De Madame Bovary à Bouvard et Pécuchet : deux éditions numériques des manuscrits de Flaubert
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71 Schedae 2011 Prépublication n° 7 | Fascicule n° 1 De Madame Bovary à Bouvard et Pécuchet : deux éditions numériques des manuscrits de Flaubert Yvan Leclerc Université de Rouen, Centre Flaubert Le site consacré à l’édition numérique des manuscrits de Madame Bovary est ouvert au public depuis le 15 avril 2009 1. Il a fallu une dizaine d’années pour arriver à ce point, si l’on fait débuter l’opération par la condition qui en a permis la réalisation : la mise en ordre génétique des manuscrits du roman. Avant même l’inauguration de ce site, le Centre Flaubert de l’université de Rouen a entamé un chantier comparable sur l’autre grand manuscrit de Flaubert conservé à la bibliothèque municipale de Rouen, Bouvard et Pécuchet, premier volume, le second étant pris en charge par une équipe internationale dirigée par Stéphanie Dord-Crouslé 2. Du premier au dernier roman publié par Flaubert, il y a continuité dans la mise en œuvre informatique, mais aussi quelques changements, imposés par la nature des deux dossiers ou apportés par des améliorations techniques, en particulier sur le plan du balisage. Alors que nous sommes au milieu du gué, entre un site achevé (mais interminable) et un chantier en construction, le moment semble venu, grâce à la distance où se trouvent les deux rives, d’esquisser un bilan d’étape et d’évaluer les enseignements dont nous tirons désormais profit. 1. Le site est consultable à l’adresse : http://www.bovary.fr. Voir Yvan Leclerc, « L’édition intégrale en ligne des manuscrits de Madame Bovary » et Danielle Girard, « Apports et limites du numérique dans la trans- cription des manuscrits de Madame Bovary », Recherches et travaux, n° 72, 2008, « De l’hypertexte au manuscrit. L’apport et les limites du numérique », p. 229-240 et 241-248. 2. Voir ici même la présentation de ce projet par Stéphanie Dord-Crouslé. Dans la suite de notre texte, sauf indication contraire, la mention Bouvard et Pécuchet renvoie toujours au premier volume. Yvan Leclerc « De Madame Bovary à Bouvard et Pécuchet : deux éditions numériques des manuscrits de Flaubert » Schedae, 2011, prépublication n° 7 (fascicule n° 1, p. 71-78).
72 Retour sur Madame Bovary L’expérience du site Bovary commence aux temps préhistoriques pour nous, c’est-à-dire au début des années 2000. Nous étions familiers de la critique génétique ; nous savions transcrire une page de manuscrit pour en donner une version sur papier en présentation diplomatique ou linéarisée. Une édition en livre des Plans et scénarios de Madame Bovary avait été publiée en 1995 aux éditions Zulma/CNRS, accompagnée d’une disquette qui présentait un outil de navigation hypertextuel dû à Daniel Ferrer. Mais de la réalisation d’une édition électronique, nous n’avions à peu près aucune idée, pour ne pas parler de balisage. Nous balisions, certes, nous balisions beaucoup, non pas au sens où nous posions des balises d’encodage, mais parce que nous étions pris de peur devant l’énormité du corpus à traiter. La conception de la navigation avait été rendue possible grâce au classement effectué par Marie Durel, dans le cadre de sa thèse, soutenue à l’université de Rouen en 2000 3. En prenant appui sur des travaux antérieurs, en particulier le classement statique dû à Hisaki Sawazaki, elle a classé page par page les 3 520 pages de brouillons sur les 4 546 pages que comporte le corpus complet, la différence s’expliquant par trois autres types de dossiers déjà ordonnés, les plans et scénarios, traités antérieurement, le manuscrit autographe définitif et le manuscrit du copiste, paginés en continu dès l’origine. Nous savions comment présenter l’histoire interne de l’écriture dans un tableau à double entrée, l’enchaînement des épisodes déroulé horizontalement, et les états de textes − autour de dix pages en moyenne pour une page « définitive » −, empilés par strates successives à la verticale. Jean-Eudes Trouslard, développeur multimédia, a mis au point une base de données et un « tableau génétique » de navigation dans l’ensemble du corpus, chaque page se trouvant positionnée, en respectant la longueur du fragment textuel travaillé par Flaubert, selon les deux axes de la narration et de la réécriture. Aidée par le ministère de la Culture, la bibliothèque municipale de Rouen a numérisé l’intégralité du dossier manuscrit de Madame Bovary en 2002-2003, sous la responsabilité de Pierre-Yves Cachard ; elle a attribué le développement du site à une société informatique, mais celle-ci n’a pas pu mener à bien l’entreprise, et c’est Jean-Eudes Trouslard qui est intervenu pour « finaliser » le site et en permettre l’ouverture. La bibliothèque a ainsi rempli ses deux missions de conservation, par la numérisation, et de mise à disposition d’un très large public, par la diffusion des fac-similés sur Internet. Dès la fin de la numérisation, les transcriptions ont pu commencer. Leur nécessité s’est d’emblée imposée comme une évidence : même pour un flaubertien de métier, l’écriture de Flaubert n’est pas toujours lisible au premier regard, et ses brouillons, on le sait, sont à ce point surchargés de ratures et d’ajouts qu’ils ont été pendant longtemps tenus pour illisibles. Outre la lecture des manuscrits, les transcriptions répondaient au besoin de fournir, à côté des images fixes, des suites de caractères reconnaissables par un moteur de recherche, outil indispensable pour interroger un corpus de si vastes dimensions. Pour la mise en œuvre de ces transcriptions, les choix que nous avons faits résultent plus, à la réflexion, de contraintes multiples que de libres décisions. La première contrainte concerne les transcripteurs. Le traitement d’un corpus à quatre chiffres excluait de recourir à une équipe de spécialistes de Flaubert, trop peu nombreux et tous fort occupés. Certain(e)s flaubertien(ne)s nous ont généreusement prêté leur concours (par exemple Stéphanie Dord-Crouslé, Rosa Maria Palermo, Stella Mangiapane, Peter Michael Wetherill), mais il a fallu élargir le cercle à des transcripteurs bénévoles. Certes, ces amateurs passionnés ont dû se familiariser très vite avec les particularités graphiques, les abréviations usuelles et les tics d’écriture d’un auteur dont ils découvraient les manuscrits, mais l’expérience 3. Marie Durel, Classement et analyse des brouillons de Madame Bovary de Gustave Flaubert, thèse de Lettres modernes, Yvan Leclerc (dir.), Université de Rouen, 2000, 2 vol. Schedae, 2011, prépublication n° 7 (fascicule n° 1, p. 71-78). http://www.unicaen.fr/services/puc/preprints/preprin0072011.pdf
73 prouve qu’après un temps d’accoutumance, l’amateur, qui connaît évidemment bien le roman achevé, déchiffre aussi bien le manuscrit qu’un chercheur. Autrement dit, la qualité de spécialiste de l’auteur n’est pas un certificat absolu de fiabilité, et l’on pourrait citer tel flaubertien patenté dont les transcriptions fourmillent d’erreurs, même quand il reproduit les plans et scénarios de Madame Bovary, pourtant transcrits avant lui dans les éditions Pommier-Leleu et dans le fac-similé de Zulma/CNRS. La connaissance de l’œuvre imprimée est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour transcrire ces manuscrits avec exactitude. Ce sont les regards croisés, les lectures multiples qui permettent de corriger les fautes inévitables dans ce genre d’exercice. Toutes les transcriptions des manuscrits de Madame Bovary ont donc été relues au moins une fois. Sur les millions de signes que comptent les 4 546 pages transcrites, il reste évidemment des fautes. Les généticiens, ceux du moins qui sortent de la théorie pour prendre des leçons de modestie en réalisant des travaux pratiques, ont coutume de dire qu’une transcription n’est jamais parfaite, mais toujours perfectible. C’est pourquoi nous avons placé dans la barre de navigation, au-dessus de la fenêtre de visualisation, un bouton « Suggestions » qui permet d’envoyer une proposition de correction. Ainsi tendrons-nous vers le zéro défaut, grâce à la collaboration « interactive », comme on dit aujourd’hui, des utilisateurs qui peuvent participer à l’amélioration des transcriptions. Les volontaires qui offraient leur concours étaient invités à passer d’abord dans ce que Wikipedia appelle joliment un « bac à sable », sous la forme d’un petit test de transcription qui leur permettait de s’évaluer. Ceux qui ne s’étaient pas découragés recevaient ensuite un lot cohérent de folios, accompagné de consignes simples. Ces consignes comportaient quelques balises graphiques en Word pour réaliser une transcription de type diplomatique : l’italique et le bleu pour les ajouts (un seul code suffit normalement, mais nous avons pensé aux imprimantes en noir et blanc qui annulent le code couleur), le style barré pour les ratures, etc. Les transcripteurs étaient guidés, conseillés, par Danielle Girard, qui a donné à cette aventure intellectuelle la dimension d’une aventure humaine collective. Le seul prérequis pour ces transcripteurs bénévoles était de savoir saisir un texte avec un traitement de texte Word. Ils n’avaient en général pas d’autres compétences informatiques, et nous à peine plus qu’eux. Eussions-nous été experts en TEI qu’il aurait été impensable de leur demander d’encoder les transcriptions, opération longue et experte, qui suppose la collaboration d’un informaticien. Ici intervient une autre contrainte : le budget dont nous disposions. La Région Haute-Normandie nous a beaucoup soutenus financièrement, dans le cadre de l’Institut de recherche en sciences humaines et sociales (à hauteur de 25 000 euros environ), ainsi que l’université de Rouen et notre laboratoire Cérédi (Centre d’études et de recherche « Éditer- Interpréter »), mais ces aides n’auraient pas été suffisantes pour embaucher à temps plein un ou plusieurs informaticiens chargés de l’encodage. Autre contrainte, technique cette fois, liée à la relative pauvreté de nos moyens : les fichiers Word envoyés par les transcripteurs étaient convertis, le plus souvent par Danielle Girard, en fichiers HTML, après nettoyage des codes parasites de Word. Le HTML permet une transcription à peu près diplomatique de la page manuscrite, les différents blocs de texte étant positionnés dans les cellules invisibles des tableaux faits sous Word, mais il ne restitue pas les informations graphiques autres que les caractères d’un clavier. Les signes alphanumériques de renvoi sont bien présents, mais les tracés graphiques n’ont pas pu être reproduits, par exemple les traits de liaison si importants dans les manuscrits de Flaubert, pour suivre les raccords des ajouts marginaux et interlinéaires. Le PDF aurait pu prendre en charge les informations non linguistiques du manuscrit, mais ce format aurait rendu les transcriptions difficilement interrogeables par le moteur de recherche. Aussi ne visons-nous pas le mimétisme formel intégral du fac-similé, comme dans les transcriptions entièrement diplomatiques. Il est à craindre d’ailleurs qu’un mimétisme absolu nuise à la lisibilité du texte : c’est l’enseignement que l’on peut retirer de certaines expériences limites de transcriptions Schedae, 2011, prépublication n° 7 (fascicule n° 1, p. 71-78). http://www.unicaen.fr/services/puc/preprints/preprint0072011.pdf
74 hyperdiplomatiques, dans lesquelles on mesure l’angle d’inclinaison des lignes sur la page, des mots dans la ligne, la hauteur et l’étirement des lettres, la longueur des espaces, etc. L’œil se fatigue et l’esprit se perd. À l’inverse de ces tentatives ludiques de décalque, nos transcriptions ont été conçues pour apporter une aide à la lecture directe des manuscrits en mode image, qui peuvent toujours être affichés dans la double-fenêtre de visualisation. Autrefois, quand le papier limitait pour des raisons techniques et économiques la reproduction en fac-similé des manuscrits, la transcription se substituait à l’image et devait donc donner une image intégrale de l’autographe manquant. Nous pensons au superbe travail de Jeanne Goldin qui, en 1984, a transcrit tous les brouillons du chapitre 8 de la deuxième partie du roman, les « Comices agricoles » 4. Le nouveau support permettant le vis-à-vis de toutes les images et des transcriptions nous place désormais dans une situation de paradoxe : d’une part, il nous oblige à une grande fidélité, car chacun peut vérifier l’exactitude de la transcription en se reportant à l’image, mais dans le même temps, il nous libère de l’obligation de coller au plus près du manuscrit, puisqu’il est affiché en permanence et qu’on peut y recourir pour disposer de toutes les informations que la transcription n’aurait pas prises en charge, et spécialement les informations non linguistiques. Le HTML présente certes des inconvénients, en particulier celui d’être plastique et mobile : l’agrandissement des caractères ou les configurations différentes des écrans d’ordinateur peuvent provoquer des retours à la ligne inopportuns. Mais c’est le prix à payer pour disposer d’un texte fluide, récupérable en « copier/coller » et interrogeable. Supposons d’ailleurs des conditions scientifiques et financières optimales : les transcrip- teurs, que nous avons beaucoup d’argent pour rétribuer, sont des experts en balisage, et nous avons l’éternité devant nous pour encoder 4 549 pages. Une question se serait posée alors : quoi baliser ? Qu’est-ce qu’on encode ? Nous aurions été bien incapables de répondre à cette question simple, car tout est signifiant dans le texte, et il est impossible de prévoir les usages qui en seront faits par les chercheurs ou les visiteurs de ces millions de signes. Dans son outil de navigation hypertextuel sur les scénarios, corpus restreint de 61 pages, Daniel Ferrer avait posé quelques jalons thématiques signalés dans les transcriptions par des zones grisées : il suffisait de cliquer sur une occurrence de « bal », par exemple, pour faire apparaître toutes les autres occurrences du mot. Il avait par ailleurs prédéfini des parcours accessibles sous forme de liste : les passés simples (indicateurs d’un début de textualisation dans les scénarios par nature atemporels), les notes de régie et un parcours « érotique », Flaubert à ce stade se racontant l’histoire en termes très crus. Mais ces parcours ne nous paraissaient plus pertinents dans les brouillons, où les verbes sont conjugués au passé, où les notes de régie, limitées à la phase programmatique des scénarios disparaissent dans leur effectuation, et où le vocabulaire explicitement sexuel s’euphémise dès que Flaubert passe aux phrases en instance de publication. En fait, nous nous trompions pour les deux derniers cas : nous avons découvert que les notes de régie accompagnent pendant longtemps la rédaction, parfois jusque dans la marge du manuscrit définitif, et que des expressions à renverser le procureur Pinard se trouvent encore dans un état avancé du texte. Fort heureusement pour Flaubert, ses manuscrits privés n’ont pas été saisis comme pièces à conviction au moment du procès. Donc, nous n’aurions pas su où poser des balises en commençant les transcriptions. Dans ce dossier génétique où le même passage est réécrit une dizaine de fois en moyenne, où tous les mots sémantiquement pleins sont susceptibles d’une requête, l’important était de disposer d’un moteur de recherche adapté, avec un affichage ordonné des résultats dans 4. Jeanne Goldin, Les Comices agricoles de Gustave Flaubert ; transcription intégrale et genèse des manus- crits, Genève, Droz, 1984. Schedae, 2011, prépublication n° 7 (fascicule n° 1, p. 71-78). http://www.unicaen.fr/services/puc/preprints/preprin0072011.pdf
75 un contexte assez large qui permette immédiatement de voir quelles occurrences sont pertinentes par rapport à la requête. C’est en effet tout l’intérêt du moteur de recherche mis au point par Jean-Eudes Trouslard. Je disais : nous n’aurions pas su quoi baliser. Et pourtant, Danielle Girard a très tôt repéré des récurrences remarquables, susceptibles de constituer des réseaux de sens. Elle a demandé aux transcripteurs de transmettre, en même temps que leurs fichiers, une liste d’observations dont elle a établi les entrées. Les transcripteurs étaient ainsi invités à relever : – les normandismes (« se dégouginer » pour se déniaiser), les termes d’argot (« la balle d’un homme » pour sa physionomie), les néologismes, les archaïsmes du temps de Flaubert, les mots disparus aujourd’hui, etc. ; – les figures de style remarquables, en particulier les comparaisons ; – les occurrences de « nous » et « vous » en dehors des dialogues, par exemple « Nous étions à l’étude » (I, chap. 1) ; « Vous y étiez aussi, sultans à longues pipes… » (I, chap. 6) ; – les éléments du savoir encyclopédique de l’époque (la Normandie, la France sous la monarchie de Juillet, les mœurs, les coutumes, la politique, la religion, la médecine, les techniques, etc.) ; – toutes les « notes de régie », c’est-à-dire les indications que Flaubert se donne à lui-même pour la suite de la rédaction (exemple, concernant Paul et Virginie : « Comment le côté nature du livre s’en va. Il n’en reste que le côté sentimental. ») ; – les fragments de scénarios qui se trouvent mêlés aux brouillons (exemple : « départ de tostes − Me Bovary est enceinte. −/néglige toilette − néglige son ménage fait la pauvre/résumé financier mère Bovary attrapée/orgues −/ rebondissements − », I, chap. 9, brouillon, vol. 1, f ° 269). Rétrospectivement, on voit bien ce que nous aurions pu baliser dans le texte. Nous avons compensé le manque de balisage par un relevé manuel. À partir de ces relevés, complétés par le moteur de recherche, Danielle Girard a conçu l’Atelier Bovary 5, spécialement dédié au travail sur les transcriptions. On y trouve ainsi des index pour les noms propres, les notes de régie, les marques de l’énonciation, les normandismes, et aussi une base de données des comparaisons, vaste corpus qui regroupe 1 350 comparaisons. Vers Bouvard et Pécuchet, volume 1 Après tant d’années de travaux sur Madame Bovary, nous avions gagné le droit de nous reposer. Bien évidemment, nous pensions à l’autre roman « normand », non pas par vocation régionaliste, mais parce que les manuscrits de Bouvard et Pécuchet sont également conservés à Rouen, par la volonté de l’héritière Caroline. Nous aurions bien attendu l’achèvement des transcriptions des dossiers de Bouvard et Pécuchet, dont s’occupe Stéphanie Dord-Crouslé, dans la mesure où la transcription des notes documentaires est d’une grande aide pour celle des brouillons qui les mettent en fiction. Pourquoi tant de hâte de notre part ? C’est que la Région Haute-Normandie a élargi en 2008 son GRR (Grand Réseau de Recherche) aux sciences de l’homme, avec un programme « Culture et société en Normandie », piloté par l’Institut de recherche en sciences humaines et sociales (IRSHS) de Haute-Normandie. Nous avons craint, si nous ne prenions pas le train qui partait en 2008, de ne plus retrouver, les années suivantes, l’opportunité de déposer 5. Site consultable à l’adresse : http://flaubert.univ-rouen.fr/bovary/atelier/atelier.php. Schedae, 2011, prépublication n° 7 (fascicule n° 1, p. 71-78). http://www.unicaen.fr/services/puc/preprints/preprint0072011.pdf
76 un dossier de recherche programmé sur quatre ans. Ce projet, commencé en 2008, est financé sur une période de quatre années, mais nous savons d’ores et déjà, par l’expérience acquise dans ces vastes entreprises collectives, qu’à la date butoir de 2011 (la deadline, comme on dit avec un mot couperet, plus euphémique en anglais qu’en français), le public découvrira un site certes structuré, fonctionnellement viable et permettant d’afficher tous les fac-similés, mais encore lacunaire pour les transcriptions. Le cœur du projet consiste à numériser et à transcrire l’intégralité des manuscrits qui composent le premier volume de Bouvard et Pécuchet. Nous l’avons complété en amont par la numérisation des livres annotés de la main de Flaubert au moment de la rédaction de cet ouvrage (nous pourrons ainsi constituer des trajets génétiques complets, des livres lus au roman écrit, en passant par les notes), et en aval, en y ajoutant les brouillons de la Préface par Raymond Queneau, conservés à la bibliothèque municipale du Havre, qui seront transcrits et présentés sous la responsabilité d’Yves Ouallet, enseignant-chercheur au Havre. Comme on le sait, le dernier roman de Flaubert se passe en Basse-Normandie. Nous pensons également, lorsque les transcriptions seront terminées, solliciter les enseignants de Caen intéressés par l’histoire de leur discipline en leur demandant de se pencher sur les livres de la bibliothèque encyclopédique en rapport avec le terrain, tel que la géologie, l’archéologie ou l’histoire. De Bovary à Bouvard, les partenaires institutionnels restent les mêmes (la bibliothèque municipale de Rouen, le Centre Flaubert, l’IRSHS et la Région Haute-Normandie), le personnel « d’encadrement » se trouve à nouveau réuni (Danielle Girard pour la mise en place du projet et le suivi des transcriptions, avec désormais la collaboration de Joëlle Robert, Jean-Eudes Trouslard aux commandes du développement informatique), l’interface de consultation, simple et efficace, sera reconduite à l’identique, avec sans doute quelques améliorations de navigation (il manque actuellement des boutons « retour »), et la méthode générale de mise en œuvre, qui a fait ses preuves, ne subira pas de modification notable. Mais le manuscrit de Bouvard et Pécuchet ne présente pas les mêmes caractéristiques que celui de Madame Bovary, d’abord en raison de son inachèvement : le dixième et dernier chapitre a été mis au net par la nièce de Flaubert, et il n’existe évidemment pas de manuscrit de copiste avec corrections autographes, comme pour toutes les œuvres antérieures publiées. Moins volumineux, le manuscrit ne compte « que » 2 950 pages, mais elles sont plus difficiles à déchiffrer, en raison de la graphie plus petite et plus « crispée » d’un Flaubert vieillissant, qui utilise de temps en temps le crayon à papier, évidemment plus difficile à lire, même sur l’original. Certains mots au crayon ont été effacés par le temps ou, parfois, semble- t-il, gommés par Flaubert lui-même. D’autre part, le manuscrit n’est pas génétiquement ordonné dans son intégralité : seuls les brouillons de certains chapitres ont été classés (et déjà transcrits), dans le cadre de thèses, notamment celle de Stéphanie Dord-Crouslé sur le chapitre V (la littérature) 6. Daniel Girard a mis au point une méthode simple pour réaliser un premier classique « statique » (tous les folios se rapportant à un même passage), en vue de constituer des lots homogènes à attribuer aux transcripteurs, le classement génétique intervenant dans un second temps, sur les indications des transcripteurs eux-mêmes. Ici, la transcription précède le classement définitif, à l’inverse du cas de figure plus favorable présenté par Madame Bovary. En raison des difficultés de lecture du manuscrit et de la moindre notoriété du dernier roman, qui excluait un appel public non ciblé à collaboration, l’équipe des transcripteurs a été resserrée autour de spécialistes du roman et du « noyau dur » des transcripteurs aguerris par l’épreuve Bovary. Tout le monde a lu Madame Bovary, et Sartre n’est pas le seul à avoir 6. Stéphanie Dord-Crouslé, Étude génétique et critique du chapitre V de Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, thèse de Lettres modernes, Université Paris VIII, 1998, 2. vol. Schedae, 2011, prépublication n° 7 (fascicule n° 1, p. 71-78). http://www.unicaen.fr/services/puc/preprints/preprin0072011.pdf
77 des « comptes » à régler avec ce roman : d’où le formidable élan qui a permis de transcrire l’intégralité des manuscrits en deux ans. Bouvard et Pécuchet est un roman pour happy few, plus confidentiel : le recrutement des transcripteurs bénévoles ne pouvait pas s’effectuer selon les mêmes modalités. Précisément parce que la plupart des transcripteurs sont plus expérimentés, il est possible de leur demander quelques manipulations supplémentaires. Jean-Eudes Trouslard ayant conçu un site de travail collaboratif, il existe désormais un outil de transcription en ligne, qui permet de télécharger l’image de la page, et d’éviter les inconvénients du passage par un fichier Word. Cet outil de transcription en ligne comporte plusieurs balises à poser, en particulier pour encoder les notes de régie et les mots écrits au crayon. C’est là une différence importante avec les transcriptions de Madame Bovary, qui ne comportaient pas de balise sémantique. De l’un à l’autre, il y a donc un progrès technique et, si Dieu nous prête vie, c’est-à-dire si nous survivons à Bouvard, entreprise qu’on n’est jamais sûr d’achever depuis le 8 mai 1880, date à laquelle la plume est définitivement tombée des mains de l’auteur, et si nous trouvons les crédits et l’énergie nécessaires, nous entrevoyons dans un avenir encore lointain un troisième chantier, l’édition numérique de la correspondance de Flaubert, qui imposera un balisage systématique en vue de constituer des index, index des noms propres, mais surtout un index thématique qui prendra la suite du « répertoire » de Charles Carlut 7, encore fort utile, mais conçu selon les catégories de l’autre siècle, et sur le texte des lettres fourni par l’ancienne édition de Louis Conard. Le Centre Flaubert se trouve donc dans un entre-deux, Bouvard et Pécuchet occupant une position intermédiaire, à égale distance de Madame Bovary sans balise et du tout-à-baliser de la correspondance à venir. 7. Charles Carlut, La Correspondance de Flaubert. Étude et répertoire critique, Paris, Nizet, 1968. Schedae, 2011, prépublication n° 7 (fascicule n° 1, p. 71-78). http://www.unicaen.fr/services/puc/preprints/preprint0072011.pdf
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