Conseil d'Administration Du 11 décembre 2020 - UNAF
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
De : Pôle Epej 07/12/2020 À: Mmes & MM. les Membres du CA Conseil d’Administration Du 11 décembre 2020 Note concernant l’instruction à domicile. 1. Contexte Le président de la République Emmanuel Macron a annoncé vendredi 2 octobre 2020 lors de son discours aux Mureaux sur la loi sur les séparatismes que l’instruction en famille sera désormais « strictement limitée, notamment aux impératifs de santé ». Il fait état que sous couvert d’instruction en famille certains enfants fréquentent des lieux de radicalisation islamiste1. 1 "Le troisième pilier de notre stratégie, c'est l'école. …Or, là aussi, nous avons vu des dérives, nous voyons des contournements et nous avons un combat à mener. Aujourd'hui, plus de 50 000 enfants suivent l'instruction à domicile, un chiffre qui augmente chaque année. Chaque semaine, directeurs et directrices découvrent des cas d'enfants totalement hors système…. Ces enfants ne vont pas au CNED. Parfois, ils ne reçoivent aucune éducation. Mais ils vont dans des structures qui ne sont nullement déclarées. La semaine dernière, nous en avons encore identifié une en Seine-Saint-Denis. Des structures très simples, des murs, presque pas de fenêtres. Les enfants qui arrivent à 8h chaque jour, qui repartent à 15 heures, des femmes en niqab qui les accueillent. Et lorsqu'on les interroge, des prières, certains cours, voilà leur enseignement. C'est une réalité. Nous devons la regarder, la nommer en face… Sur ce sujet, face à toutes ces dérives qui excluent des milliers d'enfants de l'éducation à la citoyenneté, de l'accès à la culture, à notre histoire, à nos valeurs, à l'expérience de l'altérité qui est le cœur de l'école républicaine, j'ai pris une décision, sans doute, et je la mesure, et nous en avons beaucoup débattu avec les ministres, sans doute l'une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969. Dès la rentrée 2021, l'instruction à l'école sera rendue obligatoire pour tous dès 3 ans. L'instruction à domicile sera strictement limitée, notamment aux impératifs de santé. Nous changeons donc de paradigme, et c'est une nécessité. Notre école, ensuite, ne peut en aucun cas faire l'objet d'ingérence étrangère." 1
Ce discours préparait le projet de loi sur les séparatismes, désormais appelé « projet de loi confortant les principes républicains ». Soumis au Conseil d’état, il propose d’abord une interdiction de l’instruction à domicile. - Les seules exceptions permises sont vagues : « des motifs tenant à sa situation ou à celle de sa famille » - L’autorisation par l’autorité compétente de l'Etat en matière d'éducation. » est obligatoire. Et « Le silence gardé par l'autorité compétence de l'Etat en matière d'éducation sur la demande d'autorisation vaut rejet.» - Les exceptions seront précisées par un décret au conseil d’Etat. Ce projet de loi fait aussi suite au rapport du 7 juillet 2020 de la commission d’enquête sénatoriale sur « les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre ».2 Ce rapport, issu de 58 heures de réunion et de l’audition de 67 personnes, dont nous donnerons quelques extraits, fait part de réalités inquiétantes à plus d’un titre : « La réalité de la radicalisation islamiste s’est imposée par la multiplication des témoignages de terrain.» « Une minorité de la population française de confession musulmane tend à adopter un comportement dont l’intransigeance prend prétexte de la religion. Ce comportement prescriptif sur le plan des mœurs tend à faire du religieux l’unique mode de rapport aux autres. » « Un projet de transformation de la société et une action militante de terrain ». « Il s’agit là d’un phénomène mondial. » « Il s’agit par la pression sociale et idéologique, de renfermer la vie des habitants de ces quartiers, de disqualifier toute autre perspective, de les séparer de leurs concitoyens et de leur pays de naissance ou d’accueil. » « La commission est enfin convaincue que la lutte contre l’islam radical passe désormais par la protection des droits de l’enfant et particulièrement des filles. » Etc. C’est à l’aune de ces constats plutôt alarmants, qui ne concernent que pour une petite part l’instruction en famille, y compris dans le champ de l’éducation3, qu’il convient d’analyser le projet du gouvernement de supprimer l’instruction en famille (sauf pour des motifs limités à la situation de la famille ou à celle de l’enfant). Même si la commission du sénat elle-même, malgré une proposition de Nathalie Goulet, sénatrice UC, de supprimer l’instruction en famille, n’a pas souhaité le proposer, au nom de la liberté d’instruction et de la confiance en l’éducation nationale pour la contrôler4. 2 https://www.senat.fr/rap/r19-595-1/r19-595-11.pdf 3 https://www.senat.fr/rap/r19-595-1/r19-595-11.pdf Mise en cause d’écoles hors contrat confessionnels ou identitaires, 1708 signalements d’atteintes à la laïcité de la part des élèves en 2018/2019, personnels radicalisés dans les établissements …p.133-141 4 https://www.senat.fr/rap/r19-595-1/r19-595-11.pdf P. 214 « L’instruction est obligatoire, mais elle est libre. Des familles ont fait le choix de la scolarisation à domicile sans avoir la moindre velléité d’éloigner leur enfant de la République. À mon sens, il revient plutôt à l’Éducation nationale de veiller à ce que les enfants présentant un risque de radicalisation ne quittent pas l’école. Il ne s’agit pas de supprimer toute liberté de choix aux familles ». 2
2. Qu’en est-il réellement aujourd’hui concernant les 50 000 enfants scolarisés à domicile - 0.4% des 12.4 millions d’élèves en 2020 ? Le phénomène est en expansion, bien que représentant une part très faible des élèves : 50000 élèves sur les 12,4 millions. Nombre d'élèves instruits en famille +39% +19% +12% +9% 50000 36000 24878 27 00030200 18818 13547 0 (Chiffres énoncés par les ministres de l’Education nationale lors de différentes auditions depuis 2015). La croissance entre 2018-2019 et 2019-2020 serait en partie imputable à la scolarisation obligatoire à 3 ans (loi pour une École de la confiance promulguée au Journal Officiel le 28 juillet 2019). Lors du vote de cette loi, nous avons d’ailleurs eu quelques retours d’associations familiales dont nous avons fait part au ministère de l’Education soulignant que la scolarisation dès 3 ans n’était pas adaptée à leur situation5 . La croissance de ces dernières années, selon les chercheurs Bongrand et Glassman6, viendrait aussi de l’intensification des incitations à la déclaration, de l’implication des administrations, de la facilité d’accès des parents à des ressources pédagogiques sur internet et aux « moindres » complexes des parents à s’improviser « enseignants » car ils sont davantage diplômés que les générations précédentes. La commission d’enquête du sénat précitée s’inquiète quant à elle de cette croissance et « s’interroge pour savoir si la défiance ainsi marquée est uniquement pédagogique, ou si elle est également idéologique, et si le rejet des contenus d’instruction ne s’accompagne pas d’un rejet des 5 Association des familles batelières qui ne souhaitent pas confier en internat leur enfant dès l’âge de 3 ans, association EFA qui considère qu’un enfant adopté venu de l’étranger doit pouvoir rester quelques temps en famille avant d’être à nouveau en collectivité … Il est donc probable qu’un certain nombre de familles jugent que la maternelle peut se faire à la maison. 6 Les chercheurs Bongrand et Glasman ont consacré de nombreuses recherches sur l’instruction à domicile et ont publié une tribune dans Le Monde le 14 octobre demandant un débat national sur cette question. E .N.S Editions – Revue française de pédagogie – 2018/4 n°205 - Instruction(s) en famille : exploration sociologiques d’un phénomène émergent - Bongrand et Glasman 3
valeurs. »7 3. Qui sont les familles qui pratiquent l’instruction en famille et pour quels motifs ? Les motifs ou motivations des familles pour les enfants de 6 à 16 ans seraient les suivantes (avant la loi sur l’instruction obligatoire à 3 ans), selon les chercheurs Bongrand et Glassman. Eloignement Autres Situation de Cursus sportifs ou géographique motifs handicap (CNED) artistiques d'un (CNED) 1% particuliers (CNED) établissement 2% 3% scolaire (CNED) 1% Soins médicaux (CNED) 11% Choix des parents (sans CNED) 47% Itinérance des parents en France (CNED ) 35% Motifs de l'instruction en famille en 2018 selon B. et G. Dans environ la moitié des cas8 (0,19% des élèves) : Des contraintes objectives empêchent une scolarisation en établissement, Un accord de l’administration est donné. L’inscription au CNED (centre national d’enseignement à distance) en classe réglementée est effectuée et gratuite. Contraintes : 1. liées aux circonstances de vie de la famille : milieu rural éloigné des écoles, familles itinérantes (gens du voyage, bateliers, forains …) 2. liées au handicap ou à la maladie de l’enfant 3. liées à une pratique sportive ou artistique intense et de haut niveau incompatible avec le rythme de l’école 4. liées à l’expatriation de la famille et à la volonté de poursuivre l’école française à l’étranger 7 https://www.senat.fr/rap/r19-595-1/r19-595-11.pdf p.132 8 E .N.S Editions – Revue française de pédagogie – 2018/4 n°205 - Instruction(s) en famille : exploration sociologiques d’un phénomène émergent. Bongrand et Glasman 4
Dans environ l’autre moitié des cas (0, 17% des élèves) : L’instruction dans la famille est considérée comme un choix des familles, même si les chercheurs mettent en avant que parfois ce choix est lui aussi « contraint ». L’inscription au CNED peut être choisie par la famille, mais à titre « payant » car il n’y a pas d’impossibilité « objective » d’inscrire l’enfant dans un établissement scolaire, ou à un autre organisme d’enseignement à distance (OED). Un choix « contraint » : 5. Face aux phobies scolaires, à une situation de harcèlement, pour des enfants souffrant de troubles « dys » ou tout simplement en difficultés d’adaptation par rapport au système scolaire traditionnel. 6. Lié aux désaccords avec l’école : « différend avec des personnels, désaccord sur l’orientation ou conviction que l’école du quartier est inefficace ou source de mauvaises fréquentations9 dans un contexte où aucune alternative scolaire n’est disponible10. La recherche de Glasman et Bongrand met particulièrement l’accent sur ces parents « demandeurs d’école » mais ont dû « interrompre une situation scolaire insupportable, lorsque l’expérience scolaire est pleine de meurtrissures que ce soit dans les relations avec les enseignants, les camarades ou les savoirs ». Il est important aussi de noter qu’aucune alternative n’est ou ne parait disponible à ces parents, notamment les écoles hors contrat, qui peuvent proposer un contexte plus « humain » (petits effectifs, meilleur suivi des élèves) mais sans doute ne sont-ils pas forcément connus, ni bien répartis sur le territoire ni accessibles financièrement. (En moyenne la scolarisation d'un enfant dans une école Montessori coûte 500 euros par mois, selon Diane Vandaele, cheffe de projet à l’Association Montessori France). Un choix « libre » de la part des familles : - lié à un choix pédagogique des parents (pédagogies alternatives, apprentissages plus autonomes). - Lié à un choix religieux Notons cependant que les motifs à la fois « contraints » (phobie scolaire, désaccords avec l’école) peuvent se croiser avec d’autres motifs tels que des motifs pédagogiques ou religieux. Cette typologie ne doit pas faire oublier que la plupart du temps les motivations sont multiples. 4. La comptabilisation des enfants instruits en famille et des motivations des parents. La progression des enfants instruits en famille et non-inscrits au CNED (de manière réglementée et gratuite) inquiète la commission du sénat, car leur proportion est en augmentation. 9 Le Monde du 14 octobre 2020 – La décision de supprimer l’instruction en famille justifierait un débat public 10 E .N.S Editions – Revue française de pédagogie – 2018/4 n°205 - Instruction(s) en famille : exploration sociologiques d’un phénomène émergent. Bongrand et Glasman 5
Évolution du nombre d’enfants instruits dans la famille selon le type d’instruction Instruction dans la famille hors CNED CNED en classe à inscription réglementée 19000 13892 9819 5063 15059 16247 16950 13755 2010-2011 2014-2015 2016-2017 2018-2019 Source : secrétariat général de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Mais la comptabilisation des enfants instruits en famille et non inscrits au Cned n’est pas simple selon les chercheurs Bongrand et Glasman qui ont étudié de près les dossiers des élèves. Sous-estimation globale : un certain nombre d’enfants ne sont déclarés ni à la mairie ou aux services départementaux de l’éducation nationale, soit involontairement car l’interruption est ponctuelle soit volontairement pour échapper aux contrôles11. Les familles comptent sur « l’inertie de l’administration ». Il y aurait donc une « sous-estimation qui pourrait bien minimiser l’ampleur d’une pratique qui apparait de fait comme une sorte de dissidence à l’égard de l’Education nationale ». Inscription au CNED gratuit pour une classe réglementée accordée de manière différente suivant les départements : à titre d’exemple certains médecins scolaires valident et d’autres non le motif « phobie scolaire » qui dans certains cas va rentrer dans les « maladies » avec accord de l’administration et inscription gratuite et règlementée au Cned et dans d’autres cas non. Accord de certains départements pour l’inscription gratuite et réglementée au Cned pour des motifs religieux : le motif « port du voile »!12 Précisons qu’en France d’autres enfants ne sont pas scolarisés et non « comptabilisés » : ce sont les mineurs étrangers isolés, les enfants des familles en grande précarité, Roms, migrants …13 Notons enfin qu’il n’y a aucune statistique sur les catégories sociologiques des familles qui pratiquent l’instruction en famille, cette information n’étant pas remplie dans les dossiers de l’éducation nationale, contrairement aux enfants scolarisés dans des établissements. Bongrand et Glasman soulignent simplement que le cas des familles « demandeurs d’école mais percevant un 11 E .N.S Editions – Revue française de pédagogie – 2018/4 n°205 – Dénombrer les enfants et adolescents instruits hors établissement : pratiques, enjeux et problèmes. Bongrand et Glasman. P.42 12 E .N.S Editions – Revue française de pédagogie – 2018/4 n°205 – Dénombrer les enfants et adolescents instruits hors établissement : pratiques, enjeux et problèmes. Bongrand et Glasman p.43 13 Ceux-là ont créé un collectif pour intégrer les établissements scolaires ! https://ecolepourtous.org/ 6
enseignement ou un encadrement de qualité insuffisante ou bien craignant des « mauvaises fréquentations » pour leurs enfants sont présents en quartiers populaires». Enfin la durée de non scolarisation n’est pas non plus identifiable. La part des nouveaux entrants restant une seule année instruits dans la famille est importante, en moyenne de 55%. Les chiffres pour mesurer ces différents motifs d’instruction en famille par « choix de la famille » n’existent pas. Les motivations pédagogiques sont les plus médiatisées mais minoritaires, selon Bongrand et Glasman14. Les motivations religieuses seraient aussi minoritaires, selon le collectif de chercheurs déjà cité.15 : 5. Les dangers de la scolarisation à domicile Secte, radicalisation violente et islamisme radical (ou radicalisation islamique) : On constate un encadrement croissant de l’instruction en famille. D’abord dans les années 2000, l’instruction en famille, de même que les écoles hors contrat, sont vues sous l’angle du risque d’embrigadement dans une secte16. Puis le danger de la radicalisation apparait après les attentats de 2015 donnant lieu à un renforcement des contrôles à la fois des écoles hors contrat et de l’instruction en famille, sous la ministre précédente Najat Vallaud Belkacem en 201617. Enfin, le ministre Jean-Michel Blanquer dans la loi « Pour une école de la confiance », n°2019- 791 du 26 juillet 2019 renforce ces contrôles : enquête dans les familles par la mairie, contrôle des connaissances et compétences des élèves, deuxième contrôle si les résultats sont insuffisants, mise en demeure d’inscription dans une école si les résultats sont toujours 14 Bongrand et Glasman : Instruction(s) en famille. Exploration sociologiques d’un phénomène émergent E .N.S Editions – Revue française de pédagogie – 2018/4 n°205 « Les connaissances actuelles ne permettent en rien d’affirmer qu’elles seraient prépondérantes parmi les familles qui instruisent hors établissement, en France – nos enquêtes en cours suggérant que, parmi les familles qui déclarent instruire leur enfant, le premier profil (parent à la recherche d’une alternative à la forme scolaire) est minoritaire et le deuxième (parents en proie à une radicalisation) exceptionnel ». 15 « Des familles choisissent de ne pas scolariser pour transmettre à leurs enfants des valeurs, ou des connaissances, à distance de celles que leur semble promouvoir l’école. Certaines de ces familles le font pour des raisons religieuses. Leur dénombrement précis est toutefois impossible car les agents chargés du contrôle de l’instruction n’interrogent pas explicitement les parents sur leurs croyances religieuses. La motivation religieuse est par conséquent très peu évoquée dans les dossiers administratifs dont l’étude permet de décrire les « non scolarisant ». Des indices ou témoignages montrent que des familles à la pratique religieuse stricte et perçue comme contraire aux valeurs de la République instruisent à domicile. De confession chrétienne, juive ou musulmane, elles semblent cependant, pour autant que l’on puisse en juger, très minoritaires. » 16 Dans son Guide sur la protection des mineurs contre les dérives sectaires la Miviludes identifie la déscolarisation comme pouvant être un des signes d’appartenance de la famille à une secte. La déscolarisation n’apparait cependant pas, loin sans faux, comme étant le plus grave de ce qui survient à ces enfants subissant de nombreuses maltraitances, mais participe de son isolement (impossibilité de recours extérieurs). « l’isolement / le confinement, l’enfant est coupé de contacts sociaux, ce qui l’amène à croire qu’il n’a personne sur qui compter en dehors de ceux qui le maltraitent.. ». 17 https://www.najat-vallaud-belkacem.com/wp-content/uploads/2016/06/20160609-DP-droit-education- hors-contrat.pdf 7
insuffisants18. Un Vademecum précis publié en octobre 202019 encadre ces contrôles et met en avant les procédures en cas de difficultés, ainsi que les risques (protection de l’enfance, prise en compte des risques de radicalisation et de dérive sectaire). Notons aussi que « Le contrôle peut également être effectué sans délai et de manière inopinée. » (p.26) Mais actuellement ces contrôles sont encore très insuffisants (par manque de personnel ?) : d’après les données du rapport du sénat20 - En 2016/2017 : sur les 13892 enfants non-inscrits au Cned, seuls 8829 (63,6%) sont contrôlés, donc 5053 y échappent. - 635 premiers contrôles sont jugés non satisfaisants, mais uniquement 239 (37,8%) ont été contrôlés une seconde fois donc 395 y échappent. - 96 second contrôles étaient non satisfaisants et il y a eu 83 mises en demeure d’inscrire l’enfant à l’école (86,5%), donc 13 y échappent. - Seul 33 ont obéi à la mise en demeure (39,8%) donc 50 y échappent. Le rapport du sénat note aussi que 50% des contrôles des mairies seulement seraient effectués. Il semble qu’il y ait un débat concernant la charge de travail que représentent ces contrôles, surtout dans les petites communes. Au total on peut considérer que 5511 enfants ont échappé aux contrôles ou à la mise en demeure de scolariser l’enfant en établissement, soit 39,7% des enfants non-inscrits au CNED réglementé. Au total en revanche cela ne représente que 18% de tous les enfants instruits à domicile car ceux qui suivent le Cned réglementé sont très régulièrement soumis à des contrôles tout comme les élèves en établissement. Concernant les sectes : Les rapports de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) de 2015 et 2017 nomment l’instruction en famille comme faisant partie des cas de signalement21 mais ne développent pas réellement le cas de l’instruction en famille et mettent plutôt l’accent sur les écoles hors contrat. 18 Une enquête par le maire « enquête de la mairie compétente, uniquement aux fins d'établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables de l'enfant, et s'il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. » Cette enquête est réalisée tous les deux ans et Un système de contrôle par l’éducation nationale du niveau des élèves, qui si au deuxième contrôle s’avère insuffisant met en demeure la famille d’inscrire l’enfant à l’école. (« Si les résultats du second contrôle sont jugés insuffisants, l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation met en demeure les personnes responsables de l'enfant de l'inscrire, dans les quinze jours suivant la notification de cette mise en demeure, dans un établissement d'enseignement scolaire public ou privé ».). Ajoutons par ailleurs que cette loi punit pénalement les familles qui continueraient à mettre leurs enfants dans un établissement qui a ouvert malgré injonction de fermeture. 19 https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Actualites/30/6/VDM_IEF_1338306.pdf P.26 20 https://www.senat.fr/rap/r19-595-1/r19-595-11.pdf p.155 21 Le pôle « Mineurs » a traité 15 % des signalements et des demandes adressés à la Miviludes en 2015. Parmi les sujets abordés, on relève 25 demandes portant sur les écoles hors contrat dont 9 sur les écoles Steiner-Waldorf. La déscolarisation au profit de l’enseignement à domicile est l’autre thème émergent des demandes ». 8
Concernant la radicalisation violente et l’islamisme radical : Il apparait nécessaire de distinguer la radicalisation islamiste violente telle qu’elle a conduit dans les années 2015/2018 au départ de jeunes radicalisés pour rejoindre l’Etat islamique, de l’islamisme radical pouvant conduire à un repli communautaire, à la notion de « séparatisme » évoqué par le Président Emmanuel Macron et par le rapport du sénat de juillet 2020. Ce rapport souligne qu’il est nécessaire de ne pas confondre les notions de communautarisme, l’islam politique, de séparatisme et de radicalisation, même si les personnalités auditionnées ont fait état d’un continuum. Dans un rapport récent sur la radicalisation violente, de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice22 des chercheurs ne montrent pas que les jeunes radicalisés aient été instruits à domicile. Au contraire, ils ont eu « soit des parcours familiaux dysfonctionnels et déstructurés assez marqués (absence du père, placements en foyer, violences subies...) », qui ne cadrent pas avec l’instruction en famille, soit ont eu une famille « intégrée » avec laquelle ils sont justement en rupture (famille jugée passive et « moutonnière », considérée comme trop soumise à la loi républicaine, préoccupée par le gain matériel… »). De même Bongrand et Glasman montrent que « les parcours biographiques des jeunes « radicalisés » ne semblent pas manifester d’épisode d’instruction dans la famille : lorsqu’il y est question de «déscolarisation », il s’agit de situations d’absentéisme ou de décrochage scolaire23 p.29 » Cependant ce qui est mis en cause récemment par le président de la République Emmanuel Macron et par le rapport du sénat, ce n’est pas la radicalisation violente mais bien plutôt l’islamisation radicale : un « phénomène mondial », un « renouveau religieux qui s’accompagne pour certains d’une volonté d’affirmation de leur croyance dans l’espace public, dans l’entreprise, dans l’école, et de reconnaissance par les institutions qui entre en conflit avec les lois de la République et de la laïcité ». Le rapport cite aussi un sondage Ifop de 2019 auprès des personnes de confession musulmane en France dans lequel 27% des personnes interrogées sont d’accord avec l’idée que la « charia devrait s’imposer par rapport aux lois de la république ». Enfin il ajoute que « l’islam radical avance en se présentant comme victime de la répression d’un Etat tout puissant … s’insinuant dans tous les aspects de la vie sociale et tend à imposer une nouvelle norme sociale en se prévalant de la liberté individuelle. » Ce « séparatisme » dans le cadre de l’instruction en famille serait le fait de familles qui instruisent soit elles-mêmes, soit via l’inscription des enfants dans des lieux « d’islamisation radicale », sous couvert d’instruction en famille24. 22 https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Prevention_radicalisation/75/7/Rapport- radicalisation_INHESJ_CESDIP_GIP-Justice_2017_961757.pdf 23 Philippe Bongrand, « Nommer et classer les familles qui instruisent hors établissement : des discours en concurrence pour l’émergence d’un « choix » légitime », Revue française de pédagogie [En ligne], 205 | 2018 24 Le ministre Jean-Michel Blanquer, à l’issue de la déclaration du Président sur la suppression du droit à l’instruction à domicile le ministre Blanquer souligne le 4 octobre 2020 que « L’instruction à domicile a pris trop d’ampleur et c’est l’occasion pour des groupes radicaux extrémistes de retirer les enfants de l’école et de les soumettre non pas aux familles mais surtout à des structures clandestines que nous cherchons à fermer. » 9
Autres risques de l’instruction en famille Le fait de ne pas avoir d’expérience de la vie en collectivité peut paraitre aussi problématique, pour la socialisation et l’accession à la citoyenneté, pour intégrer les valeurs de la République et mettre en œuvre concrètement ces valeurs de respect, de liberté, égalité, fraternité et laïcité …25. Ce n’est en effet pas uniquement de manière théorique que l’on apprend ces valeurs. C’est dans les échanges et dans les travaux de groupe qu’on peut le mieux les intégrer, comme le précise le programme d’enseignement moral et civique de l’école et du collège26. Les associations de familles instruisant à domicile leurs enfants considèrent que les familles se réunissent et participent à des activités sportives, ateliers et sorties pédagogiques qui favorisent la socialisation, que les enfants sont inscrits dans plusieurs activités…27 Mais les avis sont partagés « souvent, les enfants qui sont scolarisés à domicile par certaines familles ne participent à aucune activité de sport ou de loisir à l’extérieur de leur famille. Ce sont des enfants isolés », constate la sénatrice rapporteuse du sénat Jacqueline Eustache-Brinio. 6. Au plan juridique La loi Ferry de 1882 permet l’instruction obligatoire soit en établissement soit en famille. « L'instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l'un d'entre eux, ou toute personne de leur choix. » (Code de l’éducation article 131-2). La loi Fillon de 2005 avait fait ajouter dans un article décrivant les objectifs de l’éducation le terme « prioritairement » à l’instruction dans les établissements d’enseignement.28 En 2017, un arrêt du Conseil d’état reconnait un « droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille » (CE, 19 juillet 2017, association les enfants d’abord, n° 406150). La Déclaration universelle des droits de l’homme déclare aussi dans l’article 26 « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. », même si il s’agit davantage de l’éducation au sens large que de l’instruction. La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales évoque « le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ». 29 25 Programme d’enseignement moral et civique de l’école et du collège « Les quatre valeurs et principes majeurs de la République française sont la liberté, l'égalité, la fraternité et la laïcité. S’en déduisent la solidarité, l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que le refus de toutes les formes de discriminations. » 26 « La discussion réglée et le débat argumenté ont une place de premier choix … L’enseignement moral et civique se prête particulièrement aux travaux qui placent les élèves en situation de coopération et de mutualisation favorisant les échanges d’arguments et la confrontation des idées. 27 https://laia-asso.fr/wp-content/uploads/2020/10/20201029_LettreInterassos_Finale.pdf 28 (article L.131-1) « Cette instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement. » 10
Mais la Cour européenne des droits de l’homme a toujours validé la demande des Etats d’interdire l’instruction en famille. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne indique d’ailleurs que les lois nationales sont prioritaires : « La liberté de créer des établissements d'enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d'assurer l'éducation et l'enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l'exercice ».30 7. Qu’en est-il dans les autres pays d’Europe ? L’instruction dans la famille est possible sous certaines conditions - généralement le contrôle des connaissances acquises, mais parfois aussi le projet pédagogique des parents- en Belgique, en Angleterre, au Canada, en Finlande, en Irlande, en Italie, en Autriche. Dans certains pays elle est cependant peu pratiquée (Italie, Finlande). Aux Etats-Unis elle est relativement développée : 2.500.000 d’enfants seraient concernés, soit 4 % des enfants en âge scolaire. Elle est interdite en Allemagne, en Espagne, en Suède depuis 2011, aux Pays-Bas, en Grèce. Certains pays sont en réflexion actuellement, notamment les Pays-Bas qui l’autorisent actuellement pour des motivations philosophiques ou religieuses. 8. Evolution du projet de loi A l’heure où cette note est rédigée, le Conseil d’Etat vient de faire des remarques sur l’article relatif à l’interdiction de l’instruction à domicile (article 21) conduisant le gouvernement à en faire évoluer la rédaction. Le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale a donc été modifié31. La notion d'interdiction de l'instruction dans la famille a été supprimée. Celle-ci sera permise par dérogation, après autorisation délivrée par l'académie. Cette autorisation devra etre réitérée chaque année. « L’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés. Elle peut également, par dérogation, être dispensée dans la famille sur autorisation délivrée dans les conditions fixées à l’article L. 131-5. » ; « à condition d’y avoir été autorisé annuellement par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, lui donner l’instruction en famille. » 29 « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. » (Protocole n°1 Art. 2) 30 https://fra.europa.eu/fr/eu-charter/article/14-droit-leducation 31 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_projet-loi# 11
« L’autorisation mentionnée au premier alinéa ne peut être accordée que pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des personnes qui sont responsables de l’enfant : « 1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ; « 2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ; « 3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique d’un établissement scolaire ; « 4° L’existence d’une situation particulière propre à l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. » ; La situation particulière propre à l’enfant permettra-t-elle d'évoquer une phobie scolaire ou une autre difficulté de l'enfant, aussi du fait du contexte de l’école, collège ou lycée dont il dépend (violence, niveau …) ? Dans tous les cas, une justification et une autorisation seront nécessaires. 9. Pour conclure Le projet de loi pose un certain nombre de questions que nous nous proposons de lister, avec des propositions : Suppression d’un droit et d’une liberté accordés aux familles : - Est-il nécessaire d’encadrer ainsi une liberté accordée aux familles depuis plus d’un siècle, afin de se prémunir d’un risque dont on ne connait pas réellement l’ampleur ? Vision équilibrée des avantages et risques de l’instruction en famille : - Plutôt que d’encadrer l’instruction en famille, ne faut-il pas en priorité permettre la fermeture des écoles illégales et islamistes, car les témoignages concernent plutôt ce type de cas. C’est d’ailleurs déjà ce que propose l’article 22 de la loi32. - Les conséquences, si l’on interdit l’instruction à domicile ne risquent-elles pas d’être importantes et dommageables pour les enfants ? Par exemple pour une situation de maladie, de harcèlement ou de phobie scolaire, de handicap (troubles dys, haut potentiel …), comment cela va-t-il concrètement se passer ? 1 à 3% des enfants souffrent de phobie scolaire et n’arrivent plus à se rendre à l’école, au collège ou au lycée. Dans beaucoup de ces situations, un diagnostic est long à poser. En attendant qu’il soit posé et qu’éventuellement un aménagement dans l’établissement soit proposé, la solution de l’instruction à domicile est préférable à une déscolarisation « sèche ». Or, l’on connait les lenteurs de l’administration y compris de l’éducation nationale alors que le projet de loi énonce qu’une autorisation est obligatoire chaque année. - Les médecins scolaires, si c’est eux qui doivent délivrer un certificat, ne sont-ils pas déjà trop peu nombreux pour toutes les tâches qui leur sont demandées ? 32 L’article 22 est en effet plus précis concernant le contrôle des établissements privés hors contrat : il suffit de constater qu’un établissement accueillent des enfants « aux fins de leur dispenser des enseignements scolaires sans qu’ait été faite la déclaration prévue à l’article L. 441-1 » pour pouvoir le fermer, même « en l’absence du responsable de l’accueil clairement identifié ». Est aussi rajouté un an d’emprisonnement au 15000 € d’amende (article 22 code pénal). 12
Condition de contrôle de l’instruction en famille : - L’éducation nationale ne doit-elle par remplir sa mission de contrôle des enfants instruits à domicile. 18% des enfants échappent à ces contrôles, ce qui n’est pas normal. - Existe-t-il une mission d’inspection générale de l’éducation nationale sur le sujet ? Il serait nécessaire que celle-ci soit faite. - Il convient de contrôler l’intégration par les enfants instruits en famille des valeurs de la république (compétence 3 du socle). Lors des contrôles, il paraitrait essentiel de vérifier et d’exiger que tous les enfants bénéficiant de l’instruction en famille puissent être inscrits dans des espaces extrascolaires afin de favoriser leur intégration sociale. - Ne pourrait-on imaginer proposer qu’une fois par trimestre (ou voir le type de rythme possible) les enfants instruits en famille puissent s’immerger dans une classe correspondant à leur niveau afin de découvrir le milieu scolaire et de faciliter doucement leur intégration grâce à un travail de démystification, de diminution des aprioris etc. . Un espace d’accueil des parents à l’école serait nécessaire pour que ces derniers puissent exprimer leurs craintes et expliquer le parcours de leur enfant et les difficultés rencontrées. L’accompagnement et écoute parent/enfant doivent être renforcés pour favoriser et faciliter l’insertion des jeunes en difficulté de scolarisation. Exceptions à l’interdiction d’instruction en famille : - L’obligation de l’instruction dès 3 ans n’est-elle pas une exception française qui change la donne ? Si certains pays d’Europe comme l’Allemagne ne permettent pas l’instruction à domicile, l’instruction n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans. Ne pourrait-on permettra tout au moins la possibilité d’instruction en famille jusqu’à 6 ans ? - Les exceptions liées à la « situation particulière propre à l’enfant » méritent par ailleurs d’être explicitées, même si à titre d’exemples et non exhaustives. 13
Vous pouvez aussi lire