En matière d'immigration et de droit d'asile - Les enjeux de droits humains - février 2011

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Les enjeux de droits humains
en matière d’immigration
et de droit d’asile
au Canada

                          février 2011
Le Canada,
    terre d’accueil et d’hospitalité?
    Le droit de circuler d’un État à un autre occupe une place centrale parmi les droits fondamentaux.
    En effet, il est le droit résiduel, le droit « de rattrapage » des droits de l’Homme, celui qui
    permet le salut par le départ lorsque tous les autres droits sont violés.
    (Chemillier-Gendreau 2002)

             L     es   migrations      internationales
                   ont toujours existé. Cependant,
                   la mondialisation économique a
             détruit le gagne pain de millions de
             personnes dans les pays du « Sud »,
                                                           Les événements du 11 septembre 2001
                                                           et la lutte au terrorisme qui en a découlé
                                                           ont mis en évidence des pratiques de
                                                           fermeture croissante des frontières
                                                           que les États avaient déjà commencé
             augmentant ainsi le nombre de                 à exercer de façon plus discrète depuis
             personnes poussées à migrer pour              environ deux décennies : mesures de
             survivre. De nombreuses autres doivent        refoulement, recours aux certificats de
             fuir leur pays d’origine pour échapper à      sécurité et aux détentions arbitraires,
             la violence et à la persécution.              pour n’en nommer que quelques-unes.

             La réaction des États (dont le Canada)        Ces choix politiques se sont cristallisés,
             a été de renforcer les contrôles              entre autres, dans des ententes avec
             aux frontières et ce, aux dépens de           les États-Unis - celle sur la frontière
             l’obligation de protéger les personnes        intelligente de décembre 2001 et celle
             les plus vulnérables et des engagements       sur le tiers pays sûr entrée en vigueur en
             internationaux qu’ils ont pris à l’égard      décembre 2004. Le nouveau processus
             des droits humains. À ces mesures             de détermination du statut de réfugié,
             s’ajoutent     différents     programmes      adopté, en juin 2010, a également
             restrictifs d’immigration, comme celui        contribué à restreindre l’accès au Canada
             des travailleurs agricoles saisonniers. Ces   pour les réfugiés. Par ailleurs, des
             programmes reposent sur une approche          modifications apportées, en juin 2008,
             économique et utilitaire qui considère        aux règles d’immigration laissent place
             les personnes migrantes comme des             à l’arbitraire pour établir, en fonction
             marchandises destinées à répondre             des catégories ou du pays d’origine des
             aux besoins de main-d’œuvre des               immigrant-e-s potentiel-le-s, des limites
             entreprises plutôt que comme des êtres        et des priorités dans le traitement des
             humains titulaires de droits inaliénables,    demandes.
             quel que soit leur statut d’immigration.

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Politiques d’immigration
et droits humains

L    es États brandissent souvent
     l’argument de leur souveraineté
     lorsqu’il est question d’enjeux
liés à l’immigration et y renoncent
plus aisément lorsqu’il est question
                                               et mettre en œuvre chacun de ces droits
                                               (dont le droit à la santé, à l’éducation,
                                               à des conditions de travail justes
                                               et équitables…), à l’égard de toute
                                               personne, quel que soit son statut.
d’accords de commerce. Pourtant la
libre-circulation des humains est avant        Bien qu’au Canada, la reconnaissance
tout une question qui relève des droits        formelle des DESC au même titre
humains et l’exercice de la souveraineté       que les DCP n’est pas entièrement
des États ne doit se faire que dans le         acquise, celui-ci est néanmoins lié par
respect des droits humains.                    la Déclaration de Vienne de 1993 qui
                                               consacre les principes d’indivisibilité et
La Déclaration universelle des droits de       d’interdépendance des droits humains
l’homme (DUDH) impose le principe              tels que l’indiquait la DUDH lors de son
fondamental de l’égalité : « Tous les          adoption :
êtres humains naissent libres et égaux
en dignité et en droits (…)                    « Tous les droits de l’homme
                                               sont universels, indissociables,
« Chacun peut se prévaloir de tous
les droits et de toutes les libertés (…),
                                               interdépendants et intimement
sans distinction aucune, notamment de          liés. La communauté interna-
race, de couleur, de sexe, de langue, de       tionale doit traiter des droits de
religion, d’opinion politique ou de toute      l’homme globalement, sur un
autre opinion, d’origine nationale ou          pied d’égalité et en leur accordant
sociale, de fortune, de naissance ou de        la même importance. »
toute autre situation.»

Tous ces droits et libertés ont été précisés   La Cour suprême du Canada a par
dans deux pactes internationaux : l’un         ailleurs confirmé (arrêt Singh 1985)
sur les droits civils et politiques (DCP)      que les droits protégés par la Charte
et l’autre sur les droits économiques,         canadienne s’appliquent également
sociaux et culturels (DESC). Le Canada         aux non citoyens qui se trouvent sur le
est signataire de ces deux pactes. Il est      territoire canadien.
tenu de respecter, protéger, promouvoir

                                                                                            3
Et pourtant,
    des droits à géométrie variable!
    On retrouve dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) plusieurs définitions
    « gratifiant » les personnes visées de différents statuts. Ces statuts donnent accès ou non à
    certains droits et services. Voyons quelques exemples, nous référant ici aux programmes et
    services du gouvernement du Québec.

      •   Citoyen canadien : enfant né en sol           •   politiques, qui se trouve hors du pays
          canadien, enfant né à l’étranger ayant            dont elle a la nationalité et qui ne peut
          un parent citoyen canadien (et qui a              ou, du fait de cette crainte, ne veut se
          réclamé le statut de citoyen), personne           réclamer de la protection de ce pays).
          née à l’extérieur du Canada et ayant              Accès à la demande de résidence
          obtenu sa citoyenneté canadienne                  permanente. Accès à tous les droits
          après avoir été résidente permanente              et à la plupart des programmes et
          au Canada (3 ans de résidence en                  services, sauf au logement social.
          sol canadien au cours des 4 années
          précédent la demande). Accès à tous           •   Demandeur d’asile : n’a pas encore
          les droits et services.                           reçu de décision relativement à
                                                            sa demande d’octroi du statut de
      •   Résident permanent : permission                   réfugié. Accès incomplet aux droits
          de demeurer au Canada de façon                    et services : niveau d’aide sociale
          permanente. Accès à tous les droits et            moindre, exclusion de la prestation
          services (sauf quelques exceptions).              fiscale pour enfant et soutien aux
          Possibilité cependant de perdre le                enfants du Québec, accès limité
          statut pour différentes raisons (ex.              aux soins de santé, exclusion des
          criminalité, absence prolongée) et de             études postsecondaires ainsi que des
          faire, par la suite, l’objet d’un ordre           programmes de prêts et bourses et de
          de déportation.                                   garderie subventionnée.

      •   Réfugié accepté : personne reconnue           •   Migrant temporaire : peut être sous
          comme telle par la Commission de                  le statut de visiteur, étudiant étranger,
          l’immigration et du statut de réfugiée            travailleur étranger, aide familiale
          (CISR) au sens de la Convention                   résidente. Accès aux droits et services
          relative au statut des réfugiés de 1951           variant considérablement selon la
          (craignant d’être persécutée du fait de           catégorie : exclusion de certaines
          sa race, de sa religion, de sa nationalité,       normes de travail, conditions de
          de son appartenance à un certain                  résidence variables, non accès
          groupe social ou de ses opinions                  égalitaire à la réunification familiale…

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Les travailleurs étrangers,
des droits à la carte
L    e Programme des travailleurs
     étrangers du Canada prévoit
     diverses catégories d’emploi, dont
les travailleuses domestiques et les
travailleurs-euses agricoles. Malgré
                                             De plus, leur statut de résidence
                                             étant temporaire, les personnes sont
                                             amenées à tolérer des violations de
                                             leurs droits parce qu’elles souhaitent
                                             pouvoir revenir ou encore ne pas avoir
certaines avancées, ces catégories font      à quitter le pays.
déjà l’objet au Canada d’exclusions
historiques des régimes de protection        En plus de ce régime de droit
prévues par les lois du travail.             discriminatoire qui impose aux
                                             travailleur-euse-s étranger-ère-s une
À ces exclusions s’ajoutent les conditions   disparité de traitement, il faut aussi
prévues pour ces catégories d’emploi         mentionner que le Programme des
par le Programme qui placent les             travailleurs étrangers prévoit des
travailleur-euses étranger-ère-s dans        conditions plus favorables lorsqu’il s’agit
une situation de grande vulnérabilité        d’emplois jugés hautement qualifiés,
face à des situations d’exploitation,        notamment en ce qui concerne l’accès à
de violence, voire même de traite de         la résidence permanente.
personnes. Plusieurs situations de
mauvais traitements, de non protection       Or, la dignité humaine inhérente à
en situation de maladie ou d’accidents       toutes les personnes migrantes est au
du travail, de confiscation des papiers      cœur de la Convention internationale
d’identité et même de séquestration          sur la protection des droits de tous les
ont été portées à l’attention du public      travailleurs migrants et des membres
dans les dernières années.                   de leurs familles qui leur reconnaît,
                                             notamment, les droits à la liberté
Ces travailleur-euse-s temporaires           d’opinion, la liberté d’association,
sont en grande partie contraint-e-s          l’égalité de traitement en matière
de résider chez leur employeur, ce qui       de conditions de travail, l’accès à
facilite les abus de la part de celui-ci.    l’éducation pour leurs enfants, l’accès
Leur permis de travail est identifié à       aux mécanismes de protection des
un employeur unique, ce qui entraîne         droits, le droit à une instance impartiale
une situation d’irrégularité lorsque les     avant d’être déporté, le droit à une juste
personnes veulent ou doivent, en raison      réparation avant toute déportation
par exemple d’une violation de leurs         en cas de violation de droits par
droits, trouver un nouvel employeur.         l’employeur.

                                                                                           5
Le droit d’asile
    malmené au Canada
      «

          D       evant la persécution, toute
                  personne a le droit de chercher
                  asile et de bénéficier de l’asile
          en d’autres pays. » La DUDH et d’autres
          instruments internationaux ratifiés par
                                                       qui laissent passer les personnes sans-
                                                       papiers ou encore l’exigence pour les
                                                       ressortissant-e-s de nombreux pays de
                                                       se procurer un visa. Ainsi, à l’été 2010,
                                                       le Canada a imposé un visa d’entrée aux
          le Canada vont dans le même sens :           voyageurs en provenance du Mexique
          Convention de Genève relative au             et de la République tchèque dans le
          statut des réfugiés (art.26, 32), Pacte      but explicite de limiter l’arrivée de
          international relatif aux droits civils      demandeurs d’asile provenant de ces
          et politiques (art.9, 16) et Convention      pays.
          internationale sur l’élimination de toutes
          les formes de discrimination raciale            De plus, nombre de ceux et celles qui
          (art.5).                                     parviennent à entrer ne bénéficient pas
                                                       d’un régime de protection des droits
             Or, au Canada, une panoplie de            tel que prescrit par les instruments
          mesures d’interception a pour effet          internationaux de défense des droits
          d’empêcher l’entrée au Canada de             humains. En effet, la nouvelle procédure
          personnes cherchant protection. En           expéditive pour juger de la recevabilité
          vertu de l’Entente sur le tiers pays sûr     de la demande de refuge introduite en
          avec les États-Unis, les demandeurs          juin 2010 ne permet pas au demandeur
          d’asile qui se présentent à la frontière     de préparer adéquatement sa demande.
          canadienne sont refoulés vers les            Certains demandeurs, dépendant de
          États-Unis où leurs droits                   leur pays ou région de pays d’origine,
          risquent de ne pas être                      pourront même se voir refuser l’accès à
          respectés.     Mentionnons                   l’appel sur le fond.
          également les frais exigés
          aux transporteurs

6
Situation inacceptable pour                   Des droits sacrifiés au nom de
les personnes sous moratoire                  la sécurité nationale
  La LIPR accorde aux demandeurs                Sur la base de considérations liées à
d’asile reconnus le statut de « personne      la sécurité nationale, des procédures
protégée », ce qui leur donne accès à         prévues à la LIPR permettent de détenir
la résidence permanente, sous réserve         des personnes pour une période
des examens médicaux et de l’examen           indéterminée et de les déporter. Elles
de sécurité. L’accès à la résidence           permettent également de les exclure
permanente permet aussi d’avoir accès         du processus d’immigration ou de
à un ensemble de droits et services tel       détermination de leur statut de réfugié,
qu’indiqué précédemment.                      ou encore de les déporter vers leur pays
                                              d’origine sans que celles-ci n’aient été
   Cependant, lorsque le Canada               en mesure d’offrir une défense pleine
établit un moratoire sur les renvois          et entière à l’égard d’allégations de
vers certains pays où l’on retrouve une       menaces pour la sécurité du Canada.
situation de risque généralisé à l’endroit    En effet, les preuves sont gardées
de la population, aucun statut donnant        secrètes, et ceci, même lorsqu’il a été
accès à la résidence permanente n’est         démontré que cette déportation risque
accordé aux personnes visées. Il s’agit       de les mener vers la torture. De plus,
d’une protection temporaire qui ne leur       le fardeau de preuve est très faible
est accordée que jusqu’au moment de           comparativement à celui exigé en droit
la levée du moratoire. À ce titre, elles      criminel.
n’ont pas accès aux mêmes droits et
services : pas le même niveau d’aide            Comme dans le cas des certificats de
sociale, exclusion de la prestation fiscale   sécurité, ces mesures enfreignent les
pour enfant et soutien aux enfants du         garanties judiciaires protégées par la
Québec, accès limité aux soins de santé,      Charte canadienne et peuvent laisser
exclusion des études postsecondaires          prise à l’arbitraire et au profilage racial,
ainsi que du programme de prêts               politique et/ou religieux.
et bourses, et du service de garde
subventionné.                                   Figurent également parmi les mesures
                                              rattachées à des motifs de sécurité celle
  Il est difficilement justifiable du point   qui permet de renvoyer vers leur pays
de vue de la protection des droits            d’origine des personnes à statut précaire
humains, que les personnes qui se voient      jugées coupables d’un délit criminel sur
accorder la protection par le biais d’un      le sol canadien, après qu’elles aient
moratoire sur les renvois en vertu d’un       purgé leur peine. Or, la « double peine »
« risque généralisé », ne puissent, au        viole le principe d’égalité devant la loi :
même titre que les demandeurs d’asile         elle interdit l’amendement et refuse à
reconnus, être reconnues « personnes          la personne qui a accompli sa peine la
protégées » et avoir accès à la résidence     possibilité de retrouver sa place dans la
permanente aux mêmes conditions.              société.

                                                                                             7
Pour une politique
d’immigration respectueuse                                               LE PRÉSENT FASCICULE FAIT

des droits humains
                                                                         PARTIE D’UNE SÉRIE qui vise
                                                                         à informer sur des enjeux de
                                                                         droits et libertés.

L    e Canada a longtemps été considéré comme une terre
     d’accueil. En effet, différents programmes ont été
     mis en œuvre dans le passé pour faciliter l’arrivée de
populations vulnérables voire même régulariser la situation
de personnes risquant le renvoi après plusieurs années de
                                                                         Déjà paru dans cette série :
                                                                         • Création d’une liste noire
                                                                           des passagers aériens au
                                                                           Canada
                                                                         • La loi antiterroriste doit
vie active au Canada. En réponse au récent virage adopté                   être abrogée!
par le Canada il est essentiel de rappeler que les choix de              • Les certificats de sécurité
politiques en matière d’immigration doivent être assujettis              • Les poursuites-bâillons
                                                                           (SLAPP)
aux exigences posées par les droits humains.
                                                                         • Le Taser : une arme
                                                                           inoffensive ?
  Plutôt que de renforcer les obstacles empêchant les                    • 60e de la DUDH
personnes revendiquant le statut de réfugié de faire valoir              • La surveillance de nos
leur demande en toute équité, le Canada doit tenir compte                  communications
de la situation de vulnérabilité dans laquelle ils et elles se           • La Laïcité
trouvent, faciliter leur entrée au pays ainsi que le dépôt et
le traitement de leur demande.

  Le Canada devrait accorder le statut de « personnes
protégées » aux personnes visées par les moratoires.
Ainsi, l’État faciliterait leur intégration socio-économique
puisque l’obtention du statut de résident permanent
lèverait une série d’obstacles structurels auxquels elles sont
confrontées : stress continu, difficultés d’accès à un emploi,
à un logement, non accès à l’ensemble des services publics,              Consultez notre site Internet
                                                                         www.liguedesdroits.ca
etc.
                                                                         Ligue des droits et libertés
  Enfin, le Canada doit mettre fin au régime discriminatoire             65 ouest, rue des Castelnau, # 301
auquel sont assujettis les travailleurs et travailleuses qui             Montréal (Québec) H2R 2W3
sont admis au Canada dans le cadre du Programme des
travailleurs étrangers. Le Canada, pays d’immigration, se                Téléphone : 514 • 849 • 7717
doit de tout faire pour que les droits de la personne soient             Télécopieur : 514 • 849 • 6717
reconnus et respectés pour toutes les personnes réfugiées                info@liguedesdroits.ca
et (im)migrantes au Canada.

  Ce fascicule est une publication de la Ligue des droits et libertés,
  réalisée en collaboration avec :
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