Décision n 19-D-18 du 31 juillet 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des moyens de paiement par carte bancaire

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

                Décision n° 19-D-18 du 31 juillet 2019
 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des moyens
                   de paiement par carte bancaire

L’Autorité de la concurrence (vice-présidente statuant seule),
Vu la lettre, enregistrée le 17 janvier 2019 sous les numéros 19/0002 F et 19/0003 M, par
laquelle la société Dstorage a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en
œuvre dans le secteur des moyens de paiement par carte bancaire et a demandé que des
mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de
commerce ;
Vu le livre IV du code de commerce ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la décision n° 19-JU-03 du 4 juin 2019, par laquelle la présidente de l’Autorité de la
concurrence a désigné Mme Irène Luc, vice-présidente, pour adopter seule la décision qui
résulte de l’examen de la saisine enregistrée sous les numéros 19/0002 F et 19/0003 M ;
Le rapporteur, le rapporteur général et le représentant de la société Dstorage entendus lors
de la séance du 27 juin 2019, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement
convoqué ;
Adopte la décision suivante :
Résumé1 :

Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence rejette la saisine au fond
de la société Dstorage pour défaut d’éléments suffisamment probants et, par voie de
conséquence, la demande de mesures conservatoires accessoire à sa saisine.
La société Dstorage exploite le site internet 1fichier.com et fournit un service
d’hébergement et de partage en ligne de fichiers.
Elle se plaint, dans sa saisine, des refus de conclure des contrats « vente à distance »
(VAD) et des résiliations brutales de ces contrats, auxquels elle a été confrontée de 2012 à
2018 de la part de prestataires de services de paiement. Elle soutient que ces mesures
infondées l’empêcheraient d’exercer son activité sur le marché des services d’hébergement
de fichiers dans des conditions économiques normales.
Selon la saisissante, ces pratiques résulteraient des règles contractuelles des schémas
quadripartites de paiement, GIE CB, Visa et Mastercard, qui s’imposent aux prestataires
de services de paiement en matière de vente en ligne. En outre, les règles ainsi définies
contraindraient les prestataires à mettre un terme aux relations avec des hébergeurs dont
les fichiers hébergés seraient illicites, alors même que la loi française n’impose nullement
un tel contrôle.
L’Autorité a examiné l’objet et les effets réels ou potentiels de ces règles.
Elle a estimé qu’elles constituaient bien des décisions d’associations d’entreprises au sens
du droit européen de la concurrence, mais ne comportaient toutefois pas d’objet
anticoncurrentiel, ne tendant pas à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la
concurrence sur le marché et ne présentant pas, a fortiori, un degré suffisant de nocivité
pour être considérées comme des restrictions par objet, au regard, notamment, du degré
réel de contrainte qu’elles instaurent concernant les relations des prestataires de services
de paiement et de leurs clients, de leur objectif de lutte contre les téléchargements illicites
et du contexte économique et juridique général.
Elle a également écarté les allégations d’effets anticoncurrentiels des pratiques sur le
marché de l’acquisition des cartes bancaires, sur lequel les prestataires de services de
paiement offrent des contrats VAD aux commerçants, et sur le marché des services
d’hébergement et de partage des fichiers numériques, les refus et résiliations litigieux ne
résultant pas directement des règles incriminées, mais de comportements autonomes des
prestataires de services de paiement, influencés par les obligations de vigilance imposées
par le cadre juridique en vigueur pour lutter contre les services hébergeant des fichiers
contrefaisants.
Elle a, par ailleurs, considéré que la circonstance que plusieurs prestataires aient adopté
un comportement identique de résiliations de contrat et de refus de contracter à l’égard de
la société Dstorage ne s’explique que par un parallélisme de comportement et non par une
pratique concertée.
L’Autorité a donc considéré que les pratiques d’entente dénoncées par la société Dstorage
n’étaient pas appuyées d’éléments suffisamment probants.
Elle a porté la même appréciation sur le grief d’abus de dépendance qui faisait aussi
l’objet de la saisine, faute de preuve d’une situation de dépendance de la société Dstorage
à l’égard d’un quelconque des prestataires concernés.

1
    Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

                                                         2
SOMMAIRE

I. Constatations .................................................................................... 5
  A.        LES ENTREPRISES CONCERNEES ET LEUR SECTEUR D’ACTIVITE ............................. 5
       1.      L’ENTREPRISE SAISISSANTE ........................................................................................... 5
       2.      LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE ................................................................................ 6
            a) Les schémas de paiement quadripartites .......................................................... 6
            b) Les établissements de crédit ............................................................................... 6
            c) Les autres prestataires de services de paiement ............................................... 7
       3.      LE SECTEUR ..................................................................................................................... 7
            a) Le secteur des services de paiement pour le commerce électronique ............. 7
            b) Le cadre juridique............................................................................................... 8
       4.   LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET INSTITUTIONNEL DES SERVICES D’HEBERGEMENT
       ET DE PARTAGE DE FICHIERS................................................................................................... 9

            a) Dstorage est considérée comme un acteur majeur du téléchargement illicite
            de fichiers ................................................................................................................. 9
            b) La dénonciation du rôle joué par les prestataires de services de paiement
            dans le fonctionnement des sites contrefaisant le droit d’auteur ........................ 9
            c) Les initiatives des pouvoirs publics pour inciter les intermédiaires du
            paiement à lutter contre la diffusion de contenus contrefaisants ...................... 10
               États-Unis............................................................................................................ 11
               Union européenne .............................................................................................. 11
               France ................................................................................................................. 11
  B.        LES PRATIQUES DENONCEES ................................................................................................. 12
       1. UNE ENTENTE AYANT POUR SUPPORT LES SCHEMAS QUADRIPARTITES DE PAIEMENT . 12
       2. UN ABUS DE L’ETAT DE DEPENDANCE ECONOMIQUE DE DSTORAGE DE LA PART DES
       PRESTATAIRES DE SERVICES DE PAIEMENT .......................................................................... 13

II.         Discussion ..................................................................................... 14
  A.        SUR LES MARCHES PERTINENTS .......................................................................................... 14
  B.        SUR L’ENTENTE ALLEGUEE.................................................................................................... 15
       1.      SUR L’OBJET .................................................................................................................. 16
            a) Les règles de Visa .............................................................................................. 16
            b) Les règles de Mastercard .................................................................................. 17
            c) Les règles du GIE CB ........................................................................................ 17
            d) Les conclusions de l’Autorité sur l’objet de ces règles .................................. 17
       2.      SUR LES EFFETS ............................................................................................................. 18
            a) Sur le marché de l’acquisition .......................................................................... 19

                                                                       3
b) Sur le marché des services d’hébergement et de partage de fichiers
          numériques ............................................................................................................. 20
   C.     SUR L’ABUS D’UN ETAT DE DEPENDANCE ECONOMIQUE ............................................ 20

III. Conclusion .................................................................................... 21
DÉCISION ......................................................................................................................... 22

                                                                 4
I.     Constatations

1.   Par lettre du 16 janvier 2019 enregistrée le 17 janvier 2019 sous le numéro 19/0002 F, la
     société Dstorage (ci-après « Dstorage ») a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après
     « l’Autorité ») de pratiques mises en œuvre dans le secteur des moyens de paiement par
     carte bancaire à l’encontre du Groupement des Cartes Bancaires (ci-après « le GIE CB »),
     Visa, Mastercard, ainsi que de trente-trois banques et autres prestataires de services de
     paiement. La saisine a été précédée de deux envois préalables de pièces, les
     10 septembre et 3 décembre 2018. La saisissante a, en outre, adressé à l’Autorité une note
     et des pièces complémentaires le 3 juin 2019.
2.   La saisissante, entreprise active dans le secteur du commerce électronique, expose avoir été
     confrontée, depuis 2015, à un grand nombre de refus de contracter ou de ruptures
     unilatérales de contrat de la part de prestataires de services de paiement. Elle soutient que
     ces refus et ruptures, qui l’ont privée d’une solution de paiement « vente à distance »
     (VAD) indispensable à son activité d’hébergement de fichiers, constituent des pratiques
     anticoncurrentielles au sens des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.
3.   Accessoirement à sa saisine au fond, la saisissante a sollicité le prononcé de mesures
     conservatoires, sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce, en demandant
     à l’Autorité d’ordonner à un ou plusieurs prestataires de services de paiement, ou au GIE
     CB, de lui proposer un contrat « vente à distance » à des conditions normales de marché.
     Cette demande a été enregistrée le 17 janvier 2019 sous le numéro 19/0003 M.

     A.     LES ENTREPRISES CONCERNEES ET LEUR SECTEUR D’ACTIVITE

          1. L’ENTREPRISE SAISISSANTE

4.   Dstorage est une société par actions simplifiée unipersonnelle située à La Chapelle-aux-
     Bois (88). Elle exploite le site internet 1fichier.com (ci-après « 1Fichier »), qui fournit un
     service d’hébergement et de partage en ligne de fichiers, s’appuyant sur un réseau de
     diffusion de contenus, service qu’elle décrit comme « largement similaire » à ceux
     proposés par Google (Google Drive), Amazon (service Amazon S3) et Dropbox. Ce type
     de service est parfois désigné, dans le lexique de l’économie numérique, par le terme de
     « cyberlocker », néologisme d’origine américaine exprimant d’idée d’un « casier
     numérique », dans lequel l’utilisateur peut consigner des fichiers en vue de les conserver
     ou de les partager (voir paragraphes 38, 45, 86 et 87).
5.   Pour l’accès à ce service, Dstorage propose des offres gratuites ainsi que des offres
     payantes.
6.   Selon une étude de 2013 réalisée par le Département Recherches, Études et Veille de
     l’Hadopi (« Qualification et quantification des contenus présents sur des plateformes de
     téléchargement direct »), les fichiers hébergés par 1Fichier sont très majoritairement des
     vidéos (62 % en nombre de fichiers et 70 % en espace disque occupé en 2013), ou des
     extraits de films et des épisodes de séries ou de séries d’animation.

                                                   5
7.    Les autres catégories principales de fichiers hébergés sont constituées, d’une part, de
      logiciels (9 % en nombre et 12 % en espace disque), correspondant très majoritairement à
      des parties de jeu vidéo ou jeux vidéo complets, et, d’autre part, de documents,
      correspondant à 78 % de livres (tant en nombre de fichiers qu’en espace disque occupé).

         2. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE

           a) Les schémas de paiement quadripartites

8.    La saisine met en cause trois schémas de cartes de paiement quadripartites, au sens du
      règlement (UE) 2015/751 du 29 avril 2015 relatif aux commissions d'interchange pour les
      opérations de paiement liées à une carte. Chacune des entités concernées, soit le GIE CB,
      Mastercard et Visa, organise et est responsable du fonctionnement d’un schéma de
      paiement, constitué d’un ensemble de règles, pratiques, normes et lignes directrices de
      mise en œuvre, régissant l'exécution d'opérations de paiement par carte.
9.    Les schémas sont dits « quadripartites » en ce que les opérations qu’ils permettent font
      intervenir quatre personnes : les opérations sont effectuées du compte de paiement d'un
      payeur sur le compte de paiement d'un bénéficiaire, par l'intermédiaire d'un émetteur (pour
      le payeur) et d'un acquéreur (pour le bénéficiaire). Acquéreur et émetteur sont des
      prestataires de services de paiement (banques ou établissements non bancaires).
10.   L’acquéreur s'engage par contrat avec un bénéficiaire en vue d'accepter et de traiter les
      opérations de paiement liées à une carte, qui donnent lieu à un transfert de fonds vers ce
      bénéficiaire. L’émetteur quant à lui s'engage par contrat à mettre à la disposition d'un
      payeur un instrument de paiement, afin d'initier et de traiter les opérations de paiement
      liées à une carte effectuées par ce dernier.
11.   Des accords de « cobadgeage » entre schémas permettent qu’une carte émise dans un
      schéma donné puisse être utilisée pour des transactions dans d’autres schémas.
12.   Le GIE CB est un groupement d’intérêt économique réunissant, en deux collèges distincts,
      des banques et autres prestataires de services de paiement (collège A), ainsi que des
      émetteurs de cartes Titres Restaurant Dématérialisés (collège B). Il a pour objet à titre
      principal « la mise en œuvre, au profit de ses membres, d'un ensemble de moyens
      techniques, administratifs, juridiques, financiers, de personnel ou autres, nécessaires pour
      assurer [notamment] la mise en œuvre d’un schéma cartes "CB" interbancaire et la
      réalisation d’opérations "CB", quels que soient le facteur de forme et l’environnement
      d’acceptation ».
13.   Mastercard France est une société par actions simplifiée à associé unique appartenant au
      groupe Mastercard, dont la maison mère, Mastercard International Incorporated, a son
      siège social aux États-Unis, dans l’État de New York (ci-après « Mastercard »).
14.   Visa Europe Limited est une société de droit anglais dont le siège social est situé à
      Londres, filiale à 100 % de Visa Incorporated, société américaine dont le siège social est
      situé en Californie (ci-après « Visa »). Elle dispose d’une succursale française située à
      Paris.

           b) Les établissements de crédit

15.   La saisine met en cause huit sociétés françaises du secteur bancaire, soit six établissements
      de crédit agréés en tant que tels par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

                                                   6
(ci-après « l’ACPR ») et deux sociétés qualifiées par le code monétaire et financier
      « d’organes centraux » représentant, auprès de la Banque de France et de l’ACPR, les
      établissements de crédit qui leur sont affiliés.
16.   Banque Populaire Caisse d'Epargne est une société anonyme à conseil d’administration
      dont le siège social est situé à Paris. Elle constitue, conformément à l’article L. 511-30 du
      code monétaire et financier, l’organe central des caisses d’épargne et des banques
      populaires.
17.   BNP Paribas est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social est
      situé à Paris.
18.   CIC (Crédit Industriel et Commercial) est une société anonyme à conseil d’administration
      dont le siège social est situé à Paris.
19.   Crédit Coopératif est une société coopérative anonyme de banque populaire à capital
      variable au sens des articles L. 512-1 et suivants du code monétaire et financier. Son siège
      social est situé à Nanterre.
20.   Crédit Agricole est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social est
      situé à Montrouge. Elle constitue, conformément à l’article L. 511-30 du code monétaire et
      financier, l’organe central des caisses régionales de crédit agricole.
21.   Crédit Lyonnais (nom commercial « LCL - Le Crédit Lyonnais ») est une société anonyme
      à conseil d’administration dont le siège social est situé à Lyon.
22.   La Banque Postale est une société anonyme à directoire et à conseil de surveillance dont le
      siège social est situé à Paris.
23.   Société Générale est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social
      est situé à Paris.
24.   À l’exception du CIC, du Crédit Coopératif et du Crédit Lyonnais, les sociétés précitées
      ont la qualité de membre principal du GIE CB et siègent à son conseil de direction.

           c) Les autres prestataires de services de paiement

25.   La saisine vise en outre vingt-cinq entités françaises, européennes et extra-européennes, de
      statuts variés, actives dans le secteur des services de paiement.
26.   Pour ce qui concerne les entreprises agréées dans un État de l’Union européenne, on
      compte :
             -   huit établissements de paiement,
             -   six établissements de monnaie électronique,
             -   trois établissements de crédit,
             -   un agent prestataire de services de paiement.

         3. LE SECTEUR

           a) Le secteur des services de paiement pour le commerce électronique

27.   Le secteur concerné est celui des services de paiement destinés au commerce électronique.

                                                    7
28.   Selon les données de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), le
      commerce électronique représentait 8,5 % du commerce de détail en 2017 (81,7 milliards
      d’euros de chiffre d’affaires et 1,247 milliard de commandes passées). Ces chiffres
      traduisent une progression par rapport à 2016 (+ 14,3 % en chiffre d’affaires et + 20,5 %
      en nombre de transactions), qui s’explique pour moitié par l’essor des paiements réalisés
      au moyen d’un téléphone mobile.
29.   Le paiement par carte bancaire y occupe une place largement prépondérante, équivalente à
      85 % du chiffre d’affaires du commerce électronique en 2017. Viennent ensuite, pour 9 %
      du total, les méthodes sécurisées, telles que le portefeuille électronique, la carte bancaire
      prépayée et les dispositifs sécurisés permettant d’effectuer un virement de son compte vers
      celui d’un fournisseur par l’intermédiaire d’un terminal de paiement. Les autres méthodes
      (chèques, chèques cadeaux, cartes prépayées, virements, prélèvements, cartes privatives)
      représentent ensemble un peu plus de 5 %.

           b) Le cadre juridique

30.   Le cadre juridique des services de paiement fournis au sein de l’Union européenne est
      défini par la directive (UE) 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de
      paiement dans le marché intérieur, transposée en droit français par l’ordonnance
      n° 2017-1252 du 9 août 2017, qui a modifié plusieurs dispositions du code monétaire et
      financier.
31.   La catégorie des prestataires de services de paiement se décompose en quatre
      sous-catégories : les établissements de paiement, les établissements de monnaie
      électronique, les établissements de crédit et les prestataires de services d’information sur
      les comptes. Un agrément d’une autorité désignée par les États membres (en France,
      l’ACPR) est nécessaire pour exercer les activités correspondantes.
32.   Le contrat « vente à distance » (VAD), mentionné par la saisissante, correspond à un
      contrat d’acquisition, conclu pour la fourniture, par un prestataire de services de paiement
      au profit d’un commerçant, d’un service d’acquisition d’ordres de paiement. Il s’agit d’un
      type particulier de contrat-cadre de services de paiement au sens de l’article L. 314-12 du
      code monétaire et financier, les services de paiement considérés étant énumérés par
      l’article L. 314-1, 3° du code monétaire et financier, et comprenant notamment, les
      « opérations de paiement effectuées avec une carte de paiement ou un dispositif
      similaire ».
33.   Le contrat d’acquisition doit être conforme aux dispositions des articles L. 133-1 et
      suivants du code monétaire et financier sur l’exécution des opérations de paiement, ainsi
      qu’à certaines dispositions du règlement (UE) 2015/751 du 29 avril 2015 précité.
34.   Les prestataires de services de paiement doivent également se conformer à des obligations
      de vigilance à l’égard de leur clientèle, pour ce qui concerne la lutte contre le blanchiment
      des capitaux et le financement du terrorisme.
35.   Ces obligations ont été énoncées, puis élargies par des directives successives, notamment
      par la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005, « troisième directive anti-blanchiment »,
      et la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015, « quatrième directive anti-blanchiment ».
      Cette dernière, qui tient compte des recommandations révisées de 2012 du Groupe d’action
      financière internationale (GAFI), a été transposée en droit français par l’ordonnance
      n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le
      blanchiment et le financement du terrorisme et complétée par des mesures réglementaires.

                                                   8
4. LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET INSTITUTIONNEL DES SERVICES D’HEBERGEMENT ET DE
            PARTAGE DE FICHIERS

            a) Dstorage est considérée comme un acteur majeur du téléchargement illicite
               de fichiers

36.   Depuis 2014, plusieurs rapports et études officiels ou indépendants, français ou étrangers,
      ont mis en évidence l’hébergement, par 1Fichier, de fichiers susceptibles d’enfreindre la
      législation sur le droit d’auteur, notamment de fichiers « contrefaisants » au sens des
      dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au délit de contrefaçon d’œuvres
      de l’esprit ou de logiciels (études du Digital Citizens Alliance/NetNames de septembre
      2014 et de Médiamétrie/NetRatings du 1er avril 2015).
37.   Par ailleurs, le Gouvernement américain a inclus 1Fichier dans sa « Notorious Markets
      List » pour 2017, qui répertorie, à l’échelle mondiale, les « marchés notoires », aussi bien
      matériels que dématérialisés, qui permettent à des acteurs privés d’exploiter la contrefaçon
      et la violation de droits d’auteurs à des fins commerciales.
38.   Le rapport accompagnant la liste explique, au sujet de 1Fichier, que « ce cyberlocker est
      populaire en France, où il est hébergé, et est présumé donner accès à des copies illégales
      de jeux vidéo et d’autres contenus soumis au droit d’auteur. D’après l’industrie du jeu
      vidéo, 1Fichier ne réagit qu’à 2 % des injonctions de retrait de fichiers, ce qui est l’un des
      taux de réponse les plus faibles des cyberlockers présumés héberger des fichiers de jeux
      contrefaisants. Le site génère des revenus par un système d’abonnement, bien que certains
      grands systèmes de paiement par carte ne lui fournissent plus de services de paiement, à
      cause de son activité illégale présumée. En outre, il a été relevé que le site héberge des
      contenus nuisibles, y compris des pages contenant des logiciels inconnus ou sujets à
      soupçon ».
39.   Enfin, la place de 1Fichier dans « l’écosystème illicite de biens culturels dématérialisés » a
      également été mise en évidence dans une étude publiée en janvier 2019 par l’Hadopi.
40.   Cette étude identifie les hébergeurs, qui mettent à disposition les fichiers vidéo, musicaux,
      textes ou flux de chaînes de télévision, comme offreurs de services directement liés à une
      offre illégale. Elle souligne en outre que « les sites de référencement et les hébergeurs de
      contenus restent au centre de l’écosystème et leur fonctionnement interdépendant reste la
      clé de voûte des offres contrefaisantes. Ainsi, même si d’autres acteurs comme les
      contributeurs jouent un rôle très important dans cet écosystème, leur existence ne prend
      son sens que par la présence des sites de référencement et d’hébergement ».
41.   En particulier, parmi les hébergeurs de contenus, trois sites – tous spécialisés dans le
      téléchargement direct – se distinguent des autres par une audience mensuelle supérieure à
      un million de visiteurs uniques : Uptobox (2,55 millions), 1Fichier (2,11 millions) et
      Uploaded (1,01 million). Fin 2017, ils représentaient ensemble près de trois quarts de
      l’audience illicite totale en France.

            b) La dénonciation du rôle joué par les prestataires de services de paiement
               dans le fonctionnement des sites contrefaisant le droit d’auteur

42.   Plusieurs sources rendues publiques ont également mis en évidence le rôle joué par les
      prestataires de services de paiement et les schémas de paiement par carte bancaire dans la
      pérennité des entreprises actives dans le secteur de la diffusion de contenus contrefaisants,
      comme, notamment, les services d’hébergement et de partage de fichiers.

                                                    9
43.   En France, en 2013, un rapport de Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la commission
      de protection des droits de l’Hadopi, sur « les moyens de lutte contre le streaming et le
      téléchargement direct illicites », a rappelé que les abonnements ou achats ponctuels sur les
      sites de ce type étaient réalisés par des cartes bancaires traditionnelles ou par des systèmes
      de paiement ou portefeuilles électroniques du type PayPal ou Skrill/Moneybookers. Le
      rapport souligne, à ce titre, que la présence, sur les sites illégaux, de logos tels que
      Mastercard, Visa ou PayPal peuvent donner une apparence fallacieuse de légalité aux
      activités du site considéré. Aussi le rapport souligne-t-il la nécessité, pour les
      « intermédiaires financiers », de s’impliquer dans la lutte contre la contrefaçon en ligne.
44.   Parmi les propositions d’action adressées aux « intermédiaires financiers » figurent à cet
      égard « la suspension temporaire des relations contractuelles avec le site, voire la
      résiliation [et] la suspension des paiements et leur placement sous séquestre ».
45.   Le rapport du Digital Citizens Alliance de 2014 précité a exposé que « l’écosystème du
      piratage en ligne, qui génère des millions de dollars de chiffre d’affaires, est soutenu et
      nourri par des intermédiaires qui contribuent à l’activité des cyberlockers par la publicité,
      par la fourniture de moyens de paiement en ligne et par la mise à disposition de moyens
      techniques donnant aux utilisateurs accès à des contenus contrefaisants ». Relevant à ce
      titre que Visa et Mastercard étaient proposés comme options de paiement sur vingt-neuf
      des trente sites étudiés, il a insisté sur l’urgence, pour ces intermédiaires, de prendre des
      mesures pour assécher les revenus des acteurs de la diffusion de contenus illicites.
46.   Enfin, l’Hadopi a observé, dans son rapport de 2019 précité, que les services de
      financement, de paiement et de publicité étaient des intermédiaires indispensables à
      l’activité des sites contrefaisants, puisqu’ils leur permettaient de percevoir les paiements de
      leurs abonnés, la carte bancaire constituant le moyen de paiement privilégié. Elle a indiqué
      que « s’agissant des intermédiaires de paiement, les principaux acteurs comme PayPal se
      sont engagés à ne plus proposer leurs services aux sites illicites ».
47.   Il peut être souligné que, de manière notable, PayPal a décidé de manière spontanée, en
      février 2012, de mettre fin à ses relations contractuelles avec les sites RapidGator, puis
      Uptobox, auxquels de nombreux internautes avaient eu recours à la suite de la fermeture,
      sur décision de la justice américaine, du site MegaUpload, qui permettait de télécharger de
      nombreux fichiers illicites.

            c) Les initiatives des pouvoirs publics pour inciter les intermédiaires du
               paiement à lutter contre la diffusion de contenus contrefaisants

48.   Les pouvoirs publics ont encouragé, à l’échelle internationale, européenne et nationale, la
      conclusion d’accords volontaires entre les divers intermédiaires, tels que les fournisseurs
      d’accès à internet, les sites de vente en ligne, les acteurs de la publicité et les prestataires
      de services de paiement, afin de lutter contre la diffusion de contenus contrefaisants.
49.   Ces accords tendent à remédier à l’insuffisance des actions judiciaires menées par les
      ayants droit, due en particulier à l’hébergement extraterritorial de nombreux sites illicites, à
      la réplication quasi-instantanée des sites après leur fermeture ou à la difficulté
      d’identification des contrevenants principaux. Selon le ministère de la culture, le
      développement de ces accords a été favorisé en outre « du fait de l’intérêt des
      intermédiaires à ne pas voir leurs noms ou produits associés à une activité illicite en ligne.
      Pour ces acteurs économiques, la réputation de leurs marques et la confiance dans
      l’économie numérique par le public sont des éléments déterminants ».

                                                    10
États-Unis
50.   Aux États-Unis, le coordonnateur national pour le respect de la propriété intellectuelle
      nommé par la Maison-Blanche (U.S. Intellectual Property Enforcement Coordinator) a
      conduit, dès 2010, un « plan stratégique conjoint » s’appuyant sur la coopération
      volontaire des intermédiaires de paiement et d’autres intermédiaires dans la chaîne de
      valeur des sites illicites. Parmi les avancées énumérées dans le bilan dressé en 2013, il a
      indiqué qu’American Express, Discover, Mastercard, PayPal et Visa avaient « développé
      volontairement des bonnes pratiques en vue de priver de services de paiement les sites
      proposant des biens piratés ou contrefaisants » (gras ajouté).

            Union européenne
51.   À l’échelle de l’Union européenne, la Commission a encouragé, dès 2011, la signature
      d’un « protocole d’accord » (memorandum of understanding) associant plateformes de
      vente en ligne et ayants droit, consacrant la nécessité d’une collaboration volontaire entre
      ces derniers dans la lutte contre la vente de biens non autorisés.
52.   Dans une communication du 29 novembre 2017, elle a réitéré son soutien aux initiatives
      des entreprises tendant à lutter contre les atteintes à la propriété intellectuelle, en insistant
      sur la nécessité « d’exploiter pleinement le potentiel des accords volontaires ».
53.   Elle a annoncé, à ce titre, l’élaboration prochaine d’un protocole d’accord portant sur la
      « prestation de services de paiement », « qui sont souvent vitaux pour les personnes dont
      l’offre en ligne porte atteinte à la propriété intellectuelle ». Elle s’est dite ainsi « favorable
      à la poursuite de la mise en place de tels accords volontaires, en particulier lorsqu’ils
      portent sur des applications en ligne, et elle s’efforcera de veiller à ce que tous les
      signataires agissent avec diligence et dans le plein respect du droit de l’Union, d’une
      manière générale, et des articles 101 et 102 du TFUE en particulier » (gras ajouté).
54.   Le communiqué de presse accompagnant cette communication développe cette idée, la
      Commission y ayant en effet exprimé son intention de « priver les contrevenants opérant à
      une échelle commerciale des flux de revenus qui rendent leurs activités criminelles
      lucratives [selon une] approche (dite « follow the money ») qui met l'accent sur les flux
      financiers, c'est-à-dire sur les "gros poissons" plutôt que sur des individus ».

            France
55.   Le Gouvernement français a mis en place, en septembre 2015, sous l’égide du ministère
      des finances et des comptes publics et du ministère de la culture et de la communication,
      un « comité de suivi des bonnes pratiques dans les moyens de paiement en ligne pour le
      respect des droits d’auteur et des droits voisins ». Le Gouvernement a expressément inscrit
      cette action « dans le cadre des mesures d’assèchement des ressources financières des
      sites spécialisés dans la contrefaçon d’œuvres en ligne », conformément au « plan de lutte
      contre le piratage commercial » annoncé en conseil des ministres le 11 mars 2015.
56.   D’après le ministère de la culture, l’installation de ce comité traduisait une démarche de
      droit souple et a permis aux représentants des différents secteurs « de mieux connaître
      leurs activités et contraintes respectives et quelques échanges sur les démarches prises
      individuellement à l’égard de sites massivement contrefaisants ». Il était composé
      notamment des professionnels du paiement en ligne (Fédération bancaire française,
      Mastercard, PayPal, Visa Europe, le GIE CB), des organismes français représentant les
      ayants droit et d’autres entreprises ou organismes de l’économie numérique (Groupement

                                                     11
des éditeurs de services en ligne, Association française du multimédia et du mobile,
      Google…).
57.   Le comité de suivi s’est réuni à cinq reprises, entre le 6 octobre 2015 et le 25 mai 2018. Le
      cas de Dstorage a été évoqué explicitement au cours des réunions des 6 octobre 2015 et
      31 janvier 2017, comme illustration de la nécessité, pour les acteurs du paiement en ligne,
      d’échanger des informations sur les sites massivement contrefaisants.

      B.    LES PRATIQUES DENONCEES

58.   La société Dstorage dénonce deux séries de pratiques qu’elle estime constitutives de
      pratiques anticoncurrentielles.

             1. UNE ENTENTE AYANT POUR SUPPORT LES SCHEMAS QUADRIPARTITES DE PAIEMENT

59.   La saisissante expose qu’elle a fait face, depuis 2015, de la part de banques et autres
      prestataires de services de paiement, à de nombreux refus de conclure des contrats VAD
      ou, pour les contrats déjà conclus, à des résiliations unilatérales brutales, le plus souvent
      sans justification, les seuls motifs parfois avancés tenant au risque trop élevé lié à l’activité
      d’hébergement de Dstorage ou même au caractère illicite de cette activité.
60.   Elle soutient que les refus opposés par les prestataires de services de paiement trouvent
      leur origine dans les règles contractuelles de fonctionnement des schémas quadripartites de
      paiement, Mastercard, Visa et du GIE CB, applicables aux prestataires qui proposent des
      services de paiement à des hébergeurs de fichiers en ligne.
61.   Elle observe que ces règles réservent aux schémas quadripartites le « droit exclusif et
      discrétionnaire » de classer des services d’hébergement dans la catégorie de prestataire à
      haut risque et contraignent les prestataires de services de paiement, adhérents à ces
      schémas, à en contrôler la conformité tout au long de la relation contractuelle. Elle soutient
      au surplus que les contrats VAD proposés par les prestataires de services de paiement
      contiennent, conformément aux règles de Visa en particulier, des clauses imposant aux
      hébergeurs eux-mêmes de contrôler la licéité des fichiers hébergés. Or, selon elle, cette
      obligation excède les obligations légales nationales, les hébergeurs étant seulement tenus
      de procéder au retrait des fichiers illicites, sur présentation d’une décision de justice ou
      d’une notification formelle envoyée par la personne lésée.
62.   Elle considère en outre ces agissements comme injustifiés, dès lors que « la plupart de ces
      prestataires acceptent dans leur clientèle d’autres sociétés proposant exactement le même
      service que Dstorage », à l’exemple du service d’hébergement Icerbox, client de Mollie
      B.V. et d’Allied Wallet, ou de la société Smash & Co, cliente de Paypal et Stripe.
63.   La saisissante soutient, en définitive, que les règles internes adoptées par le GIE CB, Visa
      et Mastercard constituent des ententes anticoncurrentielles au sens de l’article L. 420-1 du
      code de commerce, ayant pour effet d’empêcher le jeu de la concurrence sur le marché des
      prestataires VAD et, par répercussion, sur le marché des prestataires de services
      d’hébergement et de réseaux de diffusion de contenus, sur lequel elle-même offre ses
      services.
64.   En effet, ces règles, qui prévoient que les schémas de paiement quadripartites définissent
      les clients « à haut risque » et qui s’imposent, sous peine de sanctions, aux prestataires de

                                                     12
services de paiement adhérents, seraient à l’origine des refus de service et résiliations
      qu’elle a subis et relèveraient, selon elle, de décisions d’association d’entreprises ou de
      pratiques concertées prohibées. À cet égard, elle indique que la résiliation de son contrat
      avec la Société générale en 2015 fait suite à une alerte transmise à celle-ci par Mastercard,
      consécutive au signalement que lui avait adressé une société de médias indienne sur la
      teneur contrefaisante de certains fichiers hébergés par 1Fichier. L’alerte de Mastercard
      constituerait ainsi un exemple de décision de l’organe central du schéma de paiement,
      conduisant à l’exclure du bénéfice d’un contrat VAD.
65.   La saisissante estime enfin que l’application de ces règles a un impact anticoncurrentiel sur
      deux marchés : d’une part, celui des prestataires VAD, qui sont privés de la possibilité de
      proposer de manière autonome des services de paiement aux hébergeurs, tels que Dstorage,
      et, d’autre part, celui des services d’hébergement de fichiers en ligne, tels que 1Fichier,
      dont les pertes financières causées par l’absence de solution de paiement alternative
      pérenne l’empêchent de rester compétitif face à des concurrents tels que Google, Amazon
      et Dropbox.

          2. UN ABUS DE L’ETAT DE DEPENDANCE ECONOMIQUE DE DSTORAGE DE LA PART DES
           PRESTATAIRES DE SERVICES DE PAIEMENT

66.   Dstorage soutient également que les refus de service et les « conditions léonines »
      imposées par les prestataires VAD constituent des abus de dépendance économique au sens
      de l’article L. 420-2, alinéa 2 du code de commerce.
67.   Elle indique à ce titre être cliente des différents prestataires VAD, « ou du moins qu’elle
      l’a été ou a eu vocation à l’être » et expose que, pour le type de service qu’elle propose, le
      paiement par carte bancaire ne connaît « aucune solution techniquement et
      économiquement équivalente ». Elle rappelle à cet égard que 85 % des transactions liées au
      commerce électronique sont réalisées selon ce mode et que l’Autorité a considéré,
      notamment dans sa décision n° 13-D-17 du 20 septembre 20132, que « les autres moyens
      de paiement, tels que les chèques, les espèces, les virements et les prélèvements ne
      constituent pas des substituts étroits aux cartes de paiement ». Elle soutient qu’une
      solution de paiement VAD à un tarif raisonnable est donc essentielle à la viabilité de son
      modèle économique, ce qui la place dans un état de dépendance économique à l’égard des
      prestataires VAD dans leur ensemble.
68.   Or, elle relève que les prestataires VAD lui ont opposé, soit des refus de service
      inexpliqués, soit des ruptures brutales de contrat injustifiées, soit des « conditions
      léonines » sans rapport avec celles pratiquées habituellement sur le marché. Ces
      agissements constitueraient, selon elle, des refus de vente et des pratiques discriminatoires
      au sens de l’article L. 420-2, alinéa 2 du code de commerce, de nature à évincer certains
      acteurs, tels que Dstorage, du marché de l’hébergement de fichiers et des réseaux de
      diffusion de contenus. Elle en conclut que les prestataires VAD abusent collectivement de
      son état de dépendance économique à leur égard.

      2
       Décision n° 13-D-17 du 20 septembre 2013 relative à des pratiques de Mastercard relevées dans le secteur
      des cartes de paiement.

                                                         13
II. Discussion

      A.       SUR LES MARCHES PERTINENTS

69.   Il convient de rappeler que, s’agissant des moyens de paiement par carte bancaire, les
      marchés pertinents ont déjà été définis dans plusieurs décisions de l’Autorité, dont,
      notamment, la décision n° 11-D-11 du 7 juillet 2011 relative à des pratiques mises en
      œuvre par le Groupement des Cartes Bancaires.
70.   Dans celle-ci, l’Autorité a identifié trois marchés :
           -    un marché amont, sur lequel les systèmes de paiement par carte se font concurrence
                pour affilier les établissements de crédit ou de paiement,
           -    deux marchés aval : le marché de l’émission relatif à la distribution de cartes auprès
                des consommateurs (marché de l’émission) et le marché de l’acquisition concernant
                l’affiliation de commerçants (marché de l’acquisition).
71.   La saisissante se plaint d’avoir subi, de la part de prestataires de services de paiement, des
      refus de contracter résultant de l’application des règles de fonctionnement adoptées par les
      schémas quadripartites, le GIE CB, Visa et Mastercard.
72.   Ces règles de fonctionnement régissent le marché amont des systèmes de paiement par
      carte et, selon la société saisissante, ont des effets sur le marché aval de l’acquisition pour
      l’affiliation de commerçants et, par voie de conséquence, sur le marché des services
      d’hébergement et de partage de fichiers numériques, sur lequel elle-même offre ses
      services.
73.   Selon une pratique décisionnelle constante, lorsque les pratiques en cause sont examinées
      au titre de la prohibition des ententes, comme c’est le cas en l’espèce, il n’est pas
      nécessaire de définir le marché avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment
      identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs
      qui les ont mises en œuvre. De façon plus générale, la cour d’appel de Paris a également
      jugé, dans un arrêt du 26 septembre 2013 (n° 2012/08948), que l’Autorité peut se borner à
      retenir que les pratiques dénoncées portent sur un secteur donné, sans avoir à analyser plus
      précisément le marché en cause, dès lors qu’elle constate que ces pratiques ne peuvent être
      tenues pour contraires au droit de la concurrence, quelles que soient la définition donnée au
      marché et la position qu’y occupe l’entreprise mise en cause.
74.   Une délimitation plus précise de ces marchés, que ce soit le marché de l’acquisition dans sa
      dimension géographique ou le marché des services d’hébergement et de partage de fichiers
      numériques, dans ses dimensions matérielle et géographique, n’apparaît donc pas
      nécessaire, compte tenu de l’examen du secteur précédemment décrit, des éléments
      communiqués par la saisissante et des développements qui suivent.
75.   Quelle que soit la délimitation exacte du marché des services d’hébergement et de partage
      de fichiers numériques, la part de marché de Dstorage et son évolution, du moins pour ce
      qui concerne le marché national, peuvent néanmoins être estimées. Le cabinet IDC évaluait
      en 2012 le marché français du « stockage en ligne », sur lequel sont présents notamment
      DropBox et Amazon S3, à 105 millions d’euros3. D’après les comptes sociaux de Dstorage

      3
       « Cloud computing : ces Français à l’assaut du stockage », https://www.usinenouvelle.com/article/cloud-
      computing-ces-francais-a-l-assaut-du-stockage.N195742, 25 avril 2013.

                                                        14
annexés à la saisine, il apparaît que cette dernière a réalisé en 2012 un chiffre d’affaires de
      202 500 euros. Le montant du chiffre d’affaires réalisé en France, qui résulte de la
      différence entre ce dernier montant et le montant du chiffre d’affaires réalisé à l’export,
      soit 21 300 euros, s’élève ainsi à 181 200 euros. La part de marché de Dstorage en 2012
      peut dès lors être estimée à moins de 0,2 %.
76.   Les comptes sociaux relatifs aux exercices 2015 et 2017 font apparaître, quant à eux, un
      montant de chiffre d’affaires réalisé en France de 1 255 000 euros et de 508 800 euros,
      respectivement. S’il est pris pour hypothèse que la valeur totale du marché français est
      restée stable entre 2012 et 2017, la part de marché de Dstorage peut être évaluée à 1,2 %
      pour 2015 et à 0,5 % pour 2017. Cette hypothèse étant toutefois conservatrice, il est
      vraisemblable que la part de marché de Dstorage n’a pas dépassé 1 %, voire 0,5 %, sur
      cette période. Il doit être précisé que cette estimation ne tient pas compte de l’utilisation
      des offres gratuites proposées par Dstorage et ses concurrents.

      B.    SUR L’ENTENTE ALLEGUEE

77.   Les règles contractuelles des schémas quadripartites constituent des décisions d’association
      d’entreprises, ainsi que l’a souligné la Commission européenne dans sa décision du
      19 décembre 2007 (COMP/34.579, 36518, 38580), dans laquelle elle a considéré que
      Mastercard était une « association d’entreprises » dont les décisions relevaient du régime
      des ententes au sens du droit de la concurrence, dans la mesure où elles coordonnent
      l’action des membres affiliés au réseau de paiement quadripartite.
78.   Dans l’arrêt du 11 septembre 2014 concernant des pratiques mises en œuvre par le
      Groupement des Cartes Bancaires (C-67/13 P, paragraphe 48), la Cour de justice de
      l’Union européenne a rappelé que, pour relever de l’interdiction énoncée à l’article 81,
      paragraphe 1 – devenu l’article 101, paragraphe 1 du TFUE – « un accord, une décision
      d’association d’entreprises ou une pratique concertée doit avoir "pour objet ou pour effet"
      d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence dans le marché intérieur ».
79.   La Cour de justice des communautés européennes a souligné le caractère alternatif des
      deux critères de l’objet et de l’effet des pratiques, dans un arrêt du 30 juin 1966 (Société
      technique minière (LTM) c/ MBU, 56-65). Dans le même arrêt, elle a exposé les étapes de
      l’analyse à suivre pour rapporter la preuve d’une entente anticoncurrentielle : « Le
      caractère non cumulatif, mais alternatif de la présente condition, marqué par la
      conjonction 'ou', conduit d'abord à la nécessité de considérer l'objet même de l'accord,
      compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué ; (…) les altérations
      du jeu de la concurrence, visées par l'article 85, paragraphe 1, (devenu l’article 101 du
      TFUE) doivent résulter de tout ou partie des clauses de l'accord lui-même ; (…) au cas
      cependant où l'analyse desdites clauses ne révèlerait pas un degré suffisant de nocivité à
      l'égard de la concurrence, il conviendrait alors d'examiner les effets de l'accord et, pour le
      frapper d'interdiction, d'exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la
      concurrence a été en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible ; (…) le
      jeu de la concurrence dont [il] s'agit doit être entendu dans le cadre réel où il se
      produirait à défaut de l'accord litigieux. »

                                                    15
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