De la Fondation de la Résistance - Eduscol
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de la Fondation de la Résistance Reconnue d’utilité publique par décret du 5 mars 1993. Sous le Haut Patronage du Président de la République n° 110 – septembre 2022– 5,50 € Concours national de la Résistance et de la Déportation 2022-2023 L’École et la Résistance des jours sombres aux lendemains de la Libération (1940-1945)
Renseignements utiles Concours national de la Résistance et de la Déportation 2022-2023 Dans cette rubrique figurent les informations essentielles pour participer à ce concours. Nous vous conseillons de vous reporter, pour plus de détails, aux informations officielles du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, mises en ligne sur le site éduscol : eduscol.education.fr/cnrd. Pour toute demande d’informations, vous pouvez écrire à l’adresse suivante : cnrd.dgesco@education.gouv.fr Thème : « L’École et la Résistance. Des jours sombres aux lendemains de la Libération (1940-1945). » Inscriptions ■ Pour les établissements situés sur le territoire national : se référer aux instructions données par le recteur de l’académie (la liste des interlocuteurs au sein des services territoriaux de l’Éducation nationale est disponible sur la page éduscol dédiée au concours, indiquée ci-dessus). ■ Pour les établissements français à l’étranger : se référer aux informations communiquées par l’AEFE et la MLF. Participation au concours Catégories de participation Modalités de participation ■ 1re catégorie – Classes de tous les lycées Réalisation d’un devoir individuel en classe, sous surveillance, sans documents personnels. (à l’exception des formations post-baccalauréat) Durée : 3 heures. ■ 2e catégorie – Classes de tous les lycées Réalisation d’un travail collectif pouvant prendre différentes formes. Pour la taille et le poids des travaux (à l’exception des formations post-baccalauréat) ainsi que la durée des travaux audiovisuels et sonores, se reporter au règlement annuel du concours. ■ 3e catégorie – C ollèges Réalisation d’un devoir individuel en classe, sous surveillance, sans documents personnels. (classes de 3e uniquement) Durée : 2 heures. ■ 4e catégorie – Collèges Réalisation d’un travail collectif pouvant prendre différentes formes. Pour la taille et le poids des travaux (classes de 3e uniquement) ainsi que la durée des travaux audiovisuels et sonores, se reporter au règlement annuel du concours. Transmission des productions réalisées Les copies individuelles et les travaux collectifs sont à transmettre par l’établissement scolaire : ■ Pour les établissements situés sur le territoire métropolitain : au service de l’Éducation nationale compétent (généralement la DSDEN mais par sécurité, se référer aux instructions données par le recteur) ; ■ Pour les établissements des DROM-COM : au rectorat ou vice-rectorat ; ■ Pour les établissements français à l’étranger : se référer aux instructions reçues lors de l’inscription. Résultats et remises des prix Les lauréats académiques recevront leur prix lors d’une cérémonie organisée, si possible, à une date symbolique et dans un lieu lui conférant un caractère solennel. Les meilleurs travaux de chaque catégorie seront sélectionnés à l’échelle académique pour être présentés au jury national. Les lauréats nationaux seront récompensés au cours d’une cérémonie officielle à Paris. Concours de la meilleure photographie d’un lieu de Mémoire Les Fondations de la Résistance, pour la Les photographies doivent être envoyées à Mémoire de la Déportation et Charles de l’adresse suivante avant le 14 juillet 2023 Gaulle organisent chaque année, après les Les Fondations de la Résistance, résultats du Concours national de la Résis- pour la Mémoire de la Déportation et Charles de Gaulle tance et de la Déportation, le concours Concours de la meilleure photographie de la meilleure photographie d’un lieu de d’un lieu de Mémoire Photo Jeanne Bluzat 30 boulevard des Invalides Mémoire. 75007 PARIS Ce concours offre aux élèves la possibilité d’exprimer leur sensibilité aux aspects artis- Les trois meilleures photographies seront tiques et architecturaux des lieux de Mémoire diffusées sur les sites de la Fondation de la Photographie du monument du Mémorial au travers de la technique photographique. Résistance (www.fondationresistance.org), de la national du camp de Drancy prise par Avant toute participation, nous vous invitons Fondation pour la Mémoire de la Déportation Jeanne BLUZAT, élève de troisième au collège à lire le règlement du concours : (www.fondationmemoiredeportation.com) et de la Pierre Ronsard à Saint-Maur-des-Fossés http://www.fondationresistance.org/pages/action_ Fondation Charles de Gaulle (www.charles- (Val-de-Marne) qui a obtenu le premier prix pedag/concours_p.htm de-gaulle.org). en 2020-2021. 2 C oncours N ational de la R ésistance et de la D éportation – 2022-2023
Sommaire Préface La Lettre de la Fondation de la Résistance n° 110 – septembre 2022 L e thème du Concours national de la Résistance et de la Lettre de cadrage Déportation 2022-2023 Fondation de la Résistance porte sur « L’École et la Résistance. 4 L ettre de cadrage de l’Inspection générale Des jours sombres aux lendemains de l’Éducation nationale de la Libération (1940-1945) ». Partie 1 / L‘École des années sombres En soixante ans d’existence, c’est la première fois que ce concours – à mi-chemin entre histoire, mémoire et formation civique – 8 L’École à la veille de la guerre invite les candidats à se pencher sur l’histoire de l’institu- 10 L’École dans la drôle de guerre tion scolaire française durant la Seconde Guerre mondiale. 12 L a défaite, l’exode et les débuts de l’Occupation Mise au pas par le régime de Vichy, l’École fut un 14 L a Révolution nationale à l’École terrain favorable au développement de formes variées de Résistance. 16 Les hommes de Vichy Mais ce thème est aussi l’occasion d’étudier les réformes 17 Fiche ressources scolaires imaginées par les résistants en pleine Occupation. Comment rechercher des documents-sources Ceux-ci ne souhaitaient pas seulement libérer leur pays, ils sur la Révolution nationale à l’École ? désiraient aussi que la France qui émergerait de ces combats Partie 2 / Résister à l’École soit une France nouvelle avec plus de justice sociale. À côté des réformes économiques et politiques portées par 18 U ne résistance enseignante le Conseil national de la Résistance, ils considéraient que 20 U ne résistance des élèves l’École constituait un fondement essentiel de cette future 22 L a résistance du quotidien en milieu scolaire République sociale en apportant au plus grand nombre une formation de qualité et en permettant une promotion 24 L a répression allemande contre les enseignants sociale et un renouvellement des cadres de la Nation. et les élèves résistants Cette brochure pédagogique a mobilisé l’expertise de 25 F iche ressources l’ensemble de l’équipe de la Fondation, dans les domaines Retracer le parcours d’un lycéen résistant scientifique, pédagogique, éditorial, documentaire ou et déporté : l’exemple de Jacques Sabine multimédia. Partie 3 / Penser l’École de demain Je tiens aussi à saluer, au nom de la Fondation de la Résistance, l’implication des fondations, des associations, des musées, 26 L a place de l’École dans les discours résistants des centres d’archives, des témoins mais surtout des sur la défaite de 1940 enseignants qui depuis plus de soixante ans font vivre ce concours initié par les résistants et que nous avons reçu 28 L’École de la France libre en héritage. ■ 30 L’École de la Résistance 32 L’École de la France libérée Gilles Pierre Levy 34 F iches ressources Président de la Fondation de la Résistance Comment travailler sur des traces archivistiques et mémorielles dans les établissements scolaires ? L’École comme lieu de mémoire et lieu de transmission Couverture Annexes 1 3 1. Promotion d’élèves de l’école normale d’instituteurs 2 à Douai (Nord) en 1939. © Réseau Canopé, 35 Ressources 4 Le Musée national de l’Éducation. 2. Le maréchal Pétain visite l’école de la petite commune 36 Remerciements de Lalizolle, près de Gannat (Allier), vers 1942. Photographie de presse extraite de L’Illustration. © Réseau Canopé, Le Musée national de l’Éducation. 3. Des maquisards de Boussoulet (Haute-Loire) autour de leur instructeur Albert Oriol-Maloire en 1944. Avant la guerre, Albert Oriol-Maloire (1919-2003) est instituteur. Aspirant de réserve, chef d’un groupe franc en Lorraine pendant la drôle de guerre, il est grièvement blessé. Démobilisé après avoir été L e symbole @ indique au fil des pages de la brochure des décoré de la croix de guerre 1939-40, il rejoint la Résistance dans la ressources qui peuvent être consultées en ligne. Les liens Loire en 1942. En mars 1944, il entre dans la clandestinité et prend pour y accéder sont disponibles sur la brochure numérique, comme pseudonyme Maloire. Du fait de son expérience militaire, version augmentée de la brochure papier, accessible sur les il se voit confier le commandement du premier maquis de l’Armée sites de la Fondation de la Résistance et du Musée de la Secrète Loire, réfugié en Haute-Loire, à Boussoulet. © Keystone- France/GAMMA RAPHO. Résistance en ligne. 4. Journal clandestin L’École Libératrice. Pour toute information complémentaire, écrivez à la Organe du syndicat national des instituteurs CGT FGE (reconstitué Fondation de la Résistance à l’adresse : clandestinement), n° 4, juin 1944. Coll. Musée de la Résistance raphaelle.bellon@fondationresistance.org nationale à Champigny-sur-Marne. 3
Lettre de cadrage de l’Inspection générale de l’Éducation nationale L’École doit et se doit d’enseigner l’histoire Leur organisation varie selon les lieux mais vire l’idéologie de la Révolution nationale 4. Dans un de l’École. Le Concours national de la Résistance parfois au chaotique : certaines sont ainsi orga- article publié le 15 août 1940 dans La Revue et de la Déportation (CNRD) est marqué, dès ses nisées à Paris dans les caves des universités. De des Deux Mondes, Pétain se livre à un réqui- débuts, par la présence et par l’influence de résis- nombreux bacheliers ne peuvent passer l’examen sitoire contre l’École républicaine, jugée trop tants qui furent, aussi, des pédagogues. C’est du fait des événements. « individualiste ». Les instituteurs sont immédia- ainsi qu’a été conçue et construite la question tement montrés du doigt, comme responsables posée par le thème de la session 2022-2023 de la faillite de la France, en ayant insufflé à du CNRD : « L’École et la Résistance. Focus leurs élèves des valeurs libérales, laïques et Des jours sombres aux lendemains de • L’université de Strasbourg repliée égalitaires en contradiction avec ce que le la Libération (1940-1945) ». à Clermont-Ferrand en septembre 1939. régime considère être les valeurs françaises • U n établissement confronté à la guerre : traditionnelles5. Faut-il rappeler qu’avant d’ob- Si pour l’École, cette période est marquée par l’école normale de Bonneville réquisitionnée tenir le portefeuille de la Guerre dans le gou- la guerre et la défaite, l’Occupation et le régime de Vichy, la collaboration, la France libre pour servir d’hôpital militaire. vernement Doumergue du 9 février 1934, le et la Résistance, c’est que loin d’être à l’écart des • U n témoignage : l’institutrice Berthe Auroy à Chartres maréchal Pétain avait souhaité le ministère de dangers, des absents et des morts elle se révèle lors de la drôle de guerre. l’Éducation nationale ? comme toujours dans l’histoire comme un prisme • Un événement : le baccalauréat 1940. Dès juillet 1940, une première vague de et un miroir de son temps. purge et d’épuration se développe, entraî- Ce sont les jours sombres de la guerre, de la nant la révocation d’un millier d’instituteurs défaite et de l’exode, jusqu’à la difficile reprise Reprendre l’école, reprendre classés à gauche. Elle est suivie de deux des cours dans un quotidien épuisant et lourd les cours, reprendre le travail autres vagues entraînant la suspension des marqué par la volonté du nouveau régime de enseignants « notoirement francs-maçons », mettre l’École au pas. Ce sont les résistances des par le décret du 13 août 1940, puis celle La reprise des cours à la rentrée d’octobre des enseignants considérés comme « juifs » enseignants, des élèves, mais aussi les refus du 1940 s’effectue dans un contexte difficile et quotidien des persécutions et de la déportation d’après les dispositions du statut du 3 octobre particulier. En zone occupée, les Allemands ont 1940. Le 18 septembre, les écoles normales des Juifs. Ce sont les hommes de la France libre réquisitionné de nombreux bâtiments scolaires, et de la Résistance qui, dans la nuit et dans la ter- d’instituteurs, que Charles Maurras avait quali- comme par exemple l’École normale supérieure, fiées « d’antiséminaires malfaisants de la démo- reur pensent l’École des lendemains, parce que pour y installer leurs services et leurs troupes. Des libérer la France, c’est libérer l’École1. cratie » sont supprimées. Dans une circulaire classes sont « déménagées » dans des bâtiments du 15 novembre, le ministre Ripert invoque de fortune. Entraînés en zone Sud dans le mouve- « le relèvement de fonctions d’un certain nombre ment de l’exode en mai-juin 1940, des étudiants ■ L’École des jours sombres ou des enseignants n’ont pas encore pu rentrer de fonctionnaires […] qui ont consacré une partie de leur temps à une agitation politique contraire en zone occupée car les Allemands n’autorisent aux intérêts de la France ». La guerre, la défaite, l’exode les retours de façon progressive qu’à partir d’octobre. L’école élémentaire constitue l’un des lieux privilégiés du culte du maréchal, qui se mani- La guerre qui éclate en septembre inter- Dans les établissements scolaires, une atmos- feste aussi bien à travers les chants appris aux rompt le fonctionnement normal de l’école. phère morne l’emporte, en l’absence des pro- élèves (Maréchal nous voilà) que par les exer- 26 000 enseignants du primaire, 5 000 ensei- fesseurs mobilisés en 1939 et qui ont été faits cices qui leur sont demandés : les élèves sont gnants du secondaire et quelques centaines d’en- prisonniers lors des combats de mai-juin 1940. encouragés à écrire régulièrement au chef de seignants du supérieur sont mobilisés, la plupart Ils sont au nombre de 13 139, dont seulement l’État (deux millions de lettres envoyées pour la comme officiers et sous-officiers de réserve. 2 245 reviennent jusqu’en juillet 1943. Dans le Noël 1940) tandis que des concours de des- Au nombre de ceux-là, le professeur Marc Bloch même temps, le nombre d’instituteurs décline, sin sont également organisés, comme celui de qui se définit lui-même comme « le plus vieux à la mesure d’une politique scolaire contestée. représenter « La France que le maréchal aime capitaine de l’Armée française ». Comme l’ensemble de la société, les diffé- tant ». Les rituels républicains enracinés depuis Les écoles alsaciennes sont transférées dans le rentes catégories d’élèves sont confrontées dans la fin du XIXe siècle sont remplacés par ceux du Sud-Ouest et le Centre dans le cadre du déplace- leur quotidien aux nouveaux problèmes du temps, nouveau régime : les portraits de Pétain rem- ment des populations qui se trouvent dans la zone de liés aux pénuries et restrictions. Le rationnement placent les bustes de Marianne, le salut aux front, en déracinant les élèves et leurs enseignants. entre en vigueur en septembre 1940. Les cahiers couleurs devient obligatoire lors d’une cérémo- Par crainte de la guerre aérienne, des enfants de et les livres, l’encre et les crayons, l’éclairage nie quotidienne, la Révolution nationale entend Paris sont également déplacés dès septembre 1939. et le chauffage font défaut. Une école buisson- parachever l’embrigadement de la jeunesse. 38 000 enfants au total quittent la capitale. Des nière se développe pour améliorer le quotidien. L’idéologie du régime pèse considérable- classes entières d’enfants parisiens avec leurs Les élèves sont classés dans la catégorie J. ment sur le contenu et la nature des matières enseignants2 se retrouvent ainsi en milieu rural : Dans le cadre des emplois du temps scolaires, les enseignées, comme le montrent la réintroduction la Bourgogne, l’Auvergne, l’Ouest. Tout cela pose écoliers participent à des tâches nouvelles dans dans les écoles publiques d’un enseignement reli- des problèmes logistiques pour le bon déroule- le contexte de la pénurie en se livrant collective- gieux optionnel, le développement d’apprentis- ment des examens, notamment la session spéciale ment à des collectes (les marrons d’Inde !) ou à sages manuels et artisanaux, la refondation des du baccalauréat qui se tient en octobre 1939 la chasse aux doryphores. programmes d’histoire et de géographie. Dès le et pour laquelle il faut organiser des centres 14 septembre 1940 en histoire, la période de la d’examen supplémentaires en province 3. Révolution, qui constituait une sorte de « fin de Du fait du contexte de la guerre, le quotidien Focus l’histoire » dans l’École républicaine, est désor- des élèves est partout perturbé. Certains établis- • L es conséquences des pénuries mais proscrite au profit du retour à une « France sements scolaires sont parfois réquisitionnés par dans le quotidien des élèves. éternelle » qui serait paysanne, catholique, l’armée et il faut donc trouver des solutions d’hé- • L es enfants perdus de l’exode nationaliste et qui aurait ses héros symboliques bergement des classes. Les élèves doivent suivre et leur difficile prise en charge. comme Louis IX (Saint Louis), roi sanctifié mais des formations à la Défense passive pour adop- également croisé et antijuif ou Jeanne d’Arc, ter les bons réflexes en cas de bombardements. illustrant le nationalisme anti-anglais. Quant à Ils s’inquiètent du sort de leurs pères mobilisés. la géographie, son enseignement prône une L’École de Vichy, l’École approche régionaliste permettant de mettre en L’offensive allemande et la défaite de 1940 viennent interrompre la fin de l’année scolaire. sous Vichy, l’École sans Vichy valeur les coutumes et traditions dans toute leur Dans les départements du Nord, les élèves et diversité provinciale6. leurs enseignants fuient comme l’ensemble L’École de la République avait fait des répu- L’introduction d’un enseignement phy- des populations l’avance allemande dans blicains. L’École de Pétain ferait des pétainistes. sique et sportif répond enfin à des motivations le cadre de l’exode. Malgré le contexte, les Pour le régime de Vichy, issu de la défaite, idéologiques, avec la volonté de façonner épreuves du baccalauréat ne sont pas annulées. l’École doit être le principal instrument qui per- un « Homme nouveau », de développer le sens Elles sont décentralisées et avancées à la mi-juin. mette de modeler les esprits conformément à de l’effort et l’émulation7. 4 C oncours N ational de la R ésistance et de la D éportation – 2022-2023
Cette tentative d’« assomption » de l’École instituteurs deviennent également des chefs, du Aux actions spontanées et souvent sans len- ne doit pas occulter qu’une partie de la société fait de leur expérience de l’encadrement et de demain succèdent progressivement à partir de scolaire, marquée par une sorte de « surmoi répu- leur expérience militaire : la plupart d’entre-eux 1941 de véritables organisations de Résistance blicain », fait preuve d’une certaine inertie et se avaient suivi à la fin de leurs études la formation qui naissent et se développent dans le milieu des révèle résiliente. Dans bien des endroits et dans qui permettait d’être sous-officier ou officier de lycéens et étudiants. À la Sorbonne, Défense de la bien des cas, derrière le discours officiel prônant réserve. Ces chefs de maquis émergent, lorsque France est créé par trois étudiants, Philippe Viannay, l’adhésion aux valeurs du nouveau régime, l’École le phénomène se développe à partir de 1943 9. Robert Salmon et Hélène Mordkovitch et n’en demeure pas moins un havre provisoire, où L’une des figures les plus emblématiques est celle recrute essentiellement au sein de l’université se maintenait l’esprit critique à l’égard d’une pro- notamment de Georges Guingouin en Haute- et des grands lycées parisiens. Élève au lycée pagande souvent outrancière ainsi que l’égalité et Vienne10. À la Libération, de nombreux institu- Louis-le-Grand, Jacques Lusseyran crée en la protection des élèves, quelles que fussent leurs teurs engagés dans la Résistance occupent des mai 1941 un journal clandestin, Le Tigre, qu’il origines. fonctions locales et participent à la restauration diffuse dans les milieux étudiants. de la légalité républicaine. À Bourg-en-Bresse, encouragés par plusieurs Focus de leurs professeurs, des élèves du lycée Lalande • Un serviteur de Vichy : l’historien Jérôme Carcopino. Focus forment en 1941 un groupe de résistants rattaché • La Révolution nationale à l’école, en France • U n mouvement développé au mouvement Libération. Ils diffusent des tracts et et dans l’Empire colonial. au sein de l’université : Liberté. journaux clandestins et organisent des manifesta- • R aymond Burgard et le mouvement Valmy. tions patriotiques. Fin 1942 une section des Forces • La fermeture des écoles normales. unies de la jeunesse est créée au lycée qui devient • L’épuration du monde enseignant au cours • Q uelques figures d’enseignants résistants : une cible importante de la répression. 32 élèves de la seconde moitié de l’année 1940. Jean Cavaillès (supérieur), Martial Brigouleix du lycée seront tués ou exécutés et une vingtaine (lycée), Georges Guingouin (instituteur), Mathilde Mir déportés. Le lycée Lalande est le seul lycée civil (institutrice). à obtenir la médaille de la Résistance française. • R ésister dans une zone interdite : Gérard Morpain, ■ Résister à l’École agrégé d’histoire au lycée du Havre. Les Jeunesses communistes et les Francs-tireurs et partisans (FTP) recrutent au sein des lycées. C’est la trajectoire des cinq martyrs du lycée Buffon, Une résistance enseignante qui basculent dans la lutte armée. Arrêtés par les Une résistance des élèves brigades spéciales de Vichy et remis aux autorités Parce qu’ils sont parmi les plus attachés à allemandes, ils sont condamnés à mort et ont été la République que souhaite faire disparaître le exécutés le 8 février 1943. Du fait de l’insouciance et de l’état d’es- régime de Vichy, parce qu’ils vivent particulière- prit contestataire qui peuvent la caractériser, Une importante organisation de Résistance se ment mal les mesures du nouveau régime au sein la jeunesse qui retrouve les bancs de l’école constitue dans les lycées parisiens : le corps franc du système scolaire, parce qu’ils sont parmi les ou de l’université en septembre-octobre 1940 Liberté, dont plus d’une centaine de membres premiers touchés par les mesures d’épuration au est sans doute l’une des premières catégories quitte la capitale à l’annonce du débarquement, sein de la fonction publique, les enseignants consti- à exprimer ouvertement son rejet de l’occupa- le 6 juin 1944, pour rejoindre les maquis de tuent un vivier important pour une résistance qui se tion allemande au sein de la société française. Sologne et participer à la lutte armée. 41 d’entre- développe dès les premiers mois de l’Occupation. Dans tous les départements, les préfets se font eux tombent sous les balles allemandes le 10 juin Nombreux sont les enseignants qui ne cachent pas l’écho dans leurs rapports des petits gestes de 1944 alors qu’ils ont été découverts dans des auprès de leurs élèves leur opposition au régime défi et de révolte (graffitis sur les murs, diffu- fermes près de La Ferté Saint-Aubin. D’autres de Vichy, ainsi Jean Guéhénno ou Pierre Favreau, sions de tracts fabriqués de façon artisanale, seront déportés et mourront dans les camps nazis tous deux professeurs au lycée Louis-le-Grand. imprécations et quolibets lancés à l’égard des comme François Bayet (1926 -1945). Cette opposition se manifeste jusqu’au plus Allemands ou des partisans de la collabora- Nombre de lycéens, élèves des classes haut niveau de la hiérarchie par la réaction de tion) qui se multiplient dans les lycées lors des préparatoires, étudiants et enseignants se sont l’inspecteur général de l’Instruction publique semaines qui suivent la rentrée scolaire. enfin engagés dans la France libre, à l’exemple Gustave Monod, qui refuse d’appliquer le statut Paris n’échappe pas à la règle, d’autant que d’Yves Guéna, Émile Chaline12 et André Quélen, des Juifs du 3 octobre 1940 8. Il est bien le seul. s’ajoute aux lycéens une population étudiante anciens condisciples au lycée de Brest, Le milieu des enseignants, chercheurs et univer- importante. En octobre 1940, les Renseignements d’Hubert Germain, de Léon Bouvier ou de sitaires fournit cependant quelques-uns des pion- généraux observent la progression d’un climat Marie Schnir (1907-1972), agrégée d’histoire- niers de la Résistance en région parisienne, comme frondeur à la Sorbonne, où les cours ont repris. géographie, directrice du lycée de jeunes filles le montrent l’exemple de Raymond Burgard, Cela se traduit par des lancers de tracts, des du Havre (septembre 1940-septembre 1941), qui professeur de français au lycée Buffon, l’un des inscriptions sur les murs, des papillons laissés servit au Commissariat à la Justice et à l’Instruction créateurs du mouvement Valmy, ou celui du réseau dans les livres de la bibliothèque universitaire publique, à Londres, après son évasion de France qui se constitue au sein du musée de l’Homme qui dénoncent la présence allemande. Les inci- par l’Espagne. La création de l’École des Cadets autour des enseignants-chercheurs Boris Vildé dents se multiplient au Quartier latin entre soldats de la France libre, la lutte contre Vichy pour le et Anatole Letwisky. Nommé professeur à la allemands et étudiants amenés à se croiser et à contrôle des lycées français à l’étranger, la parti- Sorbonne en mars 1941 après un passage à fréquenter les mêmes lieux. Le 25 octobre, à la cipation de la France libre aux discussions inter- l’université de Strasbourg replié à Clermont, faculté de médecine, la présence de trois officiers nationales en matière d’éducation, avec le rôle de Jean Cavaillès devient l’un des dirigeants du mou- allemands à un cours provoque le départ des étu- Louis Gros, agrégé d’histoire, constituent autant vement Libération-Nord, tandis que Lucie Aubrac, diants. La même scène se produit le 7 novembre d’initiatives. agrégée d’histoire-géographie devient une respon- à la Sorbonne. Des accrochages dans des cafés sable de Libération-Sud. du Quartier latin entre étudiants et membres des Focus En zone Sud, des enseignants jouent égale- forces d’occupation entraînent également la ment un rôle important dans la constitution des fermeture des établissements concernés, notam- • U n événement : la manifestation mouvements qui émergent en 1940 -1941. Le ment deux hauts lieux de la vie étudiante à Paris, du 11 novembre 1940. mouvement Liberté fondé par François de Menthon, le Café d’Harcourt, place de la Sorbonne, • U n établissement : le lycée Lalande, professeur de droit et d’économie à Lyon, recrute et les cafés Dupont-Latin et Capoulade. seul lycée décoré de la médaille de la Résistance. dans le milieu universitaire (Pierre-Henri Teitgen, • P ortraits : les cinq martyrs La manifestation des lycéens et étudiants du lycée Buffon/Jacques Lusseyran. René Courtin, Marc Bloch …). Des enseignants parisiens sur les Champs-Élysées le 11 novembre du secondaire sont les animateurs locaux de ces • U ne organisation : le corps franc Liberté/ 1940, alors que toute commémoration de organisations clandestines : Martial Brigouleix, le mouvement Défense de la France. l’armistice est interdite, constitue la première professeur de français et d’histoire géographie • U ne singularité : résister à l’école, en Alsace forme de manifestation collective contre l’occu- à Tulle au sein de Combat en Corrèze avec et en Moselle incorporées au Reich. pant et, selon le général de Gaulle, de résistance Edmond Michelet, ou Jean-Jacques Chapou, pro- et d’appui à son action. Elle entraîne une riposte fesseur de lettres au lycée de Cahors, proche de très importante des Allemands et de Vichy. Léon Jouhaux et responsable local de Libération. Le commandement allemand impose pendant plu- Une résistance du quotidien En milieu rural, les instituteurs constituent sou- sieurs semaines la fermeture de tous les établis- vent la cheville ouvrière des premiers groupes sements d’enseignement supérieur et demande Parce qu’ils sont du fait de leur statut par- et noyaux de résistance. Leur rôle ne cesse de une reprise en main des lycées. Le gouverne- ticulièrement exposés aux différentes mesures s’accroître au fur et à mesure que la résistance ment de Vichy relève de ses fonctions le recteur adoptées par le régime de Vichy ou l’occupant se développe. Ils exercent souvent la fonction Gustave Roussy, qui n’a pas su empêcher la allemand, les établissements scolaires sont des de secrétaire de mairie, ce qui leur permet de manifestation et le remplace à titre temporaire lieux où s’exerce également une importante résis- fabriquer des faux papiers et de fournir aux clan- par Jérôme Carcopino qui conserve sa fonction tance « au quotidien » qui, sans passer par un destins des tickets de rationnement. De nombreux de directeur de l’École normale supérieure11. engagement dans une organisation particulière, 5
n’en révèle pas moins un refus de s’accommo- secondaire constituent en fait deux filières civile et militaire (OCM), Les Cahiers de la Libéra- der avec l’ordre nouveau. Des petits gestes, des parallèles. Réservé à une élite, l’enseignement tion pour Libération Sud, L’Université libre pour le comportements et certaines formes de désobéis- secondaire, qui est payant et nécessite l’appren- Front national ou La Revue libre pour Franc-Tireur. sance développées par les enseignants dans le tissage du latin permet seul l’accès au bacca- À partir de l’été 1942, la création d’organes cadre de leur métier permettent de manifester lauréat et à l’université. Réservé aux meilleurs communs à l’ensemble de la Résistance facilite un désaccord avec la politique de Vichy. Parmi élèves du primaire après l’obtention du certi- la diffusion de ces débats. les attitudes les plus répandues figure le refus de ficat d’études, l’enseignement primaire supé- La fondation, en juillet 1942, sous l’impul- s’associer au culte de la personnalité rendu à rieur (EPS) permet l’accès à certains concours sion de Jean Moulin, du Comité général d’études Pétain en ne faisant pas chanter Maréchal nous et aux écoles normales, mais pas à l’université. (CGE) joue un rôle décisif en ce sens. Le CGE dis- voilà par les élèves ou en décrochant les portraits Du fait de programmes différents entre l’EPS et les pose de sa propre revue, Les Cahiers politiques, du chef de l’État. lycées, il n’existe enfin pas de passerelles entre animée par Marc Bloch, qui ont pour mission de Les persécutions raciales n’épargnent pas les deux. collecter les propositions de la Résistance inté- l’École, bien au contraire. En France, on compte À Londres, dès l’été 1940, de Gaulle confie rieure pour l’après-guerre et d’en proposer des 10 000 enfants et jeunes de moins de dix-huit ans la responsabilité des « questions intellectuelles synthèses à Londres. sur 76 000 déportés, du printemps 1942 à et juridiques » au juriste René Cassin. Lors de la On retrouve chez les résistants de l’intérieur l’été 1944. C’est dans le contexte de la persécu- formation du Comité national français (CNF), en la même volonté que chez les Français libres tion des Juifs et des rafles qui se mettent en place septembre 1941, ce dernier prend la charge d’un d’engager un processus de démocratisation de dans tout le pays à partir de 1942, et n’épargnent Commissariat à la Justice et à l’Instruction l’enseignement secondaire en sorte qu’émergent plus les enfants, que les établissements scolaires publique. En décembre 1941, un nouveau de son sein des élites puisées dans les racines deviennent des lieux importants du « sauvetage ». pas est franchi avec la constitution de quatre populaires de la nation. Cette idée se lit dans le commissions pour l’étude des problèmes de programme commun adopté en mars 1944 par Alors que de nombreux enfants juifs sont l’après-guerre16. Sous l’autorité de René Cassin, hébergés avec l’aide de l’Œuvre de secours aux le Conseil national de la Résistance (CNR) qui voit ainsi le jour une Commission d’études des proclame « la possibilité effective pour tous les enfants (OSE) notamment, des écoles acceptent problèmes intellectuels et de l’enseignement. de les scolariser pour leur permettre de conti- enfants français de bénéficier de l’instruction et Présidée par Joseph Cathala, professeur de nuer leurs études. Les enfants sont scolarisés soit d’accéder à la culture la plus développée, quelle chimie à l’université de Toulouse avant la guerre, par détachement d’enseignants, comme c’est que soit la situation de fortune de leurs parents, la commission travaille de juillet 1942 à juillet 1943. le cas pour la maison d’enfant de Masgelier afin que les fonctions les plus hautes soient réelle- À Alger, après la formation du CFLN en 1943 dans la Creuse, soit par l’accueil dans les ment accessibles à tous ceux qui auront les capa- est créée, sous l’autorité de René Capitant, com- classes existantes (comme à Chabannes dans cités requises pour les exercer et que soit ainsi missaire du CFLN à l’Éducation nationale, une le même département). À la fin de 1942 les promue une élite véritable non de naissance, commission de réforme de l’enseignement. Cette dirigeants de l’OSE choisissent de disperser mais de mérite et constamment renouvelée par les commission, présidée par l’historien Marcel Durry les enfants regroupés dans les maisons afin de apports populaires ». est composée essentiellement d’enseignants et leur permettre d’échapper aux rafles. Des col- de chercheurs (Francis Perrin, Louis Gernet ou Chez les résistants de l’intérieur se lit enfin lèges et lycées dotés d’un internat accueillent Henry Laugier). Elle se réunit de mars à août 194417. la volonté de promouvoir de nouvelles méthodes, dans la Creuse de nombreux enfants juifs au profit d’une pédagogie active défendue cachés par le réseau Garel. Ce fut le cas à Parmi les projets développés par la France notamment par Marc Bloch pour mettre fin au La Souterraine où le directeur, J.-B. Robert a été libre figure celui, totalement révolutionnaire pour « bachotage » et à des enseignements trop reconnu « Juste » mais aussi à Bourganeuf, au l’époque, de créer une « École unique » et de rendre obligatoire et d’unifier l’enseignement théoriques, comme en témoigne son article collège d’Aubusson, au lycée de Guéret 13. « Sur la réforme de l’enseignement » publié dans secondaire. Les réformateurs de la commission Cathala l’expriment avec clarté en avril 1942 : Les Cahiers politiques, dont il est rédacteur en « Par expérience, nous avons la conviction que tous chef, en juillet 1943. C’est le même Marc Bloch Focus qui, alors qu’il est un des chefs de la Résistance, • Gabrielle Perrier, l’institutrice d’Izieu. les enfants peuvent suivre des études secondaires ». Le primaire devenait l’antichambre du secondaire. écrit sur le latin en classe, quelques mois avant • Le lycée de La Souterraine, lieu de sauvetage d’être fusillé 18. des enfants juifs en Creuse. Le rapport de la commission Durr y • Les actions résistantes des lycéens d’août 1944 trace l’ébauche d’une vaste révo- et des enseignants et les risques encourus : lution du système éducatif : âge de l’obligation Focus focus sur des déportés ou sur des lycées victimes scolaire porté à 16 ou 18 ans ; gratuité totale de • Les Cahiers de l’OCM. de rafles. l’enseignement public ; unification des lycées, des • Le Comité général d’études (CGE) du CNR. • Résister à l’école, dans l’Empire/ écoles primaires supérieures et des cours complé- dans les établissements d’enseignement français mentaires ; suppression des barrières propres à l’enseignement secondaire traditionnel (« petites L’École de la France libérée à l’étranger. classes » des lycées, examen d’entrée en sixième, examen des bourses, latin obligatoire). Libérer la France, est-ce libérer l’École ? Le baccalauréat fait l’objet de débats passion- La Libération n’accouche pas forcément des ■ Penser l’École nés, entre ceux qui proposent de le supprimer de réformes qui avaient été envisagées par les résis- façon à étendre à l’université la démocratisation tants, dans la France libre ou à l’intérieur. Elle se des lendemains 14 programmée et ceux qui, plus prudents, enten- déroule aussi dans un cadre de structures sco- daient simplement le réformer, en introduisant la laires qu’il convient de replacer dans un temps L’École de la France libre prise en compte du contrôle continu. La commis- plus long. Elle se déroule enfin dans un contexte sion laissa cette épineuse question de la réforme d’épuration de la fonction publique 19. La France libre s’est conçue très tôt comme du baccalauréat en suspens. La Libération se déroule, pour la France le gouvernement légitime de la France. Il était et pour l’essentiel d’août-septembre 1944 à normal qu’elle développât des structures de Focus mai 1945, le Comité français de la Libération réflexion sur l’avenir de la France et les réformes • Enseignement primaire et enseignement secondaire : nationale (CFLN) est mis en place le 3 juin 1943 à engager dans le milieu scolaire. Comme du deux filières parallèles et socialement marquées et le Gouvernement provisoire de la République côté de Vichy, la France libre considérait, elle à la veille de la guerre. française (GPRF) le 3 juin 1944. La période de aussi, que la défaite de 1940 n’était pas qu’une « gouvernement » du général de Gaulle dure • L a commission Cathala/ la commission Durry. défaite militaire, mais révélait également une donc ensuite moins de deux ans. Mais elle est • Portraits : René Cassin, René Capitant. désagrégation profonde de la nation et de ses importante dans bien des domaines comme valeurs. L’École devait donc dans un tel contexte en témoignent les réformes de structures à un constituer l’instrument du redressement15. Au-delà L’École de la Résistance moment où la France est encore en guerre, où d’un constat similaire, les solutions envisagées à la refonte d’une Armée semble plus urgente que Londres étaient totalement opposées à la poli- La Résistance intérieure conduit également celle de l’École 20, où à Sétif, au Liban ou en Indo- tique réactionnaire développée par Vichy. une importante réflexion sur les réformes à mener chine des incendies font rage. Refaire l’Armée et Les Français libres n’accusent en effet pas à la fin de la guerre dans le domaine scolaire. rétablir l’ordre, donc. Il n’empêche : de 1940 à les réformes du Front populaire et les premières La presse clandestine est le lieu naturel et privilé- 1944, durant les jours les plus sombres comme mesures de démocratisation de l’École d’être gié de la présentation des débats intellectuels de les plus glorieux, en France comme hors du terri- responsables de la défaite, mais considèrent à la Résistance. Dès 1942, la plupart des grands toire national, des patriotes de tous bords n’ont l’inverse nécessaire d’aller encore plus loin en mouvements de Résistance disposent, à côté de jamais cessé de penser à l’École des lendemains. supprimant progressivement le caractère élitiste leur périodique principal, de revues clandestines, Elle est présente à la Libération. et le recrutement « bourgeois » de l’enseignement le plus souvent d’une haute tenue intellectuelle, La question scolaire est posée à la fois par la secondaire. Au cours de l’entre-deux-guerres, consacrées aux questions culturelles et poli- France libre, par la France combattante, par la l’enseignement primaire et l’enseignement tiques : ainsi Les Cahiers pour l’Organisation Résistance intérieure et développée par des textes 6 C oncours N ational de la R ésistance et de la D éportation – 2022-2023
issus de commissions, de groupes d’études et de À la Libération se font jour et s’opposent cepen- La plupart des projets de réformes sur rapports. Les débats intellectuels qui ont eu lieu dant des stratégies politiques marquées par la démocratisation et la mise en place d’une pendant la guerre, marqués à la fois par le trau- un dissensus croissant 23. La laïcité, la réforme école unique sont repris dans le rapport de la matisme de la défaite, l’inadaptation de l’École scolaire et la question de l’enseignement privé commission Langevin - Wallon qui travaille du de la IIIe République et de son enseignement trop traversent les positions divergentes des partis, 8 novembre 1944 au 19 juin 1947 29. Si le abstrait et la nécessité d’une réforme de l’ensei- du tripartisme de 1945 à la troisième force de rapport est rejeté en 1947 dans un contexte gnement révèlent des éléments de convergence. 1947 24. de guerre froide naissante, il n’en reste pas La question semble bien recouper celle de la La France libre fait preuve d’une autre moins un texte de référence, en creux comme continuité de l’avant et de l’après, de Jean Zay audace 25. Autour de la question décidément cen- en relief, qui pourra inspirer certaines réformes, à 1945, et s’articule autour de deux grands trale des élites et de leur rôle se trace une ligne de des années 1950 jusqu’aux années 1970. C’est moments : le Front populaire et l’immédiat après- partage. Pour les résistants, il faut les renouveler, également dans l’esprit de l’École de la Libéra- guerre. Quelle est la part relative de la France pour les Français libres, il faut les ouvrir. Le général tion qu’on peut évoquer celles qu’entreprend le libre et de la Résistance dans les réformes de de Gaulle l’écrit : « Plus que jamais, il me fallait général de Gaulle dès 195830. la Libération ? Quelle est la postérité de cette donc prendre appui dans le peuple, plutôt que période courte et intense, qui s’ouvre en 1940 dans les “élites” qui entre lui et moi tendaient à avec le traumatisme de la défaite, culmine de s’interposer ». Les opposant, de Gaulle ajoute que Focus septembre 1944 à janvier 1946 et semble s’arrê- « jamais la masse des Français ne tint la défaite • Le rapport Langevin-Wallon. ter avec le départ du général de Gaulle ? Quelle pour acquise 26 » . Le sujet vient évidemment • Portraits de quelques résistants qui deviennent des est la réalité d’un « banc d’essai » du gaullisme achopper sur celui des études longues : pour les acteurs des évolutions scolaires après la guerre : ex. de l’immédiat après-libération du territoire ? Français libres, l’élitisme républicain ne suffit pas. l’inspecteur général Louis François 31 et l’inspecteur Une réflexion l’emporte sur les autres : mal- L’attitude des corps intermédiaires est mise en cause. général Gustave Monod, directeur de l’enseignement gré les réformes entamées par le Front populaire, Un lien direct et indispensable entre le peuple et du second degré au sein du ministère. l’École n’est pas assez démocratique. Surtout, des ses élites doit passer par une refonte de l’École ! • F ormer des élites au service de l’État : la création de élites mal éduquées ont failli, même si les fils ont De ce point de vue, des réformateurs d’Alger l’École nationale d’administration en 1945. pu racheter les fautes de leurs pères, en particulier au GPRF de Paris, les sujets ne manquent pas : • H istoire et mémoires de l’École : enquêtes dans les dans la France libre 21. Démocratiser l’École, c’est la formation des maîtres, le lycée comme établissements scolaires, plaques commémoratives la rendre plus ouverte et méritocratique, comme épicentre de l’École, la démocratisation et cérémonies, associations d’anciens élèves et l’écrit le CNR 22. Former les élites, c’est tout comme finalité. d’enseignants… l’objectif des inspecteurs généraux de l’Instruction On y retrouve d’authentiques et audacieux publique Gustave Monod et Louis François. réformateurs : René Capitant, ministre de l’Édu- L’École, celle des jours sombres jusqu’aux Mais l’« audace réformatrice » n’est pas la cation nationale du GPRF, Gustave Monod, lendemains de la Libération pose encore, à même chez tous. Les résistants de l’intérieur sont directeur de l’enseignement du second degré l’École d’aujourd’hui, des questions toujours partisans d’une réforme radicale, mais leurs de 1944 à 1951 27, Louis François. Ce dernier actuelles. C’est dans ce dialogue du passé au projets se révèlent in fine plus modérés que réalise une synthèse de l’École, de la Libération présent et du présent au passé que notre École ceux de la France libre… La condamnation du et de la République. Officier sous les ordres du peut rendre hommage à l’École de la France bachotage ne va pas jusqu’à l’anti-intellectua- général de Gaulle à la 4e division cuirassée libre, de la Résistance et de la Libération. lisme. Ce n’est pas parce que Vichy a dévoyé de réserve en mai-juin 1940, il est résistant l’État qu’il faut s’en passer. L’Éducation doit être du réseau Confrérie Notre-Dame, déporté. nationale et l’École doit être publique. Des textes Inspecteur général de l’Instruction publique en Tristan Lecoq de la Résistance intérieure, c’est cependant une 1945, il introduit dans les années qui suivent forme de prudence qui émerge, ce qui permet l’instruction civique, jusque-là réservée à l’école Inspecteur général (histoire-géographie) d’éluder les questions les plus fondées : laïcité, élémentaire, dans l’enseignement secondaire 28. Président du collège national école unique, avenir de l’enseignement supérieur. Pour former les élites à la République ! des correcteurs du CNRD 32 1. Pour une lecture d’ensemble de la période, Tristan Lecoq et Laurent 5 000 lycéens et étudiants sur 50 000, soit 1/10 des effectifs de l’époque. 23. Isabelle Clavel, « Réformer l’École après 1944 : du consensus au dissen- Douzou (dir.), Enseigner la Résistance, Paris, Canopé, 2016 ; Sébastien Rapporté aux effectifs d’aujourd’hui, soit 200 000 collégiens et lycéens et sus entre la SFIO et le MRP » Histoire@Politique. Politique, culture, société, Albertelli, Julien Blanc et Laurent Douzou, La Lutte clandestine en France. 300 000 étudiants, ce chiffre donnerait 50 000 manifestants, en pleine Paris, n° 18, septembre-octobre 2012. Une histoire de la Résistance 1940-1944, Paris, Seuil, La Librairie du Occupation. 24. Les débats de la commission Philip, réunie le 6 novembre 1944 pour XXIe siècle, 2019 ; Fabrice Grenard, Le Choix de la Résistance, Paris, PUF, 2021 12. Élève en classe préparatoire à l’École navale, Émile Chaline rejoint Londres étudier le problème des écoles publiques et privées, en sont un témoignage. et, pour l’histoire de l’École, Jean-François Condette, Jean-Noël Luc et quelques jours après l’appel du 18 juin. Élève officier des Forces navales fran- Sur ce point, on lira Antoine Prost, « La commission Philip sur la laïcité » Yves Verneuil, Histoire de l’enseignement en France XIXe-XXIe siècle çaises libres (FNFL), il fait carrière dans celles-ci puis dans la Marine nationale. in Christian Chavandier et Gilles Morin (dir.), André Philip, socialiste, (chapitre 9 « L’École dans la Seconde Guerre mondiale.1939-1945 », Paris, Il quitte le service armé en 1981 comme vice-amiral d’escadre. patriote, chrétien. Colloque « Redécouvrir André Philip » tenu à l’Assemblée Armand Colin, 2020, p. 205-215. 13. Le sauvetage des enfants juifs de France. Actes du colloque de nationale les 13 et 14 mars 2003, Paris, Comité pour l’histoire économique 2. Sur le déplacement et l’accueil des Alsaciens dans le Sud-Ouest de la Guéret, 29 et 30 mai 1996, Association pour la recherche et la sau- et financière de la France, 2005. France Shannon L. Fogg, The Politics of Everyday Life in Vichy France : vegarde de la vérité historique sur la Résistance en Creuse, 1998. 25. Jean-François Muracciole, « La Résistance, l’éducation et la culture » in Foreigners, Undesirables and Strangers, Cambridge University Press, 2011. Pour une approche générale des stratégies de sauvetage des Juifs en Tréma 12/13 2010. 3. Le nombre de bacheliers en 1939 est de 27 000, soit 8 % de la tranche France, Jacques Semelin, La Survie des Juifs en France 1940-1944, 26. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 3, « Le Salut 1944-1946 », d’âge correspondante de la population française. Paris, CNRS éditions, 2018. Paris, Plon, 1954, p. 592. 4. Matthieu Devigne, L’École des années noires. Une histoire du primaire en 14. La thèse de Jean-François Muracciole « Les projets de la France libre 27. Rémy Handourtzel, « Gustave Monod à la tête de l’enseignement du se- temps de guerre, Paris, PUF, 2018. et de la Résistance en matière d’éducation (enseignement, jeunesse, sport, cond degré » Les Cahiers de l’animation 1986 IV, V numéro 57/58, Paris, 5. Rémy Handourtzel, Vichy et l’École 1940-1944, Paris, Noêsis, 1997 et Ju- culture) 1940-1944 » soutenue en 1995 à l’université Lille III est une source 1986. Gustave Monod connaîtra de 1947 à 1951 cinq ministres de l’Éducation liette Fontaine « Réformer l’École sous Vichy. Changements et permanences essentielle pour traiter de l’ensemble du sujet. Elle est publiée sous le titre nationale. de l’institution scolaire dans la France occupée (1940-1944) », in Éducation Les Enfants de la défaite : la Résistance, l’éducation et la culture, Paris, 28. C’est la circulaire du 10 mai 1948 qui développe ses conceptions d’une et sociétés, n° 36/2015/2, Paris, 2015. Presses de Sciences Po, 1998. formation à la vie civique de la communauté politique des lycéens, futurs 6. L’agrégation de géographie est créée en 1943. Sur l’histoire de la géo- 15. L’ouvrage de Marc Bloch L’Étrange Défaite, Paris, Gallimard, 1990 citoyens. C’est en 1959 que Louis François, membre du cabinet de son ami graphie entre 1939 et 1945, voir Nicolas Ginsburger, Marie-Claire Robic et montre bien la façon dont le traumatisme de 1940 provoque une réflexion, André Boulloche, compagnon de la Libération et ministre de l’Éducation natio- Jean-Louis Tissier (dir.), Géographes français en Seconde Guerre mondiale, chez les résistants, sur l’École et sa réforme. nale du général de Gaulle, obtient que soit confié aux professeurs d’histoire Paris, Éditions de la Sorbonne, 2021. 16. Décret du 2 décembre 1941, Journal officiel de la France libre, 20 jan- et de géographie l’enseignement de l’instruction civique. C’est à ce moment 7. Sur la Révolution nationale à l’École, Rémy Handourtzel, « Vichy ou l’échec vier 1942, p. 2. que sont dessinés les premiers contours d’un concours de la Résistance. de l’école nationale (été 1940-été 1944) » in Benoît Falaize, Charles Heimberg 17. Arrêté du 21 janvier 1944, Journal officiel de la République française 29. Arrêté du 8 novembre 1944 portant création d’une Commission d’études et Olivier Loubes (dir.), L’École et la nation, Paris, ENS éditions, 2013. (Alger), 29 janvier 1944, p. 88. pour la réforme de l’enseignement Journal officiel de la République 8. Tristan Lecoq, « Gustave Monod : l’inspecteur général qui a dit non » 18. Marc Bloch, capturé dans la nuit du 8 mars 1944, est emprisonné à française, 10 novembre 1944, p. 1268. in L’Histoire, n° 357, octobre 2010. Montluc et fusillé le 16 juin par les Allemands. 30. Pour une lecture de cette période, on lira Serge Berstein, Pierre Birnbaum 9. Fabrice Grenard, « Les instituteurs dans les maquis » in Le Maitron, 19. François Rouquet, « Mon cher Collègue et Ami ». L’épuration des et Jean-Pierre Rioux (dir.), De Gaulle et les élites, Paris, Éditions La Découverte, janvier 2018. universitaires (1940-1953), Rennes, PUR, 2010. 2008 (Bruno Poucet, chapitre 8, « Les cadres de l’Éducation nationale et les 10. Fabrice Grenard, Une légende du maquis. Georges Guingouin, du mythe 20. Tristan Lecoq, « Refaire l’Armée française (1943-1945) : l’outil mili- ambitions gaulliennes de réforme pour l’école et l’université » p. 128-142). à l’histoire, Paris, Vendémiaire, 2014. taire, l’instrument politique, le contrôle opérationnel » in Guerres mondiales 31. Jean-Paul Martin, Nicolas Palluau (dir.), Louis François et les frontières 11. Maxime Tandonnet, 1940. Un autre 11 novembre, Paris, Tallandier, et conflits contemporains, n° 257, janvier-mars 2015, Paris, Presses univer- scolaires, Rennes, PUR, 2014. 2009 et Alain Monchablon, « La manifestation à l’Étoile du 11 novembre sitaires de France, avril 2015. 32. Cette note de cadrage n’aurait pas été possible sans le remarquable 1940. Histoire et mémoires », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, 21. Jean-François Muracciole, Les Français libres. L’autre résistance, Paris, travail préparatoire accompli par Fabrice Grenard, agrégé et docteur en 2011/2, n° 110, p. 67-81. Sur le rôle de l’historien Jérôme Carcopino Tallandier, 2009. histoire, directeur historique et chef du département recherche et au cours de la période, Stéphanie Corcy-Debray, Jérôme Carcopino, 22. Claire Andrieu, Le Programme commun de la Résistance. Des idées dans pédagogie de la Fondation de la Résistance. Qu’il reçoive l’expression de ma un historien à Vichy, Paris, L’Harmattan, 2003. La manifestation rassemble la guerre, Paris, Éditions de l’Érudit, 1984. reconnaissance. Cette note n’engage par ailleurs que son signataire. 7
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