Ebola: Réalités et Contexte Littéraire - Karim Simpore Romance Notes, Volume 56, Number 2, 2016, pp. 321-331 (Article) Published by The University ...

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Ebola: Réalités et Contexte Littéraire
   Karim Simpore

   Romance Notes, Volume 56, Number 2, 2016, pp. 321-331 (Article)

   Published by The University of North Carolina at Chapel Hill, Department
   of Romance Studies
   DOI: https://doi.org/10.1353/rmc.2016.0034

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        https://muse.jhu.edu/article/630363

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ebola: réalités et contexte
                         littéraire

                               Karim simpore

l’afrique de l’ouest et plus particulièrement le libéria, la sierra leone et la
Guinée sont en train de vivre depuis 2014, la pire des catastrophes sanitaires
jamais connues dans l’histoire récente de ces pays. ces pays ont enregistré plus
de huit mille victimes, depuis le début de l’épidémie à virus ebola qui sévit
violemment dans cette partie occidentale de l’afrique sub-saharienne.
     au-delà de la dimension géographique et des conséquences directes de
cette épidémie en termes de perte en vie humaine, de déstructuration sociale
et de destruction du tissu économique, cet article se propose de faire des ana-
lyses pour établir des parallèles entre d’une part la fiction narrative et d’autre
part la réalité des faits en temps de catastrophe sanitaire. selon Yves reuter,
“la fiction est constituée d’actions, effectuées par les personnages, dans un
univers spatio-temporel déterminé’’ (45). pour ce faire, nous nous appuierons
sur l’œuvre de J.m.G. le clézio, en l’occurrence la Quarantaine aux fins de
prendre en compte la préoccupation légitime exprimée dans Orbis Littera-
rum, Galin tihanov ne manque pas de relever l’analyse de erik larsen sur la
littérature comme étant: “a model of global thinking, in which the boundary
between the local and the global is redrawn afresh with every new utterance
act of writing; literature is thus not just an expression but also a potentially
critical assessment of globalization’’ (525-26).
     en effet, il est évident que pour mieux comprendre la genèse, le fonction-
nement et les implications de cette maladie pour laquelle, les scientifiques ne
sont pas encore parvenus à trouver une cure thérapeutique, une approche glo-
bale et pluridisciplinaire s’impose. et pour briser les cloisons entre ces disci-
plines, la littérature constitue à n’en pas douter une référence de choix pour
réunir les outils nécessaires susceptibles de nous aider à pénétrer dans l’uni-
vers de cette redoutable maladie qui a la propension de créer une psychose
généralisée. Dans la même lancée, Galin poursuit sa recherche en fouillant
Romance Notes 56.2 (2016): 321-31
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dans les travaux de Dorothy J. Hale, brian mcHale, ian alber et richard Walsh,
afin de nous situer sur l’importance de la littérature afin de nous engager
sur des pistes de réflexions qui nous permettront de discerner avec objectivité
et lucidité les problèmes de notre ère contemporaine en observant, “various
facets of the ability of literature to create ‘thought experiments’ and ‘alterna-
tive scenarios’’’ (525-26). en effet, au fur et à mesure que les générations se
succèdent, l’humanité dans sa globalité est de plus en plus confrontée à des
grands défis – le sida, les guerres, le tsunami en asie, Katrina en louisiane, le
tremblement de terre en Haïti, l’épidémie aviaire, le terrorisme, les inonda-
tions, la déforestation abusive, le réchauffement climatique, les famines, la
détérioration des termes des échanges commerciaux, l’extrême pauvreté et
aujourd’hui, c’est l’épidémie à virus ebola qui vient rallonger la liste.
    le nobel de la littérature de 2008, J.m.G. le clézio, par son écriture
engagée ou son engagement par l’écriture, semble être dans une posture pro-
phétique ou anticipative sur l’analyse de ces phénomènes qui affectent notre
existence tant individuelle que collective. Dans sa thèse, transformée en livre –
Le Clézio, notre contemporain –, salles identifie les fortes sensibilités de l’au-
teur sur ces questions chaotiques qui touchent notre monde contemporain: “par
l’extrême liberté dont dispose, le romancier, qui confronte d’un livre à l’autre
ou à l’intérieur d’un même livre des points de vue, des personnalités, des dis-
cours contradictoires, et qui utilise la fiction comme lieu d’expérimentation de
comportements rares ou inédits dans le monde réel, a le pouvoir de bousculer
les préjugés, d’ébranler les systèmes de pensée dominants’’(88). tirant avanta-
ge de son vécu transfrontalier qui lui confère une dimension multiculturelle
profondément humaniste, le clézio se permet d’exploiter la fiction pour dia-
gnostiquer les causes profondes des misères dans le monde.
    Dans un monde où les calamités se multiplient à un rythme exponentiel
dont les conséquences se font ressentir sur tous les continents, l’œuvre de clé-
zio permet de voir les problèmes non plus de façon isolée, mais de tracer des
parallèles entre les questions d’ordre social, politique, économique, écolo-
gique, culturel, et spirituel. c’est en partie pour cette raison que nous retrou-
vons dans sa thématique une forte connotation interdisciplinaire comme s’il
voulait nous convaincre qu’en réalité tous les éléments de la nature aussi bien
que toutes les disciplines sont interconnectés: “Des hommes sauvages, a
raconté lil, qui vivent dans les montagnes. ils n’ont pas de religion, ils ne
connaissent pas le sel. ils mangent les singes, les perroquets, même les ser-
pents’’ (La Quarantaine 203-04). cette synchronisation entre les différents
éléments de la nature sonne comme une invite à percevoir chaque défi, com-
me un problème faisant partie d’un ensemble dont la résorption nécessite une
approche globale.
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     aujourd’hui, l’afrique de l’ouest est confrontée à une propagation de
l’épidémie à virus ebola. malgré, les efforts financiers consentis, la commu-
nauté internationale semble éprouver des difficultés pour éradiquer complète-
ment ce virus. ce virus a en effet causé la mort de plusieurs milliers de morts
avec pour conséquence, des milliers d’orphelins, de veuves et veufs et même
des familles complètement décimées. aussi, l’on a pris conscience de la fai-
blesse des filets de protection sociale à même d’assurer une riposte vigoureuse
contre toute menace à caractère biologique, peu importe la contrée, car en effet
le monde est devenu “un village global’’ et les virus ne connaissent pas de fron-
tières. n’est-ce pas dans cette perspective qu’un certain discours est tenu pour
rassurer une partie du monde, qu’elle n’a pas à s’inquiéter de l’infection à virus
ebola? “the nHs, [. . .] is perfectly ready and able to cope. seth berkley, chief
executive of the Global alliance for Vaccines and immunization, concurs: ebo-
la is not a disease you have to fear when living in a wealthy country’’ (brooks
30-33). cette déclaration semble éclipser ne pas prendre en considération les
pays du tiers-monde. cette vision dichotomique du monde – l’un pour les
riches et l’autre pour les pauvres –, le clézio la combat par son engagement
littéraire. en effet, que ce soit dans Désert (1980), La Quarantaine (1995),
Pawana (1992), Étoile errante (1992), il ne se donne pas le moindre répit pour
dénoncer avec véhémence ces injustices criardes. ce sentiment qu’une partie
du monde est abandonnée à son propre sort en ce qui concerne l’accès à la san-
té est aussi partagé par James Wilson:
everywhere in the world we see a strong correlation between socio-economic status and health.
other things being equal, the poorer and more powerless you are, the more likely you are to die
young, and the richer and more powerful you are, the more likely you are to have a long and
healthy life. (210-13)

en effet, la corrélation qu’établie Wilson entre l’état de santé d’un individu
et son rang social semble être justifiée, d’autant plus que l’organisation
pour la coopération et le développement économique (ocDe) le souligne
clairement dans son rapport de 2011: “persons who are older or with lower
incomes tend to have greater levels of illness and are more likely to need
healthcare” (oecD).
    Dans le Journal Of Institute Of Médicine, de plus amples informations
nous sont fournies pour mieux découvrir ce virus: “ebola virus disease
(eVD), formerly known as ebola hemorrhagic fever, is a severe, often-fatal
disease in humans and nonhuman primates (monkeys, gorillas, and chimpan-
zees)’’ (sherpa 1). cette précision est importante car elle nous apporte un
éclairage sur le lien étroit qui existe entre l’homme et l’animal qu’évoque
amplement le clézio dans Pawana avec le massacre des baleines: “le mon-
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de ne retournera plus à son origine. la lagune n’est plus le lieu où la vie pou-
vait naître. elle est devenue un lac mortel, le lac lourd et acre du sang répan-
du. J’erre sur les plages au milieu des ruines et des huttes’’ (88).
     autant cette exploitation abusive et irrationnelle des ressources naturelles
qui met en péril l’environnement et menace la survie des générations futures,
autant en afrique la destruction de l’habitat et le braconnage sauvage des
espèces en voie d’extinction expose ces animaux à des maladies graves qui
sont souvent transmissibles à l’homme. au nombre de ces maladies, figure
ebola qui, rien que la simple évocation du nom dans certains milieux fait
rebondir de frayeur. pourtant, ce n’est pas la première pandémie que le mon-
de ait jamais connue. avant ebola, il y a eu la grippe aviaire, le sars, la vache
folle, le sida sans oublier bien sur la peste en europe: “la réapparition de la
peste en occident au xiVe siècle revêt un caractère nouveau et exceptionnel,
car jamais auparavant un tel cataclysme ne s’est manifesté sur une si longue
durée, ni sur une si vaste échelle géographique’’ (barry 462). comme on peut
le constater, toutes ces maladies présentaient un intérêt certain pour la
recherche parce qu’elles couvraient des zones dans lesquelles se trouvent des
pays riches ou émergeants. ebola a été découvert en 1976, et presque 40 ans
après, il n’y toujours pas de traitement curatif ou préventif qui pointe à l’ho-
rizon. pourquoi? après analyse, l’on se rend compte que c’est la seule mala-
die qui n’est jamais été exportée hors d’afrique, exceptée l’année 2014 où
des médecins et infirmières américains, espagnols, cubains qui ont travaillé
dans l’humanitaire au libéria, en sierra leone et en Guinée ont été contami-
nés et ont été rapatriés afin de bénéficier de prises en charge médicales adé-
quates. ils ont tous été guéris.
     Dans le “the Great ebola scare,’’ brooks nous donne de comprendre les
raisons de la forte stigmatisation de cette maladie. il s’appesantit sur les
symptômes foudroyants de cette maladie: “the first signs of infection are fe-
ver and malaise; a few days later come diarrhea, nausea, vomiting and abdo-
minal pain. Despite the frenzied reporting, bleeding from the eyes is not that
common. However, the ebola virus halts the mechanism that clots blood, and
gastrointestinal bleeding is a common symptom’’(30-33). avec ces symp-
tômes qui alternent agonies intermittentes et rudesse de l’isolement du reste
du monde, la peur que suscite cette maladie est tout à fait justifiée. au-delà de
cette mort lente et assurée à plus de 70% des cas en afrique, il faut ajouter le
fait que certains malades sont renvoyés chez eux par manque de place dans les
structures sanitaires. ces derniers se retrouvent donc “bannis’’ d’office par les
membres de leurs familles en attendant la mort. c’est naturellement avec
quelques appréhensions que le citoyen africain considérera les assurances pro-
mulguées par le patron the Global Alliance for Vaccines and Immunisation
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rapportées par brooks: “ebola is not an especially dangerous pathogen. it was
first identified in 1976 but because it did not seem much of a threat a vaccine
was never developed’’ (30-33). même si ebola n’a jamais été considéré com-
me une menace pour les pays riches comme il semble le dire, cette assertion
ne saurait être applicable pour les pays du tiers monde. Dans La Quarantaine,
le clézio nous peignait déjà des scènes similaires à celles qui ont cours sur le
théâtre des zones affectées en afrique:

ce matin, malgré sa fièvre, suzanne a voulu aller dans la maison de l’infirmière, en face du
môle dessert Gabriel. [. . .] elle parlait des malades, de nicolas et de m. tournois, des indiens
abandonnés de l’autre côté de l’île, des femmes et des enfants laissés sans soins. elle voudrait
qu’ils viennent s’installer à La Quarantaine, Jacques s’occuperait d’eux, elle serait leur infir-
mière. le gouvernement ne pourrait pas les ignorer. (85)

Dans un ton velouté, calme, posé, l’auteur s’indigne de l’abandon des plus
vulnérables, à savoir les femmes, les enfants et les immigrés. Heureusement
qu’il y avait Jacques et suzanne, médecin et infirmière en leur état, dévoués
mais impuissants face à l’ampleur de la tâche et au dénuement total dans cet-
te quarantaine. cette tragédie n’est pas sans nous rappeler la situation des
médecins sans frontières, qui dès les premiers instants de cette épidémie
d’ebola, étaient déjà sur le terrain pour soulager, réconforter, et donner de
l’espoir avant toute intervention des institutions internationales telle que
l’oms. même dans les situations les plus chaotiques, il y a des possibilités
de maintenir la flamme de l’espoir grâce à la générosité, à la solidarité, au
don de soi et c’est en cela que l’on trouve le sens de l’engagement de le clé-
zio par la littérature.
    bien qu’ebola soit une maladie qui concerne en premier lieu les hommes,
David Von Drehle nous renseigne que c’est une pathologie qui prend sa sour-
ce dans le milieu faunique où des animaux comme les chauves souris consti-
tuent les foyers d’incubation avant d’éventuelle transmission chez l’homme:
“ebola is a zoonotic disease, meaning it originated in animals before sprea-
ding to human beings. it’s not known which species was the original host,
but scientists believe that a likely candidate would be one or more species of
fruit bat, which can carry the ebola virus without showing signs of illness’’
(36). le réservoir principal de cette maladie réside donc au sein de ces ani-
maux sauvages tels que les primates et les chauves souris. si cette promiscui-
té semble être difficile à éviter pour certaines populations pauvres d’afrique,
quels sont alors les facteurs qui contraignent à cette cohabitation? en effet, le
réchauffement climatique, les conflits, les conditions socio-économiques
poussent l’homme à envahir des domaines résidentiels de ces animaux por-
teurs du virus ebola. quand on étudie attentivement ces zones en afrique de
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l’ouest, qui sont concernées par l’épidémie, l’on se rend compte que ce sont
des pays – sierra leone, libéria, Guinée – qui ont traversé une très longue
période de guerre civile ou d’instabilité politique, ce qui a entrainé une forte
migration des habitants des villes et villages dans les profondeurs des forêts
afin d’échapper aux atrocités mutilatrices des différents mouvements belligé-
rants armés. quant à la Guinée, ce pays n’a jamais connu une stabilité poli-
tique depuis son accès à l’indépendance. l’insatiabilité politique ayant pour
corolaire, le sous développement, avec pour conséquence une surexploitation
des ressources naturelles telles que les coupes abusives des forêts à des fins
d’exploitations agricoles et énergétiques par les populations villageoises.
l’on constate donc que les barrières de sécurité naturelle qui empêchaient
l’inviolabilité des forêts, habitats de la faune sauvage sont complètement
démantelées. les animaux sauvages jadis retranchés dans les profondeurs des
forêts classées partagent désormais le même espace de vie. pire, notent Walsh
et sifferlin, les animaux qui meurent dans ces forêts par suite de maladies
diverses comme ebola, sont tout simplement ramassés et consommés: “bush
meat—wildlife like bats or apes found in the jungle – is a major source of
protein in parts of rural africa, and it’s possible for viruses like ebola to
infect human beings if an infected animal is butchered and eaten. that first
transmission can mark the start of an outbreak’’ (37). ainsi comme le confir-
me brooks, la présente épidémie est directement liée à la consommation
inappropriée des viandes souillées de ces forêts envahies: “the current out-
break originated in fruit bats but is so deadly to us that the virus is normally
stopped in its tracks’’ (31). aussi, la conférence sur le changement climatique
tenue à Genève en août 2014 a été l’occasion, selon Woodward de prendre
conscience de l’impact du changement climatique sur la détérioration du bien
être humain: “now climate change is recognized by the world’s international
agencies as an unprecedented threat to human health and well-being. [. . .]
president of the World bank acknowledged that climate change, health and
international development are inseparable’’ (774). en effet, les sècheresses
récurrentes dans certains pays africains font que les forêts sont considérées
par les populations locales comme étant l’unique réservoir dans lequel elles
peuvent y aller faire des courses journalières pour leurs besoins de subsistan-
ce tout en oubliant que tout abus dans cette exploitation entraine forcement
un déséquilibre de l’écosystème.
    Dans ces trois pays africains où sévit actuellement la maladie à virus
ebola, la flore et la faune sont soumises à de rudes épreuves. en témoigne le
développement intensif et dérèglementé de l’agro-business, telle que par
exemple la destruction de milliers d’hectares de forêts pour l’exploitation des
champs à palmiers à huile par les grandes firmes internationales. enfin, il y a
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les explorations et exploitations minières à ciel ouvert dont les produits chi-
miques utilisés sont déversés dans la nature qui ne sont pas sans consé-
quences graves sur l’environnement et affectent certainement l’équilibre et la
préservation de l’ensemble de l’écosystème.
     Dans La Quarantaine, le clézio, prend le temps nécessaire de nous faire
comprendre qu’en cas de détérioration du système sanitaire avec des pous-
sées épidémiologiques, les victimes ne sont pas seulement les personnes
infectées, mais aussi tous ceux-là issus de ce milieu infecté: “Je dis parce que
c’est vrai, et vous le savez aussi bien que moi. il y a beaucoup d’immigrants
dans le même état de l’autre côté, qui ont été débarqués des bateaux venant
de l’inde, avec tous les symptômes de la variole’’ (84). cette narration litté-
raire trouve un point de chute dans la réalité. Dans Vice.com, nous pouvons
lire les propos d’une mère outrée du fait que des milliers d’immigrants qu’elle
suspecte être des porteurs de maladie comme la tuberculose, envahissent
l’italie via la méditerranée:

an anonymous letter from “an italian mother’’ (shared on a load of blogs and by thousands of
facebook users) claims that it’s already too late for salvation and that the apocalypse is near.
she also explains why italy is an easy target: “We have an exceptionally efficient overseas taxi
service, and with our decriminalization of the crime of illegal immigration we’re the most
[attractive] destination for immigrants. We offer food and a place to sleep to whoever brings us
adorable presents, like tuberculosis.’’ (bianchi)

comme on peut le constater, les maladies comme la tuberculose ou encore
ebola, actualité oblige, peuvent être insidieusement exploitées à des fins
politiques ou idéologiques. cette mère, bien que ses préoccupations soient
légitimes par rapport aux risques d’importation de maladies mortelles comme
l’ebola, il y a quand même cette nécessité de relativiser et ne pas en déduire
que tous les candidats à l’immigration dont certains fuient leurs pays pour
des raisons légitimes comme les guerres en syrie, en irak ou en somalie sont
tous porteurs de maladies fatales. quand on observe la psychose qu’engendre
ebola dans certains pays du nord lorsqu’on évoque les questions de la mobi-
lité, l’on se rend compte que des mesures préventives prises sont souvent dis-
proportionnées. certains pays ont procédé à la fermeture totale de leurs fron-
tières aux ressortissants de toute une région de l’afrique alors que la maladie
est circonscrite principalement dans trois pays à savoir, la Guinée, la sierra
leone, et le libéria. même des pays d’afrique très éloignés du foyer de la
maladie comme l’afrique du sud, le botswana ont connu sur le plan touris-
tique, les conséquences collatérales de cette épidémie par de nombreuses
annulations et reprogrammation de voyages. la peur d’ebola n’épargne pas
aussi le milieu sportif. c’est le du maroc qui a refusé d’organiser la coupe
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d’afrique des nations qui devrait se tenir en Janvier 2015 et qui a finalement
été organisée par la Guinée équatoriale.
    pour lutter contre la propagation de cette maladie, certains etats ont
contraint aux voyageurs revenant des pays affectés d’être mis en quarantaine
d’au moins vingt un jours pour s’assurer que ceux-ci ne développeront pas la
maladie pendant la période d’incubation. arguant sur les politiques sanitaires
qui sous-tendent les mises en quarantaine, Harold Jaffe et tony Hope essaient
de situer la responsabilité des autorités sanitaires:

public health measures have generally been seen to fall into two categories: either the measures
are clearly beneficial to the individual recipients, in which case they can be regulated in the
same ways as normal clinical practice, or they are required to prevent such serious harm to the
general population that coercive measures by the state are justified and regulated through pub-
lic health law. (197)

ces humanitaires une fois de retour dans leur pays d’origine, peuvent pendant
plusieurs semaines ne pas présenter des symptômes qui nécessitent leur prise
en charge immédiate, d’où cette mesure de précaution de les isoler temporai-
rement. cependant, aussi paradoxal que celui puisse paraître, cet objectif dont
ont évoqué Jaffe et Hope est mis à rude épreuve par les propos de Jonny ano-
maly qui croit que pendant les crises épidémiologiques comme ebola, l’atten-
tion des gouvernants semble se focaliser beaucoup plus sur la santé publique
que sur la santé individuelle: “the field of public health is having an identity
crisis. from its inception, public health has been concerned with promoting
the health of populations rather than individuals, which explains its special
emphasis on communicable disease’’ (Jaffe and Hope 194). le nombre élevé
de témoignages et reportages d’abandons de malades au libéria ou en sierra
leone au début de la crise d’ebola vient conforter cette thèse.
     cette mise en quarantaine, autant elle permet de rassurer les populations
en minimisant les risques, autant elle est préjudiciable pour les humanitaires
qui font du volontariat, la cheville ouvrière pour bouter cette maladie hors du
continent. en plus de ce temps qu’ils sacrifient pour aller en afrique, seront-
ils aussi disposés à consentir 21 jours supplémentaires pour une éventuelle
mise en quarantaine une fois retournés dans leurs pays respectifs? en tout cas
sherpa insiste pour dire que, malgré cette précaution de 21 jours, les sujets
mâles sont toujours susceptibles de transmettre la maladie durant une certai-
ne période à partir de leur sperme: “the incubation period is usually 8-10
days (ranging from 2 to 21 days). Virus can be transmitted during febrile sta-
te, through late stages of disease and infected bodies of the deceased. men
who have recovered from the disease can still transmit the virus through their
semen for up to 7 weeks after recovery’’ (2).
ebola: réalités et contexte littéraire                                  329

    la mobilité en temps d’épidémie contribue à exacerber les stigmates,
qu’ils soient d’ordre racial, économique et social. c’est le cas par exemple de
thomas eric Duncan, ce citoyen du libéria qui a effectué un voyage au
texas après avoir contracté la maladie dans son propre pays. ne portant
aucun signe symptomatique tout au long de son voyage, ce passager a pu
donc passer entre les mailles des services de contrôle sanitaires mis en place
dans les aéroports: “it’s a small world after all, one in which a man boards an
airplane in west africa and hopscotches his way across europe and north
america to land in Dallas the next day’’ (Von Drehle 36).
    l’abondance des débats à travers les medias suite à cette importation du
virus ebola sur le sol américain a créé une panique généralisée malgré les
assurances des autorités sanitaires. le débat s’est parfois glissé vers d’autres
champs disciplinaires tel que l’éthique, l’équité et l’égalité face à ebola. Des
leaders d’opinion de tous les bords ne se sont pas privés pour faire des com-
mentaires sur la situation d’ebola. sur le site de la bbc du 7 octobre 2014,
l’on découvre cette anxiété collective qui n’est pas isolée:

trois parents ont refusé lundi d’amener leurs enfants à l’école primaire ancienne mairie de
boulogne-billancourt (Hauts-de-seine), à l’ouest de paris par crainte que les enfants soient
infectés par le virus ebola. c’est la présence dans l’établissement scolaire d’un jeune écolier de
9 ans ayant récemment séjourné en Guinée qui a suscité cette réaction.

Dans ce genre de cris, les répercussions psychologiques que peuvent vivre les
victimes de cette stigmatisation suite à ebola. comment cet écolier de 9 ans
va passer le reste de son année scolaire dans cette école primaire de bou-
logne-billancourt? quelle sera la projection du regard qu’il se construira lors-
qu’il est en classe, à la cantine scolaire, dans les aires de jeu et de sport de cet-
te école? a-t-on besoin d’une campagne médiatique pour montrer nos
sentiments de protection à l’égard de ceux qui nous sont chers? Discrètement
et sans tapage, ces parents pouvaient sereinement retenir leurs enfants à la
maison sans que cela n’affecte la dignité et l’image de ce petit écolier et de ses
parents, peu importe qu’ils soient immigrés ou pas. sans nul doute que c’est
pour éviter ces écueils comportementaux que salles étayant la philosophie
d’écriture de le clézio, raconte ceci: “a l’origine de maux actuels, comme le
sous-développement, le déracinement, la colonisation a aussi favorisé la ren-
contre entre hommes, qui, pourvu qu’elle ne s’apparente pas à l’appropriation
condescendante de la culture indigène par quoi se définit l’exotisme’’ (94). en
effet, il ne faudrait pas dans la recherche des raccourcis, considérer ebola
comme un fond de commerce pour alimenter le discours déjà trop plein sur les
rapports entre les cultures et les races.
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     en guise de conclusion, nous pouvons dire que depuis le déclenchement
de l’épidémie da la maladie à virus ebola en afrique de l’ouest, une panique
généralisée s’est emparée des populations de la Guinée, du liberia et de la
sierra leone. Dans cette psychose, des habitudes sociales et culturelles sont
complètement modifiées. pour contrer la progression de la maladie, on prend
des mesures qui se sont montrées inefficaces même si elles sont perçues com-
me étant coercitives.
     la situation sanitaire de ces populations était déjà précaire à cause des
multiples conflits sociaux. l’épidémie à virus ebola a contribué à l’aggraver
davantage. pour faire face à cette détresse de la condition humaine, des
hommes et des femmes du corps médical sont en première ligne pour soula-
ger, réconforter, accompagner et même guérir certains patients au péril de
leur propre vie: “Deux hommes avaient été débarqués avant nous et emme-
nés directement au bâtiment de l’infirmerie situé près de la jetée, face à
l’îlot Gabriel [. . .] Jacques, qui a vu de près [. . .] nicolas, m’a confié qu’il
présentait tous les symptômes de la variole confluente (La Quarantaine 61).
Dans l’épidémie à virus, des professionnels de la santé acceptent aussi
prendre des risques par leur dévouement pour soulager des malades. beau-
coup d’entre eux ont payé très cher cet engagement ce qui témoigne leur
sens de sacrifice puisque un certain nombre d’eux ont contracté la maladie
en voulant aider leurs prochains.
     et c’est à juste titre que l’analyse de salles vient à point nommé pour
décrypter les messages que véhiculent les personnages dans l’œuvre de J.m.
G le clézio en temps de crise ou de perturbation d’ordre sociologique ou
sanitaire comme c’est le cas de l’épidémie de la variole dans La Quarantaine:

les personnages perdent les individualités physique, psychique, et historique pour être arrachés
à l’espèce et au monde qui les environne. c’est par cet intérêt porté aux éléments invariants
d’un être à l’autre, à la vie interne – plus qu’à la vie intérieure –, aux lois biologiques qui gou-
vernent le fonctionnement de tous les corps, que le romancier matérialiste esquive à la fois les
pièges de l’individualisme narcissique et l’angoisse de l’évanescence, car il touche à une forme
d’universalité et d’éternité. (183)

cette analyse de salles nous permet d’établir un parallèle avec le contexte de
l’épidémie à virus ebola. en effet les personnes infectées par cette maladie
vivent des expériences qui les amènent à s’interroger sur leur identité, sur le
sens de leur vie, mais aussi et surtout sur la portée des valeurs humanitaires
tant au niveau de leur propre communauté, qu’au niveau international.

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ebola: réalités et contexte littéraire                                331

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