Douglas Adams, Le guide galactique (en cinq tomes) (Folio SF) Traduction de Jean Bonnefoy - Culture, le magazine ...
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Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Fiction étrangère Douglas Adams, Le guide galactique (en cinq tomes) (Folio SF) Traduction de Jean Bonnefoy Quiconque se délecte du non-sens dont seuls sont capables les anglais appréciera les aventures d'Arthur Accroc. Un matin, ce pauvre homme, désespérément moyen, se couche devant des bulldozers qui ont pour ambition de détruire sa maison afin d'y laisser passer une déviation. C'est à ce moment que son meilleur ami, du nom de Ford Escort, lui annonce que c'est un extraterrestre et que la Terre va être détruite dans les 2 minutes afin d'y laisser passer une autoroute intergalactique. La journée commence plutôt mal pour cet anglais qui aime passer des après-midis paisibles. Pour échapper à la catastrophe, ils font du stop et échouent dans un vaisseau des Vogons. Espèce détestable et détestée dans tout l'univers, qui ne va pas sans rappeler les stéréotypes du fonctionnaire aigri, et dont la poésie est tellement horrible que sa lecture à voix haute peut tuer son auditeur. L'avalanche d'absurdités qui s'ensuit rappellera les meilleurs Monty Python. Et malgré une imagination apparemment trop débordante, la saga se révèle être à bien des égards une observation cynique et piquante de nos défauts d'êtres humains. © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -1-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Mais dans l'univers de Douglas Adams, tout devient possible, au service du rire. Le président de la galaxie est un m'as-tu-vu à la fois extrêmement intelligent et parfaitement débile, qui vole le vaisseau le plus puissant de l'univers, la Terre est un ordinateur puissant situé dans une banlieue peu fréquentable de l'univers, un architecte d'un peuple constructeur de planètes a gagné un prix pour ses Fjords en Norvège, pour apprendre à voler, il suffit de tomber en oubliant de s'écraser sur le sol, et ceux qui ont conçu l'univers ont même laissé un message aux lettres de flammes éternelles, en plein centre d'une planète désertique. Je laisse à vos soins la possibilité de découvrir la teneur de cette divine sentence... (Philippe Lecrenier) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -2-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Milena Agus, Mal de pierres (Livre de poche) Traduction de Dominique Vittoz J'aime beaucoup Milena Agus, auteure Sarde, et surtout pour Mal de pierres et Battements d'ailes, deux romans à la fois graves et heureux, qui chantent une sensualité étonnante, qui donnent envie de vivre, de sentir le vent, de respirer le soleil, d'aimer et d'accompagner les événements. (Vinciane Despret) Reinaldo Arenas, Avant la nuit (Babel) Traduction de Liliane Hasson Ce grand écrivain cubain a laissé derrière lui cet émouvant récit autobiographique où il aborde non seulement des événements historiques marquants tels que la dictature de Fidel Castro et la libération de Cuba mais nous relate également le combat quotidien qu'il livre afin de revendiquer sa liberté d'exister en tant qu'homosexuel. Ce livre m'a réellement touchée car il est empreint d'une grande humanité. Il met sur le devant de la scène le problème de l'identité et la difficulté d'exister dans un monde où la politique a tous les pouvoirs. Le style de l'auteur reste très poétique et regorge de nombreux symboles. Je conseille ce livre à ceux et celles qui s'intéressent à l'histoire de Cuba et plus particulièrement aux lecteurs qui n'ont pas peur de faire face aux images parfois choquantes de Reinaldo Arenas. Si vous connaissez l'histoire de cet écrivain, vous comprendrez à quoi le titre Avant la nuit se rapporte. Sinon je vous laisse le plaisir de le découvrir ! (Laurence Messina) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -3-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Paul Auster, Invisible (Faber & Faber) Version française : Éd. Actes Sud - Traduction de Christine Le Boeuf Cette fois, c'est la librairie plus internationale de l'aéroport de Bruxelles qui m'a poussée à lire Auster dans sa langue et non plus dans la mienne. Une belle expérience, avec un roman intriguant, des personnages complexes, des mises en abîme successives au fil du récit et une fin... qui laisse sur une forme de faim... (Vinciane Pirenne-Delforge) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -4-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Paul Auster, Seul dans le noir (Actes sud) Traduction de Christine Le Boeuf August Brill, critique littéraire retraité, passe ses nuits d'insomnie « seul dans le noir » à inventer des histoires pour éviter de penser, pour ne pas devoir affronter, encore et toujours, les mêmes tourments. Il refait l'Amérique et l'imagine en guerre, non pas contre l'Irak mais bien contre elle-même : il invente une guerre civile qui ronge le pays de l'oncle Sam de l'intérieur et divise le peuple. Pendant la journée, August n'a d'autre choix que d'être le protagoniste de sa propre vie. Immobilisé par un accident de voiture quelques années auparavant, il vit avec sa fille, Miriam, et sa petite fille, Katya qui, elles aussi, essaient tant bien que mal de faire face aux aléas de la vie. Toute l'originalité de Seul dans le noir réside dans le mélange subtil entre le jour et la nuit d'August. Au fur et à mesure du récit, la frontière entre réalité et fiction s'estompe, jusqu'à s'effacer complètement et le lecteur se voit envouté et emporté une fois de plus dans l'univers passionnant de Paul Auster. À lire absolument. (Marie Vandermeulen) Voir l'article : Paul Auster, Invisible Charles Bukowski, Women (Le Livre de Poche) Charles Bukowski, écrivain américain, s'inscrit dans la lignée de Céline. Ils usent de styles différents mais s'accordent tous deux sur la primauté de la forme sur le fond. Seul le style compte, on se moque de ce qui est raconté. Il représente clairement l'écrivain des bas-fonds. Son écriture transpire la gnôle et le sexe. Women est le récit d'aventures amoureuses. L'auteur entre tant dans les détails que certains le considèrent comme un roman pornographique. Son style est caustique, tranchant, vivant, direct et oral. Selon lui, trop de style tue le style. Le sien sera donc totalement épuré, préférant aller à l'essentiel. On l'a souvent taxé de machiste et il est vrai qu'il décrit des scènes sexuelles parfois assez vulgaires et que son style est plus que provocateur mais en réalité, il dresse un tableau de cette société en marge et leur © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -5-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège rend hommage. Son écriture cruelle et provocatrice n'a d'égale que le plaisir qu'on ressent en lisant ses histoires, un peu chaotiques, desquelles émerge une réelle beauté... (Mandy Hurel) Hugo Claus, Le Chagrin des Belges (Points)Traduction d'Alain van CrugtenDans ce « petit palmarès littéraire », le roman d'Hugo Claus, Le Chagrin des Belges, est aussi, à mon sens, un roman incontournable de ces dernières décennies. Se plonger, en effet, dans cette somme romanesque de plus de 500 pages, c'est (re)découvrir, sous différents tableaux, la Flandre après la Seconde Guerre mondiale, une Flandre catholique opprimée, attirée par la collaboration nazie, et encline à des tendances d'indépendantisme. C'est aussi être porté par une écriture vigoureuse et délicate, qui peint avec beaucoup de justesse une série de personnages typiques. Dans une certaine mesure, cette fresque sociale du pays flamand fait aussi écho à la légende d'Ulenspiegel. (Primaëlle Vertenoeil) Charles Dickens, Les grandes espérances, (Livre de Poche. Classiques de poche)Traduction de Charles Bernard Derosne et Jean-Pierre NaugretteEntre le conte, le roman d'aventures, le roman policier, la nouvelle fantastique, mais en même temps, rien de tout ça : ce livre est un ovni. Le jeune Pip raconte en première personne ce qui lui arrive, dans une Angleterre qui semble d'avant, juste avant, la révolution industrielle. « Ce qui lui arrive » : on ne sait pas d'où ça vient, sur quoi ça ouvre, on le découvre avec le narrateur au fil de la lecture. S'il y a un roman de l'événement, c'est bien celui-là. Chaque fait marquant comporte une part de mystère, qui renvoie à un autre fait à découvrir, comportant à son tour une énigme, qui renvoie, etc. Avec Pip, le lecteur se trouve sans cesse surpris, détaché de ses propres anticipations, mis à l'écart de lui-même. Le style en est l'expression la plus haute, un peu moqueur, souvent drôle, toujours humoristique, jusque dans les plus amères déceptions.(Antoine Janvier) George Eliot, Daniel Deronda (Folio classique)Traduction Alain Jumeau La traduction française vient de paraître, ce sera mon roman de l'été : 1200 pages de tribulations sociales dans l'Angleterre victorienne. Les étés précédents, j'ai lu les deux autres romans de l'auteure traduits en français Le Moulin sur la Floss et Middlemarch, tous deux m'ont laissé un souvenir extraordinaire. Dans mon panthéon personnel, George Eliot est très au-dessus de ses confrères Dickens, Hardy ou Thackeray. (Sémir Badir) John Fante, Mon chien Stupide (10-18)Traduction de Brice Matthieusent Étant actuellement en post-doc à l'Université de New York, je ne peux m'empêcher de recommander trois ouvrages américains qui ne datent pas d'hier mais qui prennent à nouveau © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -6-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège tout leur sens à l'heure où la classe moyenne américaine craint toujours de perdre son job ou sa maison. Cette Amérique qui doute, on la retrouve dans les personnages de Fante, Toole ou Selby qui nous dressent le portrait des perdants du rêve américain. Qu'il s'agisse d'un père de famille prêt à craquer en Californie, d'un illuminé incapable de trouver sa place dans le monde du travail à la Nouvelle- orléans ou d'ouvriers déclassés en perdition à New York, ces trois auteurs dressent - dans des styles très différents - le portrait d'une autre Amérique qu'Hollywood omet souvent de nous montrer. (Jean- Michel Lafleur) Fielding, L'histoire de Tom Jones, enfant trouvé (Folio classique)Traduction de Francis Ledoux C'est un livre qui peut se lire à de nombreuses reprises et à plusieurs niveaux: de l'aventure pour enfants à la réflexion philosophique et littéraire. Il est drôle et intelligent et la qualité de la langue est excellente. En plus, il emboîte les récits les uns dans les autres et offre ainsi un grand nombre d'histoires. (Anne Staquet) Francis Scott Fitzgerald, La fêlure (Gallimard, Folio) Traduction de Dominique Aury et Suzanne Mayoux C'est un recueil de nouvelles, avec des personnages différents, et parfois récurrents, des Etats-Unis des années 30. Elles se lisent très vite, à la mesure de ces moments de vie, ou de ces vies tout court, dont Fitzgerald rend la temporalité par son écriture elle-même. On s'y brûle les yeux, pour en sortir gonflé à bloc : fêlé à son tour, ouvert à ces instants paradoxaux où l'ordre du temps s'interrompt, se distend et s'accélère à la fois. (Antoine Janvier) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -7-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Janet Frame, Visages noyés (Rivages Poches / Bibl. étrangère) Traduction de Solange Lecomte Ce merveilleux livre nous plonge dans l'atroce réalité de l'enfermement psychiatrique. À travers la voix du narrateur, Istina, atteinte de schizophrénie, et par la même occasion la voix de Janet Frame elle-même, qui fut également diagnostiquée schizophrène, nous découvrons un monde flou où les identités se perdent. J'ai tout particulièrement apprécié ce livre car il a cette fabuleuse capacité de provoquer chez les lecteurs une perpétuelle réflexion et de les amener à une réelle prise de conscience. L'auteur jongle avec le temps et l'imagination tout en nous faisant pénétrer dans les labyrinthes de l'esprit. Je recommande vivement ce livre à tous ceux et celles qui sont prêts à s'aventurer dans les couloirs d'un asile et à sentir l'odeur et les cris de la mort. Dès les premières lignes, grâce au style fluide de cette écrivaine néo-zélandaise, ils seront « noyés » dans l'aventure d'Istina, qui nous révèle entre autres que pour elle « Dying is an adventure, and I've always enjoyed adventures ». (Laurence Messina) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -8-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Santiago Gamboa, Le syndrome d'Ulysse (Points) Traduction de Claude Bleton Près de 80.000 avions traversent le ciel chaque jour dans le monde ; voyager, découvrir de nouveaux horizons, partir tenter sa chance ailleurs n'a jamais été aussi facile qu'aujourd'hui. Une nouvelle ère a commencé : celle de la communication, de l'ouverture, de la croissance et des échanges entre les cultures... Esteban, jeune écrivain colombien, croit en ce nouveau monde et part défier son destin à Paris, capitale de la bohème et du « rêve européen ». Il y vit intensément la misère et la faim, l'amitié, le sexe et le rêve. Mais dans ce roman qui prend parfois des allures autobiographiques, Santiago Gamboa dévoile aussi un aspect moins connu de l'exil : il nous fait vivre l'expérience psychologique de l'émigration, et c'est le cœur serré que nous comprenons que la communication et les échanges culturels sont aussi à l'origine d'une profonde réflexion sur l'identité. Esteban, Jung, Paula deviennent tous bien malgré eux les citoyens d'un « no man's land » : ils ne seront jamais d'ici mais ne sont plus de là-bas. Pour ce roman passionnant, Santiago Gamboa n'aurait pu choisir meilleur titre que ce qui s'annonce comme un des grands maux psychologiques de notre siècle. En refermant Le syndrome d'Ulysse, une question résonne dans notre esprit : heureux l'est-il vraiment, qui, comme Ulysse, a fait un long voyage ? ( Marie Vandermeulen) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 -9-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Alex Garland, La Plage (Hachette littérature) Traduction de Jeanine Rovet Des routards fatigués du succès touristique de la Thaïlande partagent une île de rêve avec des trafiquants de drogue. Si tout les oppose, et s'ils se tolèrent réciproquement mais ne se croisent pas, les deux groupes ont tout intérêt à garder leur existence secrète. Mais Richard, un jeune anglais fraîchement posé à Bangkok, reçoit une carte indiquant la position de l'île et décide de s'y rendre après en avoir laissé une copie à deux américains. Sur fond d'imagerie du pêché originel, cette carte réintègre brusquement l'île dans le monde réel. Triste ironie. Ce jardin d'Éden, oublié de tous, condamné à disparaître par sa révélation. La quiétude sur l'île devient de plus en plus difficile à trouver. Sans jamais baigner dans le morbide, et sur fond d'une guerre du Viêt-Nam idéalisée, séduisante, filtrée par l'héritage cinématographique plus que par un souvenir traumatisant, une psychopathie individuelle autant que collective s'installe peu à peu pour devenir pesante et sanglante. Cet ouvrage, bien plus que son adaptation cinématographique de Danny Boyle, reste sur le fil du rasoir tout du long. Il y a un déchirement constant, un long cri, un vertige identitaire. Un entre deux constant entre l'occident et l'orient, entre le jour et la nuit, entre le jeu et la guerre, entre le rêve et la réalité, entre la raison et la folie. Plus que tout, c'est un livre de l'évasion. Fuir l'Angleterre, fuir les hauts lieux touristiques, fuir la vérité tangible d'un monde qu'on ne peut supporter, et échouer sur cette plage, où les routards-fuyards se retrouvent face au mur de leur propre psychologie. Et quand on se retrouve presque seul sur une île oubliée des cartographes, on finit par se rendre compte que ce n'est pas le monde, qu'on tentait de fuir et d'oublier, mais sa propre existence. Hérésie morale inéluctablement fatale. (Philippe Lecrenier) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 10 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Hermann Hesse, Narcisse et Goldmund (Livre de Poche) Traduction de Fernand Delmas Cet ouvrage peut se lire et se relire avec plaisir. Il pose des questions sur l'art et la vie au Moyen Âge, mais de telle manière qu'il interroge la condition de la culture et de la recherche aujourd'hui. La qualité de la langue et sa simplicité en font un livre accessible à tous et jouissif. (Anne Staquet) Arnaldur Indridason, La cité des Jarres (Points) Traduction d'Éric Boury Dans les romans noirs, Arnaldur Indridason, notamment la Cité des Jarres. Tout ce que le roman noir a su si bien réussir (des états d'âmes discrets, sobres, métaphorisés dans des imperméables chiffonnés, des insomnies enfumées, des silences et des répondeurs téléphoniques) se retrouve mêlé aux Sagas Islandaises et à l'histoire des Islandais. En découvrant tout récemment le travail de l'anthropologue © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 11 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Christophe Pons (Le spectre et le Voyant : les échanges entre morts et vivants en Islande), je m'aperçois que les romans d'Indridasson pourraient tout aussi bien figurer dans la lignée des grands ethnopolars. (Vinciane Despret) Voir l'article : Le polar nordique : révélateur d'un malaise © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 12 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège António Lobo Antunes, Livre de Chroniques III (Points) Pour celles et ceux qui ont prévu de séjourner en bord de mer, les petites « chroniques » d'António Lobo Antunes s'avèreront plus maniables à la plage que ses épais romans épiques, auxquels ils constituent par ailleurs une excellente introduction. Médecin et écrivain, Lobo Antunes cultive un pessimisme et une noirceur à faire passer Cioran et Caraco pour de joyeux drilles (enfin, en exagèrant un peu). Mais il manie également à merveille l'humour noir, la satire sociale et le grotesque. Au-delà des Chroniques, La Splendeur du Portugal, Le Retour des caravelles... quelques titres à lire d'urgence dans le contexte des débats sur l'identité nationale et les dettes publiques ! (Michel Delville) Voir l'article : Portugal : António Lobo Antunes © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 13 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Jack London, Martin Eden (10/18 Domaine étranger) Traduction de Claudre Cendrée Jack London, Construire un feu (Actes Sud) Traduction de Christine Le Boeuf Digne héritier de Stevenson, Jack London est l'écrivain, le romancier par excellence : sens du récit, goût de l'aventure, intelligence du réel, force d'une écriture sans inutile affectation de grandeur. Lisible par tous, à tout âge et de toutes classes. Martin Eden, roman autobiographique, ou comment se faire écrivain par une lente et difficile conquête du langage contre les inerties sociales et les obstacles éditoriaux. Et Construire un feu, recueil d'admirables nouvelles, parce qu'on n'a jamais fait sentir avec une telle économie de moyens qu'en chacun des gestes que pose un homme, c'est l'homme tout entier qui est en jeu. La première, qui donne son titre au recueil, est d'une beauté à couper le souffle. Un trappeur, égaré dans le grand Nord, rate son feu de camp et meurt lentement de froid, tandis que son chien de traîneau s'enfuit vers la vie, la chaleur, les hommes. (Pascal Durand) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 14 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Howard Phillips Lovecraft, Les Montagnes hallucinées (J'ai lu) Plus que simple écrivain, Lovecraft crée un mythe, celui de Cthulhu. Bien avant que les êtres humains n'apparaissent sur terre, existaient les grands anciens, sortes d'entités cruelles, horribles, dont Cthulhu. Ces entités ont en quelque sorte disparu mais des cultes se recréent et pour les honorer. Dans Les montagnes hallucinées, Lovecraft relate l'expédition de scientifiques vers l'Antarctique où ils feront bientôt une étrange découverte : tout d'abord, une montagne que personne n'a jamais osé franchir, et derrière celle-ci, une immense cité où régnait Cthulhu. Les fouilles archéologiques dévoilent la présence de fossiles de créatures effrayantes, les grands anciens. Cette rencontre entre la science et l'occulte est réellement captivante. Figure emblématique dans sa catégorie, Lovecraft crée réellement l'esthétisme dans l'horreur. Il parvient vraiment à créer la frayeur et la peur avec de simples mots. Ses descriptions transpirent d'angoisse à en donner le vertige ! Extraordinaire... (Mandy Hurel) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 15 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Katarina Mazetti, Le mec de la tombe d'à côté Traduction de Lena Grumbach et Catherine Marcus (Actes Sud - Babel) C'est assurément le titre qui attire d'abord, dans un de ces coins relay des gares. Mon exemplaire en vient et cette histoire, où les deux protagonistes d'un coup de foudre se cognent aux certitudes incompatibles de milieux différents, est souvent drôle et a égayé un voyage que les retards trop fréquents du Thalys avaient rendu particulièrement long ! (Vinciane Pirenne-Delforge) Kenji Miyazawa, Le bureau des chats (Éd. Philippe Piquier) Traduction d'Élisabeth Suetsugu Kenji MIYAZAWA (1896-1933), Professeur d'agronomie et féru d'espéranto, avait une vision du monde universaliste, très proche de la Nature. Malheureusement, ses pensées n'ont guère été comprises ni appréciées par ses contemporains. Nous pouvons découvrir ses idées grâce à ses « Contes », © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 16 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège tous posthumes, bien entendu, mais tellement puissants par la force de vérité du message qu'ils contiennent. (Kanako Goto) Haruki Murakami, Les Amants du Spoutnik (10/18) Traduction de Corinne Atlan On va en Grèce en été pour quel motif ? Bronzer ? Lâcher prise ? Pas seulement... Le héros part en Grèce sur un coup de tête, pour retrouver et sauver sa meilleure amie, Sumire, dont il est secrètement amoureux. Profondément et presque violemment. Et inutile de dire que Sumire, elle, est follement amoureuse de... Voici un autre périple murakamien, sous le soleil de Grèce qui vous grille et déshabille de l'intérieur. (Kanako Goto) Voir l'article : Haruki Murakami, portrait d'un écrivain de fond © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 17 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Vladimir Nabokov, Lolita (Folio) Traduction de Maurice Couturier Conseiller la lecture de Lolita pourrait étonner, voire choquer au vu du « scandale » qui a entouré le texte à sa parution. Or, ce roman, car il s'agit là d'une œuvre de fiction, n'a rien des accusations qu'on a pu lui prêter. Certes, l'histoire d'Humbert Humbert et de la relation amoureuse qu'il a entretenue avec sa belle- e fille Dolorès a des allures d'inceste. Cependant, loin d'être un marquis de Sade du 20 siècle, Nabokov joue avec des ellipses temporelles ou une série de sous-entendus et évite les travers qu'on a pu lui prêter. Les premières « notes » du roman parlent d'elles-mêmes : « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-li-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois reprises, contre les dents. Lo. Li. Ta (p. 15) ». (Primaëlle Vertenoeil) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 18 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Yoko Ogawa, La mer (Actes Sud) Traduction de Rose-Marie Makino Ce recueil inclut sept nouvelles, dont deux extrêmement brèves, comparables aux fragments de Jules Renard dans ses Histoires Naturelles. Des moments capturés avec les cinq sens extraordinairement fins de l'auteure sont dressés, tout sagement, dans une - pour ainsi dire - bibliothèque silencieuse. Attention, l'adjectif « silencieux » ne rime pas du tout avec « celui qui manque de tonus » ! Bien au contraire, les objets soigneusement décrits jusque dans leurs moindres détails ne cesseront de réveiller le plus profond de nos sensations, agréables et dérangeantes, tout aussi vraies qu'inévitables. (Kanako Goto) Voir l'article : Japon : Yoko Ogawa © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 19 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Chuck Palahniuk, Choke (Folio) Il est triste de constater que certains écrivains souffrent d'avoir écrit un premier roman brillant (en l'occurence, le célébrissime Fight Club) et dont le succès fulgurant a tendance à éclipser les qualités des suivants. Une fois n'est pas coutume, le quatrième de couverture de la traduction française ne pourrait pas mieux résumer ce roman situé, de fait, à mi-chemin entre John Kennedy Toole et Bret Easton Ellis. (Michel Delville) Voir l'article : États-Unis : Chuck Palahniuk Joseph Roth, La marche de Radetzky (Points) Traduction de Blanche Gidon Un contemporain de Zweig qui, lui non plus, ne se remit probablement jamais de la chute de l'Empire austro-hongrois est Joseph Roth, autre spécimen éminent d'austro-judaïcus. Son chef-d'œuvre est incontestablement La marche de Radetzky, chronique d'une famille dont l'aïeul sauva la vie de François- Joseph à la bataille de Solferino et fut, pour cette raison, récompensé du titre héréditaire de baron : à partir de ce moment, Roth décrit trois générations de von Trotta - la famille en question -, depuis les fastes d'un empire alors au faîte de sa gloire jusqu'à l'entrée en guerre à la suite de l'attentat de Sarajevo. La petite histoire rejoint la grande et la lente déliquescence des von Trotta sera comme l'écho assourdi de l'affaissement progressif et inéluctable de la structure impériale. Roth donnera une suite à La marche, avec La crypte des capucins, qui raconte, à travers les yeux d'un narrateur apparenté aux von Trotta, le coup fatal porté à l'Empire des Habsbourg par la Première Guerre mondiale. (Nicolas Thirion) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 20 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Hubert Selby Jr, Last Exit to Brooklyn (10-18) Traduction de J. Colza Étant actuellement en post-doc à l'Université de New York, je ne peux m'empêcher de recommander trois ouvrages américains qui ne datent pas d'hier mais qui prennent à nouveau tout leur sens à l'heure où la classe moyenne américaine craint toujours de perdre son job ou sa maison. Cette Amérique qui doute, on la retrouve dans les personnages de Fante, Toole ou Selby qui nous dressent le portrait des perdants du rêve américain. Qu'il s'agisse d'un père de famille prêt à craquer en Californie, d'un illuminé incapable de trouver sa place dans le monde du travail à la Nouvelle-orléans ou d'ouvriers déclassés en perdition à New York, ces trois auteurs dressent - dans des styles très différents - le portrait d'une autre Amérique qu'Hollywood omet souvent de nous montrer. (Jean-Michel Lafleur) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 21 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Shane Stevens, Au-delà du mal (Sonatine) Traduction de Clément Baude En l'occurrence, le parfait livre estival, à lire sur une plage de sable chaud ou entre deux barbecues (bien saignants). J'ai découvert l'ouvrage au Centre Steeman (la bibliothèque des paralittératures à Beaufays). Le roman, américain, date de 1979, mais n'a été traduit que dernièrement en français. Ce long délai étonne, car il s'agit visiblement d'un classique absolu du genre (le récit de serial-killer), très connu et reconnu outre- Atlantique. Cela commence très vite (p. 9 !) avec un jeune enfant qui contemple un ballet de flammes ronger le corps de sa victime. Cela ne ralentit pas vraiment par la suite... Un récit évidemment haletant qui, partant du portrait d'un criminel halluciné, décrit une Amérique hallucinante. On ne sait pas grand-chose de Shane Stevens (une petite poignée de romans au long des années 70), mais il apparaît très clairement qu'il a été une influence majeure pour toute une génération d'écrivains américains qui ont fait de la description documentée, froide, détachée et clinique du mal l'un des enjeux majeurs de leur littérature (à commencer bien sûr par Thomas Harris et James Ellroy). C'est simple, rapide et long, comme une autoroute la nuit (bien noire la nuit). (Dick Tomasovic) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 22 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Sheri S. Tepper, The Companions (HarperCollins et EOS) (en anglais) Le roman de science fiction de Sheri Tepper, dont le titre, The Companions, sonne comme une réponse aux derniers travaux de la philosophe américaine Donna Haraway (mais pour rester dans le domaine de la science fiction, on pourrait aussi penser à certains des livres de Ursula Leguin). Le roman raconte, dans un lointain futur, le long périple d'une jeune femme, Jewell, décidée à trouver, pour les animaux bannis d'une terre aseptisée et aux ressources détruites, une planète qui puisse les accueillir. Une ode à la vie, à l'amour et à la sensibilité à toutes les formes du vivant. J'accompagnerais cette lecture d'une autre, non romanesque quant à elle : David Abram The spell of the sensuous. Je ne sais laquelle de ces trois lectures a eu cet étrange effet (Sheri Tepper, Donna Haraway, David Abram ?) : j'entends les merles chanter comme je ne les ai jamais entendus auparavant. Et c'est bien. (Vinciane Despret) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 23 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège John Kennedy Toole, La conjuration des imbéciles (10-18) Traduction de Jean-Pierre Carasso Dans la catégorie « fous-rires en cascade », rien de tel que la désormais classique Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Le roman a pour protagoniste un certain Ignatius J. Reilly, habitant des bas quartiers de la Nouvelle-Orléans et véritable Tanguy de l'Amérique profonde vivant aux crochets de sa vieille mère décrépite et alcoolique. Esclave hypocondriaque d'un anneau pylorique qui se referme au gré des agressions du monde extérieur, Ignatius n'entend quitter sa chambre qu'en cas d'impérieuse nécessité. Fervent adepte de la littérature médiévale, il s'engage, entre deux pets et trois rots, dans une croisade contre la société moderne et ses déviances, gribouillant compulsivement sur ses cahiers « Big Chief » une œuvre magistrale condamnée à l'incompréhension de ses contemporains dégénérés. Suite à un accident de voiture causé par sa mère et à l'endettement qui s'ensuit, le malheureux est contraint d'aller travailler. Le récit relate, comme autant d'épreuves épico-burlesques, les expériences infructueuses d'Ignatius dans le monde réel. John Kennedy Toole, natif de la Nouvelle-Orléans, juxtapose à la dimension humoristique de son roman un portrait au vitriol de la société sudiste du début des années soixante, sondant ses mythes autant que son folklore à travers les figures du beatnik, du vendeur de hot-dog, de la strip-teaseuse, etc. Véritable ovni littéraire, La Conjuration des imbéciles n'en est pas moins un produit typiquement américain, à savoir un roman de haute tenue accessible à un très large public. Son statut d'œuvre posthume d'un écrivain maudit participe de son mythe. (Sarah Sindaco) (Recommandé aussi par Jean-Michel Lafleur) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 24 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Robert Walser, Vie de poète (Points Seuil) Traduction de Marion Graf Les petits textes en prose de Robert Walser ne se résument pas. Ils se savourent. Ce Suisse allemand, né en 1878 et mort en 1956, en a écrit des centaines. Entre chroniques, souvenirs et poèmes en prose, ils sont empreints d'une grâce si subtile qu'au terme de chacun, on se demande toujours si Walser est un vrai ou un faux naïf. Quand il rapporte ses nombreuses promenades de randonneur, il ne manque jamais de préciser la façon dont il était habillé. Les descriptions des paysages et de la nature sont lumineuses. Chaque rencontre, sur la route, révèle chez cet homme aux dehors bourrus la tolérance de son ouverture d'esprit. Qu'on ne s'y trompe pas : il est aussi pointilleusement attentif aux questions de classes, de subordination, de relations sociales. Un œil ouvert, grand ouvert sur le monde et les gens. Outre ce recueil paru en 1917, lisez aussi Nouvelles du jour (éditions Zoé), Petits textes poétiques (Gallimard) et la superbe Promenade (Gallimard). (Gérald Purnelle) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 25 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Jakob Wassermann, L'Affaire Maurizius (Folio) Traduction de Jean-Gabriel Guideau Basée sur une célèbre erreur judiciaire du début du siècle, L'affaire Maurizius de Jakob Wassermann met en scène un quatuor de personnages masculins, autour desquels gravite une humanité superbe en ses révoltes, ses élans de bonté, ses tourments silencieux ou ses faiblesses. Il y a d'abord l'inflexible juge Andergast, modèle de droiture, pétri des rigueurs d'une profession à laquelle il se dévoue sans partage. Son fils, Etzel, est un adolescent au caractère bien trempé, qui ne parvient pourtant pas à percer la carapace de ce père, à la fois omniprésent en matière d'éducation ou de remontrances, mais avare de la moindre manifestation de tendresse. L'occasion d'affirmer son indépendance va être offerte à Etzel quand il aura vent de l'affaire Leonard Maurizius, vieille de dix-huit ans, et se persuadera que l'homme qui croupit en cellule pour le meurtre sa femme est innocent. Etzel fugue à Berlin, dans l'espoir de rencontrer Waremme, le quatrième protagoniste, unique témoin visuel du crime et véritable âme damnée de Maurizius. Dès lors, les rouages des révélations et les ressorts des intentions s'enclenchent, impitoyablement. En arrière-fond de cette fresque, un deus ex machina agence les destins, le Temps, à propos duquel Wassermann a écrit des pages essentielles, rendant pour ainsi dire palpable le sentiment de la relativité. (Frédéric Saenen) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 26 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Ben Ames Williams, Une femme étrange (Phébus) Traduction de Marion Gilbert, Thérèse Caservitz et Éric Dussert Une femme étrange de l'Américain Ben Amis Williams, publié en 1940, mêle des traits propres à la chronique familiale, au récit historique et à l'étude de mœurs. Mais ce qui sublime ces différents éléments narratifs, c'est le portrait d'une femme monstrueuse, autour de laquelle viennent s'agglutiner et se ruiner les destins... En tout, l'« héroïne » Jenny Hager va successivement briser les vies de cinq hommes. Et jamais l'auteur ne donnera les raisons de la cruauté viscérale qui anime son personnage. Il faut dire que toute la maestria et le charme trouble de ce livre résident dans l'art de l'ellipse qui y est maintenu sur plus de 600 pages. Aucune description érotique, par exemple, n'émaille un texte dont pourtant le désir, le plaisir, le vice même sont les ressorts intimes. Il faut chercher du côté des dialogues, des atmosphères, des moments où les yeux de Jenny pétillent quand elle assiste à une exécution publique ou se fait relater une scène macabre, pour percevoir la tentation permanente du Mal derrière chacun de ses gestes, chacune de ses initiatives. Cette œuvre remarquable entraîne le lecteur, au fil de révélations sordides, vers un acmé d'incompréhension face à la méchanceté pure qui s'étale sous ses yeux. Une leçon en matière d'observation des caractères et donc, de création romanesque. L'épopée d'une indomptable hystérie. (Frédéric Saenen) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 27 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Virginia Woolf, Flush : une biographie (Le Bruit du temps) Traduction de Charles Mauron Cette « biographie », parue en 1933, est un chef-d'œuvre de l'art narratif. Pour la grande romancière anglaise, retracer la vie du chien Flush, c'est prendre un biais subtil pour évoquer celle de sa maîtresse, la poétesse victorienne Elizabeth Barrett Browning, vie dont les éléments majeurs sont une santé médiocre, une quasi réclusion, l'autorité d'un père qui lui interdit le mariage, la rencontre du poète Robert Browning, leur mariage secret et leur exil en Italie. Woolf se joue de son lecteur en le plaçant dans les mêmes conditions d'ignorance que Flush face aux événements qui agitent les personnages humains (on peut tout aussi bien connaître ou ignorer la vie d'Elizabeth Browning) : qui est cet homme qui rend visite à Elizabeth ? pourquoi part-on ? où va-t-on ? que font donc ces êtres étranges ? Tout est vu du point de vue du chien - sans qu'il soit, et pour cause, le narrateur de sa propre vie. Dans ce presque roman, l'auteur ne recourt pas aux ressources fictionnelles, et fictives, d'un récit à la première personne - pourtant le moyen le plus simple pour orienter et imposer un point de vue unique ; non : tout est récit des perceptions d'un personnage qui est tout sauf omniscient. Ellipses, sous-entendus, occultations, loin d'alourdir ce récit, lui donnent tour à tour une lenteur et une alacrité plaisantes, un rythme narratif qui reproduit bien celui d'une vie canine : courir les rues et les campagnes, paresser aux pieds de sa maîtresse. Pour peu que l'on aime aussi le roman (le genre narratif) pour ses aspects techniques - comment l'auteur construit, conduit, joue avec le personnage, le lecteur, le genre -, celui-ci peut vous mener jusqu'à la jubilation. Mais ce texte est en outre et surtout un summum de sensualité. Un monde perçu et reproduit à travers les sensations d'un chien est forcément d'abord... olfactif. La truffe de Flush nous mène, lecteurs, à la découverte des odeurs les plus variées, les plus intenses. Ainsi sa découverte des rues de Florence et leur comparaison avec les paysages olfactifs de Londres constituent un des plus beaux passages du livre. L'art de Woolf offre ici une palette infinie. Flush est un personnage attachant, un aristocrate dévoyé, un chien libre et fidèle - comme sa maîtresse. Flush est aussi un petit bijou d'humour. (Gérald Purnelle) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 28 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 29 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Lajos Zilahy, Les Dukay (Folio) Traduction de Pierre Singer (vol. 1&2) et Gilles Chahine (vol. 3) Empressez-vous donc de lire Les Dukay, chronique familiale une fois encore mais qui, cette fois, se déroule au lendemain de la Première Guerre mondiale, là où Roth nous avait laissés. Le traité du Trianon a alors réduit la Hongrie à une souveraineté d'opérette, sans commune mesure avec le glorieux passé magyar. C'est le moment choisi par Zilahy pour décrire une excentrique famille d'aristocrates, écartelés entre la nostalgie d'un passé révolu et l'inquiétude d'un avenir incertain : les événements relatés s'étendent donc de la fin de la Première Guerre jusqu'à l'entrée dans la Seconde. Loin de la déploration pourtant, le livre est truffé de passages hilarants, notamment le chapitre consacré à Rere, l' « idiot de la famille ». La grande littérature fraie rarement avec les éclats de joie ; en l'espèce, toutefois, l'auteur parvient à nous arracher des larmes de rire dans un style impeccable. Exprimer des sentiments profonds avec légèreté : voilà la gageure que réussit Zilahy, en cela fidèle à cet esprit si particulier du lieu et de l'époque. (Nicolas Thirion) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 30 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège Stephan Zweig, La confusion des sentiments (Livre de Poche) Traduction de Olivier Bournac, Alzir Hella, revue par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent Stephan Zweig, Lettre d'une inconnue (Stock) Traduction de Olivier Bournac et Alzir Hella revue par Françoise Toraille Stephan Zweig, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme Traduction de Olivier Bournac, Alzir Hella, revue par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent Le premier - et le principal - compagnon de voyage sera Stefan Zweig, représentant typique de cette espèce que Laurent Seksik, qui a récemment consacré un beau récit aux derniers mois de la vie de l'illustre écrivain (Les derniers jours de Stefan Zweig, Paris, Flammarion, 2010), appelle l'austro-judaïcus, avec, d'abord et avant tout, son autobiographie, Le Monde d'hier. Dans cet ouvrage, terminé en exil au Brésil en 1941, e e Zweig fait revivre un monde alors disparu, celui de la Vienne de la fin du 19 et du début du 20 siècles : on y croise Hugo Von Hoffmanstahl, Richard Strauss, Gustav Mahler, Sigmund Freud et bien d'autres, qui firent de la capitale de l'Empire le véritable centre du monde dans le domaine des choses de l'esprit. On perçoit également le désarroi de Zweig au moment de la chute de la Kakanie (pour reprendre le mot de Musil, car l'Empereur d'Autriche était simultanément proclamé Roi de Hongrie : il était donc à la fois Kaiser et König) et l'inquiétude croissante qui le saisit lorsque, à la fin des années 1920, les forces politiques les plus belliqueuses, nationalistes et intransigeantes commencent, lentement mais sûrement, à conquérir le pouvoir. Dès 1934, il fuira l'Autriche, pour se réfugier à Londres, puis, après quelques mois passés à New York, rejoindre le Brésil où, le caractère et la volonté brisés par des années d'exil et de peur devant les victoires alors impressionnantes des nazis, il finira par se suicider en compagnie de sa femme. L'art de Zweig n'en atteint pas moins des sommets dans le registre de la nouvelle et du récit : il y décrit souvent des passions dévorantes et destructrices, où l'amour, le jeu, le désir et la perversion semblent se liguer pour précipiter la chute de ses héros. Si on ne l'a déjà fait, on se précipitera en priorité sur La confusion des © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 31 -
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège sentiments (récit, étonnamment moderne pour l'époque - nous sommes alors en 1927 -, d'une passion amoureuse d'un professeur pour l'un de ses étudiants), Lettre d'une inconnue (texte rédigé à la deuxième personne du singulier sous la forme d'une longue lettre, dans laquelle une femme éperdument amoureuse d'un homme qui l'ignore relate la lente descente aux enfers que fut son existence minée par la passion) et Vingt-quatre heures de la vie d'une femme (où la manie compulsive du jeu le dispute à l'irrationalité du désir pour pousser une femme ordinaire à commettre les actes les plus téméraires). Zweig fut aussi un remarquable biographe et l'on pourra emporter dans ses bagages son Fouché ou, si l'on préfère conserver une certaine proximité avec l'Autriche, son Marie-Antoinette : l'austère exactitude historique n'est sans doute pas au rendez-vous mais quel souffle !, quel style ! - porté il est vrai par les tumultes de l'Histoire. (Nicolas Thirion) © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 16/09/2020 - 32 -
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