Domination américaine dans l'audiovisuel français - Infoguerre
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Domination américaine dans l’audiovisuel français Dès 1669, Blaise Pascal dans Pensées opuscules et lettres1, explique la nécessité pour l’homme de se distraire. Le divertissement tel que défini par Blaise Pascal, est considéré comme une fuite, une échappatoire, d’une réalité ou condition sociale qui déplait à l’homme. Aussi, une activité de divertissement peut avoir différentes formes possibles, et, est totalement subjective tant qu’elle permet à l’homme de ne pas penser à la réalité qui l’entour. D’après le CNC les français ont une certaine appétence pour la facilité des divertissements audiovisuels. Le cinéma, la télévision (publique ou canaux privées), la vidéo (physique ou à la demande) et les jeux vidéos, constituent un marché en constante croissance de prés de 10,5 milliards d’euro en 2016 (Tableau 5). Comme décrites par Blaise Pascal, les activités de divertissement sont subjectives, cependant nous pouvons mettre en perspective à la fois un marché croissant du divertissement audiovisuel, et un marché de l’édition en France dans la difficulté. Tableau 5 : Dépenses en programmes audiovisuels des français en millions d’euro (Source : Centre national du cinéma et de l’image animée) Si nous considérons la télévision comme une résultante de la rediffusion des films projetés au cinéma, nous concentrerons notre analyse sur le cinéma uniquement. De plus, nous voyons une « américanisation » de la télévision française tel qu’expliqué par Louis Haushalter. En effet, nous assistons à la duplication ou la forte inspiration par les séries télévisées d’outre-Atlantique. La télévision française copie les codes, les manières, et la substance de la télévision américaine. Ceci est de plus confirmé par la suprématie des séries télévisées américaines dans la télévision française publique ou privée. D’après les données du CNC nous pouvons constater cette même domination des films produits aux États-Unis dans les salles de cinéma en France. Le nombre d’entrée pour visionner les productions cinématographiques américaines sont en constantes progressions depuis les 10 dernières années, surpassant largement les films « 100% français ». 1 Blaise Pascal, Pensées opuscules et lettres, Paris, éditions Garnier 2010. 1
Tableau 6 : Nombre d’entrées de cinéma selon la nationalité du long métrage (Source : Centre national du cinéma et de l’image animée) L’impact du divertissement audiovisuel « made in USA » n’est plus à démontrer, néanmoins nous devons expliquer l’influence de celui-ci dans nos sociétés européennes et contemporaines. Afin d’effectuer cette démonstration nous prendrons un genre cinématographique originaire exclusivement des États-Unis, à savoir le Western. D’après le CNRS2, le Western peut être défini par : « Film d'aventures dont l'action se passe dans le Far West en partie. Film qui raconte la vie et les aventures mouvementées des pionniers, des cow-boys à l'époque de la conquête de l'Ouest américain. » Sur la figure 2 nous pouvons voir l’évolution et le succès de ce genre de film, de 1920 jusqu’aux années 1950, prés de 2000 films du genre western (1943 pour être précis) ont étaient produits exclusivement aux USA et par les USA. L’image promut par les westerns est celle de l’américain conquérant, constructeur, et courageux, face à un environnement désertique, hostile et néanmoins plein de promesses. Cette construction de l’esprit fut tellement imprimée dans les cœurs et les esprits, à tel point que les européens se mettent à produire des westerns à partir des années 60 (Annexe 1) Nombre de film du genre western produits de 1920 à 2017 900 800 Nombre de films produits 700 600 500 400 300 200 100 0 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 Nombre de film du genre western 213 218 836 676 385 283 127 163 144 123 produits par décennie Figure 2: Evolution de films western (Source Wikipedia- Annexes 1) 2 Centre National de la Recherche Scientifique. 2
En règle générale, le genre cinématographique du western3 bâtit l’ensemble des valeurs morales américaines, en considérant le cow-boy comme le bon, et les indiens comme les mauvais. Cette construction et si profondément ancrée dans l’espace cognitif que les enfants jouant aux cowboys et aux indiens, au même titre qu’aux gendarmes et aux voleurs. Le philosophe Gérard Mairet4 a mené à ce propos « une enquête sur la façon dont les westerns racontent la fondation de la république américaine en révélant pour la première fois les implicites politiques et moraux de ce genre cinématographique très populaire ». Sa démonstration porte sur la méthode de construction d’une fiction politique « visant à transformer l’histoire réelle en mythe de l’origine ». Or le personnage principal de l’origine est beaucoup moins le cowboy que l’Indien que les films excluent généralement de la manière dont s’est fondée la république américaine. S’il est dénombré environ 7000 westerns, la démonstration de Mairet porte sur cent vingt western hollywoodiens emblématiques. Dans les œuvres cinématographiques d’après guerre l’indigène est barbarisé, diabolisé, méprisé. Ainsi la colonisation de l’Amérique du nord et le génocide des populations indigènes, comme par exemple les exploits du général Custer ne sont pas mentionnées. N’oublions pas qu’entre 1920 et 1960 les États-Unis vivent encore sous un model de ségrégation raciale, et celui-ci n’a était théoriquement aboli qu’en 1964, bien que la ségrégation raciale reste à ce jour un sujet majeur aux États-Unis, à l’image du mouvement Black Lives Matter. Le mensonge par omission, fut, et, est toujours un vecteur de diffusion du rêve américain. L’illustration de la diffusion du modèle hollywoodien par la propagation du western, n’est qu’un exemple stéréotypé parmi d’autres super productions hollywoodiennes. La préparation psychologique de l’effritement de la puissance américaine a été depuis une trentaine d’années largement symblisée par des films de science-fiction. L’un des plus représentatifs a été le film Independance day. Ce dernier film retrace l’histoire d’une invasion mondiale par des extraterrestres, dont la lutte pour la sauvegarde de l’humanité serait guidée par l’ingéniosité des forces qui défendent la bannière étoilée, pour une victoire finale le 4 juillet (date de célébration de l’indépendance des Etats-Unis). Les recettes de ce film ont était évaluée à 817,4 millions de dollars, dont 511,2 millions de dollars réalisés hors des Etats-Unis. La fragilité contextuelle du cinéma français A contrario, la nouvelle génération français, culturellement fragile, peu sensible à la lecture et s’éloignant de l’esprit du siècle des lumières, est une cible de choix dont nous ne pouvons que constater l’impact des productions Hollywoodienne dans l’espace cognitif. D’une manière générale le cinéma américain est devenu la représentation des idéologues américains dans le but d’imposer un certain model culturel, dont le plus célèbre d’entre eux est le Choc des civilisations de Samuel P.Huntington. Huntington dans son ouvrage mondialement connu et traduit en 39 langues, met en opposition deux mondes, le monde occidental et le monde oriental, car pour l’auteur l’élément le plus important est la religion. L’auteur défini cette vision binaire du monde et de l’espace occidental, par la négation et l’exclusion de tous qui n’est pas chrétien (hors orthodoxe) et ne suit pas les idées atlantistes. Raison pour laquelle l’ensemble des « ennemis » définis dans les productions cinématographiques américaines sont soit islamo-iraniennes, asiatiques ou russes. L’objectif de domination par la culture est également théorisé par Brzezinski5 3 Gérard Mairet, Politique du western, Paris, Presses universitaires Vincennes, 2018. 4 Gérard Mairet est professeur émérite de philosophie politique à l'université Paris 8. Il a publié plusieurs ouvrages sur les fondements philosophiques de la politique moderne parmi lesquels : Le Principe de souveraineté, Paris Gallimard « Folio essais », 1996. Au cours des années 1970 et 1980 il a enseigné aux universités d'Ottawa et de Yaoundé. Il a été professeur de philosophie au département de science politique de l'Université de Paris VIII. Il a été professeur invité à l'University of California at Los Angeles (UCLA), chercheur invité résident au Getty Research Institute à Los Angeles. 5 Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier, Paris, Fayard, 2011. 3
« La domination culturelle des Etats-Unis a jusqu’à présent été un aspect sous-estimé de sa puissance globale. Quoi que l’on pense de ses qualités esthétiques, la culture de masse américaine exerce, sur la jeunesse en particulier, une séduction irrésistible » si l’on en croit Brzezinski. La puissance de feu de la concentration des médias La concentration des médias est un phénomène qui progressivement octroi à un groupe réduit un pouvoir de communication sur une large audience. Ce processus n’est pas inné aux États-Unis, mais il est le plus important de par son impact mondial. Outre la neutralité, et la liberté des médias renvoyant à la charte de Munich, il est important de comprendre qui sont les personnes et groupes derrière l’oligarchie médiatique. L’évolution technologique ainsi que l’évolution du besoin des consommateurs ont ouvert de nouvelles perspectives pour le contenu médiatique. Le temps actuel est aux contenus accessibles n’importe où grâce aux nouveaux réseaux de télécommunications tel que le la 4G (bientôt 5G) et n’importe quand avec les dispositifs de vidéo à la demande. La figure 3 nous montre l’évolution de la concentration des médias, en 1983 les 50 plus importantes sociétés médiatiques avaient 90% de couverture aux États- Unis, en 2011 seul 6 sociétés couvrent 90% des Américains. De fait, Comcast, Disney, Viacom, Time Warner, 21th Century et CBS forment un conglomérat d’influence aux États-Unis, et dans le monde. La figure 4 nous indique le poids de chaque canal de communication, montrant la stratégie d’encerclement du consommateur d’information et de divertissement. Le consommateur se retrouve encerclé par le contenu et le contenant, de fait d’un rôle passif dans la réception de l’information (Annexe 2.1) Figure 3 : Concentration des médias aux États-Unis (Source : Morriscreative) Figure 4 : Environnement médiatique aux États-Unis en Juillet 2015 (Source : NewsPlatz) 4
La concentration, et la propagation des conglomérats médiatique représentent un puissant levier d’influence culturelle. Au point que les milliardaires préfèrent investir dans les média (télévision, presse, musique, cinéma). L’étude des géants médiatiques nord-américains est révélatrice de leur objectif d’influences à travers le monde. Nous avons tous à l’esprit les images idylliques de Los Angeles et de ses palmiers, alors que le comté de cette ville voit ses rues envahies par les SDF, ou encore New- York fantasmé par les tours de Manhattan. La familiarité et l’image positivité de ces créations à la fois par les acteurs, ou le contexte, crée un terreau de sympathie transatlantique. En focalisant notre attention sur le conseil d’administration de Walt Disney Company (Annexe 2.4) nous pouvons voir la présence de Susan Arnold représentant le groupe Carlyle Group LP. Carlyle étant un groupe qui investi entre autre dans les technologies de l’information, les services aux gouvernements, la défense, et l’aérospatial. D’après le profil publique de Susan Arnold sur Bloomberg, celle-ci serait liée à : ▪ Allan M. Holt – Carlyle Group L.P ▪ Sandra J. Horbach - Carlyle Group L.P ▪ Robert Alan Essner - Carlyle Group L.P ▪ Marco De Benedetti - Carlyle Group L.P Un autre membre important de la Walt Disney Company est Fred H. Langhammer – Estée Lauder Companies Inc. Bien que le domaine d’activité de Fred H. Langhammer soit la beauté et le bien-être, le profil Bloomberg de ce dernier nous montre des alliances originales, dont les principales sont celles avec le groupe AIG Aviation Inc, groupe d’assurance et d’aérospatial. En plus de ses liens avec AIG Aviation Inc, Fred H. Langhammer est également lié aux groupes de politique étrangère américaine, ou énergétiques: ▪ Merton Bernard Aidinoff – AIG Aviation Inc. ▪ John R. Myers -AIG Aviation Inc. ▪ Carla Anderson Hills – Council on foreign relations Inc. ▪ Martin S. Feldstein - Council on foreign relations Inc. ▪ Richard Charles Holbrooke - National Security Solutions Inc. ▪ Michael H. Sutton – Allegheny Energy Supply Company LLC ▪ Frank Becker – European Privatization & Investment Corporation Enfin le dernier membre du conseil d’administration de Walt Disney Company qu’il serait important de citer est, John S. Chen. En effet, John S. Chen est particulièrement proche de la chambre de commerce états-unienne à l’image de cette liste non exhaustive : ▪ Michael C. MacDonald – US Chamber of Commerce ▪ Gregory T. Swienton – US Chamber of Commerce ▪ Jeffrey C. Crowe – US Chamber of Commerce ▪ Thomas D. Bell – US Chamber of Commerce ▪ Stephan A. Van Andel – US Chamber of Commerce ▪ C.A. Howlett – US Chamber of Commerce ▪ Michael P. Bernard – US Chamber of Commerce ▪ James W. Cicconi – US Chamber of Commerce ▪ Larry A. Liebenow – US Chamber of Commerce ▪ Jeffrey A. Rich – US Chamber of Commerce ▪ Jorge Mas – US Chamber of Commerce ▪ Edwin M. Crawford – US Chamber of Commerce ▪ Dwight H. Evans – US Chamber of Commerce ▪ Ronald S. Milligan – US Chamber of Commerce ▪ M. Bruce Nelson – US Chamber of Commerce L’exemple de Walt Disney Company illustre parfaitement les influenceurs des groupes médiatiques internationaux. En plus du divertissement proposé par leurs contenus et leur large couverture 5
d’audience, les groupes médiatiques états-uniens servent également leurs intérêts nationaux en termes économiques, sécuritaires et politiques. Ceci qui traduit exactement le concept de « soft power », qui est la capacité d’influencer ou de persuader une audience sans faire preuve de force coercitive (Joseph Nye). Nous pourrions continuer l’analyse de l’étude des conseils d’administrations d’autres conglomérats médiatiques (Annexe 2.3 à 2.7 – dont le cas de CBS et ses liens avec l’industrie de l’armement), mais l’exemple de Walt Disney Company suffit à illustrer la connivence des groupes de divertissements, de politiques étrangères et d’industries. Cette triade est défini comme le « complexe militaro-cinématographique » par le sociologue Jean-Michel Valantin6. Concentration des groupes de divertissement et le risques pour les démocraties européennes La dépendance médiatique, et du divertissement dans un contexte d’érosion de la connaissance ouvrent de dangereuses voies vers l’intoxication informationnelle par différents moyens tel que : ▪ Le contrôle sémantique, et la sélection des acteurs médiatiques, prenant de fait parti pour l’un des protagonistes. ▪ La gestion du temps médiatique, et la priorité donnée à la résonance de l’information et du contenu de divertissement ▪ La politisation du divertissement, obligeant l’audience à prendre fait et cause pour un protagoniste. ▪ Le mensonge par omission, ne montrant qu’un échantillon non représentatif d’une situation. Bien que nous ne soyons plus dans un contexte de guerre froide, la conception d’un imaginaire fictif des États-Unis et une illusion du rêve américain reste un enjeu essentiel dans la projection de puissance américaine. N’oublions pas que le cinéma et les œuvres de divertissements sont subjectifs comme décrit par Blaise Pascal, ainsi toute œuvre cinématographique reflète avant tout le point de vu du réalisateur et du producteur. Par exemple prenons le cas du film Des hommes d’influences, qui retrace l’histoire d’un président américain empêtré dans scandale sexuel, les échéances électorales approchant son conseillé interprété par Robert DeNiro décide d’inventer une guerre en Albanie afin de détourner l’attention électorale. Ce film satirique exagère bien évidemment le poids des médias sur l’audience, bien que la gestion de l’information fasse partie intégrante de la stratégie du pentagone. Dans Guerre et contre-guerre7, les auteurs rapportent les propos de Paul Straussmann : « L’histoire de la guerre, explique Straussmann, c’est l’histoire de la doctrine […] nous avons une doctrine de débarquement sur les plages, une doctrine de bombardement, une doctrine pour AirLand Battle […] ce qui nous manque […] c’est une doctrine de l’information. » Paul Straussmann fut enseignant de gestion de l’information à l’académie militaire de West Point définissant l’information comme « un atout stratégique ». La conquête du champ informationnel et du divertissement conforte le déploiement du « soft power » états-uniens, et parfois contribue à la distorsion de la réalité. Le manque de sources d'informations alternatives n'est pas le monopole des pays autoritaires, la concentration des moyens de communication de masse est également observée dans les régimes démocratiques. Le pluralisme culturel étant remis en question, la politique doit s’adapter en utilisant les codes d’outre atlantique afin de s’accommoder à un électorat conditionné à cette culture. Dans cette « guerre du savoir8 », l’occupation du domaine télévisuel et cinématographique est un enjeu important pour la démocratie. La question est comment construire 6 Jean-Michel Valantin, Hollywood, le Pentagone et Washington. Les trois acteurs d’une stratégie globale. Paris, Éd. Autrement, coll. Frontières, 2003. Jean Michel Valantin docteur en études stratégiques et sociologie de la défense, spécialiste de la stratégie américaine et chercheur au Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques (CIRPES) 7 Alvin et Heidi Toffler, Guerre et contre-guerre, Survivre à l'aube du XXIe siècle, Paris, Fayard, 1994. 8 Ibid, p 199. 6
une résistance compte tenu de notre héritage culturel afin que le pays contributeur du siècle des lumières ne continue pas à être influencé par Walt Disney. 7
Annexes Annexe 2.1 : Couverture médiatique des principales sociétés de médias aux Etats-Unis (Source : NewsPlatz) Annexe 2.2 : Couverture médiatique News Corp en 2010 (Source : NewsPlatz) 8
Annexe 2.3 : Conseil d’administration de Comcast Corporation (Source : Bloomberg Juillet 2018) 9
Annexe 2.4 : Conseil d’administration de Walt Disney Company (Source : Bloomberg Juillet 2018) Annexe 2.5: Comité de direction de Viacom (Source : Bloomberg Juillet 2018) 10
Annexe 2.6: Conseil d’administration de 21th Century Fox (Source : Bloomberg Juillet 2018) Annexe 2.7: Conseil d’administration de CBS (Source : Bloomberg Juillet 2018) 11
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