Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

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DIRECTION GÉNÉRALE DES POLITIQUES EXTERNES
DÉPARTEMENT THÉMATIQUE

                                     NOTE THÉMATIQUE

    Constitution tunisienne: l'apprentissage
             difficile du consensus

       Résumé
       Le processus d'élaboration de la constitution tunisienne a été enclenché au lendemain
       d'élections démocratiques et transparentes. S'il a mis en exergue des divergences
       profondes entre les acteurs politiques quant au statut de l'Islam dans la constitution et
       l'équilibre des pouvoirs, il s'est aussi avéré être un vecteur civique essentiel à
       l'enracinement de la culture démocratique grâce, entres autres, à la vigilance de la
       société civile.
       Initialement chargée d'élaborer la constitution, l'Assemblée nationale constituante (ANC)
       s'est vu par la suite doter de prérogatives législatives.
       Le projet de constitution publié le 22 avril 2013 a introduit de nombreuses innovations
       par rapport à la constitution de 1959, tout en gardant des éléments de continuité.
       Le processus a inclus des éléments de participation citoyenne mais ses avancées
       laborieuses, les débats houleux et les retards multiples ont suscité un sentiment
       d'insatisfaction de la population vis-à-vis de la classe politique.
       L'organisation d'un dialogue national réunissant les partis politiques parviendra t-il à
       lever les ambiguïtés qui persistent à propos de certaines dispositions constitutionnelles ?
       Débouchera t-il sur un accord sur la loi électorale et le calendrier des prochaines
       élections présidentielle et parlementaire ?
       Si l'expérience tunisienne montre toute la complexité de la mise en place de nouvelles
       institutions politiques au lendemain d'une 'révolution', sa réussite peut aussi raviver
       l'espoir d'un avenir démocratique au sein des sociétés arabes qui se sont révoltées contre
       l'autoritarisme.

DG EXPO/B/PolDep/Note/2013_153                                                                 mai 2013
PE 491.499                                                                                           FR
Département thématique, Direction générale des politiques externes

La présente note thématique a été rédigée à la demande de la Commission des affaires étrangères.

AUTEURS:                          Elyès GHANMI
                                  Direction générale des politiques externes
                                  Département thématique
                                  WIB 06 M 079
                                  rue Wiertz 60
                                  B-1047 Bruxelles

                                  Assistante Editoriale: Agnieszka PUNZET

CONTACT:                          N’hésitez pas à envoyer vos commentaires à
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À PROPOS DE                       Manuscrit français achevé le 22 mai 2013.
                                  © Union européenne, 2013
L'ÉDITEUR:
                                  Imprimé en Belgique
                                  Cette note thématique est disponible sur le site intranet du Département
                                  thématique de la Direction générale des politiques externes de l'Union,
                                  sous la rubrique Régions et pays ou Domaines politiques.

CLAUSE DE NON-                    Les opinions exprimées dans le présent document sont celles de l’auteurs
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                                  au préalable et qu'une copie de l'édition lui soit fournie.

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Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

Table des matières
1.   Processus constitutionnel et principaux débats                                            4
     1.1.   Un processus dépourvu de cadre juridique clair
            et de calendrier précis                                                            4
     1.2.   Un processus marqué par une polarisation mais qui aboutit                          4
     1.3.   Un processus d’élaboration relativement inclusif et ouvert
            à la société civile                                                                6
2.   Projet de constitution du 22 avril 2013: éléments de continuité
     et d'innovation                                                                           7
     2.1.   La révolution comme registre de la légitimité constitutionnelle                    7
     2.2.   Le statut de l'Islam                                                               9
     2.3.   Les droits fondamentaux                                                           10
     2.4.   Le statut de la femme                                                             11
     2.5.   L'équilibre des pouvoirs et la relation entre le pouvoir exécutif
            et le pouvoir législatif                                                          11
     2.6.   Le pouvoir juridictionnel et le contrôle de la constitutionnalité
            des lois                                                                          12
     2.7.   Questions en débat                                                                13
3.   Eléments de comparaison entre la Jordanie, le Maroc,
     l'Egypte, la Libye et la Tunisie                                                        14
     3.1.   Les monarchies à l'épreuve du 'printemps arabe'                                   14
     3.2.   Des processus de changements constitutionnels différenciés                        14
     3.3.   La séparation des pouvoirs comme un des marqueurs
            du débat constitutionnel                                                          16
4.   Calendrier constitutionnel et électoral prévisionnel                                    16
5.   Le rôle du PE : soutien politique et appui institutionnel                               17

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Département thématique, Direction générale des politiques externes

1.           Processus constitutionnel et principaux débats
1.1.         Un processus dépourvu de cadre juridique clair et de calendrier précis
L’absence d’un cadre                  Le processus d’élaboration de la constitution tunisienne a été marqué par
juridique précis et                   l’absence d’un cadre juridique précis et contraignant, clarifiant les
contraignant a contribué à la         modalités du déroulement du processus institutionnel dans son
polarisation du débat au              ensemble, la durée du mandat de l’Assemblée nationale constituante
sein de l’ANC.                        (ANC), et l’étendue de ses prérogatives.
                                      Cette lacune originelle, probablement inévitable au regard de l'absence
                                      d'expérience, a contribué à la polarisation du débat au sein de l’ANC entre
                                      les composantes de la majorité gouvernementale et les membres de l’ANC
                                      issus de l’opposition, affectant le travail constitutionnel et législatif.
                                      Force est de rappeler que le parti Ennahdha est arrivé en tête lors de
                                      l'élection du 23 octobre 2011 avec 40% des suffrages exprimés, obtenant
                                      89 sièges sur 217 au sein de l'ANC. S'il constitue la première force
                                      politique, il n'a pu former une majorité au sein de l'ANC qu'à la faveur
                                      d'une coalition avec deux partis progressistes, le Congrès pour la
                                      République (CPR) 1 et Ettakatol 2 .
                                      Au lendemain de l’élection du 23 octobre 2011, des débats ont surgi sur la
                                      nature et la portée du mandat de l’ANC. Le décret-loi du 10 mai 2011
                                      relatif à l’élection de l’ANC a passé sous silence l’ensemble de ces
                                      questions. Quant au décret du 20 mai 2011 relatif à la convocation du
                                      corps électoral, il n’a apporté que des réponses partielles.

Son mandat, initialement              L’article 6 du décret-loi du 10 mai 2011 a précisé, en effet, que : ‘l’ANC se
fixé pour une durée d'un an           charge d’élaborer une constitution dans un délai maximum d’un an à
au maximum, a été prorogé             compter de la date de son élection’. Au regard du retard dans la rédaction
en raison du retard pris dans         de la constitution, des calendriers non tenus et de la prorogation de la
la rédaction de la                    durée du mandat de l’ANC au-delà de la date du 23 octobre 2012,
constitution.                         l’opposition n’a pas hésité à mettre en cause la légitimité de l’assemblée
                                      constituante.
                                      Dans le même temps, l’ampleur des crises politiques qui ont commencé à
                                      secouer le pays dès le deuxième semestre de l’année 2012, et dont le
                                      point culminant fut l’assassinat tragique du leader démocrate progressiste
                                      Chokri Belaïd le 6 février 2013, a affaibli la légitimité de l'ANC auprès de la
                                      population.

1.2.         Un processus marqué par une polarisation mais qui aboutit
Le débat entre les partis s'est       Les divergences sur la nature du régime politique à adopter et la difficulté,
polarisé sur la nature du             dans un premier temps, à parvenir à un compromis entre le régime

                                  1
                                      Le CPR a obtenu de 29 sièges.
                                  2
                                      Ettakatol a remporté 20 sièges.

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Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

régime politique.                   parlementaire défendu par le parti Ennahdha, et le régime présidentiel ou
                                    le régime mixte qui ont la faveur des autres partis, a pesé pendant
                                    longtemps sur les travaux de l’ANC et prolongé les tractations entre les
                                    partis.
                                    Le débat sur la nature du régime politique a été surdéterminé à la fois par
La question du régime
                                    des agendas politiques antagoniques et des stratégies électorales
politique sera résolue au
                                    personnelles pour les candidats potentiels à la future élection
sein du dialogue national.
                                    présidentielle.
                                    Un "dialogue national" - processus formellement distinct de l'ANC - a été
                                    initié par le président de la République M. Moncef Marzouki le 15 avril
                                    2013. Le but est de dépasser les clivages et de trouver un compromis sur le
                                    futur régime politique de la Tunisie, notamment les prérogatives du
                                    président de la république. Pour autant, les divergences ne sont pas
                                    irréductibles et les contours d'un consensus final commencent à se
                                    dessiner à la faveur d'une première série de réunions entre les
                                    représentants des partis 3 .

Le parti islamiste modéré au        Le parti Ennahdha est très attaché au régime parlementaire. Les partis de
pouvoir a enfin accepté             l'opposition redoutent pour leur part qu'un régime parlementaire ne
l'élection du président de la       donne au premier ministre des prérogatives trop importantes ce qui
république au suffrage              déséquilibrerait le dispositif institutionnel. La concession faite par
universel.                          Ennahdha pour l’élection du président de la république au suffrage
                                    universel direct et la reconnaissance de certaines prérogatives n'ont pas
                                    satisfait les partisans du régime présidentiel et du régime mixte. Ceux-ci
                                    continuent à réclamer plus de pouvoirs pour le président de la république.
                                    Au-delà du débat de circonstances, il importe de noter qu'à l'exception du
                                    leadership d'Ennahdha dont une grande partie a vécu en exil sous des
                                    régimes parlementaires, la classe politique tunisienne défend un modèle
                                    consacrant la prééminence institutionnelle du président de la république,
                                    et qui emprunte à la constitution de la Vème république française
                                    plusieurs de ses caractéristiques. L'attachement d'une partie de la classe
                                    politique tunisienne au régime présidentialiste ne s'explique pas
                                    seulement par l'histoire, il procède aussi d'une confusion dans les esprits
                                    entre mode de scrutin et régime parlementaire, synonyme souvent
                                    d'instabilité gouvernementale.

La tentative de faire adopter       Le statut de l’Islam dans la constitution a été également une source
un projet d'article                 permanente de tensions entre le camp ‘laïc’ et/ou 'progressiste' et le camp
criminalisant 'toutes les           ‘islamiste’. Le débat s'est cristallisé tout au long du processus de rédaction
attaques contre ce qui est          du projet de constitution autour d'enjeux fondamentaux de société tels
sacré' a été abandonnée             que l'égalité de genre. En outre, des propositions relatives aux libertés
grâce à l'opposition de             fondamentales n’ont pas manqué de susciter des interrogations quant au

                                3
                                 Voir à ce propos la déclaration finale issue de la première série de rencontres tenues
                                entre les partis politiques, Tunis le 16 mai 2013.

                                                                                                                      5
Département thématique, Direction générale des politiques externes

nombreux partis et à la               projet de société défendue par Ennahdha. La tentative de faire adopter un
vigilance de la société civile.       projet d'article criminalisant 'toutes les attaques contre ce qui est sacré'
                                      (article 3 du projet soumis par Ennahdha) a échoué face à l'opposition de
                                      nombreux partis et à la mobilisation de la société civile, très vigilante. La
                                      première mouture du projet de la constitution (publiée en août 2012) a
                                      été lue à l'ANC le 23 octobre 2012, soit un an après les élections. La
                                      commission de coordination, présidée par le président de l'ANC, M.
                                      Mustapha Ben Jaafar 4 , et disposant d'un pouvoir de recommandation, a
                                      fourni un apport décisif en retirant certaines propositions controversées
                                      du projet de constitution relatives à la nature de l'Etat et à la place de la
                                      religion.
                                      Le risque de voir ces questions revenir dans les discussions n'a pas pour
                                      autant disparu. L’énonciation du respect de la religion comme norme
                                      constitutionnelle a resurgi de nouveau dans le débat à la faveur de
                                      références et de dispositions incluses aussi bien dans le préambule de la
                                      constitution que dans le corps de certains chapitres.

1.3.         Un processus d’élaboration relativement inclusif et ouvert à la société
             civile
Le projet de constitution est         L'ANC est essentiellement chargée de la rédaction d'une constitution ainsi
le résultat de plusieurs mois         que de l'organisation d'élections présidentielle et parlementaire. Elle s'est
de discussions et de                  également vu doter de prérogatives législatives qui ont fini par alourdir sa
rédaction au sein des                 mission principale.
commissions constituantes
                                      Le projet de constitution est le résultat de plusieurs mois de discussions et
de l’ANC, de la séance
                                      de rédaction au sein des six commissions constituantes de l’ANC, d’une
plénière et de la commission
                                      lecture en séance plénière (octobre 2012) et de modifications apportées
de coordination.
                                      par la commission de coordination à l'issue de vifs débats.

Le processus constitutionnel          Le processus constitutionnel s'est accompagné d'une démarche
s'est accompagné d'une                d'inclusion de la société civile. Une consultation nationale a été lancée le
consultation nationale.               16 décembre 2012 pour recueillir les opinions des citoyens et des
                                      représentants de la société civile dans les 24 régions de la Tunisie et à
                                      l'étranger sur le projet de constitution publié le 14 décembre 2012. Deux
                                      grandes réunions avec les étudiants ont également été organisées à Tunis
                                      et à Sfax en raison du poids démographique important de ces villes. Les
                                      réunions ont été présidées par les membres du comité de coordination et
                                      de rédaction avec la participation des députés de chaque région.

La participation de la                Néanmoins, il faut signaler que la participation de l’Union générale des
puissante Union générale              travailleurs tunisiens (UGTT) - principale organisation syndicale dans le
des travailleurs tunisiens            pays - fut très faible, voire nulle en dépit de l’initiative de dialogue national
(UGTT) fut très faible.               que la centrale syndicale a lancée en juin 2012 à destination des partis

                                  4
                                    M. Mustapha Ben Jaafar est le secrétaire général du parti le Forum pour le travail et les
                                  libertés (Ettakatol).

6
Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

                                politiques pour renforcer le consensus national. L’organisation des
                                travailleurs bénéficie d’un statut particulier dans la mémoire collective des
                                Tunisiens eu égard à son rôle historique dans le mouvement nationaliste.
                                L’action menée par ses structures régionales dans l’encadrement du
                                mouvement de protestation populaire qui s’est déclenché dans le centre-
                                ouest de la Tunisie en décembre 2010, et qui s’est propagé dans tout le
                                pays provoquant la chute du régime de Ben Ali, a permis à l’organisation
                                syndicale de réhabiliter son image, ternie pendant longtemps par les liens
                                étroits qu'entretenait une partie de sa direction avec l’ancien régime.

                                D'un autre côté, certains partis politiques ont tenté à plusieurs reprises de
                                soumettre à la Présidence de l'ANC un calendrier pour améliorer le
                                fonctionnement de l'ANC, très critiquée pour la lenteur de ses travaux.

Figure 1:
Les Commissions de l'ANC

2.          Projet de constitution du 22 avril 2013: éléments de continuité et
            d'innovation
2.1.        La révolution comme registre de la légitimité constitutionnelle
La constitution du 1959 était   Le processus d'élaboration de la constitution a mis en exergue un
l'émanation d'un processus      changement de registre de la légitimité constitutionnelle par rapport à la
de décolonisation.              constitution de l'indépendance de 1959. Les deux processus
                                constitutionnels se situent, en effet, dans des contextes historiques et
                                politiques différents : la constitution qui a été promulguée le 1er juin 1959
                                est l'émanation d'un processus de décolonisation mettant fin au
                                Protectorat français (1881-1956). Elle procède d'une légitimité dite
                                'historique', qui puise son fondement dans la lutte pour la libération
                                nationale. Elle a surtout été élaborée en fonction de la personnalité du
                                premier président tunisien Habib Bourguiba et de sa conception du
                                pouvoir.

                                                                                                               7
Département thématique, Direction générale des politiques externes

                                     La constitution de 1959 a tourné le dos aux premières propositions
                                     défendues par le Destour 5 au sein des cinq commissions spécialisées de
                                     l'assemblée constituante, et qui étaient en faveur de l’instauration d’une
                                     monarchie constitutionnelle et d'un régime parlementaire sur le modèle
                                     britannique 6 . Arguant de la nécessité historique de construire un Etat fort
                                     qui soit doté d'une stabilité constitutionnelle, le premier président de la
                                     Tunisie a renforcé la mainmise du Destour sur le système politique qui ne
                                     devait souffrir aucune opposition en imposant un régime présidentiel fort
                                     assorti d'un système de parti unique. L'acte fondateur de l'ordre
                                     constitutionnel a permis en même temps de poser les fondements de
                                     l'Etat autoritaire tunisien.

La nouvelle constitution se          Un nouveau cycle politique s’est ouvert en 2011 à la faveur de la
veut l'émanation de la               révolution populaire qui a écarté du pouvoir le président tunisien Zine el-
volonté du peuple après une          Abidine Ben Ali après 23 ans de règne. Les mouvements de protestation
révolution populaire.                populaire sur la place de la Kasbah à Tunis ont précipité par leur ampleur
                                     la démission du deuxième gouvernement de transition 7 présidé par M.
                                     Mohammed Ghannouchi et imposé l'élection de la deuxième assemblée
                                     constituante de l'histoire de la Tunisie. 'La volonté du peuple tunisien
                                     d'élire une Assemblée constituante dont la mission est d'élaborer une
                                     nouvelle constitution pour le pays' 8 marque ainsi le deuxième moment
                                     fondateur de la république tunisienne.

Le moment révolutionnaire            La rédaction d'une nouvelle constitution constitue la tâche principale de
et les résultats de l'élection       l'ANC. Cette mission devait être assumée en même temps que la
d'octobre 2011 ont                   réalisation des 'objectifs de la révolution' et la gestion des affaires de l'Etat,
déterminé les                        selon le préambule de la loi du 16 décembre 2011 relative à l'organisation
caractéristiques du                  provisoire des pouvoirs publics, appelée 'petite constitution'.
processus constitutionnel.
                                     Le moment révolutionnaire et les résultats de l'élection du 23 octobre
                                     2011 ont déterminé les caractéristiques du processus constitutionnel
                                     tunisien : le processus de rédaction de la nouvelle constitution est très
                                     marqué par l'emprise du discours révolutionnaire et la polarisation du jeu
                                     politique entre 'les vainqueurs du scrutin' de 2011 et l'opposition, mettant
                                     aux prises des conceptions divergentes, voire antagoniques de l'équilibre

                                 5
                                    Le 'Destour' signifie en arabe constitution. Il correspond au nom du parti nationaliste
                                 tunisien qui a mené le combat contre le protectorat. La référence à la constitution
                                 s'explique par l'aspiration du mouvement nationaliste tunisien à mettre fin au protectorat
                                 en dotant le pays d'une constitution libérale.
                                 6
                                   'Victor Silvera, 'Le régime constitutionnel de la Tunisie : la Constitution du 1er juin 1959',
                                 Revue française de science politique, 10ème année, n°2, 1960, pp. 366-394.
                                 7
                                   Trois gouvernements de transition se sont succédés avant la tenue de l'élection du 23
                                 octobre 2011.
                                 8
                                    Préambule du décret-loi du 10 mai 2011 relatif à l'élection de l'Assemblée nationale
                                 constituante (ANC). Le décret-loi du 23 mars portant organisation provisoire des pouvoirs
                                 publics énonce : 'Le peuple a exprimé au cours de la révolution du 14 janvier 2011 sa
                                 volonté d'exercer sa pleine souveraineté dans le cadre d'une nouvelle constitution'.

8
Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

                                     des pouvoirs et de la place de l'Islam dans la société.

2.2.         Le statut de l'Islam
                                     Si la référence à l'Islam dans l'article 1 en tant que religion d'Etat visait à
L'Islam est reconnu comme            reproduire le consensus obtenu au sein de la première assemblée
religion d'Etat. Néanmoins,          constituante tunisienne 9 , l'orientation générale du projet de la
aucune modification de la            constitution laisse subsister des contradictions mettant à mal l'équilibre
constitution n’est possible si       général et la cohérence juridique et sémantique du texte 10 .
elle touche à l'Islam.
                                     La référence à l’Islam en tant que religion d’Etat (article 1) constitue un
                                     point commun entre la constitution de 1959 et l’actuel projet de
                                     constitution. Néanmoins, les partis d'opposition redoutent que les
                                     références à l’Islam dans le projet constitutionnel ne tendent à nous
                                     éloigner de la reconnaissance d’un fait sociologique à savoir que l’Islam
                                     est la religion de la majorité des Tunisiens pour introduire la notion de
                                     l’Islam en tant que source de droit.
                                     C'est ainsi que l'article 136 du projet de la constitution s’éloigne de
                                     l’interprétation donnée par le constituant de 1959 à propos de la
                                     reconnaissance de l’Islam comme religion d’Etat (article 1) lorsqu’il dispose
                                     qu’aucune modification de la constitution n’est possible si elle touche à
                                     l'Islam en tant que religion d'Etat.
                                     Cette disposition contredit selon les partis d'opposition le caractère civil
                                     de l'Etat tunisien tel qu'affirmé dans l’article 2 du projet de la constitution,
                                     et ne lève pas les ambiguïtés relevées à différents endroits du texte par les
                                     spécialistes de droit constitutionnel 11 , les organisations de défense des
                                     droits de l’homme et les défenseurs de l’égalité de genre.

L'Etat garantit la liberté de        L'article 5 a suscité des interrogations quant au possible retour de la
croyance et le libre exercice        notion du 'sacré' dans le texte de la constitution et l'absence de toute
du culte, il est le protecteur       référence à la liberté de conscience, une question qui semble avoir fait
du sacré, garant de la               l'objet d'un compromis à l'issue des rencontres entre les partis politiques

                                 9
                                   Lors du vote à l'unanimité de l'article 1 de la constitution du 1er juin 1959, qui dispose
                                 que 'la Tunisie est un Etat libre, indépendant, sa religion est l'Islam, sa langue est l'arabe et
                                 son régime est la République', le président de la première assemblée constituante
                                 tunisienne, M. Habib Bourguiba, a déclaré ceci : 'Il convient désormais, lorsque nous
                                 rappelons que la religion de l'Etat tunisien est l'Islam - en tant religion de la majorité des
                                 Tunisiens - de donner des garanties publiques au monde afin de montrer que cet Etat
                                 respecte les religions et protège les cultes et les rites religieux dans les limites compatibles
                                 avec l'ordre public (...)', Les Travaux de l'Assemblée nationale constituante, 8 avril 1956 - 1
                                 juin 1959, Centre de recherche et des études parlementaires, Assemblée des Députés, Le
                                 Bardo, p. 19, (version arabe), 794 pages.
                                 10
                                    Ces problèmes ont justifié la décision des constituants de mettre en place un comité
                                 d'experts en droit constitutionnel afin d'examiner les contradictions sur le fond et les
                                 incohérences quant au style et au langage, jugé insuffisamment juridique et
                                 excessivement 'politisé'.
                                 11
                                    Voir à ce propos la table ronde organisée le 2 mai 2013 à Tunis par l'association
                                 tunisienne de droit constitutionnel (ATDC) et l'association de la recherche sur la transition
                                 démocratique.

                                                                                                                                 9
Département thématique, Direction générale des politiques externes

neutralité des lieux de culte         participant au dialogue national.
par rapport à toute
                                      Dans sa version actuelle, l'article 5 dispose que : 'L'Etat est le garant de la
instrumentalisation
                                      religion. Il garantit la liberté de croyance et le libre exercice du culte, il est
partisane.
                                      le protecteur du sacré, garant de la neutralité des lieux de culte par
                                      rapport à toute instrumentalisation partisane'.

2.3.         Les droits fondamentaux
Le projet de constitution             Le projet de constitution reconnaît de nombreux droits fondamentaux,
reconnaît de nombreux                 mais accorde à la loi une marge considérable pour définir les modalités de
droits fondamentaux, mais             leur exercice et l'étendue de leur limite, ce qui n'a pas manqué de susciter
accorde à la loi une marge            des commentaires critiques de la part de nombreux spécialistes de droit
considérable pour définir             constitutionnel 12 .
les modalités de leur
                                      Les droits civils, politiques, sociaux, économiques, culturels ou
exercice et l'étendue de leur
                                      environnementaux ont trouvé une consécration dans le texte du projet
limite.
                                      qui garantit, entre autres, le droit à ne pas être détenu arbitrairement ; le
                                      droit à l’intégrité physique et morale ; l’interdiction et l’illégalité de la
                                      prescription de la torture ; la présomption d'innocence ; le principe de la
                                      légalité des délits et des peines ; les droits de défense ; la liberté de créer
                                      des partis politiques, des syndicats et des associations ; le droit de grève ;
                                      la liberté de mouvement ; les libertés académiques et la liberté de la
                                      recherche scientifique ; le droit à la citoyenneté ; et le droit au travail, à la
                                      santé, à l’éducation et à l'environnement.

Le caractère universel des            Le caractère universel des droits de l'homme a été, quant à lui, énoncé
droits de l'homme est                 dans le préambule du nouveau projet de constitution, contrairement à la
énoncé dans le préambule              mouture précédente. Néanmoins, la référence explicite aux 'spécificités
du nouveau projet de                  culturelles' comme cadre avec lequel la reconnaissance des droits de
constitution. Néanmoins, il           l'homme doit être 'en harmonie' risque d'ouvrir la porte à des
contient une référence aux            interprétations incompatibles avec le caractère universel et indivisible des
'spécificités culturelles'.           droits humains. Cette disposition constitue un changement par rapport à
                                      la constitution précédente qui énonçait dans son article 5 : 'la République
                                      tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l'homme
                                      dans leur acception universelle, globale, complémentaire et
                                      interdépendante'.
                                      Le dialogue national a permis d'apporter une clarification à ce sujet en
                                      décidant de supprimer toute référence aux spécificités culturelles.

La primauté du droit                  Enfin, le projet de constitution remédie à une lacune qui existait dans les
international est reconnue            projets de constitution précédents concernant la primauté du droit
par rapport aux lois                  international par rapport aux lois ordinaires. Désormais, 'les traités
ordinaires.                           internationaux approuvés par l'assemblée des représentants du peuple et
                                      ensuite ratifiés, ont un rang supra-législatif et infra-constitutionnel' (article

                                 12
                                   Voir l'interview du professeur de droit constitutionnel M. Amine Mahfoudh au quotidien
                                 de langue arabe Assabah (Le Matin), 3 mai 2013.

10
Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

                                    21). Néanmoins, l’absence d’une disposition générale intégrant les
                                    conventions internationales des droits de l’homme ratifiées par la Tunisie
                                    en tant que partie intégrante du droit interne suscite de sérieuses
                                    interrogations de la part d'experts et de défenseurs des droits de
                                    l'homme 13 .

2.4.        Le statut de la femme
La notion du rôle                   Le projet de constitution du 22 avril offre une meilleure protection des
'complémentaire' de la              droits des femmes et du principe d'égalité entre hommes et femmes en
femme a été abandonnée.             comparaison avec la première mouture de la constitution. Les
                                    constituants ont ainsi confirmé l'abandon de la proposition de l'article 28
                                    du premier projet, relative au rôle 'complémentaire' de la femme, qui
                                    remettait en question le principe d’égalité entre hommes et femmes.
                                    L'article 11 de la nouvelle ébauche déclare : 'La femme et l'homme sont
                                    associés dans la construction de la société et de l'Etat'.
                                    L’article 6 du nouveau projet constitutionnel prévoit que 'tous les citoyens
                                    et citoyennes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux
                                    devant la loi, sans discrimination aucune'. L'article 7 énonce que 'l’État
                                    garantit la protection des droits des femmes et soutient ceux qu’elles ont
                                    acquis'.

2.5.        L'équilibre des pouvoirs et la relation entre le pouvoir exécutif et le
            pouvoir législatif
Le dialogue national vise à         Le projet de constitution tel qu'il a été publié le 22 avril 2013 consacre
lever les points de                 dans une large mesure la logique institutionnelle du régime
divergence qui subsistent           parlementaire, même si Ennahdha qui défend ce régime estime avoir
sur l'équilibre des pouvoirs        concédé aux partisans du régime présidentiel et du régime mixte
entre le président de la            l'élection du président de la république au suffrage universel ainsi que des
république et le chef du            prérogatives qui ne confinent pas la fonction de président de la
gouvernement.                       république au seul rôle de représentation de l'Etat.
                                    Le dialogue national lancé à l'initiative de la présidence de la république
                                    en avril 2013 avec la participation des partis politiques visait, entre autres,
                                    à lever les points de divergence qui subsistaient sur l'équilibre des
                                    pouvoirs entre le président de la république et le chef du gouvernement,
                                    ce dernier étant le candidat du parti politique ou de la coalition électorale
                                    ayant obtenu la majorité des sièges au sein du parlement (article 88).
                                    L'évolution de l'organisation constitutionnelle actuelle vers un régime
                                    mixte semble avoir fait l'objet d'un accord entre les partis politiques dans
                                    le cadre du dialogue national. L'adoption d'un régime mixte permettra, en

                               13
                                  Voir la tribune de la responsable de Human Rights Watch - Tunisie, Amna Guellali,
                               'Tunisie : ambiguïtés, contradictions et pièges du projet de Constitution', Human Rights
                               Watch, Rue 89, http://www.rue89.com/2013/05/14/tunisie-ambiguite-contradictions-
                               pieges-projet-constitution-242295

                                                                                                                     11
Département thématique, Direction générale des politiques externes

                                      effet, d'élargir la base du consensus afin d'assurer un vote du texte par
                                      l'ANC à la majorité des deux tiers, ce qui permettrait d'éviter les
                                      conséquences d'un rejet populaire de la constitution par la voie du
                                      référendum.

L'autonomie administrative            Il y a lieu de rappeler que les divergences constatées au sein du comité
et financière du futur                conjoint de coordination et de rédaction ont porté sur la question de la
parlement est reconnue.               sécurité intérieure ; la conduite de la politique étrangère ; et le droit de
                                      véto du président de la république en matière de promulgation des lois.
                                      Certains y voient une compétence du chef du gouvernement, d’autres un
                                      domaine réservé au président de la république.
                                      Le projet de constitution confie le pouvoir législatif au peuple qui l'exerce
                                      par l'intermédiaire de ses représentants à 'l'Assemblée du peuple' ou par
                                      voie de référendum (article 49), écartant ainsi le système bicaméraliste qui
                                      prévalait sous la constitution de 1959 14 . L'initiative législative est exercée
                                      concurremment par dix députés au moins, le président de la république,
                                      ainsi que le chef du gouvernement.
                                      L'article 51 reconnaît l'autonomie administrative et financière de
                                      l'Assemblée des représentants du peuple, une innovation très positive qui
                                      permettra de mettre fin à la dépendance du parlement vis-à-vis du chef du
                                      gouvernement dans la gestion de son administration.

Le projet de constitution             Le projet de constitution opte pour la dyarchie au sein du pouvoir exécutif
opte pour la dyarchie au sein         tout en consacrant la prééminence institutionnelle du chef du
du pouvoir exécutif entre le          gouvernement qui, entre autres, détermine la politique générale de l'Etat ;
premier ministre et le                préside le conseil des ministres sauf sur les questions de politique
président de la république.           étrangère et de défense qui relèvent du domaine réservé du président de
                                      la république ; et conclut les traités à caractère technique (article 89).
                                      Quant au président de la république, il déclare la guerre et conclut la paix
                                      après l'approbation du parlement ; préside le conseil des ministres chargé
                                      d'examiner les questions de politique étrangère et de défense et ne peut
                                      présider le conseil des ministres en dehors du cas mentionné qu'avec
                                      l'accord et sur la demande du chef de gouvernement ; est le chef suprême
                                      des forces armées ; préside le conseil de la sécurité nationale ; définit la
                                      politique étrangère et de défense avec le premier ministre ; accrédite sur
                                      proposition du chef du gouvernement les ambassadeurs à l'étranger ;
                                      dispose du droit de dissolution du Parlement dans les cas restreints et
                                      prévus par la constitution ; nomme un premier ministre issu de la majorité
                                      parlementaire ; et peut recourir au référendum dans certains cas.

2.6.         Le pouvoir juridictionnel et le contrôle de la constitutionnalité des lois
                                      Le pouvoir juridictionnel et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM)

                                 14
                                   Le bicaméralisme fut introduit dans le régime politique tunisien à la faveur de la révision
                                 constitutionnelle du 1 er juin 2002.

12
Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

                                     ont suscité également un débat intense au sein de l'ANC : la volonté de ne
                                     pas confier au CSM l'examen de tout ce qui a trait à l'organisation du
Le principe de                       secteur judiciaire et l'impression générale que la réforme du secteur reste
l'indépendance de la justice         l'otage de réflexes corporatistes expliquent les insuffisances du projet
et celui de l'inamovibilité          constitutionnel de décembre 2012 sur l'organisation du pouvoir
des juges sont confirmés.            juridictionnel. La troisième version du projet pallie plusieurs lacunes tout
                                     en consacrant le principe de l'indépendance de la justice et celui de
                                     l'inamovibilité des juges.
                                     Le projet de constitution consacre la mise en place d'une cour
                                     constitutionnelle pour exercer le contrôle de la constitutionnalité des lois,
                                     ce qui constitue une innovation majeure par rapport à la constitution de
                                     1959, qui réduisait le rôle de l'ancien conseil constitutionnel à une tâche
                                     consultative. La cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la
                                     constitutionnalité de tous les projets de lois avant leur promulgation ainsi
                                     que des lois qui lui sont soumis par les tribunaux suite à une exception
                                     d'inconstitutionnalité soulevée par une partie justiciable. Elle comprend
                                     douze membres, en majorité juristes, ayant une expérience juridique de
                                     dix années au moins. La désignation de ses membres est du ressort de
                                     l'Assemblée du peuple qui élit à la majorité des deux tiers pour un seul
                                     mandat de neuf ans douze membres parmi les candidats proposés par le
                                     président de la république (huit membres), le chef du gouvernement
                                     (quatre membres), et le président du parlement (huit membres), et le
                                     Conseil supérieur de la Magistrature (quatre membres). Quant à son
                                     renouvellement, il se fait par tiers tous les trois ans.

2.7.        Questions en débat
Le statut de la religion, le         L'ambiguïté persistante du statut de la religion dans le projet de
droit de grève, et les               constitution, la référence aux spécificités culturelles dans le préambule du
dispositions à l'organisation        projet constitutionnel, le droit de grève, l'absence de dispositions
d'élections présidentielle et        transitionnelles relatives à l'organisation d'élections présidentielle et
parlementaire seront                 parlementaire, la procédure de révision constitutionnelle forment
clarifiés au sein du dialogue        l'essentiel des questions qui risquent de fragiliser le régime
national.                            constitutionnel et la nouvelle organisation institutionnelle de la Tunisie, si
                                     les clarifications apportées à la faveur du dialogue national ne sont pas
                                     prises en compte dans le texte qui sera soumis au vote final.
                                     Le dialogue national qui doit se poursuivre maintenant avec la
                                     participation de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a permis
                                     dans sa première partie d'aboutir à un compromis sur le régime mixte, les
                                     incohérences au sujet du statut de la religion et l'affirmation de la liberté
                                     de conscience, l'affirmation de l'universalité des droits de l'homme sans la
                                     référence aux spécificités culturelles, la loi électoral et le mode de

                                15
                                 Voir les déclarations de M. Mouldi Riahi, président du groupe parlementaire Ettakatol, 14
                                mai 2013, http://www.ettakatol.org/ar

                                                                                                                        13
Département thématique, Direction générale des politiques externes

                                  scrutin 15 .

3.           Eléments de comparaison entre la Jordanie, le Maroc, l'Egypte, la
             Libye et la Tunisie
3.1.         Les monarchies à l'épreuve du 'printemps arabe'
Les monarchies arabes ont         Un premier bilan du 'printemps arabe' permet de souligner la stabilité
été relativement stables face     relative des monarchies arabes face aux bouleversements qui ont entraîné
aux bouleversements qui           la chute de quatre présidents de pays arabes (Ben Ali, Moubarak, Salah, et
ont entraîné la chute de          Kadhafi). Il faut rappeler que les monarchies n'ont pas été épargnées par
quatre présidents de pays         les mouvements de protestation populaire qui ont surgi dans la région.
arabes.                           Plusieurs d'entre elles ont connu des mobilisations populaires qui se sont
                                  exprimées soit en faveur d'une libéralisation du champ politique (Kuwait)
                                  et d'une participation politique de communautés ethniques ou religieuses
                                  marginalisées (Bahreïn), soit en faveur d'une amélioration des conditions
                                  de vie et d'une distribution équitable des richesses, soit les deux en même
                                  temps (Maroc, Jordanie).
                                  Si les monarchies ont répondu différemment à la pression croissante de la
                                  'rue', elles n'ont pas été confrontées dans la majorité écrasante des cas à
Certains ont fait usage de la
                                  des revendications exigeant la destitution des monarques en place et
force avec l'aide de
                                  l'établissement de régimes républicains. Cette différence fondamentale
puissances étrangères pour
                                  avec les régimes républicains autoritaires de la région a offert aux
contenir les velléités
                                  monarchies arabes une plus grande marge de manœuvre pour répondre
réformatrices. D'autres ont
                                  aux mouvements d'opinion exprimés et anticiper de nouvelles formes de
anticipé les protestations
                                  contestation.
par des changements.
                                  Certains régimes monarchiques ont fait usage de la force avec l'aide de
Le Maroc et la Jordanie ont       puissances étrangères pour contenir les velléités réformatrices et libérales
opté pour des changements         qui se sont manifestées au sein de leurs sociétés (Bahreïn). D'autres ont
constitutionnels graduels.        anticipé les mouvements de révolte populaire en prenant des mesures de
                                  redistribution exceptionnelles (augmentation des salaires, des emplois
                                  publics et des subventions de l'Etat), puisant dans les ressources
                                  financières mises à leur disposition par la rente pétrolière ou gazière
                                  (Arabie Saoudite, Qatar). Tandis qu'une troisième catégorie de régimes
                                  monarchiques a opté pour des changements constitutionnels graduels
                                  sans pour autant remettre en question l'essentiel des pouvoirs régaliens
                                  des monarques (Maroc, Jordanie).

3.2.         Des processus de changements constitutionnels différenciés
En Egypte, le processus           Contrairement à la Tunisie et à la Libye où des processus de changements
constitutionnel continue de       constitutionnels longs et complexes ont été initiés par un nouveau
s'enliser dans des batailles      pouvoir constituant élu au lendemain des 'révolutions', le Maroc et la
politiques et judiciaires sans    Jordanie ont privilégié la stabilité constitutionnelle et une certaine
fin.                              continuité institutionnelle, en entreprenant respectivement en 2011 et
                                  2012 des réformes constitutionnelles maîtrisées.
                                  Quant à l'Egypte, si la chute de l'ancien président Hosni Moubarak a

14
Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

                                  provoqué un changement de régime, la tenue des premières élections
                                  présidentielle et législatives de l'Egypte postrévolutionnaire fut organisée
                                  à la faveur du référendum du 19 mars 2011 qui a validé par un vote
                                  populaire les amendements apportés à la constitution de 1971. Depuis, le
                                  pays devait se doter d'une nouvelle constitution mais le processus
                                  constitutionnel continue de s'enliser dans des batailles politiques et
                                  judiciaires sans fin entre le président égyptien Mohamed Morsi et les
                                  juges, empêchant l'adoption d'une méthode et un calendrier clairs pour la
                                  rédaction d'une nouvelle constitution. L'incapacité des nouveaux
Les difficultés rencontrées       dirigeants égyptiens à impulser un processus constitutionnel et politique
dans le processus                 inclusif ainsi que la radicalisation de l'opposition 'progressiste' empêchent
constitutionnel libyen            pour l'instant l'émergence d'un véritable compromis pour décider des
mettent en exergue le bilan       modalités de rédaction de la future constitution.
globalement positif de
                                  La situation égyptienne n'est pas la seule à mettre en évidence la capacité
l'expérience tunisienne.
                                  de la Tunisie à mettre sur les rails un processus de changement
                                  constitutionnel stable et inclusif. La Libye a connu aussi des difficultés
                                  inextricables au lendemain de l'élection de son assemblée constituante (le
                                  Congrès général national) qui s'est tenue le 7 juillet 2012. Il a fallu attendre
                                  le 10 avril 2013 pour décider des modalités de mise en place de la
                                  commission en charge de la rédaction de la constitution, dont les
                                  membres seront finalement élus et non choisis par le Congrès général
                                  national.
                                  Si l'ampleur des réformes constitutionnelles mises en place par les
                                  monarchies marocaines et jordaniennes varie selon les spécificités de
                                  chaque régime, les deux monarchies ont institué des processus de
                                  changements constitutionnels décidés au sommet de l'Etat.
La principale innovation de       La constitution marocaine de 1996 a fait l'objet d'une révision
la constitution marocaine du      constitutionnelle considérable en 2011, dont l'une des principales
2011 fut le renforcement des      innovations fut le renforcement des pouvoirs du premier ministre qui doit
pouvoirs du premier               être désigné du parti politique arrivé en tête lors d'élections législatives.
ministre qui doit être            Ce pas important mais insuffisant vers l'instauration d'une monarchie
désigné du parti politique        constitutionnelle - puisque le roi dispose toujours de pouvoirs importants
arrivé en tête lors d'élections   et reste au cœur de l'édifice institutionnel - fut accompagné par de
législatives.                     nombreuses dispositions majeures relatives, entre autres, à la
                                  reconnaissance du pluralisme identitaire de la société marocaine, à la
                                  décentralisation, au renforcement de l'indépendance de la justice et à
                                  l'élargissement des prérogatives du Conseil constitutionnel. La décision
                                  d'introduire une réforme constitutionnelle est intervenue au lendemain
                                  de manifestations en février 2011, appelant à des réformes politiques, à
                                  mettre fin à la corruption, et au respect des droits de l'homme. La réforme
                                  constitutionnelle a permis d'organiser des élections législatives anticipées
                                  le 25 novembre de la même année.
                                  La réforme constitutionnelle en Jordanie fut également dictée par des
                                  considérations liées à l'émergence de revendications politiques,
                                  économiques et sociales dans le royaume hachémite. Les
                                  recommandations du Comité royal chargé de la révision de la constitution

                                                                                                                15
Département thématique, Direction générale des politiques externes

Malgré une reforme                    ont été soumises à l'approbation du Parlement et adoptées par ses deux
constitutionnelle prudente,           chambres à la fin du mois de septembre 2011. Si la révision de la
la Jordanie reste une                 constitution a permis de mettre en place une commission électorale
monarchie exécutive avec              indépendante ainsi qu’une cour constitutionnelle, la Jordanie est restée
un parlement faible et un             'une monarchie exécutive avec un parlement faible et un gouvernement
premier ministre nommé par            qui gère la chose publique mais ne gouverne pas' 16 . En effet, la dynastie
le Roi.                               hachémite soumet toute réforme à un calcul rationnel pour préserver
                                      l'équilibre du pouvoir entre les Transjordaniens et les Jordaniens d’origine
                                      palestinienne, afin de s'assurer la loyauté de chaque groupe envers la
                                      monarchie.

3.3.         La séparation des pouvoirs comme un des marqueurs du débat
             constitutionnel
L'émergence de nouvelles              Il ressort des processus de transformation politique qui sont en cours dans
institutions démocratiques            la région arabe que des logiques de continuité ont prévalu au sein des
en Libye et en Egypte                 monarchies qui ont entamé des réformes constitutionnelles contrôlées,
s'avère une tâche complexe            alors que la rupture avec les régimes républicains autoritaires déchus et
et incertaine, mais l'exemple         l'émergence de nouvelles institutions démocratiques en Tunisie, en Libye
de la Tunisie peut                    et en Egypte s'avère une tâche complexe, parfois incertaine, mais
potentiellement être                  potentiellement plus prometteuse sur le long terme quant à l'avenir de la
prometteur.                           démocratie et de la stabilité dans la région.
                                      Dès lors, la capacité des monarchies et des régimes républicains à opérer
                                      des changements politiques réels dans la longue durée est fonction de
                                      l'organisation constitutionnelle et de l'architecture institutionnelle,
                                      appelés à consacrer le principe de la séparation des pouvoirs. Car les
                                      révolutions arabes et les aspirations libérales au sein des monarchies ont
                                      en commun la dénonciation de la concentration des pouvoirs.
                                      L'agencement des mécanismes de dévolution du pouvoir devient ainsi un
                                      élément central du débat constitutionnel. L'identification du régime
                                      politique le plus approprié pour permettre une répartition équilibrée des
                                      compétences se transforme en un véritable enjeu politique, y compris
                                      dans les monarchies arabes, transcendant la distinction entre régime
                                      présidentiel, parlementaire ou mixte.

4.           Calendrier constitutionnel et électoral prévisionnel
                                            Nouvelle mouture du projet constitutionnel du 22 avril après
                                             consultation avec le comité des experts : fin mai 2013.

                                            Lecture du projet de constitution en séance plénière et début du
                                             vote article par article à la majorité simple : juillet 2013

                                            Vote du projet de constitution à la majorité des deux tiers : octobre

                                 16
                                      Sirine Rashed, 'Jordanie : des réformes qui piétinent', Le Figaro, 5 juin 2012.

16
Constitution tunisienne: l'apprentissage difficile du consensus

                                        2013. En cas de vote négatif, le projet sera soumis au référendum.

                                       Elections présidentielle et législatives : 15 octobre - 15 décembre
                                        2013.

5.          Le rôle du PE : soutien politique et appui institutionnel
Le PE maintien des relations           Le PE a maintenu des relations bilatérales étroites avec l'ANC tout au
bilatérales étroites avec               long du processus de rédaction de la constitution à travers la visite
l'ANC tout au long du                   de hauts responsables politiques tunisiens au PE, à Bruxelles et à
processus de rédaction de la            Strasbourg, ainsi que la visite du Président Martin Schulz et de
constitution.                           plusieurs délégations parlementaires en Tunisie 17 .

                                       Le Parlement européen est associé en coopération avec la
                                        Délégation de l’UE en Tunisie à un projet d'assistance parlementaire
                                        du PNUD, qui s'intitule 'Appui au processus constitutionnel et
                                        parlementaire et au dialogue national en Tunisie'. Ce projet
                                        représente le cadre institutionnel et financier qui régit les relations
                                        de coopération avec l'ANC dont le renforcement des capacités
                                        institutionnelles représente l'une des priorités. Son comité de
                                        pilotage dans lequel siège M. Michael Gahler en tant représentant
                                        du PE et ancien observateur en chef pour les élections s'est réuni
                                        pour la première fois le 4 avril 2013.

                                       Le PE a proposé à la Présidence de l'ANC la création d'une
                                        Commission parlementaire mixte afin d'assurer le suivi des accords
                                        conclus entre l'UE et le gouvernement tunisien.

                                       L'appui institutionnel du PE à destination de l'ANC s'est également
                                        traduit par l'organisation par le Bureau de promotion de la
                                        démocratie parlementaire (OPPD) de plusieurs visites d'études
                                        auxquelles ont participé des députés de l'ANC, des administrateurs
                                        et des cadres de partis politiques. Deux bourses pour la démocratie
                                        ont été allouées à deux administrateurs de l'ANC, spécialistes des
                                        ressources humaines et en communication.

                                       Le PE a également fait un travail de suivi de la mission d'observation
                                        électorale envoyée par l'UE lors de l'élection du 23 octobre 2011,
                                        tant au niveau de la mise en place de la nouvelle instance supérieure
                                        électorale indépendante (ISIE) qu'au niveau du débat au sein de
                                        l'ANC sur la nouvelle loi électorale.

                                       Plusieurs groupes politiques au sein du PE ont organisé des visites
                                        d'études au profit de représentants de partis politiques tunisiens
                                        afin de permettre une meilleure compréhension du fonctionnement
                                        des institutions européennes et du PE.

                               17
                                 Il faut rappeler que le président Jerzy Buzek s'est rendu deux fois en Tunisie, en mars et
                               en octobre 2011.

                                                                                                                              17
Département thématique, Direction générale des politiques externes

                                  Quelques options pourraient être suggérées :

                                       suivi effectif des recommandations de la Task Force UE - Tunisie
                                        (Tunis, 28 - 29 septembre 2011), notamment au sujet de la création
                                        d’emplois, de la formation et de la reprise des investissements. Un
                                        bilan des différentes initiatives prises dans le cadre du Partenariat de
                                        Deauville mérite également d'être établi.

                                       poursuite des échanges entre le PE et l'ANC au niveau politique afin
                                        de mettre en place une commission parlementaire mixte et la
                                        fourniture de l'assistance technique nécessaire au niveau
                                        administratif, afin d'aider les représentants du peuple tunisien à se
                                        doter d'une administration efficace.

                                       poursuite du dialogue politique à haut niveau comme à travers la
                                        conférence 'Europe's Southern Neighbourhood', organisé par le PE
                                        avec Carnegie Endowment for International Peace (Europe) les 7 et 8
                                        mai 2013 à Bruxelles.

                                       envoi d'une Mission d'observation électorale pour les prochaines
                                        élections présidentielle et parlementaire en Tunisie, une perspective
                                        qui a déjà été appuyée par l'ancien Premier ministre, M. Hamadi
                                        Jebali, lors de sa visite au PE à Bruxelles en septembre 2012.

                                       suivi des mesures judiciaires prises ou à prendre par les Etats
                                        membres afin de faciliter la restitution des fonds gelés dans le cadre
                                        des sanctions prises contre l'ancien régime de Ben Ali, et
                                        renforcement de la coopération entre le Conseil, la Haute
                                        Représentante/VP, la Commission et le Parlement.

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