EVOLUTION DU PAYSAGE NATUREL ET OCCUPATION HUMAINE À DOG ISLAND AU NORD DU LABRADOR
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
NATASHA ROY EVOLUTION DU PAYSAGE NATUREL ET OCCUPATION HUMAINE À DOG ISLAND AU NORD DU LABRADOR Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Sciences géographiques pour l'obtention du grade de maître es sciences (M. Se.) DEPARTEMENT DE GEOGRAPHIE FACULTÉ DE FORESTERIE, DE GÉOGRAPHIE ET DE GÉOMATIQUE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2010 ©NatashaRoy, 2010
Résumé Afin de documenter la relation Homme-environnement dans le nord du Labrador, des études paléoenvironnementales et paléoécologiques ont été entreprises sur les sites archéologiques Oakes Bay 1, situé à Dog Island, et Koliktalik 6, situé sur l'île Koliktalik et dans leurs environs. Quatorze terrasses marines étagées ont été identifiées à la baie Oakes dont la plus ancienne, Tl aurait été édifiée vers 9000 ans BP alors que la plus récente, T14, aurait émergé vers 2000 ans BP. Les données sporopolliniques mettent en évidence trois périodes de développement du couvert végétal à partir de 5700 ans étal. BP : 1) une toundra arbustive, 2) une transition d'une toundra arbustive vers une toundra forestière, 3) une ouverture du couvert végétal. Les données macrofossiles en provenance de la tourbe échantillonnée à la surface des terrasses paludifiées révèlent qu'il y a eu exploitation intensive de la forêt et de la tourbe par les Thuléens et les Inuit afin de construire et chauffer leurs habitations.
Abstract To document the Human-environment relationship in northern Labrador, paleoenvironmental and palaeoecological studies have been undertaken on and around of archaeological sites Oakes Bay 1, located at Dog Island, and Koliktalik 6, at the island Koliktalik. Fourteen marine terraces were identified. According the relative sea level curve of Clark and Fitzhugh (1990), the oldest terrace, Tl was built around 9000 years BP, while the most recent one, T14 have emerged around 2000 years BP. Pollen data highlight four phases of canopy development since 5700 years étal. BP: 1) a shrub tundra, 2) a transition from tundra to shrub tundra trees, 3) an opening of the canopy and 4) a return to humid conditions. The macrofossils data sampled from paludified terraces, T13 and 14 show that wood and peat were intensively used by Thule and Inuit to built and heat their habitations.
Avant-Propos La réalisation de cette étude a été possible grâce à l'encadrement et au soutien de ma directrice Mme Najat Bhiry, professeure au Département de géographie et chercheure au Centre d'études nordiques (CEN) et de mon co-directeur M. James Woollett, professeur au département d'histoire et chercheur au CEN. Je les remercie chaleureusement de m'avoir fait confiance tout au long de cette aventure nordique. Également, je tiens à remercier les membres de mon comité, Mme Louise Filion et M. Martin Lavoie pour leurs judicieux conseils concernant respectivement les volets de pédologie et de palynologie. Je tiens aussi à remercier Mme Elisabeth Robert, Grégoire Ledoux, Bryan Sinkunas, Andréane Chabot, Andrée-Anne Pharand et Claudia Rousseau pour leur précieuse aide sur le terrain ou en laboratoire. Mes sincères remerciements sont adressés à mes parents, mes sœurs, mes amis et mes collègues pour leurs encouragements, leurs appuis et leurs judicieux conseils tout au long de mes études. Enfin, le soutien financier du Ministère des Affaires indiennes et du Nord, du Centre interuniversitaire d'études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT), du Département de géographie de l'Université Laval et du Centre d'études nordiques m'a permis de réaliser mes études à temps complet dans de bonnes conditions.
Table des matières Résumé i Abstract ii Avant-Propos iii Table des matières iv Liste des tableaux vi Liste des Figures vii Introduction 1 Chapitre 1 6 Région et site d'étude 6 1.1 Région d'étude : Nain, Labrador, Canada 6 1.1.1 Contexte géologique 6 1.1.2 Le climat 7 1.1.3 Biogéographie et paléophytogéographie 8 1.1.4 Contexte historique de l'occupation du territoire au Labrador 9 1.2 Sites d'étude 13 1.2.1 Site Oakes Bay 1 (HeCg-08), Oakes Bay, Dog Island, Labrador 13 1.2.2 Site Koliktalik 6 (Uâ.C%-23), Koliktalik, Labrador 16 Chapitre 2 17 Méthodologie 17 2.1 Travaux de terrain 17 2.1.1 Géomorphologie et stratigraphie 17 2.1.2 Relevé de végétation 17 2.1.3 Échantillonnage de la tourbe 18 2.2 Travaux en laboratoire 18 2.2.1 Analyse granulométrique 18 2.2.2 Analyse sporopollinique 19 2.2.3 Analyse macrofossile 20 2.2.4 Perte au feu 20 2.2.5 Datations au radiocarbone (l4C) 21 Chapitre 3 22 Résultats et interprétations : 22 Paléogéographie 22 3.1. Paléogéographie et paléoenvironnements sédimentaires de Oakes Bay, Dog Island. 22 3.1.1 Les terrasses marines étagées 22 3.1.2 Paléoenvironnements sédimentaires 25
Chapitre 4 34 Résultats et interprétations : 34 Paléoécologie 34 4.1- Paléoécologie à l'échelle régionale : données sporopolliniques 34 4.2- Paléoécologie à l'échelle locale 39 4.2.1 Données chronostratigraphiques 39 4.2.2 Données macrofossiles 43 Chapitre 5 55 Discussion 55 5.1 Paléogéographie de Oakes Bay 55 5.1.1 Relèvement isostatique 55 5.1.2 Phases régressives de la mer du Labrador 57 5.2 Paléobiogéographie et paléohydrologie 58 5.2.1 Échelle régionale 58 5.2.2 Échelle locale 59 5.3 Relation Homme-environnement ..61 5.3.1 Impact des humains sur l'environnement 61 5.3.2 Impact des changements climatiques sur les activités humaines 63 Conclusion 65 Bibliographie 67
Liste des tableaux Tableau 1: Séquence culturelle au Labrador 9 Tableau 2: Synthèse des caractéristiques des maisons semi-souterraines du site archéologique Oakes Bay 1, Dog Island, Labrador 14 Tableau 3: Caractéristiques des terrasses marines de Oakes Bay et leurs environnements sédimentaires 24 Tableau 4: Indices granulométriques et interprétation des sédiments de la coupe OB-C1, Oakes Bay, Dog Island 28 Tableau 5: Indices granulométriques et interprétation des sédiments de la coupe OB-C2, Oakes Bay, Dog Island 29 Tableau 6: Datations 14C par AMS d'une carotte extraite dans la zone d'entourbement d'un lac 37 Tableau 7: Datations l4C de la base des monolithes du site archéologique Oakes Bay 1, Dog Island, Labrador 41 Tableau 8: Datations au 14C des monolithes du site archéologique Koliktalik 6, Koliktalik43 Tableau 9: Emersion des terrasses recensées à Oakes Bay, Dog Island d'après la courbe d'émersion de Clark et Fitzhugh (1990) 57
Liste des figures Figure 1: Localisation de la baie de Nain, Labrador 6 Figure 2: Localisation des sites d'étude: Oakes Bay 1 et Koliktalik 6 14 Figure 3: Carte de Oakes Bay 1, Dog Island (adapté de Woollett, 2003) 15 Figure 4: Emplacement des terrasses sur la rive nord de Oakes Bay 23 Figure 5: Stratigraphie de la coupe OB-C1 et OB-C2, Oakes Bay, Dog Island 26 Figure 6: Sol podzolisé surmonté de tourbe, terrasse T14, Oakes Bay 27 Figure 7: Distribution de la taille des particules des sous-unités de la coupe OB-C1 30 Figure 8: Distribution de la taille des particules des sous-unités de la coupe OB-C2 31 Figure 9: Environnements sédimentaires selon la relation entre la taille moyenne des particules et l'indice de tri à Oakes Bay, Dog Island 33 Figure 10: Environnements sédimentaires selon la relation entre la taille des particules et l'indice d'asymétrie à Oakes Bay, Dog Island 33 Figure 11: Diagramme pollinique simplifié des principales espèces exprimé en pourcentage, Dog Island, A) espèces d'arbres et d'arbustes, B) espèces d'herbacées et C) espèces hors totales 36 Figure 12: Diagramme simplifié des influx polliniques (grains/cm2/an) 36 Figure 13: Taux d'accumulation sédimentaire de la carotte lacustre, Dog Island, Labrador37 Figure 14: Chronostratigraphie des monolithes extraits à proximité du site Oakes Bay 1, Dog Island, Labrador 40 Figure 15: Site archéologique Oakes Bay 1 et emplacement des monolithes étudiés (Adapté de Wollett, 2003) 41 Figure 16: Schéma du site archéologique Koliktalik 6 et emplacement des monolithes K-MletK-M2 42 Figure 17: Chronostratigraphie des monolithes K-Ml et K-M2, Koliktalik 6, Koliktalik ...43 Figure 18: Diagramme macrofossile des espèces, représentées en nombre, du monolithe OB-M5, Oakes Bayl, Dog Island, Labrador 45 Figure 19: Diagramme macrofossile des espèces, représentées en nombre, du monolithe OB-M6, Oakes Bay 1, Dog Island, Labrador 47 Figure 20: Diagramme macrofossile des espèces, représentées en nombre, du monolithe OB-M8, Oakes Bay 1, Dog Island, Labrador 49 Figure 21: Diagramme macrofossile des espèces, représentées en nombre, du monolithe OB-M14, Oakes Bay 1, Dog Island, Labrador 50 Figure 22: Diagramme macrofossile des espèces, représentées en nombre, du monolithe K- Ml, Koliktalik 6, Koliktalik, Labrador 52 Figure 23: Diagramme macrofossile des espèces, représentées en nombre, du monolithe K- M2, Koliktalik 6, Koliktalik, Labrador 54 Figure 24: Courbes d'émersion de la région de Hopedale (A) et de la région de Nain (B) d'après Clark et Fitzhugh (1990) 55 Figure 25: Localisation des sites archéologiques Oakes Bay 1, Evilik Bay 2, September Harbour, Koliktalik 6 64
Introduction L'Arctique et le Subarctique sont parmi les régions de la planète où les changements climatiques sont les plus prononcés et les plus rapides (ACIA, 2004). Cette particularité a permis aux paléoclimatologues de retracer les fluctuations climatiques en utilisant divers indicateurs et bio-indicateurs que l'on peut retrouver dans les archives sédimentaires telles que les microorganismes marins, les grains de pollen, les isotopes de l'oxygène et les cernes de croissance des arbres. Pour les périodes récentes, ce sont des archives historiques ou des mesures directes des paramètres climatiques qui sont utilisées. Petit Âge glaciaire : période climatique froide variable dans le temps et dans l'espace De toutes les périodes climatiques de l'Holocène, le Petit Optimum climatique (POC) (ou la phase chaude du Moyen Age) et le Petit Âge glaciaire (PAG) sont les périodes les plus documentées parce que leur effets ont été observés, ressentis et même subis par les populations humaines. Le POC est une période chaude survenue entre 800 AD et 1300 AD (Lamb, 1977). D a été suivi par le PAG durant lequel il y a eu, entre autres, des avancées glaciaires (Grove, 1988) et une plus longue persistance de la glace de mer (Grumet et al., 2001; Jennings et al., 2001). Par ailleurs, si la fin du PAG est survenue vers 1850-1860 AD, le début n'est pas établi de manière précise. De plus, les études récentes ont beaucoup modifié la définition du PAG qui était auparavant considérée comme une longue période de froid soutenu. En effet, il a été établi que le PAG correspond plutôt à de courtes périodes de fluctuations climatiques (Grove, 1988; Overpeck et al., 1997; Barlow, 2001). Les données de Meese et al. (1994), issues de l'enregistrement isotopique GISP2 montrent que des conditions climatiques froides ont survenu vers 1200, 1500 et 1800 AD alors que des conditions relativement plus clémentes ont été retracées vers 1400 et 1700 AD. Les dates de ces fluctuations varient grandement en fonction de la localisation géographique des sites étudiés. De plus, contrairement aux considérations anciennes, le PAG n'est pas une période unique survenue depuis la déglaciation puisque des périodes de refroidissement similaires ont aussi eu lieu durant l'Holocène au moins à cinq reprises (Meese et al. 1994). Ogilvie et Jonsson (2001) contestent même le concept du PAG. Pour ces auteurs, le fait que le PAG soit cerné entre deux périodes chaudes, le POC et le réchauffement subactuel, a maintenu et
renforcé le statut de « période froide » chez les scientifiques. En revanche, ces auteurs mettent davantage l'emphase sur la grande variabilité du climat comme caractéristique propre du PAG. Quoi qu'il en soit, plusieurs études s'accordent sur le fait que cette période a pris fin vers 1800 AD et, que depuis 1850 AD, les régions nordiques connaissent un réchauffement climatique, notamment depuis les années 1980 AD (GIEC, 2007). Selon Overpeck et al. (1997), l'Arctique s'est réchauffé d'environ 0,6°C depuis le début du 20e siècle. Dans le Nord du Labrador, dans l'est du Bas-arctique canadien, les températures froides du début des années 1800 et le réchauffement rapide après 1840 sont considérés comme les événements climatiques les plus marquants des derniers 400 ans (Grove, 1988; Overpeck et a l , 1997). Le climat et les cultures de l'Est du Bas-Arctique L'occupation humaine et les transitions culturelles dans l'Arctique oriental semblent correspondre à des épisodes de changements climatiques. À titre d'exemple, entre 4500 et 4000 ans BP (Savelle et Dyke, 2002), les premiers groupes de la Tradition Microlithique de l'Arctique auraient profité d'une période de réchauffement pour migrer depuis l'Alaska vers l'Arctique canadien et le Groenland (Barry et al., 1977; Powers et Jordan, 1990). Plus récemment, la culture thuléenne a fait son entrée au Labrador vers 1200 AD (McGhee, 1999; Park, 1999). Cette période de colonisation thuléenne de l'Arctique canadien coïncide avec le Petit Optimum Médiéval et semble s'être produite rapidement, sans doute grâce à leur utilisation des traineaux à chiens et des kayaks, ainsi qu'à leur aptitude à chasser la baleine boréale (Labrèche, 2001 ; Coltrain et a l , 2004). PAG et transition des cultures Thuléenne-Inuits au Labrador Établies vers 1200 AD dans le nord du Labrador, soit peu avant le début du PAG, les populations thuléennes et, par la suite, les Inuit ont sans aucun doute subi l'impact du climat instable du PAG et le réchauffement subséquent, ce qui aurait entrainé un changement dans leur moyen de subsistance (économie) ainsi que dans leur type d'habitations. En termes d'économie de subsistance, l'étude de Schledermann (1976a) suggère que l'extension de la glace de mer aurait été un obstacle pour certains mammifères marins, tels que la baleine boréale et le phoque barbu, quant à leur approvisionnement en nourriture et
la poursuite de leur route migratoire à travers les eaux de la côte labradorienne. En parallèle, l'habitat d'espèces de phoques (phoque annulé) tolérantes au couvert de glace complet a été augmenté. Selon certaines études (Crane, 1978; Newell, 1996; Mysak et al., 1990; Woollett, 2003), les forts vents de l'est ainsi que l'importance de la banquise flottante ont engendré la fermeture de la polynie d'Hamilton Inlet qui abritait des phoques, une ressource alimentaire précieuse pour les chasseurs, ce qui a engendré une modification des activités culturelles chez les Inuit comme les pratiques de chasse. À titre d'exemple, au site Oakes Bay 1 dans la région de Dog Island (Nain, Labrador), ces modifications se sont traduites par de plus courtes périodes d'occupation des campements hivernaux et par des voyages de chasse sur de plus grandes distances. Les données issues de la calotte glaciaire de Penny (PIC) dans le détroit de Cumberland dans le sud de l'île de Baffin (Grumet et a l , 2001) démontrent une grande variabilité annuelle des glaces de mer. Cette variabilité a affecté du même coup plusieurs espèces à valeur économique, dont le phoque annelé, une espèce ayant eu une part importante dans l'économie de subsistance des Inuit (Henshaw, 1999; Kaplan et Woollett, 2000; Woollett et a l , 2000). En termes d'habitation, Kaplan (1983) a montré qu'au début de l'occupation du territoire, les Thuléens habitaient dans de petites habitations semi-souterraines construites à partir de tourbe, de blocs de roche, d'os de baleine et de bois. Au début du 18e siècle, quand les conditions étaient froides, les Inuit auraient migré vers des sites mieux protégés, soit sur des îles plus proches de la côte ou sur la terre ferme. Ces sites sont plus à l'abri en hiver, plus loin de la sina (zone d'eau libre située entre les eaux ouvertes et la banquise côtière, lieu de chasse au phoque), mais plus proche de ressources terrestres comme le caribou, le poisson, les animaux à fourrure et le bois. La forme des maisons a également changé, passant de petite et ovale à grande et rectangulaire (Kaplan, 1983). Par ailleurs, il semble que certains changements culturels soient également associés à l'arrivée des missionnaires moraves dans la région vers la fin du 18e siècle. Ds ont fondé plusieurs communautés religieuses sur la côte du Labrador, dont Nain en 1771, Okak en 1776 et Hopedale en 1782 (Brice-Bennett 1977). À titre d'exemple, la transition de la culture thuléenne vers la culture inuite, qui a été marquée par un déclin démographique significatif, a été attribuée à l'arrivée et à l'établissement des Européens (Moraves) dans la région (McGhee, 1996). Ces derniers ont apporté de nouvelles maladies causant la mort de
nombreuses personnes et une décroissance de la population autochtone. Cependant, Schledermann (1976b) attribue plutôt cette décroissance aux conditions climatiques difficiles du Petit Âge glaciaire. Ainsi, pour certains archéologues, les fluctuations climatiques récentes (400 dernières années) auraient influencé directement ou indirectement l'évolution des cultures par leurs conséquences sur les conditions environnementales et sur la disponibilité en ressources alimentaires marines et terrestres (Scheldermann, 1976a). En revanche, d'autres auteurs (McGhee, 1996) suggèrent que les changements culturels sont davantage associés à l'établissement dans la région des missionnaires moraves entraînant par le fait même l'adoption de certaines stratégies d'adaptation sociale, politique et économique des groupes humains. Enfin, certains archéologues considèrent que les changements culturels chez les Inuit résultent à la fois d'une modification de l'économie, causée par des changements des conditions climatiques, et de l'arrivée des Européens le long de la côte du Labrador (Taylor, 1974; Jordan, 1978; Kaplan, 1983; Kaplan et Woollett, 2000; Kaplan, 2007). Intérêt du Nord du Labrador pour l'étude de la relation Homme-environnement. Le nord du Labrador est une région de choix pour examiner les interactions entre le climat, l'environnement et les comportements culturels. En effet, il s'agit d'une région qui a subi, comme l'ensemble de l'Arctique et de l'Atlantique nord, des changements climatiques. Les établissements humains et les changements de culture sont assez bien documentés, surtout en ce qui concerne les cultures thuléenne et inuite. La relation entre le climat et les changements de l'économie de subsistance a été documentée principalement par l'étude de l'évolution de la pratique de chasse des mammifères marins (Kaplan, 1983; Woollett, 2003, 2007). Peut-on documenter cette relation par l'étude des ressources naturelles terrestres ? Est-ce que l'évolution de l'utilisation du territoire, de ses ressources ligneuses par exemple, pourrait refléter un changement culturel en réponse au climat ? Pour répondre à ces questions, il est donc pertinent d'évaluer l'ampleur des changements climatiques et environnementaux ayant prévalu sur la côte du Labrador durant les derniers milliers d'années en mettant l'accent sur les 400 dernières années pendant lesquelles les changements de cultures des peuplements nordiques ont eu lieu.
L'objectif principal de cette étude est donc de retracer les changements climatiques et environnementaux qui ont eut lieu avant, pendant et après l'occupation de deux sites archéologiques situés dans l'archipel de Nain, (Labrador) et leurs impacts sur les populations et les activités humaines. De ce fait, les objectifs spécifiques sont de : 1) documenter la paléogéographie de Oakes Bay, Dog Island, 2) reconstituer la paléobiogéographie à l'échelle locale et à l'échelle régionale dans le but de retracer les fluctuations climatiques, 3) comparer les données environnementales et archéologiques afin de documenter la relation Homme-Environnement. Nous avons formulé l'hypothèse à l'effet que les variations climatiques ont eu un impact significatif sur la stabilité des écosystèmes de la région de Dog Island influençant par le fait même, à la fin du PAG, l'occupation du territoire par les Thuléens et les Inuits.
Chapitre 1 Région et site d'étude 1.1 Région d'étude - Nain, Labrador, Canada La région d'étude fait partie de l'archipel de la baie de Nain (56°36'N, 62°00'O), sur la côte nord du Labrador (Figure 1). Territoire d'une superficie de 294 330 km2, le Labrador correspond à la partie nord-est du Canada (Gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, 2007a). Le village de Nain, la plus grande communauté Inuit du Labrador, est situé sur la rive sud de la baie de Nain. Établi par des missionnaires Moraves, originaires de la Moravie, en 1771 (Moravian Mission, 1971; Brice-Bennett, 1977), ce village comptait environ 1200 habitants en 2005 (Gendarmerie Royale du Canada, 2005). Nain est actuellement le siège administratif du Gouvernement du Nunatsiavut, gouvernement inuit du Labrador. Figure 1 : Localisation de la baie de Nain, Labrador 1.1.1 Contexte géologique La région côtière de Nain consiste en des collines entrecoupées par des vallées glaciaires orientées est-ouest, parallèlement au système de failles. Le socle rocheux, gneissique d'âge archéen appartient à la Province de Nain laquelle couvre la majeure partie de la côte nord-est (Green, 1974 dans Roberts et al., 2006). Au cours du Wisconsinien
supérieur, la région était recouverte par le segment Labrador de l'Inlandsis laurentidien (Prest et a l , 1968). La déglaciation s'est effectuée vers 8500 ans BP selon l'axe NE-SO (Clark et Fitzhugh, 1990). Suite au retrait des glaces, il y a eu transgression de la mer du Labrador à l'intérieur des terres jusqu'à une altitude d'environ 70 m (Clark et Fitzhugh, 1990). Lors de la régression marine, la mer du Labrador a laissé au fond des vallées, des dépôts argileux surmontés de sables par endroits. Plusieurs marques et formes témoignent de ces événements glaciaires et postglaciaires telles que des moraines, des roches moutonnées, des stries glaciaires et des terrasses marines qui sont visibles partout sur la côte du nord du Labrador. La région d'étude se situe à la limite nord de la zone de pergélisol discontinu et dispersé (Ressources naturelles Canada, 2003). 1.1.2 Le climat Le climat de la région de Nain et de son archipel constitue la transition entre les climats arctique et subarctique. D est influencé par l'échange atmosphère-océan de la mer du Labrador ainsi que par le courant du Labrador qui est un mélange des eaux froides du courant de Baffin et de l'affluent du détroit d'Hudson (Dickson et a l , 1988 dans D'Arrigo et a l , 2003). La température moyenne annuelle est d'environ -4°C. Les précipitations moyennes annuelles varient de 800 à 1000 mm, dont environ la moitié tombe sous forme de neige, soit en moyenne 424 cm (Environnement Canada, 2006). Le sol est couvert de neige habituellement pendant huit mois. Les hivers sont très froids alors que les étés sont courts et frais le long de la côte, mais ils sont relativement plus chauds à l'intérieur des terres. En effet, le long de la côte, la température moyenne en juillet et août est d'à peine 10°C en raison du courant du Labrador (Environnement Canada, 2006; Gouvernement de Terre- Neuve et du Labrador, 2007b). Les vents d'ouest, en provenance du continent, apportent un temps clair et doux et les vents d'est, à cause du courant du Labrador, sont à l'origine de conditions froides, nuageuses et humides. La saison de croissance varie de 100 à 120 jours.
8 1.1.3 Biogéographie et paléophytogéographie La région de Nain appartient au domaine écologique de la zone côtière qui s'étend de la baie de Napaktok jusqu'au détroit de Belle-Isle (Gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, 2007). Cette zone est caractérisée par une végétation arbustive composée par Empetrum nigrum, Vaccinium sp., Betula glandulosa, Ledum groenlendicum, Rubus chamaemorus, Alnus sp. et Salix sp.. Le lichen est présent en terrain bien drainé alors qu'en milieu subhumide, les Carex et d'autres cypéracées dominent la strate herbacée. Dans les petites dépressions humides, des bryophytes incluant des sphaignes et des mousses brunes sont présentes. Dans les vallées, où les conditions climatiques et édaphiques sont favorables (zones protégées), croissent sous leur forme arborescente, Picea mariana, Picea glauca et Larix laricina. En altitude, l'épinette (Picea sp.) se présente surtout sous forme de krummholz. Peu d'études paléoécologiques ont été effectuées à ce jour au Labrador. D'après les travaux de Lamb (1984, 1985), l'évolution du patron de répartition des espèces végétales pendant l'Holocène fut sensiblement le même que celui des régions adjacentes, dans l'est du Québec. Le couvert végétal a évolué en fonction du développement des sols et des conditions climatiques, de manière semblable à celui du nord du Québec (toundra, toundra arbustive, pessière à lichens). De plus, basées sur des analyses polliniques, les études de Lamb (1984, 1985) montrent que Picea glauca fut la première espèce arborescente à avoir colonisé la côte du Labrador vers 6000 ans BP. Par ailleurs, certaines études dendroclimatiques (Jacoby et D'Arrigo, 1989; D'Arigo et Jacoby, 1993; D'Arrigo et a l , 1999) montrent que les conditions froides du PAG ont été interrompues par un léger réchauffement au début des années 1700 AD. Les conditions froides survenues entre 1795 AD et 1825 AD résulteraient de la faible activité solaire ainsi que de l'éruption du volcan Tambora en 1815. Depuis la fin du PAG, les tendances historiques de la température révèlent un réchauffement de près de 2°C pendant le dernier siècle dans l'Arctique canadien (Ressources naturelles Canada, 2006).
1.1.4 Contexte historique de l'occupation du territoire au Labrador Bien que cette étude s'intéresse à l'occupation du territoire durant les récentes cultures thuléenne et inuit, nous présentons ici, dans le but d'acquérir une idée générale sur l'occupation du territoire depuis son emersion, une courte synthèse de la succession des diverses cultures dans la région d'étude. L'Archaïque maritime est une culture amérindienne qui a atteint la côte du Labrador jusqu'à la région de Nain vers 7000 BP (Fitzhugh, 1978) (Tableau 1). Du printemps à l'automne, les populations de cette culture chassaient les mammifères marins à la sortie des baies et autour des îles alors qu'au cours de l'automne et de l'hiver, ils occupaient le littoral des baies à la recherche du caribou et d'autres espèces terrestres (Labrèche, 2001). Jusque vers 6000 BP, ils vivaient dans des habitations creusées dans le sol, peu spacieuses, abritant une seule famille. Entre 4200-3500 BP, la taille des maisons a augmenté pour devenir de grandes maisons longues dont chacune pouvait abriter de 50 à 100 personnes. Suite à l'arrivée des Prédorsétiens aux environs de 4000 BP, il y a eu chevauchement de ces deux cultures pendant 400-500 ans puis, l'Archaïque maritime a disparu du nord du Labrador (Labrèche, 2001). Tableau 1 : Séquence culturelle au Labrador ^\Ctlturc Archaïque Dorsétien Prédorsétier. Groswater Thuléen Inuit maritime ancien moyen récent Âge (ans BP) 7000*3500 4000-3000 2800-2100 2600-2400 2400* 1200 1200-800 800-350 350-aujour(fhui Source: adapté de Labrèche (2001) Après l'Archaïque maritime, deux grands groupes culturels ont habité le Labrador : les Paléoesquimaux puis les Néoesquimaux. La culture prédorsétienne constitue la phase la plus ancienne du Paléoesquimau (Labrèche, 2001). Arrivée au Nord du Labrador vers 4000 BP (Cox, 1978), la culture prédorsétienne est demeurée distincte jusque vers 3000 BP. La culture et les techniques reliées au Prédorsétien indiquent une adaptation aux environnements arctiques. Au Labrador, la majorité des sites prédorsétiens se retrouvent au nord de la limite des arbres ainsi que sur les îles au large de la côte du Labrador, dans la région de Nain et la région d'Okak, située à environ 115 km au nord de la baie de Nain.
10 L'été, les peuplements de cette culture vivaient de la chasse aux mammifères marins contrairement à l'hiver où le mode de subsistance principal était basé sur des animaux terrestres tels que le caribou. Ds habitaient tout au long de l'année dans des tentes à structure axiale (alignement de pierres qui divise la tente en deux) avec un foyer au centre. Au Labrador, la culture Groswater (2800-2100 BP) succède à la culture prédorsétienne (Cox, 1978). Elle est en fait une phase de transition du Prédorsétien vers le Dorsétien ancien. Ce changement est illustré par l'utilisation de nouveaux outils et de nouvelles matières premières (Cox, 1978). Un des traits distinctifs de cette transition est l'utilisation d'une grande quantité de chert dont la source serait située à l'ouest de l'île de Terre-Neuve (Labrèche, 2001). La culture dorsétienne est originaire de l'Arctique central (Brice-Bennett, 1977; McGhee, 1996). Son développement s'est déroulé en trois phases : ancienne (2600-2400 BP), moyenne (2400-1200 BP) et récente (1200-800 BP) (Brice-Bennett, 1977). Arrivés dans le nord du Labrador vers 2600 BP (Brice-Bennett, 1977), les Dorsétiens ont principalement occupé la côte et les îles. L'économie de subsistance était principalement basée sur les ressources marines telles que le phoque annelé et le morse. Du printemps à l'automne, les Dorsétiens habitaient eux aussi des tentes à structure axiale. Ces tentes sont construites à partir de grandes perches de bois disposées en forme circulaire, lesquelles sont recouvertes de peaux et solidifiées à la base par de grosses pierres distribuées sur le pourtour de la tente. Durant la saison hivernale, les Dorsétiens habitaient les maisons semi- souterraines construites dans un milieu bien drainé (sable ou gravier). De forme ronde à rectangulaire, ces maisons mesurent environ 5 mètres de longueur et 4 mètres de largeur (McGhee, 1996). Le support principal (la structure) des murs est constitué de pièces de bois ou, dans certains cas, d'ossements de baleine (mandibules, mâchoire, côtes). Ces maisons possèdent une plate-forme surélevée longeant le mur de la maison. En plus du mode d'habitation, la culture dorsétienne se distingue des autres cultures paléoesquimaudes plus anciennes (prédorsétienne) par sa technologie: le couteau à neige, la lampe en steatite, le harpon à tête détachable (McGhee, 1996; Park, 1999).
11 Les Thuléens, originaires du nord de l'Alaska, sont arrivés au Labrador entre la fin du 13 siècle et le début du 15e siècle (McGhee, 1999). La migration thuléenne fut rapide et e s'est effectuée durant le réchauffement de l'Optimum Climatique Médiéval (Fitzhugh, 1994; McGhee 1999). Comme la baleine constituait une ressource alimentaire importante pour les Thuléens, cette migration suivait la route migratoire des baleines boréales dans l'archipel de l'Arctique canadien. Les sites d'occupation sont généralement datés entre le 13e et le 17e siècles et ils s'étendent de Killinek, à environ 500 km au Nord de Nain, jusqu'à Sandwich Bay au centre du Labrador, au sud de Nain (Brewster, 2005). L'économie de subsistance des Thuléens était principalement basée sur la chasse à la baleine et aux autres mammifères marins tels le phoque annelé, le phoque du Groenland, le phoque commun et le phoque barbu (McGhee, 1996). Toutefois, le caribou constituait une source de nourriture importante, en particulier pendant l'automne. Plusieurs éléments de la culture matérielle thuléenne ont été empruntés aux Dorsétiens tels que le couteau à neige, la maison semi-souterraine et le harpon à tête détachable (McGhee, 1996). Par ailleurs, les Thuléens ont développé de nouvelles technologies leur permettant la chasse d'une plus grande variété d'espèces animales, tant marines que terrestres. Cette technologie inclut le traîneau à chien, le kayak, l'umiaq (grand bateau pour la femme, mais utilisé aussi par l'homme pour la chasse à la baleine), le propulseur, le foret, l'arc et la flèche (McGhee, 1996). Au Labrador, les Thuléens ont construit, sur certaines îles du large ou près de la limite de la banquise, des maisons semi-souterraines comprenant une à plusieurs pièces (Fitzhugh, 1977 dans Labrèche, 2001). Par ailleurs, les fouilles archéologiques montrent que des sites dorsétiens ont été souvent occupés à nouveau par les Thuléens. Selon quelques chercheurs comme McGhee (1999) et Labrèche (2001), il semble qu'il y aurait eu chevauchement de la culture dorsétienne récente, laquelle correspond à la dernière phase de la culture paléoesquimaude, et de la culture néoesquimaude (thuléenne). Ce chevauchement qui aurait eu lieu au cours des 13e et 14e siècles suscite plusieurs questions quant à la possibilité et la nature d'un tel contact (Park, 1999). Selon certains chercheurs, le réchauffement climatique du Petit Optimum Médiéval a forcé les Dorsétiens à
12 adopter la culture thuléenne pour survivre (soit par acculturation ou assimilation). D'autre part, il semble qu'à cause du changement dans la répartition des ressources associé au réchauffement climatique, la rivalité entre les deux peuples aurait entraîné la disparition des Dorsétiens. Les descendants des Thuléens sont les Inuit qui occupent actuellement le nord de l'Alaska, du Canada et du Groenland. Au Labrador, la transition culturelle entre les Thuléens et les Inuits est datée entre les 17e et 18e siècles (Kaplan, 1983). D'après Labrèche (2001), la transition de la culture thuléenne à la culture inuite a impliqué l'inclusion progressive d'éléments obtenus des Européens lors des premiers contacts tels le remplacement de la lame poli en os par celle en métal et le développement de spécialisations économiques et technologiques propres à chacune des régions occupées (McGhee, 1994). Le développement de la culture inuite s'est effectué en trois phases. La première, la phase ancienne (1450-1700 AD), se caractérise par plusieurs similitudes avec la culture thuléenne telles qu'un même type d'économie de subsistance (chasse à la baleine) et un même mode d'habitation durant la période hivernale (maison semi-souterraine habitée par plusieurs familles) (Brice-Bennett, 1977). La seconde phase (1700-1850 AD) fait suite aux premiers contacts avec les Européens lesquels se sont établis le long de la côte du Labrador. Ces contacts se sont traduits par des changements sociaux et économiques chez les populations autochtones. À titre d'exemple, les habitations d'hiver du 18e siècle sont devenues de grandes maisons multifamiliales (Taylor, 1974; Schledermann 1976; Kaplan, 1983; Labrèche, 2001). Cependant, au cours du 19e siècle, durant la phase récente (1850 AD à aujourd'hui), la taille des maisons a diminué n'abritant qu'une seule famille, alors que les maisons semi-souterraines traditionnelles ont été remplacées par les maisons en planches de bois de style européen. L'économie qui était jadis basée sur les ressources marines est devenue axée sur une économie mixte (terrestre et marine) influencée par la traite de la fourrure. L'établissement de postes de traite le long de la côte et l'extension des missions moraves dans le nord du Labrador ont augmenté les opportunités d'échange entre Inuit et Européens. La dépendance des Inuit envers les produits manufacturés et les denrées alimentaires échangeables monétairement a engendré d'importants changements dans
13 l'organisation sociale des Inuits (Brice-Bennett, 1977). Au début du 20e siècle, l'État a procédé à des déplacements de populations, tel que celle d'Okak en 1919 AD, suite à une épidémie de la grippe espagnole, et a instauré des programmes d'habitation: la sédentarisation qui s'achève vers le milieu du 20e siècle (Duhaime, 1985 dans Labrèche, 2001). La chute de la pêche au saumon et à la morue vers 1950 et celle de la fourrure vers 1975 ont contribué à l'abandon de petites communautés éparpillées le long de la côte comme Evilik Bay et Youngs Harbour pendant les années 1970. 1.2 Sites d'étude L'étude porte sur deux sites archéologiques et leur environs. Le site principal est Oakes Bay 1 (code Borden HeCg-08) situé sur Dog Island et le second est Koliktalik 6 (code Borden HdCg-23), situé sur l'île de Koliktalik (Figure 2). 1.2.1 Site Oakes Bay 1 (HeCg-08), Oakes Bay, Dog Island, Labrador Dog Island est localisé à environ 40 km au nord-est de Nain, dans la mer du Labrador. Oakes Bay, orientée est-ouest, est l'une des principales baies de l'île. Le site Oakes Bay 1 (HeCg-08) (56°40.06' N, 61°08.24'O) se trouve sur la rive nord de cette baie. Le site comprend les ruines de sept maisons semi-souterraines de grandeurs diverses (Tableau 2; Figure 3) et est limité au nord par le versant sud du mont Alagaiai colonisé à sa base, par l'épinette et par deux ravins à l'est et à l'ouest. Le site surmonte une terrasse marine sableuse (T13) d'environ six mètres d'altitude par rapport au niveau marin moyen relatif. De plus, dans cette zone, plusieurs souches d'arbres ont été trouvées dans la tourbe surmontant les sables.
14 Nain Bay Localisabo-- CourscTeau _w •'-*&?■ __ •Y_____l_______ Végétation Sabto ** .* * Eau Palse Dog Island O a k e s Bay Source RMSOU ICM naturelles Canada Autour NatamaRoy Figure 2: Localisation des sites d'étude: Oakes Bay 1 et Koliktalik 6 Tableau 2: Synthèse des caractéristiques des maisons semi-souterraines du site archéologique Oa kes Bay 1, Dog Island, Labrador Longueur largeur Longueur du Maison Forme Catégorie Date (siècle) (m) (m) couloir (m) HI 10 7 10 sub-rectangulaire multifamiliale 18e H2 11.5 7 9 rectangulaire multifamiliale 18e H3 9 5.5 9 — unifamiliale fin 18 e H4 9 5.5 6 sub-rectangulaire unifamiliale fin 17e à début 18e H5 2 3 7 rectiligne unifamiliale fin 17e à début 18e H6 7 4.5 6 rectiligne unifamiliale — H7 - — — ovale unifamiliale — Adapté de Taylor, 1974 et Woollett, 2003
15 Les maisons semi-souterraines sont, en général, de forme sub-rectangulaire et chacune comporte seulement une pièce (Woollett, 2003). Les murs ont été construits à l'aide de pièces de bois et de blocs de tourbe afin d'isoler la maison du froid pendant l'hiver. Les maisons sont caractérisées par une plateforme surélevée le long du mur. Un long couloir muni d'une trappe d'air froid constitue l'entrée de chaque maison, laquelle est orientée vers le sud (vers la baie). Ainsi, la maison est protégée des forts vents d'ouest, en provenance du continent, et des vents d'est, en provenance de la mer du Labrador. À l'est de l'entrée de chacune des maisons se trouve un dépotoir. D'après les données archéologiques, il y aurait eu deux phases d'occupation successives du site: thuléenne et inuit datées respectivement de la fin de 17e siècle et du début du 18e siècle (Woollett, 2003). Le rapport historique des missionnaires moraves de Nain indiquent une dernière occupation pendant l'hiver de 1771- 1772 (Taylor, 1974). 0 5 10 15 20 k.ummhiil. _ _ -le Milieu humide fô Maison semi-souterraine Aaaeau de tente Terrasse marine pTIHeCg-OS Oakes Bay 1 -— D»8 b-**- Lrtndo* I —I Plan du site OAKES BA Y Figure 3: Carte de Oakes Bay 1, Dog Island (adapté de Woollett, 2003)
16 1.2.2 Site Koliktalik 6 (HdCg-23), Koliktalik, Labrador Koliktalik est une petite île d'environ 4 km2 située à environ six kilomètres à l'est de Dog Island. Surmontant un affleurement rocheux d'environ 12 mètres d'altitude, le site Koliktalik 6, code borden HdCg-23 (56°38'N, 61°02'O), comprend des vestiges de deux maisons semi-souterraines de quelques mètres de long. Les données archéologiques suggèrent que ce site a été occupé durant le Dorsétien Moyen, puis pendant le 18e siècle par les Inuit sans toutefois exclure la possibilité d'une occupation thuléenne (Woollett, communication personnelle, 2009). Le rapport historique des missionnaires moraves indique une occupation du site durant les hivers de 1776-1777 et de 1778-1779 (Taylor, 1974). Un palier situé à 8 m d'altitude en contrebas du site archéologique est actuellement recouvert d'environ 40 cm de tourbe. Ce palier fut probablement un lieu de réception de matériaux archéologiques (vestiges, déchets, restes) lors des occupations du site.
17 Chapitre 2 Méthodologie 2.1 Travaux de terrain 2.1.1 Géomorphologie et stratigraphie 2.1.1.1 Relevés géomorphologiques Afin de documenter la paléogéographie postglaciaire d'Oakes Bay, des relevés géomorphologiques ont été effectués durant l'été 2007. Ces relevés consistaient à identifier et recenser les anciennes terrasses marines et à mesurer leur altitude. 2.1.1.2 Stratigraphie Deux coupes stratigraphiques, excavées au niveau d'une terrasse marine d'une altitude d'environ 3 mètres, ont été décrites selon le code stratigraphique international (Hedberg, 1976) en se basant sur la composition, la texture, la couleur et la taille des sédiments ainsi que sur le type de structures sédimentaires. Les unités formant chacune des coupes ont été échantillonnées en vue d'analyses granulométriques. Un sol formant la partie supérieure de la terrasse a été décrit selon le Système canadien de classification des sols (Commission canadienne de pédologie, 2002). 2.1.2 Relevé de végétation Sur le terrain, un relevé de la végétation actuelle a été effectué dans le but de documenter la représentation spatiale des espèces végétales colonisant la terrasse surmontée par le site archéologique Oakes Bay 1, mais aussi afin de faciliter l'identification des restes végétaux lors de l'analyse macrofossile de la tourbe. Le relevé de végétation a été réalisé en fonction d'un indice de fréquence préalablement établi et du pourcentage de recouvrement de chaque espèce identifiée sur un quadrat de forme carré d'une superficie de 100 m2 (10 m x 10 m).
18 _# 2.1-3 Echantillonnage de la tourbe Sept monolithes tourbeux, dont l'épaisseur varie entre 20 et 40 cm, ont été prélevés d'une terrasse paludifiée (T13, 6 m d'altitude) sur laquelle se situe le site archéologique Oakes Bay 1. Les monolithes OB-MI, OB-M6 et OB-M11 ont été extraits en périphérie du site archéologique, le monolithe OB-M8 a été extrait entre deux anneaux de tente tandis que les monolithes OB-M5 et OB-M9 ont été prélevés entre les vestiges des maisons semi- souterraines. Ces monolithes ont été échantillonnés afin de déterminer l'évolution de la végétation de la terrasse et de retracer l'impact de l'Homme sur son environnement. Le monolithe OB-M14 a été extrait de la terrasse T12, situé à environ 100 m du site archéologique, afin de reconstituer l'histoire de la végétation locale qui n'a pas subi d'impact humain direct. Aux environs du site archéologique de Koliktalik 6, deux monolithes, K-Ml et K-M2, d'une épaisseur respective de 40 et 10 cm ont été prélevés. Ce site repose sur un affleurement rocheux à 12 mètres d'altitude. Le monolithe K-Ml provient d'un pallier rocheux situé à 8 mètres d'altitude, alors que le monolithe K-M2 provient d'un marais situé en contrebas du site archéologique à environ 0,5 mètre d'altitude. Deux carottes de tourbe de 80 cm d'épaisseur chacune ont été extraites à l'aide d'une sonde russe au sein d'une zone entourbée à l'extrémité nord du lac Long (nom non officiel) situé à 58 mètres d'altitude (56°39'30,2"N, 61°08' 12,5"0). Ce lac se trouve sur la rive sud de Oakes Bay, à environ 500 m à vol d'oiseau du site archéologique Oakes Bay 1. Les neuf monolithes et les deux carottes ont été récoltés pour datation au radiocarbone ainsi qu'à des fins d'analyses macrofossiles ou sporopolliniques. 2.2 Travaux en laboratoire 2.2.1 Analyse granulométrique Les échantillons destinés à l'analyse granulométrique ont été préalablement séchés et nettoyés de toute matière organique, des carbonates et des magnetites. Environ 10-15 grammes de sédiments de taille inférieure à 500 pm (sable et pélite) ont été analysés par
19 l'entremise du granulomere Pratica LA-950V2 de la compagnie Horiba, un système d'analyse de la taille des particules par diffraction au laser (Cayer, 2009). À l'aide du logiciel Gradistat, les données granulométriques ont été fusionnées et les indices granulométriques calculés selon la méthode des moments statistiques (Blott et Pye, 2001). Ainsi, la taille moyenne, l'indice de tri, l'indice d'asymétrie et l'indice d'acuité de chaque échantillon ont été obtenus puis, interprétés selon McManus (1998). Au total, 10 échantillons ont été analysés. 2.2.2 Analyse sporopollinique L'analyse sporopollinique consiste en l'étude du contenu en grains de pollen et spores d'un échantillon ou d'une série d'échantillons d'une séquence sédimentaire lacustre ou tourbeuse afin de reconstituer l'histoire de la végétation locale et régionale. Cette analyse a été effectuée sur une carotte de 80 centimètres provenant de la berge nord entourbée du lac Long. Le traitement chimique des échantillons a été effectué sur un volume de 2 cm3 prélevé à un intervalle de 2 cm selon la méthode de Faegri et al. (1989) et de Lavoie (2001). Le traitement consiste en la destruction des sédiments organiques et des minéraux à l'aide d'acides et de bases dans le but d'extraire les grains de pollen et les spores. Un volume connu d'une suspension de Eucalyptus globulus (pollen exotique), dont la concentration avait été préalablement déterminée, a été ajouté à chaque échantillon au début du traitement afin de calculer les concentrations polliniques (grains/cm ). Les échantillons ont été colorés grâce à l'ajout de rouge neutre puis montés entre lame et lamelle. L'identification et le dénombrement des grains de pollen et des spores ont été effectués au microscope optique à un grossissement de 400x. Un minimum de 500 grains de pollen de plantes vasculaires terricoles a été compté. La collection de référence du Laboratoire de paléoécologie terrestre du CEN et des ouvrages (Richard, 1970; Me Andrews et a l , 1973) ont été utilisés comme guides de référence pour l'identification des grains de pollen. Les résultats ont été compilés et présentés sous la forme de diagrammes sporopolliniques à l'aide du logiciel Paleo Data Plotter (Juggins, 2002). Un diagramme pollinique est formé par un ensemble de courbes polliniques en pourcentage et une courbe de la concentration pollinique totale. L'influx
Vous pouvez aussi lire