t-il. Les conditions de travail aussi peuvent être un En dix ans, la durée d’ancienneté dans le chô- frein. Isabelle, 42 ans, embauche à 5 h 30 du mage des personnes reçues par le Secours matin pour faire le ménage dans des écoles. Catholique est passée de 1,6 an à 2,6 ans. La « C’est pas le ménage, le problème. C’est qu’il personne perd progressivement les cadres qui n’y a pas de contact humain. » Si certains structurent le travail, ce qui conduit à une cer- secteurs en tension (le bâtiment, l’hôtellerie- taine désadaptation : difficulté à arriver à l’heure, restauration, l’aide à la personne) manquent à travailler en équipe, à respecter des règles… de candidats, c’est aussi qu’ils manquent Et le risque s’accroît de basculer dans une pré- d’attractivité. Denis, 44 ans, actuellement en carité plus grande. formation dans la restauration à Clermont, n’est plus prêt à travailler dans le bâtiment, où il s’est usé la santé ; Christophe, 50 ans, en insertion à Carton plein à Paris, une ving- AVANT, JE NE POUVAIS PAS PARLER taine d’années d’expérience en cuisine, n’a DEVANT LES GENS. MAINTENANT plus l’énergie pour endurer le stress du coup QUE J’AI UN TRAVAIL STABLE, de feu. Marie-Suzanne, 54 ans, aujourd’hui JE PEUX LES REGARDER salariée de l’expérimentation Territoires zéro EN FACE. chômeur à Thiers, déplore la précarité du tra- vail d’aide à domicile : « trente minutes à droite, trente minutes à gauche, et pas de salaire fixe ». « Pour permettre le retour vers l’emploi, il faut Les stigmates du chômage activer simultanément quatre leviers », ex- Au-delà, ce qui fait beaucoup souffrir Myriam, plique Guillaume Alméras, responsable du ce sont les discours qui culpabilisent les chô- département économie solidaire au Secours meurs. « À en croire les gens, on gagne mieux sa Catholique. « Il faut un revenu qui sécurise le quoti- vie au RSA qu’en travaillant, on a fait des gosses dien pour ne pas avoir à s’inquiéter chaque jour du pour l’argent et on attend la prime de Noël ! » lendemain ; une activité pour être en mouvement ; Myriam se sent jugée en permanence : sans une formation, pour accéder aux emplois souhai- travail, sans revenus suffisants, la confiance en tés ou disponibles ; un accompagnement social soi, assure-t-elle, est « pourrie ». « Je peux pas me pour régler les problèmes tels que le logement. » payer le coiffeur, pas m’acheter de vêtements. » Il y a quelques mois, elle sortait à peine de chez Sécuriser le quotidien elle. « Je m’habillais plus. » Il lui est arrivé d’aller Face à la réforme de l’assurance-chômage, le au supermarché en robe de chambre. Elle re- Secours Catholique et d’autres associations connaît s’être refermée sur elle-même. Peu à de solidarité se disent inquiets. Si inciter les peu s’installe un sentiment de honte, d’inutilité, demandeurs d’emploi à retrouver un travail FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 17
COMPRENDRE CHRISTOPHE HARGOUES / SCCF Denis, 44 ans, est légitime, Guillaume Alméras dénonce d’insertion. […] Il s’agissait de trier le linge, ce qui est stagiaire une politique qui « met dans l’inconfort et la pré- ne m’intéressait pas… Et, en plus, j’étais en conflit au restaurant carité » les plus fragiles. Selon une étude de avec la directrice de l’association. J’ai refusé de école Toques l’Unedic,2 les personnes travailler dans des conditions Académie (Clermont- les plus touchées par qui ne me convenaient pas. Ferrand). la réforme seront celles J’aimerais peindre ou m’oc- Auparavant, s’inscrivant au terme d’un ISABELLE PERÇOIT LE RSA. cuper d’enfants ou de per- il a travaillé CDD ou d’une période d’in- « JE PEUX PAS VIVRE, sonnes handicapées. » D’où dans le bâtiment térim. Elles toucheront en JE SURVIS. » la conviction portée par ce et la logistique. moyenne 17 % de moins. rapport : il faut garantir un Quant aux minima sociaux, revenu minimum décent ils ne permettent pas de sans contrepartie, qui im- vivre décemment. Isabelle est aujourd’hui al- plique de cesser « la pratique des sanctions contre locataire du RSA. « Je peux pas vivre, je survis. » les allocataires du RSA ». Une mesure d’autant Myriam, elle, dit s’être sentie abandonnée au plus urgente qu’un rapport publié le 13 janvier moment où elle avait le plus besoin d’être sou- 2022 par la Cour des comptes pointe l’échec du tenue. Un sentiment renforcé par l’évolution du RSA à mobiliser les personnes vers un emploi système d’allocations sociales, qui conditionne stable et à sortir les gens de la pauvreté. l’aide versée à la recherche active d’un emploi. Le Secours Catholique plaide pour un revenu Dans le rapport « Sans contreparties. Pour un minimum garanti de plus de 700 euros par mois revenu minimum garanti », publié en 2020 par pour une personne seule. Celui-ci permettrait Aequitaz et le Secours Catholique, on peut lire à la France de respecter son engagement à le témoignage de L., réveillée en pleine nuit, éliminer l’extrême pauvreté d’ici 2030, pris à inquiète à l’idée qu’on lui supprime le RSA : travers sa feuille de route pour atteindre les « Demain, conseil disciplinaire RSA. Je dois Objectifs de développement durable adoptée leur expliquer pourquoi j’ai stoppé mon contrat en septembre 2019. 18 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2022
COMPRENDRE Se remettre en activité Parmi les solutions pour permettre aux de- mandeurs d’emploi de remettre un pied dans le monde du travail, les structures d’insertion par l’activité économique sont particulièrement développées. On y signe un contrat à durée dé- terminée, dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre mois. L’objectif, rappelle Amaury CHRISTOPHE HARGOUES / SCCF Andriot, encadrant technique, pédagogique et social pour un chantier d’insertion de l’asso- ciation Inserfac dans le Puy-de-Dôme, est de « permettre à la personne de retrouver confiance en soi ». Et qu’à la sortie, elle ait soit un emploi, soit une formation. Une « sortie positive » en langage administratif. Amaury Andriot suit au quotidien là, il va falloir se lever à 4 heures du mat’» Ses le- « Avant, à part huit salariés qui fabriquent des couteaux à l’ate- viers : le logement (un intérimaire sans abri peut m’occuper de mon père et de mes lier Le Thiers. Son accompagnement consiste à être logé dans un foyer de jeunes travailleurs gosses, je n’avais donner un cadre de travail clair, à faire acquérir partenaire) ; l’autonomie financière (avec un aucun contact », un savoir. Il s’agit, in fine, d’offrir « un meilleur futur salaire moyen de 1700 euros net) et le non-ju- témoigne Myriam, professionnel » aux personnes dont il a la charge. gement. Il ne demande pas aux candidats « s’ils volontaire du « Avant de “traverser la rue” pour trouver un travail, ont fait de la prison ou depuis combien de temps projet Territoires zéro chômeur il faut préparer les gens », insiste Hassan Chrif ils n’ont pas travaillé ». à Gerzat à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).Ce directeur Cependant, l’État demande aux entreprises (Puy-de-Dôme). d’une agence d’intérim d’insertion a conscience temporaires d’insertion des taux de sorties de ne pas proposer des métiers de rêve. Une positives de 65 % à 70 %. Ce qui peut pous- piscine olympique se construit sous les fe- ser à embaucher en priorité les personnes nêtres de son bureau. Il fait 8°C. « Pour travailler les moins éloignées de l’emploi. FOCUS TOQUES ACADÉMIE : SE FORMER, UN TREMPLIN VERS L’EMPLOI «L e restaurant accueille trois précaires. À chacun son parcours et Avant de commencer la pratique stagiaires en salle et trois ses difficultés face à l’emploi. au restaurant, Denis et ses ca- en cuisine. C’est Denis qui Denis, 44 ans, a fait un tas de mé- marades ont suivi des cours va s’occuper de vous. » Jean-Luc tiers : « Douze années de logistique, dans un centre de formation. Lafaille, chef de salle à Toques quatre dans le bâtiment, quatre dans Pour Noureddine, 35 ans, ce qui Académie, explique à des clientes le l’agro-alimentaire. » Il a connu la rue, compte, c’est la patience de celles fonctionnement du lieu. Dans ce res- vit dans un centre d’hébergement et ceux qui les accompagnent : taurant-école de Clermont-Ferrand, d’urgence. « Je m’accroche à cette « Notre formatrice explique bien des hommes et des femmes de 17 à formation. Je suis en reconversion les cours. Parfois, elle répète quatre 62 ans se forment en cinq mois aux professionnelle. Dans le bâtiment, il ou cinq fois pour que tout le monde métiers de commis de cuisine et de faut avancer intelligemment et vite. comprenne. » Et à la clé de la for- serveur. « Je vous demanderai d’être Ici, c’est minutieux, strict. Il faut faire mation, signale le jeune homme, indulgentes. » Les uns ont connu attention à la présentation, mettre le un large sourire aux lèvres : « un de longues périodes de chômage, client à l’aise. Ça, c’est la formation qui CDD de six mois avec un restaurant les autres ont enchaîné les boulots me l’apporte. » partenaire ». FÉVRIER 2022 – RÉSOLUTIONS 19
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