FABRICE SAMYN To See with Ellipse - 15.10 2021 13.02 2022 @FineArtsBelgium fine-arts-museum.be - Royal Museums of ...

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FABRICE SAMYN
 To See with
 Ellipse

15.10 2021
> 13.02 2022
@FineArtsBelgium
fine-arts-museum.be   guide du visiteur   FR
ALTER ECHO(e)S

  « Coïncidence des apparents contraires, (...) alchimie du
 cœur et de l’esprit, du visible et de l’invisible, du conscient
                      et de l’inconscient »

                                                                (Fabrice Samyn)

Traversées par de multiples références à l’histoire de l’art, les
peintures, sculptures, installations et performances de Fabrice
Samyn (°1981) forment des “Alter échos”* avec les œuvres des
Musées Old Masters et Magritte.
      Ce guide du visiteur vous propose, au fil des salles et des
siècles, d’approcher chaque œuvre de l’artiste en « écho » avec une
œuvre de nos collections. Il ne s’agit pas ici uniquement d’opposer,
comparer ou associer des créations que plusieurs siècles parfois
séparent mais de les faire entrer en résonance.
      Des échos, proches ou lointains, qui pourraient retentir, au
cœur des salles, comme la voix de la nymphe antique (Ɛχꭣ) un jour
frappée par la beauté d’une réalité inatteignable.
      À l’image du mythe, notre regard et le Musée se transforment
en espace d’interrogation et de contemplation où se rejoignent
mémoire et sens, passé et présent, visible et tangible.

        Nous vous souhaitons une agréable visite!

*D’après le titre d’un poème de Fabrice Samyn publié en 2020.
PARADISE LOST                                                                        signe son arrêt de mort quand elle fleurit, une fois
                                                                                     dans sa vie, pour permettre sa reproduction :
Les sculptures, peintures ou installations de                                        l’effort fourni est tel, que bientôt, elle se dessèche
Fabrice Samyn explorent parfois l’idée de                                            pour ne laisser que ces reliques que l’artiste
« métarécits » qui en relient les fragments.                                         prélève telles des croix. Fabrice Samyn reporte
                                                                                     une carte des constellations stellaires sur ces
                                                                                     éléments végétaux. Les étoiles sont figurées
En prélude, Eve et Adam nous questionne sur                                          par les fragments or de couvertures de survie.
nos origines. Le tableau dévoile un duo, que                                         Celles-ci convoquent les drames migratoires que
le cadrage découpe, aux limites de l’image,                                          connaissent les régions d’origine de la plante
en deux moitiés. Réunies, elles formeraient un                                       (la frontière Mexique / États-Unis) ou celles où          Fabrice Samyn
être androgyne, à la fois féminin et masculin.                                       elle s’est depuis implantée, comme le bassin              Endogène / Exogène, 2018
Des ouvertures dans les tee-shirts laissent                                          méditerranéen.                                            courtesy of the artist

entrevoir, en l’isolant, le téton. Celui-ci fait
référence à l’état embryonnaire qui précède la     Fabrice Samyn
                                                   Eve & Adam, 2018
différenciation sexuelle.                          collection privée                        « La famille humaine, sur un territoire
        Le titre Eve & Adam convoque aussi la                                        circulaire sans frontières entre le nord et le sud, les
thématique de la chute. Samyn l’évoque par la                                        étoiles et la terre, les morts et les vivants. »
présence de cet « Arbre de la Connaissance »
tombé et ravagé par les insectes xylophages                                          Plus d’un siècle avant Fabrice Samyn, le peintre
que le réchauffement climatique favorise. Les                                        idéaliste Constant Montald rêvait déjà d'un pareil
galeries que ces derniers ont « minées » ont                                         territoire, qui abolirait les frontières. Conçue avec
été magnifiées par l’application de feuille                                          son pendant pour orner le vestibule des musées,
d’or. Le métal précieux a été récupéré à partir                                      La fontaine de l’inspiration nous entraîne dans un        Constant Montald
d’équipements technologiques que recyclent                                           bois sacré où tout ne serait que « luxe, calme et         La fontaine de l'inspiration, 1907
aujourd’hui d’anciennes compagnies coloniales                                        volupté » ? De jeunes gens s’abreuvent d’art et           inv.12105
                                                                                                                                               • à découvrir dans le
reconverties. L’épuisement des ressources d’une                                      de création en buvant une eau noire qui est peut          Forum des Musées
planète affolée et perturbée plane sourdement,                                       -être aussi celle de la connaissance. Au-delà de
comme une menace. « Allons-nous devoir fuir                                          l’éblouissement des sens et du poudroiement
notre paradis terrestre » ?                        Fabrice Samyn                     de l’or, l’artiste nous encourage à méditer sur la
                                                   L'Arbre de la Connaissance Chu,
        Plus loin, des éléments végétaux ont       2020                              puissance des idées… (jPTh)
été empruntés à des inflorescences d’agave.        courtesy of the artist
Cette plante, originaire d’Amérique centrale,
FABRICE
SAMYN
AU
MUSÉE
OLD
MASTERS

Le fil rouge de ce parcours est
une remise en question du statut
de l’image mise au service du
dogme religieux, l’artiste nous
offrant une relecture de divers
sujets tirés de la Bible.
TO SEE OR NOT…                                                                   ARDENT

Dans son récit, l’auteur grec Euripide décrit                                    Le feu : objet de fascination tant que de
la reine de Troie Hécube crevant les yeux du                                     destruction. Dans La justice d’Otton, tableau
souverain thrace Polymnestor, pour venger                                        de Dik Bouts, la comtesse se soumet à son
la mort de son plus jeune fils. Hécube ne tue                                    épreuve. Elle brandit un fer incandescent sans
pas Polymnestor mais fait en sorte que, juste                                    manifester aucune douleur, preuve d’une
avant de perdre la vue, il assiste au meurtre    Giuseppe Maria Crespi           irrévocable intervention divine et donc de
de ses propres fils. Le peintre combine en       Hécube aveuglant Polymnestor,   l’innocence de son mari. Parabole d’une foi
une composition tourbillonnante trois figures    inv.257                         aveugle ? Le feu est aussi invoqué comme
surgies des ténèbres : Hécube, les mains                                         réponse : l’impératrice sera brûlée vive pour
tendues, Polymnestor, le poing fermé, et une                                     son mensonge. Le travail de Fabrice Samyn
femme qui l’immobilise.                                                          autour du feu s’inscrit dans une réflexion sur
       Chez Fabrice Samyn, la mémoire visuelle                                   les notions d’iconoclasme et d’idolâtrie. Ses
s’intègre également dans l’histoire : Par le                                     vierges calcinées renvoient symboliquement          Dirk Bouts
biais de ses assistants, une femme aveugle                                       à des buissons ardents : feux spirituels, qui       La justice de l’empereur Otton:
est invitée à s’assoir dans une pièce séparée    Fabrice Samyn                   éveillent mais ne se consument pas. Sculptures      L’épreuve du feu, vers 1471-73,
                                                 Blind Piece 1: Invisible but                                                        inv. 1448
d’une tenture. La femme prend place d’un côté,   Tangible, 2016                  de bois liées au culte marial, elles ont été
Fabrice Samyn de l’autre. Il ne l’a jamais vue   Courtesy of the artist          brûlées puis recouvertes de résine fondue.
auparavant. Le rideau laisse une ouverture qui                                   Sève vitale, sang de l’arbre, transformé en
lui permet de toucher son visage sans jamais                                     chaude et abrasive coulée. Évocation du culte
la voir. Tandis qu’il découvre d’une main son                                    de la fertilité ? Le feu est réputé pour purifier
visage, il le modèle simultanément de l’autre,                                   les terres et les rendre à nouveau cultivables.
dans l’argile de porcelaine fibreuse.                                            Allusion aux vierges noires de nos contrées ?
       La figure blanche qui nous jette un                                       Leur origine et raison d’être exactes continuent
regard particulier existe surtout dans son                                       de captiver et questionner. Sous l’emprise de
imagination, de même que la femme aveugle                                        la résine, le bois semble s’être muté en roche
ne vit qu’avec une image intérieure d’elle-                                      calcaire aux magnétiques reflets orangés.
même. « Ne pas voir mais sentir », avec                                          L’idole est devenue informe : allégorie d’une
respect et curiosité chez Fabrice Samyn,                                         puissance invisible pour les yeux ? (V.M.)
                                                                                                                                     Fabrice Samyn
par vengeance et volonté de détruire chez                                                                                            Sans titre, de la série Black is
Giuseppe Maria Crespi. (M.K.)                                                                                                        Virgin , 2016

                                                                                                                                                                  9
DÉPOSITIONS                                                                                É( )LIPSE

Sur le Mont Golgotha, qui signifie littéralement                                           Les rayons lumineux qui couronnent les
le lieu du crâne, le Christ est pleuré par Marie,                                          têtes de la Vierge Marie et de l’enfant Jésus
Jean et Marie-Madeleine, reconnaissable au                                                 irradient toute la particularité de leur statut.
pot à onguent avec lequel elle lui a autrefois                                             Du soleil à la lune il n’y a qu’un pas, ou plutôt
oint les pieds. Les vêtements de Marie et                                                  qu’un cycle. La Sainte est parfois associée à
Jean forment un arrière-plan rouge et bleu au          Rogier van der Weyden               la lune, symbole de chasteté également lié à
cadavre torturé, dont les reins sont entourés          Pietà, vers 1441, inv.3515          l’iconographie de la Femme de l’Apocalypse.
d’un linge blanc. À l’arrière-plan, le ciel s’ouvre,                                       Enveloppée par le soleil et couronnée
annonçant, selon la foi chrétienne, la nouvelle                                            d’étoiles, elle tient sous ses pieds un croissant
ère de la rédemption qui enlèvera le péché                                                 de lune. De l’ellipse à l’éclipse, il n’y a aussi   Fabrice Samyn
                                                                                                                                               Sans titre, de la série Vers
originel commis par Adam et Ève. Dans ce petit                                             qu’un pas, ou plutôt qu’une lettre. Trajectoire     l’éclipse totale, 2014,
panneau, Rogier van der Weyden révèle le                                                   conique se référant notamment au parcours           Collection Delphine Dupont
passage crucial de l’obscurité à la lumière.                                               orbital des planètes, l’ellipse provoque
        Nous retrouvons cette même                                                         l’éclipse. Ballet cosmique : les astres célestes
concentration dans Color of Time, un modeste                                               dansent, tournent, occasionnant mutuellement
globe sous lequel Fabrice Samyn dévoile un                                                 leur progressive disparition et réapparition.
phénomène naturel magistral. Face à la Pietà,                                              Fabrice Samyn évoque une éclipse au moyen
ce lever de soleil semble aussi nous offrir une                                            d’un miroir chinois antique oxydé, dont un
perspective ou non de rédemption.                                                          fin croissant a été repoli de manière à faire
        L’art comme Apocalypse de                                                          renaître un reflet partiel. L’image est occultée,
l’inéluctable. (M.K.)                                  Fabrice Samyn                       resurgit, puis disparaît à nouveau… L’ellipse
                                                       Sans titre, de la série The Color
                                                       of Time, 2014,                      peut également être narrative, suggérant un
                                                       Collection Tom Jonckers             saut temporel, l’omission de certains éléments.
                                                                                           «To see with ellipse» - titre de l’exposition –
                                                                                           nous rappelle qu’une part du réel se dérobe         Rogier van der Weyden
                                                                                           toujours au regard. (V.M.)                          (d’après)
                                                                                                                                               La Vierge à l’enfant, avant 1494
                                                                                                                                               inv.330

                                                                                                                                                                          11
EROS-THANATOS                                                                      MIROITEMENTS

Des flèches transpercent la chair délicate                                         Ce tableau de Fabrice Samyn inscrit le gros
d’un homme attaché. Le panneau de Hans                                             plan d’un œil comme dans une matrice. Les
Memling illustre le martyre de Sébastien, un                                       replis intimes des paupières sont brossés dans
soldat romain du troisième siècle, qui s’est                                       des tons gris et roses ; ces tons évoquent une
converti à la foi chrétienne encore interdite.                                     couleur de peau ou le rendu décoloré d’une
L’homme sans défense réussit à supporter la                                        photographie qui s’estompe. Floue, la touche
souffrance avec une absolue sérénité. De toute                                     brouille le reflet d’une fenêtre sur le miroir de
évidence, la force de son esprit est suffisante                                    l’œil.
pour sublimer la douleur physique, ce qui doit                                             Étonnamment, ce détail n’a pas
nous convaincre de la toute-puissance de sa                                        été emprunté à un portrait ou une figure             Fabrice Samyn
                                                                                                                                        L’Atelier de Lucas Cranach,
foi.                                                                               humaine peinte par Cranach l’ancien. Le              2009, Collection privée
        Le Sébastien de Fabrice Samyn                                              cerf couché derrière le personnage d’Ève
s’inscrit dans un contraste ombre-lumière         Hans Memling                     dans les panneaux figurant Adam et Ève au
dramatique, loin des paysages qui peuvent         Le martyre de Saint Sébastien,   jardin d’Eden a fourni l’inspiration. Ou plutôt,
distraire le spectateur. Son regard cherche       vers 1475, inv.2927              l’observation attentive de Fabrice Samyn a
désespérément le salut dans les hauteurs,                                          décelé cette surprise : le reflet de la fenêtre de
tandis que les traces de la mort se dessinent                                      l’atelier du peintre jusqu’au Paradis.
déjà sur son corps. Bientôt, les courbes                                                   Paradis perdu ou jardin, inaccessible,
érotiques de son torse s’effaceront, et seul                                       l’artiste doit-il, en évoquant le péché originel
subsistera le squelette déjà visible. Sur cette                                    et la chute, introduire ce reflet de fenêtre ? Il
peinture ancienne, Samyn laisse transparaître                                      fait comme un court-circuit ou une disruption
le squelette en ôtant la couche de vernis                                          dans la représentation.
à certains endroits. La mort sous-jacente                                                  Ne dit-on pas que les yeux sont les
(Thanatos) se révèle à travers l’énergie vitale                                    fenêtres ou les miroirs de l’âme? (jPTh)
(Eros). Pour les associer, tant Samyn que
Memling recourent aux arts plastiques. (M.K.)                                                                                           Lucas I Cranach
                                                  Fabrice Samyn                                                                         Eve, inv.2627
                                                  Au-delà d’Eros et Thanatos
                                                  1625-2012, Collection privée

                                                                                                                                                                  13
COMPASSION                                                                           RÉFLEXIONS

Dans La mise au tombeau, panneau                                                     En recouvrant d’une pellicule argentée le verre
central du Triptyque Haneton, Bernard van                                            d’un sablier, Fabrice Samyn altère subtilement
Orley représente le Christ entouré de sept                                           la valeur symbolique de cet objet associé
personnages, regroupés dans un espace                                                au temps. L’écoulement du sable mesurait les
restreint, au cadrage serré. Le fond doré                                            instants qui passent … Se mêlent maintenant
évoque l’art byzantin mais également la                                              les mouvements des visiteurs ou les variations
                                                    Bernard Van Orley
Descente de croix de Rogier van der Weyden.         Triptyque Haneton, ca. 1520,     de la lumière sur l’architecture intemporelle du
Dans cette dernière, les détails très saisissants   inv.358                          Musée. Symétriques, en miroir et miroitantes,
des larmes remplissant les yeux et ruisselant                                        les deux parties de l’objet ne doivent plus
sur les joues des protagonistes ont souvent                                          être retournées pour amorcer les cycles de la
été soulignés. Van Orley reprend également                                           durée.
cette attention. Les visages emperlés de ses                                                Œil et miroir allaient déjà de pair à       Fabrice Samyn
                                                                                                                                        Alors que tu es le temps, 2009,
caractères féminins répondent délicatement                                           l’époque baroque. Dans une sculpture de            Collection privée
aux reflets de certains de leurs voiles et                                           Ludovic Willemssens, sous forme d’une
bijoux. Le chagrin de cet épisode se traduit                                         amulette ou tenu en main, l’organe de la vue
dans l’émotion des personnages, notamment                                            et l’objet spéculatif, aux côtés de livres et
véhiculée par leurs pleurs. Fabrice Samyn                                            d’un compas, figurent la circonspection, la
revient lui aussi sur ce détail des larmes, qu’il                                    clairvoyance, la connaissance ou la raison. Ils
semble tout droit avoir extrait du panneau afin                                      donnent une forme concrète à une abstraction,
de proposer une parure raffinée. Deux gouttes       Fabrice Samyn                    « la prudence ». Alors que tu es le temps,
                                                    De la douleur à la compassion,
de verre sont fixées sur une ancienne monture       2018, Courtesy of the artist     de Fabrice Samyn, permet au spectateur
de lunettes en laiton. Tout en finesse et                                            reflété de devenir lui-même une allégorie :
sobriété, il parvient à matérialiser un concept                                      l’incarnation du temps. (jPTh)
aussi lourd de sens et complexe que celui de
la douleur. (V.M.)

                                                                                                                                        Ludovicus Willemssens
                                                                                                                                        La Prudence, 1700, inv.12141
VERTU, VICE & VERSA                                                                   STIGMATA

Les représentations traditionnelles de saint                                          Dans cette gigantesque composition de
Jérôme le campent souvent en pénitent                                                 Peter Paul Rubens, nous voyons Marie, Jean
dans le désert. Se dépouillant de ses riches                                          et deux femmes pleurer le Christ mort, tandis
chapeau et manteau de cardinal, il est                                                que Marie-Madeleine s’empare des clous
accompagné du lion qu’il a un jour aidé.                                              avec lesquels il a été crucifié. Un ange vêtu
Dans la peinture hyperréaliste de Samyn,                                              de rouge, tenant la lance qui a percé le flanc
observons-nous sa version féminine, une                                               du Christ, nous invite à être les témoins de la
sainte « Jéromine » dont l’ellipse du chapeau                                         rencontre spirituelle entre Jésus et Giovanni
dessine l’auréole ?                                                                   di Pietro di Bernardone, plus connu sous le
       Opulence et licence ? L’habit écarlate                                         nom de saint François, un riche Italien du
contraste avec la nudité qu’on entrevoit.            Fabrice Samyn                    douzième siècle qui a décidé de mener une
                                                     La Lionne cardinale ou l'épine
       Dans tous ces glissements de sens et          retirée, 2014                    vie d’humilité et de compassion à l’image du
transformations d’une image traditionnelle,           Collection privée               Christ. En suivant son exemple, saint François    Peter Paul Rubens et atelier
Samyn pose la question du regard et du                                                ne s’est pas transformé spirituellement, mais     Pietà avec saint François, inv.164
déplacement moral : « La luxure pourrait-                                             aussi physiquement comme en témoignent ses
elle être élevée en vertu (cardinale). » Il fait                                      stigmates aux flanc, mains et pieds.
clairement référence aux passions (virginité                                                 Fabrice Samyn peint à l’aquarelle le
et abstinence) sur lesquelles saint Jérôme s’est                                      squelette d’un pied droit, sur lequel apparaît
exprimé.                                                                              une tache violette. Par rapprochement avec
       La seconde partie du titre suggère-t-                                          la Pietà de Rubens, cette tache pourrait
elle qu’une fois les passions domptées, elles                                         évoquer également l’idée de cette cicatrice
protègent l’humain des tentations extérieures ?                                       surnaturelle, symbole de l’aspiration de saint
Dans le tableau de Provoost, au XVIe siècle,                                          François à s’identifier au Christ.
c’est sous une image de la vierge à l’enfant que                                             En considérant cette tache comme un
se déroule la saynète de « l’épine retirée » de la                                    stigmate, ne pratiquons-nous pas aussi une
patte du fauve. Comme avec la bête sauvage                                            forme d’identification basée sur le principe
devenue protectrice, ne peut-on considérer la        Jan Provoost                     d’affinité ? (M.K.)                               Fabrice Samyn
passion comme une grâce, une fois qu’elle est        La pénitence de saint Jérôme                                                       Sans titre, de la série Stigmata
                                                     inv.10817                                                                          2011, Courtesy of the artist
déchargée de toute fascination ? (jPTh)

                                                                                                                                                                   17
FABRICE
SAMYN
TO
SEE
WITH
ELLIPSE
Aujourd’hui m’est venu comme une évidence; je suis le temps.
Aujourd’hui est venu à moi sans bouger.
Aujourd’hui me nomme, c’est ma voix.
Quel soulagement d’être le temps, de ne plus à ne pas à en avoir ou à le
perdre ; comment ne pas avoir le temps si je le suis ?
Je suis le temps comme l’eau suit son cours dans la rivière, je suis le
temps à la trace, je le suis comme mon ombre.
Je suis mon ombre, la trace est mon dessein, car je suis tout autant hier
que demain et tout autant aucun des deux.
Je ne suis que ce battement de tambour qui en grande pompe
s’annonce lui-même ;
Ô comme mon coeur chavire de se ressentir battre !
Et je respire comme l’eau dans ce lit coule. Oui, cette eau, c’est
parce qu’elle coule qu’elle est rivière, et quand bien même deviendra-t-elle
un jour mer, rejoindra cette plénitude du don : la rivière est son propre
rapide.
Je suis tout le temps que nous sommes tous à cet instant, c’est
merveilleux.

Fabrice Samyn © 2006

                                                                       19
ICONO - FLAMMES                                                                   ELLIPTIQUE

Le détail des flammes des tableaux de                                             Chaque peinture de la série Ellipse nous
Georges de La Tour a inspiré à Fabrice Samyn                                      confronte à une image où l’on reconnaît la
une série ambitieuse de peintures.                                                trajectoire d’un corps cosmique : l’ellipse
       Ce motif, à la fois frêle et puissant,                                     est le parcours d’un satellite autour d’une
est chaque fois porté à la taille d’une figure                                    planète ou le mouvement de celle-ci autour
humaine. Les quelques centimètres carrés d’où                                     d’une étoile. Mais, revisitant l’histoire de l’art
est émise toute la lumière des compositions du                                    ancien, Fabrice Samyn trace ici un cercle vu en      Fabrice Samyn
peintre lorrain sont monumentalisés.                                              perspective, que matérialise un liquide dans         Ellipse #1, 2011, Collection privée
       La Madeleine pénitente, aujourd’hui                                        un verre. Il s’est inspiré de ces « morceaux de
conservée à New York, double l’image                                              virtuosité picturale » où Pieter Claesz, Willem
d’une chandelle dans un miroir. Samyn, en                                         Claesz Heda ou encore Jan Davidsz de Heem
reproduisant cette particularité, questionne       Fabrice Samyn                  excellaient au XVIIe siècle. Dans leurs natures
aussi la notion de reflet.                         La Madeleine aux deux          mortes, le temps se suspend, prend une valeur
                                                   flammes, Metropolitan Museum
       Comment convoquer ou représenter            of Art, New York City, 2012,   méditative. Les transparences conjuguées
le divin dans une image ? Vidé de toute            Collection privée, Belgique    des liquides et verreries dialoguent avec les
figuration humaine, mais porté à notre échelle,                                   reflets de la lumière. Apanages de raffinement
le tableau est rendu abstrait. Il est ramené                                      et richesse, ces motifs n’en rappellent pas
à un clair-obscur essentiel, à la fois geste                                      moins, par leur fragilité, leur peu de poids
iconoclaste et célébration de l’illumination.                                     face à l’infini de notre monde. Vanités, ils nous
       Dans Les pèlerins d’Emmaüs du                                              renvoient à notre condition de mortels.
caravagesque Abraham Bloemaert, les                                                      Jusqu’au vertige, Samyn, comme ses
flammes s’agitent aussi sous l’action physique                                    prédécesseurs, entrevoit et partage ces
d’un geste ou d’un souffle bien tangible. Elles                                   points de contact entre microcosme et                Jan Davidsz. de Heem
délimitent également un espace mystérieux et       Abraham Bloemaert              macrocosme, vie tranquille et métaphysique.          Le pot d'étain, vers 1643,
sacré, l’apparition du christ, « une lumière qui   Les pèlerins d'Emmaüs, 1622,   (jPTh)                                               inv.2852
                                                   inv.3705
luit dans les ténèbres »… (jPTh)                   • à découvrir au Musée Old
                                                   Masters : Salle 07 (Paccar)
                                                   École Hollandaise

                                                                                                                                                                    21
POSES                                                                              SOUFFLE

Fabrice Samyn s’est intéressé au détail de                                         Jacob Vrel peint un intérieur qui se veut
la main droite de Narcisse dans le célèbre                                         être ce qu’il est, quoiqu’il arrive : immobile
tableau du Caravage. Il l’a fidèlement                                             statue du temps. Peut-être est-ce pour cette
reproduit sur toile, mais l’a fait basculer de                                     raison qu’il est quasi monochrome : de
manière verticale. L’axe horizontal qui séparait                                   l’ombre, de la lumière et à peine quelques
la main de l’eau se transforme en ligne droite                                     tons intermédiaires. Nous sommes dans une
évoquant la surface d’un miroir. La main,                                          chambre où règne une atmosphère austère.
initialement posée au sol, paraît dès lors jointe                                  Seule palpite la lumière vers laquelle un jeune
à l’autre en prière. Le reflet change d’origine     Fabrice Samyn                  garçon lève un regard plein d’espoir, comme
et de statut. Il passe d’objet d’orgueil à source   Narcissus?, 2014               si, au-delà de la fenêtre, un monde meilleur
                                                    Collection privée                                                                Jacobus Vrel
de contemplation du mystère.                                                       l’attendait.                                      Intérieur hollandais, inv.2826
        Dans la sculpture de Gabriel Grupello,                                             De même, Fabrice Samyn nous rappelle      • à découvrir au Musée Old
                                                                                                                                     Masters : Salle 04 (Paccar)
le langage véhiculé par la position des                                            une caractéristique essentielle de la             École Hollandaise
mains de Narcisse est éminemment expressif.                                        peinture : le silence. Ici, contrairement à
Sa main gauche, ramenée vers sa poitrine,                                          l’intérieur de Vrel, un homme, de l’extérieur,
témoigne toute l’admiration que le jeune                                           regarde vers l’intérieur. Seul, nu, il cherche
homme se porte. Sa main droite, crispée vers                                       ce qui pourrait se trouver de l’autre côté de
l’arrière, communique quant à elle l’anxiété                                       la fenêtre. Son propre souffle est l’unique
quasi simultanée qui l’envahit lorsqu’il réalise                                   signe visible de vie. L’homme semble
qu’il ne peut plus se passer de son image.                                         désespérément en quête d’un contact avec
(V.M.)                                                                             quelque chose qui manque, comme le jeune
                                                                                   garçon dans le tableau de Vrel. (M.K.)

                                                    Gabriel Grupello
                                                    Narcisse, inv.3468
                                                    • à découvrir au Musée Old
                                                    Masters : Salles Bernheim et                                                     Fabrice Samyn
                                                    Boël, couloir                                                                    Sans titre, de la série The Seen
                                                                                                                                     Breath, 2019, Collection privée
NE M’OUBLIEZ PAS                                                                      SEUILS

Peindre un vase garni de fleurs est une façon                                         Dans l'œuvre de René Magritte, l’image est
saisissante de rendre éternel l’éphémère.                                             question de seuil : entre le réel et le surréel, un
Encore enfant, le peintre de nature morte                                             objet et sa représentation, le saisissable et
Joseph de Bray a appris le métier de son                                              l’insaisissable. Si beaucoup lient la présence
père Salomon. En 1664, il est mort de la peste                                        dans son travail de personnages voilés au
à Haarlem, âgé d’une trentaine d’années.                                              suicide de sa mère (retrouvée noyée, le visage
Au pied de cette composition emplie de                                                couvert d’un tissu), l’artiste ne se prononcera
                                                                                                                                            René Magritte
sobriété, le peintre a posé les fleurs sur le bloc                                    pas sur la question. Les interprétations restent      L’Histoire centrale, (1928),
de marbre, déjà prêtes à disparaître dans les                                         toujours ouvertes, jamais figées.                     Collection Belfius Banque &
profondeurs obscures. Même le lis blanc ne                                                   Ne pas dévoiler pour mieux révéler.            Assurances
                                                      Joseph de Bray                                                                         • à découvrir au Musée
parvient pas à chasser la pensée de la mort.          Fleurs autour d'une bouteille   Mourning Through The Day de Fabrice Samyn             Magritte +3)
       Dès l’enfance, Fabrice Samyn a peint des       de porcelaine sur un bloc de    participe à cette même réflexion. Trois toiles
natures mortes. Celles-ci ont été conservées.         marbre, inv.6315                ont été recouvertes de draps qui laissent
En 2014, jeune trentenaire, il réalise une                                            subtilement deviner ce qu’ils cachent. Chaque
réplique d’un de ses dessins d’enfant, sur                                            tableau représente un miroir capté à un
base de la reconstitution du bouquet original,                                        moment différent de la journée. Le jeu d’ombre        Fabrice Samyn
vase bleu inclus. Par sa disposition, l’œuvre                                         et de lumière induit par les plis du drapé            Mourning Through the Day
                                                                                                                                            (ou the Covered Mirror), 2015,
est tournée à la fois vers le passé et le futur.                                      accentue l’idée du temps qui passe.                   Collection privée, Bruxelles
                                                     Fabrice Samyn
Nous sommes confrontés simultanément à un            Forget Me Not, de la série              Dans le judaïsme, au moment du deuil,
souvenir et une vision de l’avenir, cristallisés     When Are You More You?,          les familles couvrent généralement les miroirs
dans des myosotis (Forget me not en anglais)         1987-2014, Collection privée     de grands draps. Selon les croyances, la
imputrescibles et immortalisés par le geste                                           tristesse des endeuillés peut freiner l’ascension
de l’artiste, qu’il s’appelle Samyn ou de Bray.                                       de l’âme de 40 jours. Une façon de se protéger
(M.K.)                                                                                de notre reflet qui nous ramène à un corps
                                                                                      voué à disparaître et de faire face à la perte
                                                                                      de l’autre. Considération aussi sur l’objet et
                                                                                      sa représentation puisqu’un miroir peint ne
                                                                                      pourra finalement jamais refléter rien d’autre
                                                                                      que l’image d’un reflet, étant lui-même déjà
                                                                                      une image. (V.M.)
                                                                                                                                            Fabrice Samyn
                                                                                                                                            Seuil, 2018, Collection privée
Le
             #museuminquestions
             Les artistes contemporains exposés cette
                                                                      musée
             saison interrogent de façon inédite les
             missions et valeurs des Musées royaux.
             Retrouvez leurs questions, participez au débat
                                                                         nous
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                                                                     vulnérabilité
exhibitions
15.10 2021 > 13.02 2022                                                    ?
               Fabrice Samyn
               		        Aimé Mpane
               				Rachel Labastie                                         Fabrice Samyn

fine-arts-museum.be                              @FineArtsBelgium     #museuminquestions
FABRICE
SAMYN
AU
MUSÉE
MAGRITTE

L'œuvre et la pensée de René Magritte
continuent d’innerver l’art contemporain,
comme en témoigne la présence entre ces
murs des œuvres de Gavin Turk, de Joseph
Kosuth ou de Nicolas Party. Les Musées
invitent aujourd’hui Fabrice Samyn à établir
un dialogue entre son travail et celui du
grand maître surréaliste. Plusieurs points de
convergence existent entre les deux artistes,
qu’il s’agisse de manier l’alliage visuel des
contraires, de se risquer à représenter le
silence et le vide, ou d’interroger la dimension
plastique des mots.
ÉCLOSIONS                                                                          CORRESPONDANCES

Au sommet du Musée, Fabrice Samyn et                                               Les mots forment des signes qui font sens,
René Magritte se partagent le ciel comme                                           créent de nouvelles images, nous bouleversent
ils partagent les nuages. Ils bourgeonnent,                                        ou nous laissent froids. Ils ont « la même
                                                                                                                                          Fabrice Samyn
nombreux, dans leurs œuvres respectives.                                           substance que les images » dit Magritte qui            Correspondence Piece IV :
        Chez Fabrice Samyn, les nuages sont                                        rajoute : « un mot peut remplacer une image »          Letter to Space –
tout sauf “virtuels”. Ces vapeurs accumulées                                       et « une image peut remplacer un mot ». “Corps         Activation I : Lettre d’amour
                                                                                                                                          à personne inconnue, 2014,
se figent dans la forme, prennent corps,             Fabrice Samyn                 de femme” , “Canon”, prennent alors une infinité       Collection privée
texture, pesanteur. Selon l’artiste, il s’agit de    L'Éclosion du Nuage, 2021,    de formes et de sens selon L’usage de la parole
                                                     Courtesy of the artist
“reconsidérer un sacré hors de portée”. Les                                        pour reprendre le titre de l’artiste.
nues retombent littéralement sur terre, nous                                               Lorsqu’un mot est traduit dans une autre
atteignent et nous touchent. “Un peu de ciel                                       langue, sa forme change la plupart du temps.
qui chute...”                                                                      Mais qu’en est-il du sens ?
        Mais si dans sa chute, le nuage de                                                 C’est l’expérience qu’a menée Fabrice
marbre se brise avec fracas, n’est-ce pas pour                                     Samyn dans Correspondence Piece IV. L’artiste a
libérer de la pierre « tangible » de nouvelles                                     fait traduire une lettre d’amour dans les langues
formes « invisibles » ?                                                            de pays situés sur une même latitude : 50°
        A contrario, René Magritte représente        René Magritte                 Nord. La première lettre est écrite en français.
davantage les nuages comme des concepts. Il          La malédiction, (1960),       Traduite et manuscrite de pays en pays, de
                                                     Collection privée, Belgique
les peint sans profondeur, ni textures, tels qu’on   • À découvrir au MMM +1       gauche à droite, elle revient en boomerang
les voit sur les papiers peints qui tapissent les                                  à sa source, son pays natal, sa langue
espaces de rêves … Mais lorsque les amis                                           d’origine. Transformée au gré de ses voyages
poètes surréalistes leur apposent subitement                                       linguistiques, la dernière Correspondence ne «
un titre lourd de sens comme dans l’oeuvre                                         correspond » plus à la première.                       René Magritte
                                                                                                                                          L'usage de la parole, (1927-1929),
La malédiction, ils se chargent, deviennent                                                Comme les tableaux-mots de Magritte,           inv. 11530
inquiétants et prennent alors une toute autre                                      l’amour, tout universel qu’il soit, prend les formes   • A découvrir plus loin dans le
forme dans notre esprit.                                                           multiples qu’on désire lui donner. L’usage,            parcours

        Peindre « l’au-delà » du ciel ou sculpter                                  la culture, l’individu, le temps et l’espace le
l’ « hors de portée » , mêler le grave et le                                       modifient. Lorsque cette notice sera traduite,
léger, associer les réalités contraires… autant                                    aura-t-elle le même sens ? Correspondra-t-elle
d’échos entre deux univers, semblables et                                          à l’intention première de l’artiste ? (G.B.)
différents comme le sont les nuages. (G.B.)
FLAMMES                                                                                   TEMPS

Depuis la Renaissance, les peintures ont                                                  Si chez un célèbre Surréaliste espagnol les
souvent été assimilées à des fenêtres nous                                                montres fondent, rendues molles, chez René
donnant à contempler le monde visible. Mais                                               Magritte la présence de l’horloge, statique,
ici, avec cette œuvre de la série Seuil, Fabrice                                          pourrait bien mettre au défi un concept aussi     René Magritte
Samyn nous arrête dans notre élan. Toutefois,                                             complexe que le temps. Tout comme il le           Les reflets du temps, 1928,
une porte, ouverte ou fermée, appellera                                                   fait avec le langage, le peintre belge nous       collection privée , Courtesy
                                                                                                                                            Fondation Magritte
toujours notre esprit à y voir un passage vers                                            conduirait à questionner les conventions en
une autre dimension. Le bois a été doré puis                                              jeu derrière cette notion. Quels en sont les
brûlé. L’or convoque la lumière, l’illumination                                           contours, quelles images y sont associées ?
intemporelle qu’on associe aux icônes. Tout en                                            Une heure, une minute ou une seconde sont-
le magnifiant, le feu révèle la “flamme”, celle                                           elles aussi illusoires qu’un mot ? Le caractère
du bois, autant que celle de chaleur et de la                                             cyclique de la nature régit en partie ce
vie. Révélateur mais aussi destructeur, le feu,                                           concept, qui n’est donc pas du seul registre
iconoclaste, entraîne tout vers la disparition                                            de la construction. Mais son importance
ou le refus des images…                                                                   a crû au sein d’une société dans laquelle
                                                   Fabrice Samyn
       Chez Magritte, passé le seuil du titre,     Sans Titre, de la série Seuil, 2016,   nous essayons sans cesse de le rattraper, le
Le démon de la perversité campe un mur qui         Courtesy of the artist                 rentabiliser.
nous empêche d’explorer un espace nocturne,                                                        De manière poétique, Fabrice Samyn
typique de la période sombre ou                                                           propose au visiteur une expérience toute
« caverneuse » de l’artiste. La matière, à la                                             autre du temps. Au moyen d’une montre et
fois inerte et vivante, pourrait évoquer du                                               d’un collier, il offre à la mesure temporelle
métal fondu, du ciment, une peau qui se                                                   une suspension. Ce flux immatériel est mis au
délite... Des ouvertures révèlent le cœur de                                              regard de sa relativité. Les grains du sablier
cette construction : la flamme du bois dont les                                           ne s’écoulent pas. La coquille fossilisée
veines sont rendues avec une précision de                                                 d’une ammonite remplace le cadran de la
trompe-l’œil.                                      René Magritte                          montre. Bien qu’il s’agisse d’un marqueur         Fabrice Samyn
       Les deux artistes, entre transparence       Le démon de la perversité,             chronologique, sa forme en spirale évoque         Stairs of Time| Still Flow, 2018.
                                                   (1928), inv.7418                                                                         • Les bijoux sont portés par des
et opacité, associent énigme et révélation,                                               l'infini. Ces bijoux seront portés par les        surveillants du Musée Magritte
création et destruction, mystère et poésie.                                               surveillants, gardiens du temps. (V.M.)
(jPTh)
CADAVRE EXQUIS                                                                                   LUNES CLAIRES

« Souris puisque c’est grave » !                                                                 Fabrice Samyn, fasciné par les éclipses,
Chamfort (le chanteur et non le moraliste du XVIIIe siècle)                                      questionne la notion de cycle. Sept miroirs
                                                                                                 antiques chinois, dont les surfaces se sont
Le titre À nous deux pose peut-être un défi                                                      oxydées avec le temps, ont été partiellement          Fabrice Samyn
entre l’œuvre et le spectateur, invité à                                                         repolis par l’artiste, de manière croissante ou       In the Glimpse of an I, 2016,
décrypter ces éléments hétéroclites. Il révèle                                                   décroissante. Les zones polies retrouvent leur        Collection privée

surtout une création conjointe de Marianne                                                       pouvoir réfléchissant. Le visiteur est amené
Berenhaut et Fabrice Samyn. Pendant un                                                           à s’y percevoir. Samyn l’invite à reconsidérer
confinement récent, les deux artistes ont                                                        l’échelle temporelle d’une vie face à celle de
dialogué par objets interposés.                                                                  phénomènes cosmiques.
        Un perchoir - sans cage!- porte un nid                                                          La dernière œuvre achevée de René
qui protège une entrée de serrure qui... etc. etc.            Marianne Berenhaut &               Magritte, La page blanche, illustre à merveille
                                                              Fabrice samyn
        Fabrice Samyn rejoint son aînée                       À nous deux, 2021,                 le goût de l’artiste pour la défiance. Coutumier
                                                                                                                                                       René Magritte
qui depuis la fin des années 1960 associe                     Courtesy Dvir Gallery              des croissants de lune, le peintre surréaliste        La page blanche, 1967, inv.10711
intimement les fragments du quotidien pour                                                       déroge cette fois-ci à la règle en présentant         • À découvrir au MMM +1
affronter les grands traumas du XXe siècle ou                                                    une lune pleine. Ce choix surgit dans un second
magnifier les petits trésors de nos existences.                                                  temps, lorsqu’il décide de sur-peindre le
Ensemble, les deux artistes explorent « le sens                                                  croissant initial dont l’impact visuel n’était
qui se tisse au gré de l’altérité ».                                                             pas assez fort : la lune doit apparaître « par-
        Expérimentale et ludique, la démarche                                                    dessus » les feuillages et non pas « à travers ».
rejoint les « cadavre exquis », jeux d’écriture                                                  Cette toile clôture la carrière de Magritte, bien
ou d’invention graphique initiés par les                                                         que son titre annonce un nouveau départ, la
surréalistes parisiens. À l’occasion, Magritte                                                   potentielle éclosion d’une idée future. Tout est
et ses amis (ici à quatre mains !) ont aussi                                                     question de cycle.
pratiqué ce jeu qui convoque le hasard. Un                                                              Du croissant à la pleine lune, de l'œuf à la
participant commence un dessin, le suivant                                                       poule… qui était là au commencement ? Reflet,         René Magritte
continue mais sans voir ce qui a déjà été                     René Magritte - Louis              vanité… tout est aussi question d’apparence.          Le domaine d’Arnheim, (1962)
                                                              Scutenaire - Irène Hamoir - Paul                                                         inv.10707
mis sur le papier et ainsi de suite avant la                                                     Comme celle d’une lune par-dessus les feuilles.       • À découvrir au MMM +1
                                                              Nougé
révélation finale. (jPTh)                                     Cadavre exquis, 1934, inv.12124    (V.M.)
ÉCLAIRAGES                                                                                MOULÉ.E

« C’est le mystère qui éclaire la connaissance ».                                         En moulant son téton, Fabrice Samyn nous
C’est avec ces mots que René Magritte conclut                                             livre un étonnant autoportrait. Il est aussi un
son texte La fée ignorante dont le tableau                                                peu celui de nous, toutes et tous. Isolé du reste
éponyme représente, sous les traits d’Anne-                                               du corps, un téton est commun aux identités
Marie Gillion Crowet, une « fée » à l’écoute                                              sexuelles. Il permet de décliner tous les genres
d’une flamme qui diffuse une aura obscure.                                                qui aujourd’hui sont progressivement mis en
       Les fées ont le pouvoir de transformer         René Magritte                       avant pour rompre avec une vision binaire
                                                      La fée ignorante, 1956              et restrictive de nos vies. Façonné dans une
une chose en son contraire. Extralucides,             Collection Baronne Gillion
elles savent, à l’instar des surréalistes, que        Crowet                              ancienne médaille de la Première guerre
le mystère participe à la connaissance du                                                 mondiale, l’objet, s’il était porté, rendrait à
monde.                                                                                    nouveau visible une petite zone érogène de
       Cette phrase de Magritte pourrait-elle                                             nos corps que les vêtements cachent ou de
                                                                                                                                              Fabrice Samyn
nous éclairer à son tour sur la série Feu la vie de                                       nombreuses sensibilités censurent.                  Once Androgynous, 2014,
Fabrice Samyn ? Une flamme en cristal semble                                                      Du souvenir de 1918, l’artiste a aussi      Courtesy of the artist

fondre comme neige au soleil. Elle incarne le                                             conservé le ruban-attache. Multicolore, il
mystère de la vie et de la mort, ce que relève        Fabrice Samyn                       transcendait autrefois les frontières en étant
par ailleurs l’expression « feu la vie ».             Sans titre #4, de la série Feu la   commun aux dix-huit pays vainqueurs et
                                                      vie, 2010, Courtesy of the artist   alliés, éditeurs de la médaille. Aujourd’hui il
       Métaphore de l’adoration et de la
destruction, la flamme vitale s’élève comme                                               se rapproche du drapeau arc-en-ciel associé
on vénère une icône ou se consume comme                                                   aux mouvements LGBTQI A+ depuis la fin des
on brûle une idole. Elle se liquéfie, à l’image                                           années 1970.
de ces bougies dans les lieux de prière. Mais                                                     Et Magritte? Dans ses représentations,
le feu se glace en cristal et arrête la course du                                         a-t-il lui aussi cherché à déconstruire les
temps, l’immortalise dans l’instant.                                                      conventions liées aux sexes pour construire
       Si Magritte assemble les contraires dans                                           de nouveaux genres? Peut-on échapper à son
sa Fée ignorante, Fabrice Samyn, en « savant                                              corps biologique? (jPTh)
magicien », les fusionne. De la fée extralucide                                                                                               René Magritte
                                                                                                                                              Dessin pour Moralité du
au cristal translucide, l’alchimie s’opère et                                                                                                 sommeil de Paul Eluard, publié
confirme que Magie, Mystère et Connaissance                                                                                                   par L'Aiguille Aimantée,
ne font qu’un ! (G.B.)                                                                                                                        Bruxelles, avril 1941, inv.11729
                                                                                                                                              • À découvrir au MMM +2
POINT DE VUE                                                                                           DES NUES

Comment décrire un nuage à une personne                                                                Peindre permet de réarranger le réel
qui n’a jamais vu ? Dans Voir des nues,                                                                autrement. Tant Notre Voile que La Magie
Fabrice Samyn relève le défi à travers des                                                             noire présentent, avec étrangeté, une femme
textes poétiques adressés à des personnes                                                              entourée de ciel et de nuages.
aveugles de naissance qui les sculptent                                                                        Chez Magritte, elle ferme les yeux et
ensuite. Chacun donne ainsi sa vision à l’autre.                                                       s’adonne à la rêverie. La pensée devient
Le visible devient lisible et inversement. On                                                          libératrice. Chez Samyn, par contre, le ciel
retrouve cette idée de dialogue dans L’art                                                             nuageux n’est pas espace d’ « inspiration »
de la conversation de René Magritte : Deux                                                             mais enveloppe physique.
personnages font face à un amoncellement                                                                       Où est-elle ? Que regarde-t-elle ? Les
de pierres dans lesquelles on devine des mots                                                          deux femmes s’inscrivent dans une image où
légers (RÊVE, TRÊVE…) ou lourds et pesants                                                             l’ambiguïté prévaut : ouverture et fermeture,
                                                                                                                                                            Fabrice Samyn
(CRÈVE, RÉVEIL …). Chacun, selon son point de                                                          éloignement et proximité, plaisir et danger,         Notre Voile, 2018,
vue.                                                                                                   présence et absence.                                 Collection privée
       Comme Magritte, Fabrice Samyn taille la                                                                 En fonction de l’environnement, la
                                                     Fabrice Samyn
pierre. Mais en gravant le poème en braille sur      Voir des nues (Cumulus 1), 2021,                  pensée est légère chez l’une, pesante chez
le socle, il nous le rend inaccessible. Les rôles    Courtesy of the artist                            l’autre. La « tête dans les nuages » peut susciter
habituellement auto-attribués aux “voyants”          *L’œuvre existe à la fois dans son entité         le sourire comme la gravité. Chez toutes deux,
                                                     sculpturale mais inclut également une
censés guider les personnes non-voyantes se          action performative. Au fil de l’exposition, la   cependant, le corps est perçu comme plus
                                                     sculpture sera ponctuellement “actionnée”
trouvent intervertis. L'œuvre selon l’artiste ne     par une personne aveugle de naissance.            que lui-même. Et peut-être est-ce précisément
s’active qu’avec l’intervention d’une personne                                                         ce qui nous fascine dans ces deux œuvres : la
aveugle qui du bout des doigts nous guide et                                                           manière dont quelqu’un se transcende, pense
partage le contenu du poème. La démarche                                                               ou fait penser à autre chose. Des artistes
inclusive change de main!                                                                              comme Samyn et Magritte parviennent à
       “Je veux rendre visible l’invisible” disait                                                     saisir l’infini dans les limites d’une œuvre d’art
Magritte. Pour voir ces nues, fermons nos yeux                                                         plastique. (M.K.)
en forme d'ellipse et écoutons ce que Fabrice
Samyn nous dit à haute voix dans le titre de                                                                                                                René Magritte
                                                     René Magritte                                                                                          La Magie noire, 1945, inv.10706
cette exposition : “To see with ellipse” ... “To     L’art de la conversation, 1950                                                                         • À découvrir au MMM +2
see with the lips”. Les écrits restent, les nuages   Collection privée, Suisse
s’envolent. (G.B.)
TIME AFTER TIME…                                                                       EQUINOXE — ELLIPSE : VOIR AUTREMENT
                                                                                       Entretiens avec des personnes aveugles de naissance menées par
Le temps comme douce transition lumineuse,                                             Musée sur Mesure à l’initiative de Fabrice Samyn sur le thème de la
en douze étapes chez Fabrice Samyn, du lever                                           perception du temps.
au coucher du soleil, mais en deux seulement
chez René Magritte, où l’opposition entre le
jour et la nuit est implacable.                                                                      « Il y a la sensation de la lumière ou du noir sur la peau »
        La merveilleuse interaction de la lumière       Fabrice Samyn
                                                        Sans titre de la série               « Que voit-on finalement ? (…) cela prend du temps de se relier à ce
solaire avec l’atmosphère, qui se répète                The Color of Time, 2016               qu’on ne voit pas, à tout ce qu’on ne sait pas qu’on ne voit pas… »
toutes les vingt-quatre heures, reste pour les          Courtesy of the artist
artistes une source d’inspiration magique.                                                  « Les personnes qui voient sont davantage dans l’espace…Moi je me
Par l’action de l’homme, toutefois, le cycle de                                                   situe dans le temps… ou peut-être plutôt dans le présent… »
la lumière et de l’obscurité doit affronter la
                                                                                           « Si on se relie au ciel, il y a quelque chose qui s’ouvre dans la tête, il y a
concurrence de la lumière artificielle. Un seul
                                                                                                           quelque chose qui s’ouvre dans le corps… »
réverbère suffit à sauver de la disparition
un paysage ténébreux. Mais la lumière                                                      « Quand on s’approche de quelque chose de solide, par exemple d’un
artificielle ne connaît ni lever ni coucher. Elle est                                                        mur, c’est l’ossature qui sent… »
allumée ou éteinte.
        Les globes atmosphériques de Samyn                                             Merci à Sylvie, Jeanne-Françoise, Lucie, Marieke, Brenda, Simon, Vincent,
explorent la gamme infinie des nuances.                                                La Lumière asbl (Liège) et Sint Rafael (Gent).

Mais eux aussi restreignent un phénomène
cosmique en le réduisant à douze unités
d’une demi-journée. Magritte réunit les deux                                             « Vivre la visite au musée sans voir, y apprécier un tableau qu’on ne peut
moitiés d’une image en une journée complète,            René Magritte                   toucher, se connecter à l’esprit de l'œuvre… Cette expérience particulière
comme les revers juxtaposés d’une médaille.             L’Empire des lumières, 1954,           vécue par les visiteurs non-voyants surprend ceux qui voient.
L’évolution cyclique du temps, de la lumière            inv.6715
                                                                                                 Car voir n’est peut-être pas l’unique accès au monde muséal…. »
et de la couleur confronte l’être humain à
                                                                                       Marie-Suzanne Gilleman, responsable du service Musée sur Mesure aux MRBAB
des dimensions sans commune mesure avec
                                                                                       et du programme Equinoxe
sa propre existence éphémère. Des artistes
comme Magritte et Samyn parviennent à
                                                                                       Des visites pour les publics voyant et non voyant, ainsi que des performances et activations
saisir le grandiose dans les limites de l’art
                                                                                       d'œuvres sont organisées tout au long de l’exposition. D’autres citations sont encore
plastique. (M.K.)                                                                      à découvrir au Musée Magritte.
Colophon
Guide du visiteur conçu pour accompagner
l’exposition
Fabrice Samyn. To See with Ellipse
 (15 octobre 2021 – 13 février 2022)

Directeur général : Michel Draguet
Commissaire : Pierre-Yves Desaive
Direction du Service Expositions et
coordination du projet : Sophie Van Vliet
Direction des Services aux publics
& Médiation culturelle : Isabelle Vanhoonacker
Médiation culturelle | Expositions : Géraldine Barbery
Textes : Géraldine Barbery [G.B.],
Jean-Philippe Theyskens [jPTh], Marianne Knop [M.K.],
Virginie Mamet [V.M.]
Traductions : Marie-Françoise Dispa
Design Studio : Piet Bodyn & Vladimir Tanghe
Relectures : Géraldine Barbery,
Jean-Philippe Theyskens, Marianne Knop,
Isabelle Vanhoonacker

Imprimé sur papier Nautilus Classic White
FSC Recycled 100%, 90g                                                                                           Crédits photographiques
                                                                                                                 © Achim Kukulies, courtesy Sies + Höke, Düsseldorf : p. 4b, 12a, 22a, 24a, 36a.
L’exposition Fabrice Samyn. To See With Ellipse bénéficie du                                                     © Archives Ludion Uitgeverij : p. 25c, 30b, 33c, 36b, 38b.
soutien de :                                                                                                     © Clemence Leveau : p. 33b.
                                                                                                                 © Courtesy Dvir Gallery : p. 34a.
                                                                                                                 © Hugard & Vanoverschelde studio : p. 23a.
                                                                                                                 © KIK-IRPA : p. 15b.
                                                                                                                 © Luk Vander Plaetse : p. 7, 14a, 16a, 33a, 35a.
                                                                                                                 © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique / photo Johan Geleyns Art Photography : p. 5b, 8b, 9b,
                                                                                                                 10b, 12b, 13b, 16b, 17b, 20b, 22b, 23b, 31b, 32b, 34b, 35bd, 37b, 39b, 40b / photo Atelier de l’Imagier : p. 24b
                                                                                                                 / photo Freya Maes : p. 11b, 14b / Photo d’art Speltdoorn & Fils, Bruxelles : p. 21b.
L’artiste et les Musees royaux des Beaux-Arts de Belgique dédient cette exposition à la mémoire de Cédric        © Philippe De Gobert : p. 1, 4a, 5a, 8a, 9a, 10a, 11a, 13a, 15a, 17a, 19, 20a, 21a, 25ab, 29, 30a, 31a, 32a, 35c,
Liénart à laquelle nous associons son épouse Cookie. Cédric est à l’origine de ce projet et nous voulons, ici,   37a, 38a, 39a, 40a.
l’en remercier.
                                                                                                                 © Fabrice Samyn, 2021, avec son aimable autorisation, pour les reproductions de ses œuvres | ©
                                                                                                                 Succession René Magritte – SABAM Belgium, 2021 – pour les œuvres de René Magritte (p. 25, 30-40) |
                                                                                                                 © MRBAB et les auteurs (pour la conception, les textes et la mise en pages)

Différentes activités sont organisées autour de l’exposition, découvrez le
programme complet sur www.fine-arts-museum.be/fr/agenda/2021/10                                                  É.R. : Michel Draguet, 9 rue du Musée, 1000 Bruxelles.
@museuminquestions
  @FineArtsBelgium
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