Evolution du statut des laxatifs stimulants végétaux - Dis-leur

 
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Evolution du statut des laxatifs stimulants végétaux - Dis-leur
Evolution du statut des laxatifs stimulants végétaux
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                          Pierre CHAMPY , Sabrina BOUTEFNOUCHET

a. Laboratoire de Pharmacognosie, CNRS UMR 8076 BioCIS, UFR Pharmacie, Université Paris-Sud,
France ; pierre.champy@u-psud.fr.
b. Laboratoire de Pharmacognosie, CNRS UMR 8638, UFR Pharmacie, Université Paris Descartes,
France ; sabrina.boutefnouchet@parisdescartes.fr.
Responsables du D.I.U. « Phytothérapie, aromathérapie : données actuelles, limites », Universités
Paris Descartes et Paris-Sud.

Résumé

Les plantes à hétérosides hydroxyanthracéniques, dites « laxatives stimulantes », sont indiquées dans
le traitement de courte durée de la constipation occasionnelle chez l’adulte. Leur emploi nécessite des
précautions particulières et les médicaments qui en sont tirés portent de nombreuses mises en garde
et recommandations. Le mésusage et l’emploi détourné de ces médicaments semblent par ailleurs
fréquents, et présentent un risque bien documenté. Cependant, en novembre 2013, l’Agence
Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) a reconnu, pour les compléments alimentaires
contenant ces plantes et leurs préparations, l’allégation-santé générique « amélioration du transit »
chez l’individu sain. Un rappel sur le statut des laxatifs stimulants, leurs conditions d’emploi et les
données de la pharmacovigilance est proposé, soulignant les implications sanitaires et les ambigüités
de cette évolution réglementaire.

1. Introduction

Aloès, bourdaine, cascara, sénés et rhubarbes, bien que botaniquement hétérogènes, ont en commun
des principes actifs célèbres : les hétérosides hydroxyanthracéniques ou anthracénosides, qui
modifient les échanges ioniques au niveau de l’épithélium du côlon, causant ainsi une hydratation des
selles, une augmentation du péristaltisme intestinal et une accélération du transit [Bruneton 2009].
Cette activité pharmacologique les a écartées du registre alimentaire de l’Homme, qui en exploite
l’intérêt thérapeutique. D’emplois immémoriaux (l’aloès) ou plus récents (la bourdaine) [Folch 1955,
Lieutaghi 1969], objets d’une convergence d’usage particulièrement forte à l’échelle mondiale, ces
laxatifs dits « stimulants » sont emblématiques de la phytothérapie. Anciennement « purges » aux
réminiscences hippocratiques, elles ont une forte notoriété populaire et sont largement associées au
champ médical dans la tradition française (« Quoi? Vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au
vin émétique ? » s’écrit Sganarelle, accusant Dom Juan d’être « impie en médecine » [Molière, Dom
Juan, Acte III, sc. 1]). Leur dispensation est historiquement rattachée à la pharmacie (« la pharmacie ?
Suivez la ligne jaune. » [Coluche 1979]). Elles ont longtemps été employées, en association avec des

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plantes cholérétiques, cholagogues ou diurétiques, dans des produits revendiquant un effet général
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sur le foie et les intestins (en témoigne, pas exemple, la formule de Boldoflorine ; Figure 1). Les
indications des médicaments contenant ces plantes sont maintenant restreintes : l’Agence
Européenne du Médicament (EMA) qualifie d’obsolète l’emploi traditionnel du séné pour la
« purification des intestins ou d’autres organes » et les autorités sanitaires françaises imposent
l’indication « laxatif stimulant » aux mélanges initialement proposés comme dépuratifs et purgatifs
[ANSM, 1987].

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Figure 1. Publicités pour le médicament Boldoflorine , à base de boldo, romarin, bourdaine et
séné. A droite : « une tasse de boldoflorine se prépare et se prend à la fin du repas comme une
simple infusion de tilleul » (Source : google-images).

2. Statut médicinal, emplois

Un statut médicamenteux.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) répertorie 8 drogues végétales laxatives stimulantes dans
ses monographies consacrées aux plantes médicinales (Figure 2) [OMS 1992, 2002]. Celles-ci ont
également un statut médicinal pour l’EMA, qui reconnait l’usage bien établi des médicaments de cette
classe dans le « traitement de courte durée de la constipation occasionnelle » et leur consacre des
monographies médicalisées [EMA 2006-2008]. En France, elles sont inscrites sur la liste A des
plantes médicinales de la Pharmacopée Française, l’Agence de sécurité des médicaments (ANSM)
reconnaissant une espèce supplémentaire : le dartrier, d’origine antillaise [Hennebelle 2009]. Aucune
des espèces employées n’a le statut GRAS (Generally Recognized as Safe) pour la Food and Drug
Administration (FDA) américaine. Toutes figurent sur le registre des végétaux contenant des
substances toxiques de l’EFSA [2009].

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Figure 2. Nerpruns, cascara, sénés (Source : BIU Santé Paris-Descartes).

Table 1. Drogues végétales laxatives stimulantes et préparations inscrites à la Pharmacopée
française

Aloès des Barbades,     Aloe barbadensis Miller (= A. vera L.) et/ou les autres aloès,   suc des feuilles
aloès du Cap            principalement Aloe ferox Miller, Liliaceae /
                        Xanthorrhoeaceae

Bourdaine               Rhamnus frangula L. (Frangula alnus Mill.), Rhamnaceae           écorces de
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Cascara                 Rhamnus purshianus D.C. (Frangula purshiana (DC.)
                        A.Gray ex R.C.Cooper), Rhamnaceae

Dartrier                Senna alata (L.) Roxb. (Cassia alata L.), Fabaceae               folioles

Rhapontic               Rheum rhabarbarum L., R. x hybridum Murray,                      racines et
                        Polygonaceae                                                     rhizomes

Rhubarbes               Rheum palmatum L. et/ou Rheum officinale Baillon et/ou
                        leurs hybrides et mélanges, Polygonaceae

Séné d’Alexandrie ou    Cassia senna L. (C. acutifolia (Delile) Batka) (Senna            folioles ;
de Karthoum             alexandrina Mill.), Fabaceae (anc.-Cesapliniaceae)
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Séné de Tinnevelly      Cassia angustifolia Vahl, Fabaceae (anc.-Cesapliniaceae)
ou de l’Inde

De strictes conditions d’emploi

En raison de leurs effets indésirables, des populations à risque et des précautions nécessaires à leur
emploi [Schulz 2004, Williamson 2009], les plantes à hydroxyanthracénosides sont considérées

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comme des laxatifs de dernière intention par la World Gastroenterology Organization [WGO 2010].
L’ANSM, l’EMA et l’OMS définissent de manière stricte leur qualité et leur emploi. Jugeant leur rapport
bénéfice-risque défavorable chez l’enfant, ces organismes les réservent strictement à l’adulte et à
l’adolescent, et considèrent :

    -   qu’une surveillance médicale de leur emploi est nécessaire, afin d'éviter qu'une étiologie grave
         ne soit masquée par leur consommation,

    -   que le traitement médicamenteux de la constipation n’est qu’un adjuvant au traitement
         hygiéno-diététique (enrichissement de l’alimentation en fibres végétales et en eau, conseils
         d’activité physique et de rééducation de l’exonération),

    -   que leur utilisation doit demeurer exceptionnelle, suivant des posologies maximales définies.
         Celles-ci, ainsi que les conditions d’utilisation, sont présentées dans l’encart 2,

    -   qu’elles doivent être évitées chez la femme enceinte, en particulier la rhubarbe et l’aloès
         (Figure 3), en raison de la présence d’émodine, suspectée de génotoxicité [EMA, 2006-2008].
         L’European Scientific Cooperation on Phytotherapy (ESCOP) déconseille l’ensemble des
         drogues au cours du premier trimestre de la grossesse [2003].

Leur dispensation en vrac est déconseillée en raison du risque de surdosage et de mésusage : elles
ont ainsi été exclues des monographies « Tisanes » et « Mélange pour tisanes pour préparations
officinales » publiées par l’ANSM en 2012 et 2013. Le cahier de l’agence du médicament consacré
aux médicaments à base de plantes limite les associations à deux laxatifs stimulants au maximum
[ANSM, 1987].

Encart 1. Conditions d’emploi des laxatifs stimulants pour l’EMA et l’ANSM

    Traitement de courte durée de la constipation occasionnelle
-   Justifié dans les cas suivants : préparation à des examens radiologiques, à une coloscopie,
maintien de selles molles en cas d’intervention chirurgicale ano-rectale, constipation occasionnelle liée
à un traitement médicamenteux ou à un changement de mode vie...

    Emploi : 8 à 10 jours au maximum ; « deux à trois prises en une semaine sont théoriquement
suffisantes ».
    Posologie : « dose minimale nécessaire pour obtenir des selles molles », exprimée en masse
d’hétérosides hydroxyanthracéniques (généralement 12-15 mg en une prise, le soir, pour une action à
8 à 12 heures)
En cas d’association, la dose totale d’hétéroside hydroxyanthracénique est prise en compte.
-   dose maximale : 30 mg par jour (pour les rhubarbes : 20-30 mg par jour).

    Contre indications :
-   syndrome occlusif ou sub-occlusif ;
-   syndromes douloureux abdominaux de cause indéterminée
-   colopathies organiques inflammatoires (rectocolite ulcéreuse, maladie de Crohn...) ;

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-   état de déshydratation sévère ;
-   enfants de moins de 12 ans.

    Grossesse : déconseillé en l’absence de données ;
-   rhubarbes déconseillées et aloès contre-indiqués, sur la base de données précliniques.

    Interactions médicamenteuses :
–   Associations déconseillées : amiodarone, astémizole, bépridil, disopyramide, érythromycine par
voie IV, halofantrine, pentamidine, quinidiniques, sparfloxacine, sotalol, sultopride, terfénadine,
vincamine, en raison du risque majoré de troubles ventriculaires, notamment de torsades de pointe.
–   Associations nécessitant des précautions d’emploi : digoxine (l’hypokaliémie potentielle favorise
les effets toxiques des digitaliques) ; hypokaliémants (diurétiques hypokaliémants seuls ou associés,
amphotéricine B par voie intraveineuse, corticoïdes par voie générale, tétracosactide, réglisse) en
raison d’un risque majoré d’hypokaliémie.

Effets indésirables

Les effets indésirables potentiels sont, outre une coloration anormale des urines sans signification
clinique, une diarrhée et des douleurs abdominales. Une utilisation prolongée de laxatifs stimulants
peut avoir des conséquences sévères. Elle engendre :

        l’instauration d’une tolérance et d’une dépendance, avec besoin régulier de laxatifs, nécessité
        d’augmenter la posologie et constipation sévère en cas de sevrage. Un risque d’entrave au
        fonctionnement normal du réflexe d’exonération existe ;

        la « maladie des laxatifs » : mélanose recto-colique, colopathie fonctionnelle sévère,
        anomalies hydroélectriques avec hypokaliémie. Un risque de déshydratation existe.

Les données de pharmacovigilance décrivent outre l’hypokaliémie, hypocalcémie, acidose
métabolique, albuminurie, hématurie, perte de poids, malabsorption. Des troubles cardiaques
provoqués par l’hypokaliémie (voir encart 1) sont mentionnés, y compris chez des patients jeunes. On
notera de plus que le caractère carcinogène de certains hydroxyanthracénosides fait encore l’objet
d’interrogations [EMA 2006-2008].

Les accidents sont plus particulièrement fréquents :

    -   chez des patients âgés, susceptibles d’avoir développé une dépendance ;

    -   en cas d’usage détourné, chez des patients cherchant à conserver un ventre plat et à perdre
        du poids, notamment en cas de troubles anorexiques.

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Figure 3. Aloès, rhubarbe (Source : BIU Santé Paris-Descartes).

3. Ampleur et circonstances du mésusage

De par leur statut de « médicaments à base de plantes d’usage bien établi », les laxatifs stimulants ne
sont pas soumis à une prescription médicale obligatoire et constituent des produits de médication
familiale en France, comme d’autres classes de laxatifs.

La littérature met en évidence un mésusage très fréquent des laxatifs dans la population générale
occidentale (1 à 4 % selon les auteurs) [Croll 2002, Motola 2002, Neims 1995, Roerig 2010]. Dans
une étude italienne menée en pharmacie, il est identifié chez près de 60 % des utilisateurs, l’achat
étant motivé par un proche ou la publicité dans 30 % des cas (n= 7324) [Motola 2002]. Une enquête
récente réalisée dans la région bordelaise relève que 62 % des utilisateurs de laxatifs emploient des
laxatifs stimulants, de manière chronique pour 31,8 % d’entre eux. La constipation chronique et le
besoin du produit représentent 44,5 % et 11,7 % des achats de laxatifs ; la perte de poids, 8 % (19
pharmacies, 2 semaines ; n= 137) [Théophile 2009]. Parmi ces utilisateurs, on retrouve les deux
populations à risque citées précédemment :

    -   la proportion de sujets âgés est importante (plus de 60 ans : 23,8 % des consommateurs de
        laxatifs OTC dans l’étude italienne [Motola 2002] ; âge moyen supérieur à 62 ans dans l’étude
        française [Théophille 2009]) ;

    -   le suivi d’un échantillon d’adolescents américains (n = 53 229) sur 3 ans estime à 5 % la
        consommation de produits OTC dans une optique amaigrissante, avec 1,7 et 1,9 % de

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consommateurs de laxatifs. Les auteurs ont relevé 0,2 % d’hospitalisations pour troubles
        électrolytiques et suggèrent une sous-notification des abus de produits OTC au personnel
        soignant [Austin 2013]. L’étude d’une population similaire indique, en fonction du groupe
        ethnique et du sexe, 1,3 à 4 % d’adolescents utilisateurs de laxatifs (n = 81 000) [Croll 2002].

4. Évolution du statut des produits laxatifs stimulants

Statut pharmaceutique

En France, les plantes laxatives stimulantes figurent au monopole pharmaceutique. Leur statut et celui
de leurs produits dérivés est supposé assurer une protection des consommateurs, la dispensation
n’étant théoriquement possible que dans les conditions précisées plus haut, dans le respect de
l’indication thérapeutique. De plus, ce statut médicamenteux garantit une qualité pharmaceutique,
assurant une teneur précise en dérivés hydroxyanthracéniques et évitant le risque de falsification
               1
[Foster 2011] . Cependant, des compléments alimentaires contenant des laxatifs stimulants
apparaissent dans les rayons des pharmacies et d’autres distributeurs. Cet état de fait est surprenant,
un complément alimentaire étant défini par décret comme une « denrée alimentaire dont le but est de
compléter le régime alimentaire normal », qui peut contenir des « plantes et préparations de plantes
[…] à l’exclusion [de celles] possédant des propriétés pharmacologiques et destinées à un usage
exclusivement thérapeutique ». De plus ce décret stipule que leurs ingrédients doivent conduire à des
« produits sûrs, non préjudiciables à la santé des consommateurs, comme cela est établi par des
données scientifiques généralement acceptées » (Chap. II, art. 3) [JORF 2006]. C’est la libre
circulation des denrées alimentaires dans la communauté européenne qui explique l’évolution de
l’offre actuelle, celle-ci pouvant laisser perplexe (Figure 4).

                                                               a
                                      soit 36 à 60 jours

                      44 à 73 mg d’hétérodides par jour

                      b
                                               mention à caractère thérapeutique

                                                                sénés, cascara, rhubarbe,
                                                                aloès, bourdaine (poudres) :
                                                                34-68 mg d’hétérosides par jour

                                                           cascara (extrait sec),
                                                           rhubarbe (poudre),
                      c                                    bourdaine (poudre, extrait) :
                                                           64-192 mg d’hétérosides par unité :
                                                                  « 1 à 4 par jour »

                                                                            « ventre plat » !

                                                                     d

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Figure 4. Compléments alimentaires proposés en France : doses théoriques d’hétérosides
hydroxyanthracéniques totaux

        Les informations ont été relevées sur les sites des fabricants (a à c) et d’une parapharmacie en
        ligne (d) (consultation : mars 2014) ; à défaut d’information, les doses en hétérosides
        hydroxyanthracéniques totaux sont indicatives. Elles ont été calculées d’après les normes de la
        Pharmacopée Européenne, selon les posologies préconisées (a à c).

Disparité de statut à l’échelle européenne

En Belgique et en Italie, toutes les drogues laxatives stimulantes répertoriées par l’OMS et l’EMA
figurent sur les listes des plantes autorisées comme ingrédients dans des compléments alimentaires :

    -    dans la liste italienne, aucune mise en garde n’est précisée, et une allégation « régulation du
         transit » (« Regolarità del transito intestinale. Funzione digestiva ») est proposée, comme pour
         la pomme, la prune ou la chicorée [Ministère de la Santé italien, 2012] ;

    -    dans la liste belge, une dose maximale quotidienne d’anthracénosides est précisée pour les
         sénés et les rhubarbes (18 mg et 25 mg, respectivement). Le contrôle de la teneur en
         principes actifs est obligatoire pour chaque lot de complément alimentaire contenant ces
         drogues et des précautions d’emploi doivent figurer sur les produits (« ne pas administrer aux
         enfants de moins de 12 ans ; consultez votre médecin en cas de grossesse ou d'allaitement ;
         pas d'utilisation prolongée sans avis d'un spécialiste ».) Ce dispositif n’est, étrangement, pas
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         retenu pour les Rhamnus (dont le séchage n’est pas mentionné ) et les aloès ;

    -    ces plantes figurent également dans le projet de liste positive publié par l’ANSES sous
         l’impulsion de la DGCCRF, dans une saisine de 2011. Il est proposé que l'étiquetage
         comporte un avertissement déconseillant l'emploi aux enfants de moins de 12 ans, aux
         femmes enceintes et allaitantes et une mention déconseillant l'usage prolongé.

Allégation « amélioration du transit intestinal »

Le groupe de travail sur les produits diététiques, la nutrition et les allergies (NDA) de l’EFSA a
                    3                                                                                  4
récemment évalué une demande d’allégation pour un complément alimentaire bien caractérisé ,
contenant une association de probiotiques, de plantes digestives et de plantes laxatives stimulantes
apportant 10 mg d’hydroxyanthracénosides par jour. La prise en considération des données cliniques
fournies par ce laboratoire et des données bibliographiques compilées par l’EMA a amené l’EFSA à
reconnaitre l’allégation générique « amélioration du transit » pour l’ensemble des plantes à
hydroxyanthracénosides et de leurs préparations, pour une dose minimale de 10 mg de principes
actifs par jour [EFSA, 2013]. L’EFSA, sur la base des avis publiés par l’EMA, propose d’imposer des
contraintes d’étiquetage. Plusieurs éléments essentiels ont cependant été négligés par l’agence
(Encart 2).

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Encart 2. Conditions de commercialisation des compléments alimentaires contenant des
laxatifs stimulants – EFSA, 2013

    Conclusions de l’EFSA, contraintes [EFSA 2013]

-   un temps de transit réduit, des mouvements intestinaux fréquents, une augmentation du volume
    fécal, des selles molles correspondent à un effet physiologique bénéfique, s’il n’en résulte pas de
    diarrhée.
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-   L’allégation « amélioration du transit intestinal » peut être revendiquée pour un apport de 10 mg
    d’hydroxyanthracénosides par jour.
-   La population cible est la population adulte.
-   Restrictions d’emploi : Les laxatifs stimulants ne doivent pas être employés pendant plus de deux
semaines sans avis médical. L’usage au long cours doit être évité. A n’employer qu’en l’absence
d’amélioration du transit par une modification du régime alimentaire et l’administration d’agents de
lest.

    Eléments non pris en considération par l’EFSA

-   Définition d’une dose maximale d’hydroxyanthracénosides ; contrôle des principes actifs.
-   Mention des interactions médicamenteuses.
-   Absence de contre-indication ou de mention spécifique pour la femme enceinte et l’enfant.
-   Autres contre-indications et mises en garde.

Cette décision de l’EFSA est surprenante car elle implique :
    -   la reconnaissance d’un statut de denrées alimentaires pour les plantes laxatives stimulantes,
         alors que celles-ci n’appartiennent pas au répertoire alimentaire – et encore moins au régime
         alimentaire « normal » dont les compléments alimentaires doivent théoriquement couvrir les
         carences ;
    -   l’assimilation de l’action pharmacologique de ces drogues à une activité d’ordre physiologique
         adaptée au sujet sain, malgré la spécificité de l’indication thérapeutique ;
    -   un caractère superflu pour l’accompagnement et le conseil médical ou pharmaceutique, même
         pour les populations à risque.
De plus, cet avis, rendu à titre générique, ne prends pas en considération les problèmes de qualité
inhérents aux compléments alimentaires, en regard de la teneur en hydroxyanthracénosides. Un
passage en droit communautaire imposerait ces conditions à l’ensemble des partenaires européens,
de par les règles communautaires relatives au commerce dans l’Union. Le comité en charge des
médicaments de phytothérapie de l’EMA (HMPC) a exprimé des réserves [EMA 2014] et deux
commentaires ont été reçus par la Commission Européenne :
- le premier, soumis par l’entreprise Vivatech, objectait la spécificité de la composition du produit
revendiquant l’allégation et des données cliniques fournies à l’appui de cette demande, déplorant de
ne pas conserver l’exclusivité de l’allégation [Vivatech 2013] ;

                                                                                        Page 9 sur 14
- le second commentaire reprécisait la dangerosité qu’un élargissement du statut des laxatifs
stimulants présentait pour la population européenne, notamment en l’absence de systèmes de
nutrivigilance dans les pays européens autres que la France (où l’ANSES assure cette mission)
[Boutefnouchet 2013, 2014].
Après examen de ces remarques, le groupe de travail NDA de l’EFSA n’a pas modifié ses
conclusions, précisant que son rôle n’était pas d’évaluer la sécurité des ingrédients [EFSA 2014].

5. Conclusion

Si la Commission Européenne traduit cet avis en directive, ce sera donc aux autorités sanitaires et
commerciales nationales – en France, la DGCCRF, avec le soutien de l’ANSES – que reviendra la
décision d’autoriser les compléments alimentaires à base de laxatifs stimulants dans les conditions
précisées par l’EFSA, de contraindre ces produits à des exigences spécifiques, ou encore d’interdire
leur commercialisation. Une telle décision pourrait être considérée, en vertu de la fonction des
hydroxyanthracénosides administrés à la posologie de 10 mg/jour, du caractère non traditionnellement
alimentaire des plantes contenant ces molécules, ainsi que des risques potentiels liés à la
banalisation de ces produits.

Encart 3. Exercices de style autour des laxatifs

        Ordonnance de Jean, Roi de France, sur la vente des médicaments dans la ville de
Paris et les environs, décembre 1352.
« Nous avons ordonné et ordonnons par notre autorité royale et pleins pouvoirs par ces présentes à
être observé perpétuellement que dorénavant aucune personne de n’importe quel sexe ou condition
ne prépare et ne fasse préparer dans la cité, la ville et les faubourgs de Paris aucun médicament
laxatif […] à cause du péril de mort et de l’empirement de la maladie » (cité dans [Aubry 1993]).

        La pilule qui le purgea
… C’était un gourmand enragé […]
…Il en prit deux, qu’il avala,
Malheureux, c’était des pilules !
…Il sentit qu’ici-bas tout n’est pas friandise.
La pilule qui le purgea
Le purgea de sa gourmandise.
        L. Ratisbonne (1923)

Notes

1. On retiendra pour mémoire la possible falsification de produits de santé visant l’amaigrissement ou
le transit avec des laxatifs stimulants non déclarés [Kojima 2001, Newmaster 2013].

                                                                                        Page 10 sur 14
2. Le séchage ou le traitement thermique de l’écorce de bourdaine entraine une oxydation des
hétérosides d’anthrones, purgatives, en hétérosides d’anthraquinones.
3. Dans la cadre de la procédure relative à l’article 13(5) du Règlement (EC) No 1924/2006.
               ®
4. Transitech (Vivatech, France ; composition par comprimé : rhubarbe, Rheum palmatum / Rheum
officinale, racine (2,2–2,76 % d’hydroxyanthracénosides, soit 5 mg) ; guimauve, Althaea officinalis L.,
racine ; rose, Rosa centifolia, pétales, 38 mg ; artichaut, Cynara scolymus, jus de feuilles sec
standardisé en cynarine (2,5 %), 18 mg ; basilic, Ocimum basilicum, feuille,18 mg ; coriandre,
Coriandrum sativum, fruit, 18 mg ; levure de bière, Saccharomyces cerevisiae UVAFERM SC (LYCC
               8                                                                  6
6062), 1,7.10 CFU ; ferments lactiques, Bifidobacterium longum R0175, 4.10 CFU et Lactobacillus
                       6
helveticus R0052, 4.10 CFU) [EFSA 2013].
5. « improvement of bowel function ».

Abréviations
ANSM : Agence de sécurité des médicaments ; ANSES : Agence Nationale de Sécurité des aliments,
de l’environnement et du travail ; CFU : Unité formant colonie ; DGCCRF : Direction Générale du
Commerce, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes ; EFSA : Agence Européenne de
Sécurité des Aliments (European Food Safety Agency) ; EMA : Agence européenne du médicament
(European Medicines Agency) ; ESCOP : European Scientific Cooperation on Phytotherapy ; HMPC :
Committee on Herbal Medicinal Products (EMA) ; NDA : groupe de travail sur les produits diététiques,
la nutrition et les allergies (EFSA) ; OMS : Organisation Mondiale de la Santé.

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt, et remercient les Dr Thierry Hennebelle et
Alexandre Maciuk pour les fructueuses discussions et échanges bibliographiques.

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Illustrations : Figure 2 : Chaumeton F.P. Flore médicale, vol. I (1814), VI (1818), Panckoucke, Paris,
planches 18, 297 (http://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/image?med37591x01x0073, et
med37591x06x0026) ; Figure 3 : Planches d'enseignement de botanique (sans date) : « [Fabaceae].
Sénés officinaux : Cassia angustifolia, Cassia acutifolia. Cesalpiniées. Sénés de la Palthe, Cassia

                                                                                           Page 13 sur 14
auriculata, Cassia obovata » ; « [Rhammaceae]. Rhammacées : Rhamnus frangula L., Rhamnus
purshiana DC., Ramnus infectoria L., Rhamnus cathartica L., Zizyphus sativa Gaertn ». Musée de
matière médicale François Tillequin (http://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/image?muft0031 et
muft0081) ; Bibliothèque Interuniversitaire Santé, Paris-Descartes.

                                                                                     Page 14 sur 14
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