Ebola: Réalités et Contexte Littéraire - Karim Simpore Romance Notes, Volume 56, Number 2, 2016, pp. 321-331 (Article) Published by The University ...
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Ebola: Réalités et Contexte Littéraire Karim Simpore Romance Notes, Volume 56, Number 2, 2016, pp. 321-331 (Article) Published by The University of North Carolina at Chapel Hill, Department of Romance Studies DOI: https://doi.org/10.1353/rmc.2016.0034 For additional information about this article https://muse.jhu.edu/article/630363 Access provided at 1 Apr 2020 20:28 GMT with no institutional affiliation
ebola: réalités et contexte littéraire Karim simpore l’afrique de l’ouest et plus particulièrement le libéria, la sierra leone et la Guinée sont en train de vivre depuis 2014, la pire des catastrophes sanitaires jamais connues dans l’histoire récente de ces pays. ces pays ont enregistré plus de huit mille victimes, depuis le début de l’épidémie à virus ebola qui sévit violemment dans cette partie occidentale de l’afrique sub-saharienne. au-delà de la dimension géographique et des conséquences directes de cette épidémie en termes de perte en vie humaine, de déstructuration sociale et de destruction du tissu économique, cet article se propose de faire des ana- lyses pour établir des parallèles entre d’une part la fiction narrative et d’autre part la réalité des faits en temps de catastrophe sanitaire. selon Yves reuter, “la fiction est constituée d’actions, effectuées par les personnages, dans un univers spatio-temporel déterminé’’ (45). pour ce faire, nous nous appuierons sur l’œuvre de J.m.G. le clézio, en l’occurrence la Quarantaine aux fins de prendre en compte la préoccupation légitime exprimée dans Orbis Littera- rum, Galin tihanov ne manque pas de relever l’analyse de erik larsen sur la littérature comme étant: “a model of global thinking, in which the boundary between the local and the global is redrawn afresh with every new utterance act of writing; literature is thus not just an expression but also a potentially critical assessment of globalization’’ (525-26). en effet, il est évident que pour mieux comprendre la genèse, le fonction- nement et les implications de cette maladie pour laquelle, les scientifiques ne sont pas encore parvenus à trouver une cure thérapeutique, une approche glo- bale et pluridisciplinaire s’impose. et pour briser les cloisons entre ces disci- plines, la littérature constitue à n’en pas douter une référence de choix pour réunir les outils nécessaires susceptibles de nous aider à pénétrer dans l’uni- vers de cette redoutable maladie qui a la propension de créer une psychose généralisée. Dans la même lancée, Galin poursuit sa recherche en fouillant Romance Notes 56.2 (2016): 321-31
322 romance notes dans les travaux de Dorothy J. Hale, brian mcHale, ian alber et richard Walsh, afin de nous situer sur l’importance de la littérature afin de nous engager sur des pistes de réflexions qui nous permettront de discerner avec objectivité et lucidité les problèmes de notre ère contemporaine en observant, “various facets of the ability of literature to create ‘thought experiments’ and ‘alterna- tive scenarios’’’ (525-26). en effet, au fur et à mesure que les générations se succèdent, l’humanité dans sa globalité est de plus en plus confrontée à des grands défis – le sida, les guerres, le tsunami en asie, Katrina en louisiane, le tremblement de terre en Haïti, l’épidémie aviaire, le terrorisme, les inonda- tions, la déforestation abusive, le réchauffement climatique, les famines, la détérioration des termes des échanges commerciaux, l’extrême pauvreté et aujourd’hui, c’est l’épidémie à virus ebola qui vient rallonger la liste. le nobel de la littérature de 2008, J.m.G. le clézio, par son écriture engagée ou son engagement par l’écriture, semble être dans une posture pro- phétique ou anticipative sur l’analyse de ces phénomènes qui affectent notre existence tant individuelle que collective. Dans sa thèse, transformée en livre – Le Clézio, notre contemporain –, salles identifie les fortes sensibilités de l’au- teur sur ces questions chaotiques qui touchent notre monde contemporain: “par l’extrême liberté dont dispose, le romancier, qui confronte d’un livre à l’autre ou à l’intérieur d’un même livre des points de vue, des personnalités, des dis- cours contradictoires, et qui utilise la fiction comme lieu d’expérimentation de comportements rares ou inédits dans le monde réel, a le pouvoir de bousculer les préjugés, d’ébranler les systèmes de pensée dominants’’(88). tirant avanta- ge de son vécu transfrontalier qui lui confère une dimension multiculturelle profondément humaniste, le clézio se permet d’exploiter la fiction pour dia- gnostiquer les causes profondes des misères dans le monde. Dans un monde où les calamités se multiplient à un rythme exponentiel dont les conséquences se font ressentir sur tous les continents, l’œuvre de clé- zio permet de voir les problèmes non plus de façon isolée, mais de tracer des parallèles entre les questions d’ordre social, politique, économique, écolo- gique, culturel, et spirituel. c’est en partie pour cette raison que nous retrou- vons dans sa thématique une forte connotation interdisciplinaire comme s’il voulait nous convaincre qu’en réalité tous les éléments de la nature aussi bien que toutes les disciplines sont interconnectés: “Des hommes sauvages, a raconté lil, qui vivent dans les montagnes. ils n’ont pas de religion, ils ne connaissent pas le sel. ils mangent les singes, les perroquets, même les ser- pents’’ (La Quarantaine 203-04). cette synchronisation entre les différents éléments de la nature sonne comme une invite à percevoir chaque défi, com- me un problème faisant partie d’un ensemble dont la résorption nécessite une approche globale.
ebola: réalités et contexte littéraire 323 aujourd’hui, l’afrique de l’ouest est confrontée à une propagation de l’épidémie à virus ebola. malgré, les efforts financiers consentis, la commu- nauté internationale semble éprouver des difficultés pour éradiquer complète- ment ce virus. ce virus a en effet causé la mort de plusieurs milliers de morts avec pour conséquence, des milliers d’orphelins, de veuves et veufs et même des familles complètement décimées. aussi, l’on a pris conscience de la fai- blesse des filets de protection sociale à même d’assurer une riposte vigoureuse contre toute menace à caractère biologique, peu importe la contrée, car en effet le monde est devenu “un village global’’ et les virus ne connaissent pas de fron- tières. n’est-ce pas dans cette perspective qu’un certain discours est tenu pour rassurer une partie du monde, qu’elle n’a pas à s’inquiéter de l’infection à virus ebola? “the nHs, [. . .] is perfectly ready and able to cope. seth berkley, chief executive of the Global alliance for Vaccines and immunization, concurs: ebo- la is not a disease you have to fear when living in a wealthy country’’ (brooks 30-33). cette déclaration semble éclipser ne pas prendre en considération les pays du tiers-monde. cette vision dichotomique du monde – l’un pour les riches et l’autre pour les pauvres –, le clézio la combat par son engagement littéraire. en effet, que ce soit dans Désert (1980), La Quarantaine (1995), Pawana (1992), Étoile errante (1992), il ne se donne pas le moindre répit pour dénoncer avec véhémence ces injustices criardes. ce sentiment qu’une partie du monde est abandonnée à son propre sort en ce qui concerne l’accès à la san- té est aussi partagé par James Wilson: everywhere in the world we see a strong correlation between socio-economic status and health. other things being equal, the poorer and more powerless you are, the more likely you are to die young, and the richer and more powerful you are, the more likely you are to have a long and healthy life. (210-13) en effet, la corrélation qu’établie Wilson entre l’état de santé d’un individu et son rang social semble être justifiée, d’autant plus que l’organisation pour la coopération et le développement économique (ocDe) le souligne clairement dans son rapport de 2011: “persons who are older or with lower incomes tend to have greater levels of illness and are more likely to need healthcare” (oecD). Dans le Journal Of Institute Of Médicine, de plus amples informations nous sont fournies pour mieux découvrir ce virus: “ebola virus disease (eVD), formerly known as ebola hemorrhagic fever, is a severe, often-fatal disease in humans and nonhuman primates (monkeys, gorillas, and chimpan- zees)’’ (sherpa 1). cette précision est importante car elle nous apporte un éclairage sur le lien étroit qui existe entre l’homme et l’animal qu’évoque amplement le clézio dans Pawana avec le massacre des baleines: “le mon-
324 romance notes de ne retournera plus à son origine. la lagune n’est plus le lieu où la vie pou- vait naître. elle est devenue un lac mortel, le lac lourd et acre du sang répan- du. J’erre sur les plages au milieu des ruines et des huttes’’ (88). autant cette exploitation abusive et irrationnelle des ressources naturelles qui met en péril l’environnement et menace la survie des générations futures, autant en afrique la destruction de l’habitat et le braconnage sauvage des espèces en voie d’extinction expose ces animaux à des maladies graves qui sont souvent transmissibles à l’homme. au nombre de ces maladies, figure ebola qui, rien que la simple évocation du nom dans certains milieux fait rebondir de frayeur. pourtant, ce n’est pas la première pandémie que le mon- de ait jamais connue. avant ebola, il y a eu la grippe aviaire, le sars, la vache folle, le sida sans oublier bien sur la peste en europe: “la réapparition de la peste en occident au xiVe siècle revêt un caractère nouveau et exceptionnel, car jamais auparavant un tel cataclysme ne s’est manifesté sur une si longue durée, ni sur une si vaste échelle géographique’’ (barry 462). comme on peut le constater, toutes ces maladies présentaient un intérêt certain pour la recherche parce qu’elles couvraient des zones dans lesquelles se trouvent des pays riches ou émergeants. ebola a été découvert en 1976, et presque 40 ans après, il n’y toujours pas de traitement curatif ou préventif qui pointe à l’ho- rizon. pourquoi? après analyse, l’on se rend compte que c’est la seule mala- die qui n’est jamais été exportée hors d’afrique, exceptée l’année 2014 où des médecins et infirmières américains, espagnols, cubains qui ont travaillé dans l’humanitaire au libéria, en sierra leone et en Guinée ont été contami- nés et ont été rapatriés afin de bénéficier de prises en charge médicales adé- quates. ils ont tous été guéris. Dans le “the Great ebola scare,’’ brooks nous donne de comprendre les raisons de la forte stigmatisation de cette maladie. il s’appesantit sur les symptômes foudroyants de cette maladie: “the first signs of infection are fe- ver and malaise; a few days later come diarrhea, nausea, vomiting and abdo- minal pain. Despite the frenzied reporting, bleeding from the eyes is not that common. However, the ebola virus halts the mechanism that clots blood, and gastrointestinal bleeding is a common symptom’’(30-33). avec ces symp- tômes qui alternent agonies intermittentes et rudesse de l’isolement du reste du monde, la peur que suscite cette maladie est tout à fait justifiée. au-delà de cette mort lente et assurée à plus de 70% des cas en afrique, il faut ajouter le fait que certains malades sont renvoyés chez eux par manque de place dans les structures sanitaires. ces derniers se retrouvent donc “bannis’’ d’office par les membres de leurs familles en attendant la mort. c’est naturellement avec quelques appréhensions que le citoyen africain considérera les assurances pro- mulguées par le patron the Global Alliance for Vaccines and Immunisation
ebola: réalités et contexte littéraire 325 rapportées par brooks: “ebola is not an especially dangerous pathogen. it was first identified in 1976 but because it did not seem much of a threat a vaccine was never developed’’ (30-33). même si ebola n’a jamais été considéré com- me une menace pour les pays riches comme il semble le dire, cette assertion ne saurait être applicable pour les pays du tiers monde. Dans La Quarantaine, le clézio nous peignait déjà des scènes similaires à celles qui ont cours sur le théâtre des zones affectées en afrique: ce matin, malgré sa fièvre, suzanne a voulu aller dans la maison de l’infirmière, en face du môle dessert Gabriel. [. . .] elle parlait des malades, de nicolas et de m. tournois, des indiens abandonnés de l’autre côté de l’île, des femmes et des enfants laissés sans soins. elle voudrait qu’ils viennent s’installer à La Quarantaine, Jacques s’occuperait d’eux, elle serait leur infir- mière. le gouvernement ne pourrait pas les ignorer. (85) Dans un ton velouté, calme, posé, l’auteur s’indigne de l’abandon des plus vulnérables, à savoir les femmes, les enfants et les immigrés. Heureusement qu’il y avait Jacques et suzanne, médecin et infirmière en leur état, dévoués mais impuissants face à l’ampleur de la tâche et au dénuement total dans cet- te quarantaine. cette tragédie n’est pas sans nous rappeler la situation des médecins sans frontières, qui dès les premiers instants de cette épidémie d’ebola, étaient déjà sur le terrain pour soulager, réconforter, et donner de l’espoir avant toute intervention des institutions internationales telle que l’oms. même dans les situations les plus chaotiques, il y a des possibilités de maintenir la flamme de l’espoir grâce à la générosité, à la solidarité, au don de soi et c’est en cela que l’on trouve le sens de l’engagement de le clé- zio par la littérature. bien qu’ebola soit une maladie qui concerne en premier lieu les hommes, David Von Drehle nous renseigne que c’est une pathologie qui prend sa sour- ce dans le milieu faunique où des animaux comme les chauves souris consti- tuent les foyers d’incubation avant d’éventuelle transmission chez l’homme: “ebola is a zoonotic disease, meaning it originated in animals before sprea- ding to human beings. it’s not known which species was the original host, but scientists believe that a likely candidate would be one or more species of fruit bat, which can carry the ebola virus without showing signs of illness’’ (36). le réservoir principal de cette maladie réside donc au sein de ces ani- maux sauvages tels que les primates et les chauves souris. si cette promiscui- té semble être difficile à éviter pour certaines populations pauvres d’afrique, quels sont alors les facteurs qui contraignent à cette cohabitation? en effet, le réchauffement climatique, les conflits, les conditions socio-économiques poussent l’homme à envahir des domaines résidentiels de ces animaux por- teurs du virus ebola. quand on étudie attentivement ces zones en afrique de
326 romance notes l’ouest, qui sont concernées par l’épidémie, l’on se rend compte que ce sont des pays – sierra leone, libéria, Guinée – qui ont traversé une très longue période de guerre civile ou d’instabilité politique, ce qui a entrainé une forte migration des habitants des villes et villages dans les profondeurs des forêts afin d’échapper aux atrocités mutilatrices des différents mouvements belligé- rants armés. quant à la Guinée, ce pays n’a jamais connu une stabilité poli- tique depuis son accès à l’indépendance. l’insatiabilité politique ayant pour corolaire, le sous développement, avec pour conséquence une surexploitation des ressources naturelles telles que les coupes abusives des forêts à des fins d’exploitations agricoles et énergétiques par les populations villageoises. l’on constate donc que les barrières de sécurité naturelle qui empêchaient l’inviolabilité des forêts, habitats de la faune sauvage sont complètement démantelées. les animaux sauvages jadis retranchés dans les profondeurs des forêts classées partagent désormais le même espace de vie. pire, notent Walsh et sifferlin, les animaux qui meurent dans ces forêts par suite de maladies diverses comme ebola, sont tout simplement ramassés et consommés: “bush meat—wildlife like bats or apes found in the jungle – is a major source of protein in parts of rural africa, and it’s possible for viruses like ebola to infect human beings if an infected animal is butchered and eaten. that first transmission can mark the start of an outbreak’’ (37). ainsi comme le confir- me brooks, la présente épidémie est directement liée à la consommation inappropriée des viandes souillées de ces forêts envahies: “the current out- break originated in fruit bats but is so deadly to us that the virus is normally stopped in its tracks’’ (31). aussi, la conférence sur le changement climatique tenue à Genève en août 2014 a été l’occasion, selon Woodward de prendre conscience de l’impact du changement climatique sur la détérioration du bien être humain: “now climate change is recognized by the world’s international agencies as an unprecedented threat to human health and well-being. [. . .] president of the World bank acknowledged that climate change, health and international development are inseparable’’ (774). en effet, les sècheresses récurrentes dans certains pays africains font que les forêts sont considérées par les populations locales comme étant l’unique réservoir dans lequel elles peuvent y aller faire des courses journalières pour leurs besoins de subsistan- ce tout en oubliant que tout abus dans cette exploitation entraine forcement un déséquilibre de l’écosystème. Dans ces trois pays africains où sévit actuellement la maladie à virus ebola, la flore et la faune sont soumises à de rudes épreuves. en témoigne le développement intensif et dérèglementé de l’agro-business, telle que par exemple la destruction de milliers d’hectares de forêts pour l’exploitation des champs à palmiers à huile par les grandes firmes internationales. enfin, il y a
ebola: réalités et contexte littéraire 327 les explorations et exploitations minières à ciel ouvert dont les produits chi- miques utilisés sont déversés dans la nature qui ne sont pas sans consé- quences graves sur l’environnement et affectent certainement l’équilibre et la préservation de l’ensemble de l’écosystème. Dans La Quarantaine, le clézio, prend le temps nécessaire de nous faire comprendre qu’en cas de détérioration du système sanitaire avec des pous- sées épidémiologiques, les victimes ne sont pas seulement les personnes infectées, mais aussi tous ceux-là issus de ce milieu infecté: “Je dis parce que c’est vrai, et vous le savez aussi bien que moi. il y a beaucoup d’immigrants dans le même état de l’autre côté, qui ont été débarqués des bateaux venant de l’inde, avec tous les symptômes de la variole’’ (84). cette narration litté- raire trouve un point de chute dans la réalité. Dans Vice.com, nous pouvons lire les propos d’une mère outrée du fait que des milliers d’immigrants qu’elle suspecte être des porteurs de maladie comme la tuberculose, envahissent l’italie via la méditerranée: an anonymous letter from “an italian mother’’ (shared on a load of blogs and by thousands of facebook users) claims that it’s already too late for salvation and that the apocalypse is near. she also explains why italy is an easy target: “We have an exceptionally efficient overseas taxi service, and with our decriminalization of the crime of illegal immigration we’re the most [attractive] destination for immigrants. We offer food and a place to sleep to whoever brings us adorable presents, like tuberculosis.’’ (bianchi) comme on peut le constater, les maladies comme la tuberculose ou encore ebola, actualité oblige, peuvent être insidieusement exploitées à des fins politiques ou idéologiques. cette mère, bien que ses préoccupations soient légitimes par rapport aux risques d’importation de maladies mortelles comme l’ebola, il y a quand même cette nécessité de relativiser et ne pas en déduire que tous les candidats à l’immigration dont certains fuient leurs pays pour des raisons légitimes comme les guerres en syrie, en irak ou en somalie sont tous porteurs de maladies fatales. quand on observe la psychose qu’engendre ebola dans certains pays du nord lorsqu’on évoque les questions de la mobi- lité, l’on se rend compte que des mesures préventives prises sont souvent dis- proportionnées. certains pays ont procédé à la fermeture totale de leurs fron- tières aux ressortissants de toute une région de l’afrique alors que la maladie est circonscrite principalement dans trois pays à savoir, la Guinée, la sierra leone, et le libéria. même des pays d’afrique très éloignés du foyer de la maladie comme l’afrique du sud, le botswana ont connu sur le plan touris- tique, les conséquences collatérales de cette épidémie par de nombreuses annulations et reprogrammation de voyages. la peur d’ebola n’épargne pas aussi le milieu sportif. c’est le du maroc qui a refusé d’organiser la coupe
328 romance notes d’afrique des nations qui devrait se tenir en Janvier 2015 et qui a finalement été organisée par la Guinée équatoriale. pour lutter contre la propagation de cette maladie, certains etats ont contraint aux voyageurs revenant des pays affectés d’être mis en quarantaine d’au moins vingt un jours pour s’assurer que ceux-ci ne développeront pas la maladie pendant la période d’incubation. arguant sur les politiques sanitaires qui sous-tendent les mises en quarantaine, Harold Jaffe et tony Hope essaient de situer la responsabilité des autorités sanitaires: public health measures have generally been seen to fall into two categories: either the measures are clearly beneficial to the individual recipients, in which case they can be regulated in the same ways as normal clinical practice, or they are required to prevent such serious harm to the general population that coercive measures by the state are justified and regulated through pub- lic health law. (197) ces humanitaires une fois de retour dans leur pays d’origine, peuvent pendant plusieurs semaines ne pas présenter des symptômes qui nécessitent leur prise en charge immédiate, d’où cette mesure de précaution de les isoler temporai- rement. cependant, aussi paradoxal que celui puisse paraître, cet objectif dont ont évoqué Jaffe et Hope est mis à rude épreuve par les propos de Jonny ano- maly qui croit que pendant les crises épidémiologiques comme ebola, l’atten- tion des gouvernants semble se focaliser beaucoup plus sur la santé publique que sur la santé individuelle: “the field of public health is having an identity crisis. from its inception, public health has been concerned with promoting the health of populations rather than individuals, which explains its special emphasis on communicable disease’’ (Jaffe and Hope 194). le nombre élevé de témoignages et reportages d’abandons de malades au libéria ou en sierra leone au début de la crise d’ebola vient conforter cette thèse. cette mise en quarantaine, autant elle permet de rassurer les populations en minimisant les risques, autant elle est préjudiciable pour les humanitaires qui font du volontariat, la cheville ouvrière pour bouter cette maladie hors du continent. en plus de ce temps qu’ils sacrifient pour aller en afrique, seront- ils aussi disposés à consentir 21 jours supplémentaires pour une éventuelle mise en quarantaine une fois retournés dans leurs pays respectifs? en tout cas sherpa insiste pour dire que, malgré cette précaution de 21 jours, les sujets mâles sont toujours susceptibles de transmettre la maladie durant une certai- ne période à partir de leur sperme: “the incubation period is usually 8-10 days (ranging from 2 to 21 days). Virus can be transmitted during febrile sta- te, through late stages of disease and infected bodies of the deceased. men who have recovered from the disease can still transmit the virus through their semen for up to 7 weeks after recovery’’ (2).
ebola: réalités et contexte littéraire 329 la mobilité en temps d’épidémie contribue à exacerber les stigmates, qu’ils soient d’ordre racial, économique et social. c’est le cas par exemple de thomas eric Duncan, ce citoyen du libéria qui a effectué un voyage au texas après avoir contracté la maladie dans son propre pays. ne portant aucun signe symptomatique tout au long de son voyage, ce passager a pu donc passer entre les mailles des services de contrôle sanitaires mis en place dans les aéroports: “it’s a small world after all, one in which a man boards an airplane in west africa and hopscotches his way across europe and north america to land in Dallas the next day’’ (Von Drehle 36). l’abondance des débats à travers les medias suite à cette importation du virus ebola sur le sol américain a créé une panique généralisée malgré les assurances des autorités sanitaires. le débat s’est parfois glissé vers d’autres champs disciplinaires tel que l’éthique, l’équité et l’égalité face à ebola. Des leaders d’opinion de tous les bords ne se sont pas privés pour faire des com- mentaires sur la situation d’ebola. sur le site de la bbc du 7 octobre 2014, l’on découvre cette anxiété collective qui n’est pas isolée: trois parents ont refusé lundi d’amener leurs enfants à l’école primaire ancienne mairie de boulogne-billancourt (Hauts-de-seine), à l’ouest de paris par crainte que les enfants soient infectés par le virus ebola. c’est la présence dans l’établissement scolaire d’un jeune écolier de 9 ans ayant récemment séjourné en Guinée qui a suscité cette réaction. Dans ce genre de cris, les répercussions psychologiques que peuvent vivre les victimes de cette stigmatisation suite à ebola. comment cet écolier de 9 ans va passer le reste de son année scolaire dans cette école primaire de bou- logne-billancourt? quelle sera la projection du regard qu’il se construira lors- qu’il est en classe, à la cantine scolaire, dans les aires de jeu et de sport de cet- te école? a-t-on besoin d’une campagne médiatique pour montrer nos sentiments de protection à l’égard de ceux qui nous sont chers? Discrètement et sans tapage, ces parents pouvaient sereinement retenir leurs enfants à la maison sans que cela n’affecte la dignité et l’image de ce petit écolier et de ses parents, peu importe qu’ils soient immigrés ou pas. sans nul doute que c’est pour éviter ces écueils comportementaux que salles étayant la philosophie d’écriture de le clézio, raconte ceci: “a l’origine de maux actuels, comme le sous-développement, le déracinement, la colonisation a aussi favorisé la ren- contre entre hommes, qui, pourvu qu’elle ne s’apparente pas à l’appropriation condescendante de la culture indigène par quoi se définit l’exotisme’’ (94). en effet, il ne faudrait pas dans la recherche des raccourcis, considérer ebola comme un fond de commerce pour alimenter le discours déjà trop plein sur les rapports entre les cultures et les races.
330 romance notes en guise de conclusion, nous pouvons dire que depuis le déclenchement de l’épidémie da la maladie à virus ebola en afrique de l’ouest, une panique généralisée s’est emparée des populations de la Guinée, du liberia et de la sierra leone. Dans cette psychose, des habitudes sociales et culturelles sont complètement modifiées. pour contrer la progression de la maladie, on prend des mesures qui se sont montrées inefficaces même si elles sont perçues com- me étant coercitives. la situation sanitaire de ces populations était déjà précaire à cause des multiples conflits sociaux. l’épidémie à virus ebola a contribué à l’aggraver davantage. pour faire face à cette détresse de la condition humaine, des hommes et des femmes du corps médical sont en première ligne pour soula- ger, réconforter, accompagner et même guérir certains patients au péril de leur propre vie: “Deux hommes avaient été débarqués avant nous et emme- nés directement au bâtiment de l’infirmerie situé près de la jetée, face à l’îlot Gabriel [. . .] Jacques, qui a vu de près [. . .] nicolas, m’a confié qu’il présentait tous les symptômes de la variole confluente (La Quarantaine 61). Dans l’épidémie à virus, des professionnels de la santé acceptent aussi prendre des risques par leur dévouement pour soulager des malades. beau- coup d’entre eux ont payé très cher cet engagement ce qui témoigne leur sens de sacrifice puisque un certain nombre d’eux ont contracté la maladie en voulant aider leurs prochains. et c’est à juste titre que l’analyse de salles vient à point nommé pour décrypter les messages que véhiculent les personnages dans l’œuvre de J.m. G le clézio en temps de crise ou de perturbation d’ordre sociologique ou sanitaire comme c’est le cas de l’épidémie de la variole dans La Quarantaine: les personnages perdent les individualités physique, psychique, et historique pour être arrachés à l’espèce et au monde qui les environne. c’est par cet intérêt porté aux éléments invariants d’un être à l’autre, à la vie interne – plus qu’à la vie intérieure –, aux lois biologiques qui gou- vernent le fonctionnement de tous les corps, que le romancier matérialiste esquive à la fois les pièges de l’individualisme narcissique et l’angoisse de l’évanescence, car il touche à une forme d’universalité et d’éternité. (183) cette analyse de salles nous permet d’établir un parallèle avec le contexte de l’épidémie à virus ebola. en effet les personnes infectées par cette maladie vivent des expériences qui les amènent à s’interroger sur leur identité, sur le sens de leur vie, mais aussi et surtout sur la portée des valeurs humanitaires tant au niveau de leur propre communauté, qu’au niveau international. mississippi state uniVersitY
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