Diversité, synonyme De culture

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Diversité, synonyme De culture
2009 • numero 5 • ISSN 1993-8616

 Diversité,
synonyme
de culture
Diversité, synonyme De culture
Sommaire
                                                                                                2009 - N° 5

                                                      Diversité, synonyme de culture
                                                      Un voyage au long cours entre la Chine et l’Iran, avec la calligraphie pour
                                                      boussole ; une plongée dans le spleen de Paris, guidée par un photo-
                                                      graphe japonais ; un retour aux sources du kung fu, un art aujourd’hui
                                                      internationalisé ; un tour du monde au fil de la soie thaïlandaise ; une
                                                      escapade en Turquie, sur des notes de musique bretonne… Ce mois-ci,
                                                      le Courrier de l’UNESCO consacre ses pages à la diversité culturelle.
                                                        						                                                éDITORIAL P3
                                                 DR

                                                                                                       Musique voyageuse
Détail de « Mou-ak » (danse folklorique).
Œuvre de l’artiste coréen Kim Ki-Chang, rentrée                                                       Jeté aux oubliettes pendant plusieurs
dans la collection de l’UNESCO en 1982.                                                               décennies, le folklore breton connaît
Photographe : Patrick Lagès.
                                                                                                      aujourd’hui un renouveau remarquable.
                                                                                Quelque 2 500 kilomètres plus à l’est, les chants traditionnels
                      La beauté du cygne                                        reviennent dans les maisons anatoliennes qu’ils avaient
                   L’art puise sa source dans la perfection du
                                                                                désertées. « Un pont sur le Bosphore » relie aujourd’hui
                   ciel et de la terre ; la culture, dans la perfec-
                                                                                des musiciens de France et de Turquie qui partagent
                   tion de la nature. Cette idée est au cœur
                                                                                la même passion et les mêmes soucis. P 11
de la conférence « Retour à la nature, retour aux origines »
que le calligraphe et poète chinois Fan Zeng a prononcée
à l’UNESCO en mai dernier, dans le cadre du Festival de la                                                 Les moines guerriers
diversité. P 4                                                                                             du jeune bois
                                                                                                               Le célèbre kung fu est né,
                       La calligraphie, l’art
                                                                                                               voici 15 siècles, en Chine.
                       qui fait chanter les mots
                                                                                                               On le doit à un moine bouddhiste
                     La calligraphie persane est marquée par
                                                                                venu de l’Inde. De là, il s’est propagé en Corée, au Viet Nam,
                     une série d’emprunts, alors que la calli-
                                                                                aux Philippines, en Malaisie, au Japon… pour devenir, à partir des
graphie chinoise reste profondément enracinée dans la tradi-
                                                                                années 1950, un phénomène de mode qui fait rêver la jeunesse
tion locale, explique Hassan Makaremi, peintre-calligraphe
                                                                                aux quatre coins du monde. Une « mondialisation » qui ne respecte
et psychanalyste iranien. Mais, quelle que soit la tradition
                                                                                pas toujours les valeurs intrinsèques de cet art martial.. P 13
dans laquelle elle s’inscrit, la calligraphie incarne
notre « être au monde ». P 7
                                                                                                           Tour du monde
                              Regards intimes                                                              au fil de la soie
                              d’un étranger                                                                 À bout de souffle dans la première
                              qui n’en est pas un                                                           moitié du 20e siècle, la tradition
                               « Ce que vous voyez sur cette photo                                          de la soie en Thaïlande reprendra
                               n’est pas un carrousel, mais son reflet »,       son essor dans les années 1950, grâce à un Américain,
explique Shigeru Asano, photographe japonais épris des lumières et              Jim Thomson. Une jeune Thaïlandaise, qui n’est autre
ombres de Paris. Cela fait trente ans qu’il sillonne cette ville. À près        que la reine Sirikit, deviendra son alliée.
de dix mille kilomètres à vol d’oiseau de son Osaka natale, il se sent          Cet art séculaire, qui concilie aujourd’hui artisanat
chez lui dans la capitale française. Il y a trouvé l’atmosphère de mé-          et industrialisation, se perpétue de génération
lancolie qui lui manquait à Tokyo, trop éblouissante à son goût. P 9            en génération contribuant au développement du pays. P 14

                                    éclairage
                                    Les océans sous l’œil de l’ONU
                                    les Nations Unies viennent de faire du 8 juin la Journée mondiale de l’océan.        P 16

Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5
                                                                            2
Diversité, synonyme De culture
Éditorial

                  © UNESCO/Georges Malempré

                                       Jeune homme des îles Célèbes, en Indonésie.

                           Cette année, l’UNESCO a célébré la Journée mondiale de la diversité
           culturelle (21 mai) de manière exceptionnelle. Tout au long du mois de mai, des dizaines d’artistes
                       venus des quatre coins du monde ont témoigné de la richesse du patrimoine
                  culturel de l’humanité, dans le cadre du premier Festival international de la diversité
                            culturelle. Organisé simultanément dans plusieurs pays et au siège

L
                     de l’Organisation, ce Festival est une preuve tangible de l’affinité fondamentale
                        entre la culture et la diversité, dont Le Courrier de l’UNESCO se fait l’écho.

  a culture entretient avec la diversité un                         et non plus une aire où se juxtaposent de       C’est ce à quoi l’UNESCO travaille
rapport de fondation mutuelle. La culture                           supposées différences. Nous sommes            depuis la proclamation même de son Acte
est en effet à la fois une manière d’être                           aujourd’hui les habitants d’une Terre où      Constitutif, et tout récemment encore à
originale, qu’on reconnaît à ses oeuvres, à                         n’existe qu’une seule humanité, et peut       travers la Déclaration Universelle sur la
ses signes, et qui se flatte à bon droit d’être                     être même un seul règne vivant formé de       Diversité Culturelle de 2001 ou la Conven-
à nulle autre pareille, mais aussi ouverture à                      la totalité des espèces. Et le concept qui    tion de 2005 sur la diversité des expres-
ce qui semble tout autre, à l’émerveillement                        permet de penser cet état de choses dé-       sions culturelles. Le Festival international
de l’inédit. Aussi est-elle simultanément ap-                       terminant pour le destin de la planète est    de la diversité culturelle, qui s’est déroulé
profondissement de la différence et con-                            celui de diversité.                           cette année simultanément dans plusieurs
struction permanente de l’universel, l’un et                          Lui seul en effet procède à la fois d’une   pays et au siège de l’UNESCO, se pro-
l’autre toujours inachevés et inépuisables.                         référence à l’universel et d’une prise en     pose de faire éprouver l’affinité fondamen-
En cela, elle est tout simplement le travail                        compte des singularités, qu’il proclame       tale entre la culture et la diversité.
de la diversité, à la fois son explicitation et                     conjointement. En cela, il propose à            En ce faisant l’écho du Festival de la diver-
son enrichissement. On pourrait dire qu’il                          « l’esprit des hommes » une nouvelle          sité, ce numéro du Courrier de l’UNESCO
n’y a pas de diversité sans culture, pas de                         approche de leur commune condition,           s’associe à cette démarche.
culture sans diversité.                                             la seule qui réponde à la réalité de leur
  Cette observation prend toute sa force                            destin commun. Il est vital désormais qu’il                            Françoise Rivière,
à l’orée d’un monde devenu pour la pre-                             devienne la ressource de leur intelligence                       Sous-Directrice générale
mière fois un espace intégré de diversité,                          du monde.                                                   pour la culture de l’UNESCO

Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                                          3
Diversité, synonyme De culture
L’art puise sa source dans la perfection du ciel et de la terre ; la culture,
                             dans la perfection de la nature. Cette idée est au cœur de la conférence
                           		        « Retour à la nature, retour aux origines » que le calligraphe et poète chinois Fan Zeng
                             a prononcée à l’UNESCO en mai dernier, dans le cadre du Festival de la diversité.

                                                                           © Fan Zeng
                        La beauté
                        du cygne

L
                                                                                        « Quelle joie d’apprendre », œuvre de Fan Zeng, 1998.

           a nature est plus que généreuse            à la bonté par l’hostilité. Au siècle                    plus tôt, Kant attribuait une place
         envers l’humanité. Elle ne l’a pas           dernier, un biologiste a lancé un                        d’exception à la mathématique
         seulement pourvue d’éléments                 mot d’ordre redoutable : « Nous ne                       dans la Critique de la raison pure,
         nécessaires à son existence – l’air,         pouvons demeurer dans l’attente                          anticipant, dirait-on, sur l’inévitable
         l’eau, la terre –, mais aussi de ré-         des bienfaits de la nature, nous de-                     suprématie du numérique qui s’est
         gulateurs, comme l’alternance du             vons les lui réclamer ! » Comme un                       progressivement instaurée.
         soleil et de la lune ou le passage           fils impudent qui lèverait la main sur                     Cependant, la nature se différen-
         bienfaisant des vents et des pluies,         sa mère bienveillante. Comme un                          cie de la rationnelle mais quelque
         permettant ainsi, aux être vivants           crocodile, la gueule béante, féroce                      peu rébarbative logique numérique.
         de s’épanouir indéfiniment, depuis           et sauvage, qui ne connaît pas les                       Elle offre à l’humanité la plénitude
         l’aube des temps.                            limites de ce que la Terre peut nous                     d’amour et de douceur, inhérente à
           L’humanité, impatiente, a répondu          léguer.                                                  la beauté du ciel et de la terre. Sou-
                                                        Il y a plus de deux mille cinq cents                   venons-nous de l’enseignement de
© Fan Zeng

                                                      ans, le grand philosophe chinois                         Zhuang Zhou, ce penseur inégalé,
                                                      Lao Zi classait les composantes                          d’une sagesse divine, comparable
                                                      de l’univers dans cinq catégories :                      à Athéna, qui vécut en Chine il y a
                                                      d’abord le visible, l’audible et le tan-                 deux mille trois cents ans, sous les
                                                      gible ; puis l’invisible, cette parfaite                 « Printemps et Automnes ». Il di-
                                                      existence nommée dao, une sorte                          sait : le ciel et la terre sont d’une
                                                      de Loi Céleste, comparable à l’Idée                      beauté parfaite et muette ; les qua-
                                                      de Platon, à l’Esprit de Hegel ou à                      tre saisons alternent à un rythme
                                                      la Finalité transcendantale de Kant ;                    régulier, sans prescriptions ; les dix
                                                      enfin, au-delà du dao, la nature, la                     mille êtres s’accomplissent con-
                                                      « parfaite existence en soi, spon-                       formément à la raison des choses,
                                                      tanément et déjà ainsi ».                                tacitement.
                                                        Dans le Bouddhisme, la notion                            Cette existence en soi, débarras-
                                                      d’« en soi » exprime la conformité                       sée de toute forme de logos, incar-
                                                      absolue à la raison des choses, la                       ne l’excellence du ciel et de la terre,
                                                      concordance, la pertinence – autant                      qui donne libre cours à la créativité
                                                      d’attributs de la nature. Signe incor-                   de l’âme humaine et accueille gé-
                                                      ruptible de l’immensité du temps et                      néreusement la pluralité des intel-
                                                      de l’espace, cette existence en soi                      ligences et talents humains. Et les
                                                      perdure, omniprésente, illimitée. Dix                    graines de cette beauté parfaite
                                                      milliards d’années-lumière ne sau-                       disséminées à travers la planète se
                                                      raient la circonscrire, dix milliards                    transforment en vertus de sincérité,
                                                      d’années ne suffiraient pour témoi-                      de vérité, mais aussi en expressions
                                                      gner de sa durée.                                        esthétiques. Parmi les droits innés
                                                        D’après Dirac, seule la mathéma-                       de l’homme existe sans aucun doute
                                                      tique la plus sophistiquée serait à                      le « droit à l’expérience esthétique »,
             « Zhong kui, le chasseur de démons »,
             œuvre de Fan Zeng, 2007.                 même de la décrire. Deux cents ans                       même s’il ne figure pas dans les
                                                                                                                                                  (•••)
       Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                   4
Diversité, synonyme De culture
La beauté du cygne

(•••)
textes de loi (peut-être parce qu’il                     On dit que les arts et les lettres sont       esthétique. Mais nous n’avons pas
est considéré comme implicite). La                     dotés d’un pouvoir divin : ce ne sont           forcément besoin de la terrifiante
perfection du ciel et de la terre, de                  que paroles d’artistes en manque                puissance de la nature pour éprou-
l’Antiquité jusqu’à nos jours, a con-                  de consolation. En réalité, malgré              ver du plaisir esthétique : cette
stitué la source libre et intarissable                 le recours à l’exagération artistique,          Journée de la diversité culturelle en
de la beauté et de la diversité des                    l’humanité ne peut que s’appliquer              est la preuve.
cultures de notre monde.                               aux tâches qui sont à la hauteur de
                                                       ses forces, alors que le moindre mou-           L’avidité dévore l’âme
Surpasser la nature ?                                  vement de l’univers, d’une puissance              Dans les temps les plus reculés,
Vanité                                                 majestueuse, suffit à ébranler la pla-          dans l’Antiquité et aux époques
  Dans le Zhuangzi, Zhuang Zhou                        nète. Les cyclones et raz-de-marée ne           classiques, l’humanité vivait fon-
décrit un peuple appelé Hexu qui,                      sont qu’un avant-goût de la force de            cièrement d’agriculture et d’élevage,
dans la haute Antiquité, vivait insou-                 la nature ; et lorsque la magnificence          elle avait foi en la nature et était
ciant, mangeait bien et flânait le ven-                se transforme en terreur, l’humanité            proche d’elle. L’homme lui témoi-
tre repu, en compagnie d’animaux et                    est réduite à une entité infime. Kant           gnait du respect et de l’affection ; il
de plantes. Notre imaginaire abonde                    nous prévient : éloignez-vous un                n’était pas arrogant envers elle. Mais
dans le même sens. De Platon à                         peu et la terrifiante puissance de              l’industrialisation a exacerbé ses dé-
Owen, en passant par Thomas                            la nature deviendra objet de plaisir            sirs et, à l’ère de la post-industrialisa-
More, Saint-Simon et Fourier,                                                                                     tion, l’avidité est en train de
les hommes ont toujours nourri                                                                                    dévorer son âme.
de merveilleux rêves. Autrement,                                                                                    Au début du 20e siècle, en
l’humanité ne serait pas ce qu’elle                                                                               Angleterre et en Allemagne,
                                          © Fan Zeng

est. Si nous devions renoncer                                                                                     Toynbee et Spengler nous
à nos rêves, il ne resterait que                                                                                  ont avertis sur les risques du
stérilité et fadeur, et notre vie                                                                                 syndrome du capital, qui se
tout entière serait tournée vers la                                                                               sont aujourd’hui confirmés,
mort. Triste sort.                                                                                                hélas – au même titre que la
  Ne croyez-vous pas que                                                                                          perspicacité des deux émi-
l’UNESCO prône la diversité                                                                                       nents penseurs : à l’heure
culturelle précisément pour ou-                                                                                   où le progrès des technolo-
vrir la voie à l’inévitable grande                                                                                gies va de pair avec une
concorde universelle ? De sorte                                                                                   consommation gloutonne,
que cette culture aux multiples                                                                                   notre planète se trouve sous
éclats conserve toute sa beauté                                                                                   une menace qui résonne
durant des millions d’années.                                                                                     chaque jour davantage.
  « Retour aux origines » et                                                                                        Si nous honorons les cul-
« retour à la nature » sont les deux                                                                              tures originelles, c’est en
expressions d’une même idée.                                                                                      raison de leur sagesse, de
La culture s’est toujours inspirée                                                                                leur élégance, de leur au-
de la nature. Les arts et les lettres                                                                             thenticité et de leur simpli-
ont beau l’imiter, les sciences ont                                                                               cité. Elles sont l’expression
beau faire des découvertes, sur-                                                                                  de la pureté de l’âme des
passer la nature n’est que vanité.                                                                                anciens. Certes, elles ont
C’est à une équation de Maxwell,                                                                                  été par la suite teintées des
au 19e siècle, que nous devons                                                                                    couleurs du sacré, mais
le progrès technologique qui                                                                                      dans la mesure où la reli-
va du simple micro à l’industrie                                                                                  gion accomplit sa mission
aérospatiale. Pourtant, Maxwell                                                                                   de réconfort de l’âme hu-
n’a rien inventé. Avant lui, avant                                                                                maine, elle peut fondamen-
même l’existence de la terre,                                                                                     talement être considérée
cette équation était déjà inscrite                                                                                comme un art.
de quelque part dans l’univers.                        « Le chant d’un pêcheur », œuvre de Fan Zeng, 2009.          Les cultures n’obéissent
                                                                                                                                              (•••)
Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                             5
Diversité, synonyme De culture
La beauté du cygne
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pas aux principes d’évolution d’un        violence fit les tyrans, la douce au-               Prions ensemble pour la paix
Darwin ou d’un Spencer. Une œu-           torité fait les Rois : le lion et le ti-          et pour la grande concorde de
vre récente n’est pas supérieure à        gre sur la terre, l’aigle et le vautour           l’humanité, souhaitons que le cygne
une œuvre antérieure. Les prises de       dans les airs, ne règnent que par la              conserve à jamais sa noble beauté.
conscience et les efforts en faveur       guerre, ne dominent que par l’abus
de la confiance et de la concorde,        de la force et par la cruauté ; au lieu
dont l’humanité tout entière a fait       que le cygne règne sur les eaux à
preuve en cette journée d’échanges        tous les titres qui fondent un empire                                             Fan Zeng,
pluriculturels, demeureront à jamais      de paix : la grandeur, la majesté, la                                       poète et peintre,
une lumière émouvante et encou-           douceur […] » (Buffon, Histoire na-                  est l’un des plus célèbres calligraphes
rageante. « Dans toute société, soit      turelle des oiseaux, tome IX, « Le                   chinois vivants. Il a publié en français
des animaux, soit des hommes, la          Cygne ». )                                                 Le vieux sage et l’enfant (2005).

 Noms cités,                              « Printemps et Automnes »,                      James Clerk Maxwell,
 dans l’ordre d’apparition                période de l’histoire chinoise,                 physicien et mathématicien écossais (1831-1879)
                                          allant du 8e au 5e s av. J.-C.                  Arnold Joseph Toynbee,
 Lao Zi, philosophe chinois               Athéna,                                         historien britannique (1889-1975)
 (a vécu entre 604-479 av. J.-C.)         déesse grecque de la sagesse                    Oswald Spengler,
 Zhuang Zhou,                             Robert Owen,                                    philosophe allemand (1880-1936),
 philosophe taoïste (4e s. av. J.-C.)     industriel et socialiste utopique gallois       Charles Robert Darwin,
 Platon,                                  Royaume-Uni (1771-1858)                         naturaliste anglais (1809-1882)
 philosophe grec (5e – 4e s. av.J.-C.)    Thomas More, j
                                          uriste, historien, philosophe, théologien       Herbert Spencer, philosophe et sociologue
 Georg Wilhelm Friedrich Hegel,                                                           anglais (1820-1903)
 philosophe allemand (1770-1831).         et homme politique anglais (1478-1535)
                                          Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-        Georges-Louis Leclerc comte de Buffon,
 Emmanuel Kant,                                                                           naturaliste français (1707-1788)
 philosophe allemand (1724-1804)          Simon,
 Paul Dirac,                              économiste et philosophe français (1760-1825)
 physicien et mathématicien britannique   Charles Fourier,
 (1902-1984)                              philosophe français (1772-1837)

                                   Un peintre lettré
   © UNESCO/Michel Ravassard

                                                                   Maître Fan Zeng est né en 1938 à Nantong
                                                                   (Chine) dans une famille de lettrés dont
                                                                   la lignée remonte à la fin du 16e siècle.
                                                                   Son arrière-grand-père, Fan Dangshi, plus connu
                                                                   sous le nom de Fan Bozi (1854-1905), était un
                                                                   illustre poète de la fin de la dynastie Qing.

                                                                   Peintre et calligraphe de renommée
                                                                   internationale, poète et penseur respecté, Fan Zeng
                                                                   est considéré aujourd’hui comme un grand maître
                                                                   de l’art classique. En communion avec la nature, son
                                                                   œuvre s’inscrit dans la tradition de la « peinture des
                                                                   lettrés », courant artistique qui s’est développé
                                                                   en Chine, à partir du 10e siècle.

                                                                   Fan Zeng est directeur de recherches à l’Académie
                                                                   des Arts de Chine et professeur à l’Université de
                                                                   Nankai. à Tianjin. Il vient d’être nommé le Conseiller
                                                                   de l’UNESCO pour la diversité culturelle.

Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                  6
Diversité, synonyme De culture
La calligraphie persane est marquée par une série d’emprunts,
                                                    alors que la calligraphie chinoise reste profondément enracinée
                                                     dans la tradition locale, explique Hassan Makaremi, peintre-calligraphe
                                                    et psychanalyste iranien. Mais, quelle que soit la tradition
                                                        dans laquelle elle s’inscrit, la calligraphie incarne notre « être au monde ».

        La calligraphie,
l’art qui fait chanter les mots
               Lors du Festival de la diversité culturelle organisé par l’UNESCO en mai dernier,
      Hassan Makaremi a donné, avec le grand maître chinois Fan Zeng, une conférence sur le thème
                   « Regards croisés sur la calligraphie ». Interviewé par Monique Couratier
        pour le Courrier de l’UNESCO, il explique comment la calligraphie persane de style nas’taliq
      lui a permis de mettre ses idéaux en couleur et en mouvement, dans une recherche personnelle,
                        nourrie d’intuition poétique mais aussi de rigueur scientifique.
        © Hassan Makaremi

                                                                                                           sane est marquée par une série
                                                                                                           d’emprunts. Je pense notamment
                                                                                                           aux écritures koufi (anguleuse et
                                                                                                           géométrique) et naskh (souple et
                                                                                                           arrondie) d’inspiration arabe qu’elle
                                                                                                           a abandonnées dès le 14e siècle
                                                                                                           pour se tourner vers la nature et y
                                                                                                           puiser la douceur des courbures
                                                                                                           qui caractérisent le nas’taliq, style
                                                                                                           qui a inspiré mon œuvre. Pour vous
                            « De l’art rupestre et des droits de l’homme », tableau de Hassan Makaremi.    donner un exemple, l’œuf y est sym-
                                                                                                           bolisé par une boucle voluptueuse
Quelles affinités partagez-vous                                     hiéroglyphique, chinoise, maya.        qui semble s’envoler avec la légère-
avec maître Fan Zeng et qu’est-                                     Pour maître Fan Zeng, comme pour       té d’un cil…
ce qui vous distingue ?                                             moi, la calligraphie incarne notre       Ce cheminement à travers d’autres
  Ce qui nous rapproche, maître                                     « être au monde ».                     imaginaires – mongol, arabe, turc,
Fan Zen et moi-même, est avant                                        Ce qui nous distingue ? Notre        indien, etc. – qui se reflètent dans
tout notre rapport à la nature. Nous                                rapport au lien social. Née en 4000    le langage des corps et donc dans
voyons les mêmes choses, et nous                                    avant l’ère chrétienne, l’écriture     le geste du calligraphe, fait que la
les transmettons par le biais de la                                 chinoise est restée profondément       calligraphie persane porte égale-
calligraphie. Il ne faut pas oublier                                ancrée dans la nature. Il y a un       ment un regard stylisé sur l’« être
que la calligraphie est un art con-                                 lien direct entre les dessins rupes-   parlant », cet « être désirant » qui
sistant à styliser l’écriture, qui a été                            tres et les pictogrammes, qui n’ont    vit dans la cité. Pour sa part, la calli-
inventé à partir de l’observation de                                d’ailleurs guère changé depuis         graphie chinoise reste cantonnée à
la nature. Dans son inventaire des                                  six millénaires. C’est pourquoi le     la nature qu’elle sublime. Pourquoi ?
formes visuelles, Marc Changizi,                                    fil d’encre jeté par le pinceau du     Je ne suis pas un spécialiste de la
chercheur au Rensselaer Polytech-                                   calligraphe chinois continue-t-il, à   philosophie extrême-orientale, mais
nic Institute à Troy, aux États-Unis, a                             travers les époques, à se muer in-     je pense qu’on pourrait trouver la
mis en évidence une cinquantaine                                    stantanément en cheval, boeuf ou       réponse dans le détachement par
d’éléments qui apparaissent aussi                                   tigre. Seul le talent des maîtres      rapport au désir, préconisée par le
bien dans la nature que dans qua-                                   scande le rythme du temps.             bouddhisme.
tre familles d’écritures : cunéiforme,                                En revanche, la calligraphie per-                                       (•••)

Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                                           7
Diversité, synonyme De culture
La calligraphie, l’art qui fait chanter les mots

       (•••)
       Votre rencontre avec maître Fan              dément ancrées dans la terre, sans                       Pourquoi la calligraphie
       Zen ne se résume pas à une                   ses branches – dont certaines                            n’a-t-elle pas fait florès
       simple addition de vos ressem-               meurent quand d’autres prospèrent                        en Occident ? Que peut-elle
       blances et dissemblances.                    – sans ses feuilles toujours « re-                       lui apporter aujourd’hui ?
       Avez-vous l’impression d’avoir               commencées », l’arbre ne pourrait                          En Occident, dès le 16e siècle,
       établi un réel dialogue ?                    survivre.                                                on a fait le choix de la rapidité et de
         Le fait même de notre présence               Et la violence me direz-vous ? Elle                    l’efficacité, notamment en s’attachant à
       l’un à côté de l’autre est dialogue :        vient du fait que certains peuples                       maîtriser la nature. En Orient, on a pré-
       dialogue entre ce qui nous est com-          ou individus se pensent en dehors                        féré « la dire », « l’écrire » dans ses pleins
       mun, dialogue entre ce qui nous dif-         du tout, en dehors de ce « décor »                       et ses déliés, dans ses courbes et ses
       férencie. Le fruit de ce dialogue ? La       commun de notre humanité. Or,                            silences, bref, en laissant un espace
       vie, tout simplement ! Notre engage-         sans le sentiment d’appartenance à                       pour l’interprétation, pour la liberté…
       ment à tracer avec notre pinceau la          la même espèce et sans la recon-                           Loin du scientifique de formation que
       courbure de l’univers constitue un           naissance de la diversité, l’humanité                    je suis l’idée de renoncer à la rigueur,
       message qui dit que l’humanité, bien         ne pourra pas survivre. Tel est le                       à la clarté et à la concision. Mais je
       que diverse, est une.                        message de notre échange, entre                          sais que le clavier de l’ordinateur ne
         Si j’utilise souvent la métaphore de       calligraphe chinois et calligraphe                       remplacera jamais la main. Et j’estime
       l’arbre, c’est parce que l’humanité a        persan. Tel est aussi le message de                      qu’aujourd’hui la calligraphie représente
       des racines communes qui font son            l’ONU, qui a affiché sur le fronton de                   une valeur ajoutée. Car, dans un mou-
       unité, des milliers de branches qui          son siège à New Yourk un poème                           vement complice avec la nature,
       font sa diversité (ses peuples à la          de l’illustre poète persan Sa’adi                        tel un derviche tourneur, le geste
       fois si différents et si métissées) et       [voir encadré], et de l’UNESCO, avec                     du calligraphe-philosophe-poète
       d’innombrables feuilles aussi on-            laquelle je serais honoré de continuer                   fait « chanter les mots » qui disent
       doyantes que les produits du génie           ma collaboration en faveur de la « di-                   l’Univers. C’est cela la calligraphie
       créateur. Sans ses racines profon-           versité culturelle en dialogue ».                        nas’taliq : l’alchimie de la vie !
© DR

                                                          © Hassan Makaremi

                                                                                                                                    « Les enfants
                                                                                                                                      d’Adam
                                                                                                                              font partie d’un corps
                                                                                                                                 Ils sont créés tous
                                                                                                                               d’une même essence
                                                                                                                                 Si une peine arrive
                                                                                                                              à un membre du corps
                                                                                                                                  Les autres aussi
                                                                                                                               perdent leur aisance
                                                                                                                                  Si, pour la peine
                                                                                                                              des autres, tu n’as pas
                                                                                                                                   de souffrance
                                                                                                                                Tu ne mériteras pas
                                                                                                                              d’être dans ce corps »

                                                                                                                                     Vers de Sa’adi,
                                                                                                                                     figurant sur le
                                                                                                                                   fronton du siège
                                                                                                                                  des Nations Unies
                                                                                                                                      à New York.

   Vers de Sa’adi, célèbre poète persan du 13e siècle.                « Derviche tourneur », tableau de Hassan Makaremi.

   Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                                8
Diversité, synonyme De culture
« Ce que vous voyez sur cette photo n’est pas un carrousel, mais son reflet »,
                                   explique Shigeru Asano, photographe japonais épris des lumières et ombres de Paris.
                                   Cela fait trente ans qu’il sillonne cette ville. À près de dix mille kilomètres à vol d’oiseau
                                   de son Osaka natale, il se sent chez lui dans la capitale française. Il y a trouvé l’atmosphère
                                       de mélancolie qui lui manquait à Tokyo, trop éblouissante à son goût.

Regards intimes d’un étranger
     qui n’en est pas un
                 Dans le cadre du Festival de la diversité, organisé par l’UNESCO en mai dernier,

L
               Shigeru Asano a exposé ses œuvres à la Mairie du premier arrondissement de Paris.
           Il nous a généreusement accordé le droit d’en reproduire une sélection (© Shigeru Asano).

  ucarnes miroitantes, les photo-                 s’abriter tant bien que mal sous son      il faut recommencer. C’est comme
graphies de Shigeru Asano ne lais-                parapluie ». Ils ne voient pas que cet    une lutte perpétuelle avec l’image.
sent entrevoir qu’une partie de la                homme s’affaire à poser un appareil       C’est très motivant. » En huit ans,
réalité : celle qu’une petite flaque              photo sur un trépied, rapprochant         depuis qu’il a commencé son
d’eau sur un trottoir est capable de              l’objectif à deux ou trois centimètres    projet des « flaques d’eau », Shigeru
contenir. Shigeru Asano n’est pas                 du sol. Ils ne soupçonnent pas qu’il      Asano n’a pas réalisé plus de
le seul photographe passionné par                 a passé des mois, parfois des an-         60 photos.
le reflet, mais il est certainement un            nées, à imaginer la photo qu’il est         Aux antipodes de son célèbre
des rares qui en a fait un principe               en train de prendre ; qu’il dépen-        compatriote Nobuyoshi Araki,
d’esthétique. Parfois traversé par                sera peut-être trente pellicules avant    Shigeru Asano crée un univers pa-
un rayon flou, au gré du vent, ou                 d’aboutir au cliché dont il a rêvé.       rallèle, tissé d’illusions et de rêves.
entouré d’une zone d’ombre, au                      C’est dire l’importance de la du-       À la violence, il oppose le lyrisme ;
gré de l’eau, le reflet demeure né-               rée dans la démarche artistique de        au tumulte, le silence ; à la foule, la
anmoins d’une netteté surprenante.                Shigeru Asano, qui ne recourt pas         solitude. Son Paris est quasiment
Il constitue, en tout cas, la seule ré-           aux technologies numériques parce         dépeuplé. « Mais non », proteste-
alité perceptible dans ses œuvres.                qu’il n’éprouve aucune affinité pour      t-il, « vous voyez bien, ici, il y a un
  « Il arrive que les gens dans la rue            l’instantané. « Avec la pellicule, il y   homme ». Certes, quelques rares
s’approchent de moi pour me de-                   a l’attente… puis, la découverte de       silhouettes traversent les scènes
mander si je n’ai pas eu un malaise.              la réussite ou de l’échec. Parfois, au    que Shigeru Asano compose en
Ils s’inquiètent de voir un homme                 moment du développement, l’image          noir et blanc avec son inséparable
accroupi sous la pluie, essayant de               n’apparaît pas... Tout est noir. Alors,   Pentax 6.7. Mais elles sont toujours
                                                                      9                                                         (•••)
Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5
Diversité, synonyme De culture
Regards intimes d’un étranger qui n’en est pas un

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solitaires. « Pour moi, ces photos       serveur – avant de découvrir un Mi-      voyez aujourd’hui sur mes photos.
sont comme un miroir », finit-il par     nolta et de se lancer dans la photo-     J’avais trouvé ma voie. »
reconnaître.                             graphie. Ont suivi dix autres années       Curieuses coïncidences avec
  Et le photographe de raconter          de quête qui s’est traduite en une       l’Étranger du poète français Charles
sa solitude. À l’âge de 14 ans, il a     multitude de photos aux couleurs         Baudelaire que l’on rencontre dans
perdu sa mère. Il n’a jamais connu       flamboyantes, dont une partie des-       Le spleen de Paris : « Qui aimes-tu
son père. Il n’a pas eu de frères et     tinées aux magazines de mode. «          le mieux, homme énigmatique, dis?
sœurs. Il n’a pas d’enfants. « En tout   Puis, un soir, alors que j’étais très    ton père, ta mère, ta soeur ou ton
cas, pas pour l’instant. » En 1971, il   malheureux parce que la femme            frère? / Je n’ai ni père, ni mère, ni
est allé à Tokyo, étudier le stylisme.   que j’aimais m’avait quitté – cela ar-   soeur, ni frère [...] / Eh! qu’aimes-
Cinq ans plus tard, il a fait un court   rive à tout le monde, n’est-ce pas ?     tu donc, extraordinaire étranger?
séjour à Paris, pour s’y installer dé-   – je suis sorti marcher sous la pluie.   / J’aime les nuages... les nuages
finitivement en 1979. Durant ses         Les larmes, confondues à la pluie,       qui passent... là-bas... là-bas... les
dix premières années parisiennes, il     embuaient mes yeux, et j’ai vu des       merveilleux nuages ! »
aura tout fait – peintre, mécanicien,    images qui sont celles que vous                               Jasmina Šopova

Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                           10
© Yücel Yildirimkaya

                                                Randonnée en chansons à Rizé (Turquie).

                                 Jeté aux oubliettes pendant plusieurs décennies, le folklore breton connaît
                    aujourd’hui un renouveau remarquable. Quelque 2 500 kilomètres plus à l’est, les chants tradition-
            nels reviennent dans les maisons anatoliennes qu’ils avaient désertées. « Un pont sur le Bosphore »
            relie aujourd’hui des musiciens de France et de Turquie qui partagent la même passion et les mêmes soucis.

à
                          Musique voyageuse
  Cet été, à Rizé (Turquie), le « Festi-                         La renaissance                           les nouveaux modes de vie avaient
val des verts pâturages » reçoit pour                            bretonne                                 jetés aux oubliettes, ne sont plus
sa quatrième édition des musiciens                                 Côté France, les Bretons n’ont         des pièces de musée, ni des jou-
étrangers. Ils viennent de France.                               pas ménagé leurs efforts ce dernier      joux confidentiels réservés aux
Pas celle des touristes ou des                                   demi-siècle pour faire revivre leurs     soirées festives d’une poignée de
croisades diplomatiques qui ont en-                              musiques, danses et fêtes tradi-         militants de la culture. Ils renaissent
vahi les médias turcs ces dernières                              tionnelles. Coupée de son passé          jour après jour dans les concours
années, mais cette autre France                                  par l’urbanisation, la deuxième gé-      annuels, les réunions à la maison ou
des amoureux des chants tradition-                               nération s’est mise à rechercher         au café, les repas de village, les ran-
nels, qui s’efforce de remédier aux                              l’héritage de ses ancêtres. Cette        données municipales ou scolaires,
problèmes nés de l’exode rural et                                quête a d’abord porté sur la zone        les écoles et les ateliers de musique
de recoudre le tissu social.                                     de langue bretonne, puis sur celle       des hameaux et des bourgs. Et
  Certes, l’urbanisation, l’industria-                           du gallo, proche du français. Avec       dans le même temps, dans les cam-
lisation et l’empreinte du « show-                               le temps, cependant, théorie et pra-     pagnes, jeunes et vieux, employés
biz » se font sentir en Turquie com-                             tiques ont évolué. Autrefois, le « re-   et chômeurs, femmes et hommes
me en France : le chant s’y perd                                 vivalisme » était aux mains des cher-    renouent leurs liens sociaux grâce
dans un usage outrancier de la                                   cheurs, dont le but était avant tout     au renouveau du chant.
technologie, jouant d’une mondiali-                              de collecter, analyser, comprendre        Les chanteurs qui font cette année
sation chatoyante, courbant le dos                               et publier. Aujourd’hui, comme           le voyage de Rizé figurent parmi
devant le star system. Mais il se                                le remarque l’ethnomusicologue           les acteurs les plus marquants de
trouve que les deux pays ont con-                                Yves Defrance, tout en poursuivant       cette renaissance. Certains, com-
servé des îlots d’authenticité, tels                             dans ce sens, les collecteurs « veu-     me Charles Quimbert ou Vincent
la Bretagne, à l’extrême ouest de la                             lent se réapproprier ce répertoire,      Morel, viennent de la communauté
France, qui fait face à l’océan Atlan-                           l’actualiser sans en altérer l’esprit    des collecteurs : ils ont reçu une
tique, ou la province de Rizé, située                            et en faire un moyen d’expression        formation universitaire et travaillent
à l’extrême nord-est de l’Anatolie, là                           contemporain ».                          au Dastum, l’organisme régional
où commence le Caucase.                                            Aujourd’hui les chants gallos, que     de recherche et de préservation du
                                                                                                                                             (•••)

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À l’ombre des chapiteaux verts
(•••)

patrimoine immatériel. Ils ont lancé
en 1996 la « Fête du chant tradi-

                                                                      © Jean-Maurice Colombel
tionnel de Bretagne et d’ailleurs »,
qui se tient chaque année à Bovel,
un petit bourg breton de la région
de Rennes. D’autres, qui ont grandi
avec la chanson traditionnelle, sont
des villageois porteurs de la mé-
moire locale, véritables trésors vi-
vants.
  C’est une pluie diluvienne qui les
a réunis : l’été 1997, les festivaliers
allaient effectuer leur randonnée
en chansons quand une soudaine
averse les a précipités dans le seul
                                                                                     Veillée en chansons au café de Bovel.
café de Bovel. Là se trouvait la gé-
nération des « maîtres de la tradition »,
réunie autour des patrons, Léone et         l’oralité que depuis quelques an-                                                plantes sauvages… et on n’est pas
Louis Bernier. Pour eux, le festival,       nées, Birol a entrepris de collecter,                                            peu fier d’avoir conservé le laze, une
« c’était l’affaire des jeunes ». Mais      publier et ranimer le répertoire tra-                                            langue rare du groupe géorgien.
quand ces derniers ont commen-              ditionnel. Il ne se prive pas de jouer                                             Même passion, même démarche,
cé à chanter, ils ont reconnu leurs         sur sa notoriété de musicien établi                                              et réunion pourtant improbable :
chansons. Depuis, ce petit café est         à Istanbul et sur des amitiés nouées                                             où est Bovel, où est Rizé ? Mais
devenu un lieu emblématique de re-          hors du pays.                                                                    comme ils étaient faits l’un pour
trouvailles entre générations. Tous           Le Festival annuel organisé au mois                                            l’autre, « Un pont sur le Bosphore »
les premiers vendredis du mois, il          d’août dans la Vallée de la tempête,                                             les a aidés à se rencontrer. Cette
accueille écoliers, lycéens, ensei-         sur les pentes vertes et luxuriantes                                             association non lucrative française
gnants et beaucoup d’autres habi-           de Rizé où pointe la blancheur des                                               d’échanges culturels avec la Tur-
tants de la région, voire de Paris,         minarets, s’adresse à tous les pub-                                              quie est à l’origine d’une belle his-
qui viennent y passer la nuit entière       lics. Il s’efforce, comme à Bovel, de                                            toire d’amour tout en musique qui a
à chanter.                                  réunir les jeunes et les vieux, ceux                                             toutes les chances de durer.
                                            qui sont restés sur place et ceux
Le chant                                    qui sont partis. On y met le chant                                                             Françoise Arnaud-Demir,
à toutes les sauces                         à toutes les sauces : on danse en                                                       interprète de chansons populaires
 Côté Turquie, c’est encore à un            chantant, on marche en chantant,                                                     turques et enseignante-chercheuse à
déraciné, Birol Topaloglu, que l’on         on mange en chantant. Tradition                                                      l’Institut des langues et civilisations
doit les premiers frémissements d’un        oblige, on organise des collectes                                                  orientales (INALCO) à Paris, a fondé
retour en chansons vers le pays na-         de contes, des ateliers de cuisine                                                  en 2004 l’association Un pont sur le
tal. Assortis, de surcroît, d’une forte     traditionnelle, des cueillettes des                                                 Bosphore, dont elle est la présidente.
prise de conscience écologique.
Car comme dans d’autres régions
                                               © Yücel Yildirimkaya

de Turquie, les rives encaissées
des gaves qui coulent vers la mer
Noire, désertées par des paysans
en quête d’une vie réputée plus
facile en ville, sont menacées de
disparition par différents projets de
barrages.
 Hier encore, les chants et les
danses communautaires réson-
naient dans les magnifiques de-
meures de pierre insérée dans le
bois. Petit à petit, elles sont réduites
au silence. C’est donc avec une vi-
sion englobant à la fois la défense
du patrimoine, du terroir et de                             Architecture typique de la mer Noire parmi les jardins de thé.

Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                                                12
Le célèbre kung fu est né, voici 15 siècles, en Chine. On le doit à un moine bouddhiste venu
                                          de l’Inde. De là, il s’est propagé en Corée, au Viet Nam, aux Philippines, en Malaisie, au Japon…
                                        pour devenir, à partir des années 1950, un phénomène de mode qui fait rêver la jeunesse
                                          aux quatre coins du monde. Une « mondialisation » qui ne respecte pas toujours
                                                      les valeurs intrinsèques de cet art martial.

Les moines guerriers                                                                                         adoptèrent pour atteindre la connais-
                                                                                                             sance profonde de la vie bouddhique
                                                                                                             et de la sagesse, autrement dit, le

    du jeune bois
                                                                                                             ch’an. C’est une façon de méditer le
                                                                                                             ch’an en pratiquant les arts martiaux et
                                                                                                             de laisser le ch’an guider la pratique
                                                                                                             des arts martiaux.
   Dans le cadre du Festival international de la diversité culturelle
 organisé par l’UNESCO en mai dernier, une délégation de moines
                                                                                                             Il semble qu’il y a une florai-
 du temple de Shaolin (qui signifie « jeune bois ») est venue à Paris
                                                                                                             son d’écoles et d’associations
  pour promouvoir les valeurs culturelles et spirituelles du kung fu.
                                                                                                             baptisées « Temple de Shaolin »
Parmi eux, le moine supérieur Shi Yongxin a expliqué à notre collègue
                                                                                                             dans le monde. Comment
Weiny Cauhape en quoi le temple de Shaolin est le fruit d’échanges
                                                                                                             conserver les valeurs
   culturels et pourquoi il est nécessaire de préserver ses activités
                                                                                                             séculaires du kung fu de
              qui en font un sanctuaire de l’âme chinoise.
                                                                                                             Shaolin, face à ce phénomène ?
                                                                                                               Il existe en effet beaucoup d’éta-
  © Temple de Shaolin

                                                                                                             blissements d’enseignement des arts
                                                                                                             martiaux de Shaolin dans le monde.
                                                                                                             Certains ont été établis par le temple
                                                                                                             de Shaolin du Mont Song, d’autres
                                                                                                             ont reçu notre autorisation après
                                                                                                             avoir passé un examen. Pourtant ces
                                                                                                             « Maisons des arts martiaux de Shao-
                                                                                                             lin » sont, en grande partie, nées spon-
                                                                                                             tanément.
                                                                                                               N’ayant pas visité la majorité de ces
                                                                                                             établissements, il m’est impossible de
                                                                                                             porter un jugement sur eux. Mais une
                                                                                                             chose est certaine : nous nous oppo-
                                                                                                             sons à l’utilisation abusive du nom de
                 Le kung fu de Shaolin est un art martial et une quête spirituelle.                          notre temple, qui peut mettre en péril
                                                                                                             ses traditions.
 Racontez-nous brièvement                                         qui s’est adaptée à la pensée chinoise       Nous faisons des efforts inlassables
 l’origine et le développement                                    durant la propagation du bouddhisme.       pour protéger le patrimoine de la cul-
 du temple de Shaolin.                                            [Ndlr. Elle prendra le nom de zen au       ture de Shaolin. Nous avons créé une
   L’empereur Xiao Wen de la dynas-                               Japon].                                    organisation chargée de la gestion et
 tie des Wei du Nord fit construire en                             Aujourd’hui, Shaolin est devenue          de la régularisation de l’appellation «
 495 le temple de Shaolin sur le Mont                             un symbole non seulement du boud-          Temple de Shaolin » et nous avons dé-
 Song, en hommage au moine indien                                 dhisme chinois, mais aussi de la cul-      posé à l’UNESCO une candidature
 Ba Tuo                                                           ture traditionnelle chinoise.              pour son inscription sur la Liste du
   Par la suite, deux autres moins indi-                                                                     patrimoine culturel immatériel. Cette
 ens, Ratnamati et Bodhiruci, arrivèrent                          Quelle est l’origine du kung fu            inscription permettrait de prendre des
 à Shaolin et y fondèrent des centres de                          et quel est son rapport                    mesures juridiques, de collecter des
 traduction des canons bouddhiques,                               avec le bouddhisme ?                       textes, d’archiver des documents et
 ce qui plaça le temple au cœur du                                 En tant que temple impérial, Shaoline     donc de mieux assurer la transmis-
 bouddhisme chinois de l’époque.                                  possédait d’importantes richesses. Or,     sion vivante de cet art séculaire. Car il
   Plus tard, le moine indien Bodhid-                             au cours des dernières années de la        faut savoir que les règles de transmis-
 harma s’y est installé et en prétendant                          dynastie des Sui (581-681), le pays a      sion des savoirs et pratiques du kung
 « remonter au Bouddha », il inscrivit                            beaucoup souffert de guerres succes-       fu d’une génération a une autre sont
 au cœur de son enseignement cette                                sives. Une partie des moines apprirent     strictement réglementée depuis le
 pensée : « le ch’an va droit au cœur ;                           alors à pratiquer les arts martiaux pour   13e siècle. Elles ont été établie par le
 connais ta véritable nature et deviens                           défendre les biens du temple.              moine supérieur Fu Yu. Depuis cette
 Bouddha ». Il établit l’école ch’an, dans                         Le kung fu de Shaolin n’est autre         époque, 70 générations de maîtres
 le temple. C’est une école bouddhique                            que la voie que les moines du temple       ont été formées à Shaolin.

Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                                      13
© UNESCO/Michel Ravassard
                            Tour du monde
                            au fil de la soie
                                                                                                                        La culture du mûrier et de l’élevage du ver à soie en Thaïlande
                                                                                                                        sont attestés dès le 13e siècle.

                                                                À bout de souffle dans la première moitié du 20e siècle, la tradition de la soie en Thaïlande
                                                           reprendra son essor dans les années 1950, grâce à un Américain, Jim Thomson. Une jeune
                                                             Thaïlandaise, qui n’est autre que la reine Sirikit, deviendra son alliée. Cet art séculaire,
                                                               qui concilie aujourd’hui artisanat et industrialisation, se perpétue de génération

L
                                                                      en génération contribuant au développement du pays.

                              e dimanche de Pâques 1967, un               qu’elle trouve son destinataire parmi                              y jouent un rôle capital. Attiré ses
                            homme d’affaires américain établi en          les trois millions habitants de la capi-                           marchés et ses habitants souriants,
                            Thaïlande disparaît dans la jungle mal-       tale thaïlandaise.                                                 il décide de s’y installer après sa
                            aisienne dans des circonstances qui             Durant les vingt années précédant                                démobilisation.
                            ne seront jamais élucidées. Le mystère        son séjour fatal en Malaisie, Jim Thom-                              Depuis son arrivée dans le pays,
                            captivel’attentiondesmédiasetdupub-           son réalise ce que d’autres ne réus-                               Thompson collectionne des mor-
                            lic en Asie, mais aussi en Amérique et        sissent pas en une vie entière. Se                                 ceaux de soie thaïlandaise. Elle le
                            ailleurs. Car l’homme est loin d’être un      spécialisant dans un art dont il ignorait                          séduit par ses combinaisons de
                            inconnu : il suffit d’adresser une lettre     tout, il crée une vaste industrie de la                            couleurs surprenantes et par sa
                            à « Jim Thomson, Bangkok », pour              soie en Thaïlande. Sa maison à Bang-                               texture irrégulière qui la distingue
                                                                                    kok, qui abrite des trésors ar-                          des soies japonaise ou chinoise,
                                                                                    tistiques de la région, est un                           plus souples. La différence vient de
© UNESCO/Michel Ravassard

                                                                                    chef d’œuvre architectural.                              la qualité des vers à soie.
                                                                                      Parcours digne d’un roman                                Bien que la tradition siamoise de
                                                                                    sur un accomplissement per-                              la culture du mûrier et de l’élevage
                                                                                    sonnel, mais aussi sur des mil-                          du ver à soie soit attestée dès le
                                                                                    liers de destins transformés.                            13e siècle par un diplomate chi-
                                                                                    Car le nom de Jim Thompson                               nois, c’est l’architecte américain qui
                                                                                    est aujourd’hui celui d’une                              donnera à la soie thaïlandaise ses
                                                                                    entreprise thaïlandaise floris-                          lettres de noblesse. Car à l’époque
                                                                                    sante de renommée inter-                                 où il s’installe à Bangkok, les tis-
                                                                                    nationale, dont les produits                             serands se font rares : la tradition
                                                                                    en soie remplissent les plus                             n’est perpétuée que par quelques
                                                                                    belles vitrines des mégapoles                            musulmans du quartier de Benkrua.
                                                                                    et décorent nombre d’hôtels                              Décidé de commercialiser la soie
                                                                                    et de restaurants à travers le                           thaïlandaise, il se met en contact
                                                                                    monde.                                                   avec eux. La plupart sont méfiants,
                                                                                                                                             mais l’un des chefs de famille, in-
                                                                                  La soie                                                    trigué, décide de se lancer dans
                                                                                  de Bangkok                                                 l’entreprise. C’est le début d’une
                                                                                    Jim Thompson, architecte                                 grande aventure.
                                                                                  de formation, découvre                                       En 1947, une valise pleine
                                                                                  la Thaïlande en 1945. Il                                   d’échantillons de soie, Thompson
                                                                                  y est affecté comme of-                                    s’envole pour New York. Une éditrice
                                                                                  ficier de l’armée améri-                                   de mode se passionne pour les tis-
                                                                                  caine. La ville de Bangkok                                 sus et lui offre aussitôt son soutien.
                                                                                  compte à ce moment-là                                      De retour en Thaïlande, il crée une
                       Scène du spectacle thaïlandais qui s’est déroulé           très peu d’immeubles et                                    société dont il est actionnaire ma-
                       le 18 mai à l’UNESCO, dans le cadre du Festival
                       international de la diversité culturelle.                  d’automobiles, et les canaux                               joritaire et directeur. Il gère d’une fa-

                    Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°5                                          14                                                                                      (•••)
Tour du monde au fil de la soie
(•••)
çon nouvelle l’entreprise qui emploie                l’impression des tissus se fait aussi                                  90 % des actionnaires de la société
en priorité des femmes, autorisées à                 bien à l’aide de pochoirs en bois que                                  Jim Thompson sont Thaïlandais,
travailler chez elles pour ne pas per-               d’imprimantes numériques. Le con-                                      dont un tiers des enfants et petits-
turber leur vie familiale. Il introduit des          trôle de la qualité et la finition à la                                enfants des premiers tisserands
changements importants dans les                      main sont de rigueur, assurant un                                      musulmans de Benkrua.
modes de fabrication et remplace les                 bon compromis entre artisanat et
teintures végétales par des peintures                industrialisation.
chimiques, tout en respectant les                       L’homme d’affaires américain
couleurs traditionnelles de la soie.                 l’avait prédit : cette grande aventure                                    D’après la conference de Eric B. Booth,
                                                                                                                               de la Jim Thompson Thai Silk Company,
  Au début des années 1950, Thomp-                   de la soie thaïlandaise devait servir                                  prononcée à l’UNESCO, lors du Festival de
son ouvre un magasin à Bangkok qui                   à la prospérité du pays. Aujourd’hui,                                                     la diversité, en mai 2009
connaît un succès fulgurant. Bientôt
il reçoit la visite de la reine Sirikit, qui
n’a jamais ménagé ses efforts pour
promouvoir l’artisanat et le patrimoine
                                                    Champagne et soie : un mariage royal
culturel thaïs. Elle devient sa cliente la                                                                                    Si le champagne est le roi des vins,
                                               © UNESCO/Michel Ravassard

plus célèbre et la plus influente. Lors                                                                                       la soie thaïlandaise est la reine
                                                                                                                              des soies – telle pourrait être la devise
de ses visites officielles à l’étranger,
                                                                                                                              du partenariat conclu entre le Comité
elle porte des tenues confection-                                                                                             interprofessionnel du vin de
nées en soies traditionnelles qui ne                                                                                          Champagne et l’Institut thaïlandais
manquent pas d’attirer l’attention du                                                                                         de sériciculture. Symboles forts de
grand couturier français Pierre Bal-                                                                                          leurs pays respectifs, le champagne
main. De l’autre côté de l’Atlantique,                                                                                        français et la soie thaïe sont aussi
                                                                                                                              victimes de leur succès : la contrefaçon
Irene Sharaff, créatrice des costumes                                                                                         et l’usurpation du nom sont les deux
pour la comédie musicale Le roi et                                     Malgré l’industrialisation, la fabrication de la       principales menaces que ce partenariat
moi de l’Américain Walter Lang, in-                                    soie thaïe dépend en grande partie des mains           s’efforce de combattre.
                                                                       habiles des paysannes et ouvrières.
augure toute une série de films qui
contribueront au prestige de la soie                                     Le champagne et la soie, qu’on-ils en            pour son tissage broché, est prisée par
thaïe. Les commandes affluent de                                      commun ? Une aura d’élégance et de                  les plus grands couturiers et décora-
toutes parts.                                                         charme, une longue histoire, un lien                teurs d’intérieur du monde.
                                                                      intime avec leurs terres d’origine, des               Malgré l’industrialisation, la fabrica-
Préserver la tradition                                                règles de fabrication strictes et… des              tion de la soie thaïe dépend en grande
  À partir des années 1970, la fab-                                   contrefaçons.                                       partie des mains habiles des paysannes.
rication de la soie est implantée dans                                   Certes, le champagne français est pro-           L’élevage des vers à soie ou encore le
la province de Khorat, au nord-est                                    tégé par une série de textes législatifs,           dévidage, fil par fil, des cocons restent la
de la Thaïlande. C’est en parcourant                                  communément appelés le « Code du                    prérogative d’une myriade de petits pro-
cette région agricole pauvre au climat                                champagne », qui définissent avec préci-            ducteurs. Quant aux ateliers de tissages
chaud, que la reine Sirikit mesure les                                sion sa provenance et sa production.                qui rachètent ces fils, ils utilisent pour
difficultés des paysans et leur pro-                                  Mais le Comité interprofessionnel du                la plupart des métiers à tisser et autres
pose de relancer le tissage de la soie                                vin de Champagne doit se battre bec et              techniques traditionnelles.
et la teinture traditionnelle. En 1976, la                            ongles pour éviter l’usurpation de son in-            En 2007, le Comité Champagne
reine créera la fondation SUPPORT,                                    dication géographique*. Cet organisme               a répondu présent à la proposition
visant à développer des activités ar-                                 dont les origines remontent à la Com-               de partenariat venant de l’Institut de
tisanales en zone rurale et conserver                                 mission de propagande et de défense                 la reine Sirikit et s’est fait l’avocat
les anciennes techniques de fabrica-                                  des vins de Champagne de 1930, doit                 de la soie thaïe. Grâce à son sou-
tion. Aujourd’hui un millier de familles                              s’assurer qu’aucun autre vin mousseux               tien, l’enregistrement de l’indication
possèdent leurs propres champs de                                     au monde ne puisse bénéficier de cette              géographique de la soie de Lamphun
mûriers et élèvent les vers à soie chez                               appellation. Tâche difficile, et pour cause         auprès de l’Union européenne est
eux. Les cocons, qui arrivent à matu-                                 : le prestigieux nom « Champagne »                  en cours. Cette coopération est ap-
rité au bout de 23 jours, sont vendus à                               est vendeur, donc alléchant pour les                pelée à sensibiliser le public à la notion
la ferme de Jim Thompson.                                             falsificateurs.                                     d’indication géographique et à con-
  De nos jours, le tissage, qui constitue                                De son côté, le jeune Institut thaïlan-          tribuer à la sauvegarde de l’authenticité
l’étape centrale dans le processus                                    dais de sériciculture, créé en 2002,                de ces produits emblématiques des pat-
de la fabrication de la soie, est entre                               a pour objectif de faire reconnaître                rimoines culturels français et thaïlandais.
les mains de 600 tisserands, hom-                                     l’indication géographique de la province
mes et femmes, qui transmettent leur                                  de Lamphun, productrice traditionnelle                                Katerina Markelova,
savoir-faire de génération en généra-                                 de soie. La soie de Lamphun, réputée                              Le Courrier de l’UNESCO
tion. Concilient tradition et modernité,

Le Courrier de l’UNESCO 2009 N°2                                                            15
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