Connaissance tacite Peter Keating - OpenEdition Books

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Connaissance tacite Peter Keating - OpenEdition Books
Frédéric Bouchard, Pierre Doray et Julien Prud’homme (dir.)

                           Sciences, technologies et sociétés de A à Z

                           Presses de l’Université de Montréal

Connaissance tacite
Peter Keating

DOI : 10.4000/books.pum.4274
Éditeur : Presses de l’Université de Montréal
Lieu d'édition : Presses de l’Université de Montréal
Année d'édition : 2015
Date de mise en ligne : 7 novembre 2017
Collection : Thématique Sciences sociales
ISBN électronique : 9782821895621

http://books.openedition.org

Référence électronique
KEATING, Peter. Connaissance tacite In : Sciences, technologies et sociétés de A à Z [en ligne]. Montréal :
Presses de l’Université de Montréal, 2015 (généré le 19 avril 2019). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782821895621. DOI : 10.4000/books.pum.4274.
connaissance tacite

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aussi en fonction des intérêts de ces groupes (voir Amateurs et Usager,
figures de l’usager). Par conséquent, une information spécialisée même
destinée à des professionnels d’un domaine est aussi accessible au
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Connaissance tacite
Peter Keating

Le concept de connaissance tacite a été formulé en 1958 par le chimiste
et philosophe hongrois Michael Polanyi. De nature polémique, le concept
s’intégrait initialement à une entreprise de réfutation de certaines
thèses du marxisme britannique des années 1930, et notamment celles
soutenues par J. D. Bernal dans The Social Function of Science (1939).
Pour ces marxistes, loin de se limiter à une quête individuelle de vérités
générales, la science formait plutôt une entreprise collective et pragma-
tique, justifiant de ce fait un encadrement de politiques publiques orien-
tant la recherche en direction d’objectifs sociaux et utilitaires. À ces

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thèses, Polanyi objectait qu’elles reposaient sur une lecture erronée du
fait scientifique, selon laquelle les données, objectives, seraient le pur
produit d’un travail critique désengagé (voir Objectivité et régulation).
Or, pour lui, la connaissance scientifique ne saurait se réduire à des
ensembles fermés d’énoncés ou de propositions logiques, puisqu’elle
impliquerait dès la base un engagement mondain du chercheur, mani-
feste dans les aspects artisanaux de la manipulation expérimentale, et
impliquant la maîtrise d’un corps de connaissances non explicites, de
« manières de connaître tacites ». Dépassant la seule maîtrise des habi-
letés techniques, la connaissance tacite concernerait aussi les croyances
et les traditions partagées par la communauté de praticiens réunie
autour d’un domaine spécifique de recherche. Générale­ment transmise
sous forme non verbale, elle constituerait pour Polanyi le fonds à partir
duquel des savoirs explicites peuvent émerger, et expliquerait pourquoi
l’on en sait toujours plus sur un sujet que ce que l’on peut en dire. En ce
sens, la distinction que suggère Polanyi entre connaissance tacite et
connaissance explicite est similaire à celle que Gilbert Ryle esquissait
entre connaître que (tel est le cas) et connaître comment (faire quelque
chose) dans La notion d’esprit (1949).
     L’assimilation de telles conceptions par les STS n’aura lieu que dans
les années 1970, par le truchement des travaux de Thomas Kuhn, de
Jerome Ravetz et d’Harry Collins. Kuhn en effet se référait à Polanyi
dans la Structure des révolutions scientifiques (1962), notant que l’ab-
sence de règles formelles parcourant un paradigme se conformait à
l’idée selon laquelle une large part des connaissances acquises dans
la pratique scientifique demeure impossible à articuler explicitement
(voir Paradigme). C’est l’emphase sur l’aspect artisanal du travail scien-
tifique que récupérait quant à lui Ravetz, proposant de voir les objets
de recherche comme des construits intellectuels. Mais ce sont surtout
les travaux de Collins sur le rôle de la connaissance tacite dans le
transfert de connaissances qui ont retenu l’attention. Dans une série
d’études portant sur la reproduction de l’expérience dans des domaines
aussi variés que ceux de la physique des ondes gravitationnelles, de
la parapsychologie ou de la fabrication du laser, Collins observait des
chercheurs se confronter à ce qu’il nommait le paradoxe de la régression
expérimentale, paradoxe auquel la connais­sance tacite serait loin d’être
étrangère.

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     Selon Collins, en effet, puisque toute pratique expérimentale
implique un certain nombre d’habiletés enracinées dans la connais-
sance tacite, il demeurerait toujours possible d’attribuer un échec dans
la reproduction d’une procédure expérimentale et de ses résultats à
une maîtrise inadéquate, de la part d’un scientifique, de ces éléments
difficilement pondérables. Devant de tels cas, qui con­duisent en règle
générale vers une controverse scientifique, les chercheurs doivent envi-
sager de tenir une nouvelle expérience de contrôle pour valider les
conditions de la première reproduction expérimentale, et ainsi de suite,
potentiellement jusqu’à l’infini. Pour éviter une telle régression et sortir
de la controverse, la communauté scientifique doit faire un choix : soit
elle décide d’abandonner l’expérience, soit elle se dote par convention
d’un cadre explicitant les standards d’une reproduction expérimentale
acceptable. Mais de la même manière que tout schème normatif validé
en vient à s’incorporer dans une forme de vie prescrivant justement
la règle, ces conventions entre chercheurs en viennent à déterminer
tacitement les normes de la pratique scientifique.
     Depuis la publication en 1986 de Changing Order, où il synthétise
ses travaux antérieurs, Collins a élargi l’éventail de ses recherches sur
la connaissance tacite en s’intéressant notamment aux recher­ches sur
l’intelligence artificielle. Sur ce terrain, il s’est opposé aux thèses du
philosophe Hubert Dreyfus concernant les limites du développement
informatique. Selon Dreyfus, un ordinateur – ou un robot programmé
par un ordinateur – demeurera toujours incapable de reproduire une
action humaine si cette action dépend d’habiletés et de connaissances
tacites, puisqu’un programme informatique ne peut que répondre à des
règles explicites. Collins suggère plutôt que les actions humaines sont
d’abord et avant tout sociales, à savoir qu’elles n’ont de sens que si elles
sont prises dans le contexte d’un rapport déterminé. De telle sorte que
même si un robot ne reproduisait pas parfaitement une action humaine
pour laquelle il aurait été programmé, il pourrait suffire de modifier le
contexte où cette action se produit pour qu’il devienne raisonnable de
soutenir que l’action humaine a en effet été fonctionnellement rempla-
cée par la sienne. Ainsi, un exemple tout à fait concret de remplacement
fonctionnel est celui où, dans le contexte social de l’industrie automo-
bile, les peintres humains quittent la ligne de montage au profit des
robots.

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    Comme il le revendique dans Tacit and Explicit Knowledge, Collins
en arrive donc à renverser les deux caractéristiques attribuées par
Polanyi à la notion de connaissance tacite. D’une part, la connaissance
tacite, qui n’est pas toujours une connaissance personnelle, n’est plus
un attribut individuel. Plutôt, à la base des connaissances personnelles
incorporées par des individus, il existe des formes de connaissance
tacite collective (voir Infrastructure sociotechnique). Et par exemple, la
conduite automobile implique non seulement une maîtrise personnelle
du véhicule, mais encore une maîtrise des règles collectives, parfois
implicites, du code de la route. D’autre part, Collins suggère de consi-
dérer la connaissance tacite plutôt comme la limite de la connaissance
explicite que comme son fondement (voir Analogie et métaphores). Car
en effet, ce n’est qu’après avoir épuisé les possibilités d’explicitation
d’une connaissance que l’on se tourne vers la connaissance tacite – qui
devient donc visible dans le projet d’objectivation et de régulation des
connaissances que sont les sciences modernes.
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