EVALUATION DES COMPÉTENCES ET DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES
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Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins du 2 juillet 2004 Pr. C.-F. DEGOS EVALUATION DES COMPÉTENCES ET DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES La volonté politique, la rapidité des progrès médicaux, la préoccupation déontologique des praticiens de répondre toujours mieux à l’attente des malades, l’exigence consumériste avec la pression croissante des plaintes judiciaires ont fait récemment éclore la nécessité d’aménager la mise à jour des connaissances et d’améliorer l’exercice pratique de la médecine. La poursuite du perfectionnement après les études universitaires est un devoir moral énoncé dans le Code de déontologie (article 11). La profession a ressenti le besoin d’agir dans la transparence et a manifesté son désir de prendre en main sa démarche d’évaluation en l’organisant et en définissant des critères d’évaluation. C’est l’esprit qui prévaut dans l’organisation de la Formation Médicale Continue (FMC) dont les trois Conseils nationaux des médecins libéraux, salariés et hospitaliers ont été récemment désignés qui devront définir « les moyens de contrôle de la mise en œuvre des dispositifs propres à développer la qualité et la coordination des soins et des actes médicaux » (1). L’Ordre, partie prenante dans les trois Conseils, a accepté d’endosser la responsabilité d’en présider la coordination. Cependant, l’évaluation des compétences et des pratiques professionnelles ne saurait se limiter à un aspect théorique et organisationnel de la mise à jour des connaissances. L’exercice professionnel qui s’apprend et se perfectionne sur le terrain, teinté par la personnalité de chaque médecin, risque, chemin faisant, d’être victime de comportements déviants ou de souffrir de stagnation et d’habitudes obsolètes sur lesquels l’attention personnelle du praticien doit être attirée. La compétence se situe à un échelon différent de l’acquisition du savoir. Elle s’apprécie sur la capacité à mettre en œuvre les notions acquises, à les adapter au cas particulier et à déterminer une attitude ou une décision. Plusieurs définitions ont été données à la signification de « compétences ». Celle qui a été retenue par la « Mission sur les modalités et les conditions d’évaluation des compétences professionnelles des métiers de Santé » (2) fait état « d’un ensemble de caractéristiques individuelles (connaissances, aptitudes, attitudes) qui permettent à
une personne d’exercer son activité de manière autonome, de perfectionner sans cesse sa pratique et de s’adapter à un environnement en mutation rapide ». Les pratiques professionnelles ne concernent pas l’acquisition ou la mise à jour du savoir, ni les capacités de mise en œuvre des connaissances mais sont en rapport avec les comportements du médecin dans sa pratique quotidienne à savoir les modalités de son exercice, ses manières d’agir, ses habitudes, son respect du Code de Déontologie, en bref : son savoir faire. Par ailleurs, il est commun d’observer dans les hôpitaux un certain laisser-aller, du fait de la dilution des responsabilités, qui, certes, s’est atténué depuis la mise en œuvre de l’accréditation des procédures par l’ANAES, mais qui persiste encore trop souvent et que les patients ne manquent pas de remarquer voire de s’en plaindre. Une prise en considération de la déontologie plus aiguë est devenue indispensable d’autant que se transmettent ici autant le savoir que les comportements. La conjugaison des effets de la FMC sur les compétences et l’optimisation des modalités de l’exercice professionnel définissent la performance. Garant de la compétence des médecins (3) et de la qualité des soins donnés aux malades, l’Ordre désire se placer à la croisée de toutes les actions en accompagnant les initiatives, en élaborant des propositions et en veillant à l’observance des règles déontologiques de la profession. Le Conseil de l'Ordre des médecins estime que, comme pour toute activité, une évaluation régulière et itérative est possible et souhaitable. Avec l’aide de l’ANAES, les URML qui ont reçu mission, après la promulgation de la loi TEULADE de 1993 et le décret de 1999 (4) d’évaluer les pratiques professionnelles en exercice libéral, ont débuté une expérience de révision par les pairs (pairs review). Pour autant la démarche ne peut se limiter à la catégorie des médecins de ville mais elle doit tout autant intéresser les médecins et chirurgiens des cliniques et les praticiens salariés hospitaliers et non hospitaliers. En tout état de cause l’évaluation doit rester un acte volontaire et d’initiative personnelle. Elle devrait donner lieu à une reconnaissance dont les médecins pourraient se prévaloir. I – EVALUATION REGULIERE DES ACQUIS PROFESSIONNELS A – La formation initiale Il n’est pas question d’empiéter sur les prérogatives des responsables universitaires et hospitaliers mais seulement de jeter un éclairage professionnel et d’émettre quelques propositions en vue d’améliorer le pré-requis à l’exercice médical et de mieux préparer l’étudiant à la démarche ultérieure d’évaluation. - L’enseignement théorique Dans la perspective d’améliorer la préparation de l’étudiant à son exercice médical, de profondes modifications pourraient être apportées aux programmes des premières années d’étude, surtout si les projets de tronc commun avec les autres professions de santé trouvaient leur aboutissement (5). Il apparaît, dans l’état actuel, que l’enseignement de certaines disciplines, notamment celles 2
dites « fondamentales » souffrent d’être exclusivement situées au début du cursus universitaire. Elles rebutent les étudiants qui se plaignent de ne pas en voir l’implication médicale et, de ce fait, elles perpétuent des modalités d’apprentissage scolaire ; de plus, enseignées sans contexte suffisant, elles ne font pas bénéficier de tout leur intérêt. L’Ordre propose la médicalisation accrue de l’enseignement des disciplines biologiques et bio- technologiques par une plus grande concertation avec les cliniciens sur la définition des programmes ainsi que la refonte des séquences d’enseignement sur l’ensemble du cursus universitaire par le biais des enseignements « intégrés » ou par « immersion » comprenant les aspects cliniques, thérapeutiques et les rappels biologiques et médico-techniques de chaque discipline suivis d’une évaluation multidisciplinaire. Il serait aussi souhaitable que chaque spécialité définisse les certificats, unités de valeur ou modules qu’il serait nécessaire de valider pour se diriger vers elle avant le 3ème cycle dit de spécialisation. - L’enseignement pratique Les stages hospitaliers représentent le lieu privilégié où l’étudiant doit acquérir des comportements médicaux au contact de ses aînés (compagnonnage). Il en sera marqué tout au long de sa vie professionnelle. Tout en peaufinant l’apprentissage des techniques d’examen clinique, il doit assimiler le parcours du diagnostic et les modalités de prises de décision. Confronté à la souffrance physique et morale, il doit aussi apprendre l’approche du patient avec les égards dus à son corps et à son esprit ainsi que le respect de la déontologie et particulièrement de la confidentialité. L’Ordre souhaite qu’un accent particulier soit mis sur cet aspect relationnel, lequel devrait faire l’objet d’attention sérieuse de la part de l’encadrement médical et, au même titre que les connaissances, d’une évaluation en y consacrant des temps d’entretiens personnalisés au cours ou, à tout le moins, en fin de stage. L’organisation actuelle des stages hospitaliers dans les seules matinées, durant lesquelles les équipes sont surchargées de travail et affairées à des tâches techniques, ne se prête guère à des contacts privés et sereins de cette nature et il serait souhaitable que l’étudiant puisse participer, au moins une fois par semaine, à la vie hospitalière dans le climat plus calme de l’après-midi. Le stage chez le praticien reste aussi un moyen important de se préparer à l’exercice libéral depuis qu’il est confié à des enseignants formés à ce mode de transmission du « savoir-faire ». B – L’exercice médical post-universitaire Habitué à réfléchir dès l’époque de son cursus universitaire avec l’aide d’autrui sur son propre comportement avec les éventuelles répercussions sur le malade et son entourage, le nouveau médecin n’éprouvera plus un sentiment d’incursion incongrue lorsqu’il devra s’expliquer sur son exercice professionnel. - Evaluation des compétences Pour le médecin libéral, l’évaluation ne saurait faire l’objet d’un contrôle individuel et personnalisé. Un colloque interactif entre plusieurs médecins de la même spécialité, étudiant des dossiers réels de malades donnerait lieu à une discussion critique des attitudes adoptées et des décisions qui ont été prises compte tenu des circonstances de l’exercice urbain ou rural, collectif 3
ou isolé. La constatation du caractère itératif d’un fait déviant ou d’une décision erronée, une appréciation partagée et acceptée des résultats obtenus pourraient éclairer les praticiens et contribuer à la mise en œuvre de leur démarche correctrice. La réunion collective pourrait aussi aboutir à un accord sur un objectif précis de perfectionnement, à réaliser dans un temps donné, dans un domaine choisi par chaque praticien, au vu de ses insuffisances auto-reconnues. Par ailleurs, à l’instar de plusieurs pays étrangers, un document d’auto-évaluation sur ses connaissances et sur son comportement professionnel à partir d’un référentiel établi dans chaque discipline par la Société Savante concernée, serait proposé au praticien qu’il aurait loisir de remplir dans les conditions qui lui conviendraient. L’objectif de l’évaluation n’est pas de sanctionner mais bien d’améliorer des comportements, de servir d’outil pédagogique afin de faire prendre conscience de lacunes, de défaillances, de certitudes inexactes ou de conduites inutiles, onéreuses voire dangereuses. Pour le médecin hospitalier, son exercice est, par définition, intégré dans une équipe et il est exceptionnel que les décisions ne soient pas prises de manière consensuelle. Il n’en est pas toujours ainsi dans les établissements privés où les équipes ne sont pas souvent organisées. Cependant, des habitudes médicales ancrées et restées sans évolution, des certitudes délétères peuvent se perpétuer au sein d’une équipe surtout si elle se tient isolée de l’environnement de la spécialité. L’objectif serait de désenclaver le médecin hospitalier et de l’inciter à s’informer auprès d’autres équipes. Le colloque, adapté à l’exercice libéral, serait alors remplacé par la fréquentation régulière d’un autre service de sa spécialité ou il effectuerait, avec l’autorisation de l’administration hospitalière et du chef de service, les tâches diagnostiques et thérapeutiques en tant que praticien senior de la structure. A cette occasion, il pourrait aussi mettre au point son projet d’approfondissement. L’exercice médical du médecin hospitalier étant difficile à distinguer de l’action d’une équipe, il serait aussi souhaitable que s’effectue régulièrement une visite scientifique et organisationnelle du service par des représentants hospitaliers de la spécialité. Le praticien hospitalier se verrait aussi proposer le questionnaire d’auto-évaluation de sa discipline. - Evaluation des pratiques professionnelles L’évaluation des pratiques professionnelles est une démarche individuelle portant sur les conditions d’exercice de chaque praticien. Pour le médecin libéral, le rôle des URML est prépondérant : lors de son entretien personnalisé, le médecin investigateur pourrait avoir à donner un avis à partir d’un bordereau pré- établi sur les conditions d’exercice, la qualité voire la salubrité des locaux professionnels, le respect des conditions optimales d’hygiène (article 71 du Code de déontologie). Ces constats pourraient éventuellement donner lieu à l’attribution d’un label de qualité. A un degré plus élevé, l’évaluation devrait s’attacher à apprécier la tenue systématique et régulière du dossier médical, le degré d’observance de la confidentialité, l’existence de compte rendu et/ou de lettres aux correspondants, la disponibilité et les modalités de prises de rendez-vous, la participation à la permanence des soins. Sans doute plus difficiles à estimer seraient la consultation d’une liste de correspondants médicaux, l’appréciation d’une accumulation d’actes de nécessité ou d’intérêt douteux, la justification du recours à des avis spécialisés ou à l’hospitalisation ou encore le souci des initiatives d’actions préventives. Pour le médecin hospitalier, une commission d’évaluation dépendant de la CME, pourrait s’entretenir collectivement avec les praticiens du service et l’accent pourrait être mis sur le souci de la confidentialité et de la convivialité dans la relation avec le malade. Dans ce cadre, pourraient être discutés le respect des mesures prises par l’ANAES (accréditation), le bien-fondé des horaires de visite, les relations avec l’entourage du patient. 4
Il serait aussi important de s’enquérir des coopérations avec le(s) médecin(s) de ville : nature et délai d’envoi des comptes rendus d’hospitalisation, des lettres après consultations, organisation des éventuelles visites conjointes auprès des malades, voire de l’observance du dossier médical personnel lorsqu’il sera officiellement institué (informatisation). II – ORGANISATION DES EVALUATIONS L’organisation des évaluations pourrait se faire selon les mêmes modalités que le praticien, soit d’exercice libéral ou hospitalier. Chaque praticien, entré volontairement dans la procédure d’évaluation, adresserait à un organisme habilitateur un justificatif de sa participation, dans le cadre de sa spécialité, à un ou plusieurs colloques interactifs ou, pour les hospitaliers, de sa fréquentation d’un autre service. Il joindrait son projet d’approfondissement, son document d’autoévaluation, le rapport du représentant des URML ou, pour les hospitaliers, du Président de la CME de son établissement, ainsi que les avis éventuels de son instance de FMC. - Les organismes habilitateurs Des instances d’habilitation par spécialité, pouvant dépendre du Conseil régional de FMC, seraient créées dans chaque région, véritables collégiales regroupant des médecins des trois modes d’exercice (libéral, hospitalier salarié, non hospitalier), un représentant de l’Ordre et éventuellement des représentants de l’Université et du syndicat professionnel de la spécialité. Les organismes habilitateurs seraient agréés, au vu de leur composition, par les Conseils Départementaux ou les futurs Conseils régionaux administratifs de l’Ordre des médecins. Ces organismes auraient pour mission de colliger les dossiers des praticiens qui auraient effectué leur démarche volontaire, d’en vérifier le contenu, d’apprécier les rapports, de prendre acte des éventuels projets d’approfondissement, d’émettre un éventuel avis confidentiel auprès de chaque praticien et de fixer la date souhaitable de la prochaine évaluation. Enfin, ils proposeraient au Conseil de l’Ordre (départemental ou futur régional) la délivrance du certificat de validation des acquis professionnels. 5
BIBLIOGRAPHIE 1 – Décret n° 2003-1077 du 14 novembre 2003 relatif aux Conseils nationaux et au Comité de coordination de la Formation médicale continue – Article 5 2 – MATILLON Y. Mission « modalités et conditions d’évaluation de compétences professionnelles des métiers de la santé – août 2003 3 – Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé 4 – Décret n° 99-1130 du 28 décembre 1999 relatif à l’évaluation des pratiques professionnelles et à l’analyse de l’évolution des dépenses médicales 5 – DEBOUZIE D. Commission pédagogique nationale de la première année des études de santé - 2003 6 – Conseil national de l’Ordre des médecins « Les enjeux de la compétence. Les jeudis de l’Ordre – 28 octobre 1999 7 – Conseil National de l'Ordre des médecins « Qualité de l’exercice professionnel, compétence et déontologie vers un système intégré de gestion de la compétence des médecins » 2000 8 – Conseil National de l'Ordre des médecins « Qualité et compétence en médecine, un défi déontologique – Colloque du 22-23 juin 2000 9 – Conseil National de l'Ordre des médecins « Compétences du médecin : vers une réadaptation permanente » Bull.Ordre Méd. 2002-10 6
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