Connaissance tacite Peter Keating - OpenEdition Books
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Frédéric Bouchard, Pierre Doray et Julien Prud’homme (dir.) Sciences, technologies et sociétés de A à Z Presses de l’Université de Montréal Connaissance tacite Peter Keating DOI : 10.4000/books.pum.4274 Éditeur : Presses de l’Université de Montréal Lieu d'édition : Presses de l’Université de Montréal Année d'édition : 2015 Date de mise en ligne : 7 novembre 2017 Collection : Thématique Sciences sociales ISBN électronique : 9782821895621 http://books.openedition.org Référence électronique KEATING, Peter. Connaissance tacite In : Sciences, technologies et sociétés de A à Z [en ligne]. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2015 (généré le 19 avril 2019). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782821895621. DOI : 10.4000/books.pum.4274.
connaissance tacite discussion, blogues) au rythme où les usages du Net se diversifient eux aussi en fonction des intérêts de ces groupes (voir Amateurs et Usager, figures de l’usager). Par conséquent, une information spécialisée même destinée à des professionnels d’un domaine est aussi accessible au grand public, ou à tout le moins à un public intéressé. 1 Bauer, W. M., N. Allum et S. Miller (2007), « What can we learn from 25 years of PUS survey research ? Liberating and expanding the agenda », Public Understanding of Science, vol. 16, p. 79-95. Bodmer, W. (1985), The Public Understanding of Science, Londres, The Royal Society. Castells, E. (1996), The Rise of the Network Society, Cambridge (MA), Oxford, Blackwell Publishers Ltd. Lévy-Leblond, J.-M. (2002), « Science, culture et public : faux problèmes et vraies ques- tions », Quaterni, vol. 46, p. 95-103. Meadows, J. (1986), « Histoire succincte de la vulgarisation », Impact : science et société, vol. 144. Moles, A. A. et J.-M. Oulif (1967), « Le troisième homme, vulgarisation scientifique et radio », Diogène, vol. 58. Moscovici, S. (1976), La psychanalyse, son image et son public, Paris, Presses Universitaires de France, p. 22. Raichwarg, D. et J. Jacques (1991), Savants et ignorants – Une histoire de la vulgarisation des sciences, Paris, Seuil. Salomon, J.-J. (1999), Survivre à la science, Paris, Albin Michel. Connaissance tacite Peter Keating Le concept de connaissance tacite a été formulé en 1958 par le chimiste et philosophe hongrois Michael Polanyi. De nature polémique, le concept s’intégrait initialement à une entreprise de réfutation de certaines thèses du marxisme britannique des années 1930, et notamment celles soutenues par J. D. Bernal dans The Social Function of Science (1939). Pour ces marxistes, loin de se limiter à une quête individuelle de vérités générales, la science formait plutôt une entreprise collective et pragma- tique, justifiant de ce fait un encadrement de politiques publiques orien- tant la recherche en direction d’objectifs sociaux et utilitaires. À ces 53
sciences, technologies et sociétés thèses, Polanyi objectait qu’elles reposaient sur une lecture erronée du fait scientifique, selon laquelle les données, objectives, seraient le pur produit d’un travail critique désengagé (voir Objectivité et régulation). Or, pour lui, la connaissance scientifique ne saurait se réduire à des ensembles fermés d’énoncés ou de propositions logiques, puisqu’elle impliquerait dès la base un engagement mondain du chercheur, mani- feste dans les aspects artisanaux de la manipulation expérimentale, et impliquant la maîtrise d’un corps de connaissances non explicites, de « manières de connaître tacites ». Dépassant la seule maîtrise des habi- letés techniques, la connaissance tacite concernerait aussi les croyances et les traditions partagées par la communauté de praticiens réunie autour d’un domaine spécifique de recherche. Généralement transmise sous forme non verbale, elle constituerait pour Polanyi le fonds à partir duquel des savoirs explicites peuvent émerger, et expliquerait pourquoi l’on en sait toujours plus sur un sujet que ce que l’on peut en dire. En ce sens, la distinction que suggère Polanyi entre connaissance tacite et connaissance explicite est similaire à celle que Gilbert Ryle esquissait entre connaître que (tel est le cas) et connaître comment (faire quelque chose) dans La notion d’esprit (1949). L’assimilation de telles conceptions par les STS n’aura lieu que dans les années 1970, par le truchement des travaux de Thomas Kuhn, de Jerome Ravetz et d’Harry Collins. Kuhn en effet se référait à Polanyi dans la Structure des révolutions scientifiques (1962), notant que l’ab- sence de règles formelles parcourant un paradigme se conformait à l’idée selon laquelle une large part des connaissances acquises dans la pratique scientifique demeure impossible à articuler explicitement (voir Paradigme). C’est l’emphase sur l’aspect artisanal du travail scien- tifique que récupérait quant à lui Ravetz, proposant de voir les objets de recherche comme des construits intellectuels. Mais ce sont surtout les travaux de Collins sur le rôle de la connaissance tacite dans le transfert de connaissances qui ont retenu l’attention. Dans une série d’études portant sur la reproduction de l’expérience dans des domaines aussi variés que ceux de la physique des ondes gravitationnelles, de la parapsychologie ou de la fabrication du laser, Collins observait des chercheurs se confronter à ce qu’il nommait le paradoxe de la régression expérimentale, paradoxe auquel la connaissance tacite serait loin d’être étrangère. 54
connaissance tacite Selon Collins, en effet, puisque toute pratique expérimentale implique un certain nombre d’habiletés enracinées dans la connais- sance tacite, il demeurerait toujours possible d’attribuer un échec dans la reproduction d’une procédure expérimentale et de ses résultats à une maîtrise inadéquate, de la part d’un scientifique, de ces éléments difficilement pondérables. Devant de tels cas, qui conduisent en règle générale vers une controverse scientifique, les chercheurs doivent envi- sager de tenir une nouvelle expérience de contrôle pour valider les conditions de la première reproduction expérimentale, et ainsi de suite, potentiellement jusqu’à l’infini. Pour éviter une telle régression et sortir de la controverse, la communauté scientifique doit faire un choix : soit elle décide d’abandonner l’expérience, soit elle se dote par convention d’un cadre explicitant les standards d’une reproduction expérimentale acceptable. Mais de la même manière que tout schème normatif validé en vient à s’incorporer dans une forme de vie prescrivant justement la règle, ces conventions entre chercheurs en viennent à déterminer tacitement les normes de la pratique scientifique. Depuis la publication en 1986 de Changing Order, où il synthétise ses travaux antérieurs, Collins a élargi l’éventail de ses recherches sur la connaissance tacite en s’intéressant notamment aux recherches sur l’intelligence artificielle. Sur ce terrain, il s’est opposé aux thèses du philosophe Hubert Dreyfus concernant les limites du développement informatique. Selon Dreyfus, un ordinateur – ou un robot programmé par un ordinateur – demeurera toujours incapable de reproduire une action humaine si cette action dépend d’habiletés et de connaissances tacites, puisqu’un programme informatique ne peut que répondre à des règles explicites. Collins suggère plutôt que les actions humaines sont d’abord et avant tout sociales, à savoir qu’elles n’ont de sens que si elles sont prises dans le contexte d’un rapport déterminé. De telle sorte que même si un robot ne reproduisait pas parfaitement une action humaine pour laquelle il aurait été programmé, il pourrait suffire de modifier le contexte où cette action se produit pour qu’il devienne raisonnable de soutenir que l’action humaine a en effet été fonctionnellement rempla- cée par la sienne. Ainsi, un exemple tout à fait concret de remplacement fonctionnel est celui où, dans le contexte social de l’industrie automo- bile, les peintres humains quittent la ligne de montage au profit des robots. 55
sciences, technologies et sociétés Comme il le revendique dans Tacit and Explicit Knowledge, Collins en arrive donc à renverser les deux caractéristiques attribuées par Polanyi à la notion de connaissance tacite. D’une part, la connaissance tacite, qui n’est pas toujours une connaissance personnelle, n’est plus un attribut individuel. Plutôt, à la base des connaissances personnelles incorporées par des individus, il existe des formes de connaissance tacite collective (voir Infrastructure sociotechnique). Et par exemple, la conduite automobile implique non seulement une maîtrise personnelle du véhicule, mais encore une maîtrise des règles collectives, parfois implicites, du code de la route. D’autre part, Collins suggère de consi- dérer la connaissance tacite plutôt comme la limite de la connaissance explicite que comme son fondement (voir Analogie et métaphores). Car en effet, ce n’est qu’après avoir épuisé les possibilités d’explicitation d’une connaissance que l’on se tourne vers la connaissance tacite – qui devient donc visible dans le projet d’objectivation et de régulation des connaissances que sont les sciences modernes. 1 Cambrosio, Alberto et Peter Keating (1988), « Going Monoclonal : Art, Science and Magic in the Day-to-Day Use of Hybridoma Technology », Social Problems, vol. 35, p. 244-260. Collins, Harry (1985), Changing Order : Replication and Induction in Scientific Practice, Chicago University Press. — (2010), Tacit and Explicit Knowledge, Chicago University Press. — (1992), « Hubert L. Dreyfus, Forms of Life, and a Simple Test for Machine Intelli- gence », Social Studies of Science, vol. 22, p. 726-739. Dreyfus, Hubert (1992), « Response to Collins’ Artificial Experts », Social Studies of Science, vol. 22, p. 717-726. Polanyi, Michael (1958), Personal Knowledge : Towards a Post-Critical Philosophy, University of Chicago Press. Ravetz, Jerome R. (1971), Scientific Knowledge and Its Social Problems, Oxford University Press. Ryle, Gilbert (2005), La notion d’esprit : pour une critique des concepts mentaux, Paris, Payot. Selinger, Evan (2003), « The Necessity of Embodiment : The Dreyfus-Collins Debate », Philosophy Today, vol. 47, p. 266-279. Wittgenstein, Ludwig (1953), Philosophical Investigations, Oxford, Blackwell. 56
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