Comment le web change le monde - L'alchimie des multitudes

 
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Comment le web change le monde                           Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr

                   Francis Pisani & Dominique Piotet

             Comment le web
             change le monde
               L’alchimie des multitudes
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Comment le web change le monde                                  Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                       http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr

                Mise en pages : FAB Orléans

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                ISBN 978-2-7440-6261-2
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Comment le web change le monde                                       Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                            http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                                                                                SOMMAIRE     V

                                                  Sommaire

                     Introduction                                                            1

                                                   Première partie
                                            Le web d’aujourd’hui
                1 Les jeunes et le web : ensemble, dans les nuages                          17
                2 De la dynamique relationnelle                                             35
                3 Les techniques discrètes du web d’aujourd’hui                             51

                                                  Deuxième partie
                                        L’alchimie des multitudes
                4 Les webacteurs, créateurs de valeur                                      85
                5 L’alchimie des multitudes                                               117

                                                  Troisième partie
                                              Ce que cela change
                6    Une économie de la relation peut-elle être rentable ?                151
                7    Vers l’entreprise liquide ?                                          179
                8    Les multitudes et leurs médias                                       203
                9    Le web de demain                                                     231

                     Postface, par Antoine Sire                                           245
                     Notes                                                                249
                     Remerciements                                                        265
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Comment le web change le monde                              Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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                                                       L’ALCHIMIE DES MULTITUDES    7

                La proportion est de 3,7 % pour l’Inde, 12,3 % pour la
                Chine et 19,8 % pour l’Amérique latine7. Mais les grandes
                villes, et surtout leurs quartiers les plus nantis, peuvent
                réserver des surprises.

                LA GÉNÉRATION GOOGLE ET LA « GOOGLE ÉCONOMIE »

                Présent sur tous les fronts – un peu trop peut-être –, Google
                remplit une fonction structurante du web, tant par sa fonc-
                tion de moteur de recherche dominant que par sa capacité
                d’innovation et par son modèle économique. C’est l’intro-
                duction en Bourse réussie en août 2004 qui a permis au
                mouvement de création d’entreprises de retrouver son souf-
                fle après la bulle, mettant en lumière l’intérêt et la puissance
                de ces nouveaux usages.
                    19 août 2004, Wall Street : Larry Page, cofondateur de
                Google, fait sonner la cloche pour marquer l’ouverture de la
                Bourse. Il lance l’introduction du titre de l’entreprise qu’il a
                cofondée cinq ans plus tôt avec Sergeï Brin. L’homme
                timide et réservé a endossé un costume strict pour l’occa-
                sion… historique à plus d’un titre.
                    Le style, d’abord. Refusant le jeu traditionnel, l’introduc-
                tion est faite en août, une période calme, même à New York.
                Les banquiers d’affaires n’ont pas été invités à déterminer le
                prix d’introduction, ni même à contribuer à la réussite de
                l’opération grâce à des « préventes » bien rémunérées. Les
                deux fondateurs ont imposé leurs propres règles au marché.
                Ils se sont même autorisés quelques fantaisies avec la législa-
                tion, en accordant notamment une interview au magazine
                PlayBoy en pleine période dite de « silence »8. Un mélange
                de naïveté et de rébellion contre les règles établies accom-
                pagnées d’un zeste de provocation. Car cette introduction
                hors normes est un indéniable succès. Le titre, introduit à
                85 dollars, atteindra plus de 470 dollars en janvier 2005, à
                peine six mois plus tard, faisant de Google l’une des entre-
                prises les plus capitalisées au monde9.
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Comment le web change le monde                             Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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                6   COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                phase d’attentes démesurées, sont aujourd’hui très large-
                ment profitables.
                   Alors que Wall Street tombait, et que les investisseurs se
                désengageaient comme ils le pouvaient des « valeurs tech-
                nologiques », l’internet entamait sa véritable croissance
                auprès du grand public. Les chiffres sont éloquents et la
                concordance troublante… Il y avait 400 millions d’utilisa-
                teurs d’internet en 2000, ce qui n’était déjà pas négligeable,
                mais pas encore suffisant pour générer un business de masse.
                Malgré l’éclatement de la bulle, il y en avait trois fois plus à
                l’automne 2007.
                   L’internet est l’un des réseaux de communication dont la
                pénétration aura connu la progression la plus forte et la plus
                rapide dans l’histoire. Il a été vingt fois plus vite que le télé-
                phone, dix fois plus que la radio et trois fois plus vite que la
                télévision. Sans parler du développement de la route ou du
                chemin de fer5.
                   La croissance des connexions à haut débit est particuliè-
                rement impressionnante. Selon Point-Topic.com, il y avait
                près de 330 millions d’abonnés à l’internet à haut débit
                dans le monde au troisième trimestre 2007. À la même
                date, en France, l’Arcep (Autorité de régulation des commu-
                nications électroniques et des postes) recensait 14,3 millions
                de foyers connectés à l’internet à haut débit. À cela, il faut
                ajouter l’augmentation constante des débits disponibles,
                permettant des usages toujours plus riches et rapides. En
                cinq ans à peine, les débits offerts par les technologies DSL6
                ont été multipliés par 40, passant de 512 Kbits/s à
                20 Mbits/s. Les technologies de fibre optique, qui permet-
                tent aujourd’hui des débits jusqu’à 100 Mbit/s, sont en
                cours de déploiement.
                   La progression est fulgurante, mais une large partie de
                la population mondiale reste exclue de l’internet. Il en
                résulte une géographie bien particulière : dans les pays
                développés, on distingue les zones rurales et défavorisées
                des zones urbaines et riches. À l’échelle mondiale, cette
                géographie recoupe très souvent la carte du développe-
                ment. À peine 2,9 % de la population africaine est connectée.
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Comment le web change le monde                                            Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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                                                                    L’ALCHIMIE DES MULTITUDES       5

                   Le concept de hype cycle (« cycle de frénésie », dans une
                traduction littérale) a été développé par le Gartner Group
                pour représenter de façon graphique le cycle de maturité,
                d’adoption et d’application commerciale des différentes
                technologies.
                   L’analyse sous-jacente reprend l’hypothèse d’un enthou-
                siasme exagéré, doublé d’un effet de mode. Cette démesure
                des attentes – parfois savamment orchestrées par les acteurs
                eux-mêmes pour valoriser leurs découvertes – est générale-
                ment suivie d’une phase de déception proportionnelle. Les
                innovations technologiques qui passent cette phase avec
                succès peuvent ensuite aspirer à la maturité, associée à la
                profitabilité et au développement de nouvelles générations.
                   Le hype cycle le plus célèbre est celui consacré au e-business
                en 1999.
                                                                            Fin du e-business
                                                                             (qui devient du
              Visibilité                                                    commerce usuel)

                                  Pic d'intérêt

                                                                                      Plateau de
                                                                                      rentabilité
                                                            Renaissance

              Naissance de
             la technologie
                                                  Désillusion

                  1990-96     1998      2000      2002      2004      2006      2008      2010
                         1997      1999      2001      2003      2005      2007      2009
                                                                          Source : Gartner Group, 1999.
                           Le hype cycle du Gartner Group appliqué au e-business

                   Il prédisait l’explosion de la bulle internet pour
                l’année 2000, mais annonçait aussi que l’e-business attein-
                drait son plateau de rentabilité aux alentours des années
                2006-2007. Nous y sommes ! Et des entreprises comme
                Yahoo!, Google, eBay ou Amazon, qui ont survécu à cette
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Comment le web change le monde                             Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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                4   COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                    Souvenons-nous de la première période (avant 2000). On y
                mettait en scène des « barbares » qui devaient briser les chaî-
                nes de valeurs de l’économie des « empereurs » en dématé-
                rialisant totalement l’acte d’achat. On nous promettait une
                « nouvelle économie », selon l’expression popularisée par
                Newsweek dès 1995. Elle allait faire trembler les acteurs tradi-
                tionnels dans tous les domaines. Le temps internet se comp-
                tait en « années chien » (tout allait si vite qu’une année
                d’existence en ligne valait bien sept ans de vie dans le monde
                réel, « de briques et de mortier » comme disent les anglopho-
                nes). La Silicon Valley se trouvant en Californie, il était natu-
                rel d’invoquer le mythe de la ruée vers l’or : les pelles et les
                pioches du jour étaient dans les mains des opérateurs de télé-
                com déployant le réseau. Les nouveaux chercheurs d’or étaient
                les créateurs de « dot-coms ».
                    Et Wall Street, mise en appétit par des modèles d’affaires
                exubérants et des espoirs de retour sur investissements
                importants et rapides, était à l’affût d’investissements miro-
                bolants. Il y eut 78 introductions en Bourse de sociétés
                technologiques de la Silicon Valley en 2000 (contre sept en
                2005). Trop d’argent investi trop vite, alors que les bons
                projets manquaient et que, faute d’utilisateurs en nombre
                suffisant, le marché n’était pas encore mûr.
                    Paradoxe : ce sont ces mêmes utilisateurs, oubliés dans la
                première vague, qui dessinent les contours de cette nouvelle
                phase de l’internet. La révolution du peuple après la tenta-
                tive de révolution bourgeoise, en quelque sorte…
                    Le 19e siècle aura connu ses enthousiasmes débridés suivis
                de crises de « luddisme » (du nom d’un mouvement ouvrier
                de rébellion contre les métiers à tisser). Avec moins de vio-
                lence, le 20e siècle aura lui aussi été secoué par des phases
                d’espoir exagéré en certaines technologies, suivies de décep-
                tions puis d’acceptation et de diffusion. Ces différentes phases
                – généralement accompagnées de fortes spéculations bour-
                sières – sont caractéristiques des « attentes démesurées »
                (inflated expectations, selon l’expression du Gartner Group4)
                que nous avons aujourd’hui tendance à placer dans les TIC.
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                2   COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                à participer. Les outils pour le faire sont devenus courants,
                simples à manier. Les logiciels gratuits de création de blogs
                (ces fameux journaux personnels en ligne) leur permettent
                de créer leurs sites et de s’exprimer aussi bien directement
                qu’en laissant des commentaires sur les blogs des autres. Ils
                publient leurs photos sur Flickr.com ou Snapfish.com, par
                exemple, pour que leurs amis les voient. Pour les vidéos fami-
                liales et autres, ils ont maintenant YouTube.com et Daily-
                motion.com. Les sites de réseaux sociaux enfin – MySpace,
                Facebook, Bebo et les autres – comptent leurs utilisateurs en
                dizaines de millions.
                    Ils sont loin ces internautes un peu passifs, qui consom-
                maient sans réagir l’information qui leur était proposée sur
                des sites réalisés par des spécialistes. Les utilisateurs du web
                d’aujourd’hui proposent des services, échangent des informa-
                tions, commentent, s’impliquent, participent. Ils et elles pro-
                duisent l’essentiel du contenu du web. Ces internautes en
                pleine mutation ne se contentent plus de naviguer, de surfer.
                Ils agissent. Nous avons décidé de les appeler « webacteurs ».
                Ce livre leur est consacré.
                    Pour bien comprendre ces nouveaux acteurs, il faut mar-
                quer la distinction entre l’internet et le web. Les deux sont
                souvent confondus, par facilité de langage, et du fait de leur
                indissociable proximité. L’internet est le réseau informati-
                que mondial qui nous permet d’accéder à nos courriers élec-
                troniques ou à des sites web par exemple. Le web, ou world
                wide web, est une des applications majeures permises par
                l’internet. C’est un système qui permet de consulter, avec un
                navigateur, des pages mises en ligne sur des sites2. Nous
                avons donc d’un côté un ensemble d’ordinateurs connectés
                entre eux et de l’autre un ensemble de documents modi-
                fiables, également connectés entre eux.
                    L’internet est le réseau, le web une de ses applications les
                plus populaires. Les premiers utilisateurs étaient d’abord
                des voyageurs, passant grâce à ce réseau de site web en site
                web, sans être trop capables d’y faire autre chose que d’y
                recueillir les informations disponibles. Mais ces sites sont
                devenus de plus en plus ouverts aux utilisateurs, et de plus
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Comment le web change le monde                            Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                 http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                2   COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                à participer. Les outils pour le faire sont devenus courants,
                simples à manier. Les logiciels gratuits de création de blogs
                (ces fameux journaux personnels en ligne) leur permettent
                de créer leurs sites et de s’exprimer aussi bien directement
                qu’en laissant des commentaires sur les blogs des autres. Ils
                publient leurs photos sur Flickr.com ou Snapfish.com, par
                exemple, pour que leurs amis les voient. Pour les vidéos fami-
                liales et autres, ils ont maintenant YouTube.com et Daily-
                motion.com. Les sites de réseaux sociaux enfin – MySpace,
                Facebook, Bebo et les autres – comptent leurs utilisateurs en
                dizaines de millions.
                    Ils sont loin ces internautes un peu passifs, qui consom-
                maient sans réagir l’information qui leur était proposée sur
                des sites réalisés par des spécialistes. Les utilisateurs du web
                d’aujourd’hui proposent des services, échangent des informa-
                tions, commentent, s’impliquent, participent. Ils et elles pro-
                duisent l’essentiel du contenu du web. Ces internautes en
                pleine mutation ne se contentent plus de naviguer, de surfer.
                Ils agissent. Nous avons décidé de les appeler « webacteurs ».
                Ce livre leur est consacré.
                    Pour bien comprendre ces nouveaux acteurs, il faut mar-
                quer la distinction entre l’internet et le web. Les deux sont
                souvent confondus, par facilité de langage, et du fait de leur
                indissociable proximité. L’internet est le réseau informati-
                que mondial qui nous permet d’accéder à nos courriers élec-
                troniques ou à des sites web par exemple. Le web, ou world
                wide web, est une des applications majeures permises par
                l’internet. C’est un système qui permet de consulter, avec un
                navigateur, des pages mises en ligne sur des sites2. Nous
                avons donc d’un côté un ensemble d’ordinateurs connectés
                entre eux et de l’autre un ensemble de documents modi-
                fiables, également connectés entre eux.
                    L’internet est le réseau, le web une de ses applications les
                plus populaires. Les premiers utilisateurs étaient d’abord
                des voyageurs, passant grâce à ce réseau de site web en site
                web, sans être trop capables d’y faire autre chose que d’y
                recueillir les informations disponibles. Mais ces sites sont
                devenus de plus en plus ouverts aux utilisateurs, et de plus
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Comment le web change le monde                                      Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                           http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr

                                               Introduction

                                                       « Never mistake motion for action. »
                                                                      Ernest HEMINGWAY

                DES INTERNAUTES AUX WEBACTEURS

                Le nombre d’utilisateurs de l’internet croît si vite que bien-
                tôt, au début de l’année 2009 peut-être, il devrait corres-
                pondre au quart de la population mondiale1. Encore faut-il
                tenir compte de toutes les zones qui échappent à la mesure
                faite depuis les pays développés, de la vitesse de pénétration
                des technologies de l’information et de la communication
                (TIC) en Chine et en Inde et du fait que l’accès par le biais
                des téléphones mobiles s’accélère. Mais le nombre d’inter-
                nautes n’est qu’une pâle indication. Ce qui a le plus changé,
                c’est ce que nous faisons sur et avec l’internet dont nous
                sommes en train de devenir les vrais acteurs.
                   Au milieu des années 1990, les premiers internautes
                s’émerveillaient de toutes ces informations brusquement dis-
                ponibles, de leur facilité d’accès grâce aux premiers moteurs
                de recherche, et de la puissance de la communication par le
                courriel. Ils commençaient à acheter en ligne, à faire des ren-
                contres, à chercher l’âme sœur, à suivre des conversations de
                groupe. Progressivement, par petites touches, ils se sont mis
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Comment le web change le monde                            Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                 http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                8   COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                   Ainsi menée, l’opération avait le mérite de montrer qu’il
                était de nouveau possible d’introduire en Bourse avec succès
                une entreprise high-tech née dans la Silicon Valley et que
                Wall Street était à l’écoute.
                   L’initiative de Larry Page et Sergeï Brin bénéficiait des
                critiques formulées après l’éclatement de la bulle. Bill Dra-
                per, l’un des pionniers du capital-risque, dira : « il y avait
                trop d’argent, pas assez de bons projets, et trop de spécula-
                tions, alors que les conditions n’étaient pas encore réunies
                pour le succès10 ». Parmi ces conditions : un nombre suffi-
                sant d’ordinateurs connectés à internet, le haut débit, une
                période d’apprentissage et l’arrivée d’une nouvelle généra-
                tion. Le temps d’adoption normal pour toute nouvelle tech-
                nologie un tant soit peu perturbatrice…
                   Le style des deux acolytes issus de Stanford correspond
                aussi à un changement profond dans la région de la baie de
                San Francisco. Frappé plus que tout autre par l’éclatement
                de la bulle, puisque l’ensemble de l’économie locale est
                tourné vers les nouvelles technologies, le microcosme a
                brièvement donné l’impression de se replier sur lui-même.
                Ingénieurs et développeurs en ont profité pour retourner à
                leurs ébauches, alors que les hommes d’affaires cherchaient
                de nouveaux modèles économiques. La réussite de Google a
                redonné un moteur à l’économie de la région et débridé les
                énergies toujours disponibles.
                   Plus important encore, les conditions n’ont jamais été
                aussi favorables à la création d’entreprise. La généralisation
                d’internet, la baisse des coûts des équipements et de la
                bande passante, le recours de plus en plus répandu aux logi-
                ciels libres ont beaucoup fait baisser la barrière à l’entrée de
                la création d’entreprise11. Les levées de fonds, quand elles
                sont nécessaires, n’ont plus rien à voir avec les montants
                investis avant la bulle. Et les internautes sont là, en masse,
                prêts à utiliser les nouveaux services proposés.
                   Le renouveau touche aussi les femmes et les hommes.
                C’est une nouvelle génération d’entrepreneurs, de cher-
                cheurs, de créateurs, mais aussi d’utilisateurs qui prennent
                le pouvoir. C’est la génération internet qui arrive, une
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Comment le web change le monde                              Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                   http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                                                       L’ALCHIMIE DES MULTITUDES    9

                « génération Google » qui monte au créneau après les géné-
                rations Hewlett-Packard (HP), Apple et Microsoft. Les nou-
                veaux acteurs qui comptent ont grandi et fait leurs études
                avec le web. Certains n’ont jamais vécu sans. Ils savent inté-
                resser les jeunes, comme le montre le succès de MySpace,
                mais aussi WordPress, le programme pour blogs, ou encore
                Skype, YouTube, Facebook, Flikr, Twitter…

                1 + 1 = BEAUCOUP, OU L’ALCHIMIE DES MULTITUDES

                Les outils de création de blogs, de partage de photos, de mes-
                sagerie instantanée, de téléphonie, poussent un nombre éton-
                namment élevé d’utilisateurs à devenir des webacteurs, parce
                qu’ils sont plus simples, plus accessibles, plus trans-
                parents. Connectés en réseaux, ils permettent de créer des
                liens, de tisser des relations aussi bien entre données qu’entre
                personnes ou qu’entre personnes et données. La dimension
                relationnelle du web s’est ainsi trouvée accélérée par l’aug-
                mentation très forte du nombre d’utilisateurs et d’outils à
                leur disposition. Plus il y a de webacteurs, plus ils tissent de
                relations, plus le système est riche et mieux il marche. C’est
                ce qu’on appelle les effets de réseaux dont, après avoir expli-
                qué la mécanique très concrète à l’œuvre sur certains des
                sites les plus connus, nous évoquerons le fonctionnement
                notamment dans les domaines de l’économie, de l’entreprise
                et des médias.
                   Une publication sur un blog va générer des commen-
                taires, des réactions, des reprises, des révisions. L’inscription
                d’un webacteur sur le site de réseau social Facebook va lui
                permettre, en quelques clics, d’entrer en relation avec des
                milliers de personnes et d’échanger, de partager, d’organiser
                des événements.
                   Sur le web, aujourd’hui, 1 + 1 est très vite égal à beaucoup.
                   Et cela produit du sens, du contenu, des richesses, de la
                nouveauté, des services utiles. Un moteur de recherche
                comme Google s’améliore au fur et à mesure qu’on l’utilise.
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Comment le web change le monde                           Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                10    COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                Chacune de nos utilisations précise au moteur la pertinence
                des réponses que son algorithme propose. Plus nous l’utili-
                sons, plus nous sommes nombreux à l’utiliser, meilleur il
                sera. Il se passe quelque chose qui nous dépasse quand nous
                sommes si nombreux à y participer. Les dizaines de millions
                d’utilisateurs de MySpace, Facebook ou Beebo trouvent un
                intérêt plus grand à être en relation que s’ils n’étaient
                qu’une poignée. Chaque agissement des webacteurs connec-
                tés entre eux et avec des données ajoute un petit quelque
                chose, une valeur qui n’y était pas et dont l’ensemble débou-
                che sur ce que certains sont tentés d’appeler « intelligence
                collective » ou « sagesse des foules ». Des termes peut-être
                trop ambitieux, qui promettent beaucoup et risquent de
                décevoir tout autant.
                   Nous préférons, pour notre part, parler d’« alchimie des
                multitudes ».
                   Les contours de cette foule, ou de ce « collectif », sont
                difficiles à préciser. Les webacteurs sont hétérogènes et
                divers, au gré de leur implication, de leur participation…
                La seule chose sûre étant leur grand nombre, autant les
                reconnaître comme ce qu’ils constituent, des multitudes. Et
                il nous semble difficile de qualifier de « sagesse » ou
                d’« intelligence » des phénomènes encore si contradictoires,
                trop souvent décevants. Ces étranges effets peuvent nous
                donner de l’or, mais ça n’est jamais sûr. On trouve sur Wiki-
                pedia des articles qui valent bien ceux de l’Encyclopædia Bri-
                tannica, mais la qualité d’ensemble, toujours perfectible,
                demeure inégale. C’est le processus lui-même qui veut ça.
                   Voilà pourquoi nous avons choisi l’expression « alchimie
                des multitudes ». Passionnant, stimulant, prometteur, le phé-
                nomène peut être porteur du meilleur, mais aussi du pire, ce
                qu’il ne faut jamais oublier et contre lequel il faut toujours
                agir. Nous l’illustrerons largement dans le cours de l’ouvrage.
                   L’alchimie des multitudes, c’est la participation des web-
                acteurs. C’est le cœur de notre lecture de ce qui se joue
                aujourd’hui, aussi bien sur le web que dans les rapports de
                celui-ci avec le monde réel, dans la dimension digitale de nos
                vies comme dans leur dimension physique.
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Comment le web change le monde                                Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                     http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                                                        L’ALCHIMIE DES MULTITUDES    11

                NOTRE APPROCHE

                Parler du web aujourd’hui, oblige à se situer par rapport à
                l’expression « web 2.0 », inventée en 2004, puis propulsée
                par l’équipe de l’éditeur californien Tim O’Reilly. Peu
                explicite, elle est en plus très contestée. L’auteur et consul-
                tant Don Tapscott préfère « wikinomics », qui souligne le
                rôle essentiel de la collaboration et du partage (les « wikis »
                sont des outils simples et ouverts de travail collaboratif en
                ligne). Pour certains, c’est la notion d’intelligence collective
                qui est centrale. D’autres, comme l’auteur et rédacteur en
                chef de la célèbre revue Wired, Chris Anderson, caractérisent
                le moment par ce qu’ils appellent la « longue traîne », pour
                mettre en valeur l’émergence de nouveaux modèles écono-
                miques basés sur l’abondance et la diversité permises par cet
                internet sans limites. Mais le terme web 2.0 est celui qui a
                fait à la fois fortune et le tour du monde. Nous avons pour-
                tant décidé de prendre nos distances avec lui.
                    « Web 2.0 » nous semble trop réducteur et trop marqué
                par l’idée qu’il s’agirait d’une « nouvelle version » du web.
                Il reste très ancré dans les racines du web d’avant, même s’il
                en est aussi très différent par les usages qu’on en fait, son
                ampleur, le développement de certaines fonctionnalités et
                les nouveaux modèles d’affaires qu’il induit.
                    L’important, c’est que le web auquel nous avons affaire
                aujourd’hui est le produit des effets de réseaux qui surgissent
                quand un grand nombre d’internautes réalisent une bonne
                partie de leurs activités sur le web en utilisant sa dimension
                collaborative et interactive. Nous assistons en fait à l’appro-
                priation du web par les webacteurs connectés les uns aux
                autres en réseaux.
                    Les développements les plus intéressants s’articulent
                autour de six éléments :
                1. Plateforme : le web devient la plateforme sur laquelle on
                   peut « presque » tout faire : courriels, partage de docu-
                   ments, transactions commerciales, conversations télépho-
                   niques, etc.
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Comment le web change le monde                            Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                 http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                12    COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                2. Recevoir/publier/modifier : la plateforme permet les inter-
                   actions. Quand l’information est trouvée ou modifiée, la
                   conversation commence. Les utilisateurs contribuent en
                   apposant leurs commentaires et en « montant » leur pro-
                   pre contenu sur les blogs et wikis.
                3. Haut débit : les « gros tuyaux » par lesquels transitent
                   textes, images, musique et vidéos attirent de plus en plus
                   d’utilisateurs. L’essentiel est sans doute qu’ils permettent
                   d’être toujours connecté (always on). Les réseaux mobiles
                   sont en passe d’ajouter une dimension au phénomène.
                4. Contributions : le haut débit encourage les contributions
                   et facilite les modifications de la plateforme.
                5. Effets de réseaux : les contributions s’ajoutent, au point de
                   créer un ensemble qui est plus grand que la somme de ses
                   parties. Sociétés et technologies exploitent le contenu
                   généré par les usagers pour développer de nouveaux types
                   d’affaires. La nature du savoir change et laisse entrevoir la
                   possibilité de tirer parti de formes émergentes d’intelli-
                   gence collective.
                6. La « longue traîne » : le web donne lieu à de nouvelles
                   opportunités de création de valeurs, notamment sur des
                   marchés de niches, ouvrant la voie à une économie de la
                   diversité et de l’abondance.
                   Le web peut donc être abordé comme une plateforme
                dynamique. Par « plateforme dynamique », nous entendons
                qu’elle est aussi bien l’endroit où l’on va chercher du contenu
                que celui où on en publie, et qu’elle peut être modifiée à tout
                moment.
                   Les éléments technologiques radicalement innovants sont
                rares. Les services originaux naissent souvent du mélange de
                technologies et/ou de sources d’informations différentes, les
                mashups. Hétérogénéité et interopérabilité deviennent des
                notions dominantes.
                   Tout cela contribue à la naissance d’une nouvelle écono-
                mie et d’une nouvelle culture. C’est le sujet de notre livre.
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Comment le web change le monde                                      Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                           http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                                                              L’ALCHIMIE DES MULTITUDES    13

                                         Faut-il définir le web 2.0 ?
                                            Rencontre avec Tim O’Reilly

                Tim O’Reilly est patron et fondateur d’une célèbre maison d’édition qui
                porte son nom. Il est aussi celui qui a popularisé le terme « web 2.0 », en
                organisant la première conférence web 2.0 à San Francisco en octobre
                2004 et en posant les premières bases du concept dans un texte qu’on
                peut retrouver sur son blog12.
                    O’Reilly nous a reçus dans ses locaux de la Russian River, à Sebas-
                topol, loin de l’effervescence de la Silicon Valley. Un homme facile à
                aborder, à la pensée riche et originale, dont voici les éléments les plus sai-
                sissants concernant web 2.0… aujourd’hui.
                    « Les définitions sont des constructions de langage pour expliquer
                des choses. Or, le web 2.0 n’est pas vraiment une chose. C’est plutôt la
                description d’un “tipping point”13, un point de bascule, de ce moment où
                un phénomène un peu unique et isolé devient commun et se généralise.
                Une sorte de point de rupture et de passage à une nouvelle ère, avec de
                nouveaux acteurs et de nouvelles règles.
                    Pour bien le comprendre, on peut faire une analogie avec le dévelop-
                pement de l’ordinateur personnel dans les années 1980. Les ordinateurs
                sont progressivement devenus de plus en plus personnels, et à un certain
                moment (difficile à dater avec précision), le centre de gravité est passé du
                mainframe à l’ordinateur personnel. Tout à coup, des acteurs comme
                IBM, au centre du développement des ordinateurs dont ils étaient les
                constructeurs, perdent la main au profit de nouveaux acteurs comme
                Microsoft, qui proposent les outils d’exploitation de cet objet personnel.
                D’une certaine façon, nous sommes alors passés de l’ère du PC 1.0,
                avec IBM comme acteur principal, à celle du PC 2.0, beaucoup plus per-
                sonnel, avec Microsoft comme acteur principal. Il ne s’agit pas d’une
                définition, mais d’un fait !
                    Le web 2.0 est très similaire. Il y a aujourd’hui un tipping point dans le
                développement du web. Internet a 25 ans, le web a déjà 15 ans. Au
                début, ils n’étaient qu’un “plus” parmi les applications et les services utili-
                sés sur les PC. Il sont aujourd’hui passés au centre. L’introduction en
                bourse de Google en août 2004 a certainement été emblématique de ce
                tournant, mais en fait il faut analyser ce passage comme l’arrivée d’inter-
                net au cœur des PC. Le pouvoir s’est déplacé à nouveau. »

                    Le web appartient maintenant à ceux qui l’utilisent…
                dans les deux sens : pour recevoir et pour créer, pour accéder
                à l’information et la partager, la faire circuler. Il est façonné
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Comment le web change le monde                           Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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                14    COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                par les webacteurs qui s’en servent à leur tour pour changer
                le monde. Ce changement de pratique (pas d’outil) est au
                cœur de l’évolution en cours, de celle que nous devons tous
                comprendre.
                   Nous l’aborderons en trois parties.
                   Le web d’aujourd’hui : une analyse de ce que font les jeunes
                sur le web nous ouvrira les premières pistes de ce qui bouge,
                des grandes tendances porteuses (Chapitre 1). Nous insiste-
                rons ensuite sur ce qui apparaît comme l’énergie dont s’anime
                l’ensemble : la dynamique relationnelle créée par la partici-
                pation de milliards d’individus, d’entreprises, de groupes et
                de documents (Chapitre 2). La technologie, certes fondamen-
                tale, l’est d’autant plus qu’elle a su s’effacer (Chapitre 3).
                   L’alchimie des multitudes : convaincus de ce que l’entrée en
                scène des webacteurs est essentielle, nous nous attacherons à
                montrer comment ils opèrent et le genre de valeurs qu’ils
                créent (Chapitre 4). Partant d’une écoute attentive des criti-
                ques les plus sérieuses à l’évolution du web, nous explique-
                rons la notion d’« alchimie des multitudes » et proposerons
                des attitudes et des actions utiles aux webacteurs (Cha-
                pitre 5).
                   Ce que cela change : pour terminer, nous montrerons les
                changements entraînés par une telle dynamique dans trois
                domaines : l’économie (Chapitre 6), l’entreprise (Chapitre 7)
                et les médias (Chapitre 8).
                   La conclusion, enfin, nous permettra d’évoquer les prin-
                cipales composantes de ce que pourrait être… le web de
                demain.
                   Nous poursuivrons ces débats sur nos sites respectifs :
                www.transnets.net et www.alchimie-des-multitudes.atelier.fr.
                   Bons voyages…
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Comment le web change le monde                           Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr

                                            Première partie

                          Le web d’aujourd’hui
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Comment le web change le monde                              Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                   http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr

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                                 Les jeunes et le web :
                               ensemble, dans les nuages

                Ce que font les jeunes sur l’internet dessine de grandes ten-
                dances. Celles qui vont se généraliser, à mesure qu’ils vont
                grandir, entrer dans le monde du travail, entraînant avec eux
                leurs usages du web d’aujourd’hui. Ils vont disséminer ces
                usages nouveaux autour d’eux : amis, parents, collègues.
                   Car le web, ce sont d’abord les jeunes qui se l’approprient
                et le popularisent. Leur rôle de early adopters (« utilisateurs de
                la première heure ») nous montre la voie des usages futurs.
                   Ils nous montrent aussi que la technologie importe peu,
                surtout si elle sait se faire simple et peu intrusive. Ce qu’ils
                aiment avant tout : les réseaux sociaux et tous leurs outils.
                Cela traduit une rupture générationnelle, mais surtout des
                ruptures d’usages.

                LE WEB, LIEU SOCIAL DE L’ADOLESCENCE

                L’internet, parce qu’il permet de créer des liens, est un très
                puissant outil de réseau social. Les jeunes en sont friands et
                un premier éclairage s’impose. Car c’est d’emblée vers les
                relations amicales que se sont créés les premiers sites de
                réseaux sociaux : le site d’anciens camarades de classes
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Comment le web change le monde                                  Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                       http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                18    COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

                Classmates.com dès 1995, puis le site d’amis Friendster en
                2002. Ils permettent aux jeunes de rester en contact avec
                leurs amis en ligne, et de faire de nouvelles connaissances.
                Mais c’est MySpace, le site permettant aux jeunes de créer
                en ligne un espace personnel à leur image et de partager
                leurs passions avec leurs amis, qui a popularisé le système
                et connu le premier un succès de grande ampleur. Face-
                book, à l’origine simple trombinoscope électronique pour
                étudiants d’universités, s’est largement ouvert fin 2006 et
                connaît lui aussi un grand succès. Dans le monde profes-
                sionnel, LinkedIn est le plus connu. Ce site permet de
                publier en détail son profil professionnel et d’entrer en rela-
                tion avec des collègues, des amis, mais aussi de se créer un
                réseau professionnel, pour chercher un emploi, recruter ou
                monter un projet.

                           Facebook, Myspace… les réseaux sociaux
                Selon Wikipedia, « un réseau social est composé de nœuds (qui sont
                généralement des individus ou des organisations) reliés entre eux par un
                ou plusieurs types de relations, comme des valeurs, des visions, des
                idées, des échanges financiers, de l’amitié, des goûts ou des dégoûts
                communs, des conflits, du commerce, des relations sexuelles, pour ne
                citer que quelques possibilités1 ».

                   Le web a remplacé la voiture d’Harrison Ford dans American
                Graffiti2, mais aussi le parking ou la falaise éloignée, c’est-à-
                dire ce lieu où, au cinéma, les jeunes se retrouvent en quête
                de leur identité, à l’abri de l’intrusion des adultes. Le web
                est à la fois l’outil relationnel et l’espace où les relations ont
                lieu.
                   À cet égard, MySpace est un site emblématique. Il est
                élaboré par les jeunes et pour les jeunes. Les adultes ont
                parfois du mal à le comprendre3. Si la technologie n’a rien
                d’exceptionnel, son usage est propre à bouleverser les modes
                de développement personnel et de rapports sociaux des
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Comment le web change le monde                                Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                     http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
                                                        L’ALCHIMIE DES MULTITUDES    19

                nouvelles générations. Très prisé par les adolescents améri-
                cains, qu’il séduit en leur offrant un espace inégalé d’expres-
                sion libre, MySpace est un des sites les plus visités au
                monde, en compétition directe avec les leaders de l’inter-
                net : Yahoo!, Google et MSN.
                    Lancé par des passionnés de musique indépendante de Los
                Angeles, MySpace compte fin 2007 plus de 100 millions de
                comptes. En février 2006, il a reçu 35 millions de visiteurs
                qui ont vu 22 milliards de pages. En 2008, il gagne 300 000
                nouveaux inscrits chaque jour. L’usager moyen regarde
                500 pages par mois et 37 pages par visite. Un flux considé-
                rable qui n’a pas échappé à l’attention de Rupert Murdoch, le
                magnat des médias, qui a acheté le site pour 580 millions de
                dollars en juillet 2005. Depuis, ses revenus publicitaires
                doublent tous les six mois.
                    Beaucoup de jeunes Américains s’identifient très tôt avec
                MySpace. Originellement fixé à 18 ans, l’âge limite est passé
                à 16 ans puis à 14 ans.
                    La première chose que fait un nouveau membre de
                MySpace est de créer un « profil ». Sur cette page personna-
                lisée, il fait part à la communauté de ses goûts, de ses envies,
                des musiciens qu’il adore, des livres qu’il a lus (ou qu’il
                aimerait lire), des membres de MySpace qu’il connaît (avec
                des liens renvoyant à leurs pages). Clips, vidéos, musique et
                photos rendent le tout sympa… ou « cool ».
                    « Les profils sont comme des personnes digitales. Ils sont
                la représentation numérique publique de l’identité4 »,
                déclare Danah Boyd, anthropologue américaine qui se spé-
                cialise dans la recherche sur les communautés de jeunes en
                ligne (voir son interview en fin de chapitre). Elle ajoute :
                « Pour les adolescents, donner une image cool de soi-même
                est fondamental. MySpace leur permet de décrire leur pro-
                pre identité au travers de ces pages personnelles incroyables.
                Et, ce faisant, cela leur permet de montrer une image d’eux-
                mêmes et de recueillir des réactions. » Ils définissent vir-
                tuellement leur image par petites touches et ajustent en
                fonction des réactions de leurs copains.
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Comment le web change le monde                             Par Francis Pisani et Dominique Piotet
L'alchimie des multitudes                                  http://alchimie-des-multitudes.atelier.fr
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                   Il en résulte souvent une atmosphère spéciale qu’on ne
                peut sentir qu’en visitant les pages en question avec leurs
                collages sur fond le plus souvent sombre de photos, clips,
                vidéos, images et textes pas toujours faciles à lire. « Ça res-
                semble à une chambre d’ado », suggère Danah Boyd, en
                référence à une forme plus traditionnelle de recherche et
                d’affirmation d’identité.
                   Les commentaires laissés par les visiteurs transforment le
                site en un espace public virtuel. C’est, avec la production
                d’identité, l’autre notion clé. « Ce n’est pas la technologie qui
                pousse les jeunes à passer du temps connecté, c’est le manque
                de mobilité et d’accès à un espace réel et physique pour les
                jeunes, où ils peuvent être ensemble sans être interrompus et
                observés », ajoute Danah Boyd. Elle explique que l’absence
                d’espaces publics où se retrouver entre copains est une des
                caractéristiques de la situation de la jeunesse américaine
                d’aujourd’hui. MySpace offre une alternative.
                   À la différence de certains de ses prédécesseurs (Friendster
                notamment), MySpace a choisi de laisser les jeunes fixer les
                règles, définir la culture. C’est bien pour cela qu’ils aiment s’y
                retrouver.
                   L’enjeu pour les jeunes Américains : trouver des espaces
                publics d’expression libre avec leurs amis, indispensables à
                leur développement. Ces espaces sont de moins en moins
                existants dans le monde réel des jeunes Américains. Alors,
                ils se digitalisent. Ils créent des espaces où se jouera une
                bonne partie du futur du web.

                LE RÔLE PRÉPONDÉRANT DES RÉSEAUX SOCIAUX

                De nombreuses études permettent d’appréhender de façon
                quantitative les usages des jeunes à travers le monde. L’ins-
                titut américain Pew Internet Research est un des organis-
                mes qui fournit de façon la plus régulière la matière la plus
                abondante sur les États-Unis. Pour l’Europe, les données
                sont plus dispersées, alors que les études sur l’Asie sont plus
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Comment le web change le monde                                Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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                difficilement accessibles5. Ces études permettent de mettre
                en avant quelques divergences, mais surtout des similarités
                et des grandes tendances. Quel que soit le moyen d’accès
                (plutôt l’ordinateur pour les États-Unis, plutôt le téléphone
                mobile pour l’Asie et mixte pour l’Europe), les usages sem-
                blent converger : ce que les jeunes cherchent avec l’internet,
                c’est un outil puissant de socialisation.

                Les jeunes Américains
                Les jeunes Américains vivent « enveloppés » dans les nouvel-
                les technologies. L’internet surtout, et les téléphones mobiles
                dans une moindre mesure pour le moment, rythment leur
                vie quotidienne.
                   D’après le Pew Internet Research, le nombre d’adoles-
                cents utilisant l’internet a augmenté aux États-Unis de
                24 % entre 2003 et 20066. Quatre-vingt treize pour cent
                des 12-17 ans sont connectés, soit 21 millions de jeunes.
                Pour la même tranche d’âge, ils sont 45 % à posséder un
                téléphone mobile.
                   Les adolescents américains privilégient avant tout les
                réseaux sociaux, comme le montrent les résultats d’une étude
                réalisée en 2006 sur des enfants américains de 12 à 17 ans
                par le Pew Internet7 :
                 ◆   55 % des jeunes Américains utilisent les réseaux sociaux.
                     Les jeunes filles de 15 à 17 ans sont les plus nombreuses
                     (70 % contre 54 % pour les garçons). Plus d’un sur deux
                     s’y rendent quotidiennement ;
                 ◆   55 % des jeunes ont un « profil » (70 % des filles). Seuls
                     31 % d’entre eux le rendent public, alors que les autres
                     en restreignent l’accès à leurs amis ;
                 ◆   91 % d’entre eux le font pour rester en contact avec des
                     amis proches, 82 % pour rester en contact avec des amis
                     éloignés, 72 % pour organiser des soirées, 49 % pour se
                     faire de nouveaux amis. Le rôle dominant tenu par les
                     réseaux sociaux est à la fois celui de ciment et d’outil
                     quotidien de la relation amicale ;
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                 ◆   leurs activités préférées consistent à laisser des commen-
                     taires sur les pages de leurs copains (84 %) et sur leurs
                     blogs (76 %), s’envoyer des messages privés (82 %), ou
                     de groupes (61 %).

                Les jeunes Européens
                En Europe, une enquête NetObserver menée sur cinq pays
                par l’institut d’études Novatris/Harris Interactive nous
                donne des clés très similaires aux analyses que nous trouvons
                aux États-Unis. En y ajoutant une dimension comparative
                intéressante, puisque l’étude introduit des données sur les
                plus de 25 ans8 :
                 ◆ la majorité des jeunes internautes européens se connec-
                   tent à internet plusieurs fois par jour ; 46 % des Alle-
                   mands de 15-24 ans passent plus de 3 heures en ligne
                   chaque jour, devant les Italiens (36 %), les Britanniques
                   (32 %), les Français (27 %). La différence avec la tranche
                   d’âge immédiatement supérieure est significative. En
                   Grande-Bretagne, par exemple, à peine 20 % des plus de
                   25 ans se connectent 3 heures par jour ;
                 ◆ les 15-24 ans utilisent plus que leurs aînés les outils de
                   communication disponibles sur le net, à commencer par
                   la messagerie instantanée ; 80 % des jeunes Espagnols y
                   ont recours régulièrement (75 % des Français, 69 % des
                   Italiens, 59 % des Allemands qui sont de plus gros utili-
                   sateurs de chats que leurs pairs) ;
                 ◆ la principale activité de la plupart des jeunes Européens
                   consiste à consulter des blogs ou des sites communautai-
                   res. Les plus férus dans ce domaine sont les jeunes Fran-
                   çais (46 %) qui sont aussi les plus nombreux à déposer
                   des commentaires. Viennent ensuite les Italiens (41 %) et
                   les Allemands (40 %). Ces derniers, là encore, se distin-
                   guent de leurs homologues européens par un engoue-
                   ment spécifique pour les jeux vidéos en ligne (49 %).
                   Enfin, les Espagnols affichent un intérêt particulier pour
                   le développement de leur espace personnel (30 %), que
                   celui-ci soit une page personnelle ou un blog ;
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                 ◆   les jeunes plébiscitent la publication et l’échange d’infor-
                     mations (texte, audio, vidéo) au sein d’une communauté
                     (Myspace, Skyblog...). Cette fonctionnalité est principa-
                     lement appréciée des jeunes Italiens et Espagnols (88 %)
                     et dans une moindre mesure des Français (81 %). Vient
                     ensuite la personnalisation de pages d’accueil de sites, de
                     blogs ou de pages personnelles, en particulier chez les
                     jeunes Anglais et Espagnols (70 %). La contribution au
                     contenu de sites collaboratifs arrive en troisième position.
                     Elle se taille d’ailleurs un succès tout particulier auprès
                     des jeunes Allemands (79 % la trouvent utile). Les flux
                     RSS (Really simple syndication, ou flux d’informations aux-
                     quels il est très simple de s’abonner) sont l’outil de colla-
                     boration le moins utilisé par les Européens de 15-24 ans.

                L’information et le commerce électronique ne font pas recette
                Une étude réalisée par le Joan Shorenstein Center de l’uni-
                versité de Harvard montre que les jeunes Américains ne
                s’intéressent pas aux nouvelles que leur donnent les médias,
                qu’il s’agisse des conflits en Irak et en Afghanistan ou de la
                présidentielle de 20089.
                    Soixante pour cent des adolescents ne font pas attention
                aux actualités quotidiennes. La proportion est de 48 % chez
                les jeunes adultes (18 à 30 ans) et de 23 % chez les plus âgés.
                    Même en ligne, les actualités ennuient les jeunes.
                    Parmi les conclusions de l’étude :
                 ◆   les moins de 30 ans utilisent plus l’internet que les plus
                     de 30 ans, mais leur intérêt pour les news est si faible que
                     les deux groupes consacrent à peu près le même temps
                     aux actualités en ligne ;
                 ◆   la lecture quotidienne d’un journal occupe un adolescent
                     sur vingt, un jeune adulte sur cinq et un « plus de 30 ans »
                     sur cinq.
                   La nature du rapport aux news semble également changer.
                Les moins de 30 ans grappillent des informations de diffé-
                rentes sources, sur différents médias, à différents moments
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