Convoi et occupation des camionneurs: les origines du mouvement - Le Montarvillois

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Convoi et occupation des camionneurs: les origines du mouvement - Le Montarvillois
Convoi et occupation des
camionneurs: les origines du
mouvement

Depuis le 28 janvier, un convoi «de la liberté» occupe la
colline parlementaire à Ottawa. La manifestation s’est
rapidement transformée en occupation, devant le symbole
principal de la démocratie canadienne.

La police municipale a rapidement été dépassée par les
événements. Le premier ministre ontarien, Doug Ford, se défile
et le premier ministre canadien, Justin Trudeau, longe les
murs. Pourtant, le discours des organisateurs laissait peu de
doutes sur la possibilité que cette mobilisation se transforme
en une crise majeure pour la sécurité publique.

Son impact économique est majeur: le mouvement bloque depuis
plusieurs jours l’accès au pont Ambassador, qui relie Windsor
à Détroit, provoquant des pénuries de pièces dans les usines
ontariennes de Ford et de Toyota et des arrêts dans la
production. On parle de pertes d’un milliard de dollars par
jour.

L’événement qui a déclenché le mouvement a été l’annonce, en
novembre 2021, par le ministre des Transports canadien,
qu’une preuve vaccinale serait exigée pour les travailleurs du
transport à partir de la mi-janvier 2022. Cette exigence
s’inscrivait dans la batterie de mesures mises en place par le
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gouvernement fédéral dans la lutte contre la propagation
rapide du variant Omicron. Elle ressemble aux obligations
applicables aux citoyens et non-résidents arrivant au Canada
par voie aérienne.

Des camions bloquent une rue d’Ottawa, le 8 février 2022. La
Presse canadienne/Adrian Wyld
Les appuis à la vision des protestataires varient
significativement en fonction des affiliations politiques.
Elle est la plus forte chez les électeurs du Parti populaire
(82%), du Parti vert (57%) et du Parti conservateur (46%).
Inversement, les électeurs du Parti libéral (75%), du NPD
(77%) et du Bloc Québécois (81%) disent avoir peu en commun
avec la manière de voir des protestataires.

En tant que chercheurs en sociologie politique, dont nous
analysons les dynamiques au Canada et en Europe de l’Ouest,
nous croyons essentiel de saisir les protestations actuelles
dans leur dimension politique, idéologique et sociohistorique.
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Une mobilisation de travailleurs sans
mobilisation de classe
Ce mouvement dit « de camionneurs » n’en est pas exactement
un. Il est loin de faire l’unanimité au sein de la profession.
L’Alliance canadienne du camionnage a dénoncé sans équivoque
l’usurpation de la représentation des camionneurs par les
organisateurs du convoi. On estime entre 85% et 90% le taux de
vaccination chez les transporteurs, ce qui s’apparente à la
moyenne canadienne.

Suite logique de décennies de dérégulation du secteur du
transport, le convoi met de l’avant une conception très
individualiste, voire libertarienne du travail. Ce ne sont pas
les mauvaises conditions d’emploi qui sont dénoncées, mais les
régulations gouvernementales portant atteinte aux libertés
individuelles de petits entrepreneurs du transport.

Il est donc plus approprié de parler d’une «arsenalisation»
d’une opposition aux mesures sanitaires, («weaponization» :
soit le fait d’outiller un mouvement politique), par des
entrepreneurs politiques de la droite populiste canadienne et
américaine.

Qui sont les              organisateurs             de    ce
mouvement?
Les entrepreneurs politiques à l’origine du mouvement sont des
figures clés de formations politiques de l’Ouest canadien.
Patrick     King,    militant    albertain     complotiste,
ethnonationaliste est le cofondateur du parti Wexit Canada.
Depuis devenue «Maverick Party», cette formation réclame
la séparation des provinces de l’Ouest du reste du Canada.
Tamara linch est la coordinatrice régionale du même parti, en
Alberta. B.J. Dichter, enfin, est un ancien candidat du Parti
conservateur du Canada, désormais partisan du Parti Populaire.
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Le premier ministre Justin Trudeau durant une période de
questions à la Chambre des communes, à Ottawa, le 10 février
2022. Il est critiqué sévèrement pour sa gestion nonchalante
de la crise. La Presse canadienne/Justin Tang
Les sources de financement du convoi sont obscures. De
nombreux dons anonymes en provenance des États-Unis ont
transité par la plate-forme GoFundMe avant que ces avoirs
soient retournés aux donateurs.

Des   racines   dans  la                         droite
libertarienne de l’Ouest
Le mouvement actuel est l’une des illustrations récentes de
résistances régionales au Canada. Il s’inscrit dans le temps
long de la politique protestataire de l’ouest. Caractérisés
par une importante dimension populiste, une série de « partis
tiers » sont ainsi parvenus à convertir une insatisfaction
collective en une accumulation de capital politique sur la
scène provinciale, voire nationale. À droite de l’échiquier
politique, ces formations partagent un contenu idéologique :
un conservatisme social et fiscal et, chez certaines, un
ancrage dans le suprémacisme anglo-saxon.

Comme d’autres formations de l’ouest canadien avant lui, le
mouvement actuel mobilise une série de références à l’alt-
right américaine, du drapeau des Confédérés, en passant par
son opposition au gouvernement «central», ou l’appel à un
«6 janvier» canadien, en référence à l’invasion du Capitole, à
Washington, par des militants de Donald Trump. Le convoi est
d’ailleurs soutenu par une partie de la droite
conservatrice américaine, dont certains membres ont
vraisemblablement participé au mouvement.

Quelles   sont             les       stratégies           du
mouvement ?
La polarisation activée par le mouvement se nourrit de trois
stratégies de cadrage. Une première est conjoncturelle. Elle
active la polarisation entre les partisans et des détracteurs
des restrictions sanitaires mises en place par le fédéral et
les provinces. Elle permet d’aller chercher les opposants aux
mesures sanitaires de la première heure, dont plusieurs
s’inscrivent dans le mouvement complotiste.

Un second cadrage est structurel. Il s’inscrit dans la
dynamique fédérale canadienne. Il active le sentiment
d’aliénation d’électeurs de l’Ouest canadien, cultivant une
forme de défiance à l’égard du gouvernement fédéral, des
politiques autonomistes, des projets séparatistes.
Ce sentiment d’être ignoré dans la politique nationale,
spécifique à l’ouest et particulièrement aux Prairies, est
différente du souverainisme québécois.
Des bidons d’essence à l’arrière d’un camion stationné sur la
rue Albert, à Ottawa, le 10 février. Les camionneurs disent se
préparer à un long siège. La Presse canadienne/Justin Tang
À cela s’ajoute un cadrage populiste mettant de l’avant une
polarisation entre un «nous, méritants», les travailleurs
(camionneurs), et un «eux, malhonnêtes et corrompus», les
élites libérales du centre et une partie des travailleurs
issus de l’immigration. Dans le discours des organisateurs du
convoi, ce «nous» a aussi été associé à la défense
d’une identité blanche et anglo-saxonne.

Lorsque l’on superpose ces trois cadrages, le Parti libéral du
Canada apparaît systématiquement dans le pôle ciblé.

Résonances variables
L’opposition aux mesures sanitaires semble en fait former
l’unique trait d’union entre les protestataires de l’Ouest et
ceux du Québec. L’appui aux mesures sanitaires y est par
ailleurs à son plus bas. Mais contrairement à Ottawa, il n’y a
pas eu de violences et d’occupation lors de la manifestation
organisée le 5 février dans les rues de Québec.

Autrement, loin d’appuyer l’organisation de ce convoi, les
politiciens québécois ont surtout lancé des appels au calme,
et invité à de la fermeté dans l’application de la loi. Seul
le Parti conservateur du Québec d’Éric Duhaime s’est distingué
par son soutien aux camionneurs.

Des manifestants anti-mesures sanitaires sont dirigés par des
policiers alors qu’ils se dirigent vers l’Assemblée nationale
du Québec, le 5 février 2022. La Presse Canadienne/Jacques
Boissinot
Hors du pays, le mouvement essaime, notamment en
France,    soutenu    par   l’extrême    droite,    ailleurs
en Europe et jusqu’en Nouvelle-Zélande.

Le convoi apparaît plutôt comme un révélateur de la capacité
d’organisation et de perturbation des structures d’extrême
droite, aussi minuscules soient-elles à la base: le Maverick
Party (Wexit) n’avait obtenu que 35,278 voix lors de
l’élection fédérale de 2021… principalement à l’ouest.
Des dérives inquiétantes
Ce n’est pas la première fois que la droite canadienne trouve
des soutiens dans des mobilisations extra-parlementaires. Par
le passé, des mouvements pro-pipelines avaient déjà
mobilisé des convois avec «United we Roll» ; ou à l’émulation
des manifestations de types «gilets jaune» en 2019. On a aussi
vu d’autres mobilisations de «citoyens» («energy citizen», «I
3 Oil») soutenues dans l’ouest… par les lobbys pétroliers.

Certaines mouvances, présentes dans le convoi, ont recours à
une rhétorique violente, allant jusqu’à une incitation à la
violence armée défiant ouvertement l’État de droit.

Le mouvement actuel prend racine dans certaines tendances qui
ne sont pas nouvelles dans la politique canadienne, mais qui
bénéficient d’un momentum : l’épuisement collectif doublé de
l’opportunisme insouciant de plusieurs politiciens fédéraux.

Ce qui en fait un mouvement à surveiller, tient à l’escalade
des moyens mobilisés (perturbateurs, violents), à son
arsenalisation par l’alt-right canadienne et américaine, ainsi
qu’à sa capacité d’innovation tactique (le siège et le
blocage).

Celle-ci donne à une poignée d’individus la capacité
d’engendrer des perturbations majeures au fonctionnement de
l’État de droit et au travail des gouvernements élus
(provinciaux et fédéral). Elles capturent le débat politique.
Manifester, contester et discuter font partie d’un répertoire
normal, souhaitable dans une démocratie représentative
parlementaire. Mais les tactiques et stratégies actuelles ne
s’inscrivent pas dans ce registre.

Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie
politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Djamila Mones, Doctorante en Sociologie, Université du Québec
à Montréal (UQAM)
Le Montarvillois,

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Photo à la une: CC

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