De l'importance des guerres importées - Incidences des romans, films et BD de guerre venus d'ailleurs - OpenEdition

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Belphégor
                          Littérature populaire et culture médiatique
                          18, 1 | 2020
                          Regards croisés sur la culture médiatique européenne

De l’importance des guerres importées
Incidences des romans, films et BD de guerre venus d’ailleurs

Paul Bleton

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/belphegor/2582
DOI : 10.4000/belphegor.2582
ISSN : 1499-7185

Éditeur
LPCM

Référence électronique
Paul Bleton, « De l’importance des guerres importées », Belphégor [En ligne], 18, 1 | 2020, mis en ligne
le 17 février 2020, consulté le 02 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/belphegor/2582 ;
DOI : 10.4000/belphegor.2582

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De l’importance des guerres importées   1

    De l’importance des guerres
    importées
    Incidences des romans, films et BD de guerre venus d’ailleurs

    Paul Bleton

1   D’une histoire de la fiction de guerre consommée en France (en préparation), je
    voudrais vous proposer un tableau synthétique de ce que le public français a pu
    connaitre des guerres des autres – entre la Seconde Guerre mondiale et la fin du service
    militaire obligatoire, en 2001. Au rebours du mouvement centrifuge étudiés par
    d’autres (influence de la fiction médiatique française sur telle ou telle autre culture
    nationale européenne), je me propose de considérer ce sous-ensemble des guerres des
    autres qui traverse un ensemble générique fortement caractérisé, la fiction de guerre
    française, et de comprendre les effets systémiques d’une telle traversée. Notamment,
    peut-on y repérer des tensions ou des mutations qui signaleraient un processus
    d’acculturation à l’œuvre ?
2   Je l’avoue, ce début n’est pas simple ; double plutôt. Mon tableau synthétique
    commence en effet par un paradoxe interculturel au fondement de la guerre des autres.
    Si l’on considère les importations de fictions guerrières, d’un côté, dans une littérature
    nationale, et a fortiori si l’on vise en priorité sa culture médiatique 1, pour lecteurs et
    auteurs, l’horizon du genre narrativisant le conflit international tend à la crispation en
    un discours identitaire. Dès lors, comment rendre compte de la simple abondance de
    ces guerres des autres dans la fiction de guerre présentée au public français ?
3   Ce paradoxe initial s’avère lui-même redoublé ; les importations, en effet, ne
    constituent pas la totalité des fictions sur les guerres des autres. Outre la coprésence
    des importations avec la production locale et la signification culturelle de cette
    coprésence, il faut compter avec leurs effets à la fois sur la fiction de guerre française et
    sur son public. Il faut enfin caractériser les liens entre coprésence et effets. Ainsi, c’est
    un même correctif complexificateur qui fonde l’observation d’une autre classe de
    fictions, non plus importées mais écrites par des auteurs français tout en proposant la
    perspective de l’Autre – classe comprenant aussi bien le subterfuge des fausses

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    traductions de la collection Gerfaut que les livres de malgré-nous, d’auteurs collabos ou
    sympathisants d’extrême droite.
4   Outre l’objectif empirique, descriptif, visant à caractériser un genre, je voudrais aussi
    valider l’intérêt spéculatif de la notion de « modèle national importé » au cœur du
    processus d’acculturation et sa relation à la coprésence de fictions françaises et de
    fictions traduites.
5   Une précision préalable : même en insistant sur la production sérielle, j’emprunterai
    mes exemples à tout le spectre littéraire pour tenir compte de ce que le discours social
    et l’acte de lecture marquent moins pour ce genre que pour d’autres une césure entre
    fiction et document, entre belles-lettres et littérature sérielle, et de l’intérêt d’y
    contraster deux groupes-témoins, films et bandes dessinées de guerre importées durant
    la même période.

    Un modèle allemand ?
6   L’Allemagne n’avait que peu de chose à offrir comme modèle en cinéma (même si Hans
    Hellmut Kirst devait être adapté cinq fois à l’écran), et rien en BD. Or, grâce au roman,
    on discerne clairement qu’un modèle allemand s’impose à de larges secteurs de la
    fiction de guerre. Il y a là un nouveau paradoxe puisque la culture allemande n’avait
    plus servi de modèle en France depuis la crise qui avait suivi la défaite de 1870, et alors
    même que ses romans modélisateurs racontaient cette fois-ci la défaite du 3 e Reich et
    non une victoire.
7   La trilogie de Theodor Plievier, Moscou (1952), Stalingrad (1953), Berlin (1954) était
    devenue best-seller. Fragments de scènes d’action et de monologues intérieurs,
    multiplication de petits groupes de combattants : sa technique de mosaïque permet de
    rendre compte de l’ampleur de la bataille, de son inutilité tragique aussi – les
    combattants prennent conscience de la nature du régime qui les sacrifie ainsi, sans
    pour autant trouver une consolation dans la camaraderie. Outre son expansion en une
    trilogie, outre sa transmédiatisation (il a inspiré une pièce de théâtre et plusieurs
    films), ce roman devait aussi ouvrir la voie à plusieurs romanciers – le religieux
    Heinrich Gerlach, le nationaliste Fritz Wöß, l’antimilitariste Alexander Kluge… Dans les
    années 50, ce sont plus de 350 romans sur la guerre qui allaient paraître en Allemagne
    de l’Ouest, essentiellement sur le thème de la souffrance du soldat allemand, thème
    paré de l’aura d’un contre-discours sitôt les romans traduits et lus hors d’Allemagne
    dans des langues et des cultures plus spontanément enclines à se souvenir du soldat
    allemand comme un envahisseur, un persécuteur, un ennemi à vaincre…
8   En matière de fiction sérielle, en 1949 débute la carrière française des Gretchen de
    Helms-Liesenhoff. Ils thématisent les effets sournois de la guerre sur l’homogénéité
    sociale, l’affliction de la mixité nationale des couples, la « trahison » des femmes
    allemandes après la guerre… : beau début de carrière d’une misogynie militante dans le
    genre. Entre ces deux niveaux de distinction littéraire, en 1952 commençait aussi la
    publication de traductions de Cajus Bekker, une demi-douzaine de livres
    historiographiques jusqu’en 1975 donnant une perspective allemande sur différentes
    formes prises par le combat dans la Seconde guerre mondiale. Cette même tendance se
    maintient aussi chez d’autres auteurs sériels allemands comme Will Bertold, Paul
    Carell, Heinz G. Konsalik et Hans Helmutt Kirst… Avec ces deux derniers, après Plievier,
    la fiction de guerre allemande investit le club sélect des best-sellers. Dans le registre

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     sériel, Sven Hassel présente un cas particulier, moins par son thème princeps, la
     souffrance du soldat allemand, que par la nationalité danoise de son auteur,
     l’ingrédient polisson, le style popu et la trivialité du quotidien du soldat, les héros pas
     particulièrement sympathiques, trop durs, trop blasés, tueurs sans merci mais aussi
     faibles, également impuissants devant les terribles contingences de la guerre sur fond
     de désenchantement et de sentiment de l’absurde dans une atmosphère de fin de
     monde imprégnant des soldats sachant déjà perdue cette guerre qui n’est plus la leur.
9    Au lieu de l’inévitable consonance anglo-saxonne des pseudonymes caractéristiques de
     la SF, du polar ou de l’espionnage de ces années, les signatures allemandes devaient
     champignonner dans les collections sérielles spécialisées. Certes, Baroud s’en remet
     surtout à des signatures françaises et ses exceptions de noms « allemands », « russes »
     ou « anglo-saxons » dissimulent en fait des auteurs français. Mais Gerfaut allait
     procéder à l’extension du procédé des pseudonymes censés mieux s’ajointer au contenu
     narratif de leurs romans dans l’esprit des lecteurs. On y trouvait bien quelques
     signatures anglo-américaines, françaises, japonaises, voire espagnole ; elles n’allaient
     pas moins rester une infime minorité par rapport aux signatures russes et surtout
     allemandes ; et c’est justement le fait que ces signataires aient été imaginaires qui
     s’avère le plus révélateur2. En fait, la pente était même décidément germanophilique.
     Ailleurs, le premier avatar de la collection Les Soudards en 1973 (chez F. H.) ne
     comporte que des signatures allemandes ; idem pour le second chez France Euro Presse
     (1977-1980). Et la tendance se maintient dans les séries pseudonymiques plus minables,
     Cerbère chez Thill (1969-1970), Ulysse Poche Guerre chez Bellevue-Capitol (1973),
     Éditions C. D. (1974-1975)… Ces collections bas de gamme cherchent à passer de l’autre
     côté du miroir du Mal, autorisant tous les excès misogynes et sadiques, contribuant à
     fournir de nouvelles rêveries à l’imaginaire chaînes-et-cuir qui se frayait son chemin
     dans la culture médiatique.
10   Avec plus de mesure, Gerfaut devait susciter l’empathie du lecteur pour des histoires
     allemandes du front de l’est signées par des pseudonymes allemands, parfois sous des
     titres en allemand et avec des phrases puisant dans un vocabulaire allemand plus ou
     moins régulièrement traduit. L’accent y est mis sur l’universalité de l’expérience de la
     guerre plutôt que sur le clivage national ou sur les options politiques ; thématiquement,
     l’ennemi n’est pas toujours un salaud, une fraternité est parfois possible (et c’est le
     camarade qui peut être un salaud) – exemplairement, la formule de la série permet au
     héros éponyme « Le Feldwebel » de Heinrich Zimmer (alias P.-Frank Fournel) d’acquérir
     progressivement une sagesse qui marque de plus en plus ses actions et ses relations
     avec les autres personnages.
11   À côté de ces fausses importations et des réévaluations allemandes du passé nazi de
     l’Allemagne par des écrivains allemands, réévaluations de l’intérieur donc, la structure
     du chiasme désigne la place de collabos sans repentir, de Français sympathiques à la
     cause nazie, ayant participé à la Seconde Guerre mondiale du côté allemand. Cette place
     n’est pas juste délimitée structuralement mais qui a aussi sa pertinence pragmatique,
     de tels témoins servant de passeurs entre la culture du milieu de l’intrigue romanesque
     et la culture du lecteur. Le témoignage de Christian de la Mazière dans le film de Marcel
     Ophüls a un retentissement qui incitera Robert Laffont à publier son Rêveur casqué
     (1972), mémoires d’un français engagé dans la division Charlemagne. Mais un tel
     témoignage ne saurait se sérialiser. Au contraire de Jean-Michel Sorel, le plus gros
     fournisseur de la collection Baroud (12 titres entre 1965 et 1969). Avec un talent qui

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     n’égale certes pas celui de son modèle, il occupe le rôle de relais entre Saint-Loup (alias
     Marc Augier) et des auteurs marquants de la période suivante, Dominique Venner ou de
     Jean Mabire. C’était bien à Saint-Loup, son modèle que, nominalement, Achtung
     (Normandie 1941) (1965), la première contribution de Sorel à Baroud, était dédicacé. La
     période se prêtait sans doute moins à la sympathie admirative, aussi celle de Sorel pour
     les SS prenait-elle des tournures discrètes mais claires, retorses mais intelligibles.
12   L’importante productivité de cette convergence des traductions, des fausses signatures
     et des perspectives allemandes fournies par des romanciers français incite donc bien à
     repérer là un modèle allemand. Outre la coprésence, il y a bien influence. Comment la
     caractériser ?
13   Grands et petits maîtres, récits littéraires et paralittéraires, la fiction martiale
     allemande est diverse et les romanciers allemands ont non seulement évoqué plusieurs
     guerres mais ils l’ont fait sous de nombreux angles. Comment des écritures aussi
     diverses et aussi singulières que celles d’Ernst Jünger, Theodor Plievier ou Günter Grass
     pourraient-elles être réduites à leur seule « germanité » sans perdre tout ce qui en fait
     le sel ? Même réduite à ses seules traductions, la littérature allemande est bien plus
     riche que ce qui aura pu servir de modèle pour la littérature sérielle française ! L’idée
     même de modèle est allergique à celle de variété. « Modèle allemand » n’est pas celui,
     économique, de la reconstruction, du miracle allemand ; ni celui du thème que sa
     littérature aura le plus développé, la souffrance éprouvée par civils et militaires
     allemands du fait de la guerre. Enfin, dans Sur Nietzsche (1945), Georges Bataille
     opposait au modèle américain, en train de vaincre, immanentiste, un modèle allemand,
     sacrificiel3.
14   Tel n’est toutefois pas le sens du modèle allemand dans la paralittérature française. Il
     procède plutôt d’un retour à une partie, spectaculaire, du passé nazi de l’Allemagne,
     d’une immanentisation du négatif, de la littérarisation d’une figure inédite d’une
     société perverse et de sa violence.

     Un modèle américain ?
15   De manière générale, dans ces années, toute la culture médiatique française ressentait
     de l’attrait pour l’américanisation. Moins surprenant serait de trouver le modèle
     américain dans la fiction de guerre, grâce au cinéma, à l’abondance et la régularité de la
     production hollywoodienne mise en place au début des années 50. Plus d’une
     soixantaine de films entre 1950 et 19794. Production à l’homogénéité thématique : plus
     des deux tiers de ces films made in USA en une trentaine d’années. En fait, Jeanine
     Basinger (2003) va jusqu’à lier la figuration de la Seconde Guerre mondiale et la
     définition des lois du genre pour Hollywood. Sans pouvoir entrer dans le détail, disons
     que le public est certes intéressé, mais que ces films ne semblent exercer d’influence ni
     sur le cinéma de guerre français ni sur les romans.
16   De manière comparable, la fiction de guerre américaine en BD aurait pu constituer un
     modèle. Le marché français n’importe-t-il pas des fascicules de Marvel et de DC Comics
     auxquels l’omniprésence du scénariste Robert Kanigher, les multiples talents de Sam
     Glanzman, le recours à une poignée de dessinateurs5 et le traitement spectaculaire du
     combat, concourent à donner une relative unité de ton ? Toutefois la forte propension
     aux séries-gigognes et aux séries transversales, de même que les livraisons non-datées,
     les sélections souvent partielles des éditeurs français, comme Artima ou Lug, la

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     redistribution dans leurs propres titres sériels6, les effets du métissage générique7, le
     tout produit une fâcheuse impression de confusion guère propice à l’émulation. Le
     modèle américain s’incarne ici plutôt dans la sérialisation de héros américains issus
     d’imaginations européennes. Félix Molinari, Jean Pape, Roger Meilles ainsi que Hubinon
     et Charlier proposent quatre variantes de cette stratégie pragmatique qui vise à
     rapprocher la culture nationale du lecteur et celle des héros. Le premier, auteur de la
     longuissime série fasciculaire des aventures du GI « Garry » 1948-1986, dit s’être inspiré
     de Milton Caniff. Le deuxième fait d’abord de son « O’Brien » un soldat américain
     pendant la Seconde Guerre mondiale puis un résistant en France, un détective anglais.
     En sens inverse, le troisième fait de son « Toni Cyclone » un pilote du maréchal Philippe
     Leclerc [de Hauteclocque] se battant d’abord en Afrique du nord, puis avec les
     Américains dans le Pacifique, puis comme agent secret 8. La plus marquante pour la
     période reste l’américanophile « Buck Danny » des derniers, à cause du succès et de la
     remarquable longévité de la série.
17   Est-ce dans le roman que se manifesterait un modèle américain ? Le bal des maudits
     (1949 [1948]) d’Irwin Shaw sera consacré par l’adaptation d’Edward Dmytryk (1958) et
     connaîtra 8 rééditions ; Les nus et les morts (1948) de Norman Mailer qui s’était vendu à
     plus de 2 816 000 copies, plutôt desservi par l’adaptation de Raoul Walsh (1958),
     connaîtra 11 rééditions : de vrais classiques populaires. Alors que avec Tant qu’il y aura
     des hommes (1951) de James Jones (3 646 000 copies vendues aux États-Unis), adapté par
     Fred Zinnemann (1953, 8 oscars), traduit par Jean Malaquais, préfacé par André
     Maurois et 7 fois réédités, on peut parler de classique de la culture moyenne. Quant à
     L’adieu aux armes (1938 [1932]) d’Ernest Hemingway, vendu à plus de 1 840 000 copies
     aux États-Unis, traduit de l’anglais par Maurice Edgar Coindreau, préfacé de Drieu La
     Rochelle et publié chez Gallimard, il devait avoir sous un tel patronage une brillante
     carrière française, et devenir un classique des belles-lettres réédité une demi-douzaine
     de fois. Dans une large mesure, la littérature de guerre de grande diffusion fait aussi
     écho à la poussée du cinéma américain. Tout d’abord directement, en traduisant des
     romans dont l’adaptation venait, le plus souvent, de rejoindre le public français ; c’est
     le cas de romans parus chez des éditeurs populaires (comme Le Bal des maudits aux
     Presses de la Cité) ou des rééditions ont été faites dans des collections de poche (comme
     Pour qui sonne le glas, 1948, et L’adieu aux armes, 1954, d’Hemingway, Abattoir-cinq ou la
     croisade des enfants : farandole d’un bidasse avec la mort, 1971, de Kurt Vonnegut Jr…) ;
     après le coup d’éclat de son premier tome, la trilogie de James Jones connaît un bon
     succès. Le lien le plus immédiat de subordination de l’édition par rapport au cinéma est
     celui des novélisations, comme L’enfer est pour les héros (1962) de Robert Pirosh et Curt
     Anders, issu d’un film de Don Siegel sorti en version originale la même année et paru en
     français dans la collection Marabout9.
18   Malgré cette importante pression, dans les collections paralittéraires on ne retrouve les
     pseudo-signatures anglo-saxonnes qu’en proportion bien plus modeste que les pseudo-
     signatures allemandes, contrairement au roman policier ou au roman d’espionnage.
     L’une des trois grandes collections paralittéraires spécialisées, Feu (Fleuve noir) permet
     même de recadrer ce possible modèle américain. Alors que pendant la réorganisation
     de la paralittérature, grande époque de la guerre sérielle, tous les genres de l’aventure
     destinés à un lectorat masculin ressentaient l’attraction du modèle américain, Feu se
     singularisait.

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19   Par rapport aux autres collections du Fleuve noir, le recours que fait Feu aux
     traductions en ses débuts n’est pas du tout caractéristique ; et par rapport aux autres
     collections de guerre, elle se fonde sur la traduction (dans ses 3 premières années, sur
     58 titres, 43 sont traduits de l’anglais), sans compter quelques pseudonymes anglo-
     saxons, et elle ne comporte aucune signature allemande ou russe, réelle ou feinte. Or la
     majorité de ces romans n’est pas d’origine américaine mais plutôt britannique, du
     Royaume-Uni (comme Eric Lambert, le premier, 4 fois traduit) ou d’ailleurs dans
     l’empire (notamment d’Australie, comme D. Kenton ou Peter Moresby). Ce qui a une
     incidence sur les théâtres d’opération choisis ou les armes servant d’univers de
     référence (la marine est surreprésentée).
20   Dès 1967, la politique éditoriale change et Feu passe d’une collection de traductions à
     une collection faisant surtout appel à ses auteurs-maison. Alignement de politique
     éditoriale qui, dans toutes les autres collections du Fleuve noir, ne favorisait guère le
     recours à la traduction. Le recours aux auteurs français de l’écurie du Fleuve noir
     entraine souvent les clichés du genre : pour les Américains, les classiques attaques
     d’une île du Pacifique (comme dans Une petite île toute simple, 1966, de Bruno Martin), les
     classiques histoires de commandos, aux Philippines, en Nouvelle Guinée, en
     Corée (comme dans Les maquisards de MacArthur, 1974, de Robert Delaite, Corps à corps en
     Corée, 1971, de Piet Legay, Puzzle chinois, 1972, de Serge Deville…) Mais il n’exclut
     nullement ni la plus insolite histoire de guerre sous-marine (Héros des profondeurs, 1967,
     de Marc Arno), ni la guerre vue par bien d’autres, Australiens (Quelque part en enfer,
     1972, de Jean Detis), Anglais, parfois pour des épisodes souvent moins connus (Toucher
     Naples… et mourir, 1966, de Pierre Nemours), ni le pessimisme existentialiste de Cap sur
     Mourmansk (1972) de Jacques Hoven, ni l’adolescente légèreté de l’être en Birmanie de
     La balle et la flèche de Roger Simonnet (1970).
21   Ce revirement interne au Fleuve noir emblématise le roman de guerre paralittéraire
     français. Il y a coprésence, certes, mais, moins que la BD et aussi peu que le cinéma,
     l’influence du modèle américain ne s’y ressent que modérément, superficiellement,
     alors même qu’il constituait une tendance de fond de la paralittérature, voire de la
     culture médiatique françaises depuis les années 50.

     Une diversité cosmopolite
22   Quant aux fictions de guerre venues d’autres sources qu’américaines ou allemandes,
     elles étaient trop disparates pour que l’on y discerne un possible modèle.
23   Peu visibles dans la littérature sérielle, les traductions du russe allaient se faire plus
     nombreuses après 1945 : Boris Gorbatov (1945), Leonid Leonov (1945), Constantin
     Simonov (1945), Aleksandr Tchakovski (1951)10. Certains de ces textes devaient devenir
     des best-sellers, voire obtenir des honneurs dans leur pays comme la nouvelle L’étoile
     (1947) d’Emmanuel Kazakevich ou Dans les tranchées de Stalingrad (1946) de Viktor
     Nekrassov. Mais c’est à la lecture d’Elena Ozerski (2001) que l’on prend conscience de
     tout ce qui n’est pas connu par la traduction. Même si la quantité de films diffusés
     n’était pas très importante, ils recevaient leur lot de prix dans des festivals
     internationaux, comme Le Quarante et unième (1956) de Grigori Tchoukhraï, Quand
     passent les cigognes (1958) de Mikhaïl Kalatozov, L’ascension (1977) de Larissa Chepitko.
     De même, à l’époque des grandes collections paralittéraires, la quantité de textes
     traduits du russe restait modeste, ce qui n’empêchait pas la parution remarquée

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     d’ouvrages sur lesquels l’occident et le Kremlin avaient des opinions visiblement
     divergentes : Le docteur Jivago (1957) de Boris Pasternak et Août quatorze (1969-1970)
     d’Alexandre Soljenitsyne. C’est grâce à Gerfaut que l’on assiste à l’avènement des
     pseudo-traductions : 10 noms « soviétiques » signent 92 titres, c’est-à-dire presque 20 %
     de cette prolifique collection. Tropisme néanmoins relativement mineur si on le
     contraste avec le succès continu des aventures de Corto Maltese d’Hugo Pratt. Du point
     de vue graphique ses BD relèvent bien d’une même famille que Noel Sickle et Milton
     Caniff et Robins. Mais on mesure combien l’inspiration de Pratt a pu détonner sur le
     fond américanophile de la BD franco-belge, ne traîtât-elle de guerre que de manière
     occasionnelle : à la fois par la période couverte comportant une thématisation de la
     guerre (de 1913 dans La ballade de la mer salée, 1974 [1967], à 1922 dans La maison dorée de
     Samarkand, 1980), par sa relation privilégiée à Jack London (référence américaine,
     certes, mais pas de sa fiction de guerre), par son recours au passé militaire du fascisme
     italien alors parfaitement exotique dans la culture médiatique française, comme dans
     Les Ethiopiques (1978)… Dans La ballade de la mer salée, (1989), la Première Guerre
     mondiale atteint l’île imaginaire d’Escondida comme un écho assourdi ; Les Celtiques
     (1980) se déroule en 1917-18, mais, outre la bataille de Caporetto, son atmosphère
     fantastique abrite plutôt une intrigue d’espionnage. Et pourtant, les thèmes de Pratt
     n’allaient pas beaucoup susciter d’émulation.
24   Le cinéma devait le mieux permettre de se familiariser avec l’expérience de la guerre
     propre à d’autres cultures nationales. Comme celle du Danemark avec La terre sera rouge
     (1945) de Bodil Ipsen et Lau Lauritzen d’après le roman d’Ole Juul ; celle de la Finlande
     avec Soldats inconnus (1955) d’Edwin Laine d’après Väinö Linna ; celle de la Yougoslavie
     avec La vallée de la paix (1956) et Le neuvième cercle (1960) de France Stiglic, Grands et
     petits (1956) de Vladimir Pogacic, La jeune fille (1965) de Mladomir Djordevic ; celle de la
     Tchécoslovaquie avec La solution finale (1962) de Zbynek Brynych, Déserteurs et nomades
     (1969) de Juraj Jakubisko, et surtout Trains étroitement surveillés (1966) de Jiri Menzel qui
     devait remporter l’Oscar du meilleur film étranger ; celle de la Roumanie avec Les flots
     du Danube (1960) de Liviu Ciulei ; celle de la Hongrie avec Printemps à Budapest (1955) de
     Felix Mariassy d’après Ferenc Karinthy et les remarquables Rouges et blancs (1967) et
     Rhapsodie hongroise (1978) de Miklos Jancso. Où aller chercher une perspective japonaise
     sur son invasion de la Chine mieux que dans L’ange rouge (1966) d’Yasuzo Masumura,
     d’après un roman d’Yorichika Ikegami ? Ou une perspective algérienne sur la guerre
     d’Indépendance que dans Le vent des Aurès (1966) et Chronique des années de braise (1975,
     Palmes d’or à Cannes) de Mohammed Lakdar-Hamina ? Mais cette diversité même
     interdit la convergence nécessaire à l’institution d’un modèle.
25   Quant au roman, c’est à une constatation mitigée que conduit l’examen des traductions.
     Certes, l’édition française procède bien à des importations, bien plus nombreuses dès
     les années 50. Mais, si l’on excepte la série pour la jeunesse Biggles de William Earl
     Johns, sa persistante réussite au milieu de collections de romans de guerre assez
     imperméables aux traductions11, si l’on excepte L’histoire illustrée de la seconde Guerre
     mondiale chez Marabout, lui-même éditeur belge (21 titres, 1970-71) et si l’on excepte
     les collections de pseudo-traductions, on constate que peu de collections de guerre sont
     constituées majoritairement de traductions ; que d’habitude, les traductions sont
     minoritaires dans les collections mixtes et que nombreuses sont celles sans aucune
     traduction. Imperméabilité relative d’autant plus notable qu’on peut la mettre en
     regard des collections spécialisées dans d’autres genres paralittéraires (comme la SF, le

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     roman policier ou l’espionnage) et de la sensible augmentation de romans traduits
     publiés en dehors des collections spécialisées.
26   La contribution japonaise à la paralittérature française semble se résumer à quelques
     fausses signatures japonaises chez Gerfaut, ce qui ne surprend guère puisque c’est
     tardivement et en ordre très dispersé que la littérature nippone s’était frayée un
     chemin jusqu’au lectorat français. Haut-le-cœur de Takami Jun, n’est traduit qu’en 1985,
     avec tous les honneurs de l’UNESCO ; Un soldat (1908) de Tayama Kataï qui a dû attendre
     2000 pour être traduit ! Et Gibier d’élevage (1996 [1957]) de Kenzaburô Oe, deuxième Prix
     Nobel de littérature japonais ; et Lieutenant « Ma révérence » (1986 [1950]) de Masuji
     Ibuse, lauréat de nombreux prix littéraires, membre de l’Académie du Japon…
27   La cristallisation ne prend pas non plus autour de best-sellers. L’immense succès
     international du Journal (1949 [1947]) d’Anne Frank, l’auteur néerlandais le plus traduit,
     adapté à la scène et à l’écran, a beau générer une vraie institution érudite, il n’en tend
     pas moins à éclipser deux grands romans plutôt qu’à instituer un tropisme hollandais,
     La chambre noire de Damoclès (1962 [1958]) de Willem Frederik Hermans et L’attentat
     (1984) de Harry Mulisch.
28   Enfin, toutes les cultures nationales ne sont pas égales devant l’accès à la notoriété, loin
     de là. La Pologne de La prise du pouvoir (1953), de Czeslaw Milosz, lithuanien d’origine,
     polonais de culture, américain par choix, prix Nobel de littérature en 1980, des
     Envahisseurs (1960) de Jan Dobraczynski, du cinéma d’Andrej Wajda 12 paraît richement
     dotée en comparaison avec la Finlande. Paavo Rintala a beau être un important
     romancier finnois, peut-on dire que la traduction de Commando de la mort blanche (1967)
     à partir de sa version suédoise et que sa publication aux Presses de la Cité ont vraiment
     permis à cette histoire sans complaisance à l’endroit de l’appareil militaire de
     rencontrer son public français ?
29   Contrairement au paradoxal modèle allemand et aux non moins paradoxales limites du
     modèle américain, on pouvait s’attendre à ce que ces importations dispersées ne
     forment pas un modèle : elles ont bien une coprésence mais une influence négligeable 13.

     Un modèle français ?
30   Cette notion de modèle national importé permet donc le repérage d’une double
     singularité de la fiction de guerre : contrairement à tous les autres genres sériels,
     l’aimantation américaine sur la production de fiction de guerre française s’y avère
     relativement faible alors que s’exerce une forte attraction allemande, assez peu
     perceptible dans le reste de l’inspiration paralittéraire.
31   Je dois toutefois ici un aveu. En commençant, je pensais plus importante l’influence de
     modèles nationaux importés que la simple coprésence des guerre des autres avec celles
     des Français. C’est en cherchant à justifier pourquoi faire état de ces traductions
     culturellement disparates, dans lesquelles ne se discerne vraiment ni un modèle russe
     ni même l’effet codant d’une inspiration singulière comme celle de Pratt en BD, que
     m’est apparu à l’évidence avoir sous-estimé l’importance de la coprésence.
32   Faut-il cyniquement expliquer une telle ouverture de l’industrie française de la fiction
     de guerre par une motivation commerciale ? En effet, le recours à la traduction d’un
     livre ou d’une signature déjà sanctionnés par le succès sur d’autres marchés nationaux
     atténue le risque pour l’éditeur. Qu’on pense au best-seller de Curzio Malparte, Kaputt,

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     initialement traduit de l’italien en 1946 et réédité une dizaine de fois. Ou encore à
     Douglas E. Reeman : une fois la pompe amorcée avec Le dernier corsaire du Kaiser (1967)
     puis Le silence des profondeurs (1971) au Fleuve noir, suivront sept romans dans la
     collection Feux croisés de Plon entre 1976 et 1981 et un titre chez Presses pocket.
     Néanmoins l’éventuelle transparence transculturelle due au marché est moins courante
     que les effets de filtre lors du passage d’une industrie culturelle nationale à l’autre. On
     peut en prendre deux exemples :
33   La veine du techno-thriller de guerre, féconde aux États-Unis 14 et largement diffusée par
     les adaptations cinématographiques à succès de Hollywood, est assez chichement
     traduite en français – en fait, hors de Tom Clancy et Stephen Coontz les éditeurs
     délaissent cette veine15.
34   On évoquera également, comme symptomatique, le décalage temporel entre
     publication originale et première traduction française pour des textes comme
     « Barques en bambou » et « La grenade » (1950), deux des rares textes d’Yasanuri
     Kawabata à traiter de guerre, alors même que Kawabata est le premier écrivain japonais
     à avoir reçu le Nobel de littérature (en 1968) ; ou encore pour « Lieutenant "Ma
     Révérence" » de Masuji Ibuse et « Fleurs d’été » de Tamiki Hara, nouvelles qui ne seront
     recueillies en traduction qu’en 1986 – dans Fleurs d’été et autres nouvelles japonaises.
35   Tout en tenant compte de cette motivation marchande, sans doute serait-il plus fécond
     de chercher une explication complémentaire, à partir de l’exemple de L’été du déserteur,
     roman de Veijo Meri se déroulant en 1945, originalement paru en 1961 et traduit en
     1985. À la prise de conscience de la singularité de l’histoire du conflit pour la Finlande,
     s’alliant alternativement à l’Allemagne puis l’URSS parce que l’autre l’avait attaquée
     (dans l’encyclopédie de la majorité des lecteurs français, cette singularité était au
     mieux floue, voire inconnue) se superpose un universel bien plus familier, le caractère
     camusien du sentiment d’inadéquation de son héros16. Ici, le décalage culturel entre
     publication originale et traduction française exhibe un processus mis à jour par Pascale
     Casanova (2008) : pour la fiction de guerre, la culture française, surtout en matière de
     littérature, a suivi son habituelle pente à l’universalisme.
36   Généralisons. Par l’importation et la coprésence, la culture française veut donner à
     comprendre la guerre rétrospectivement et montrer ce que trop d’homogénéité (point
     de vue national, idéologie) aurait pu taire. Or, depuis la fiction issue de la Guerre de 14,
     la représentation épique (c’est l’extériorité de la barbarie qui fonde la définition du
     héros) a cédé sa position dominante à la représentation de l’inhumanité dans et par la
     guerre (le soupçon que l’inhumain est moins un résidu malencontreux de l’humain que
     son noyau, à reconnaître dans l’anti-humanisme nietzschéen 17, à contrer par l’ascèse
     éthique dans l’humanisme). L’inhumanité est un idéologème plus directement
     partageable avec l’Autre que des patriotismes conflictuels – à défaut d’échapper au
     paradoxe, piège inconnu de la muse Calliope. En outre, dans le même geste, donner la
     parole à l’Autre n’est que l’une des manifestations, retorse, de cette pente universaliste
     (que cet Autre ait été allié, ennemi ou historiquement trop exotique pour avoir
     déterminé une imagologie).
37   Toutefois, en se concentrant sur la seule institution littéraire, la puissante proposition
     de la République mondiale des lettres explique mal la force du modèle allemand et la
     relative faiblesse du modèle américain en matière d’émulation et d’influence. Je
     proposerai une hypothèse mettant l’accent sur la fonctionnalité des guerres des autres.

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38   Pour la modestie de l’influence du modèle américain, il faut se tourner vers le noyau
     des représentations des États-Unis dans l’imaginaire français de l’après-guerre, l’
     Amérique comme futur de la France. Si ce noyau consonne facilement avec le polar urbain
     de ses mégalopoles, avec l’espionnage de la défense de l’Occident, avec la SF de ses
     rêveries et cauchemars technoscientifiques, lorsque la littérature américaine se tourne
     vers le passé, se produit un court-circuit dans le for intérieur de son public français. En
     matière de fictionnalisation du passé, l’Amérique-comme-futur-de-la-France
     impressionne en effet beaucoup moins ce public, familier de sa propre Histoire et de la
     féconde manière dont sa fiction nationale l’a romancée. La coprésence a ici une double
     valence. Elle vaut comme indice de l’acceptation tacite de l’importance culturelle de
     l’Amérique et de la curiosité pour l’universel pouvant émaner de la singularité
     américaine ; mais elle vaut aussi comme indice du scepticisme quant à la capacité de la
     fiction américaine de représenter la guerre plus pertinemment que les créateurs
     autochtones.
39   Pour le succès du modèle allemand, il faut plutôt considérer deux ordres de causes.
     Pour les collections bas-de-gamme, sorte de degré zéro de la représentation de la
     guerre, et dans les années 1951-195618, l’inhumanité (la mise en suspens des règles
     sociales, les transgressions valorisées) prend initialement pour modèle le succès de la
     formule de Helms-Liesenhoff ; ces collections vendent un érotisme profondément
     misogyne qui colore, voire recode les intrigues guerrières. La tendance se radicalise en
     SM dans les collections bas-de-gamme des années 1970 19. Dans les deux cas, la
     distinction avec le nietzschéisme tient à l’attribution de l’innommable (mais
     parfaitement narrable) à des personnages allemands ; cela permet à la fois au lecteur de
     jouir du spectacle tout en se plaçant en voyeur derrière sa vitre nationale. Pour le
     lectorat de la partie la plus importante de la fiction sérielle, l’âge d’or des collections
     spécialisées a commencé après la Guerre d’Algérie, après la phase de déliquescence
     d’un empire miné par des guerres de libération nationale. Très largement présente, des
     romans pseudo-allemands de Gerfaut à Plievier en passant par la plupart des étages de
     la distinction littéraire, l’héroïsation des vaincus mâtinée d’absurde camusien a autant
     fait vibrer les nostalgiques de l’autorité que la jeunesse baby-boomeuse agacée autant
     par l’homogénéité lisse du légendaire résistancialiste gaulliste que par l’inadéquation
     de cet épisme face au déclin international du pays. Au-delà de la coprésence (à cause de
     l’universel pouvant émaner de la singularité allemande), la fiction de guerre trouvait là
     un énergique, prolifique et insolite modèle. Son succès résidait moins dans les qualités
     intrinsèques des œuvres allemandes importées que dans une contestation interne à la
     société française20.
40   Si modèle français il y a en matière de guerre des autres, c’est bien sûr dans la
     réception qu’il faut le saisir. L’inhumanité majoritairement y déclenche une lecture
     absurdiste, minoritairement, une lecture voyeuriste et, plus minoritairement encore,
     une lecture tentant de ne pas rabattre trop tôt sur l’universel absurde la singularité de
     l’expérience de la guerre des autres (mais ceci est une autre histoire).

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NOTES
1. Je fais ici allusion aux liens entre nationalisme et culture médiatique étudiés par Benedict
Anderson (1996).
2. Dans la grande série « Guerre » de 470 titres : 1 fois Gunther von Keist; 1, Ludwig Sorner; 1,
Walther Kuhne; 1, Morris Hershmann; 1, Julius Dahn; 2, Johann Klauss; 2, Rudy Stiefel; 3, Hugo
Keppler; 3, Walter Samitz; 3, Hans H. Lusthoff; 4, Gunther Klein; 4, Frank Krieg; 4, Heinz
Wirrmann; 5, Karl Oberg; 6, Friedrich Niels; 7, Franz Rheinhards; 7, Franz Winkels; 9, Friedrich
Soffker; 11, Karl Sterberg; 12, Ludwig Kranz; 13, Karl von Vereiter; 17, Baldwin Wolf; 18, Rudy
Furtwengler; 21, Hermann Siebel; 22, Heinrich Zimmer; 26, Helmut Zorn; 33, Hans Kluber et 36,
Kurt Gerwitz! Dans la série reliée de 92 titres : 1 fois Johan Klaus; 1, Herman Kluber; 1, Henrich
Oppenheimer; 1, Boris Orloff; 1, Gunther Rokk; 2, Helmuth Zorn; 2, Heinz Wireman; 3, Herman
Siebel; 3, Rudy Furtwengler; 4, Heinrich Zimmer; 4, Karl von Vereiter; 6, Ludwig Kranz; 8, Hans

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