HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique

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HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
POUR UN MONDE JUSTE
                      ET FRATERNEL

SUPPLÉMENT AU JOURNAL MESSAGES N° 750 MAI 2021

    COMPRENDRE

    HÉBERGEMENT
    D’URGENCE :
    COMMENT RÉSOUDRE
    LA CRISE ?
    INNOVER

   INTERNATIONAL :
   FEMMES AGRICULTRICES,
   DES SAVOIRS À FAIRE
   FRUCTIFIER

    EXPLORER

   SUR « LE PARCOURS
   DU COMBATTANT »
   DES DEMANDEURS
   D’EMPLOI
                                                 FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 1
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
31

                           06

                                                                     28

                                                                14   Supplément au trimestriel Messages
                                                                     du Secours Catholique-Caritas France :
                                                                     106, rue du Bac – 75341 Paris CEDEX 07
                                                                     Tél. : 01 45 49 73 00 • Fax : 01 45 49 94 50
04 RÉAGIR                                                            Présidente et directrice de la publication :
                                                                     Véronique Fayet
LUTTE CONTRE LE NON-RECOURS : UN COMBAT ENCORE À MENER
                                                                     Directrice de la communication :
                                                                     Agnès Dutour
06 INNOVER                                                           Rédacteurs en chef :
                                                                     Emmanuel Maistre (7576)
FEMMES AGRICULTRICES, DES SAVOIRS À FAIRE FRUCTIFIER                 Clarisse Briot (7339)
                                                                     Rédacteur en chef adjoint :
                                                                     Jacques Duffaut (7385)
11 DÉBATTRE
                                                                     Rédacteurs :
FAUT-IL RENDRE LES TRANSPORTS EN COMMUN GRATUITS ?                   Benjamin Sèze (5239)
                                                                     Cécile Leclerc-Laurent (7534)
                                                                     Rédacteur-graphiste :
14 COMPRENDRE                                                       Guillaume Seyral (7414)
14 Enquête. HÉBERGEMENT D’URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE                Rédactrice photo :
    LA CRISE ?                                                       Elodie Perriot (7583)
                                                                     Imprimerie : Imaye Graphic © Messages
22 L’entretien : « IL FAUT SORTIR DE LA DICTATURE DE L’URGENCE »
                                                                     du Secours Catholique – Caritas France,
   Ici et là-bas. FINLANDE : DE L’HÉBERGEMENT AU LOGEMENT
26                                                                  reproduction des textes, des photos et
                                                                     des dessins interdite, sauf accord de la
27 Des outils pour comprendre                                        rédaction. Le présent numéro a été tiré
                                                                     à 58 145 exemplaires.
28  RENCONTRER                                                      Dépôt légal : n° 109482
                                                                     Numéro de commission paritaire :
BORIS TAVERNIER. L’ART DE L’ALIMENTAIRE                              1122 H 82430 / Édité par le Secours
                                                                     Catholique – Caritas France.
31 EXPLORER                                                          Photo de couverture :
                                                                     Vincent Boisot / SCCF
SUR « LE PARCOURS DU COMBATTANT »
DES DEMANDEURS D’EMPLOI

38 POINT DE VUE
OLIVIER JOBARD

39 LE REGARD DE BESSE ET ÉRIC LA BLANCHE
                                                                     Ce produit est imprimé par une usine
REPOS SUBVENTIONNÉ PAR L’ADMINISTRATION ?                            certifiée ISO 14001 dans le respect
                                                                     des règles environnementales.

2 RÉSOLUTIONS – MAI 2021
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
ÉDITORIAL
                                                                  IL N’Y A PAS DE CRISE
                                          ELODIE PERRIOT / SCCF
                                                                  DE L’HÉBERGEMENT D’URGENCE
                                                                  NINON OVERHOFF RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT DE LA RUE AU LOGEMENT
                                                                  AU SECOURS CATHOLIQUE CARITAS-FRANCE

                                                                  L
UNE CRISE QUI DURE                                                          es confinements et les couvre-feux successifs dont nous faisons
DEPUIS VINGT ANS                                                            l’expérience depuis plus d’un an nous rappellent à quel point
ET DONT LES SOLUTIONS                                                       « la possession d’un logement est très étroitement liée à la dignité
SONT CONNUES                                                                des personnes et au développement des familles » et qu’il « [est]
                                                                            une question centrale de l’écologie humaine1 ». Refuge protecteur
ET ÉPROUVÉES N’EST
                                                                  pour les plus aisés, il s’est en revanche refermé comme un piège sur les
PLUS UN ACCIDENT,                                                 ménages confrontés à l’insalubrité, au surpeuplement ou à la précarité
MAIS UN CHOIX                                                     énergétique. Pour d’autres encore, il fait cruellement défaut.
POLITIQUE.                                                        Les personnes sans domicile sont environ 300 000 dans la France de 2021
                                                                  et ce chiffre progresse de 10 % par an depuis 2012 bien que le logement
                                                                  décent soit un droit fondamental, un objectif à valeur constitutionnelle
                                                                  et qu’il soit opposable devant les tribunaux depuis 2007. Cette situation
                                                                  concerne un tiers des personnes et familles rencontrées quotidiennement
                                                                  par le Secours Catholique, qu’elles soient sans abri, vivent en habitat infor-
                                                                  mel ou soient accueillies “temporairement” dans les dispositifs d’héber-
                                                                  gement déployés en réponse aux “crises” sociale, migratoire ou sanitaire.
                                                                  Forts du consensus international qui conclut à l’efficacité sociale et
                                                                  économique de l’accès direct au logement pour mettre fin au “sans-
                                                                  abrisme”, les plans gouvernementaux se succèdent depuis 2009 pour
                                                                  réformer le secteur de l’hébergement d’urgence. L’actuel président de la
                                                                  République s’est même engagé à ce que plus personne ne soit contraint
                                                                  de vivre à la rue grâce au “Plan quinquennal en faveur du Logement
                                                                  d’abord”. Mais s’est-on jamais véritablement donné les moyens de faire
                                                                  autre chose que de parer à l’urgence ? En effet, le nombre de nuitées
                                                                  hôtelières et de places de mise à l’abri a doublé depuis 2013, mais rap-
                                                                  porté à la richesse nationale, l’effort public en faveur du logement est
                                                                  à son niveau le plus bas depuis 1984.
                                                                  Une crise qui dure depuis vingt ans et dont les solutions sont connues et
                                                                  éprouvées n’est plus un accident, mais un choix politique. Sortir durablement
                                                                  de l’urgence implique d’investir massivement pour développer une offre de
                                                                  logements abordables aux ménages à très faibles revenus. Mais aussi de
                                                                  lever les barrières à l’accès au logement. Et ce en s’assurant que l’offre dis-
                                                                  ponible bénéficie prioritairement à ces ménages, en renforçant les services
                                                                  d’accompagnement social et en donnant de réelles perspectives d’intégration
                                                                  aux personnes sans titre de séjour qui ne sont ni régularisées ni éloignées
                                                                  du territoire. Enfin, cela demande d’enrayer la fabrique du “sans-abrisme” en
                                                                  prévenant efficacement les expulsions locatives et en préservant le système
                                                                  de protection sociale lié au logement, dont les aides au logement, réduites
        1   Pape François, encyclique
              Laudato si’, § 152, 2015.                           de 20 % sous ce quinquennat, sont le pilier. 

                                                                                                                       MAI 2021 – RÉSOLUTIONS 3
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
RÉAGIR

                                                       NOS (+) NOS (-)

              LUTTE CONTRE LE NON-RECOURS :
                UN COMBAT ENCORE À MENER
Le pacte social français attribue des droits sous forme de prestations financières aux citoyens
ayant des revenus insuffisants afin qu’ils puissent vivre décemment. Or plus d’un quart des
personnes qui y sont éligibles ne parviennent pas à faire valoir leurs droits. Dans la lutte contre
le non-recours, on note quelques points positifs et de nombreuses insuffisances.

PAR JACQUES DUFFAUT

      Dans leur stratégie de lutte contre la pauvreté,                   La loi d’août 2018 pour un “État au service d’une so-
      les pouvoirs publics encouragent l’émergence                       ciété de confiance” incite les administrations à
de territoires “zéro non-recours” suggérée par le                échanger les données des allocataires afin que ces infor-
Secours Catholique, et implantent des Maisons France             mations, fournies une première fois, n’aient plus à être pré-
services sur certains territoires d’où les services so-          sentées à nouveau auprès des autres administrations. Cette
ciaux avaient disparu.                                           incitation toutefois n’est pas toujours suivie d’effets.

       Depuis le 1er novembre 2019, la CMU-C (couver-                   Avec la généralisation de la politique de numé-
       ture maladie universelle complémentaire) et                      risation, les démarches en ligne pourraient lais-
l’ACS (aide au paiement d’une complémentaire santé)              ser espérer un progrès. En réalité, elles sont une
ont été remplacées par la complémentaire santé so-               entrave supplémentaire pour les plus pauvres, qui ne
lidaire, obtenue de façon semi-automatique par les               disposent pas toujours d’un équipement informatique
allocataires du RSA. Cette mesure a été prise après le           (ordinateur, imprimante…) ou qui ne parviennent pas
constat que 25 % de la population renonçait à se faire           à s’en servir aisément. Le tout-numérique est au final
soigner. 670 000 foyers bénéficient désormais de cette           une cause importante du non-recours.
mesure sans avoir à renouveler chaque année leur
demande une fois la prestation obtenue.                                 Au nom de la lutte contre la fraude, un climat
                                                                        de suspicion plane sur les allocataires.
                                                                 Conséquence : nombre d’allocataires potentiels aban-
                                                                 donnent leurs démarches pour ne plus subir des
                                                                 contrôles qui tournent parfois à l’acharnement. La
REPÈRES                                                          confiance des Caisses d’allocations familiales semble
  29% à 39%                                Entre                 également érodée puisque, pour réétudier un dossier,
  des personnes éligibles                42% et 46%              elles suspendent les allocations. Une pratique fré-
          au RSA                      des personnes éligibles
                                                                 quente et pourtant illégale.
   ne le perçoivent pas.              à la CMUC-C1 ou à l’ACS2
                                         étaient en situation
                                           de non-recours.             La promesse de simplifier les démarches et les
                                                                       formulaires reste encore à tenir. La réforme du
          Hors Secours Catholique, le non-recours               RUA1 est au point mort. Les dossiers du RSA, par
           à la CMUC-C se situe entre 34% et 45%                 exemple, sont toujours aussi compliqués à remplir,
              Et celui de l’ACS entre 41% et 59%                notamment pour les personnes aux revenus irréguliers
                                                                 et pour celles qui occupent un emploi précaire. 
  1   Couverture maladie universelle complémentaire
  2   Aide à la complémentaire santé
                                                                 1 Revenu universel d’activité

4 RÉSOLUTIONS – MAI 2021
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
RÉAGIR

                     NOTRE ALTERNATIVE

                    PAR DANIEL VERGER, RESPONSABLE DU PÔLE ÉTUDES-RECHERCHES-OPINION
                    À LA DIRECTION ACTION ET PLAIDOYER FRANCE-EUROPE

LE SYSTÈME DOIT SE FONDER SUR LA
CONFIANCE ENVERS LES ALLOCATAIRES

L
      a lutte contre le non-recours     un pilotage national ambitieux.         L’expérimentation “Territoire zéro non-
      devrait être une priorité poli-   Il faut également simplifier les dé-    recours aux prestations sociales”
      tique, ce qu’elle n’est pas au-   marches, coupler les prestations,       est une piste intéressante qu’il fau-
jourd’hui. Or la conséquence du                                                 drait développer partout en France.
non-recours est que nous, la socié-                                             Le Secours Catholique est prêt à y
té, nous laissons une partie d’entre                                            prendre sa part. Pour cela, il faut que
                                          NOUS SOUHAITONS UNE
nous sombrer dans la misère. Le                                                 les services sociaux soient réimplan-
                                            POLITIQUE DE LUTTE
phénomène est important : un tiers                                              tés au plus près des personnes.
                                         CONTRE LE NON-RECOURS
des personnes qui peuvent pré-                                                  Enfin, tout allocataire devrait avoir
                                        AVEC DES OBJECTIFS CLAIRS
tendre au RSA ne le perçoivent pas.                                             un référent unique capable d’ana-
                                         ET UN PILOTAGE NATIONAL
Dans le rapport que nous publions                                               lyser sa situation, diagnostiquer
                                                AMBITIEUX.
sur le sujet1, nous insistons sur la                                            ses besoins, évaluer ses droits et
confiance à accorder aux alloca-                                                assurer un lien de concertation et
taires : ne pas les considérer comme                                            de coordination avec les différents
des fraudeurs, leur reconnaître le      prévenir les ruptures de droits lors    organismes. 
droit à l’erreur. Nous souhaitons une   des changements de situation, évi-
politique de lutte contre le non-re-    ter le basculement vers le non-ac-
                                                                                1 « Non-recours: une dette sociale qui nous oblige »
cours avec des objectifs clairs et      cès aux droits.                         bit.ly/RapportNonRecoursSC

                                              DROIT DE SUITE

MOBILITÉ SOLIDAIRE : LA BALLE DANS LE CAMP DES COLLECTIVITÉS

 Promulguée fin 2019, la loi d’orien-   communes qui s’en empareront            Daphné Chamard-Teirlinck, char-
 tation des mobilités présente des      (ou à défaut les régions) à mettre      gée de la thématique au Secours
 avancées pour les plus précaires :     en œuvre des services de mobili-        Catholique. « Nous encourageons
 l’expression d’un droit à la mobi-     té à caractère social ou à verser       les collectivités à se saisir notam-
 lité pour tous ; la promesse d’en      des aides financières. Au sein du       ment du dispositif prévu par l’article
 finir avec les “zones blanches1” en    Laboratoire pour la mobilité in-        18 qui permet l’élaboration de plans
 permettant aux communautés             clusive et avec le ministère de la      d’action communs pour la mobilité
 de communes de se saisir de la         Transition écologique, le Secours       solidaire, dans les territoires et à par-
 compétence mobilité, ou encore         Catholique a participé à l’élabora-     tir des besoins des personnes. » 
 l’introduction de la compétence        tion de guides2 pour accompagner                                       Clarisse Briot
 “mobilité solidaire”. Cette dernière   les collectivités. « Maintenant le
                                                                                1 Dépourvues d’autorité organisatrice de mobilité
 doit inciter les communautés de        temps de l’action est venu », déclare   2 tousmobiles-kit.com

                                                                                                 MAI 2021 – RÉSOLUTIONS 5
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
INNOVER

                                                                                                                         ÉLODIE PERRIOT/ SCCF
FEMMES AGRICULTRICES,
DES SAVOIRS À FAIRE FRUCTIFIER
PAR AURORE CHAILLOU

Au Sénégal, des organisations paysannes soutenues par des                      mari, belle-famille) et vivent dans des
partenaires du Secours Catholique valorisent le travail agricole               conditions très précaires.
                                                                               Aujourd’hui, grâce aux revenus
invisible des femmes, afin qu’elles en tirent des revenus. Cet argent
                                                                               tirés des activités de maraîchage
permet d’améliorer l’habitat, la sécurité alimentaire, la santé et
                                                                               développées avec Caritas Thiès1
l’éducation de leur entourage. Des expériences similaires existent             au sein de groupements d’entraide,
en Inde et au Brésil.                                                          les candidates à la migration sont

                                  P
                                                                               moins nombreuses. Une vie plus
                                               our compléter les maigres       digne est désormais possible à
                                               ressources de leur mé-          Ngoye. Le patient travail mené
                                               nage, des femmes de             par Caritas au Sénégal, celui de la
                                               Ngoye, commune rurale           Sempreviva Organização Feminista
                                               du Sénégal, migrent à           (Sof) au Brésil ou de la Balasore
                                    Dakar, à deux heures de route vers         Social Service Society1 (BSSS)
                                    l’ouest, après les récoltes. Certaines y   en Inde en témoignent : lorsque
                                    vendent le stock familial d’arachides      les femmes développent une
 Au Sénégal,                       ou de mil. D’autres accomplissent          certaine autonomie économique,
Caritas Kaolack
                                    les travaux domestiques d’une fa-          leur famille en tire des bénéfices
forme des groupes
de femmes                           mille mieux lotie. Elles épargnent         en termes de sécurité alimentaire,
à l’agroécologie.                   pour ceux restés au village (enfants,      de santé et d’éducation.

6 RÉSOLUTIONS – MAI 2021
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
MODE D’EMPLOI
                                                                                         En agriculture,
               LES BESOINS IDENTIFIÉS                                                  place aux femmes

               150 millions                                   En milieu rural, les femmes ont moins accès
                                                              que les hommes aux moyens de production,
   de personnes qui souffrent de la faim
                                                              à l’éducation, aux opportunités de travail.

      Supprimer les inégalités entre les femmes               Besoin d’améliorer la sécurité alimentaire
  et les hommes qui travaillent la terre permettrait          des ménages ruraux, menacée par les changements
          de réduire le nombre de personnes                   climatiques, les crises alimentaires, l’accaparement
         souffrant de la faim dans le monde*.                 des terres.

* Source : Programme alimentaire mondial
                                                       Renforcer l’entrepreneuriat des femmes en milieu rural
                                                       pour accroître leur production agricole
                                                       et les revenus des ménages
              L’IDÉE                                    En les formant aux pratiques agro-écologiques
                                                       et à la commercialisation des récoltes,
                                                       via des organisations paysannes

                   QUI ?                                  COMBIEN ?
                    Caritas Kaolack,
                   partenaire sénégalais                 750               15          + de 30 000
                   du Secours Catholique               élus locaux     communes            bénéficiaires directs
                    Des femmes en milieu               et agents                          (famille élargie, élus,
                   rural et leur famille               municipaux                       membres des organisations
                                                                                         socio-professionnelles…)

                   LES OBJECTIFS

                                                                                Renforcer            Développer
                                    Diversifier          Lutter contre         la cohésion        le pouvoir d’agir
                                  les ressources         les inégalités           sociale            des femmes
         Diversifier               économiques             hommes-
      l’alimentation               des ménages              femmes
        des familles

                 LES LEVIERS
                                                                      LES PARTENAIRES

    La participation de tous les membres
                                                           Les communes
    d’une communauté rurale : femmes,
    hommes, chefs de village, autorités                    Popkadifa : plateforme d'organisations paysannes
    municipales…                                           Biotech Sénégal : fournit biopesticides et biofertilisants
    La sensibilisation des femmes aux inégalités           Tropicasem : pour les semences et le matériel agricole
    qu’elles subissent                                     Misereor (Allemagne)
    L’éducation des femmes                                 Caritas Kaolack, Caritas Sénégal,
    et des jeunes filles                                    Secours Catholique – Caritas France

                                                                                              MAI 2021 – RÉSOLUTIONS 7
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
INNOVER

   Au Sénégal, avant de cultiver, il         Au Brésil, en Inde et ailleurs dans le     « Poulets, laitues, épinards, plantes
faut « sécuriser la terre », explique        monde, en milieu rural, la situation       médicinales… Ce qu’elles cultivent
Odile Rose Sarr, sociologue anima-           des femmes est généralement plus           ou les animaux qu’elles élèvent ne
trice à Caritas Kaolack. Le groupe           précaire que celle des hommes, et          sont souvent pas vus comme du
s’adresse au chef du village pour            plus que celle des femmes et des           “vrai” travail », explique Isabelle
obtenir le droit d’exploiter un ter-         hommes vivant en milieu urbain.            Hillenkamp, socio-économiste, qui
rain. Une quarantaine de femmes              Cela s’explique notamment par              mène sur place une recherche-ac-
se partagent un hectare. Elles dé-                                                      tion depuis 2016. « L’agriculture
cident ensemble de ce qu’elles                                                          que pratiquaient les femmes était
vont semer : aubergines, laitues,                                                       invisible, car exclusivement tournée
courges, navets, carottes, menthe…                                                      vers la consommation familiale. »
Puis elles vendent ces produits sur          LORSQUE LES FEMMES SONT                    Pourtant, les cultures vivrières jouent
les marchés locaux ou à Dakar.               IMPLIQUÉES, LA GESTION                     un rôle fondamental dans l’alimenta-
L’argent gagné leur appartient.              DES RESSOURCES DU MÉNAGE                   tion. Dans le district de Mayurbhanj,
Une victoire quand, souvent, le tra-         EST MEILLEURE.                             dans l’État indien d’Odisha, BSSS
vail des femmes n’est reconnu ni                                                        encourage le développement de
socialement, ni économiquement.                                                         l’agriculture et de l’entrepreneu-
Pendant la saison des pluies, en             des « pesanteurs socioculturelles »,       riat des femmes à travers le projet
plus des tâches domestiques et               selon Odile Rose Sarr. En Inde             Swaad. « Auparavant, les gens man-
de l’entretien du potager destiné à          comme au Sénégal, beaucoup de              geaient très peu de légumes parce que
nourrir la famille, les habitantes de        jeunes filles sont à peine allées à        c’est une région très aride », explique
Ngoye participent aux travaux des            l’école et sont mariées tôt.               Chakradhar Rout, coordinateur du
champs d’arachides, de maïs ou de            À Barro de Turvo, au Brésil, l’ONG         projet. Désormais, l’appropriation des
mil, au côté de leur mari. Mais à la         Sof a compris que pour valoriser           techniques de l’agriculture biologique
fin des récoltes, celui-ci décide seul       économiquement la production des           permet de tirer parti de ces hauts pla-
de l’usage de chaque centime tiré            femmes, il fallait leur faire prendre      teaux arides et d’améliorer les repas
de ce labeur commun.                         conscience de leurs savoir-faire.          avec des légumes frais.
                                                                                        Au Sénégal, « Habituellement, à la fin
                                                                                        des récoltes, le mari gère à sa guise la
          REGARD                                                                        production. Les périmètres maraîchers
                                                                                        sont un prétexte pour entrer dans les
  ISABELLE HILLENKAMP, SOCIO-ÉCONOMISTE,                                                ménages et démocratiser la prise de
  CHARGÉE DE RECHERCHE À L’INSTITUT DE RECHERCHE                                        décision, explique Odile Rose Sarr. On
  POUR LE DÉVELOPPEMENT (IRD-CESSMA)                                                    a constaté que lorsque les femmes sont
                                                                                        impliquées, la gestion des ressources
  DÉCIDER DE CE QUE L’ON PRODUIT,                                                       est meilleure. » Certains villages
  C’EST CONSIDÉRABLE                                                                    mettent en place des magasins
                                                                                        polyvalents, qui proposent des
   « On assiste à un processus historique d’exclusion des femmes de la mo-              services comme le warrantage : il
   dernisation agricole, qui réserve aux hommes l’accès à la mécanisation, aux          permet d’obtenir un crédit garanti
   grandes surfaces et aux produits générateurs de revenus. Cette supréma-              par le stock céréalier, qui gagne
   tie masculine s’exprime dans les techniques : les outils sont très lourds. Si        en valeur au fil des semaines.
   l’agroécologie veut être fidèle à sa critique d’un système qui exclut, elle ne       Cela permet d’anticiper les crises
   peut en aucun cas reproduire ces inégalités. Il y a un vrai travail de “resigni-     alimentaires et les périodes de
   fication” du rôle des femmes dans l’agriculture vivrière à mener. Permettre          soudure (entre la fin des stocks d’une
   à des femmes d’avoir une autonomie de décision sur ce qu’elles vont pro-             récolte et le début de la suivante).
   duire, ça n’a l’air de rien, mais c’est considérable. Et le fait qu’elles décident   « Avec l’argent gagné, des femmes
   de l’usage de leurs revenus est fondamental. »                                      améliorent leur habitation en ache-
                                                                                        tant un lit pour elles ou leurs enfants.

8 RÉSOLUTIONS – MAI 2021
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
INNOVER

                                                                                                           sur elles-mêmes change », observe
                                                                                                           Isabelle Hillenkamp.
                                                                                                           Cependant, à Barro do Turvo comme
                                                                                                           au Sénégal et en Inde, « les femmes
                                                                                                           manquent de temps : elles ont tou-
                                                                                                           jours toutes les tâches domestiques
                                                                                                           à gérer », constate Véronique Ndione.
                                                                                                           Celle-ci se réjouit pourtant d’assister
                                                                                                           à « une libération de la parole ».

                                                                                                           MAINTENANT, LES FEMMES
                                                                                                           IMPOSENT LEUR PRIX
                                                                                                           AUX INTERMÉDIAIRES
                                                                                                           PARCE QU’ELLES SONT
                                                                                                           EN GROUPE.

                                                                                                           En Inde, certaines femmes plaident
                                                                                                           désormais leur cause devant les dé-
                                                                                                           cideurs locaux : à Badataila (Odisha),
                                                                                                           elles ont osé demander l’installation
                                                                                                           d’une canalisation pour amener l’eau
                                                                                                           jusqu’au village. « Elles devaient couvrir
                                                                                                           une grande distance pour aller chercher
                                                                                                           de l’eau », explique Chakradhar Rout.
                                                                                  XAVIER SCHWEBEL / SCCF

                                                                                                           Une tâche qui, traditionnellement, leur
                                                                                                           revient. « Mais installer une canalisation,
                                                                                                           c’était une décision qui dépendait des
                                                                                                           hommes. »
                                                                                                           Ainsi ces projets ne peuvent se cen-
Certaines achètent du matériel sco-      Au Brésil, durant la pandémie, la de-                             trer uniquement sur les femmes. « On
laire ou paient des soins », précise     mande de produits que les femmes                                  ne peut pas améliorer la condition des
Véronique Ndione, chargée de pro-        de Barro do Turvo vendent via les                                 femmes sans intégrer les époux. Ce
gramme à Caritas Thiès.                  réseaux militants a triplé. Pour évi-                             sont eux qui les autorisent à participer
D’autres changements dépassent           ter la contagion, certains consom-                                à une réunion, à s’associer à un groupe-
le seuil de la maison. En Inde,          mateurs préfèrent se fournir chez                                 ment. S’ils refusent, elles ne viendront
faire partie d’un groupe d’entraide      elles plutôt que dans les supermar-                               pas. Quand on organise une réunion, on
change le rapport de force des           chés. La grande variété de produits                               appelle d’abord le chef de village pour
femmes avec les intermédiaires.          qu’elles proposent, contrairement                                 avoir son soutien », explique Véronique
Dans l’État d’Odisha, elles cousent      aux monocultures intensives, leur                                 Ndione. Si dans la lutte contre la pau-
des feuilles de sal séchées pour en      a permis de mettre en place des                                   vreté les femmes sont premières de
faire des assiettes. « Elles vendaient   marchés diversifiés. « Cela a une                                 cordée, c’est parce que dans leur as-
leurs assiettes chacune dans leur        répercussion positive sur leur posi-                              cension, elles emmènent avec elles
coin. Maintenant, elles négocient et     tion dans la communauté : elles sont                              un mari, des enfants, une belle-sœur
imposent leur prix parce qu’elles sont   vues comme des personnes qui gé-                                  et, bientôt, tout un village. 
en groupe », témoigne George Lijo,       nèrent un revenu dans cette situa-
directeur de BSSS en Inde.               tion de crise. Et le regard des femmes                            1 Partenaires du Secours Catholique-Caritas France.

                                                                                                                            MAI 2021 – RÉSOLUTIONS 9
HÉBERGEMENT D'URGENCE : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ? - Secours Catholique
INNOVER                                                            SAVOIE

                                                                  “LE SAVON ALPIN”, FUTURE
ELLES Y PENSENT AUSSI PAR CLARISSE BRIOT                          COOP’ D’ARTISANES
                                                                  Fortes de leur expérience professionnelle acquise au
                                                                  Secours Catholique de Chambéry, Myriam Goubin
                                                                  et Cléo Finck ont lancé leur projet : créer de l’emploi
                                                                  valorisant, accessible et durable pour des femmes
                                                                  ayant des difficultés d’insertion. « Le premier des
                                                                  freins, c’est leur manque d’estime pour elles-mêmes »,
                                                                  observe Myriam. Autour d’une savonnerie éthique,
                                                                  les deux entrepreneuses souhaitent leur offrir un
                                                                  tremplin. L’activité a démarré. Leur objectif : se dé-
                                                                  gager un salaire chacune puis créer une coopérative,
                                                                  où chaque nouvelle embauchée pourra s’épanouir. 
                                                           D.R.       Plus d’infos sur : www.le-savon-alpin.com

 MARSEILLE
                                                                   PARIS
 “POTENTIELLES”,
                                                                  “DESCODEUSES”, UNE COMMUNAUTÉ
 COOP’ D’ENTREPRENEUSES
 L’innovation collaborative au service de l’entrepreneu-
                                                                  DE “DÉVELOPPEUSES”
 riat féminin est le credo de l’association Potentielles,         Alors qu’elle traverse une période de précarité, Souad
 née en 2007 à Marseille. Dans un tiers-lieu, des entre-          Boutegrabet, à l’aise avec le numérique, a l’idée de
 preneuses issues de secteurs variés font du co-wor-              proposer à des femmes de son quartier, du 20e ar-
 king et participent à des ateliers collectifs. En 2019,          rondissement de Paris, de se remobiliser vers l’emploi
 l’association a donné naissance à une coopérative                à travers la formation au code et au développement
 d’activités et d’emplois afin de franchir un pas sup-            web. En 2019, une promotion de 16 femmes est for-
 plémentaire, à savoir « travailler la gouvernance par les        mée. Deux ans plus tard, une vraie « communauté
 femmes, les amener à faire entendre leur voix et prendre         d’apprentissage » est née (1 000 femmes formées
 des décisions pour elles, et pour les autres », explique         ou sensibilisées, 36 bénévoles), avec pour projet la
 Élisabeth Luc, la fondatrice. La structure réunit à ce           transformation de l’association Descodeuses en coo-
 jour 19 entrepreneuses-coopératrices.                           pérative et des implantations dans d’autres régions. 
    Plus d’infos sur : www.potentielles.fr                            Plus d’infos sur : www.descodeuses.org

RETOUR SUR…

MONTÉE EN CHARGE ET ESSAIMAGE
POUR RÉSEAU ÉCO-HABITAT

 2
       021 sera l’année du 100e              Habitat collabore avec les béné-         de l’habitat, et ainsi de faire finan-
       chantier de rénovation pour           voles du Secours Catholique, son         cer le volet accompagnement so-
       Réseau Éco-Habitat, né en             partenaire privilégié, pour l’identi-    cial et technique des rénovations »,
 2014 dans les Hauts-de-France.              fication des ménages et leur ac-         explique Franck Billeau, le fon-
 L’association facilite la rénovation        compagnement humain. En 2020,            dateur, qui prévoit de doubler le
 de logements considérés comme               la structure a doublé le nombre de       nombre de chantiers cette année.
 des “passoires” thermiques en ac-           ses salariés et ouvert une antenne       L’association a par ailleurs mis en
 compagnant des foyers modestes              dans le Nord-Pas-de-Calais. Elle a       route un programme d’essaimage
 à toutes les étapes de leur accès           également signé un contrat à im-         baptisé “Chauffe-toi”, dans l’objec-
 aux financements publics et aux             pact social. « Cela nous permet de       tif de développer dix projets simi-
 solutions techniques. Réseau Éco-           devenir opérateur de l’amélioration      laires en France.  C.B.

10 RÉSOLUTIONS – MAI 2021
DÉBATTRE

            FAUT-IL RENDRE LES TRANSPORTS
                EN COMMUN GRATUITS ?
         CONTEXTE. Comment rendre les transports publics du quotidien accessibles à tous
     et en particulier aux plus précaires ? Force est de constater que de nombreuses personnes
        n’arrivent pas à en assumer le coût et que cela les pénalise pour l’accès à leurs droits.
                                La gratuité serait-elle alors la solution ?

                DAPHNÉ CHAMARD-TEIRLINCK             MIREILLE GAZIN,
               CHARGÉE DE PLAIDOYER MOBILITÉ         PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION
          INCLUSIVE ET DURABLE ET MICROCRÉDIT        TRANSPORTS ET DÉPLACEMENTS
            PERSONNEL AU SECOURS CATHOLIQUE          DE LA RÉGION GRAND-EST

Daphné Chamard-Teirlinck : La           pensons que la gratuité des trans-      moins de 1 000 euros par élève. On
mobilité est l’un des premiers freins   ports en commun est une solution        a proposé aux familles de payer 94
à l’emploi ou à l’accès aux droits      qui permettra à tous, sans condi-       euros par an, soit environ 10 % du
sociaux. On le voit au Secours          tion de ressources, de se déplacer,     coût total. La gratuité a un surcoût
Catholique, où de nombreuses            en prenant en compte les limites        qui va forcément pénaliser l’inves-
personnes viennent nous voir pour       des capacités de notre planète.         tissement. Il s’agit d’apporter le
des problématiques de mobilité.                                                 meilleur service en termes de qua-
Récemment, la Lom (loi d’orienta-       Mireille Gazin : La question de la      lité et de sécurité, de renouveler les
tion des mobilités) a instauré dans     gratuité des transports doit être vue   véhicules en permanence, d’ache-
son premier article le droit à la mo-   de manière pragmatique et sans          ter des véhicules qui roulent au gaz,
bilité qui, en pratique, a du mal à     idée préconçue. Le choix d’y recou-     c’est-à-dire des transports propres,
être effectif sur l’ensemble des ter-   rir n’est pas anodin. Un exemple :      tout cela au meilleur niveau. Sans
ritoires. D’autre part, l’urgence en-   la région Grand-Est transporte          oublier l’accessibilité pour tous par
vironnementale et climatique nous       230 000 élèves et cela représente       le développement de dessertes
impose de proposer des alterna-         250 millions d’euros. Le critère de     au plus près des personnes et en
tives viables au modèle actuel de la    pérennité et d’équilibre financier      adaptant les transports aux per-
voiture individuelle, les transports    se pose : si nous avions rendu ces      sonnes à mobilité réduite. Sans
étant les premiers émetteurs de         transports gratuits, nous aurions       rentrées d’argent, vous n’avez
gaz à effet de serre. C’est pour cela   enregistré une perte de 30 mil-         plus de moyens d’investir et vous
qu’au Secours Catholique nous           lions d’euros. Le coût est d’un peu     vous retrouvez dans l’incapaci-

                                                                                           MAI 2021 – RÉSOLUTIONS 11
CHRISTOPHE HARGOUES / SCCF
Le risque, avec la gratuité, c’est de perdre                             La généralisation de la gratuité permet
en qualité. Vous n’avez pas de moyens                                           de faciliter l’accès des transports
d’investissement parce que vous n’avez                                        aux plus précaires, qui ne profitent
pas de rentrée d’argent. La gratuité n’est                                pas toujours de la tarification sociale.
pas la solution pour tous les usagers.                                  Et la gratuité permet une mixité sociale.
           MIREILLE GAZIN                                                        DAPHNÉ CHAMARD-TEIRLINCK

    té de restructurer votre réseau.       M.G. : On pense souvent que la             la redynamisation du centre-ville
Il faut bien comprendre que les            gratuité pourrait être un appel à          et la sécurité. Les études menées
ressources des collectivités sont          modifier les comportements, et             à Dunkerque montrent une baisse
très limitées.                             qu’elle inciterait les personnes à         des incivilités et surtout une mixité
                                           abandonner leurs voitures pour             sociale et une convivialité plus
D.C.-T. : La gratuité en soi ne suf-       prendre le train ou l’autocar. Des         grandes. C’est un point important
fit pas, il faut aussi penser au dé-       études, réalisées notamment par            pour nous : comment construire
veloppement des infrastructures et         le Sénat, démontrent que cette po-         une société où il existe une plus
du territoire en partant des besoins       litique ne fonctionne pas comme            grande mixité ? À Dunkerque, la gra-
des personnes. En ce qui concerne          on le voudrait. Quand on met en            tuité a permis à un nombre accru
le coût, la voiture est un mode de         place la gratuité, ceux qui viennent       d’actifs de prendre le bus, mais
transport extrêmement coûteux              ne sont pas les automobilistes,            aussi à des personnes précaires
pour la collectivité : en plus des nui-    mais les cyclistes et les piétons. En      ayant du mal à accéder à la tarifi-
sances générées par la voiture en          d’autres termes, des personnes qui         cation sociale. C’est ce que nous
ville (pollution de l’air, pollution so-   avaient déjà des politiques de mo-         disent nos équipes locales sur le
nore, etc.) et de leurs conséquences       bilité propre avec peu d’empreinte         terrain : les personnes en précarité
économiques, 80 % des projets de           carbone.                                   ont tendance à acheter des tickets
transport sont des infrastructures                                                    un à un à cause de leur trésorerie
routières. Or en ville, hormis le sta-     D.C.-T. : Ce n’est pas le cas par-         fragile. Or la tarification sociale est
tionnement, les utilisateurs de voi-       tout : à Dunkerque, la plus grande         prévue sous forme d’abonnement
tures ne paient rien. Il faut analyser     ville à avoir instauré la gratuité, il y   mensuel ou annuel, ce qui repré-
l’ensemble du coût des modes de            a bien eu un report modal effectif,        sente un effort financier qui n’est
transport et non se focaliser unique-      puisque la part des automobilistes         pas toujours possible.
ment sur les recettes.                     a diminué. 48 % des nouveaux utili-
Plusieurs collectivités ont tenté la       sateurs des bus sont des automo-           M.G. : Chaque cas est différent : à
gratuité et les retours d’expérience       bilistes. On constate en plus des          Dunkerque, auparavant, les auto-
commencent à arriver.                      effets favorables induits, comme           cars étaient loin de leurs capacités

12 RÉSOLUTIONS – MAI 2021
DÉBATTRE

maximales et la gratuité se justifiait    réel. C’est une manière de mettre       des tickets –, il est parfois com-
pleinement, alors qu’à Strasbourg         en place une solidarité : celle des     plexe d’y avoir accès.
les trams sont pleins. On ne peut         usagers qui ont plus de moyens
pas rajouter des usagers car il y         en faveur de ceux qui payent des        M.G. : Vous avez raison, il faut aider
aurait un risque de saturation du         abonnements et qui ont besoin de        les personnes les plus fragiles. Si la
réseau. Je pense qu’il faut faire en      transports tous les matins pour         gratuité pour elles est la solution,
sorte qu’il y ait des solutions so-       aller travailler.                       alors il faut y réfléchir et les accom-
ciales pour que les personnes les                                                 pagner, mais la gratuité pour tous
plus fragiles accèdent aussi aux          D.C.-T. : Au Secours Catholique,        est une porte trop grande ouverte,
transports. On doit offrir le meil-       notre budget consacré à l’aide          avec une déperdition de moyens
leur service au plus grand nombre.        financière est très élevé. Beaucoup     non justifiée quand les personnes
                                          de personnes viennent nous voir         sont en mesure de le payer. Cela
D.C.-T. : Il est important qu’on          pour qu’on les aide à payer un bil-     ne peut que dégrader l’offre de
puisse se rendre compte du ser-           let de train afin de se rendre, par     services – et l’on va redemander
vice rendu et de la valeur de l’offre.    exemple, dans une ville plus impor-     plus aux entreprises qui paient la
Mais la mobilité est un droit inscrit     tante où se trouvent les services       majorité des transports (via le ver-
dans la loi : comment le rendre ef-       administratifs. Nous recevons           sement mobilité dans les intercom-
fectif ? On ne se pose pas la ques-       aussi des personnes sans emploi         munalités), et on risque d’affaiblir
tion, par exemple, pour le droit à la     stable, comme les intérimaires, qui     notre tissu économique. Ce n’est
santé et l’accès aux hôpitaux. Je         n’ont pas les moyens de s’engager       jamais une bonne chose pour les
donne un autre exemple : l’action         dans un abonnement. Les usagers         employés et les publics les moins
de nos 66 000 bénévoles a une va-         qui achètent leurs billets à l’unité,   formés et les plus fragiles. L’emploi,
leur et pourtant il s’agit de don et      ne sont donc pas tous les « occa-       c’est la dignité. La gratuité n’est pas
de gratuité. Il ne faut pas ramener       sionnels » que vous évoquez. C’est      la solution pour tous, en revanche
la valeur uniquement à la valeur          ce que j’entendais dire concernant      elle est une réponse qui mérite
économique.                               la tarification sociale qui ne suffit   d’être prise en considération pour
                                          pas. Les plus précaires qui ne sont     des personnes qui en ont besoin. 
M.G. : Je n’ai pas parlé de valeur        pas dans le schéma classique ont
économique, d’ailleurs il est réduc-      le coût de trajet le plus élevé. La                       Propos recueillis
teur de ne raisonner qu’en termes         généralisation de la gratuité per-              par Cécile Leclerc-Laurent
économiques, et ce que vous avez          met de faciliter leur accès aux
dit sur le bénévolat en est le meil-      transports. Car notre crainte est
leur exemple. Mais il faut aussi          de constater des taux plus élevés
réfléchir en termes de confort,           de non-recours. Même s’il existe
de sécurité, d’accessibilité, et sur      des solutions – Pôle emploi peut
l’image que l’on se fait du service       aussi participer au financement
public. L’usager en bénéficie avec
une participation minime pour re-
connaître l’effort permanent qui
                                             REPÈRES
est réalisé pour que ce service se
modernise et apporte le confort, la          Niort, Châteauroux, Dunkerque, Aubagne : voici quelques villes
qualité et la sécurité. Les services         françaises qui ont instauré la gratuité des transports en commun.
publics ne recherchent pas le ren-           À l’étranger c’est également le cas de Tallinn, capitale de l’Estonie,
dement, mais l’équilibre (une col-           et du Luxembourg, premier pays à l’avoir généralisée.
lectivité territoriale ne peut pas être      La Lom (loi d’orientation des mobilités) stipule le droit à la mobilité
en déficit). Cet équilibre, nous pou-        pour tous. Elle incite les communautés de communes à se saisir
vons le trouver avec les usagers             de cette compétence, à défaut celle-ci reviendra à la région. (Lire
occasionnels qui peuvent payer               à ce sujet le “droit de suite”, page 5.) 
un tarif approchant 50 % du coût

                                                                                             MAI 2021 – RÉSOLUTIONS 13
COMPRENDRE

                         ENQUÊTE

                          HÉBERGEMENT D’URGENCE :
                          COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE ?
                         PAR CÉCILE LECLERC-LAURENT

                           Force est de constater que l’hébergement
                           d’urgence est aujourd’hui obstrué en France. Censé
                           être provisoire à l’origine, il devient dans les faits
                           pérenne. Hôtels, centres d’hébergement d’urgence
                           ou gymnases : les personnes sont contraintes
                           de vivre des années durant dans des conditions
                           parfois indignes. En cause : les difficultés d’accès
                           à un logement, seul à même d’apporter stabilité
                           et sécurité aux personnes et condition préalable
                           à la réinsertion. Même le logement social est
                           désormais inaccessible aux plus précaires, dans
                           l’incapacité de loger des personnes vivant sous le
                           seuil de pauvreté. Comment expliquer la saturation
VINCENT BOISSOT / SCCF

                           de l’hébergement d’urgence aujourd’hui ? Quelles
                           solutions faut-il mettre en place pour développer
                           des logements décents et pérennes ? Enquête.

                         14 RÉSOLUTIONS – MAI 2021
COMPRENDRE

   MAI 2021 - RÉSOLUTIONS 15
mon fils, c’est gênant. Et l’hôtelier entre dans la
                                                                                                  chambre comme il veut. On n’est pas chez soi,
                                                                                                  ici. » Comme Khali, Franck et Hélène, ce sont
                                                                                                  quelque 260 000 personnes qui sont abritées
                                                                                                  dans ce qui est appelé l’hébergement d’ur-
                                                                                                  gence. Nuitées hôtelières, places en CHU,
                                                                                                  en Cada (Centre d’accueil pour demandeurs
                                                                                                  d’asile), ou encore dans des places ouvertes
                                                                                                  l’hiver, par exemple dans des gymnases : ces
                                                                                                  hébergements d’urgence sont en effet cen-
                                                                                                  sés être provisoires pour mettre à l’abri rapi-
                                                                                                  dement les personnes. « Est-ce que je vais être
                                                                                                  remise à la rue avec mon bébé à la fin de l’hi-
                                                                                                  ver ? » s’inquiète Fatoumata, hébergée dans
                                                                                                  des places “hiver” d’un CHU de Cités Caritas
                                                                                                  à Bures-sur-Yvette. « Il faudrait pérenniser les
                                                                                                  places ouvertes en hiver ou du moins éviter les
                                                                                                  sorties sèches sans solution de logement ou
                                                                                                  d’hébergement », estime Dominique Manière,
                                                                                                  directeur général de l’association Cités
                                                                                                  Caritas qui dénonce, en tant qu’opérateur
                                                                                                  de l’État, une tendance à la baisse des finan-
                                                                                                  cements. Outre ces places hivernales, l’hé-
                                                                         VINCENT BOISSOT / SCCF

                                                                                                  bergement d’urgence qui dure toute l’année
                                                                                                  est lui aussi saturé. En témoigne ce chiffre :
                                                                                                  en Île-de-France, seule une personne sur

                   J’
                                                                                                  quatre arrive à joindre le 115 pour être mise
                                ai échoué dans cette enclave il y a                               à l’abri, sachant qu’environ les deux tiers des
                                trois ans. Comme je n’ai pas de pa-                               sans-abri n’appellent plus. Les places sont
                                piers, je suis reclus ici », explique                             toutes occupées et quand l’une d’elles se li-
                                Khali, venu d’Algérie pour soigner                                bère, elle est prise d’assaut. « On assiste à
                                sa bronchopneumopathie chro-                                      un flot continu de personnes en demande »,
                   nique obstructive. Il est actuellement logé                                    constate Dominique Manière.
                   dans un Centre d’hébergement d’urgence
                   (CHU) au Fort d’Aubervilliers, géré par l’as-                                  “Embolie”
                   sociation Cités Caritas, membre du réseau                                      L’augmentation de la précarité (les per-
                   Caritas France. Comme lui, Franck vit ici de-                                  sonnes à la rue seraient désormais 143 000)
 La durée
moyenne d’un       puis quatre ans. Lui est français mais ne peut                                 mais aussi des mouvements migratoires en
séjour en Centre   trouver de logement faute de moyens : « Le                                     est la cause. Les trois quarts des chambres
d’hébergement      privé coûte trop cher. Et ma demande de lo-                                    d’hôtel en Île-de-France et la moitié des lits
d’urgence (CHU)    gement social n’aboutit pas. Résultat : je suis                                en CHU sont occupés par un public ni ex-
est de 14 mois.
                   coincé ici, dans du “temporaire définitif”. » À                                pulsé ni régularisé. Pour René Dutrey, secré-
« Il serait plus
logique de         quelques kilomètres de distance, dans le 11e                                   taire général du Haut Comité au logement
me donner          arrondissement de Paris, Hélène vit avec son                                   des personnes défavorisées, « l’hébergement
un logement        fils de 5 ans dans un hôtel. Cela fait six ans                                 est le réceptacle du dysfonctionnement des
et de laisser      que cette Congolaise est condamnée à vivre                                     politiques publiques sous-dotées en moyens
ma place en CHU
                   ici : « Tant que je n’ai pas de titre de séjour, je                            financiers : la crise de l’accueil des migrants,
à quelqu’un
à la rue. »,       suis bloquée à l’hôtel. Le plus dur est le manque                              les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance,
témoigne Ruddy.    d’espace, je suis obligée de m’habiller devant                                 les fermetures de lits en psychiatrie, les sorties

16 RÉSOLUTIONS – MAI 2021
COMPRENDRE

sans solution de réinsertion après la détention,              ÉCLAIRAGE
etc. ». Résultat : tout un public sans toit ap-
pelle le 115 pour être mis à l’abri. Une fois
dans le système d’hébergement d’urgence,                GLOSSAIRE DES HÉBERGEMENTS
la durée moyenne d’un séjour est de 14 mois.
Ainsi, en Ile-de-France où 60 000 personnes             CHU : Centre d’hébergement d’urgence
sont hébergées à l’hôtel, plus de 12 000 s’y            Le CHU est un établissement qui accueille les personnes
trouvent depuis plus de deux ans. « On assiste          sans-abri et sans domicile fixe, quels que soient leur profil,
à un problème de flux entrants vers le 115 qui          leurs ressources ou leur statut administratif, selon le prin-
est le miroir de l’échec des politiques publiques       cipe du caractère inconditionnel de l’accueil. L’hébergement
(politique de psychiatrie, politique migratoire         d’urgence est censé avoir une durée courte, dans la mesure
ou encore politique d’aide à l’enfance), mais           où il a pour objectif d’orienter la personne vers un mode
aussi un problème de flux sortants vers le lo-          de prise en charge adapté à ses besoins.
gement », analyse Manuel Domergue, direc-               Hébergement hôtelier
teur des études à la fondation Abbé-Pierre1.            Le recours à l’hôtel s’est imposé comme une solution à dé-
« En conséquence, le secteur de l’hébergement           faut de places disponibles en CHU. Il permet de répondre en
d’urgence gonfle et est “embolisé” au détriment         urgence à la croissance des demandes de familles qui repré-
du relogement. » Vanessa Benoit, directrice             sentent plus de la moitié des appels au 115. Près de 60 000
générale du Samu social de Paris, note pour             personnes sont ainsi hébergées aujourd’hui en Île-de-France.
sa part : « L’hébergement d’urgence est saturé
parce que les personnes n’accèdent pas à du             Dispositif d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés
logement pérenne. On répond à l’urgence, mais           Il regroupe les Centres d’accueil de demandeurs d’asile
                                                        (Cada), l’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile
on n’arrive pas à en sortir ensuite. » C’est éga-
                                                        (Huda) et les Centres provisoires d’hébergement (CPH).
lement l’avis de Florent Gueguen, directeur
                                                        Les Cada et les Huda sont des centres d’hébergement
général de la Fédération des acteurs de la
                                                        des demandeurs d’asile durant le temps d’examen de leur
solidarité, dont le Secours Catholique et Cités
                                                        demande. La durée du séjour est limitée à celle de la pro-
Caritas sont membres : « Les gens restent
                                                        cédure devant l’Ofpra (Office français de protection des
coincés dans l’hébergement d’urgence car il
                                                        réfugiés et apatrides) et, le cas échéant, devant la CNDA
n’y a pas de fluidité vers le logement. » Il pré-
                                                        (Cour nationale du droit d’asile). Les CPH sont destinés à
cise qu’environ 30 % des personnes en héber-
                                                        ceux qui ont obtenu le statut de réfugiés et nécessitent
gement d’urgence ont un emploi, mais sont
                                                        un accompagnement en vue de préparer leur réinsertion.
des travailleurs pauvres qui n’arrivent pas à
accéder au logement. C’est le cas de Ruddy,             CHRS : Centre d’hébergement et de réinsertion sociale
originaire de RDC, qui a obtenu l’asile et dé-          Leur mission est d’accueillir, héberger et réinsérer sur le plan
croché un travail en tant qu’agent de qualité           social et professionnel les personnes en situation d’exclu-
en intérim, mais qui est coincé depuis un an            sion. Par rapport aux autres dispositifs d’aide aux sans-abri,
au CHU de Cités Caritas à Bures-sur-Yvette,             les CHRS ont une mission de soutien et d’accompagnement
où il doit partager une chambre avec un in-             social approfondi des personnes. Le but est d’aider celles-ci
connu. « Je réunis tous les critères, témoigne-         à accéder à leur autonomie personnelle et sociale.
t-il, mais je n’ai rien trouvé jusqu’ici. Pourtant il
                                                        Pension de famille (ex-“maison relais”)
serait plus logique de me donner un logement
                                                        Résidence sociale d’insertion destinée à stabiliser des
et de laisser ma place en CHU à quelqu’un à
                                                        personnes ayant connu un long parcours de rue, la pension
la rue. » « Certains de nos hébergés sont au-
                                                        de famille s’inscrit dans une logique d’habitation durable
tonomes et n’ont plus besoin d’accompagne-
                                                        et offre un cadre semi-collectif. Les résidents sont loca-
ment social », observe Audrey Celot, chef de
                                                        taires de leur studio et bénéficient d’un accompagnement
service au CHU de Bures-sur-Yvette, « mais
                                                        adapté à leur situation.
ils n’accèdent pas au logement pour autant. Le
privé est de toute façon devenu inaccessible. »         Source : DRIHL (Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du
                                                        logement) Île-de-France, 2018.
Les CHRS (Centres d’hébergement et de

                                                                                                         MAI 2021 – RÉSOLUTIONS 17
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