LE GRAND VIADUC DE MILLAU
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LE GRAND VIADUC DE MILLAU Bureau d'études Greisch – Greisch Ingénierie JM. CREMER, V. de VILLE de GOYET, JY. DELFORNO 1. HISTORIQUE Le Grand viaduc de Millau a été imaginé et conçu dans le courant des années 1990 par Michel Virlogeux et un groupement de bureaux d'études français en collaboration avec l'architecte anglais Sir Norman Foster. A l'origine, il s'agissait d'un ouvrage multi-haubané dont les piles, le tablier et les pylônes étaient entièrement réalisés en béton. Une variante à tablier métallique avait bien fait l'objet d'une étude parallèle mais nul ne la croyait concurrentielle. Les capacités, reconnues outre-Quiévrain, du bureau d'études Greisch dans le domaine des ponts à haubans et des ouvrages métalliques ont à plusieurs reprises interpellé l'OTUA, Office Technique français de promotion pour l'Utilisation de l'Acier. En effet, ces dernières années, le bureau liégeois a souvent collaboré avec des entreprises belges et françaises pour la construction d'ouvrages d'art prestigieux sur la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Marseille-Montpellier, sur la Loire à Orléans ou plus modestement sur la Meuse à Chooz. Aussi, dès 1999 dans le cadre du viaduc de Millau, le même office, s'est chargé de consulter le bureau greisch pour étudier de manière plus approfondie la faisabilité d'un tablier en acier et de développer une méthode de construction qui rendrait cette solution concurrentielle. Un comité d'accompagnement auquel prenaient part les 4 plus grands constructeurs métalliques français était "chargé" de vérifier l'adéquation des études réalisées aux moyens à mettre en œuvre. Face à l'audace de la proposition, seule une des entreprises, Eiffel Construction Métallique était prête à relever le défi et prit l'engagement de s'associer le bureau greisch pour préparer l'offre le moment venu. Le grand viaduc de Millau Page 1
L'appel d'offre pour la construction et la concession du Viaduc fut lancé au printemps 2000. Six mois durant, une équipe d'ingénieurs s'est attelée à mettre au point l'ouvrage et sa méthode de construction par lançage. En novembre, le groupe Eiffage et sa filiale Eiffel présentaient à l'Etat Français un dossier pour la construction de l'ouvrage sur base de notre proposition. Deux mois plus tard, le Ministre de l'Equipement Jean-Claude Gayssot, marquait officiellement sa préférence pour la proposition d'Eiffage parmi toutes celles qui lui avaient été soumises. Ensuite, dès le premier semestre 2001, Eiffel a demandé au bureau greisch d'entreprendre les études d'exécution du viaduc. Elles ont duré plus de deux années au cours desquelles 14 ingénieurs et 20 dessinateurs ont travaillés conjointement pour respecter les délais impartis et permettre aux entreprises d'avancer dans la fabrication en atelier et sur le chantier. Le bureau d'études greisch a ainsi réalisé ou fourni : § les études complètes du viaduc en exploitation, § les calculs de toutes les phases de construction : lançage du tablier jusqu'à plus de 200 m au-dessus du sol, transport et montage des pylônes métalliques sur le tablier, mise en place des haubans, § le développement et la mise au point de tous les organes servant au montage et en particulier au lançage du tablier (appuis provisoires, dispositifs d'avancement, …) § l'établissement de tous les plans relatifs aux éléments métalliques de l'ouvrage terminé mais aussi des éléments nécessaires à la construction, § une assistance permanente sur chantier pendant les opérations délicates de lançage, en dépêchant jusqu'à cinq ingénieurs sur place pour contrôler en permanence et en temps réel le comportement du viaduc pendant son évolution au-dessus du vide. 2. PRÉSENTATION GÉNÉRALE En France, l'autoroute A75, qui relie Clermont- Ferrand à Béziers, constitue un des plus beaux tronçons d'une des deux liaisons rapides entre Paris et la Méditerranée. (Fig. 1) Le viaduc de Millau, ouvrage d'art le plus important et le plus prestigieux de cette autoroute, lui permettra de franchir la vallée du Tarn, 5 kilomètres à l'ouest de la ville de Millau. L'ouvrage fait l'objet d'une concession de financement, conception, construction et exploitation confiée par l'Etat français à la Compagnie Eiffage du viaduc de Millau pour une durée de 78 années. Sa construction est actuellement en cours et se déroulera dans un délai record de 39 mois ! Fig. 1 – Situation de l'autoroute A75 3. DESCRIPTION DE L'OUVRAGE 3.1 DIMENSIONS GÉNÉRALES Pour franchir cette brèche de plus de 2.500 mètres, Michel Virlogeux, concepteur du pont de Normandie, a conçu un ouvrage multi-haubané composé de 7 piles élancées et d'un tablier de faible hauteur (Fig. 2). Le grand viaduc de Millau Page 2
D'une longueur totale de 2.460 mètres, l'ouvrage est légèrement courbe suivant un cercle en plan de 20.000 mètres de rayon et en rampe constante de 3.025 % du nord vers le sud (Fig. 3). L'ouvrage est également équipé de barrières de sécurité lourdes et d'écrans de protection des usagers contre le vent latéral. Le tablier est continu sur ses huit travées : deux travées de rive de 204 m de portée et six travées courantes de 342 m de portée chacune. Il franchit le Tarn à 268 mètres d'altitude. Fig. 2 – Simulation architecturale de l'ouvrage vu du nord vers le sud La hauteur des piles en béton varie de 78 mètres pour la pile P7 à 245 mètres pour la pile P2, lui conférant le titre de pile la plus haute du monde. Large de 32 mètres, le tablier est entièrement métallique. Il est suspendu au moyen de 154 haubans à 7 pylônes en acier, d'une hauteur de 87 mètres chacun. Actuellement ouvrage phare français, il joue la vedette dans différents colloques internationaux spécialisés. Fig. 3 – Elévation générale du viaduc 3.2 LE TABLIER EN ACIER 3.2.1 Eléments fonctionnels La largeur totale du tablier se décompose suivant les éléments fonctionnels suivants : § 2 x 2 voies de circulation, de 3,50 mètres chacune, § 2 bandes d'arrêts d'urgence de 3 mètres, extérieures aux chaussées, § 2 bandes dérasées de 1 mètre, intérieures aux chaussées, Le grand viaduc de Millau Page 3
§ 1 terre plein central de 4,45 mètres, § 2 corniches de 2,15 mètres supportant des écrans brise-vent de 3,20 mètres de hauteur. Fig. 4 – Coupe transversale du tablier 3.2.2 Justification de la forme du tablier en caisson entièrement fermé Les sollicitations majeures de l'ouvrage sont incontestablement celles induites par le vent, dont la vitesse de pointe peut atteindre plus de 200 km/h. Il convient donc de disposer d'un tablier présentant un profil aérodynamique optimal. Le caisson fermé et complètement caréné est celui qui apporte la réponse la plus satisfaisante au problème posé. Fig. 5 – Justification de la forme du tablier 3.2.3 Le tablier métallique Constitué de tôles raidies et de profilés standardisés, le tablier présente une hauteur de 4,20 mètres. Ses éléments, complètement fabriqués en usine, sont tous acheminés par camion vers le chantier pour y être assemblés afin de reconstituer la section transversale complète. En général, il est réalisé à partir d'acier de la nuance S355, mais les tôles dont la résistance s'est avérée critique lors de la construction ont été réalisées en acier de type S460, afin de limiter le poids total. Fig 6 et 7 - Eléments de platelage et de caissons centraux pré-assemblés. Le grand viaduc de Millau Page 4
3.3 LES 7 PYLONES 3.3.1 Description (Fig. 8) Les pylônes présentent une forme de V inversé. Leur hauteur totale est de 87 mètres, bien que leur hauteur strictement nécessaire structurellement soit de 70 mètres (point d'accrochage du hauban le plus haut). Pour réduire les délais de construction de l'ouvrage, les pylônes sont réalisés en acier ce qui leur permet d'être préfabriqués et montés d'une pièce sur le tablier très rapidement. Fig. 8. Les pylônes 3.3.2 Justification de la forme des pylônes en V inversé – Comportement d'un viaduc multi-haubané Dans un pont à haubans classique qui comporte un ou deux pylônes, la travée principale est suspendue au pylône via ses haubans. L'équilibre du pylône est assuré par les haubans "arrière" qui s'ancrent dans une travée d'équilibrage soutenue par des appuis ou une culée d'ancrage fixe. Le pylône ne transmet que des charges Fig. 9 – Pont à haubans classique verticales et pourrait, théoriquement, être articulé longitudinalement en base sans que sa stabilité ne soit compromise. Le grand viaduc de Millau Page 5
Le cheminement des efforts de haubanage assure que la tête du pylône et par conséquent la travée principale suspendue soient peu déformables. Dans le cas d'un viaduc multi-haubané, chaque travée est une travée principale. Lorsqu'on ne charge qu'une travée (cas des convois routiers par exemple), les haubans tirent sur les pylônes qui, s'ils ne présentent aucune rigidité propre, entraînent les travées adjacentes dans leur mouvement. Dans ce fonctionnement, seule la rigidité propre du tablier est mobilisée et le haubanage s'avère très peu efficace. Fig. 10 – Fonctionnement d'un pont multi-haubané On est donc amené à épaissir le tablier, avec en contrepartie un fonctionnement peu satisfaisant et surtout une prise au vent accrue, très critique pour un ouvrage culminant à plus de 250 m d'altitude. Un autre moyen consiste à stabiliser le pylône longitudinalement en tête pour empêcher ses déplacements et rendre les haubans efficaces. Pour y parvenir, on raidit suffisamment le pylône, on l'encastre sur les piles, qui elles-mêmes doivent alors présenter suffisamment de raideur pour rendre cette encastrement efficace. Fig. 11 – Fonctionnement d'un pont multi-haubané avec pylônes rigides et encastrés C'est cette deuxième méthode qui est mise en œuvre sur le viaduc de Millau et qui justifie la dimension longitudinale accrue des pylônes (15,50 m) et la forme en V inversé. 3.4 LES 154 HAUBANS Chaque travée est supportée par une nappe centrale de 11 paires de haubans ancrés dans les structures métalliques du tablier et des pylônes. Ces haubans sont constitués de 45 à 91 torons de 150 mm² de section. La résistance d'un hauban peut ainsi varier de 12.500 à 25.000 kN. Le grand viaduc de Millau Page 6
Chaque toron est galvanisé, ciré et protégé individuellement par une gaine en polyéthylène haute densité. L’ensemble des torons constituant un hauban est en outre protégé par une gaine générale de teinte gris clair (Fig. 12) Fig. 12 – Haubans – Vue générale et tête d'ancrage 3.5 LES APPUIS DU TABLIER ET DES PYLÔNES SUR LES PILES Les pieds des pylônes sont encastrés dans la structure métallique du tablier. Ils y amènent des efforts particulièrement importants, puisqu'ils transmettent au droit de chaque pile l'ensemble des charges de deux demi travées de 342 mètres (poids propre, équipements, surcharges de trafic et effets du vent). Le comportement du viaduc tel qu'il est décrit ci-dessus implique que sous les chargements alternés, le pylône fonctionne comme un chevalet, soumis à des efforts longitudinaux lorsqu'on charge une travée sur deux. Sous cette sollicitation apparaissent des efforts de compression et de traction au niveau des appuis et dans les cas extrêmes, les charges de poids propres ne suffisent pas à équilibrer les Fig. 13 – Soulèvements tractions : un des deux appuis se soulève (Fig. 13). Pour palier à ce phénomène, le tablier sera cloué sur les piles. 3.6 LES PILES 3.6.1 Dimensions principales Les piles ont des hauteurs variables en fonction de la topographie du site et du profil en long de l’ouvrage, de 77,60 à 244.80 mètres. Leurs fûts sont dimensionnés pour résister : § aux charges verticales apportées par le tablier, § aux déplacements de leur tête sous les effets de dilatation du tablier d'origine thermique, § aux effets transversaux et longitudinaux du vent, en exploitation comme en construction. Le grand viaduc de Millau Page 7
Fig. 14 – Elévation des piles Fig. 15 – La pile P2 en construction Dans le sens transversal, la largeur de la pile varie paraboliquement de 10.00 m au sommet à 27.00 m pour le pied de la pile la plus haute, afin d’apporter une capacité de résistance variant homothétiquement avec les moments sollicitants dus au vent. 3.6.2 Justification de la forme des piles Les piles, monolithiques en base, présentent un dédoublement des fûts 90 m sous le niveau du tablier. Loin d'être une fantaisie architecturale, cette particularité trouve son origine dans le fonctionnement statique de l'ouvrage. Comme nous l'avons expliqué plus haut, les pylônes sont encastrés sur les piles afin d'assurer une rigidité suffisante à l'ouvrage. Les tractions aux appuis nous ont conduits à clouer le tablier sur les piles, n'autorisant aucun déplacement relatif entre la tête des piles et le tablier. Ce dernier, continu sur toute sa longueur, ne dispose de joints de dilatation qu'en ses deux extrémités. Les dilatations du tablier, d'origine thermique, imposent des déplacements de plus de 40 cm en tête de piles et par conséquent des efforts proportionnels à leur rigidité intrinsèque. Le dédoublement du fût a permis de diminuer cette rigidité, tout en maintenant l'efficacité de l'encastrement du pylône. 3.6.3 Fondations Les fondations de toutes les piles sont constituées de quatre puits de grand diamètre (4.5 m et 5.0 m), de 10 à 14 m de longueur, creusés dans les horizons rocheux et d'une semelle de répartition de 3 à 5 mètres d'épaisseur. Le grand viaduc de Millau Page 8
3.7 LES CULÉES Les culées sont des structures classiques en béton armé. Ce sont des culées creuses de 13.00 m de largeur, plus étroites que le tablier. Elles sont munies d’encorbellements latéraux qui prolongent la forme du tablier jusqu'à l’entrée dans le sol. La continuité du plan de roulement entre le tablier et la culée est assurée par des joints de dilatation de 1200 mm de souffle. La culée nord constitue le local technique du viaduc. 3.8 LES ECRANS BRISE-VENT La très grande hauteur de ce franchissement au-dessus du sol et les caractéristiques du vent sur le site ont conduit le Maître d’Ouvrage à imposer des dispositifs de protection de l’usager vis-à-vis du vent. Ces dispositifs consistent en des écrans latéraux de 3 mètres de hauteur destinés à ralentir la vitesse du vent au droit des chaussées, de manière à ce qu’elle soit identique à celle qui règne sur les sections adjacentes d’autoroute. Pour garantir aux automobilistes une vision du site franchi, ces écrans sont transparents. Les dispositions retenues permettent à la fois de garantir une efficacité des écrans pour les usagers et simultanément de ne pas pénaliser le comportement aérodynamique global de la structure. (Fig. 5) 4. LA CONSTRUCTION DE L'OUVRAGE 4.1 CONSTRUCTION DES PILES Les piles sont construites par levées successives de 4 mètres au moyen de coffrages auto- grimpant pour les surfaces extérieures et de coffrages semi-grimpant (relèvement à la grue) pour la partie intérieure. 4.2 CONSTRUCTION DU TABLIER PAR LANÇAGE Proposé par le bureau d'études Greisch et mise en œuvre à Millau par l'entreprise Eiffel, la construction du tablier par lançage présente l'avantage de permettre un assemblage sur une plate-forme de travail située sur la terre ferme. Ainsi, 90 à 95 % de la main d’œuvre sur site peut se faire dans des conditions de travail particulièrement favorables, là où la sécurité et la protection des hommes vis-à-vis des intempéries permettent une qualité améliorée et de meilleurs rendements. Par ailleurs, si la surface est disponible, la mise à disposition d’une aire de travail étendue et de moyens de manutention adaptés permettent une exécution très rapide. A Millau, elle présente en contrepartie quelques inconvénients, comme la nécessité de construire des appuis provisoires, de prévoir du matériel spécifique pour réaliser les opérations de lançage, de renforcer le tablier ou encore de reporter certaines tâches comme la construction des pylônes en fin de chantier. Le grand viaduc de Millau Page 9
Fig.16 – Plateforme d'assemblage Fig. 17 – Palées provisoires 4.2.1 Préfabrication en usine, transport et montage sur site. La section transversale du tablier tient compte des possibilités de fabrication en usine, de transport et de montage sur site. Elle est constituée : § d'un caisson central (largeur 4 mètres, hauteur 4,20 mètres), § de panneaux intermédiaires raidis (platelages supérieurs et inférieurs) de 4 mètres, § de deux caissons latéraux, § de bracons en profilés UPN ou HEB. Fig. 18 – Découpage du tablier en tronçons élémentaires. Le caisson central d'une part et les éléments latéraux d'autre part sont assemblés dans 2 usines de construction métallique et transportés sur le site d'assemblage par des convois routiers exceptionnels. La longueur des éléments ne dépasse généralement pas 25 mètres, tandis que leur poids peut atteindre 90 tonnes. Deux ateliers forains d'assemblage sont installés sur les plates-formes situées en arrière de chacune des culées, avec tout le matériel nécessaire (grues, portiques de manutention, bancs de soudage, cabine de peinture). Chacun des ateliers comporte trois zones de travail de 171 m (Fig.17) avec pour chacune ses activités spécifiques : § une première zone, la plus éloignée de la culée, sert au raboutage des caissons centraux § une deuxième zone où est réalisé l'assemblage des autres éléments du tablier et leur raboutage au caisson central Le grand viaduc de Millau Page 10
§ une troisième zone où le tablier totalement assemblé est peint et muni de ses équipements de sécurité. L'assemblage et le soudage complet d'un tronçon de tablier de 171 mètres requièrent la mise en œuvre d'environ 5 tonnes de métal d'apport et un délai de 4 à 5 semaines. 4.2.2 Les palées provisoires La nécessité des palées est évidente et elles représentent un investissement important. 7 palées sont à construire, une au milieu de chaque grande travée et une dans chaque travée d'extrémité, de façon à limiter à 171 mètres maximum la portée à franchir au lançage. Seule la travée P2-P3, au-dessus du Tarn, en est dépourvue. Les cinq plus grandes palées, dont les hauteurs varient de 94 à 175 mètres, sont des structures carrées de 12 mètres de côté en treillis tubulaires. Ces palées sont montées par téléscopage à partir du bas, méthode utilisée à plus petite échelle dans le montage des grues tour. Chaque jour, une maille de 12 mètres est assemblée à la maille supérieure et l'ensemble est hissé jusqu'à dégager l'espace suffisant au montage de la maille suivante. Après montage du chevêtre supérieur qui supporte le matériel de lançage, le hissage d'une palée de 150 mètres s'effectue en moins de 15 jours. Fig.19 – Palée provisoire Fig. 20 – Pi6 en cours de téléscopage 4.2.3 Le dédoublement des appuis de lançage. Il s'est rapidement avéré que le dimensionnement du tablier serait conditionné par les opérations de lançage. Une travée de 171 m, à franchir avec un caisson de 4,20 mètres correspond à un élancement (rapport travée/hauteur) de 41, valeur très élevée qui, usuellement, est comprise entre 25 et 30. Par ailleurs, les efforts très importants à transmettre au niveau des appuis de lançage nous ont incité à dédoubler ces appuis pour éviter à l'âme du caisson d'être trop sollicitée. En écartant de manière optimale les appuis ainsi dédoublés, il a été possible de réduire sensiblement les effets de flexion du tablier. Fig. 21 – Chevêtre en tête de pile Le grand viaduc de Millau Page 11
4.2.4 Le pylône et les haubans de lançage Le lançage d'un porte-à-faux de 171 m constitue un deuxième record du monde pour ce viaduc. Toutefois, 171 m en porte- à-faux avec une poutre de 4,20 m de hauteur, ce n'était pas envisageable, même avec un grand et léger avant-bec. L’utilisation d'un pylône et des haubans définitifs s’est donc rapidement imposée. Ce haubanage permet d’annuler totalement la flèche de porte-à-faux pour accoster les appuis suivants par le dessus avec une réserve suffisante. On imagine évidemment que le passage du pylône en milieu de travée est assez défavorable, mais fort heureusement à cet Fig. 22 – Le pylône de lançage P3 instant, les haubans sont naturellement détendus. 4.2.5 Les translateurs Sur un chantier de lançage, le matériel qui va permettre le déplacement de l’ouvrage revêt une importance toute particulière. Il comporte : § les patins ou les appuis de glissement, § le système moteur, soit câbles de tirage ou vérins de poussage, § le dispositif de guidage transversal. L’effort moteur doit essentiellement vaincre deux composantes : § le frottement des galets ou appuis de glissement § la composante du poids due à la pente, en poussée ou en retenue. Ces efforts moteurs sont habituellement appliqués aux culées, mais dans ce cas, les frottements en tête des piles et palées provoquent des sollicitations d’autant plus défavorables que la hauteur est importante. Pour éviter de solliciter horizontalement les piles et palées, un dispositif est installé en tête de chaque appui de manière à contrebalancer localement le frottement et l’effort de pente. Ce dispositif, imaginé, conçu et mis au point par le bureau d'étude Greisch, a été baptisé "translateur". Il comprend (Fig.25) : § un berceau en U sur lequel repose le pont à l’arrêt ou au repos, § une coulisse sur laquelle s’appuie le pont lors du mouvement, actionnée par 2 vérins de 600 kN et une course de 600 mm. § une cale biaise insérée entre la coulisse et le fond du berceau, poussée par un vérin de 2500 kN, et qui permet de remonter le niveau de la coulisse pour soulever le pont et le Fig. 23 – Le translateur décoller du berceau. La charge peut atteindre 17.000 KN par translateur. Pour des raisons de sécurité, alors que l'ensemble de l'ouvrage a une pente de 3 %, l’avancement des 600 mm de la coulisse sur la cale biaise se fait sur une surface horizontale, la variation de hauteur due à la pente étant compensée par la cale biaise. Le grand viaduc de Millau Page 12
Le cycle de fonctionnement est le suivant : § Le pont est au repos sur le berceau. 1. Pousser la cale biaise et soulever le pont 2. Pousser la coulisse et avancement du pont de 600 mm 3. Retirer la cale biaise et abaissement du pont sur le berceau 4. Retirer la coulisse en arrière de 600 mm § On peut recommencer le cycle Fig. 24 – Cycles de fonctionnement d'un translateur Au moyen d'un dispositif mis au point par Eiffel, tous les translateurs sont pilotés par une unité centrale qui assure la commande et le contrôle de toutes les opérations. Chaque cycle dure environ 4 minutes et l’avancement moyen est de 7 à 10 mètres par heure. Pendant le mouvement il est de 25 à 30 m/heure ou 7 à 8 mm à la seconde. 4.2.6 Le lançage Après 5 semaines d'assemblage, l'opération de lançage peut avoir lieu. Une analyse scrupuleuse des prévisions météorologiques pour les 3 journées à venir permet de donner l'ordre de lancer. En effet, cette manœuvre délicate doit s'opérer sous des vents inférieurs à 85 km/h au niveau du tablier. Après avoir été dégagé de ses équipements de mise en sécurité, le tablier est lancé sur 171 mètres. Une passerelle de 50 mètres de longueur (en rouge à l'extrémité du tablier sur les photos) permet d'accéder à l'appui suivant avant la fin du lançage afin de procéder à la mise en route des équipements de translation sur l'appui à accoster. A l'issue du lançage, le pylône aura atteint un nouvel appui et le porte-à-faux l'appui suivant. L'ouvrage sera à nouveau mis en sécurité. Le grand viaduc de Millau Page 13
Fig. 25 – 3 situations d'arrêt de lançage 4.3 LA FIN DU CHANTIER Lors du dernier lançage aura lieu le clavage, 268 mètres au-dessus du Tarn, opération qui consiste à souder entre eux les 2 extrémités des tabliers lancés pour en assurer la continuité. Ensuite, les 5 pylônes restant, pesant 650 tonnes chacun, assemblés au préalable en arrière des culées, seront amenés sur le tablier et relevés à leur emplacement définitif. Il restera alors à monter et régler les haubans, installer les équipements et le revêtement, sans oublier le démontage de toutes les installations de lançage (palées provisoires, chevêtres en tête de pile, rails de lançage) et les inévitables retouches de peinture. 5. ETUDES ET ESSAIS 5.1 RÉPARTITION DES ÉTUDES Outre la conception de la méthode de construction, le Bureau d'Etudes Greisch a pris en charge les calculs généraux et les calculs au vent du viaduc, les calculs des phases de lançage, le dimensionnement du tablier, des pylônes et des haubans et la conception des ouvrages provisoires. Seules les études organiques des piles et culées n'ont pas été réalisées par beg. 5.2 ESSAIS EN SOUFFLERIE Compte tenu de la très grande hauteur de l’ouvrage au-dessus du sol, les efforts générés dans l’ouvrage par les effets du vent sont déterminants dans la conception et dans la vérification des différentes parties de l’ouvrage. Le grand viaduc de Millau Page 14
5.2.1 Modèle de vent La détermination des effets du vent sur l’ouvrage passe par une bonne connaissance des caractéristiques du vent dans le site. Celles-ci sont issues d'études antérieures effectuées sur le site et sur maquettes par le CSTB. 5.2.2 Essais en soufflerie La détermination des effets du vent sur l’ouvrage nécessite également une bonne maîtrise du comportement aérodynamique des différentes parties de l’ouvrage : les piles, le tablier et les pylônes. Ces données ont été déterminées par de nombreux essais en soufflerie. 5.3 CALCUL ET DIMENSIONNEMENT DE L'OUVRAGE 5.3.1 Règles générales Le dimensionnement de l'ouvrage en exploitation n'a pas soulevé de difficulté majeure. Seuls les effets du vent méritent qu'on s'y attarde et font l'objet d'un paragraphe spécifique ci- après. Par contre, les calculs du tablier pendant la période de construction et plus particulièrement pendant les lançages ont fait l'objet d'une attention toute particulière. Le vent constitue dans tous les cas une sollicitation majeure. Pendant la période de construction qui dure environ 3 ans, trois "états" du viaduc ont été considérés : 1. Pendant les périodes d'assemblage, le tablier est au repos, l'ouvrage est en sécurité. Il est calculé pour une vitesse de vent de 185 km/h (associée pour le site à une période de retour de 10 ans) et les coefficients partiels de sécurité sur les charges habituels sont utilisés, à savoir 1,35 sur les charges permanentes et 1,50 sur le vent. 2. Trois jours toutes les 5 semaines s'opère un lançage sous couverture météorologique. Le pont est vérifié pour une vitesse de vent de 85 km/h, avec les mêmes coefficients de sécurité. 3. Au cours d'un lançage, un incident peut immobiliser l'ouvrage pour une période plus ou moins longue. Durant cette période, le couvert météo peut ne plus être assuré, mais la probabilité de voir survenir des vents de 185 km/h est plus faible. Les coefficients de sécurité ont été réduits à 1,10 sur les charges permanentes et 1,20 sur le vent. 5.3.2 Calcul du lançage Le calcul du tablier pendant le lançage est conduit au moyen d'un modèle évolutif sur FinelG, simulant l'avancement du tablier par pas de 4 à 5 mètres. Le modèle prend en compte les décollements d'appuis éventuels et les accostages. Il permet de simuler des mouvements d'appuis imposés ou des réglages d'efforts dans les haubans. Enfin, il utilise le comportement non linéaire des câbles pour simuler les tensions et détensions des haubans en fonction de l'avancement. La confrontation des résultats du calcul au comportement réel de l'ouvrage a été jusqu'ici excellente. Le grand viaduc de Millau Page 15
Fig.27 – Déformations calculées Fig. 28 – Déformations réelles 5.3.3 Effets du vent Les effets du vent sur l’ouvrage sont étudiés dans un grand nombre de configurations (exploitation, construction, lançage). On sait que la plus grande partie d'énergie amenée par le vent et susceptible de faire "vibrer" le viaduc se situe dans un domaine de fréquence compris entre 0,1 Hz et 1,0 Hz. D'autre part, il s'avère ses premières fréquences propres de vibration sont les suivantes : § En flexion transversale : 0,175 Hz § En flexion longitudinale : 0,200 Hz § Le quarantième mode a une fréquence de 0,94 Hz. Fig.29 - Modes propres de vibration du tablier On comprend donc aisément le risque de mise en résonance du viaduc sous l'effet des rafales de vent. De manière simplifiée, on peut dire que les effets dynamiques du vent amplifient par trois voire quatre les effets statiques. En outre, si le vent moyen n'induit globalement que des efforts transversaux, le vent turbulent agit de façon importante verticalement sur le tablier, à l'instar d'une aile d'avion, mais retournée. Sous les effets des vents de dimensionnement de l'ouvrage en service (205 km/h), on peut s'attendre à des déplacements transversaux du tablier de 60 cm et verticaux de 85 cm environ. Le grand viaduc de Millau Page 16
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