Esotérisme trahi, textes tronqués : une escroquerie juteuse
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Esotérisme trahi, textes tronqués : une escroquerie juteuse… Source : « Code da Vinci : l’enquête » Ed. Robert Laffont. Coll. Points – 261 p – 6€ Source : http://www.la-bible.net/article.php?refart=qumran Textes apocryphes, histoire des Esséniens, sexualité du Christ, théorie du complot, un ramassis rocambolesque écrit par Dan Brown et décortiqué par F.Lenoir et M.F. Etchegoin. Cette dernière est grand reporter au Nouvel Observateur et Frédéric Lenoir est docteur de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et dirige la rédaction du Monde des religions. Quant à Jean-Claude DUBS, Bibliste, il est chercheur associé au CNRS, auteur avec Jean-Pierre Bagot de l'ouvrage « Pour lire la Bible » Ils nous montrent comment, à partir de textes authentiques on fabrique de fausses histoires mais de vrais profits ! « Code da Vinci : l’enquête » : pp 115 124 Les Évangiles apocryphes «Heureusement pour les historiens, reprit Teabing, certains de ces Évangiles interdits ont survécu. On a découvert en 1947 les manuscrits de la mer Morte dans une grotte, à Qumrân, en plein désert de Judée. Et on avait trouvé en 1945 les parchemins coptes de Nag Hamadi. Tous ces textes racontent la véritable histoire du Graal, tout en relatant le ministère de Jésus sous un angle très humain» (p. 293). Pour fonder sa thèse sur «la véritable histoire du Graal» impliquant la personne de Marie Madeleine (le vrai Graal) et son union avec Jésus, Dan Brown s'appuie sur deux grandes découvertes. Nous parlerons au chapitre sui- vant des manuscrits de la mer Morte. Intéressons-nous d'abord aux écrits coptes découverts à Nag Hamadi, et aux Évangiles apocryphes. Les manuscrits de Nag Hamadi En 1945, un paysan égyptien trouve par hasard des manuscrits anciens dans une jarre enterrée au pied de la falaise Djebel el-Tarif, à quelques kilomètres du village de Nag Hamadi, en Haute-Egypte. L’itinéraire de ces manuscrits jusqu'à leur mise sur le marché des antiquaires du Caire en 1946 reste confus, marché noir oblige ... Le Musée copte du Caire réussit heureusement à faire l'acquisition de l'essentiel de ces textes entre 1949 et 1952 (ils y sont toujours consultables). La collection rassemble treize codex, chacun comportant plusieurs textes, soit près de 1 200 pages en tout. Ces manuscrits, pour la plupart très bien conservés, ont été rédigés en copte (langue des Égyptiens de l'Antiquité) sur des feuilles de papyrus (non des parchemins, comme l'écrit Brown, et non pas assemblées en rouleaux, mais pliées en cahiers et reliées).
Il s'agit d'une découverte extraordinaire concernant le christianisme primitif. Datant du IVe siècle, ces papyrus constituent une véritable bibliothèque de textes apocryphes et gnostiques, dont certains Évangiles qui nous étaient totalement - ou partiellement inconnus. Avant d'examiner leur contenu, une petite explication s'impose sur la signification des termes «apocryphe» et «gnostique ». Les apocryphes et la gnose Dans le christianisme, le terme «apocryphe» (du grec apokruphos, «secret», «caché») s'applique à des textes qui ne font pas partie de l'ensemble des textes dits «canoniques», c'est-à-dire approuvés par l'Église et rassemblés dans la Bible. Il existe ainsi des textes apocryphes de l'Ancien Testament (écrits juifs) et du Nouveau Testament (écrits chrétiens). La plupart des apocryphes du Nouveau Testament ont été produits et ont circulé dans les communautés chrétiennes entre le ne et le VIe siècle. Beaucoup de ces textes sont des mêmes genres littéraires (lettres, évangiles, etc.) que les textes canoniques. On trouve ainsi des Évangiles (de Pierre, de Philippe, de Thomas, de Marie ...), des Actes (de Jacques, de Jean, de Pierre ...), des Épîtres (des apôtres, de Bar- nabé, de Paul...) et des Apocalypses (de Jacques, de Pierre, de Paul...). Comme cela est courant dans l'Antiquité, et pas seulement en ce qui concerne les textes chrétiens, ces écrits sont toujours attribués à des auteurs célèbres pour leur donner une légitimité on appelle ce procédé la pseudépigraphie. Autrement dit, il est fort peu probable que les apôtres cités aient été les rédacteurs des textes qui leur sont attribués (et cette remarque vaut aussi d'ailleurs pour les textes canoniques). Du point de vue de la critique historique moderne, les écrits apocryphes ne sont ni plus ni moins vrais que les textes canoniques. Comme ces derniers, ils reflètent la foi qu'enseignaient les communautés chrétiennes de l'époque. Certains, comme l'Évangile de Pierre (daté du II°siècle), témoignent de la foi des communautés judéo- chrétiennes avant la rupture définitive du christianisme et du judaïsme, au tournant du Ier et du II°siècle. D'autres, comme le Protévangile de Jacques (IIe siècle également), montrent une foi populaire qui laisse une grande place au merveilleux: ils cherchent notamment à combler les vides des Évangiles canoniques sur l'enfance de Jésus et ils ont beaucoup contribué à former l'imaginaire chrétien (l'histoire de la crèche de Noël, du bœuf et de l'âne, par exemple). D'autres, enfin, témoignent des désaccords et des débats théologiques qui ont marqué les premiers temps du christianisme avant que ne se dégagent des conceptions de foi considérées comme orthodoxes. Ceux-ci ont été associés à des formes de croyances jugées «hérétiques» puisqu'ils défendaient des thèses rejetées par la majorité. Parmi ces derniers textes, certains sont dits «de tendance gnostique». La gnose, mot qui signifie «connaissance» (en grec gnosis), est un vaste mouvement philosophique et religieux de l'Antiquité qui s'est développé au sein du christianisme au cours des premiers siècles, particulièrement en Égypte. Les gnostiques prônent un dualisme entre un Dieu bon, créateur de l'âme immortelle, et un démiurge mauvais, créateur du monde physique, qui a emprisonné les âmes dans des corps. Contrairement au christianisme «orthodoxe », qui stipule que le salut est accessible à tous par la foi et par l'amour, les textes gnostiques affirment qu'il est réservé aux seuls initiés, ceux qui possèdent la clef de la connaissance véritable, d'où l'intérêt qu'ils suscitent encore aujourd'hui dans les milieux ésotériques. Certains de ces textes affichent ainsi leur caractère «secret» (c'est pourquoi ils sont dits «apocryphes» dans leur titre même), comme l'Évangile de Thomas découvert à Nag Hamadi dont le titre exact est: Paroles secrètes que Jésus le vivant a dites et qu'a écrites Didyme Jude Thomas. Mouvement ésotérique par excellence, la gnose fut fortement combattue par les Pères de l'Église qui la jugeaient contraire au message universel du Christ. Une bibliothèque gnostique du IVe siècle L'origine de la collection de livres de Nag Hamadi reste sujette à discussion, certains historiens pensant qu'elle pourrait provenir d'une communauté monastique chrétienne de la fin du IVe siècle, d'autres réfutant cette hypothèse en raison de la grande diversité des textes
réunis. Toutefois, il ne fait aucun doute que l'ensemble reste plus ou moins marqué par les thèmes gnostiques, notamment celui de l'exil de l'âme, de son enfermement dans la matière et de sa possibilité de libération par l'initiation et la connaissance. L'ensemble des treize codex regroupe cinquante-trois ouvrages (dont certains en plusieurs exemplaires) jusque-là inconnus ou seulement connus de manière indirecte par des citations dans d'autres écrits plus tardifs. Citons quelques titres: Évangile de vérité, Épître apocryphe de Jacques, Apocryphe de Jean, Sagesse de Jésus Christ, Évangile des Égyptiens, Apocalypse de Jacques, Dialogue du Sauveur ou encore Épître de Pierre. Les manuscrits de Nag Hamadi ont considérablement enrichi la connaissance des mouvements gnostiques, dont les textes étaient surtout connus par les mentions qu'en faisaient ceux qui les avaient combattus, comme l'évêque Irénée de Lyon dans son ouvrage Contre les hérésies (fin du II° siècle). Ces textes rejetés par l'Église apportent-ils des révélations sur la relation entre Jésus et Marie Madeleine? Une fois n'est pas coutume, la thèse de Dan Brown trouve ici un véritable point d'appui. Marie de Magdala, compagne de Jésus? Parmi les divers Évangiles apocryphes découverts à Nag Hamadi, l'un d'entre eux fait explicitement référence à Marie de Magdala et la présente par deux fois comme la compagne de Jésus. Il s'agit de l'Évangile de Philippe, du nom de l'un des douze apôtres. Un universitaire français, Jacques Ménard, l'a intégralement traduit du copte en français. Voici sa traduction des deux passages qui nous intéressent: «Trois marchaient toujours avec le Seigneur. Marie sa mère, et la sœur de celle-ci, et Myriam de Magdala, que l'on nomme sa compagne, car Myriam est sa sœur, sa mère et sa compagne» (59). Quelques pages plus loin le texte précise: «Le Seigneur aimait Marie plus que tous les disciples, et Il l'embrassait souvent sur la bouche. Les autres disciples Le virent aimant Marie, ils Lui dirent: "Pourquoi l’aimes- Tu plus que nous tous?" Le Sauveur répondit, et dit: "Comment se fait-il que je ne vous aime pas autant qu'elle?"» (63). Ce second texte est cité par Dan Brown (p. 308). Conclusion du professeur Teabing dans le roman? Voilà la preuve que Marie de Magdala était bien l'épouse de Jésus. Cette interprétation n'est pas à exclure, mais elle est un peu rapide. D'abord parce que l'Évangile de Philippe est le seul parmi les dizaines de textes canoniques et apocryphes qui présente explicitement Marie de Magdala comme la compagne du Christ. Rien ne prouve donc qu'il soit conforme à la vérité historique. On objectera, selon la thèse du Da Vinci code, que l'Église, justement, n'a conservé que les Évangiles qui taisaient ce secret. Certes, mais on peut se demander aussi pourquoi les nombreux autres Évangiles apocryphes, également rejetés par l'Église, n'en font pas état? D'autre part, une lecture intégrale de l'Évangile de Philippe plaide pour une autre interprétation. Ce texte assez long se présente, à l'inverse des Évangiles canoniques, non pas comme un récit de la vie de Jésus, mais comme un florilège de sentences, dont certaines sont attribuées à Jésus, «le Seigneur». L'intention de l'auteur, ou des auteurs, n'est pas d'ap- porter une connaissance des faits, gestes et paroles du Christ, mais de transmettre un enseignement ésotérique à travers un ensemble de paroles et de métaphores mystiques. Les spécialistes de Nag Hamadi ont bien montré le caractère gnostique de ce texte, véritable traité initiatique sur les noces spirituelles entre Dieu et l'âme humaine déchue. Or ces noces mystiques se réalisent grâce au «souffle» (l'équivalent copte du pneuma grec) que communique le Christ à ses véritables disciples. De nombreux passages de cet Évangile de Philippe utilisent les images d' «étreinte» et de « baiser» pour signifier la transmission du souffle à l'initié. Comme le fait également remarquer le philosophe et théologien orthodoxe Jean-Yves Leloup - auteur d'une traduction plus littéraire de l'Évangile de Philippe à partir du texte de Ménard -, le sens du baiser de Jésus et de Myriam de Magdala n'est compréhensible que si on le situe non seulement dans le contexte gnostique, mais aussi dans celui du judaïsme mystique. Or le mot «baiser », en hébreu (nashak), signifie «respirer ensemble». La mystique juive
évoque la transmission du souffle divin par l'image d'un baiser, et c'est dans la conjonction des baisers que se transmet le secret qui introduit à la «chambre nuptiale», le véritable saint des saints. C'est bien là le thème central de l'Évangile de Philippe: Jésus transmet le souffle à ses disciples pour les faire entrer dans la chambre nuptiale, et c'est également par le baiser qu'est signifiée la transmission entre initiés: «L'homme accompli devient fécond par un baiser et c'est par un baiser qu'il fait naître. C'est pourquoi nous nous embrassons les uns les autres et nous nous donnons mutuellement naissance par l'amour qui est en nous» (Évangile de Philippe, 59). Dans ce contexte symbolique et mystique, Myriam de Magdala apparaît beaucoup plus logiquement comme le modèle du disciple parfait que comme la maîtresse du Christ. C'est la raison pour laquelle les disciples sont jaloux et demandent à Jésus pourquoi il l'aime plus qu'eux. Que le modèle du disciple parfait (celui qui échange le baiser avec le Seigneur) soit une femme apparaît aussi dans la logique du texte, qui présente l'union du masculin et du féminin comme l'image en ce monde de l'union de l'âme à Dieu. Mais, comme dans tous les textes gnostiques, l'union charnelle est dépréciée et doit être comprise comme l'image ou le point d'appui d'une union purement spirituelle. La conclusion de l'Évangile de Philippe est sans ambiguïté: «Ceux qui étaient séparés pourront de nouveau s'unir et se féconder. Tous ceux qui pratiqueront l'étreinte sacrée allumeront la lumière, ils n'engendreront pas comme on le fait dans les mariages ordinaires qui se font dans l'obscurité. » L'Évangile de Marie Dan Brown cite également un passage d'un autre Évangile apocryphe, le seul attribué à une femme ... Marie de Magdala. L'Évangile de Marie est le premier traité d'un papyrus gnostique copte, découvert chez un antiquaire du Caire à la fin du XIXe siècle. Il est conservé depuis 1896 au département d'égyptologie des musées nationaux de Berlin. Très bref et amputé d'un bon tiers, il est également d'inspiration gnostique. Marie est présentée comme celle qui conserve des souvenirs de Jésus que les disciples ne connaissent pas. Aucune mention d'une quelconque union charnelle avec Jésus, mais une claire allusion à la jalousie des apôtres: «Pierre dit à Marie: "Sœur, nous savons que l'Enseigneur t'a aimée différemment des autres femmes. Dis-nous les paroles qu'il t'a dites dont tu te souviens et dont nous n'avons pas connaissance."» Après un discours très ésotérique de Marie, André met en doute ses propos, bientôt relayé par Pierre, qui ajoute: «Est-il possible que l'Enseigneur se soit entretenu avec une femme sur des secrets que nous, nous ignorons? Devons-nous changer nos habitudes, écouter tous cette femme? L'a-t-il vraiment préférée à nous?» (Jean- Yves Leloup, L'Évangile de Marie). Ces passages peuvent aussi être interprétés de plusieurs manières. Le lien particulier entre Jésus et Marie peut être compris comme une relation amoureuse, mais aussi comme une relation entre un maître et son disciple préféré, dépositaire des secrets ultimes. Replacées dans leur contexte, les mentions du lien particulier entre Jésus et Marie de Magdala prennent donc un tout autre sens que celui suggéré par le Da Vinci code, même si personne ne pourra jamais affirmer avec certitude qu'il n'y eut jamais entre eux de relation chamelle. Encore une fois, cette question doit sortir du tabou pour être traitée sans esprit partisan. Nous reviendrons dans les chapitres ultérieurs et en conclusion sur cette question cruciale du féminin et de la sexualité dans le christianisme. (…) « Code da Vinci : l’enquête » : Pp 127 131 Les Esséniens L'historien juif Flavius Josèphe (1er siècle) évoque brièvement l'existence de cette
communauté juive, ainsi que Philon d'Alexandrie et Pline l'Ancien, qui mentionne un établissement essénien «au bord d'Ein Gedi », ce qui correspond à la localisation de Qumran. Les manuscrits découverts à partir de 1947 donnent une vision plus complète et plus nuancée de ce mouvement juif, né sans doute au milieu du ne siècle avant J.-c. à la suite de l'échec de la révolte des Maccabées. Il s'agit d'un mouvement très marqué par la convic- tion que la fin des temps est proche (cette perspective apocalyptique est assez répandue à l'époque dans divers groupes juifs contestataires). Les esséniens de Qumran se considéraient comme «les fils de lumière» opposés aux «fils des ténèbres». Ils formaient une communauté d'hommes, probablement célibataires, ayant choisi de vivre en marge et se préparant avec ferveur à la fin des temps et à la victoire finale sur le mal. La règle imposait un idéal de détachement et de pureté très exigeant (il y avait de nombreux rites de purification par l'eau) ainsi que des temps réguliers de prières et d'études des textes. Les biens matériels étaient obligatoirement mis en commun. Les esséniens s'opposaient au Temple de Jérusalem. Ils jugeaient qu'il était tombé entre les mains de prêtres impies. Ils attendaient un messie* qui viendrait parachever leur œuvre salutaire. On trouve aussi mention, dans les manuscrits, d'un «maître de justice» opposé au «prêtre impie» (celui du Temple). Ce «maître de justice» est difficilement identifiable. Certains experts y voient la désignation du chef de la communauté, d'autres celle de son fondateur, un réformateur chassé du Temple, peut-être un siècle avant notre ère. Jésus était-il un essénien? L'attente de la fin des temps, la préfiguration du messie dans la figure du maître de justice, l'opposition avec le Temple ... Le lien est vite fait entre ces croyances esséniennes et celles des premiers chrétiens. Il est d'ailleurs antérieur à la découverte des textes de Qumrân. «Le christianisme est un essénisme qui a largement réussi », affirmait déjà Ernest Renan à la fin du XIXe siècle. Le roi de Prusse Frédéric II avait aussi écrit à D'Alembert, en octobre 1790: «Jésus était proprement essénien. » Dès 1950, André Dupont-Sommer, secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres soutenait dans ses Aperçus préliminaires sur les manuscrits de la mer Morte: «Le maître galiléen, tel que nous le présentent les écrits du Nouveau Testament, apparaît à bien des égards comme une étonnante réincarnation du maître de justice ( ... ) » Les liens supposés, voire possibles, entre esséniens et premiers chrétiens prêtent toujours à discussion. En particulier autour de trois points essentiels: 1) Jean-Baptiste. Il a exercé son activité à proximité de Qumrân, il était célibataire et annonçait l'avènement imminent du Royaume de Dieu. Il est donc fort probable qu'il ait connu quelque chose de cette communauté, voire qu'il y soit passé avant de s'en détacher. Toutefois, rien ne permet de l'affirmer avec certitude. 2) Jésus et le maître de justice. Le rapprochement est tentant, mais il existe cependant des différences importantes entre leurs deux enseignements. Le maître de justice s'adresse à un petit groupe de disciples retirés du monde, tandis que Jésus propose son enseignement à tous, le plus souvent sous la forme de paraboles, et entend offrir sa vie «pour la multitude ». En outre, si l'on en croit le témoignage de Flavius Josèphe dans son Histoire des Juifs, les esséniens «rejetaient les femmes, les pécheurs et les infirmes », alors que les Évangiles nous montrent un Jésus entouré de femmes, de pécheurs et d'infirmes ... au grand dam d'ailleurs de ses détracteurs. 3) La première communauté chrétienne. Certaines pratiques esséniennes ont pu avoir une influence sur les premiers chrétiens: le repas communautaire ou la mise en commun des biens, par exemple, tout comme les textes apocalyptiques et l'attente messianique (qui est d'ailleurs partagée par d'autres groupes juifs). Des rapprochements ont été faits aussi entre un texte de Qumran qui applique à un être mystérieux le titre de «Fils de Dieu, Fils.du Très- Haut» et l'Évangile de Luc, I , 26-38. De même, l'expression «pauvre en esprit» (Matthieu, v, 3) «n'a de parallèle qu'à Qumran mais qui dit proximité littéraire ou thématique ne dit pas nécessairement dépendance », explique le spécialiste de Qumrân J.-P. Lémonon.
Certes, il n'en demeure pas moins que les ressemblances sont suffisamment frappantes pour qu'on puisse parler sinon d'influence, au moins de convergences, qui traduisent un état d'esprit commun permettant de mieux comprendre la naissance et l'enracinement du christianisme dans le contexte juif de l'époque. Selon Florentino Gracia-Martinez, professeur à l'université de Louvain et directeur du Qumrân Institut de l'université de Groningen: «L'idée que, dans les textes qumrâniens, nous trouverions déjà développés chacun des éléments qui forment l'image, multiforme et complexe, du Messie du Nouveau Testament (Messie, prêtre, serviteur, Fils de Dieu) me semble prouvée et incontestable, excepté l'image du Serviteur souffrant et rédempteur; que tous ces éléments aient été cumulés dans une seule personne n'est pas impensable, mais rien dans la documentation qui nous est parvenue ne l'atteste encore; que cette personne ait été le maître de justice attendu à la fin des temps n'est jamais avancé dans les textes.» « Code da Vinci : l’enquête » : Pp 142 147 Constantin et le christianisme En 306, à la mort de son père Constance Chlore, Constantin, âgé de vingt-six ans, est proclamé empereur par son armée. Il ne règne encore que sur la Gaule et la Bretagne. Allié à Licinius, Constantin devient le maître de l'Empire romain d'Occident après la victoire du pont Milvius en 312, près de Rome, contre l'armée de Maxence. Licinius et Constantin sont des «païens» adeptes du monothéisme solaire; pourtant, dans le but de pacifier l'Empire et conscients de l'importance prise par le christianisme, ils décident d'accorder aux chrétiens la liberté du culte et la restitution de leurs biens. L'Empire avait en effet connu une certaine paix religieuse durant la période de tolérance instaurée par l'empereur Gallien à partir de 260. Mais, en 303, l'empereur Dioclétien avait relancé les persécutions contre les chrétiens. Le premier acte majeur de Constantin et de Licinius à l'égard du christianisme est l'édit de Milan prononcé en 313, qui est resté dans l'histoire comme un exemple de tolérance religieuse. En voici les termes essentiels: «Nous, Constantin et Licinius, nous étant rassemblés à Milan pour traiter des affaires qui concernent l'intérêt et la sécurité de l'Empire, nous avons pensé que, parmi les sujets qui devaient nous occuper, rien ne serait plus utile à nos peuples que de régler d'abord la façon d'honorer la Divinité. Nous avons résolu d'accorder aux chrétiens et à tous les autres la liberté de pratiquer la religion qu'ils préfèrent, afin que la Divinité qui préside dans le ciel soit propice aussi bien à nous qu'à ceux qui vivent sous notre domination.» Constantin était-il chrétien? Selon la légende, sa conversion remonterait à la victoire de 312. En réalité, il s'est seulement fait baptiser sur son lit de mort, en 337. Et, c'est vrai, la part de conviction personnelle et de pragmatisme politique dans l'adhésion de Constantin au christianisme reste difficile à établir. Il n'était pas un enfant de chœur; beaucoup de ceux qui lui ont résisté l'ont payé de leur vie, y compris dans sa propre famille (il assassina sa femme Fausta et son fils aîné Crispus ...). Toujours est-il que Constantin soutient les chrétiens, au contraire de Licinius, qui règne sur la partie orientale de l'Empire et qui, après s'être brouillé avec Constantin, multiplie les mesures contre cette communauté. En 324, Constantin bat militairement Licinius, le fait exécuter et réunifie l'Empire. En 330, l'empereur fait de la ville grecque de Byzance sa capitale, Constantinople. Les premiers grands monuments chrétiens datent de son règne. Il finance la basilique du Latran et de Saint-Pierre à Rome, les églises du Saint-Sépulcre à Jérusalem, des Saints-Apôtres et de Sainte-Sophie à Constantinople ... La tolérance de Constantin à l'égard des chrétiens prend la forme d'une bienveillance active. Elle se traduit notamment par des mesures fiscales. Il
reconnaît également une juridiction particulière aux évêques, tout en contrôlant de près leurs activités. Mais parallèlement, et comme ses successeurs jusqu'en 382, Constantin conserve le titre traditionnel de pontifex maximus qui fait de lui l'autorité suprême des religions païennes. Comme l'affirme le Da Vinci code, Constantin instaure par une loi, en 321, le repos dominical. C'est certainement une mesure favorable aux chrétiens, qui ont pris l'habitude de se retrouver ce jour-là pour célébrer la résurrection du Christ. Mais cette mesure agrée aussi aux païens, notamment aux nombreux adeptes du culte de Mithra, qui ont fait de cette journée le «jour du soleil». Constantin a-t-il fait du christianisme la religion officielle de l'Empire romain, comme le soutient le Da Vinci code? Faux. C'est l'empereur Théodose (il règne de 379 à 395, soit près de quarante ans après la mort de Constantin) qui impose le christianisme comme seule religion reconnue dans l'empire. En 391, une loi interdit à Rome tous les actes cultuels du paganisme, des sacrifices de «victimes innocentes» (les animaux) jusqu'à la simple visite au temple. Un édit étend ces mesures en Égypte, où son application provoque de nombreux affrontements, parfois très violents et meurtriers, notamment à Alexandrie, entre les païens et les chrétiens de plus en plus convaincus de leur proche victoire sur l'idolâtrie. Un an plus tard, en 392, un deuxième édit élargit ces interdictions à tout l'Empire, en les renforçant. TI est désormais prohibé d'adorer les idoles jusque dans sa propre maison, en privé, sous peine de graves amendes et de confiscation des biens: «Toute maison où l'encens aura brûlé appartient au fisc. » Le concile de Nicée Revenons à Constantin, soixante ans plus tôt. L'empereur convoque en 325 le concile de Nicée, mai~ ce concile n'a rien à voir avec la constitution du canon des Écritures chrétiennes. S'il traite de questions d'organisation et de discipline de l'Église, il s'inscrit sur- tout dans le cadre des graves affrontements doctrinaux qui ont divisé le christianisme durant le IVe siècle. Le plus important d'entre eux porte sur une question centrale pour une religion monothéiste: comment le Dieu unique pouvait-il être trois, le Père, le Fils et l'Esprit? Le concile de Nicée constitue ainsi la première étape de la formulation de la doctrine du Dieu trinitaire du christianisme. Ainsi c'est l'arianisme, la doctrine d'Arius (256336), un prêtre d'Alexandrie, qui est à l'origine de la crise qui a conduit à la convocation du concile de Nicée. Le professeur Michel Meslin, l'un des meilleurs historiens du christianisme antique, explique dans L'Encyclopédie des religions que «pour Arius, les personnes divines au sein de la Trinité ne peuvent être égales ni confondues. La marque absolue de la divinité est, en effet, d'être non seulement incréée, mais aussi inengendrée. Or seule la personne du Père répond à cette définition. Le Fils de Dieu ne peut donc pas être aussi pleinement Dieu, puisqu'il a été engendré par le Père: Dieu second, il occupe une place intermédiaire entre le Dieu le plus transcendant et la création. Ainsi Arius aboutit à un monothéisme strict, absolu.» Malgré sa condamnation par l'Église d'Alexandrie, les idées d'Arius trouvent de nombreux partisans, y compris auprès des évêques de différentes communautés chrétiennes dans l'Empire. Soucieux d'apaiser un conflit qui ne cesse de s'envenimer et répondant à l'attente des évêques qui lui demandent de trancher le débat, Constantin convoque distinction du Père, du Fils et de l'Esprit: une seule nature (substance) en trois personnes. La règle de foi définie à Constantinople reprend et précise celle de Nicée en affirmant aussi, contre ceux qui la niaient, la divinité de l'Esprit saint. Cette formule de la foi chrétienne (le symbole de Nicée- Constantinople) est inchangée jusqu'à aujourd'hui et elle est commune à toutes les Églises chrétiennes. Mais l'arianisme s'est répandu entre-temps dans les marges de l'Empire, notamment chez les peuples germains (Goths et Wisigoths) évangélisés par des missionnaires ariens. L'arianisme ne disparaîtra vraiment qu'après la conversion du roi des Wisigoths d’Espagne, Recarède I° en 589. (…)
« Code da Vinci : l’enquête » : Pp147 157 Apocryphes et canon des Écritures chrétiennes Reprenons la lecture du Da Vinci code: «La Bible, telle que nous la connaissons aujourd'hui, a été collationnée par un païen, l'empereur Constantin» (p. 289). «Et c'est là que se place le virage décisif de l'histoire chrétienne. Constantin a commandé et financé la rédaction d'un Nouveau Testament qui excluait tous les Évangiles évoquant les aspects humains de Jésus, et qui privilégiait - au besoin en les "adaptant" - ceux qui le faisaient naître divin. Les premiers Évangiles furent déclarés contraires à la foi, rassemblés et brûlés ( ... ). Détail intéressant, tous ceux qui préféraient les Évangiles apocryphes à ceux que Constantin avait sélectionnés furent considérés comme hérétiques» (p. 293). Ces assertions sont historiquement inexactes: Constantin ne s'est jamais préoccupé de la rédaction d'une Bible chrétienne officielle. La constitution du canon des Écritures chrétiennes est un processus d'élaboration par étapes qui se déroule au cours des ne, Ille et IVe siècles, donc avant et après Constantin, et qui ne s'appuie pas sur une autorité centrale incontestable, telle que l'incarnera plus tard le Vatican pour l'Église catholique romaine. De manière très synthétique, voici quelles sont les principales étapes de l'institution des Écritures chrétiennes. - Justin, qui écrit à Rome vers 150, relate qu'on y lisait les Mémoires des apôtres. On sait en effet qu'au ne siècle circulaient de nombreux textes racontant les faits, les, gestes et les paroles de Jésus, ainsi qué des lettres et des textes apocalyptiques attribués aux apôtres. Aucune institution n'avait encore décidé que tel ou tel texte était authentique ou faux. - Le premier à élaborer une sélection stricte de textes chrétiens fut Marcion. Rejetant l'héritage juif du christianisme, il veut concentrer l'essentiel du message chrétien dans l'Évangile de Luc (dans une version arrangée par ses soins) et quelques épîtres de Paul. Sa tentative sera considérée comme une hérésie. Mais, selon les historiens, elle a sûrement contribué à inciter à faire un tri dans les écrits en circulation. - Le fragment de Muratori - du nom du bibliothécaire milanais qui a découvert ce document en 1740 daté du VIlle siècle -, se réfère à Pie, évêque de Rome mort en 154, et affirme notamment l'existence, à cette époque, des quatre Évangiles de Marc, Luc, Matthieu et Jean, des Actes des apôtres attribués à Luc ainsi que des treize épîtres de Paul. Le fragment de Muratori indique ainsi quels sont les critères de sélection; l'ancienneté des textes (il faut qu'ils soient au plus proche de l'origine) et le lien avec les apôtres (l'apostolicité). - Vers la fin du ne siècle, Irénée, évêque de Lyon, dresse une liste des quatre Évangiles (Matthieu, Marc, Luc et Jean) qui constitue, selon lui, la «Bonne Nouvelle». Il s'attaque aussi aux hérésies et notamment à la gnose, non conforme à la foi chrétienne véritable. - Eusèbe de Césarée présente, dans son Histoire ecclésiastique (écrite vers 325), les livres lus, à la fin du ne siècle, dans les Églises d'Orient: les quatre Évangiles, les Actes des apôtres, les lettres de Paul et la lettre aux Hébreux, les premières lettres de Pierre et Jean, ainsi .que d'autres ouvrages- qui ne seront pas retenus dans le canon définitif comme, par exemple, une Apocalypse de Pierre ou la Lettre de Clément de Rome aux Corinthiens (considérés comme des apocryphes qui, sans être contraires à la doctrine chrétienne, ne sont pas «inspirés» par Dieu). - Au cours du IVe siècle se fait ressentir la nécessité de distinguer une fois pour toutes les livres considérés comme «inspirés », de ceux qui ne le sont pas. C'est ce à quoi s'attellent différents
conciles régionaux. Durant cette période, aux critères de sélection déjà évoqués (1' ancienneté, l’apostolicité, la vérité de la foi proclamée) s'en ajoute un autre: on retiendra les textes les plus couramment utilisés par les communautés chrétiennes, tant pour l'enseignement que pour la liturgie. En 360, au concile de Laodicée, la discussion sur les Livres saints ne débouche pas sur un accord. En 382, le concile de Rome dresse une liste (celle qui restera) des textes qui composent les divines Écritures, comportant les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Le concile d'Hippone, en 393, reprend la même liste. En 397, enfin, le concile de Carthage confirme ce choix - avec, en plus, l'Apocalypse de Jean - en décidant qu'en dehors de ces «Écritures canoniques rien ne doit être lu dans l'Église sous le nom de divines Écritures ». Même si l'on peut contester l'élaboration d'une telle liste et la répartition entre livres canoniques (retenus) et apocryphes (rejetés), on est loin de la thèse brownienne d'un coup de force de l'Église qui décide, sous l'impulsion de l'empereur, de constituer du jour au lendemain le canon des Écritures chrétiennes et de brûler tous les autres ouvrages! Seul élément historiquement vrai dans la thèse du Da Vinci Code : une fois la Bible chrétienne constituée, les thèses gnostiques sont systématiquement condamnées ... et cela se fait parfois dans un bain de sang, comme lors de la répression du catharisme au Moyen Âge. Il faudra attendre le XVIe siècle et la Réforme protestante pour que le canon des Écritures chrétiennes soit remis en cause. Aujourd'hui, protestants et catholiques ne sont pas d'accord sur «l'authenticité» de quelques livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Mais ils s'accordent en revanche sur le rejet des apocryphes gnostiques, dont l'intérêt leur apparaît plus historique que spirituel. L'Évangile selon Jésus Un mot encore à propos des écritures chrétiennes. Dan Brown écrit: «Les documents du Graal comportent des dizaines de milliers de pages de renseignements (...). Parmi eux se trouvent les "Documents puristes" - des dizaines de milliers de pages de textes non retouchés datant d'avant Constantin, écrits par les premiers fidèles de Jésus, qui vénèrent en lui un maître et un prophète totalement humain. On pense que le Graal conserve également la légendaire source Q - un manuscrit dont le Vatican lui-même reconnaît l'existence. Il s'agirait du document rassemblant les enseignements de Jésus, qui pourraient être écrits de sa propre main ( ... ). Pourquoi Jésus n'aurait-il pas rédigé la chronique de son ministère? C'est une pratique courante à l'époque» (p. 320). Cette affirmation mérite une explication. Comme toujours, Dan Brown construit bon nombre d'inventions autour d'un élément historique véritable. Ici, le fait authentique est la mention de la source Q, le reste reprend une rumeur infondée concernant l'Évangile gnostique de Thomas. De quoi s'agit-il? Parmi les textes apocryphes, certains ont sans doute été élaborés à la même période (fin du 1er siècle) que les Évangiles canoniques, ces différents textes ayant recueilli par écrit des traditions orales. C'est certainement le cas, selon de nombreux historiens, de l'Évangile de Thomas découvert à Nag Hamadi. Ce texte est très rapidement traduit dans différentes langues occidentales, mais une rumeur continue d'affirmer qu'il contiendrait des vérités dérangeantes pour l'Église. Une autre voudrait en faire le texte le plus proche de la source Q, voire la source Q elle-même ... L'existence supposée de cette source Q remonte à une hypothèse faite par le bibliste allemand Friedrich Scheiermacher en 1832, qui s'était livré à une comparaison très poussée des. trois Évangiles de Marc, Luc et Matthieu, dits «synoptiques », c'est-à-dire présentant de nombreuses correspondances. Selon lui, Luc et Matthieu auraient utilisé l'Évangile de Marc, antérieur au leur, ainsi qu'un autre texte, perdu (car de nombreux passages communs aux Évangiles de Luc et' Matthieu ne figurent pas chez Marc). L'hypothèse de cette source (die Quelle, en allemand) est prise très au sérieux par la plupart des biblistes contemporains, mais ce n'est qu'une piste de travail qui reste discutée. Friedrich Scheiermacher imaginait ce document hypothétique comme un recueil de paroles de Jésus. L'Évangile de Thomas, qui comporte cent quatorze paroles de Jésus, a la même forme que cette source hypothétique. Certains affirment que ces deux textes n'en font qu'un ... bien que l'Évangile de Thomas ne corresponde absolument pas aux critères
de correspondances avec les synoptiques recherchés par les biblistes! Une rumeur de plus concernant les apocryphes gnostiques. Quant à l'affirmation selon laquelle Jésus aurait pu écrire lui-même ses propres enseignements, elle n'est pas en soi totalement à exclure, mais elle se heurte à de nombreuses objections. Même l'Église catholique reconnaît aujourd'hui que les auteurs attribués aux Évangiles relèvent probablement de la pseudépigraphie (attribution d'un texte à un personnage qui fait autorité). Ces textes reflètent les enseignements retenus par les communautés qui leur étaient proches. On n'est même pas certains que toutes les épîtres de Paul retenues dans le canon aient vraiment été écrites par lui. Les historiens du christianisme soulignent en effet que, dans l'attente eschatologique d'une fin des temps imminente qui marquait les chrétiens du 1° siècle et du début du II°, il est peu vraisemblable qu'on se soit beaucoup préoccupé de mettre par écrit la vie et les enseignements de Jésus dès sa disparition. Alors de son vivant, et encore plus, par lui- même ... La lutte contre le féminin sacré Mais le principal reproche adressé à Constantin et à l'Église catholique par les personnages de Brown est finalement d'avoir voulu lutter contre le féminin sacré pour promouvoir une religion uniquement masculine. C'est la raison majeure qui aurait motivé la mise à l'écart des textes apocryphes censés révéler la place centrale de Marie Madeleine dans l'Église primitive et son union avec Jésus. «Selon le Prieuré, l'empereur Constantin et ses successeurs masculins ont substitué au paganisme matriarcal la chrétienté patriarcale. Leur doctrine diabolisait le féminin sacré et visait à supprimer définitivement de la religion le culte de la Déesse» (p. 251). «Autrefois célébrées comme un chaînon indispensable de l'éducation spirituelle, les femmes ont été définitivement bannies de tous les cultes du monde. On ne trouve pas plus de femmes rabbins que de femmes prêtres ou imams. L'acte jadis sacré du hieros gamos-l'union sexuelle entre l'homme et la femme, par laquelle chacun des deux accède à la plénitude spirituelle - ce "mariage saint" fut condamné comme une profanation. Les hommes, qui considéraient autrefois l'acte sexuel comme un moyen de communiquer avec Dieu, se sont mis à craindre leur désir comme étant l' œuvre du diable, associé à sa complice favorite, la femme» (p. 252). Même si la démonstration est truffée d'amalgames, d'approximations et d'inventions pures et simples, cette question du féminin sacré et de son refoulement par le christianisme antique est incontestablement la plus pertinente que pose le roman de Dan Brown. Avant d'y venir, rappelons quelques faits concernant le culte de la grande Déesse et la place du féminin dans le paganisme de l'Antiquité. De la grande Déesse au Dieu mâle Les préhistoriens s'accordent pour dire que, dans une longue période s'étageant du paléolithique au mégalithique, les peuples d'Europe et du MoyenOrient adoraient une grande Déesse primordiale, une divinité féminine dont la fonction maternelle se doublait parfois d'une fonction érotique. Des gravures sur pierre et des sculptures la représentant ont été retrouvées sur des sites archéologiques indéniablement cultuels. (Lire à ce sujet La Grande Déesse, mythes et sanctuaires de Jean Markale.) Dans les sociétés primitives, le pouvoir féminin de donner la vie était perçu comme un grand mystère et considéré comme divin. La plupart de ces sociétés étaient de type matriarcal, la vie sociale étant basée sur le calendrier lunaire et le temps perçu comme cyclique plutôt que linéaire. La fin de la vénération des déesses en Europe de l'Ouest a probablement eu lieu quelques milliers d'années avant J-C., quand les Indo-européens envahirent l'Europe par l'est. Ils apportèrent alors la croyance en des dieux mâles. Le culte des déesses s'est progressivement mêlé au culte de ces dieux mâles pour produire une grande variété de religions païennes (le terme païen se réfère ainsi aux anciennes religions polythéistes des Celtes, des Germains, des Romains, des Grecs, des Égyptiens, des Babyloniens, etc.). Les mythes de Sumer racontent le formidable combat, vers 3000 avant notre ère, des premiers héros mâles, en quête de divinisation, contre la Déesse. L'amant géniteur de cette Déesse, symbolisé sous les traits du Taureau fécondant, s'unissait à elle au cours d'une grande fête annuelle qui constituait le centre
de la liturgie, puis il mourait sacrifié. Puis commença le déclin du statut de la femme et l'apparition de sociétés patriarcales. C'est au culte des déesses qu'est venu s'attaquer Yahvé, proclamé Dieu Père unique. Yahvé, sans doute le premier Dieu célibataire, sans contrepartie féminine, de toute l'histoire ! Avec le judaïsme et le christianisme, les religions païennes furent supprimées et le principe féminin fut refoulé progressivement du champ religieux. Le Dieu, le Prêtre et le Père remplacèrent les figures de la Déesse, de la Prêtresse et de la Mère. Dans tous les systèmes religieux issus de la Bible, c'est- à-dire le judaïsme, le christianisme et l'islam, c'est le concept d'un Dieu aux traits typiquement masculins qui domine, et les hommes se sont arrogés tous les pouvoirs religieux. Retour du féminin sacré ... excepté dans le clergé Le Da Vinci code vise juste sur cette question cruciale. Toutefois, il est faux d'attribuer cette révolution à Constantin. Le patriarcat lui est bien antérieur, comme la méfiance de l'Église à l'égard des femmes (qu'il suffise de relire les textes de Paul !). Mais, comme nous l'avons déjà rappelé, ce refoulement du principe féminin était intenable trop longtemps et, sous la pression de la dévotion populaire, l'Église favorisa dans un premier temps le culte de la Vierge Marie qui se substitua parfois trait pour trait à certaines figures antiques de la grande Déesse. Il fallait adapter le modèle en l'épurant de tout ce qui rappelait les fêtes orgiaques et la prostitution sacrée, qui encombrait le souvenir de la grande Déesse aux multiples noms: Ishtar (Sumer), Nout ou Isis (Égypte), Épona (Gaule celtique), Baalat (Phénicie), Astarté (Canaan), Aphrodite- Vénus (monde gréco-romain), etc. La Madone, la Vierge Marie, qui prend la place de toutes les déesses de l'Antiquité, est édulcorée et sans sexualité, confinée à son rôle maternel. Si les déesses primordiales des mythologies anciennes étaient fécondées par le ciel, par l'air, ou par le feu, voire par un serpent, la mère de Jésus fut fécondée par l'Esprit saint, la troisi~me personne divine de la sainte Trinité chrétienne. L'occultation du personnage central de Marie de Magdala par les apôtres et les premiers théologiens chrétiens tient sans doute davantage à un réflexe machiste qu'à la thèse de son union avec Jésus évoqué par Dan Brown. Mais, comme nous l'avons rappelé, le personnage de Marie Madeleine deviendra à partir du Moyen Âge une figure mythique, un archétype féminin qui assumera la polarité érotique confisquée à la Vierge Marie. La place de plus en plus importante que prendront ces deux grandes figures féminines de l'Evangile dans la piété populaire (et dans le dogme catholique, pour ce qui est de la Mère de Jésus) ne doit cependant pas faire oublier que Dieu reste encore typiquement· masculin (Père, législateur, Tout-puissant) dans le christianisme comme dans les autres religions monothéistes ... et que les femmes sont encore globalement exclues des fonctions religieuses majeures. Une étude sérieuse par Jean-Claude DUBS : Les manuscrits de Qumrân Source : http://www.la-bible.net/article.php?refart=qumran Jean-Claude DUBS, Bibliste, chercheur associé au CNRS, auteur avec Jean-Pierre Bagot de l'ouvrage « Pour lire la Bible » Le mot-clef « Qumrân » n'apparaît pas moins de 288 fois dans le volume de la Nouvelle Bible Segond. Cette proportion sans exemple dans le passé, souligne à elle seule le crédit que l'on apporte aujourd'hui à cette source ancienne. Rappelons que cette dernière n'est pas sans mérite puisqu'elle permet de se rapprocher d'au moins 1000 ans des origines de la Bible. Avec la bibliothèque de Qumrân on a pu plonger en plein dans
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