ERREURS SUR LA REPARTITION DES MARQUEURS -ING ET -ED
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I.U.F.M. de l'Académie de Montpellier, site de Montpellier. Anglais Fanny REILLES Classe de seconde (510) Lycée J.F. Champollion, Lattes ERREURS SUR LA REPARTITION DES MARQUEURS -ING ET -ED Directeur de mémoire: M. J.P. MEROU Assesseur: M. M. LACHEZE Année 2000.
* RESUME EN FRANCAIS * L'erreur sur la répartition des marqueurs -ING et -ED est récurrente dans les contrôles d'une classe de seconde. Ces deux suffixes ont des valeurs différentes que les élèves ne semblent pas avoir saisi. Un réflexion proposée à partir de leurs erreurs les fait aboutir à des notions métalinguistiques, pour la plupart correctes, même si elles restent vagues quant à ce qu'elles recouvrent pour eux. L'analyse montre que l'erreur vient essentiellement d'une trop grande focalisation sur les formes / les structures, donc à une surgénéralisation des règles de la langue-cible et à une négligence du contexte. * SUMMARY IN ENGLISH * The mistake on the distribution of -ING and -ED markers is recurring in a "seconde" form's tests. These two suffixes have two different values that the pupils do not seem to have understood. The work I proposed to think more closely about it, made from their own mistakes, had them come to metalinguistic notions, which were for most of them, correct even if they remain vague as far as what they really conveyed for the pupils. The analysis shows that this mistake essentially comes from a too important emphasis laid on signs and structures, therefore to an over-generalisation of the foreign language's rules and to leaving the context aside. * MOTS -CLES * conceptualisation, forme / sens, surgénéralisation, interférence, réflexe, contexte, communication, mise en relation. 2
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* TABLE DES MATIERES * Présentation 1 Résumés / mots-clés 2 Réservé aux jurys 3 Table des matières 4 Introduction 6 I- -ING / -ED: RAPPELS LINGUISTIQUES 8 I- Les valeurs linguistiques du suffixe -ING 1- Les adjectif en -ING a) verbalisation / nominalisation b) dépendance situationnelle et subjectivité 2- Les participes en -ING a) propriétés verbales et nominales b) la qualité de progression II- Les valeurs linguistiques du suffixe -ED 1- Les adjectifs en -ED a) la notion de révolu b) l'état résultant 2- Les participes en -ED a) la voix active b) la voix passive II- LA CONCLUSION DES ELEVES SUR LA VALEUR DES MARQUEURS 13 I- Erreurs et justifications 1- Les adjectifs 2- Les participes II- La conclusion des élèves sur la valeur des marqueurs 4
III- Les termes employés par les élèves III- L'ANALYSE DES ERREURS 19 I- Le rôle de l'interférence avec la langue maternelle II- La focalisation sur la forme III- A la recherche du sens perdu... Conclusion 24 Annexes: - Worksheet 26 - Bibliographie 5
* INTRODUCTION * Les observations faisant l'objet de ce mémoire ont été réalisées dans une classe de seconde, option T.S.A. (Techniques des Systèmes Automatisés) comportant 33 élèves, du lycée Champollion à Lattes. La plupart des élèves de cette classe présentent de grandes qualités d'imagination (repérées dans leurs devoirs d'expression) mais d'assez importants problèmes au niveau de l'expression elle-même. Au cours des repérages effectués à partir de leurs contrôles, j'ai noté de fréquentes confusions entre les deux suffixes -ING et -ED se rapportant aux adjectifs et aux participes, présents ou passés. Ce type d'erreur m'a laissé au départ assez perplexe quant à sa nature: il ne s'agissait apparemment pas d'une surgénéralisation de règle, ni d'un cas d'interférence avec la langue maternelle, celle-ci étant d'ailleurs, dans ce cas, une source d'aide, puisque la distinction au niveau sémantique entre participe présent ou passé ou adjectif en -ANT/-ING ou -E/-ED est quasiment la même dans les deux langues. Cette erreur sur la répartition des deux marqueurs était donc pour moi incompréhensible car elle n'avait, au départ, aucune raison d'être; les énoncés erronés produits par les élèves ne faisaient pas sens. Lors de plusieurs séances de module, j'ai donc proposé divers exercices d'observation et de réflexion à partir du relevé de leurs propres erreurs. Ce sont donc ces erreurs que je propose d'analyser dans ce mémoire à partir des réflexions et conclusions qu'en ont tiré les élèves. Considèrent-ils -ING et -ED comme des suffixes, des opérateurs? Acceptent-ils tel ou tel énoncé erroné et pourquoi? L'erreur étudiée ici peut être expliquée en termes de confusion entre deux suffixes différents impliquant deux fonctions différentes. C'est donc la prise de conscience par les élèves de ces deux fonctions qui n'est pas encore acquise ou est en cours d'acquisition. 6
Mon but a donc été dans un premier temps, de proposer aux élèves des tests de jugement d'acceptabilité à titre formatif, puis de leur faire prendre conscience de la fonction de ces opérateurs par des exemples en contexte. Comme tout type d'erreurs, cette erreur sur la répartition des marqueurs -ING et -ED est la trace d'un "dysfonctionnement", pour utiliser un terme de M. Quivy et Cl. Tardieu "dans le système de représentation de la langue" mais elle est également la "marque d'une acquisition en cours"1. Ce type d'erreur nous plonge donc au coeur même de la notion d'apprentissage et je me suis intéressée au processus cognitif des élèves, à leur cheminement intellectuel pour arriver à certaines conclusions, car c'est grâce à l'erreur et à la réflexion sur celle-ci que l'apprenant parvient à se créer son propre système de représentation de la langue. Les erreurs sont l'indices d'un processus actif d'acquisition et sont la manifestation d'un état de développement langagier. Elles décrivent la connaissance et doivent permettre à l'enseignant de déterminer où en est l'apprenant, de connaître les stratégies et processus qu'il met en place. Par souci de clarté, je propose, après avoir fait quelques rappels linguistiques sur les deux marqueurs, de consacrer la deuxième partie aux erreurs des élèves ainsi qu'à leurs observations et conclusions sur la valeur des deux marqueurs puis la dernière, à mon analyse de ces erreurs. 1M. Quivy et Cl. Tardieu, Réussir l'épreuve sur dossier au C.A.P.E.S. ,(Ellipses, 1995), p. 179. 7
I- -ED / -ING: RAPPELS LINGUISTIQUES 8
L'objectif de cette partie est de rappeler la valeur linguistique des marqueurs -ING et -ED pour pouvoir ensuite la comparer aux conclusions des élèves dans la partie suivante. I- Les valeurs linguistiques du suffixe -ING 1- Les adjectifs en -ING a) verbalisation / nominalisation En ce qui concerne les adjectifs, la présence du marqueur -ING entraîne une verbalisation. Dans la phrase "This book is very interesting.", le suffixe confère au radical interest une valeur de progressivité, d'activité propre aux verbes. Cependant, -ING a une double fonction puisqu'il nominalise également les bases verbales. Par exemple, dans "He likes reading.", ce marqueur dérive la base verbale read en nom verbal. Nous verrons dans un deuxième temps que les élèves ont été amenés à repérer la double valeur de -ING, à savoir ses valeurs de verbalisation et de nominalisation. b) dépendance situationnelle et subjectivité -ING marque également un ancrage dans la situation. V-ING renvoie à des faits qui sont rattachés à un contexte. En effet, dans "This child is tiring.", le suffixe écarte toute évaluation de complétude ou non, d'achèvement ou non du procès. Il est incompatible avec la 9
notion de "terme atteint". Le repérage énonciatif porte non pas sur l'état de l'objet mais sur l'activité du sujet reconstituée par l'énonciateur et renvoyant à une classe d'activités. Il y a également une prise de position de la part de l'énonciateur qui, dans cette situation, porte un jugement sur le sujet, ici l'enfant, et lui attribut le procès BE TIRING alors repéré par rapport au moment de l'énonciation. -ING a donc une valeur centrale de commentaire. Il est la marque d'un point de vue de l'énonciateur. 2- Les participes en -ING a) propriétés verbales et nominales Le participe en -ING, également appelé participe présent, a les propriétés verbales de base. Par exemple, il peut être suivi d'un complément d'objet direct comme dans "Driving the jaguar was agreable." Mais driving peut également devenir un nom verbal comme dans "John's driving the jaguar was agreable." et fait alors référence à la manière de conduire de John. D'après Lapaire2, le marqueur -ING permet à la relation prédicative ¢JOHN, DRIVE, CAR² de fonctionner à la manière d'un groupe nominal sujet. Il y a donc une relation étroite entre le marqueur -ING et la valeur de nominalisation. Le point de vue est présent, lié au moment d'énonciation et -ING confère une qualité permanente. b) la qualité de progression Il n'est question ici d'aucune valeur d'achèvement du procès. Le repérage énonciatif porte non pas sur l'état de l'objet mais sur l'activité reconstituée par l'énonciateur. Le procès, qui est un processus, a donc une valeur progressive, dont la durée est indéterminée. L'aspect de driving reste inaccompli. Nous comprenons donc pourquoi BE + ING permet une plus grande visualisation du procès, celui-ci est vu de l'extérieur. Les propositions en -ING ont un caractère non fini, un caractère présent atemporel. 2J.R. Lapaire et W. Rotgé, Réussir le commentaire grammatical de textes (Ellipses, 1992) p. 89. 10
II- Les valeurs linguistiques du suffixe -ED 1- Les adjectifs en -ED a) la notion de révolu L'un des buts des exercices présentés en module était de faire prendre conscience aux élèves de la valeur des adjectifs en -ED (épithètes ou attributs) comme dans "They are dried flowers." ou "This child is tired." L'une des valeurs centrales de ce suffixe est la notion de décrochage, d'éloignement par rapport à la situation d'énonciation. Ici, le procès DRY est révolu, achevé. Le marqueur -ED dans les adjectifs conserve donc la valeur qu'il a pour les verbes, à savoir, une valeur de décalage sur le plan temporel. b) l'état résultant Puisque le procès est placé dans le révolu, la notion d'état résultant prédomine: "The flowers are dried." De même, le procès BE TIRED est repéré en soi, la notion de durée est absente, seule est prise en compte l'existence de la validation du procès et le résultat en découlant. 2- Les participes en -ED a) la voix active 11
De même que pour les adjectifs, les participes en -ED, appelés participes passés, sont placés dans le domaine du révolu, de l'accompli, de l'achevé. Par exemple, "It is about elephants killed for their ivory." La rupture entre le moment d'énonciation et le moment du procès est marquée grâce au suffixe -ED. A l'inverse de -ING, il n'est question d'aucun jugement de la part de l'énonciateur ici. b) la voix passive Le choix présenté aux élèves était rendu plus complexe par l'utilisation d'un participe après l'auxiliaire BE. La valeur des deux marqueurs prenait alors toute son importance. Concernant un énoncé à la voix passive, les élèves étaient confrontés au choix des deux suffixes à attribuer au participe: par exemple, "This document was (write) in 1991." 30% d'entre eux avaient commis l'erreur lors du contrôle en écrivant (dans un exercice d'expression semi-guidée) "was writing". Cependant, lors du module, après réflexion, ils ont repéré la régularité qu'il y avait entre un moment daté dans le passé et l'utilisation de -ED. En effet, dans cet énoncé, la perspective est retournée et le complément d'agent "reçoit". Il s'agit là encore d'un état résultant d'où l'utilisation du suffixe -ED. 12
II- CONCLUSIONS DES ELEVES SUR LA VALEUR DES DEUX MARQUEURS 13
Lors de divers contrôles, j'ai pu constater que rares sont les élèves qui maîtrisent parfaitement la valeur des deux marqueurs et qui ne produisent réellement aucune erreur. Sur la fiche d'exercices proposée en module, j'ai réparti les deux marqueurs selon trois catégories: les adjectifs, les noms (qui ne rentreront pas directement dans mon étude puisqu'ils ne concernent que le marqueur -ING) et les participes (verbes). Voici le type d'erreurs répertoriées dans les devoirs. I- Erreurs et justifications 1- Les adjectifs J'ai pu lire des énoncés tels que "This book is very interested." ou "They collect poaching ivory", "Japanese bosses are hypnotizing / overloading with work", "poaching: braconnier" (dans un travail d'inférence) ou "This document was writing in 1991". Le premier exercice de la séance consiste à souligner l'énoncé qui semble le plus probable. La consigne précise que quelque fois, les deux solutions sont possibles. a) This book is very interesting / interested. c) They collect poaching / poached ivory. Certains de ceux qui avaient fait l'erreur dans leur contrôle "persistent" à souligner "interested" ou "poaching", d'autres rectifient et soulignent "interesting" ou "poached". Lorsque les deux sont possibles, par exemple, b) This child is tiring / tired. d) They are drying / dried flowers., 40% ne soulignent que les adjectifs en -ING et "ignorent" l'adjectif en -ED. A la question "A quelle catégorie grammaticale appartient le mot en -ING ou -ED?", quelques uns répondent "-ING: verbe, -ED: adjectif". Rares sont ceux qui ont trouvé qu'il ne s'agissait que d'adjectifs. Voici quelques conclusions quant à la valeur des deux marqueurs pour cette partie: 14
* "-ING sert à exprimer une action en cours de développement." * "quand c'est un participe présent, on met -ING et quand c'est un participe passé, on met - ED." * "les adjectifs en -ING ou en -ED ont des valeurs différentes" * "-ING: présent continu, action pas terminée qui continue, -ED: passé, représente une action révolue." * "-ING sert à exprimer une action en cours de développement, -ED sert à exprimer une action déjà déroulée." * "En général, ces mots qualifient un sujet mais avec une nuance: -ING: lorsque quelque chose agit sur autre chose, -ED: qualifie seulement un nom qui subit l'action." La plupart des élèves ont donc perçu une différence de valeur entre les deux marqueurs avec cette idée récurrente que -ING s'applique à "quelque chose en cours" et -ED à "quelque chose d'achevé". Ils ont également perçu la différence entre présent / passé. Un élève sur 33 fait une remarque pertinente: "-ING: lorsque quelque chose agit sur autre chose, -ED: qualifie seulement un nom qui subit l'action." prouvant qu'il a saisi la nuance entre actif et passif. 2- Les participes L'exercice suivant consiste à faire un choix entre un verbe en -ING et un verbe en -ED: 3) Soulignez l'énoncé qui vous semble le plus probable. a) You must be thinking / thought he is a fool. b) They are spent / spending the week-end with their parents. c) It's no use hurried / hurrying now, we've missed the train. d) They've been waited / waiting for hours in the rain. Le but était ici de "familiariser" les élèves avec la valeur de -ING s'appliquant aux verbes (surtout après l'auxiliaire BE). Concernant cet exercice, très peu d'élèves commettent des erreurs. Voici quelques exemples de réponses à la question "Pourquoi avez-vous fait ces choix?": * "parce que pour les verbes en -ING à des temps continus, l'action n'est pas finie." * "car avec -ING, l'action est soit continue, soit présente et avec -ED, l'action est révolue. ce sont des durées." Le -ED de la dernière remarque se rapporte au c) missed. L'exercice 4) se présentait comme suit: 15
4) Cochez les énoncés que vous n'acceptez pas. a) Japanese bosses are overloaded with work. b) The Japanese are overworking, hypnotizing. c) It is about elephants killed for their ivory. d) Some elephants were killing because their ivory was expensive. e) This document was written in 1991. A peu près 50% des élèves barrent overloaded du a) et remplacent par overloading et à la question "Pourquoi, à votre avis, cet énoncé est-il inacceptable?" répondent: * "Car l'action continue ou vice-versa." * "quand ces phrases sont passives, on utilise la forme -ED" * "quand le sujet fait l'action: -ING, quand il la subit: -ED". Certains de ceux qui ont barré overloaded et remplacé par overloading ont des réponses similaires aux deuxième et troisième remarques. A en juger par ces conclusions, un sujet tel que "Japanese bosses" ne peut qu'"accomplir" une action. Concernant l'énoncé b), 85% ne cochent pas overworking mais 60% ne cochent pas l'énoncé dans son ensemble, laissant correct "Japanese bosses are hypnotizing." L'énoncé c) n'est majoritairement pas coché mais le d) présente apparemment quelques difficultés; les élèves auxquels je demande, "Pourquoi ne pas l'avoir coché?" rectifient instantanément en justifiant ainsi: "Ah, non, c'est passé" ou "c'est du passif." L'énoncé e) n'est jamais coché. II- La conclusion des élèves sur la valeur des marqueurs. Voici une liste non-exhaustive mais, semble-t-il, représentative des conclusions des élèves sur la valeur et la fonction des deux opérateurs: Quelle est la valeur des marqueurs: * "-ING: progressivité, -ED: action terminée" * "présent / passé" * "-ING: durée, -ED: le passé" 16
* "-ING: qui agit sur quelque chose ou quelqu'un, -ED: qui agit sur lui-même ou subit quelque chose" " -ED: après être: passif" Les considérez-vous comme des opérateurs? Oui (33 élèves répondent oui) A quoi servent-ils? * "à exprimer quelque chose de fini et de pas fini." "à donner un sens, une action finie et une action en cours." "à modifier le sens du mot" "à modifier la catégorie du mot" "à changer le sens d'un mot à partir d'un même radical" Direz-vous maintenant que poaching signifie braconnier? (question dans un exercice préalable d'inférence dans l'un de leurs devoirs) Certains répondent "non" mais donnent comme réponse le verbe braconner. Ceci laisse-t-il penser qu'ils n'ont pas saisi le sens du marqueur -ING? Pourquoi? La plupart des élèves dérivent de la façon "apprise" en classe de la façon suivante: to poach Æ braconner Æ poaching a un sens général (rajouté par certains)Æ braconnage. III- Les termes employés par les élèves Il semble nécessaire de s'arrêter sur les termes ou expressions employés par les élèves, tels que: "action en cours de développement", "présent continu", "action terminée / pas terminée / qui continue", "présent / passé", "action révolue", "action déjà déroulée", "temps continus", "action", "durées", "passif", "faire l'action", "la subir", " progressivité", "sens général"... Que recouvrent-elles exactement? Nous voyons bien que le coeur du problème est ici celui de l'activité de verbalisation ou de conceptualisation. L'enseignant ne peut jamais être absolument certain du sens que recouvrent ces termes ou expressions: le métalangage est donc à négocier ou, du moins, à expliciter pour que les élèves puissent exprimer les remarques qu'ils font sur ce nouveau système de représentation qu'est cette nouvelle langue. En effet, au cours de son apprentissage, l'apprenant bâtit des hypothèses à partir du "déjà là" constitué à la fois par sa connaissance de la langue maternelle et celle de la langue en 17
cours d'acquisition. A. Trévise3 écrit que "la perception du nouveau n'est jamais qu'une mise en relation à du déjà-là, donc un processus d'assimilation du nouveau à l'ancien. Le sujet humain élabore un nouveau système linguistique à partir du premier." En effet, l'apprentissage d'une langue seconde impose une nouvelle représentation de la réalité, et donc tout un travail de réorganisation de ce nouveau système de représentations. L'acquisition se produit donc avec un travail conscient sur la langue et son usage, et une mobilisation de représentations nouvelles. L'activité métalinguistique, c'est-à-dire l'activité de discours sur du discours, est omniprésente chez l'apprenant: la langue devient objet de réflexion en acquisition. La conceptualisation est alors un passage obligé. Le rôle de l'enseignant est donc celui de développer, de clarifier, de préciser les "intuitions" des élèves en négociant les termes. L'explication métalinguistique ne vise pas à enseigner des règles de la langue, mais cherche à consolider des savoirs déjà partiellement intériorisés par une réflexion menée par les apprenants. Un cours de langue ne saurait être comparé à un cours de linguistique. L'activité de conceptualisation ne se réduit donc pas à une accumulation de termes sophistiqués mais doit plutôt être envisagée comme une création de repères utiles que maître et apprenants auront à discuter, à négocier. Il s'agira alors d'une véritable négociation du sens entre enseignant et apprenant. A.C. Berthoud4 écrit que "L'activité de conceptualisation apparaît comme un relais qui donne à l'apprenant les moyens qu'il veut, la manière dont il comprend, interprète le fonctionnement des données linguistiques qu'il est en train d'acquérir à un moment de son apprentissage." Il est vrai que les élèves n'ont pas à avoir une "conscience" métalinguistique des règles qu'ils possèdent déjà pour attribuer une "étiquette" à une régularité observée. A ma question: "Peut-on réellement parler d'"action" pour qualifier un adjectif tel que interesting? Les élèves répondent majoritairement "non" mais ne savent plus comment le nommer. Se met en place alors un travail de négociation métalinguistique grâce à une pratique raisonnée de la langue: nous sommes arrivés alors à la notion d'"état présent" (il s'agit bien de l'état BE INTERESTING) alors que BE INTERESTED, que l'on peut également qualifier d'"état", est placé par l'énonciateur dans le domaine du passé afin d'exprimer un passif. Ici, interested ne peut qualifier qu' un sujet animé et donner une indication sur son état que l'énonciateur place dans le domaine du "classé", du révolu. Il n'y a plus la moindre notion de processus, de "mouvement" comme pour interesting, ce qu'avaient certainement pressenti les élèves en parlant d'"action". Le fossé est donc large entre le domaine du "pressenti", de l'épilinguistique, de l'inné et le domaine de la conceptualisation, du métalinguistique, de l'acquisition. 3A.Trévise, Etudes de linguistique appliquée, "Acquisition / Apprentissage / Enseignement d'une langue 2: modes d'observation, modes d'intervention" (n°92, Oct-Déc. 1993) 4A.C. Berthoud, Les langues modernes n° 5, "Les erreurs des élèves: qu'en faire?" (1987). 18
C'est donc à l'enseignant de fournir les outils pour interroger la langue, l'objectif étant bien celui d'apprendre à apprendre et ainsi de renforcer l'autonomie de l'apprenant. Cependant, les notions métalinguistiques employées par les élèves peuvent également être analysées en termes de "réflexes scolaires" formels qui n'impliquent pas de véritable réflexion sur le sens, le contexte. La difficulté d'accès au symbolique pourrait bien être une des causes majeures des erreurs des élèves. III- L'ANALYSE DES ERREURS DES ELEVES 19
I- Le rôle de l'interférence avec la langue maternelle Nous devons partir du principe que la langue maternelle des élèves, à savoir le français dans cette classe, et ses "règles", sont acquises, ne serait-ce qu'à un niveau épilinguistique, c'est-à-dire, inné. Leur langue seconde, l'anglais, et ses "règles", sont en cours d'apprentissage. D'après E. Cabrejo-Parra5, l'acquisition d'une première langue implique nécessairement la construction d'une représentation des phénomènes linguistiques, alors que l'apprentissage des langues étrangères implique une re- construction, une découverte d'autres possibilités représentatives. Cependant, les élèves ont souvent tendance à transférer les structures de la langue première à la langue seconde, d'où les fréquentes interférences avec le français, erreurs souvent appelées "de calque". Cette influence de leur langue maternelle va jouer un rôle déterminant dans la construction de leur interlangue: le système préalable aux hypothèses bâties sur la langue seconde est la langue première, elle constitue un "cadre linguistique", une espèce de filtre à l'appropriation du nouveau système. Un autre type d'erreur est dû à la surgénéralisation des règles de la langue-cible, mais l'erreur faisant l'objet de mon étude n'est apparemment pas due à un problème de surgénéralisation ni d'interférence avec le français puisque, globalement, les structures françaises concernant les adjectifs en -ANT et -E ou les participes présents / passés suivent les mêmes règles de répartition des marqueurs. Les processus cognitifs mis en place quant à l'attribution des suffixes sont quasiment identiques. C'est donc un cas 5E. Cabrejo-Parra, Les langues vivantes à l'école élémentaire (Actes du colloque de l'I.N.R.P., Juin, 1992) 20
d'erreur où l'interférence avec le français, c'est-à-dire la comparaison avec les deux langues, joue un rôle positif dans l'apprentissage de la langue seconde en décrivant et prédisant le comportement linguistique de celle-ci. II- La focalisation sur la forme Revenons sur les définitions d'acquisition et d'apprentissage. L'acquisition est un processus subconscient (intériorisation des régularités), implicite (l'apprenant n'acquiert pas un savoir sur la langue), orienté vers la signification plus que vers les formes, en contexte naturel ou institutionnel. Elle est du domaine de l'intuition grammaticale. L'apprentissage est conscient, il s'agit d'une connaissance réflexive, explicite, de savoirs constitués sur la langue et ses emplois, orientée plus vers les formes que les significations. Si cette erreur n'est pas due à l'interférence avec le français, l'avancée dans les recherches prouve qu'elle est en partie due à un problème de surgénéralisation de certaines règles de la langue-cible et que les apprenants focalisent toute leur attention sur les formes selon un apprentissage "réflexe" plus que sur le sens proprement dit, en ne prenant pas en compte le contexte. Les élèves n'arrivent donc pas à saisir le point de vue ou la perspective de l'énonciateur.. Ils ont appris qu'après l'auxiliaire BE, le suffixe -ING sert à former le "présent continu", qu'après l'auxiliaire HAVE, le suffixe -ED, qui rappelle la deuxième forme de la conjugaison, le passé, sert à former le "present perfect" mais l'utilisation de BE + p.p. pour former la voix passive relève de structures moins acquises et nécessite une réflexion sur le contexte. Dans la deuxième partie, nous avons vus que pour le premier exercice concernant les adjectifs, 40% ne soulignaient que les adjectifs en -ING et "ignoraient" ceux en -ED lorsqu'ils avaient le choix entre les deux. Or, les énoncés a), b), et d) comprennent l'auxiliaire BE: a) This book is very interesting / interested. b) This child is tiring / tired. d) They are drying / dried flowers. A la question "A quelle catégorie grammaticale appartient le mot en -ING ou -ED?", quelques uns répondent "-ING: verbe, -ED: adjectif". Ils n'ont donc visiblement pas cerné la catégorie grammaticale commune des mots en -ING ou -ED et ont une réponse "machinale", "réflexe" qu'un travail structural de l'apprentissage implique. 21
Dans le quatrième exercice, énoncé a): a) Japanese bosses are overloaded with work, à peu près la moitié des élèves barrent overloaded et remplacent par overloading. Encore une fois, il s'agit d'un réflexe grammatical consistant à "mettre" -ING après l'auxiliaire BE. 60% des élèves acceptent l'énoncé b), b) The Japanese are hypnotizing, sans se soucier du contexte qui nécessiterait un complément d'objet pour que le suffixe -ING soit possible. Une de leurs conclusions "Il faut utiliser -ING comme verbe et -ED comme adjectif" résume la situation: le marqueur -ING s'applique aux verbes selon la "règle" BE + ING et -ED s'applique aux adjectifs: dans l'énoncé c) de l'exercice 1, c) They collect poaching / poached ivory poached a la place "type" de l'adjectif épithète et devient facilement repérable. On pourrait parler de "conditionnement" grammatical de l'apprentissage en repérant les attitudes et réponses réflexes des élèves. Lorsque je demande, "Pourquoi ne pas avoir barré hypnotizing dans 4-b) The Japanese are hypnotizing, la réponse instantanée est: "Ah non, c'est passé" ou "c'est du passif". Quelques secondes de réflexion sur le contexte impliquent donc une rectification immédiate, mais non pas empreinte là encore de clichés: "passif" équivaut à "BE + p.p." à un niveau strictement formel mais les élèves ne paraissent pas encore faire le lien entre la forme et le sens. Une des conclusions recueillies sur la valeur de -ED est, tel après un "stimulus pavlovien": "-ED: après être: passif". Cette observation dénonce un enseignement cloisonné de la grammaire et un travail peut-être trop structural (sous la forme des pattern drills) sur les faits de langue sans tenir assez compte du contexte. III- A la recherche du sens perdu... Cette focalisation sur la forme, les signes linguistiques, s'accompagne tout de même d'un perception du sens. D'après les conclusions des élèves sur la valeur des deux marqueurs, ceux-ci "pressentent" que les deux suffixes servent à "donner un sens", à "modifier le sens du mot" ou encore à "changer le sens d'un mot à partir d'un même radical". Mais l'accès à la sémantique semble s'arrêter au niveau de l'unité du mot (un élève parle de "radical"), et non pas au niveau de l'unité phrastique ou contextuelle / situationnelle. Cependant, certains clichés sémantiques semblent rentrer en ligne de compte. Certains des élèves qui ont barré overloaded dans l'énoncé 4-a): 22
a) Japanese bosses are overloaded with work et remplacé par overloading font également ce type de remarques: * "quand ces phrases sont passives, on utilise la forme -ED" * "quand le sujet fait l'action: -ING, quand il la subit: -ED". A en juger par ces conclusions, un sujet tel que "Japanese bosses" avec la charge sémantique qu'il contient (a boss is someone who dominates) ne peut qu'"accomplir" une action. Aux yeux des élèves, a boss cannot be submitted to something or someone, d'où l'utilisation du suffixe -ING attribué au domaine de l'actif. Aux réflexes linguistiques et métalinguistiques viennent donc s'ajouter des clichés au niveau sémantique du mot. Le contexte ou la situation ne sont pas pris en compte. Ce qui semble manquer à la réflexion des élèves est le lien entre forme et sens, une mise en relation entre signifiant et signifié. Les élèves "collent" à la forme et ne semblent pas voir plus loin que le sens du mot. Le mot apparaît comme une image isolée, hors contexte. Il n'est qu'un support visuel auquel l'on "accroche", comme par réflexe, tel ou tel suffixe d'après ce que l'on sait déjà de la langue et de ses règles. La forme semble être détournée de son sens premier: elle est prise par les élèves comme une fin en soi au lieu d'être un moyen d'accéder au sens et donc à la communication. La règle ou les termes métalinguistiques servent pour eux- mêmes, l'apprentissage est visé pour lui-même et non pas pour communiquer. Le contexte qui donne accès au sens et à la symbolique du texte est mis de côté. L'image du mot prime, barrant l'accès au sens. On pourrait tourner cela en empruntant les termes au psychologue Lacan en disant que l'"imaginaire" des élèves empiète sur le "symbolique". 23
* CONCLUSION * Au travers de cette étude, nous avons pu constater que les erreurs sur la répartition des marqueurs -ING et -ED sont essentiellement dues à une non prise en compte du contexte et du sens général. Lorsque les énoncés sont présentés sous forme d'exercices, isolés de leur contexte initial, les élèves font preuve de réponses réflexes au niveau formel, à partir de ce qu'ils ont déjà acquis lors de leur apprentissage de l'anglais. Ces erreurs sont plus que révélatrices de leur interlangue, elles trahissent également un enseignement trop orienté vers le travail structural conditionnant, et pas assez vers un sémantisme contextuel. Nous avons cependant vu que les termes théoriques de la première partie recoupent "dans les grandes lignes" le métalangage des élèves mais il manque encore à ceux-ci des outils supplémentaires pour expliquer et s'exprimer sur les diverses structures de la langue et les valeurs qu'elles dénotent. Cependant, ceci soulève le problème de la généralisation et de la simplification dans lequel l'enseignant ne doit pas tomber: une de ses fonctions majeures étant bien celle de médiateur entre la connaissance théorique et ce qu'ont envie ou besoin d'exprimer les élèves. 24
Le type d'erreur étudié montre que l'interférence avec leur langue maternelle est, dans ce cas, positive puisque les mécanismes structuraux existants en français sont similaires au niveau de la répartition des marqueurs. Les élèves ont d'ailleurs paru éclairés lorsqu'ils ont perçu les régularités et les similarités avec la valeur des participes présents ou passés ou adjectifs en -ANT ou -E français. Cependant, le problème de la surgénéralisation des règles de la langue-cible est également la cause des erreurs dans le sens où les élèves emploient les deux suffixes de façon quasi-mécanique selon le mot qui précède (auxiliaire ou nom pour les adjectifs). Il est vrai qu'au début de la classe de seconde, les élèves se fixent plus volontiers sur la forme de par l'enseignement en collège mettant plus l'accent sur les faits de langue. Une langue est bien un ensemble de formes et la forme crée le sens. L'enseignant des classes de lycée doit donc, tout en prenant soin d'enrichir les connaissances au niveau formel (structures grammaticales, lexique...) veiller à orienter l'apprentissage vers la découverte du sens, la prise en compte du contexte. Pour reprendre les termes du linguiste Saussure, une langue n'est qu'un ensemble de signes (répartis de façon arbitraire) servant de support pour l'expression du signifié (le sens). L'ensemble des langues, constituant le langage signifiant, est bien la transcription symbolique d'un sens universel qui rend toute communication possible. Mais ce "déficit du symbolique" évoqué dans la troisième partie pourrait bien être lié à une communication amoindrie en ce siècle par un écran monopolisant l'attention, impliquant ainsi un imaginaire hypertrophié aux dépens du symbolique. Je parlais dans l'introduction de grandes qualités d'imagination de ces élèves avec des devoirs assez pauvres au niveau de l'expression. En effet, le descriptif se trouve au premier plan et l'accès aux structures pour pouvoir exprimer ces images mentales est laborieux. Après cette analyse, ils semble qu'un travail impliquant une réflexion sur le sens général d'un texte s'impose accompagné d'activités telles que l'inférence et la référence (referre en latin signifiant "rapporter", mettre en relation), car il s'agit bien de permettre aux élèves de faire ce "pas de côté" vers la sémantique globale. Un des rôles de l'enseignant est bien celui de solliciter une réouverture vers le signifié, le contexte, le sens qui est indispensable à la communication. 25
ANNEXES 26
MODULE: -ING / -ED 1) Soulignez l'énoncé qui vous semble le plus probable. Quelques fois, les 2 sont possibles. a) This book is very interesting / interested. b) This child is tiring / tired. c) They collect poaching / poached ivory. d) They are drying / dried flowers. A quelle catégorie grammaticale appartient le mot en -ING ou -ED? Æ Quelle(s) conclusion(s) tirez-vous? Æ 2) Cochez les énoncés qui vous semblent acceptables. a) He likes reading. 27
b) The ivory comes from illegal killed. c) Most children usually prefer painted to art galleries. d) I don't appreciate his playing the trombone every night. Catégorie grammaticale? Æ Qu'observez-vous? (d) Æ Conclusions? Æ 3) Soulignez l'énoncé qui vous semble le plus probable. a) You must be thinking / thought he is a fool. b) They are spent / spending the week-end with their parents. c) It's no use hurried / hurrying now, we've missed the train. d) They've been waited / waiting for hours in the rain. Catégorie? Æ Pourquoi avez-vous fait ces choix? Æ 4) Cochez les énoncés que vous n'acceptez pas. a) Japanese bosses are overloaded with work. b) The Japanese are overworking, hypnotizing. c) It is about elephants killed for their ivory. d) Some elephants were killing because their ivory was expensive. e) This document was written in 1991. 28
Pourquoi sont-ils inacceptables? Æ Catégorie? Æ Conclusion générale sur ces exercices? Æ Quelle est la valeur des suffixes -ING: Æ - ED: Æ Sont-ils des opérateurs? Æ A quoi servent-ils? Diriez-vous maintenant que poaching signifie "braconnier"? Æ Pourquoi? Æ * BIBLIOGRAPHIE * * Berthoud, A.C., Les langues modernes, n°5, "Les erreurs des élèves: qu'en faire?" (1987) Du linguiste à l'enseignant (1993) * Cabrejo-Para, E., Les langues vivantes à l'école élémentaire (Actes du colloque de l'I.N.R.P., Juin, 1992) * Cotte, P., L'explication grammaticale des textes anglais (P.U.F., 1996) * Giacobbe, J., Acquisition d'une langue étrangère: interaction et cognition (C.N.R.S. eds, 1992) 29
* Lapaire, J.R. et W. Rotgé, Réussir le commentaire grammatical de textes (Ellipses, 1992) * Quivy, M. et Cl. Tardieu, Réussir l'épreuve sur dossier au C.A.P.E.S. (Ellipses, 1995) Glossaire de didactique de l'anglais * Souesme, J.C., Grammaire anglaise en contexte (Ophrys, 1992) * Trévise, A., Etudes de linguistique appliquée (n°92, Oct.-Déc., 1993) * Tustes, Cl., Théories linguistiques en pratique grammaticale (Les langues modernes, n°3/4, 1989) * Véronique, D., Recherches sur l'acquisition des langues secondes: un état des lieux et quelques perspectives (G.R.A.L. Université de Provence) 30
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