Egalité des chances face à la santé
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Egalité des chances face à la santé Et son rapport avec les thèmes «Santé psychique – stress» et «Poids corporel sain» Document de base rédigé sur mandat de Promotion Santé Suisse Ensemble, pour le mieux-être.
Remerciement Un grand merci aux collaborateurs et collaboratrices de Promotion Santé Suisse pour leur coopération. Nous aimerions remercier tout particulièrement Brigitte Ruckstuhl, qui a accompagné le projet et qui l’a soutenu par de nombreux commentaires constructifs. Nous n’oublierons pas Doris Summermatter qui a eu l’amabilité de relire l’épreuve finale, ainsi que Ursel Broesskamp-Stone pour ses nombreuses suggestions de renvois à d’autres études et projets. Impressum Auteurs Markus Lamprecht, Claudia König, Hanspeter Stamm, L&S Sozialforschung und Beratung AG Editeur Promotion Santé Suisse Gesundheitsförderung Schweiz Avenue de la Gare 52 Dufourstrasse 30 Case postale 670 Postfach 311 CH-1001 Lausanne CH-3000 Bern 6 Tél. +41 (0)21 345 15 15 Tel. +41 (0)31 350 04 04 Fax +41 (0)21 345 15 45 Fax +41 (0)31 368 17 00 office@promotionsante.ch office.bern@promotionsante.ch www.promotionsante.ch www.gesundheitsfoerderung.ch © Mai 2006 Promotion Santé Suisse, Berne et Lausanne Tous droits réservés, reproduction avec l’autorisation de Promotion Santé Suisse
Avant-propos Page 3 Avant-propos S T R AT É G I E À LO N G T E R M E D E P R O M O T I O N S A N T É S U I S S E En tant qu’organisation nationale, Promotion Santé Suisse s’engage, sur la base de l’article 19 de la LAMal (loi sur l’assurance-maladie), en faveur de mesures de promotion de la santé et de prévention. La nécessité et le potentiel de la promotion de la santé et de la prévention dans le domaine de la santé publique sont reconnus par les décideurs du monde politique, économique et médical. Les futurs défis de la santé publique se situent, en ce qui concerne la population, au niveau des contraintes psychiques crois- santes et des conséquences d’un style de vie basé sur le confort, qui incite à exercer de moins en moins d’activités physiques et qui induit une alimentation malsaine. La Fondation Promotion Santé Suisse exerce ses activités depuis 1998. Forte de ses expériences et de ses compétences, elle se concentrera à l’avenir sur trois thèmes stratégiques: «Renforcer la promotion de la santé et la prévention», «Poids corporel sain» et «Santé psychique – stress». Ces trois domaines prioritaires seront complétés de deux thèmes transversaux: «Egalité des chances face à la santé» et «Evaluation économique». Le présent rapport contient les bases scientifiques concernant le thème transversal «Egalité des chances face à la santé». Il complète les documents de base déjà disponibles et met à disposition les connaissances nécessaires en vue d’améliorer la santé de la population. Janvier 2006 Ensemble, pour le mieux-être Promotion Santé Suisse
Page 4 Sommaire Sommaire Avant-propos 3 L’ e s s e n t i e l e n b r e f 7 1. Introduction 11 2. Inégalité sociale 13 2.1 Qu’est-ce que l’inégalité sociale? 13 2.2 Les indicateurs classiques de couches sociales: formation – profession – revenu 14 2.3 La critique du modèle à couches 16 2.4 Nouveaux concepts pour la description et l’explication de l’inégalité 18 2.5 Conséquences pour l’étude du rapport entre inégalité sociale et santé 20 3. Egalité des chances 25 3.1 Qu’est-ce que l’égalité des chances? 25 3.2 L’égalité des chances dans le système de formation 26 3.3 L’égalité des chances dans le système de santé 28 4. Inégalité sociale et santé 31 4.1 Données empiriques concernant l’inégalité face à la santé 31 4.2 Les causes de l’inégalité face à la santé: un modèle explicatif 32 5. Inégalité sociale et santé psychique – stress 37 5.1 Définition et approches explicatives 37 5.2 Résultats d’études suisses 38 5.3 Résultats internationaux 40
Sommaire Page 5 6. Inégalité sociale et poids corporel sain 45 6.1 Résultats généraux 45 6.2 Résultats d’études suisses 46 6.3 Causes de la répartition entre les couches du poids corporel sain 48 7. Interventions: points de départ et partenaires possibles 51 7.1 Problématique et points d’ancrage des actions 51 7.2 Partenaires (d’échange) nationaux 52 7.3 Partenaires (d’échange) internationaux 53 8. Interventions dans le domaine «santé psychique – stress» 55 8.1 Interventions au niveau individuel 55 8.2 Interventions au niveau sociétal 56 9. Interventions dans le domaine «poids corporel sain» 59 9.1 Interventions au niveau individuel 59 9.2 Interventions au niveau sociétal 59 10. Contrôles et évaluations 61 10.1 Problématique et approches possibles 61 10.2 Conséquences: propositions pour un contrôle orienté vers la pratique 62 11. Conclusions et recommandations 65 12. Littérature 69
L’essentiel en bref Page 7 L’essentiel en bref Qu’est-ce que l’inégalité sociale? Comment la mesure-t-on? Quels sont ses effets? L’inégalité sociale n’est certes pas occultée dans la société de consommation et de bien-être, mais elle est tout de même difficile à identifier, d’autant plus qu’elle est devenue dynamique. Il n’existe en outre, à ce jour, encore aucun modèle reconnu permettant de relever et de mesurer l’inégalité sociale. L’inégalité sociale ne se mesure pas simplement sur la base du revenu, mais caractérise un ensemble complexe combinant approvisionnement insuffisant et désavantages sociaux. Outre les indicateurs de couches classiques tels que la formation, la profession et le revenu, les caractéristiques essentielles de l’inégalité sociale sont également la participation au marché du travail (chômage), le sexe, l’âge, l’origine sociale et l’expérience migratoire, ainsi que la situation de vie (p.ex.: les personnes élevant seules leurs enfants) et l’intégration dans des réseaux sociaux. La situation sociale résulte d’une combinaison de diverses caractéristiques. Le positionnement social d’une personne dépend de la mesure dans laquelle elle cumule des désavantages (p.ex.: immigrée au chômage, appartenant à la couche inférieure, et au bénéfice d’un faible niveau de formation) et de la durée de la période durant laquelle elle doit vivre dans des consitions économiques et sociales génératrices de charges. Même si dans la société actuelle les individus ont de très nombreuses possibilités de choix, la situation sociale marque encore et toujours leurs chances dans la vie, leurs conditions d’existence et leurs possi- bilités d’action, et se répercutent plus ou moins sur la situation de logement, de travail ou de vie. Qu’est-ce que l’égalité des chances face à la santé? L’égalité des chances désigne aussi bien un principe de concurrence qu’un droit fondamental. Elle pos- tule le droit à une répartition équitable et juste des biens et des chances. Nul ne peut être discriminé sur la base de caractéristiques spécifiques (p.ex.: le sexe, l’âge, la couleur de la peau) ou de son statut social (formation, profession, revenu). L’égalité des chances face à la santé signifie que tous les êtres humains doivent avoir les mêmes possibilités sociales de pouvoir vivre longtemps et en bonne santé. L’inégalité face à la santé qui résulte des caractéristiques sociales d’une personne contrevient au postulat de l’éga- lité des chances. Quels sont les effets de l’inégalité sociale sur la santé et le comportement de santé? Qu’est-ce que l’inégalité face à la santé? On constate également dans les sociétés très développées, comme en Suisse, que les personnes dans une position sociale inférieure tombent plus souvent malades que les personnes mieux loties, et qu’elles vivent moins longtemps. Plus l’on se trouve haut dans l’échelle sociale et plus on a la chance de vivre plus longtemps et en meilleure santé. Une position sociale défavorable et le cumul de divers désavantages altèrent indubitablement la santé physique et psychique. Cette atteinte à la santé est générée aussi bien directement qu’indirectement par les diverses conditions de vie, de logement et de travail, ainsi que par les diverses orientations en matière de comportements et de stratégies de maîtrise. Les différentes conditions de vie et possibilités d’action contribuent en outre à ce que les personnes positionnées plus bas dans l’échelle sociale font preuve d’une conscience moindre en matière de santé et adoptent un comportement moins favorable à la santé. Elles font notamment moins attention à leur alimentation, sont plus souvent en surpoids, exercent moins d’activité physique et fument davantage. L’accès au système de santé n’est pas le même pour tous les groupes de population: des conceptions différentes de la santé et de la maladie, ainsi qu’un manque de connaissances et d’offres spécifiques abordables font en outre que tous les individus ne peuvent pas être soutenus de la même manière.
Page 8 L’essentiel en bref Quel est le rapport entre l’inégalité sociale et «Santé psychique – stress»? L’exposition au stress et les conséquences sur la santé qui en résultent ne sont pas réparties dans une même mesure entre tous les groupes de la population. Les personnes ayant un statut social inférieur ne sont pas plus souvent sujettes au stress mais disposent surtout de moins de ressources pour le gérer de manière positive. Les facteurs ayant une influence particulièrement forte sur la vulnérabilité au stress et la faculté d’y remédier sont à rechercher parmi les aspects généraux de l’inégalité tels que le statut socio-économique (peu de formation, statut professionnel inférieur, conditions de revenu précaires), le sexe, l’âge ou le con- texte migratoire. Ils se trouvent aussi dans les conditions de travail, de logement et de vie plus ou moins sûres et saines liées à ces situations et qui se manifestent par des différences dans l’intégration (sociale, culturelle, professionnelle ou scolaire), l’estime de soi et par des possibilités différentes d’influencer son environnement et de participer à la société. Quel est le rapport entre l’inégalité sociale et le «poids corporel sain»? En Suisse, comme dans les autres pays fortement industrialisés, le surpoids et l’obésité ont considéra- blement augmenté ces dernières années. Ceci est vrai aussi bien pour la population adulte que chez les enfants et les adolescents. Alors que l’opulence des formes était un signe de richesse dans les sociétés de pénurie, l’excès pondéral est surtout caractéristique, dans la société d’abondance et de consommation moderne, des personnes moins bien situées socialement. Le rapport entre position sociale et poids corporel sain s’explique par des comportements alimentaires et des taux d’activité physique différents mais également par des facteurs structurels tels que l’accès plus difficile à une alimentation saine et le coût plus élevé de cette dernière. Une telle alimentation requiert en effet davantage de ressources financières et de temps. Le surpoids n’est pas qu’un risque pour la santé, il devient aussi de plus en plus un stigmate social, auquel viennent s’ajouter de nouvelles discriminations. Comment réduire l’inégalité face à la santé et créer davantage d’égalité des chances? Qui fait quoi? Tant au plan national qu’international, les concepts ou stratégies globaux visant à réduire l’inégalité en matière de santé font défaut. En raison de la complexité du sujet, les recommandations pour les interven- tions concrètes sont formulées de manière relativement abstraite et non contraignante. Les approches les plus prometteuses semblent être celles visant des modifications des domaines concrets de la vie, tels que l’école, le lieu de travail, le logement, la famille, tout en tenant compte également des phases criti- ques et passages-clés de la vie. Sur le plan international, on commence à s’accorder au moins sur les objectifs principaux et, ces der- nières années, des organisations et réseaux spécialement dédiés à l’égalité des chances en matière de santé se sont formés. Sur le plan national, en revanche, on ne trouve pas encore d’acteur comparable. En Suisse, il existe, d’une part, des organisations actives dans le domaine de la santé qui se penchent également sur l’inégalité sociale et, d’autre part, des organisations sociales se chargeant entre autres de questions de santé.
L’essentiel en bref Page 9 Quelles interventions y a-t-il dans le domaine «Santé psychique – stress»? Les interventions dans le domaine «Santé psychique – stress» peuvent se fonder tant sur la gestion du stress que sur les facteurs de protection. Pour ce qui est de l’inégalité sociale, les interventions s’attachent au développement des compétences de gestion du stress et au soutien des groupes de popu- lation défavorisés, ainsi qu’à la modification des conditions environnementales néfastes (conditions de travail, de logement et de vie les moins stressantes possibles). Même au niveau international, nous n’avons pu découvrir aucun projet évalué ayant conduit à une baisse démontrable de l’inégalité sociale en matière de santé psychique. Quelles interventions y a-t-il dans le domaine «Poids corporel sain»? Malgré les diverses activités et mesures prises au niveau national et international, il n’a pas été possible jusqu’ici de documenter suffisamment l’efficacité des interventions visant la diminution du surpoids. Aucune mesure ciblée et à long terme, qui aurait pour objectif de créer davantage d’égalité des chances dans le domaine «Poids corporel sain», n’a de toute façon encore été lancée. Il y a consensus sur le fait que les mesures visant à prévenir le surpoids chez les enfants et les adoles- cents ont la priorité, une attention pariculière devant être mise sur les sujets issus de milieux sociaux défavorisés. Les mesures engagées ne doivent toutefois pas seulement viser l’individu, mais également tenir compte de son environnement et être menées à long terme. En matière d’inégalité face à la santé, il semble que des interventions orientées vers la mise à disposition de denrées alimentaires saines à des prix abordables seraient particulièrement prometteuses. Comment peut-on évaluer les mesures prises en vue de créer davantage d’égalité des chances face à la santé? On peut adhérer au principe selon lequel les mesures prises en vue de réduire l’inégalité face à la santé doivent également être évaluées de manière scientifique. Son application pratique semble toutefois presque impossible; si, en effet, on trouve dans la littérature internationale des prescriptions concernant la structure des études, on y cherche en vain des exemples concrets. L’évaluation des futurs projets menés en Suisse devrait s’en tenir aux prescriptions de quint-essenz, prescriptions qui peuvent encore être étendues à la problématique de l’inégalité face à la santé. Quelles conséquences peut-on en tirer pour la promotion de la santé? • Conformément à la Charte d’Ottawa, la promotion de la santé est tenue au postulat de l’égalité des chances et s’engage en faveur de la diminution des inégalités dans le domaine de la santé. • Une stratégie générale et prometteuse pour lutter contre les inégalités dans le domaine de la santé et pour améliorer l’égalité des chances n’existe ni au niveau national ni au niveau international. • Dans le contexte de l’inégalité des chances face à la santé, il convient de prêter une attention particu- lière aux déterminants ci-après ainsi qu’à leurs combinaisons spécifiques: statut socio-économique (formation, profession, revenu), participation au marché du travail (chômage), sexe, âge, origine sociale, expérience en matière de migration, ainsi que situation de vie (p.ex.: personnes élevant seules leurs enfants) et intégration dans des réseaux sociaux.
Page 10 L’essentiel en bref • Lors d’interventions, il faut tenir compte de la chaîne des causes ainsi que des conditions structurelles et des situations de vie spécifiques. Une telle approche présuppose que l’on définisse les groupes cibles de manière précise. • L’inégalité sociale et la question de l’égalité des chances sont omniprésentes et touchent tous les domaines de l’existence. Elles doivent être prises en considération pour chaque intervention, chaque projet. • L’efficacité des appels en faveur d’un changement de comportement individuel est controversée en ce qui concerne l’inégalité face à la santé. Les mesures prises doivent plutôt viser un changement des conditions de l’environnement, de sorte qu’elles permettent un comportement plus favorable à la santé. • La promotion de la santé se nourrit également de normes et de règles qui peuvent à leur tour constituer la base de nouvelles discriminations. Par exemple, la surcharge pondérale n’est pas seulement un facteur de risque pour la santé, mais de plus en plus aussi un stigmate social dans une société de plus en plus orientée vers la santé et le fitness. • Etant donné qu’une grande part de l’inégalité face à la santé s’explique par les différences de conditions de vie, les mesures politiques ciblées doivent tendre à l’amélioration des conditions de vie pertinentes pour la santé. Les acteurs de la politique de la santé doivent être de plus en plus sollicités dans ce con- texte. • Un partenariat clair concernant les questions d’inégalité et d’égalité des chances face à la santé n’existe pas en Suisse, étant donné qu’il manque un acteur ad hoc. Il s’agit d’examiner dans ce con- texte comment la problématique «égalité des chances» peut être davantage thématisée dans le cadre des partenariats existant au niveau national. Il serait également judicieux de participer à des réseaux internationaux. • Les effets des mesures prises dans le domaine de l’inégalité face à la santé sont difficiles à prouver. Il faut en effet définir des objectifs simples pour des groupes cibles bien circonscrits et dans des set- tings dûment sélectionnés pour pouvoir évaluer les effets produits par les mesures engagées.
1. Introduction Page 11 1. Introduction Depuis 1998, Promotion Santé Suisse s’engage, en vertu de l’article 19 de la loi sur l’assurance maladie, en faveur de la promotion de la santé et de la prévention au niveau national. Tenant compte des expérien- ces faites à ce jour, Promotion Santé Suisse a l’intention de focaliser son action sur certains domaines spécifiques pour les projets et interventions à venir. Elle se concentrera à l’avenir sur trois domaines prioritaires, à savoir: «Renforcer la promotion de la santé et la prévention», «Santé psychique – stress» et «Poids corporel sain». Ces trois domaines seront complétés de deux autres thèmes: «Evaluation économique» et «Egalité des chances face à la santé». Ces derniers mois, des documents de base ont été élaborés pour ces cinq domaines, documents sur lesquels les futures stratégies et interventions devront s’appuyer. Le présent document est consacré au rapport entre égalité des chances et santé, les thèmes «Poids corporel sain» et «Santé psychique – stress» étant primordiaux dans ce contexte. Il s’agit de clarifier dans un premier temps ce que l’on entend par inégalité sociale et comment l’inégalité peut être définie (chapitre 2). On abordera ensuite plus en détail la notion d’égalité des chances et l’on présentera ce que signifie exactement l’égalité des chances scolaire et l’égalité face à la santé (chapitre 3). Le chapitre 4 sera consacré au rapport entre l’inégalité sociale et la santé, leurs causes et à leurs effets y seront décrites au moyen d’un modèle explicatif spécifique. Le chapitre 5 traite du rapport entre l’inégalité sociale et la santé psychique – stress; il présente les prin- cipaux résultats des recherches menées en Suisse et au niveau international. La présentation du rapport entre l’inégalité sociale et le poids corporel sain suit le même schéma (chapitre 6). Le chapitre 7 est con- sacré aux interventions concrètes et à la discussion de quelques problèmes généraux et approches possibles, il se termine par la présentation des partenaires (d’échange) possibles au niveau national et international. On abordera dans les chapitres 8 et 9 divers modèles d’interventions possibles. Le chapitre 10 traitera des problèmes liés au contrôle des résultats des interventions et esquissera un premier modèle d’interventions susceptibles d’être efficaces. Enfin, le chapitre 11 présentera les premières con- clusions ainsi que des recommandations.
2. Inégalité sociale Page 13 2. Inégalité sociale 2 . 1 Q U ’ E S T - C E Q U E L’ I N É G A L I T É S O C I A L E ? Les exemples d’inégalités ne manquent pas. Chacun peut observer quotidiennement que tous les indi- vidus ne sont pas traités de la même manière ni ne disposent des mêmes chances et possibilités. On apprend dans le journal l’augmentation de salaire vertigineuse du directeur de Novartis Daniel Vasella ou comment un joueur de football se fait rémunérer 150 000 euros par semaine sa fidélité au FC Liverpool. Au même moment, on entend que les négociations en vue de fixer un salaire minimum pour les vendeu- ses de supermarchés ont échoué et que le nombre de «working poor» continue de croître. On s’étonne qu’une commune réussisse simultanément à baisser le coefficient d’impôt et à construire une nouvelle piscine couverte, alors qu’ailleurs les impôts augmentent chaque année sans pour autant que l’on fasse de nouveaux investissements. On remarque que les élèves dont le nom se termine par «vic» ont des diffi- cultés particulières à trouver une place d’apprentissage et on prend note du fait que le locataire de l’atti- que se réjouit d’un nouveau tout-terrain pendant que la mère célibataire d’à-côté ne sait pas comment elle pourra bien régler la facture du dentiste de ses enfants. La Suisse d’aujourd’hui est une société dans laquelle existent privilèges, richesse, discrimination, margi- nalisation et pauvreté. On peut nommer et décrire ces phénomènes sans problème à l’aide d’exemples. La chose se complique, quand on recherche des modèles de répartition et de structures, voire des prin- cipes et explications universels. Qu’est-ce au juste que l’inégalité sociale? Comment naît-elle, quelles formes prend-elle et comment peut-on la supprimer? Ces questions ont été traitées dans de nombreux ouvrages sociologiques sans que l’on y apporte de réponses simples et claires1. Cela tient donc au sujet lui-même, si nous ne pouvons pas ici véritablement répondre à ces questions. Si nous voulons cependant baser la question du rapport entre l’inégalité et la santé sur un fondement solide, nous ne pouvons éviter quelques réflexions essentielles sur ces thèmes. Les inégalités se fondent sur des différences mais toute différence n’est pas une inégalité. Les hommes et les femmes sont différents: on observe des différences du point de vue biologique. Ce ne sont cepen- dant pas (encore) des inégalités. Néanmoins, lorsque les femmes perçoivent un revenu inférieur pour un même travail, qu’elles ne se voient accorder le droit de vote qu’après des siècles, qu’elles ne réussissent que difficilement à obtenir des postes à responsabilité, que leurs chances de formation sont moindres ou que même dans les ménages à double revenus elles prennent tout naturellement le rôle de la femme au foyer, alors la «petite» différence se mue en une grande inégalité2. L’exemple le montre: les différences deviennent des inégalités dès que l’on les juge socialement, qu’on les relie systématiquement à d’autres propriétés et caractéristiques et que l’on y associe à long terme des chances de succès différentes (cf. Bornschier 1991). Si l’on a été une fois mal ou «injustement» traité par un supérieur, un policier, un enseignant, un fonctionnaire, un vendeur ou une autre personne, il ne s’agit pas d’un cas d’inégalité. Lorsque par contre une personne le vit continuellement (par ex. à cause de son niveau hiérarchique, de sa couleur de peau ou de sa religion), alors il s’agit incontestablement d’une iné- galité sociale. En d’autres termes: on appelle inégalité sociale les formes durables et systématiques de discrimination positive ou négative et non pas des avantages ou inconvénients limités dans le temps3. 1 Concernant l’état actuel de la question cf. Forst (1994), Hondrich (1984), Höffe (1977), Kellerhals, Coenen-Huther et Modak (1988), Mithaug (1996), Müller et Wegener (1995), Rawls (1975), Ritsert (1997), Roemer (1996), Schmidt (2000). 2 Pour plus de détails Cyba (2000) et Gottschall (2000). 3 On trouve une bonne vue d’ensemble du développement et de l’état actuel de l’étude de l’inégalité sociale entre autre chez Berger et Hradil (1990), Bornschier (1991), Müller (1992), Kreckel (1992), Bosc (1993), Lamprecht et Stamm (1994), Geissler (1996) et Burzan (2005). Concernant en particulier la recherche en Suisse cf. Levy et al. (1997), Levy et Suter (2002) et Stamm, Lamprecht et Nef (2003).
Page 14 2. Inégalité sociale Les inégalités sociales en tant que formes durables et systématiques de discrimination ont des consé- quences étendues (cf. schéma 2.1). Elles caractérisent nos conditions de vie, définissent nos chances et nos possibilités d’action. Elles ne déterminent certes pas notre comportement mais génèrent un champ de possibilités selon lequel nous nous orientons plus ou moins consciemment. A travers nos chances et conditions de vie, d’une part, mais en partie aussi de manière directe, les inégalités sociales influencent nos perceptions et opinions. Elles se reflètent ainsi dans les différents schémas de pensée, de perception et d’action d’une personne, ce que l’on peut désigner par habitus en référence à Pierre Bourdieu (1979, 1987)4. Si les hommes et les femmes se voient attribuer des capacités différentes et assigner en consé- quence des devoirs, marges de manœuvre et chances différents, alors ils adoptent un comportement dif- férent, selon ces données de départ. Ils adaptent ainsi leur comportement à leurs possibilités, agissant en conformité avec leurs rôles. Par l’intégration de figures de «vrais» hommes et femmes, ils finissent par figer l’inégalité des sexes. Schéma 2.1 Modèle de base des théories de l’inégalité • chances • attitudes Inégalité • conditions de vie • perceptions sociale • possibilités d’agir • «habitus» En résumé, les inégalités sociales peuvent être définies comme des formes durables, systématiques et caractérisées de discriminations positives et négatives. Quels sont cependant les déterminants centraux de l’inégalité dans la société actuelle? Est-ce le sexe, l’âge, le revenu, la formation ou les origi- nes? Et comment mesurer concrètement l’inégalité? La réponse à cette question nécessite une approche plus approfondie de l’étude sociologique de l’inégalité, ainsi que de ses modèles et concepts. 2 . 2 L E S I N D I C AT E U R S C L A S S I Q U E S D E CO U C H E S S O C I A L E S : F O R M AT I O N – P R O F E S S I O N – R E V E N U La répartition par classes a servi durant des décennies de modèle pour décrire et expliquer l’inégalité sociale. Que l’on se base sur un modèle simple à trois couches (inférieure, moyenne et supérieure) ou que l’on développe et nuance le modèle, on s’accordait à dire que la population pouvait être subdivisée en plusieurs couches (plus ou moins homogènes) situées les unes au-dessus des autres5. La représen- tation, empruntée à la géologie, d’une société en strates superposées offre une image simple et claire de la structure de l’inégalité. 4 L’habitus est un terme-clé de la théorie de Bourdieu. Il met en relation les conditions de vie objectives et les actes manifestes des personnes (cf. en particulier Bourdieu 1979). Produit de l’histoire collective et de l’expérience individuelle, l’habitus conjugue les chances objectives et les aspirations personnelles d’une personne et fonde de manière inconsciente le sens des réalités, ou plutôt le sens de ses propres limites. L’habitus s’exprime par les goûts, les compétences, l’attitude et les manières d’une per- sonne. 5 Les exemples «classiques» sont le modèle détaillé à cinq degrés de Geiger ([1932] 1987), le modèle à six degrés de Janowitz (1958) et le modèle à sept degrés de Moore et Kleining (1960).
2. Inégalité sociale Page 15 Derrière la représentation de classes superposées se trouvent des acceptions communes quant à la nature et aux caractéristiques d’une société, même si elles ne sont souvent pas énoncées explicitement et bien que le mot «couche» soit devenu un terme purement statistique. L’image d’une société divisée en classes correspond à la société du travail axée sur la performance. On en déduit des hypothèses sur l’importance et la valeur du travail, l’obtention d’un statut et la répartition du prestige et des richesses. Le modèle à couches comprend l’idée, tenue pour évidente dans une société axée sur la performance, que des investissements et prestations supérieures doivent être récompensés en conséquence. Les couches et l’appartenance à une couche ne peuvent être réduites à un seul critère, ce sont les résultats d’une conjonction de différentes dimensions d’inégalité. On distingue ainsi les dimensions de l’investissement ou du prestige (formation, prestige professionnel), d’une part, et celles du pouvoir ou des privilèges (situation professionnelle, revenu), d’autre part6. Le schéma 2.2 fait apparaître clairement la relation étroite entre les différentes dimensions. Un niveau de formation élevé va en général de pair avec une meilleure situation professionnelle et un revenu supérieur à la moyenne. Dans ce type de situation on parle de statuts corrélés; en revanche, lorsqu’un individu ne gagne qu’un faible revenu malgré une haute formation, il s’agit d’un cas de statuts non corrélés (cf. Lenski 1977). Au centre de l’étude des couches se trouve donc la triade méritocratique formation – profession – revenu, souvent dénommée statut socio- économique et à partir de laquelle se détermine la situation sociale d’une personne. Schéma 2.2 Modèle de base de la relation entre formation, profession et revenu Formation Profession Revenu (investissements, prestige) (prestige, pouvoir) (pouvoir, privilèges) Tout comme le modèle de base de la théorie de l’inégalité, présenté au schéma 2.1, les modèles à couches tendent non seulement à décrire la société, mais aussi à l’expliquer. L’appartenance à une certaine couche est censée apporter des explications sur le comportement social, les préférences, les schémas de perception (habitus), les styles d’éducation et les préférences politiques, mais aussi sur les différences de comportement quant à la santé et l’état de santé. Durant des décennies, la couche a été la variable indépendante la plus importante de la sociologie. Seul le modèle à classes avait des propriétés comparables. Il permettait dans ses versions d’origine une classification encore plus simple (possession de moyens de production / non-possession de moyens de production), qui servait de variable expliquant des différences de perception, de pensée et de comporte- ment. Vers la fin du vingtième siècle, après des décennies de débats, s’est opéré un rapprochement entre les théories basées sur les classes et celles se fondant sur les couches. Ainsi une grande partie de la doctrine des couches a placé les hiérarchies dans la sphère professionnelle au centre de ses considéra- tions en tant que point-charnière entre investissements et récompense. A l’inverse, au lieu de la référence classique aux moyens de production, on a de plus en plus considéré d’autres rapports de force pour 6 Joye et Schuler (1995) ont dégagé, à partir de données concernant le plus haut degré de formation atteint et la profession exercée, la variable «catégorie socioprofessionnelle», très employée dans les analyses de l’Office fédéral de la statistique.
Page 16 2. Inégalité sociale déterminer la situation dans une classe (cf. par ex. Dahrendorf 1957, 1961) et l’on a eu recours aux dimen- sions classiques des couches que sont la profession et la formation (cf. par ex. Goldthorpe 1985, Bourdieu 1983, 1987, Wright 1985, 1997, Erbslöh et al. 1988, Holtmann et Strasser 1989, Sorensen 2000). Contrairement aux modèles à couches, les modèles à classes décrivent toutefois toujours un rapport d’exploitation, c’est-à-dire que les uns ont plus aux dépens des autres. D’après la théorie des couches, un certain degré d’inégalité permet l’occupation optimale de positions et de fonctions, en vue de la survie et de la croissance d’une société, alors que selon la théorie des classes il ne s’agit que du maintien de privilèges (héréditaires). Au centre de la théorie des couches se situe le postulat de l’égalité des chances, la théorie des classes exige en revanche plus d’égalité en tant que résultat final (cf. chap. 3). 2.3 LA CRITIQUE DU MODÈLE À COUCHES Le modèle à couches classique a été de plus en plus critiqué ces dernières années. Ce que l’on a désigné comme processus de destructuration et d’individualisation, ainsi que l’apparition de «nouvelles» inéga- lités, auraient conduit à ce que la structure de l’inégalité dans les sociétés hautement développées soit devenue plus complexe, de telle sorte que les modèles à couches et à classes auraient perdu de leur efficacité à la décrire et à l’expliquer7. Les différents arguments contre le modèle à couches peuvent être résumés en quatre lignes de développement centrales. De la société de pénurie à la société d’abondance: «l’effet ascenseur» Un premier argument contre la représentation habituelle par couches se base sur les déplacements de niveau à l’intérieur de chacune des dimensions de l’inégalité. Les processus d’expansion tels que la montée de la prospérité, l’expansion de la formation et le développement de l’Etat social auraient abouti à ce que les individus disposent d’un revenu, d’une formation et d’une sécurité sociale croissants. Quand bien même les rapports d’inégalité en tant que tels ne se seraient pas réduits, le progrès collectif dans l’«ascenseur» de la société d’après-guerre aurait entre-temps, pour la grande majorité de la population, hissé les différences sociales au-delà du seuil d’une menace pour la survie et elles seraient par con- séquent devenues moins flagrantes. L’inégalité sociale n’aurait ainsi pas disparu mais elle aurait perdu de son importance. Aujourd’hui, la majorité de la population bénéficie d’une formation, d’aisance maté- rielle et de sécurité sociale améliorées8. 7 En ce qui concerne la Suisse, on trouve des analyses de ces processus de transformation chez Lalive d’Epinay et al. (1982), Born- schier (1991, 1998), Zwicky (O.J.), Bergman, Joye et Fux (2002), Buhmann et al. (1989), Buchmann (1989), Budowski, Tillmann et Bergmann (2002), Ruschetti und Stamm (1991), Lamprecht (1991), Mäder et al. (1991), Farago et Flüglistaler (1992), Flüglistaler et Hohl (1992), Hischier et Zwicky (1992), Buchmann et al. (1999, 2002), Lamprecht et Stamm (1994, 1996, 1999b, 2000), Stamm, Lamprecht et Nef (2003), Leu, Burri et Priester (1997), Levy et al. (1997). 8 A propos de ce qu’il est convenu d’appeler «effet ascenseur», on consultera en particulier Beck (1986), qui a créé cette métaphore pour exprimer l’accroissement du bien-être collectif. L’amplitude de l’élargissement des possibilités depuis la seconde guerre mondiale est avant tout mise en évidence par Schulze (1992: 19), qui écrit: «Les restrictions imposées par le manque de temps, d’argent, d’offres, les limitations à travers des obstacles à l’accès et le manque d’informations, les contraintes dues au contrôle social et la pudeur ont presque reculé plus vite que nous ne pouvions le supporter.»
2. Inégalité sociale Page 17 La fin de la société du travail et les «nouvelles» inégalités Outre l’argument selon lequel l’inégalité se serait déplacée à un niveau supérieur et serait ainsi devenue moins visible et moins significative, on attribue également le fait que les modèles traditionnels se soient de plus en plus éloignés de la réalité à l’apparition de «nouvelles» inégalités et à la perte de l’importance du critère de l’activité lucrative9. Certains affirment en effet que les dimensions de stratification liées au monde du travail – formation, profession, revenu – seraient aujourd’hui de plus en plus fréquemment complétées par de «nouvelles» inégalités, lesquelles se superposent aux effets des dimensions traditionnelles, les modifient ou les anihilent10. Les «nouvelles» inégalités naissent de par le fait que les domaines de la vie en dehors du travail sont une source croissante d’inégalités. Parallèlement, on mentionne aussi des aspects relation- nels et comportementaux, qui créent de «nouvelles» inégalités, comme par exemple des différences dans la liberté de disposer de son temps, le parcours de vie, les relations sociales, la configuration fami- liale, ou la répartition des tâches selon le sexe. Parmi les «nouvelles» inégalités on compte le sexe, le contexte migratoire, l’âge, ou encore la configura- tion familiale, le nombre d’enfants et l’habitat. Ces exemples montrent aussi pourquoi «nouveau» est mis entre guillemets – la seule nouveauté dans ces dimensions d’inégalité est qu’elles n’avaient jusqu’alors que peu été prises en considération et ne pouvaient pas être intégrées de manière adéquate aux modèles à couches classiques. Etant donné que les «nouvelles» inégalités n’ont pas un haut et un bas clairement définis, elles sont souvent appelées aussi (de manière quelque peu équivoque) égalités horizontales (par opposition aux inégalités verticales, telles que la formation, la profession ou le revenu). Un exemple très controversé de «nouveau» groupe de défavorisés, qui ne peut être intégré de manière adéquate au modèle à couches, serait celui des mères célibataires (cf. Husi et Meier Kressig 1995, Suter, Budowski et Meyer 1996). La destructuration et la dynamisation de l’inégalité sociale En plus des «nouvelles» inégalités, quelques auteurs attribuent l’impossibilité croissante d’avoir une vision d’ensemble de l’inégalité à des tendances de destructuration et de dynamisation. A travers ces processus, la représentation de couches ou de classes homogènes perd de sa signification pour deux raisons: Premièrement, on ne trouve aujourd’hui pratiquement plus un membre de la société qui se situe à l’échelon supérieur, moyen ou inférieur dans l’ensemble ou même dans la plupart des dimensions impor- tantes d’inégalité. L’homme moderne rassemble une combinaison non corrélée d’éléments favorisants et défavorisants, qui le font apparaître à certains égards plutôt privilégié et à d’autres plutôt discriminé. Le diplômé d’une grande école qui, malgré une haute formation, conduit un taxi pour un revenu modeste ne serait aujourd’hui plus l’exception, mais la règle. Deuxièmement, la mobilité sociale croissante conduit à une atténuation des frontières entre les classes et les couches. En d’autres termes, la durée du maintien dans une certaine position sociale s’est raccour- cie et n’est plus transmise automatiquement à la génération suivante. La recrudescence de la non- 9 Beaucoup de femmes, de personnes jeunes ou âgées ne peuvent être placés dans le modèle parce qu’ils n’ont pas, pas encore ou plus de statut professionnel. Pour l’étude des couches, ce sont des «groupes marginaux», qui ne trouvent pas place dans le modèle. La doctrine en études genre a très tôt critiqué le fait que l’inégalité au sein d’une famille ne pouvait par exemple pas être analysée à l’aide des catégories traditionnelles. 10 Concernant la signification et les conséquences de la «nouvelle» inégalité, voir en particulier Beck (1983), Berger (1987), Berger et Hradil (1990), Georg (1998), Hradil (1987, 1997), Konietzka (1995), Kreckel (1992), Lüdtke (1989, 1995), Müller (1992), Müller- Schneider (1994, 1996), Schwenk (1999), Spellerberg (1996), Zerger (2000).
Page 18 2. Inégalité sociale corrélation des statuts et la mobilité inter- et intragénérationnelle ont entraîné une diversification, indivi- dualisation et précarisation des situations de vie (cf. Landecker 1981, Mayer 1990, Berger 1990, 1995). L’individualisation et la pluralisation des modes de vie Le terme «individualisation» désigne le fait pour un individu de se détacher des relations sociales tradi- tionnelles. Aujourd’hui, des relations sociales choisies et limitées dans le temps remplacent les institu- tions et entités de repère traditionnelles (telles que la famille, la religion, ou la nation). L’individualisation apporte plus de liberté et de choix, au détriment des traditions, de la routine et de la sécurité (Beck 1986, Brose et Hildenbrand 1988, Beck et Beck-Gernsheim 1994, Junge 1996, Kron 2000, Schimank 2002). En ce qui concerne la question de l’inégalité sociale, les processus d’individualisation ont les conséquences suivantes: les libertés dans la société individualisée sont hasardeuses. Des parcours de vie bricolés soi-même sont aussi des parcours à risques ou d’équilibristes. La vie dans la «société du risque» est menacée en permanence: la mauvaise profession, la mauvaise branche ou une spirale maléfique dans la vie privée de divorce, maladie et perte du logement peuvent conduire à la chute. Beck (1986) est d’avis que ce danger menace aujourd’hui tout un chacun, indépendamment de son appartenance à une couche. L’individualisation n’entraîne néanmoins pas une mise en danger durable indépendamment des couches. Elle est systématiquement citée comme argument principal expliquant pourquoi des groupes importants, relativement stables et cohérents, tels que des couches et des classes, se sont dissous et pourquoi il est devenu de plus en plus difficile aujourd’hui de déduire la conscience (l’habitus) et le comportement des personnes à partir de leur situation sociale (cf. schéma 2.1). L’appartenance à une classe et à une couche est remplacée par le mode de vie individualisé et choisi. 2 . 4 N O U V E A U X C O N C E P T S P O U R L A D E S C R I P T I O N E T L’ E X P L I C A T I O N D E L’ I N É G A L I T É En réponse aux changements mentionnés ci-dessus, sont apparues ces vingt dernières années de nouvelles approches pour cerner le phénomène de l’inégalité, que nous présentons ici dans les grandes lignes. Centre-périphérie Plusieurs approches ont recours au couple centre-périphérie en tant que nouvelle métaphore censée remplacer l’image de strates superposées (cf. Kreckel 1992, Lalive d’Epinay et al. 1982, Bornschier 1991, Bornschier et Keller 1994, Lamprecht et Stamm 1999b, Stamm et Lamprecht 2005). Ce couple, emprunté à l’analyse du système mondial (le premier monde étant le centre, face au tiers-monde représentant la périphérie), conçoit la structure moderne de l’inégalité comme un espace pluridimensionnel, dans lequel se superposent de nombreux et ambivalents intérêts et zones de conflit. Les éléments favorisants et dé- favorisants sont considérés comme autant de formes d’intégration, respectivement d’exclusion sociale. Dans le modèle centre-périphérie reproduit au schéma 2.3, l’activité professionnelle est identifiée comme dimension centrale et les personnes économiquement actives comme «centre». Autour se regroupent quatre situations différentes, caractérisées par des relations plus ou moins étroites avec le centre: le «centre dépendant» avec les femmes et hommes au foyer, les écoliers(-ères) et étudiants(-es) de la «semi-périphérie plus jeune», pas encore actifs professionnellement, les retraités anciennement actifs de la «semi-périphérie plus âgée» ainsi que les chômeurs et les personnes en fin de droit de la «périphé- rie». Contrairement au modèle à couches, il est aussi possible d’y placer des personnes n’exerçant pas d’activité professionnelle et ne touchant aucun revenu d’activité lucrative.
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