Comptes rendus de thèse | 2023 - Mondes du Tourisme

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Comptes rendus de thèse | 2023 - Mondes du Tourisme
Mondes du Tourisme

Comptes rendus de thèse | 2023

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URL: https://journals.openedition.org/tourisme/5650
DOI: 10.4000/tourisme.5650
ISSN: 2492-7503

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Association Mondes du tourisme

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Comptes rendus de thèse, 2023, Mondes du Tourisme [Online], connection on 28 September 2023.
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TABLE OF CONTENTS

Yoann FADEL, Low cost et aéroports français. Une stratégie paradoxale des acteurs
locaux ? Les cas de La Rochelle, Bergerac et Carcassonne mis en perspective
Thèse de doctorat en géographie en co-tutelle entre l’Université d’Angers (sous la direction de Philippe Duhamel et
Véronique Mondou) et l’Université libre de Bruxelles (sous la direction de Jean-Michel Decroly et Frédéric
Dobruszkes), soutenue le 8 juillet 2022
Yoann Fadel

Amandine CRAPS, Transformations des pratiques de mobilités internationales depuis
l’arrivée des compagnies aériennes à bas prix. Vingt ans de pratiques aériennes à
Charleroi
Thèse de doctorat en sciences, Université libre de Bruxelles, sous la direction de Frédéric Dobruszkes et
Pierre Lannoy, soutenue le 30 août 2022
Amandine Craps

Prosper WANNER, Tourisme social, économie collaborative et droits culturels :
ethnographie d’une coopération complexe
Thèse de doctorat en sociologie réalisée sous la direction de Saskia Cousin (professeure à l’Université Paris-
Nanterre), soutenue le 30 novembre 2022 à l’Université Paris-Nanterre
Prosper Wanner

Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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    Yoann FADEL, Low cost et aéroports
    français. Une stratégie paradoxale des
    acteurs locaux ? Les cas de La Rochelle,
    Bergerac et Carcassonne mis en
    perspective
    Thèse de doctorat en géographie en co-tutelle entre l’Université
    d’Angers (sous la direction de Philippe Duhamel et Véronique Mondou)
    et l’Université libre de Bruxelles (sous la direction de Jean-Michel
    Decroly et Frédéric Dobruszkes), soutenue le 8 juillet 2022
    Low cost and French airports. A paradoxical strategy of local actors? The cases
    of La Rochelle, Bergerac and Carcassonne put into perspective

    Yoann Fadel

    Introduction
1   Dans cette recherche doctorale, nous avons étudié les stratégies des acteurs locaux
    visant à tirer profit des arrivées touristiques générées par les compagnies aériennes low
    cost. La déréglementation du transport aérien dans l’Union européenne a permis un
    essor des compagnies low cost à partir de la fin des années 1990. Par ailleurs, les lois de
    décentralisation de 1984 et 2003 ont conduit au transfert des plateformes
    aéroportuaires aux collectivités locales (régions, départements, regroupements
    communaux). La conjugaison de ces deux phénomènes conduit les collectivités locales à
    reconsidérer l’utilité des infrastructures aéroportuaires et le soutien aux compagnies
    aériennes. Deux articles tirés de la presse professionnelle et de la presse quotidienne
    régionale le démontrent : « Les aéroports français s’engagent », Aéroport, le mag des
    aéroports français (2003) et « Fermeture de l’aéroport de Dinard-Pleurtuit : des pistes de
    réflexion pour relancer l’activité », Ouest-France (2021). Dans le premier, le délégué

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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    général de l’Union des chambres de commerce et établissements gestionnaires
    d’aéroport (UCCEGA) montre son support aux aéroports régionaux ; vingt ans plus tard,
    le deuxième article témoigne de la même volonté politique de soutien à ces aéroports
    suite à l’arrêt de l’activité régulière de l’aéroport de Dinard, provoqué par le départ de
    la compagnie Ryanair. Malgré le décalage de vingt ans entre les deux discours, les
    représentants politiques affirment le rôle positif des aéroports dans l’économie locale.
    Cette thèse de doctorat a pour objectif de questionner les stratégies des acteurs locaux
    afin de maximiser les retombées des flux de passagers des compagnies low cost.

    Problématique et hypothèses de recherche
2   Peu de recherches portent sur le rôle des acteurs publics et privés et leurs stratégies
    afin d’accueillir des compagnies aériennes low cost. De plus, ces recherches analysent le
    plus souvent des liens de causalité liniéaire, sans envisager les relations systémiques
    entre l’offre aérienne et le développement territorial. Dans ce contexte, une série
    d’auteurs nous montre que la libéralisation du transport aérien et l’émergence des
    compagnies low cost ont entraîné des volumes de trafic plus élevés, ce qui peut générer
    et accélérer la croissance économique (Laurino et Beria, 2014 ; Ivanovic et al., 2014).
    D’autres montrent ou affirment que les compagnies aériennes low cost ont un effet sur
    le tourisme (Donzelli, 2010 ; Rebollo et Baidal, 2009). Mais ces approches omettent
    l’analyse des relations entretenues par les autorités publiques en charge du
    développement économique et les compagnies aériennes privées, dont l’activité est
    encadrée par les institutions nationales et européennes.
3   Suite à l’analyse de ces articles scientifiques, notre recherche porte plus spécifiquement
    sur les interactions entre implantation des compagnies aériennes low cost dans les
    aéroports régionaux et les stratégies des acteurs locaux à des fins de développement
    territorial par le tourisme. Il importe de savoir comment ces acteurs procèdent afin de
    bénéficier des effets du transport aérien sur le développement touristique local.
4   Dans ce contexte, trois hypothèses ont été formulées afin de répondre à notre
    problématique. La première porte sur les influences exercées dans un système d’acteurs
    (acteurs publics et privés du tourisme, gestionnaires des aéroports et compagnies
    aériennes). Ce qui nous amène à vérifier l’hypothèse suivante : les rapports de force
    sont inégaux et en faveur des compagnies aériennes low cost, ce qui réduit la marge
    d’action des collectivités locales. La deuxième hypothèse interroge la coopération entre
    les acteurs du territoire et la coordination des actions menées afin d’obtenir les
    retombées économiques souhaitées. La troisième porte sur la place accordée par les
    acteurs publics aux plateformes aéroportuaires dans le développement économique
    local et leur rôle dans l’accessibilité des territoires.

    Dispositif méthodologique
5   Les approches quantitatives et qualitatives ont été mobilisées afin de vérifier ces trois
    hypothèses. Une analyse multivariée a permis de définir une typologie des aéroports
    français, composée de trois groupes, chaque groupe ayant ses propres caractéristiques
    (Fadel et Mondou, 2020). Suit une analyse diachronique complétant ce dispositif
    (1995-2021). Cette analyse statistique a permis d’identifier trois terrains d’étude : les

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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    aéroports de La Rochelle, Bergerac et Carcassonne, ces derniers ayant été choisis en
    prenant en compte certains paramètres tels que la période d’installation des
    compagnies low cost, leur poids dans le trafic total ainsi que les évolutions du trafic et
    du nombre de compagnies aériennes.
6   Pour compléter et approfondir la discussion, des entretiens semi-directifs ont été
    réalisés avec 53 acteurs locaux (acteurs publics et privés du tourisme et gestionnaires
    d’aéroports), en utilisant deux guides d’entretien. Une approche d’analyse thématique a
    ensuite été appliquée aux entretiens retranscrits afin d’extraire le contenu le plus
    important de leur corpus (Negura, 2006). Cette approche est flexible car elle peut être
    déductive et inductive, tout dépend de la question de recherche (Chigbu, 2019). Dans
    notre réflexion, le raisonnement tend à être plutôt déductif qu’inductif, car celle-ci est
    orientée et guidée par la question de recherche. Nous mobilisons ensuite l’approche
    MACTOR développée dans les années 1990 par Michel Godet (Godet et Coates, 2006). Cet
    outil, utilisé dans les sciences de gestion, a pour objectif de déterminer les rapports de
    force entre les acteurs et d’identifer celui qui est dominant dans un système de jeu
    d’acteurs (Belfellah et Gassemi, 2017). Il est inspiré de la théorie du rôle d’acteurs dans
    un système (Crozier et Friedberg, 1977).

    Résultats de recherche
7   Suite à notre analyse des entretiens, nous identifions que l’installation des compagnies
    low cost dans les infrastructures aéroportuaires étudiées (La Rochelle, Bergerac et
    Carcassonne) s’inscrit dans le cadre d’initiatives isolées, individuelles, non coordonnées
    entre les acteurs. Ainsi, à Bergerac, la chambre de commerce et d’industrie (CCI) a
    contacté les compagnies low cost au début des années 2000 avec pour objectif de les
    convaincre d’ouvrir des liaisons aériennes à partir de l’aéroport. Le directeur de
    l’aéroport de La Rochelle a pris l’initiative de contacter les compagnies low cost,
    notamment Ryanair, à la fin des années 1990. Cela nous amène à confirmer que les
    acteurs locaux sont à l’origine de l’installation des compagnies low cost, et non les
    compagnies, de leur propre initiative. De même, les acteurs locaux n’ont pas hésité à
    organiser des réunions avec les habitants afin de les convaincre du rôle des aéroports
    dans le développement économique local, comme c’est le cas pour Bergerac.
8   Or l’installation des compagnies low cost dans des aéroports régionaux suppose un
    soutien financier des collectivités à la fois aux compagnies mais aussi aux aéroports.
    Deux modes de subvention ont été identifiés : subvention directe et indirecte (cf.
    figure 1). Les CCI ont joué un rôle majeur dans le financement des opérateurs et des
    plateformes, mais la croissance du trafic conjuguée à un moindre pouvoir des CCI a
    nécessité d’élargir le nombre d’acteurs impliqués à différentes échelles afin d’assurer le
    fonctionnement de l’aéroport et de faire perdurer l’implantation des compagnies. Les
    aéroports de La Rochelle et de Bergerac sont similaires en termes de nombre d’acteurs
    participant à la subvention et de la répartition entre eux. Ce n’est pas le cas, en
    revanche, pour Carcassonne qui dispose de son propre modèle de subvention avec une
    participation de la région Occitanie à hauteur de 80 %.

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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     Figure 1. Les acteurs subventionnant les structures aéroportuaires

     Source : entretiens menés en 2021 et 2022. Conception-réalisation : Y. Fadel.

9    Nous avons noté que les relations entre les acteurs publics entre eux et avec les acteurs
     privés sont faibles et que peu d’initiatives sont mises en place pour optimiser les
     retombées des flux des compagnies low cost.
10   Pour ce qui concerne les rapports des force dans les trois cas d’étude, nous affirmons
     que les compagnies aériennes low cost, notamment Ryanair, sont en position dominante
     dans le système d’acteurs, ce qui signifie que les conditions d’ouverture et de fermeture
     des liaisons sont plus favorables aux compagnies aériennes, comme c’est le cas pour
     Bergerac, où Ryanair réclame 150 000 euros pour ouvrir une nouvelle liaison. Notre
     analyse de corpus des entretiens a montré une similarité dans le discours des décideurs
     publics dans les trois cas d’étude. Le coût élevé des des infrastructures et des
     compagnies est relativisé en étant rapporté aux retombées des flux touristiques.
     Toutefois, les études réalisées ne font pas l’objet d’un discours critique. Le rapport
     dépenses/bénéfices minimise les premières et valorise les seconds. Par ailleurs, nous
     avons mis en avant la faible contribution des arrivées des passagers low cost comparés à
     l’ensemble des arrivées touristiques. Les discours des élus politiques et des
     responsables du développement touristique témoignent d’une forme de conviction
     dans l’effet structurant de ces platesformes, alors même qu’il est démontré que le
     développement touristique est déterminé par plusieurs conditions (Offner, 1993).
11   En conclusion, notre analyse montre que les trois cas d’étude sont pris dans un cercle
     vicieux qui peut se résumer en cinq points : 1) la majorité des acteurs locaux ont une
     image positive d’un territoire doté d’un aéroport ; 2) les aéroports régionaux sont
     déficitaires et les compagnies low cost ne s’installent que si elles ont des conditions
     financières favorables ; 3) les compagnies renforcent leurs exigences afin d’obtenir plus
     d’avantages ; 4) il existe une absence de communication entre les acteurs publics et

     Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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avec les acteurs privés 5) les flux engendrés par les compagnies low cost ne sont pas
pleinement maîtrisés sur le territoire. Ainsi, et malgré une volonté forte de favoriser
l’implantation des compagnies low cost, les collectivités locales capitalisent peu sur
cette présence et sur les flux que ces compagnies génèrent.

BIBLIOGRAPHIE
« Les aéroports français s’engagent », Aéroport, le mag des aéroports français, 2003.

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7

Mathilde LECLERC, « Fermeture de l’aéroport de Dinard-Pleurtuit : des pistes de réflexion pour
relancer l’activité », Ouest-France, 13 avril 2021 [https://www.ouest-france.fr/bretagne/
dinard-35800/aeroport-de-dinard-pleurtuit-reactions-et-pistes-de-reflexion-
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Lilian NEGURA, « L’analyse de contenu dans l’étude des représentations sociales », SociologieS, 2006
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J. Fernando VERA REBOLLO et Josep IVARS BAIDAL, « Spread of Low-Cost Carriers: Tourism and
Regional Policy Effects in Spain », Regional Studies, vol. 43, no 4, p. 559‐570, 2009 [https://
www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00343400701874164].

INDEX
Mots-clés : compagnie aérienne low cost, tourisme, acteurs locaux, stratégies

AUTEUR
YOANN FADEL

Docteur en géographie
Laboratoire ESO (UMR 6590)
ATER à l’ESTHUA-Faculté de tourisme, culture et hospitalité de l’Université d’Angers
yoann.fadel[at]univ-angers.fr

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    Amandine CRAPS, Transformations des
    pratiques de mobilités internationales
    depuis l’arrivée des compagnies
    aériennes à bas prix. Vingt ans de
    pratiques aériennes à Charleroi
    Thèse de doctorat en sciences, Université libre de Bruxelles, sous la
    direction de Frédéric Dobruszkes et Pierre Lannoy, soutenue le 30 août
    2022

    Amandine Craps

1   Les compagnies à bas prix remportent un succès retentissant en Europe depuis leur
    arrivée à la fin des années 1990, à la suite de la libéralisation du ciel européen. Leur
    clientèle et leur réseau n’en finissent pas de se développer au fil des années, participant
    considérablement à l’augmentation des mobilités longue distance à travers l’Europe et
    nourrissant les discours de démocratisation du voyage aérien. Les travaux scientifiques
    sur le thème des compagnies aériennes à bas prix sont abondants mais peu
    s’intéressent à leurs aspects socio-spatiaux et aux pratiques des passagers en
    particulier. Lorsque l’analyse s’intéresse un peu plus aux passagers, cela se fait à travers
    le prisme économique et il s’agit d’analyses figées dans le temps. Les pratiques de
    mobilité des passagers des compagnies à bas prix ne sont ainsi pas étudiées pour elles-
    mêmes et leurs évolutions sont passées sous silence, faute de données et de dispositifs
    d’enquête appropriés.
2   Malgré les nombreux discours des politiques, des acteurs du secteur aérien et des
    scientifiques concernant les bienfaits du développement des compagnies aériennes à
    bas prix pour la population (diversité des voyages proposés, accès au transport aérien
    pour tous), il existe peu de données empiriques permettant de confirmer ces prétendus
    effets positifs. Dans ce contexte, la présente thèse a tenté de répondre à la question
    suivante : comment les pratiques de mobilité internationale ont-elles été transformées

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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    avec l’essor des compagnies aériennes à bas prix ? C’est une question d’autant plus
    importante que les aides financières accordées aux aéroports régionaux (comme à celui
    de Charleroi-Bruxelles-Sud) et/ou aux compagnies aériennes à bas prix sont
    significatives. En effet, si ces aides ne bénéficient qu’à un segment social étroit et
    favorisé de la population, comment les justifier ? De plus, la question de l’impact du
    transport aérien sur le réchauffement climatique est également inévitable. D’un côté,
    les politiques font l’apologie d’une mobilité verte ; de l’autre, ils soutiennent le
    développement économique d’aéroports et de compagnies aériennes dont l’impact sur
    l’environnement est indéniable (bruit, changement climatique et pollution
    atmosphérique). Enfin, ce soutien financier pose également la question des conditions
    de travail imposées aux travailleurs de ces compagnies, conditions qui favorisent une
    précarité, une flexibilité et une productivité accrues (Vandewattyne et Bauraind, 2019).
    Cette thèse a donc identifié les pratiques et examiné leurs transformations à travers le
    temps. Elle a aussi posé la question de la banalisation et de la démocratisation du
    voyage aérien.
3   Pour répondre à ces interrogations, une enquête par questionnaire en face à face a été
    menée à l’aéroport de Charleroi-Bruxelles-Sud entre juin et décembre 2017, réduisant
    ainsi le problème de saisonnalité des destinations et des motifs de voyage. Le
    questionnaire portait sur les pratiques de mobilité actuelles mais également passées
    (avant l’arrivée des compagnies à bas prix à Charleroi). Les analyses se sont basées sur
    un échantillon conséquent, composé d’un total de 1 471 résidents belges qui
    voyageaient avec une compagnie à bas prix le jour de l’entretien. Des analyses, uni-, bi-
    et multivariées sont appliquées aux données récoltées afin d’en tirer toute leur
    substance. Enfin, une typologie des pratiques passées et présentes a été construite sur
    la base des résultats des analyses en composantes principales catégorielles (ACPCAT).
4   Les conclusions fondamentales de cette thèse peuvent s’articuler en trois volets.
    Premièrement, les pratiques de mobilité sont transformées du point de vue des
    fréquences de déplacement et des durées de séjour, mais également en lien avec
    d’autres aspects. En effet, au-delà de l’augmentation du nombre de voyages annuels et
    de la réduction des durées de séjour, une forte croissance du motif de voyage « visiting
    friends and relatives » (VFR) a été observée. De là découlent également des changements
    en ce qui concerne les personnes accompagnantes – puisque davantage de voyages sont
    effectués seuls – et en ce qui concerne le logement – avec une augmentation des
    logements VFR et propres. De plus, il a été mis en évidence que les voyages VFR sont
    très nettement liés aux compagnies aériennes à bas prix. Cette augmentation
    significative des voyages VFR permet d’établir un parallèle important avec les
    observations faites par l’École de Chicago au moment de l’introduction de la voiture en
    ville : alors que, dans le cas de la voiture, son introduction permet le développement
    des relations de type secondaire (de « caractère superficiel, anonyme et éphémère »
    [Wirth, 2004, p. 267]), dans le cas de cette thèse, l’arrivée des compagnies à bas prix
    permet d’entretenir et de renforcer les relations primaires (de type « intime, familial
    ou ethnique » [Park, 1964, p. 20]). Ces dernières deviennent donc essentielles à la fois au
    bon fonctionnement des groupes secondaires mais également à celui des groupes
    primaires.
5   L’examen approfondi des pratiques-types a aussi montré une moindre différenciation
    entre les pratiques. Certaines caractéristiques des pratiques passées se retrouvent dans
    d’autres pratiques actuelles. Par exemple, les voyages très courts et très fréquents

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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    étaient dans le passé typiquement le fait de voyages professionnels, mais se retrouvent
    actuellement aussi bien dans les voyages touristiques que VFR. L’analyse des
    dynamiques entre pratiques passées et présentes a aussi mis en évidence que, lorsqu’il
    y a changement de motif de déplacement, certaines caractéristiques, telles que les
    personnes accompagnantes et le type de logement, ne changent pas nécessairement. Il
    existe ainsi une influence des pratiques passées sur les pratiques présentes. Cette perte
    de différentiation renvoie au concept d’« omnivorisme » développé par Petterson
    (1992). Appliqué à cette thèse, ce concept revient à dire que les classes sociales
    supérieures ont tendance à avoir recours à de multiples modes/services de transport, y
    compris ceux que l’on pourrait croire réservés aux classes les moins aisées (compagnies
    aériennes à bas prix, par exemple). Cette diversité de consommation serait une
    nouvelle façon de se démarquer et remplacerait la consommation ostentatoire d’un
    produit plus coûteux (les vols des compagnies traditionnelles). Pour les classes
    supérieures, ce changement de consommation se traduit notamment par une fréquence
    de consommation plus élevée. A contrario, on tend à un certain univorisme dans les
    groupes de l’échantillon pour lesquels les diplômes les moins élevés sont les plus
    représentés. Ceux-ci ont tendance à voyager surtout avec des compagnies à bas prix ou,
    en tout cas, ont recours à une palette nettement moins variée de modes de transport
    étant donné qu’ils voyagent globalement moins. La distinction des groupes les plus
    aisés ne se fait donc plus uniquement par l’utilisation de produit dits « haut de
    gamme » mais bien par la diversité des modes utilisés et la fréquence des voyages
    réalisés.
6   La seconde conclusion fondamentale est que l’on a bien observé une banalisation du
    voyage aérien : les voyages aériens ont significativement augmenté depuis l’arrivée des
    compagnies aériennes à bas prix. C’est en fait une augmentation généralisée des
    déplacements, peu importe le mode de transport, qui est observée. Parmi les personnes
    interviewées, 16 % ne voyageaient pas du tout et 52 % ne voyageaient pas en avion dans
    le passé. On a également noté que, dans l’échantillon, l’augmentation des voyages en
    avion est surtout le fait des voyages effectués avec des compagnies à bas prix. Enfin, on
    a pu mettre en évidence que les individus qui voyagent actuellement avec des
    compagnies à bas prix proviennent surtout de deux horizons : soit ils ne voyageaient
    pas du tout dans le passé, soit ils voyageaient par un mode terrestre. Il s’agit donc, pour
    la plupart, de nouveaux utilisateurs du mode aérien, suggérant que les bas prix
    facilitent l’entrée de ces compagnies dans les pratiques de déplacement. Il y a donc bien
    une banalisation du transport aérien. Celle-ci est entendue comme une démocratisation
    quantitative, au sens de Demoli et Subtil (2019), c’est-à-dire comme une augmentation
    des flux, pour toutes les strates sociales mais sans que la structure sociale des
    voyageurs ne soit impactée. Mais ce type de démocratisation, sur laquelle se basent les
    observations du secteur aérien, des politiques et de certains experts pour nous vanter
    une démocratisation du voyage aérien, interroge. Même si elle a permis une
    augmentation de la fréquence des voyages, celle-ci n’a pas augmenté de la même
    manière pour toutes les couches sociales et elle ne permet en tout cas pas aux moins
    mobiles de rattraper les plus mobiles.
7   Ceci nous amène à la troisième conclusion fondamentale : une réelle démocratisation
    du transport aérien n’a pas pu être observée, du moins au sein de l’échantillon
    interviewé dans un aéroport régional dominé par Ryanair. Malgré la stabilisation du
    lien entre le niveau de diplôme et les fréquences de voyage annuelles dans le cas des
    compagnies à bas prix, il existe toujours une relation positive entre ces deux variables,

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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et ce lien est même renforcé en ce qui concerne les autres modes et les compagnies
traditionnelles. Cela signifie que ce sont toujours les individus possédant les diplômés
les plus élevés qui voyagent le plus souvent et ce sont ainsi ceux qui voyageaient déjà le
plus souvent dans le passé qui voyagent le plus souvent aujourd’hui. Ce glissement vers
des fréquences plus élevées pour tout le monde sans modification de la structure
sociale renvoie au concept de translation exposé par Bourdieu (1978). Il n’y a donc pas
de disparition du lien entre niveau de diplôme et fréquence de voyage et on ne peut dès
lors pas parler d’une démocratisation qualitative (Demoli et Subtil, 2019). Enfin,
l’examen des pratiques-types a aussi mis en évidence que certaines disparités de genre
existent toujours et semblent même parfois plus marquées dans le cas des pratiques
présentes. L’idée d’une démocratisation telle que défendue par les compagnies à bas
prix, les acteurs du secteur aérien à bas prix et les politiques est donc à relativiser. En
effet, malgré une croissance générale des flux, ce qui semble être le principal facteur de
démocratisation pour ces acteurs, l’usage du transport aérien reste différencié
socialement. Cette prétendue démocratisation n’est en fait qu’un glissement vers le
haut des fréquences de voyage et on n’a observé qu’une stabilisation de l’association
entre les fréquences de déplacement et le niveau de diplôme – un argument bien peu
convaincant pour favoriser le développement des compagnies à bas prix.

BIBLIOGRAPHIE
Pierre BOURDIEU, « Classement, déclassement, reclassement », Actes de la recherche en sciences
sociales, vol. 24, no 1, p. 2‑22, 1978 [https://doi.org/10.3406/arss.1978.2613].

Yoann DEMOLI et Jeanne SUBTIL, « Boarding Classes. Mesurer la démocratisation du transport aérien
en France (1974-2008) », Sociologie, vol. 10, no 2, p. 131-151, 2019 [http://journals.openedition.org/
sociologie/5295].

Robert Ezra PARK, Race and Culture, New York, Free Press, 1964.

Richard A. PETERSON, « Understanding audience segmentation: From elite and mass to omnivore
and univore », Poetics, vol. 21, no 4, p. 243‑258, 1992 [https://doi.org/
10.1016/0304-422X(92)90008-Q].

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dans le monde du low cost », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2019 [https://orbi.umons.ac.be/
handle/20.500.12907/2835].

Louis WIRTH, « Le phénomène urbain comme mode de vie », dans Yves Grafmeyer et Isaac Joseph
(dir.), L’École de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Éditions Aubier/Flammarion, 2004
[1938], p. 255-282.

Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
12

AUTEUR
AMANDINE CRAPS

Docteure en sciences
Coordinatrice pédagogique
Centre interuniversitaire d’étude de la mobilité (CIEM)
Université libre de Bruxelles (ULB)
amandine.craps[at]ulb.be

Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
13

    Prosper WANNER, Tourisme social,
    économie collaborative et droits
    culturels : ethnographie d’une
    coopération complexe
    Thèse de doctorat en sociologie réalisée sous la direction de Saskia
    Cousin (professeure à l’Université Paris-Nanterre), soutenue le
    30 novembre 2022 à l’Université Paris-Nanterre
    Social Tourism, Collaborative Economy and Cultural Rights: Ethnography of a
    Complex Cooperation

    Prosper Wanner

1   Cette thèse a été réalisée au sein de la société coopérative d’intérêt collectif « Les
    oiseaux de passage », basée à Poitiers, dans le cadre d’une convention industrielle de
    formation par la recherche (CIFRE). L’observation participative a porté sur le
    développement d’une interface numérique d’hospitalité par des personnes promouvant
    l’hospitalité, l’économie sociale et solidaire, l’écologie et les droits culturels en marge
    du dispositif touristique.
2   Son objet d’étude est le dispositif touristique qui permet l’exercice de l’activité
    touristique, c’est-à-dire ses algorithmes, sa fiscalité, ses logiques tarifaires, ses
    politiques publiques, sa législation, ses catégories de personnes de passage, ses discours
    et l’ensemble de ses techniques d’intermédiation. Contrairement aux travaux
    universitaires existants en sciences humaines, la thèse ne porte pas sur le tourisme
    comme un art de voyager, une pratique culturelle, une industrie ou un loisir, mais
    comme un dispositif, au sens de Foucault, qui permet son exercice. Le travail de
    recherche a porté sur ce que le dispositif touristique « fait faire » aux personnes, en
    particulier celles qui accueillent. Plusieurs milieux ont fait l’objet d’une observation
    participative à Marseille, Venise et ailleurs en Europe, à partir de différentes postures
    exercées en amont et pendant la thèse en tant que gérant, consultant, militant et
    habitant. Plusieurs disciplines ont été mobilisées : les travaux en sciences humaines qui

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
14

    s’intéressent à l’hospitalité, l’accueil du chez soi, ont été croisés avec ceux en sciences
    de gestion qui s’intéressent à l’hospitality, terme anglais qui désigne le secteur
    touristique.
3   Au niveau méthodologique, l’analyse s’est appuyée sur la sociologie des agencements
    marchands du sociologue Michel Callon, notamment les concepts de cadrages, de
    « qualcul » (qualifier et calculer) et d’agencement comme action collective orientée
    vers la réussite de la transaction marchande (Callon, 2017). Les observations et analyses
    ont porté sur ce que compte, externalise et ignore le dispositif touristique à travers les
    cinq cadrages interdépendants définis par Callon qui sont, de manière très synthétique,
    la transformation d’une offre en marchandise, sa qualification, l’organisation de sa
    rencontre puis de son attachement avec un acquéreur pour conclure sur la fixation du
    tarif. L’analyse de ces agencements touristiques marchands a particulièrement porté
    sur le passage du discours à la mesure (Guyer, 2004). À titre d’exemple, l’ONU tient au
    niveau international un discours sur le rôle du tourisme pour faire reculer la pauvreté
    et favoriser le développement durable (échelle nominale), elle a adopté en 1963 la
    catégorie « touriste » pour classer les voyageurs (échelle ordinale) et elle rend compte
    chaque année de l’impact du tourisme via son agence, l’Organisation mondiale du
    tourisme (OMT), essentiellement en termes de nombre de visiteurs internationaux et de
    retombées économiques (échelle numérique).
4   L’écriture de biographies d’activités touristiques, dans la lignée des biographies
    d’objets d’Appadurai, raconte étape par étape cette transformation d’activités devenues
    touristiques comme celles du menu touristique, des visites guidées et des chambres
    d’hôtes (Appadurai, 1986). Cette grille d’observation a été complétée par celle des
    agencements polyphoniques, proposée par Anna Tsing, qui surviennent lorsque des
    personnes s’agencent non pas de manière calculée mais imprévisible avec d’autres
    personnes hors cadre, dans ce qu’elle appelle un événement.

    Les cadrages du dispositif touristique
5   La première partie porte sur l’accueil touristique chez l’habitant, à partir du processus
    de transformation d’un hébergement particulier en une offre marchande d’accueil
    touristique. La biographie d’un clapier de ferme à Marseille, devenu gîte touristique,
    raconte sa qualification puis sa commercialisation et son exploitation, qui vont
    nécessiter des transformations physiques, juridiques, fiscales et commerciales.
6   La seconde partie porte sur l’ensemble des processus de transformation des
    propositions d’accueil en offre marchande touristique : menu touristique, visite guidée,
    bus touristique, audio guide, etc. Plusieurs récits d’observation racontent et analysent
    les processus mis en œuvre pour que ces propositions deviennent marchandes, gagnent
    en autonomie d’action, suscitent des usages prévisibles de la part des touristes et soient
    qualifiées de touristiques. In fine, c’est le niveau de confort moderne qui permet de
    qualifier et de nommer une offre comme étant touristique, c’est-à-dire le privatif, le
    serviable, l’hygiénique et l’équipement moderne. Le concept proposé de « chambre
    blanche » symbolise ce cadrage central au dispositif touristique autour du confort
    moderne. A contrario, le dispositif touristique ignore dans ses calculs ce qui ne relève
    pas de la chambre blanche, c’est-à-dire le commun caractéristique des auberges de
    jeunesse, le contributif propre par exemple au Wwoofing1, la sobriété et la mixité
    sociale défendues par le tourisme social, et la promiscuité avec le vivant notamment

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
15

    dans les Accueils Paysans. Exposé pour la première fois en 1900, lors de l’exposition
    universelle, par le Touring-club de France comme modèle de ce que devait être l’accueil
    touristique, le concept de « chambre blanche » est aujourd’hui omniprésent dans
    l’ensemble du dispositif touristique, que ce soit dans les 140 critères de classement des
    hébergements touristiques d’Atout France ou dans les 100 items de la plateforme de
    réservation touristique Booking.com pour trier et comparer ses offres. Ce cadrage, plus
    que centenaire, est source de préoccupations sociales et écologiques notamment du fait
    de la montée en gamme constante qu’il suscite et au regard de la part que représente
    l’hébergement touristique dans l’impact du tourisme sur le changement climatique.
7   La troisième partie concerne la catégorie « touriste », c’est-à-dire la personne
    bénéficiaire du dispositif touristique, avec l’hypothèse que l’une des spécificités du
    dispositif touristique est d’avoir créé cette nouvelle catégorie statistique, fiscale, légale,
    algorithmique et commerciale de voyageur, basée sur leur capacité à consommer. Cette
    hypothèse repose sur une analyse de la manière dont le dispositif touristique qualifie,
    sélectionne et gère ses bénéficiaires. La catégorie « touriste » a été utilisée pour la
    première fois au niveau statistique international après la crise de 1929, puis adoptée à
    l’échelle internationale par l’ONU en 1963. Cette catégorie a été reprise ensuite pour les
    visas, les comptes satellites du tourisme, le ciblage marketing, le Code du tourisme, les
    algorithmes prescriptifs et les logiques tarifaires. Le concept proposé d’homo turisticus
    désigne cette nouvelle catégorie de personne bénéficiaire du dispositif touristique, celle
    qu’il cible, taxe, assure, profile et compte. C’est aussi celle qui est désirée, attendue et
    accueillie confortablement. De nombreuses personnes de passage ne comptent pas
    comme touristes, tels les travailleurs saisonniers, les stagiaires, les aidants, les
    personnes mises à l’abri et les étudiants. Ce cadrage, lui aussi centenaire, est également
    source de préoccupations sociales et économiques, avec notamment la montée de
    l’anti-tourisme face aux difficultés d’accès au logement des résidents comme des autres
    voyageurs, comme c’est le cas à Venise.
8   La quatrième partie porte sur la mise en relation par le dispositif touristique des
    personnes de passage avec celles qui accueillent, à travers notamment les processus de
    rencontre, d’attachement à une offre en particulier et de tarification. Elle porte sur les
    intermédiations touristiques en général et, plus particulièrement, sur les
    intermédiations numériques. L’informatisation du tourisme a été réalisée avec succès
    dès l’après-guerre par les compagnies aériennes qui ont créé des systèmes de
    réservation centralisée, des systèmes de distribution globalisée et le fichage clients. Ces
    intermédiaires ne retiennent pour leurs calculs que les données qui leur servent à
    comparer, classer et tarifer, et ignorent les autres données. Une offre touristique est
    calculée, triée, classée, qualifiée et prescrite par rapport à son niveau de confort
    moderne, sa géolocalisation et son tarif. Ces conventions de calcul visent à rendre
    comparables les offres entre elles et, de fait, externalisent et ignorent les données qui
    permettent de se singulariser et de se raconter comme les données dites « sensibles ».
    L’extrait d’un livre d’or, le dessin d’un lieu, un remerciement manuscrit, la voix d’un
    hôte, une langue locale ou une création artistique n’ont pas leur place dans un
    algorithme touristique et ne peuvent contribuer à singulariser les offres, au-delà de
    leur niveau de confort et de leur tarif. Le concept d’« interface » désigne ces
    intermédiaires qui, au-delà de la gestion de la relation, ont aussi un rôle de régulation
    et de traduction. Le concept de « communauté d’hospitalité » désigne quant à lui les

    Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
16

     interfaces d’hospitalité organisées collectivement et démocratiquement qui n’ignorent
     ni les données sensibles, ni les autres voyageurs.
9    La dernière partie propose une représentation schématique du dispositif touristique
     selon les cinq cadrages des agencements touristiques marchands et ce qu’ils ont
     institué dans la durée comme dispositif touristique. Elle revient sur l’analyse de ce que
     ce dispositif touristique fait et fait faire aux personnes, aux intérêts spécifiques de
     chacun de ses agents – intermédiaires, professionnels, institutions et touristes – et à la
     manière dont ils s’agencent pour agir collectivement et pour répondre aux
     débordements et sujets de préoccupation que suscite l’exercice de leur activité au sein
     du dispositif touristique : pression foncière, réchauffement climatique, accès aux
     vacances pour tous. Ces analyses sont mises en regard d’autres agencements d’accueil
     des personnes de passage hors dispositif touristique.

     Conclusions
10   Pour conclure, le concept d’« ordre touristique » est proposé afin de désigner et de
     relier ce qui met en ordre – au sens de « hiérarchiser » – l’exercice d’une activité
     touristique, lui donne des ordres – au sens de « fait faire » – et l’ordonne – au sens de la
     fait « entrer dans un ordre ». Si cet ordre des choses est de plus en plus une source de
     préoccupations sociales et écologiques pour la société, notamment à travers
     l’émergence de l’anti-tourisme et du surtourisme, pour autant, seuls ses effets sont
     discutés. Les flux de touristes sont pointés du doigt comme responsables des effets
     négatifs de l’ordre touristique car ils seraient, selon les gestionnaires de destinations
     touristiques, trop nombreux, trop concentrés aux mêmes endroits, pas assez
     responsables ou trop peu dépensiers. Pour y remédier, les propositions sont de fixer des
     quotas, de taxer ces flux ou de mieux les responsabiliser. Mais il nous semble qu’il s’agit
     là d’un bouc-émissaire commode qui amène à ne s’intéresser qu’aux seuls effets du
     tourisme sans en questionner les causes, c’est-à-dire l’ordre touristique. Cet ordre n’est
     pas nouveau et existe depuis l’instauration dans l’entre-deux-guerres de la catégorie
     « touriste » et du confort touristique. Ce qui change, c’est que cet ordre touristique
     s’inscrit aujourd’hui dans un contexte où un milliard de personnes vont, selon l’ONU,
     être amenées à migrer de manière contrainte ou choisie à cause du changement
     climatique. L’ordre touristique, terme emprunté à l’OMT qui revendique un droit des
     touristes, fait du touriste l’ayant droit à la mobilité de par son panier de dépenses
     moyen.
11   La conclusion de la thèse propose d’aller au-delà du simple renouvellement de cet ordre
     touristique afin d’inventer quelque chose de nouveau, à partir ce qu’il ne calcule pas et
     ignore et qui est source de réconfort, d’hospitalité et de poésie – que ces pratiques
     soient anciennes, comme dans les auberges de jeunesse et le réseau Accueil Paysan, ou
     plus récentes à travers le Wwoofing et les tiers-lieux. C’est-à-dire des modes de cadrage
     de la relation d’hospitalité ne détruisant pas l’incalculable et, au contraire, rendant
     possible l’évènement, la résonance et le raisonnement.
12   Si la thèse a permis d’identifier et d’inscrire dans le temps la construction du dispositif
     touristique, de ces catégories, conventions de calcul et discours, elle permet également
     d’identifier des pratiques d’hospitalité ignorées du dispositif touristique qui restent à
     analyser, tant de manière qualitative que quantitative. À titre d’exemple, si le nombre
     d’arrivées touristiques est connue dans chaque destination, le flux des autres personnes

     Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
17

de passage, les tiers de confiance qui les accueillent2 et dispositifs qu’ils mobilisent ainsi
que leur évolution restent à documenter pour penser l’avenir de l’hospitalité.

BIBLIOGRAPHIE
Arjun APPADURAI, The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective, Londres-New York,
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Jane I. GUYER, Marginal Gains. Monetary Transactions in Atlantic Africa, Chicago, University of Chicago
Press, 2004.

NOTES
1. Bénévolat dans des fermes biologiques en échange du gîte, du couvert et du partage des savoirs
et savoir-faire fermiers.
2. Maisons des aidants, foyers de jeunes travailleurs, CROUS…

AUTEUR
PROSPER WANNER

Docteur en sociologie
Maître de conférences associé en médiation culturelle des arts à l’Université d’Aix-Marseille
Laboratoire SOPHIAPOL (Sociologie, philosophie, anthropologie politiques), Université Paris-
Nanterre
pwanner[at]lesoiseauxdepassage.coop

Mondes du Tourisme , Comptes rendus de thèse
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