Dépression masculine - Revue Médicale Suisse

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REVUE MÉDICALE SUISSE

                                                 Dépression masculine
                                                Drs ANNICK GERBER a, KIM HOANG NAM NGUYEN a et SCHEHERAZADE FISCHBERG a

                                                                          Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 1614-9

               La dépression est l’une des maladies psychiatriques les plus fré-              monte à 3,5‑4 hommes pour 1 femme. Pour ­certains auteurs,
               quemment rencontrées en médecine de premier recours, source                    ce ratio est même de 7 : 1 chez la personne âgée.5
               de souffrance majeure tant pour le malade que pour son entou-
               rage. Les symptômes classiques sont souvent bien connus pour                   La formation multidisciplinaire des soignants et le développe-
               la femme. Cet article a pour but de mettre en exergue les spécifi-             ment d’outils de dépistage spécifiques aux hommes ont donc
               cités masculines de cette maladie, parfois m
                                                          ­ éconnues.                         un rôle central. Des réponses interdisciplinaires et s­ ociétales
                                                                                              (par exemple dans l’entrave aux moyens de ­suicide) sont sou-
                                                                                              haitables pour faire face à cet enjeu de santé ­publique. ­Plusieurs
                                      Men and depression                                      pays se sont dotés de programmes nationaux de prévention,
               Depression is one of the most frequently encountered psychiatric               comme l’Australie, qui a édité un guide à cet effet, accessible
               disease in the primary care setting, source of enormous suffering              sur internet, et tenant compte des spécificités masculines.6
               for the ill and for his / her entourage. Classical features of the ­disease
               in women are usually well known. This article’s goal is to h­ ighlight
               the masculine specificities of depression, sometimes poorly known.             SYMPTOMATOLOGIE DÉPRESSIVE MASCULINE
                                                                                              La stigmatisation sociale dont souffrent toutes les maladies
               INTRODUCTION                                                                   psychiatriques encore de nos jours n’épargne pas la dépression.
                                                                                              Si les sociétés occidentales ont évolué avec le développement
               Des facteurs anthropologiques et socio-­culturels sont sources                 d’un certain degré de tolérance envers les femmes d     ­ éprimées, il
               de différences entre l’homme et la femme dans l’expression                     ne semble pas en être de même pour les hommes. Anthropo­
               de la dépression. Il existe également des facteurs neurobio­                   logiquement, l’homme devait garantir la survie du groupe par
               logiques qui confirment aujourd’hui la spécificité d’une                       ses attitudes dites viriles de guerrier-­chasseur et, de nos jours,
               ­dépression masculine.1 L’objet de cet article est de fournir des              même si les mœurs changent, certains de ces stéréotypes de
                outils de dépistage de la maladie chez l’homme. En fin                        genre restent ancrés. Ils expliquent un certain nombre de
                ­d’article, quelques particularités masculines de la prise en                 barrières auxquelles l’homme déprimé peut se heurter.
                                                                                              ­
                 charge seront abordées.                                                      ­Certaines sont répertoriées dans le tableau 1. Ainsi l’homme
                                                                                               malade, s’il fait face à une mise en question de sa v­ irilité, telle
                                                                                               que définie par les valeurs dites traditionnelles, doit en plus faire
               éPIDÉMIOLOGIE 2                                                                 face à des pressions sociales (professionnelles, familiales) avec
                                                                                               trop souvent, une incompréhension de l’entourage.
               La dépression est une maladie mentale stricto sensu et non
               l’exagération d’états d’âme passagers connus de tous. Elle                     Quant aux soignants, ils ne sont pas à l’abri de biais et sont
               ­figure sur le plan mondial en première position avant le VIH                  parfois sources de retard, voire d’erreurs de diagnostic.1,4,7
                et les cardiopathies coronariennes comme l’affection la plus                   L’aspect transculturel croissant de nos consultations apporte
                souvent responsable de handicaps significatifs et de coûts                     à ce point de vue une complexité supplémentaire importante
                élevés pour la société.3 La plupart des études épidémio­                       à prendre en compte.6,8 Le diagnostic d’un épisode dépressif
               logiques donnent un ratio de prévalence de deux femmes                          selon la classification internationale des maladies, 10e version
               pour un homme.4 Mais ces études sont-­elles le ­reflet fidèle de               (CIM-­10) repose sur trois symptômes majeurs qui ne man­quent
                 la réalité ? De multiples barrières à ce d  ­ iagnostic et l’utilisa-        jamais, et l’homme déprimé n’y fait pas exception, auxquels
                tion d’outils de dépistage non ­spécifiques à l’homme laissent                s’ajoutent sept symptômes mineurs.9 Le tableau 2 les résume.
                supposer une sous-­estimation de la réelle prévalence de cette                Ces symptômes sont fréquemment accompagnés d’un syn-
                maladie chez eux.4 Ce sous-­diagnostic peut également être                    drome somatique (perte pondérale, réveils précoces, sympto-
                ­illustré par le fait que les hommes ont un taux de décès par                 matologie dépressive plus marquée le matin, ralentissement
                 suicide 3 à 5 fois s­ upérieur à celui des femmes. Le suicide est            ou agitation, baisse de la libido). Chez la femme, les symptômes
                 même devenu la cause de décès la plus fréquente chez les                     dépressifs tendent à être plus typiques et plus manifestes sur
                 hommes de 15 à 44 ans.                                                       les plans affectifs et somatiques. Chez l’homme, le tableau
                                                                                              ­clinique diffère fréquemment et est plus de l’ordre du com-
                Chez les adolescents / jeunes adultes, ainsi que chez les                      portemental, avec une tendance, entre autres choses, à l’irri-
                ­personnes de plus de 75 ans, le ratio de genre pour les ­suicides             tabilité et à l’impulsivité.1,3,5 Ces particularités sont essentielles
                                                                                               à connaître pour pouvoir ­détecter cette maladie chez l’homme.
               a Service de médecine de premier recours, Département de médecine commu-
                                                                                               Elles sont résumées dans le t­ ableau 3.
               nautaire de premier recours et des urgences, HUG, 1211 Genève 14
               scheherazade.fischberg@hcuge.ch | annick.gerber@hcuge.ch                       Une autre particularité de l’état dépressif chez l’homme est sa
               kimhoangnam.nguyen@hcuge.ch                                                    propension à chercher seul des solutions, voire à fuir l’aide.

                                                                                             WWW.REVMED.CH
                                                                              1614           28 septembre 2016

1614-9_39375.indd 1614                                                                                                                                                  22.09.16 09:54
médecine
                                                                                                                                                                                                                         ambulatoire

                                                  Exemples de barrières                                                                                                                                   Critères de diagnostic de
                           Tableau 1          au diagnostic et à l’accès aux                                                                                                            Tableau 2         la dépression, et critères
                                             soins chez l’homme déprimé 1,3,5                                                                                                                             de sévérité selon CIM-­10 9
               L’homme déprimé                                          Difficultés                                                                                                     Critères / symptômes              Critères / symptômes
                                                                        pour le soignant                                                                                                majeurs (en gras)                 mineurs (en gras)
                                                                                                                                                                                        Toujours présents
               Barrières            X   se sent pas malade
                                       Ne                               X  V a devoir aller chercher
               émotionnelles           (auto-­évaluation fruste)            l’information                                                                                               Baisse de l’humeur                Plan cognitif

                                                                                                                   Critères de diagnostic de dépression
                                       et ne voit pas la maladie            pro-­activement                                                                                             X Inhabituellement triste        XBaisse de la concentration,
                                       s’installer                      X Ne pas être vécu comme                                                                                          pour la femme                    de l’attention

                                                                                                                                                          Minimum depuis 2 semaines
                                                                                                                                                          Pratiquement tous les jours
                                    X Sentiment de ne pas                 une menace                                                                                                  X Inhabituellement irritable

                                       pouvoir être compris                 par l’homme malade                                                                                             pour l’homme
                                       par les autres                                                                                                                                   X Sensation de vide affectif
                                    X Peur de se montrer faible

                                       (menace sur la virilité)                                                                                                                         Perte d’intérêt                   Plan émotionnel
                                    X S’écoute moins
                                                                                                                                                                                        X Absence de sens ou             X  Baisse de l’estime de soi
                                                                                                                                                                                           d’intérêt inhabituel           X Sentiment de culpabilité
                                    X Va moins manifester
                                                                                                                                                                                                                          X Pessimisme
                                       de l’anxiété, un sentiment
                                       de culpabilité ou                                                                                                                                Trouble de l’énergie              Plan somatique
                                       de dévalorisation que                                                                                                                            X Baisse d’activité              X  Troubles du sommeil
                                       la femme et parlera plus                                                                                                                         X Fatigabilité augmentée         X Troubles de l’appétit
                                       facilement de stress que                                                                                                                                                           X Baisse de la libido
                                       de tristesse par exemple
                                    X A un souvenir atténué                                                                                                                                                              Plan comportemental
                                       des épisodes dépressifs                                                                                                                                                            XIdées / actes suicidaires
                                       par rapport à la femme
                                                                                                               Dépression                                                                Les 3 critères ci-­dessus   +
               Barrières sociales   Valeurs traditionnelles, à          X  R isque de biais si ces            légère
                                    préserver                               valeurs sont partagées             Absence de
                                    X Domination                           inconsciemment                     symptôme
                                    X Courage                          X Image en miroir : homme             intense                                                                                                        2 ou 3 symptômes mineurs
                                    X Maîtrise de soi                      somatique / femme
                                    X Indépendance                         psychologique                      Dépression                                                                Les 3 critères ci-­dessus   +
                                    X Efficacité                       X Stigmates sociaux,                  moyenne
                                    X Rationalité                          risque pour l’emploi               Symptômes
                                    X Compétitivité                        du patient, barrière               pas forcément
                                    Répression des émotions                 aux soins                          intenses                                                                                                       3 ou 4 symptômes mineurs
                                    dites faibles (tristesse,
                                    découragement, etc. moins                                                  Dépression                                                                Symptômes intenses
                                    exprimés)                                                                  grave                                                                     La majorité du temps accompagnés d’un syndrome somatique

               Barrières            X  C olérique (plus que triste),   X   R isque d’erreur de
               comportementales         va chercher la bagarre               diagnostic (personnalité
                                        (plus que le repli sur soi)          narcissique, paranoïaque,                                                                                                     Symptômes atypiques
                                    X E xigeant (plus qu’apa-               antisociale, etc.)                                                                          Tableau 3                      suggestifs d’un état dépressif
                                        thique), cherche plus                                                                                                                                                chez l’homme1,3‑5
                                        des solutions qui lui
                                        donnent un avantage                                                    X   bus de substances (alcool comme automédication fréquente), comporte-
                                                                                                                  A
                                        (plus qu’un consensus)                                                    ments compulsifs, (moins de troubles alimentaires que les femmes). Avec
                                    X Susceptible                                                                aggravation consécutive de la dépression
                                    X Méfiant                                                                 X Baisse de tolérance au stress inhabituelle
                                    X Tendance à blâmer les                                                   X Baisse de la résistance à l’effort

                                        autres (peu autocritique)                                              X Baisse du contrôle des pulsions, impulsivité augmentée, agressivité inhabi-
                                    X Fuit l’aide, se confie moins                                               tuelle
                                    X Isolement socio-­familial                                               X Hyperactivité (sexe, sport, travail et autres)

                                        (cause ou conséquence                                                  X Transgression des règles, prise de risques exagérée

                                        de la maladie)                                                         X Irritabilité et dysphorie
                                                                                                               X Attaques de colère / de rage, (équivalent dépressif), avec le sentiment d’avoir

                                                                                                                  sur-­réagi, conscience de la perte de contrôle, ± accompagnées de manifesta-
               Lorsqu’il la recherche, il le fera plus dans des centres                                           tions physiques (tachycardie, hyperventilation, bouffées de chaleur)
               ­d’urgences plutôt qu’en cabinet de médecine ­générale.5

                                                                                                               genre, étend cette recommandation aux femmes e­ nceintes et
               OUTILS DE DÉPISTAGE                                                                             en post-­partum sans autre mention sur l’homme. Le groupe
                                                                                                               recommande ce dépistage une fois chez toute personne
               Dépression
                                                                                                               n’ayant jamais été dépistée et chez ceux qui ont des facteurs
               Les recommandations internationales concernant le dépistage                                     de risque (antécédent de dépression, événements de vie, ma-
               de la dépression font l’objet de controverses, changent avec le                                 ladie chronique, anamnèse familiale positive, etc.). S’il insiste
               temps et leur niveau de preuve n’est pas optimal. La Société                                    par ailleurs sur l’adéquation des moyens de diagnostic utilisés et
               suisse de psychiatrie a émis des recommandations sur le trai-                                   mentionne des échelles de dépistage, il ne fait pas mention de
               tement de la maladie dépressive mais pas sur son ­dépistage.                                    spécificités masculines dans la version de 2016.10 En ce qui
                                                                                                               concerne les adolescents entre 12 et 18 ans, l’USPSTF recom-
               Aux Etats-­Unis, l’US Preventive Services Task Force (USPSTF)                                   mande uniquement le dépistage des épisodes de dépression
               recommande son dépistage pour la population de plus de                                          classés majeurs. Ces deux recommandations sont faites sur
               18 ans. Elle le fait sans distinction de gravité et, en matière de                              une évidence de preuve de grade B (haute évidence de béné-

                                                                                           www.revmed.ch
                                                                                           28 septembre 2016                   1615

1614-9_39375.indd 1615                                                                                                                                                                                                                                    22.09.16 09:54
REVUE MÉDICALE SUISSE

               fice modéré ou évidence modérée d’un bénéfice m
                                                             ­ odéré ou
                                                                                                                             échelle de dépression
               substantiel).10                                                                          Tableau 4            masculine de Gotland
                                                                                     Score entre 0‑13 : absence de signe de dépression. Score entre 13‑26 : dépression
               La Canadian Task Force on Preventive Health, elle, ne recom-          possible avec possible indication aux traitements. Score entre 26‑39 : signes clairs
               mande pas de dépistage systématique pour la population                de dépression. Indication claire aux traitements.
               adulte, avec une évidence de preuve faible (recommandation
               faible, données probantes de très faible qualité).                    Durant le mois dernier, avez-­vous remarqué (ou vous a-­t‑on fait remarquer)
                                                                                     des changements dans votre comportement, et si oui, sous quelle forme ?

               Ceci étant, si l’on tient compte du fait que beaucoup                                                       Pas du      En partie   Très vrai   Extrême-
                                                                                                                           tout vrai   vrai                    ment vrai
               d’hommes ne demanderont pas d’aide directement, que des
               outils de dépistage efficaces, peu coûteux et sans effet secon-                                             0 point     1 point     2 points    3 points
               daire négatif existent ainsi que de nombreux traitements              1. Baisse du seuil de tolérance
               ­efficaces (et plus efficaces s’ils sont mis en place tôt), le bon        au stress / davantage de stress
                sens semble préconiser une recommandation de dépistage                   que d’habitude
                ­fréquent et / ou régulier.                                          2. Plus d’agressivité, plus
                                                                                         susceptible, difficultés à
               De nombreuses échelles de dépistage ont été publiées. Cer-                garder le contrôle de soi
               taines ont été développées pour des populations spécifiques           3. Sensation d’être épuisé et vide
               (post-­partum, personnes âgées). Ces échelles ne prennent
                                                                                     4. Fatigue constante, inexpliquée
               pas (ou trop peu) en considération les spécificités masculines
               citées plus haut et dans le tableau 3. Même si certains auteurs       5. Plus irritable, agité et frustré
               adaptent parfois le cut-­off du diagnostic pour les hommes.7          6. Difficulté à prendre des
               Parmi les outils validés se trouve une échelle de dépistage de            décisions ordinaires du
                                                                                         quotidien
               la dépression spécifiquement masculine, dite de Gotland
               (­utilisable en auto-­évaluation).4,11,12 Une version traduite en     7. Troubles du sommeil :
                                                                                         X sommeil excessif / insuffi-
               français est présentée dans le tableau 4.
                                                                                            sant / agité
                                                                                         X difficultés d’endormisse-

               Pour la population âgée, il n’existe actuellement pas                        ment / réveil précoce
               d’échelle de dépistage spécifique au genre. La Geriatric De-          8. L e matin en particulier,
               pression Scale (GDS), classiquement utilisée, a l’avantage,              sensation d’inquiétude,
               par rapport à d’autres échelles gériatriques, d’être ciblée sur          d’anxiété, de mal-­être
               la dépression. La complexité du diagnostic de dépression est          9.X ­Surconsommation d’alcool ou
               ici augmentée par la forte prévalence (indépendamment                     de médicaments pour avoir
               d’une d ­ épression) de troubles cognitifs, d’insomnies de fin            un effet calmant, relaxant
                                                                                        X hyperactivité ou évacuation
               de nuit, de dysfonctions sexuelles, de constipation, de dou-                 du stress dans le travail
               leurs, etc. Il ne semble pas que cette maladie ait des mani-                 intensif et sans relâche,
               festations cliniquement très différentes chez l’homme âgé                    dans l’activité physique
                                                                                            comme le jogging ou autre
               et chez l’homme jeune.13 C’est donc probablement dans                    X manger peu ou trop
               l’utilisation conjointe des critères de diagnostic, la connais-
               sance des spécificités masculines, de ses facteurs de risque          10. Avez-­vous l’impression que
                                                                                         votre comportement s’est
               et l’utilisation de l’échelle de Gotland associée à la GDS que            modifié de telle façon que
               l’on améliorera la valeur prédictive positive du dépistage                ni vous-­même ni les autres
               chez l’homme âgé.                                                         ne vous reconnaissent, et
                                                                                         qu’il est difficile d’interagir
                                                                                         avec vous ?
               L’éducation de la population générale a aussi un rôle impor-
               tant dans l’avenir pour cette maladie.1,6 Classiquement, l’en-        11. Avez-­vous ressenti ou
                                                                                         d’autres vous ont-­ils perçu
               tourage de l’homme déprimé, s’il méconnaît la maladie, passe              comme morose, négatif,
               d’une phase initialement empathique, à une phase de lassi-                dans un état de désespoir
               tude, de pressions et de rejet, qui va envenimer la situation du          où tout vous semble
                                                                                         sombre ?
               malade.1 Des témoignages d’hommes déprimés sont acces-
               sibles. Ils peuvent être utiles aux patients, à leur entourage,       12. Avez-­vous ou d’autres
                                                                                         remarqué une tendance
               ainsi qu’aux soignants. Le tableau 5 en donne quelques                    plus marquée à l’apitoie-
               exemples.                                                                 ment, à se plaindre, à se
                                                                                         sentir « pathétique »
               Suicide                                                               13. D
                                                                                          ans votre famille
                                                                                         biologique, y a-­t‑il une
               Les hommes commettent 90 % des suicides liés à l’alcool.                  tendance à des abus, à la
                                                                                         dépression / au décourage-
               Dans la majorité des situations, même en présence d’idées                 ment, des tentatives de
               suicidaires, ils ne vont pas en parler spontanément au                    suicide ou une propension
               ­soignant.4,5 The SAD PERSON scale14 est un outil mnémotech-              à des comportements
                nique simple d’utilisation pour l’évaluation du risque                   dangereux ?
                ­suicidaire. Il est repris dans le tableau 6.                        (Traduit de l’anglais de réf.12).

                                                                                    WWW.REVMED.CH
                                                                       1616         28 septembre 2016

1614-9_39375.indd 1616                                                                                                                                                      22.09.16 09:54
REVUE MÉDICALE SUISSE

                                             Quelques sources de témoignages                                                Tableau 6       The SAD PERSONS SCALE14
                         Tableau 5          écrits ou vidéos d’hommes déprimés
                                               et de documentations diverses                             échelle mnémotechnique d’évaluation du risque suicidaire.

               Institution           Langues             Liens internet                                  SAD PERSONS scale                          Commentaires

               National Institute Anglais                Témoignages vidéo :                             Sexe                                       Le suicide est plus fréquent chez
               of Mental Health et espagnol              www.nimh.nih.gov/health/topics/                                                            l’homme que chez la femme
               (Etats-Unis)                              men-­and-­mental-­health/real-­stories-­of-­    Age                                        Pics de suicide chez les hommes
               Depression in                             depression/index.shtml                                                                     adolescents et jeunes adultes puis
               men Real stories                                                                                                                     également au-­delà de 60‑70 ans
               Association           Anglais             Texte en français : www.cmha.ca/fr/             Dépression                                 Associé dans 50 % des suicides en moyenne
               canadienne pour                           news/la-­grc-­et-­la-­sante-­mentale-­une-­
               la santé mentale                          histoire-­personnelle/                          Previous attempt (antécédent               Un antécédent de tentative est un
               Ride don’t Hide                           Témoignage vidéo en anglais :                   de tentative de suicide)                   prédicteur positif fort de récidive
                                                         https://www.youtube.com/watch?v=_
                                                         PUt0Uee4AM                                      Ethanol                                    X  R isque augmenté de 50 ×
                                                                                                                                                    X   Augmente la mortalité du geste quelle
               HeretoHelp            Anglais et          Témoignage écrit en anglais :                                                                   que soit la méthode utilisée
               (Canada)              traduction de       www.heretohelp.bc.ca/visions/                                                              X Augmente la sévérité de la dépression

               Personal Stories      documents           men-­vol2/a-­big-­strong-­man                                                              X Augmente l’impulsivité

                                     d’information       Témoignage écrit en anglais, aspect                                                        X Augmente les comportements violents

                                     dans de             transculturel :                                                                            X Diminue la réponse aux traitements

                                     multiples           www.heretohelp.bc.ca/visions/                                                                   médicamenteux
                                     langues, cf. site   older-­adult-­immigrants-­and-­refugees-­                                                  X Diminue l’adhérence thérapeutique

                                                         vol6/life-­through-­depression-­                                                           X Diminue la recherche de solutions

                                                         depression-­through-­life                                                                       alternatives au suicide
                                                         Documents traduits :
                                                         www.heretohelp.bc.ca/other-­languages           Rationality lost (perte (parfois
                                                                                                         partielle) de contact avec la réalité)
                                                                                                         Social support lacking (isolement
                                                                                                         social)
               PRISE EN CHARGE
               Généralités                                                                               Organised plan (idée suicidaire avec       X   iveau de la pensée, du souhait
                                                                                                                                                       N
                                                                                                         plan organisé)                                (souvent passif)
                                                                                                                                                    X Niveau de l’intention, des menaces
               La demande d’aide et l’accès aux soins est donc difficile pour
                                                                                                                                                    X Niveau du plan organisé, où le risque
               l’homme déprimé. L’aspect des traitements n’y fait pas excep-
                                                                                                                                                       est maximal
               tion et il lui est d’autant plus difficile de faire appel à un
               ­psychiatre. Le rôle du médecin de premier recours est donc                               No spouse (absence de conjoint)            X   C élibat : risque 1,5‑2 × augmenté
                                                                                                                                                    X    Divorce idem
                important non seulement dans le dépistage mais également                                                                            X     Deuil, risque augmenté dans les mois
                dans la prise en charge de la maladie.3                                                                                                    suivants
                                                                                                         Sickness (co­morbidité(s))                 Des maladies somatiques concomitantes
               Une fois la possibilité du diagnostic évoqué, le diagnostic diffé-                                                                   se retrouvent chez la majorité des suicidés
               rentiel est à prendre en compte tant sur le plan psychiatrique
               que sur le plan somatique. Sans nous étendre ici sur ce point, il
               peut être utile de rappeler que certaines pathologies somatiques
                                                                                                                                     Différences d’efficacité dans le traite-
               (dysthyroïdie, traitements médicamenteux ­dépressogènes, ma-
                                                                                                                  Tableau 7         ment de la dépression selon la catégorie
               ladie cœliaque, hypogonadisme, etc.) ­méritent d’être raisonna-                                                        d’antidépresseurs et le genre15,16,17
               blement exclues et / ou d’avoir un traitement spécifique.
                                                                                                         Catégorie d’antidépresseur                      Réponse homme-­femme
                                                                                                                                                         (H-­F)
               Traitements médicamenteux
                                                                                                         Inhibiteurs de la monoamine oxydase             H 50 ans : H = F
               termes de réponse au traitement entre les hommes et les                                   Duals inhibiteurs de la sérotonine              H=F
               femmes, selon la catégorie d’antidépresseur utilisée (même s’il                           et de la noradrénaline (duloxétine,
                                                                                                         venlafaxine, mirtazapine) ou inhibiteurs
               reste parfois une controverse à ce s­ ujet).1,15‑17 Quelques-­unes de                     de la noradrénaline et dopamine
               ces différences sont résumées dans le tableau 7.                                          (bupropion)
                                                                                                         Antidépresseurs tricycliques                    H > F avec réponse plus lente
               Les troubles sexuels, à la fois symptomatiques de la maladie et                                                                           H=F
               effet secondaire médicamenteux (en principe sur la durée du
                                                                                                         Inhibiteur sélectif de la noradrénaline         H>F
               traitement), sont l’un des facteurs fréquents d’interruption                              tel que reboxétine
               thérapeutique.16 Leur évaluation par une anamnèse ­         ciblée
               avant l’introduction d’un médicament, ainsi que leur suivi, est
               primordiale. Des stratégies pour tenter de pallier cet effet                              précède en plus des précautions habituelles, comme la vérifi-
               ­secondaire existent, par exemple changer de classe de médica-                            cation des interactions médicamenteuses (particulièrement
                ment, ou diminuer la posologie pour obtenir la dose minimale                             fréquentes avec les psychotropes), ou l’évaluation de l’inter-
                efficace.5,16 Le choix de la molécule tient donc compte de ce qui                        valle QT mesuré à l’électrocardiogramme.

                                                                                                        WWW.REVMED.CH
                                                                                           1618         28 septembre 2016

1614-9_39375.indd 1618                                                                                                                                                                            22.09.16 09:54
médecine
                                                                                                                                                          ambulatoire

               Psychothérapies                                                                           et sa diffusion offrent un potentiel puissant d’amélioration de
                                                                                                         son dépistage et de sa prise en charge.
               Les hommes ont moins recours aux psychothérapies que les
               femmes, mais ici leur réponse au traitement semble compa-
               rable. Plusieurs approches sont reconnues comme efficaces,                                Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
                                                                                                         avec cet article.
               par exemple la psychothérapie cognitivo-­comportementale
               ou la psychothérapie interpersonnelle.1,3 L’Université natio-
               nale australienne a par exemple développé un programme
               d’auto-­prise en charge (approche cognitivo-­comportementale)
               accessible online et traduit dans plusieurs langues : http://
               moodgym.anu.edu.au/welcome

               Approches thérapeutiques complémentaires
                                                                                                             Implications pratiques
               Ces thérapies gagnent à être complétées par d’autres ­approches,
               telles que l’activité physique d’intensité modérée à raison de                                 Les critères de diagnostic principaux (CIM-­10) de la dépres-
               30 minutes par jour tous les jours (efficacité démontrée dans                               sion restent les mêmes quel que soit le genre, mais la symptoma-
               le traitement de la dépression) et la gestion du stress (par                                tologie chez l’homme diffère fréquemment de celle de la femme.
               exemple mindfullness).3 Ce d’autant plus que ces approches                                  En particulier la tristesse peut être masquée par une autre forme
               ont également leur place dans la prévention des ­récidives.                                 de baisse de l’humeur à savoir l’irritabilité
                                                                                                             Connaître les spécificités masculines de la dépression permet
                                                                                                           de mieux poser le diagnostic chez l’homme qui aura tendance à
               CONCLUSION                                                                                  chercher peu d’aide et à accomplir davantage de suicides
                                                                                                             Chez les hommes, la réponse thérapeutique à certains anti­
               Que la dépression soit sous-­diagnostiquée n’est pas une fata-
                                                                                                           dépresseurs diffère de celle des femmes
               lité. La connaissance des spécificités masculines de la maladie

           1 **Hovaguimian T en collaboration         6 Promoting Good Practice in Suicide               11 Sigurdsson B, et al. Validity of Gotland     15 Marsh W, Deligiannidis K. Sex-­related
           avec Barraud P. La dépression masculine.   PreventionActivities, Targeting Men.               Male Depression Scale for male depression       differences in antidepressant response :
           Comprendre et faire face. Genève :         Australian Government Department of                in a community study : The Sudurnesja‑          When to adjust treatment. How pharma‑
           Editions Médecine & Hygiène, 2012.         Health and Ageing, 2008. Developed by              menn study. J Affect Disord 2015;173:81‑9.      codynamic, pharmacokinetic, and
           2 Office Fédéral de la Santé Publique,     NOVA Public Policy P/L For the Suicide             12 Zierau F, et al. The Gotland Male            hormonal factors impact prescribing.
           OFSP : Le suicide et la prévention du      Prevention Section. Mental Health and              Depression Scale : A validity study in          Curr Psychiatry 2010;9:25‑30.
           suicide en Suisse. Rapport répondant au    Suicide Prevention Programs Branch.                patients with alcohol use disorder. Nord J      16 Martin-­Du Pan R, Baumann P. Dysfonc‑
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           3 Berghändler T. Ce que le médecin doit    in the general population with the center for      13 Assessment of Depression. Edited by          seurs et les antipsychotiques et leurs
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                                                                                     28 septembre 2016      1619

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