FABRICE SAMYN To See with Ellipse - 15.10 2021 13.02 2022 @FineArtsBelgium fine-arts-museum.be - Royal Museums of ...
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FABRICE SAMYN To See with Ellipse 15.10 2021 > 13.02 2022 @FineArtsBelgium fine-arts-museum.be guide du visiteur FR
ALTER ECHO(e)S « Coïncidence des apparents contraires, (...) alchimie du cœur et de l’esprit, du visible et de l’invisible, du conscient et de l’inconscient » (Fabrice Samyn) Traversées par de multiples références à l’histoire de l’art, les peintures, sculptures, installations et performances de Fabrice Samyn (°1981) forment des “Alter échos”* avec les œuvres des Musées Old Masters et Magritte. Ce guide du visiteur vous propose, au fil des salles et des siècles, d’approcher chaque œuvre de l’artiste en « écho » avec une œuvre de nos collections. Il ne s’agit pas ici uniquement d’opposer, comparer ou associer des créations que plusieurs siècles parfois séparent mais de les faire entrer en résonance. Des échos, proches ou lointains, qui pourraient retentir, au cœur des salles, comme la voix de la nymphe antique (Ɛχꭣ) un jour frappée par la beauté d’une réalité inatteignable. À l’image du mythe, notre regard et le Musée se transforment en espace d’interrogation et de contemplation où se rejoignent mémoire et sens, passé et présent, visible et tangible. Nous vous souhaitons une agréable visite! *D’après le titre d’un poème de Fabrice Samyn publié en 2020.
PARADISE LOST signe son arrêt de mort quand elle fleurit, une fois dans sa vie, pour permettre sa reproduction : Les sculptures, peintures ou installations de l’effort fourni est tel, que bientôt, elle se dessèche Fabrice Samyn explorent parfois l’idée de pour ne laisser que ces reliques que l’artiste « métarécits » qui en relient les fragments. prélève telles des croix. Fabrice Samyn reporte une carte des constellations stellaires sur ces éléments végétaux. Les étoiles sont figurées En prélude, Eve et Adam nous questionne sur par les fragments or de couvertures de survie. nos origines. Le tableau dévoile un duo, que Celles-ci convoquent les drames migratoires que le cadrage découpe, aux limites de l’image, connaissent les régions d’origine de la plante en deux moitiés. Réunies, elles formeraient un (la frontière Mexique / États-Unis) ou celles où Fabrice Samyn être androgyne, à la fois féminin et masculin. elle s’est depuis implantée, comme le bassin Endogène / Exogène, 2018 Des ouvertures dans les tee-shirts laissent méditerranéen. courtesy of the artist entrevoir, en l’isolant, le téton. Celui-ci fait référence à l’état embryonnaire qui précède la Fabrice Samyn Eve & Adam, 2018 différenciation sexuelle. collection privée « La famille humaine, sur un territoire Le titre Eve & Adam convoque aussi la circulaire sans frontières entre le nord et le sud, les thématique de la chute. Samyn l’évoque par la étoiles et la terre, les morts et les vivants. » présence de cet « Arbre de la Connaissance » tombé et ravagé par les insectes xylophages Plus d’un siècle avant Fabrice Samyn, le peintre que le réchauffement climatique favorise. Les idéaliste Constant Montald rêvait déjà d'un pareil galeries que ces derniers ont « minées » ont territoire, qui abolirait les frontières. Conçue avec été magnifiées par l’application de feuille son pendant pour orner le vestibule des musées, d’or. Le métal précieux a été récupéré à partir La fontaine de l’inspiration nous entraîne dans un Constant Montald d’équipements technologiques que recyclent bois sacré où tout ne serait que « luxe, calme et La fontaine de l'inspiration, 1907 aujourd’hui d’anciennes compagnies coloniales volupté » ? De jeunes gens s’abreuvent d’art et inv.12105 • à découvrir dans le reconverties. L’épuisement des ressources d’une de création en buvant une eau noire qui est peut Forum des Musées planète affolée et perturbée plane sourdement, -être aussi celle de la connaissance. Au-delà de comme une menace. « Allons-nous devoir fuir l’éblouissement des sens et du poudroiement notre paradis terrestre » ? Fabrice Samyn de l’or, l’artiste nous encourage à méditer sur la L'Arbre de la Connaissance Chu, Plus loin, des éléments végétaux ont 2020 puissance des idées… (jPTh) été empruntés à des inflorescences d’agave. courtesy of the artist Cette plante, originaire d’Amérique centrale,
FABRICE SAMYN AU MUSÉE OLD MASTERS Le fil rouge de ce parcours est une remise en question du statut de l’image mise au service du dogme religieux, l’artiste nous offrant une relecture de divers sujets tirés de la Bible.
TO SEE OR NOT… ARDENT Dans son récit, l’auteur grec Euripide décrit Le feu : objet de fascination tant que de la reine de Troie Hécube crevant les yeux du destruction. Dans La justice d’Otton, tableau souverain thrace Polymnestor, pour venger de Dik Bouts, la comtesse se soumet à son la mort de son plus jeune fils. Hécube ne tue épreuve. Elle brandit un fer incandescent sans pas Polymnestor mais fait en sorte que, juste manifester aucune douleur, preuve d’une avant de perdre la vue, il assiste au meurtre Giuseppe Maria Crespi irrévocable intervention divine et donc de de ses propres fils. Le peintre combine en Hécube aveuglant Polymnestor, l’innocence de son mari. Parabole d’une foi une composition tourbillonnante trois figures inv.257 aveugle ? Le feu est aussi invoqué comme surgies des ténèbres : Hécube, les mains réponse : l’impératrice sera brûlée vive pour tendues, Polymnestor, le poing fermé, et une son mensonge. Le travail de Fabrice Samyn femme qui l’immobilise. autour du feu s’inscrit dans une réflexion sur Chez Fabrice Samyn, la mémoire visuelle les notions d’iconoclasme et d’idolâtrie. Ses s’intègre également dans l’histoire : Par le vierges calcinées renvoient symboliquement Dirk Bouts biais de ses assistants, une femme aveugle à des buissons ardents : feux spirituels, qui La justice de l’empereur Otton: est invitée à s’assoir dans une pièce séparée Fabrice Samyn éveillent mais ne se consument pas. Sculptures L’épreuve du feu, vers 1471-73, Blind Piece 1: Invisible but inv. 1448 d’une tenture. La femme prend place d’un côté, Tangible, 2016 de bois liées au culte marial, elles ont été Fabrice Samyn de l’autre. Il ne l’a jamais vue Courtesy of the artist brûlées puis recouvertes de résine fondue. auparavant. Le rideau laisse une ouverture qui Sève vitale, sang de l’arbre, transformé en lui permet de toucher son visage sans jamais chaude et abrasive coulée. Évocation du culte la voir. Tandis qu’il découvre d’une main son de la fertilité ? Le feu est réputé pour purifier visage, il le modèle simultanément de l’autre, les terres et les rendre à nouveau cultivables. dans l’argile de porcelaine fibreuse. Allusion aux vierges noires de nos contrées ? La figure blanche qui nous jette un Leur origine et raison d’être exactes continuent regard particulier existe surtout dans son de captiver et questionner. Sous l’emprise de imagination, de même que la femme aveugle la résine, le bois semble s’être muté en roche ne vit qu’avec une image intérieure d’elle- calcaire aux magnétiques reflets orangés. même. « Ne pas voir mais sentir », avec L’idole est devenue informe : allégorie d’une respect et curiosité chez Fabrice Samyn, puissance invisible pour les yeux ? (V.M.) Fabrice Samyn par vengeance et volonté de détruire chez Sans titre, de la série Black is Giuseppe Maria Crespi. (M.K.) Virgin , 2016 9
DÉPOSITIONS É( )LIPSE Sur le Mont Golgotha, qui signifie littéralement Les rayons lumineux qui couronnent les le lieu du crâne, le Christ est pleuré par Marie, têtes de la Vierge Marie et de l’enfant Jésus Jean et Marie-Madeleine, reconnaissable au irradient toute la particularité de leur statut. pot à onguent avec lequel elle lui a autrefois Du soleil à la lune il n’y a qu’un pas, ou plutôt oint les pieds. Les vêtements de Marie et qu’un cycle. La Sainte est parfois associée à Jean forment un arrière-plan rouge et bleu au Rogier van der Weyden la lune, symbole de chasteté également lié à cadavre torturé, dont les reins sont entourés Pietà, vers 1441, inv.3515 l’iconographie de la Femme de l’Apocalypse. d’un linge blanc. À l’arrière-plan, le ciel s’ouvre, Enveloppée par le soleil et couronnée annonçant, selon la foi chrétienne, la nouvelle d’étoiles, elle tient sous ses pieds un croissant ère de la rédemption qui enlèvera le péché de lune. De l’ellipse à l’éclipse, il n’y a aussi Fabrice Samyn Sans titre, de la série Vers originel commis par Adam et Ève. Dans ce petit qu’un pas, ou plutôt qu’une lettre. Trajectoire l’éclipse totale, 2014, panneau, Rogier van der Weyden révèle le conique se référant notamment au parcours Collection Delphine Dupont passage crucial de l’obscurité à la lumière. orbital des planètes, l’ellipse provoque Nous retrouvons cette même l’éclipse. Ballet cosmique : les astres célestes concentration dans Color of Time, un modeste dansent, tournent, occasionnant mutuellement globe sous lequel Fabrice Samyn dévoile un leur progressive disparition et réapparition. phénomène naturel magistral. Face à la Pietà, Fabrice Samyn évoque une éclipse au moyen ce lever de soleil semble aussi nous offrir une d’un miroir chinois antique oxydé, dont un perspective ou non de rédemption. fin croissant a été repoli de manière à faire L’art comme Apocalypse de renaître un reflet partiel. L’image est occultée, l’inéluctable. (M.K.) Fabrice Samyn resurgit, puis disparaît à nouveau… L’ellipse Sans titre, de la série The Color of Time, 2014, peut également être narrative, suggérant un Collection Tom Jonckers saut temporel, l’omission de certains éléments. «To see with ellipse» - titre de l’exposition – nous rappelle qu’une part du réel se dérobe Rogier van der Weyden toujours au regard. (V.M.) (d’après) La Vierge à l’enfant, avant 1494 inv.330 11
EROS-THANATOS MIROITEMENTS Des flèches transpercent la chair délicate Ce tableau de Fabrice Samyn inscrit le gros d’un homme attaché. Le panneau de Hans plan d’un œil comme dans une matrice. Les Memling illustre le martyre de Sébastien, un replis intimes des paupières sont brossés dans soldat romain du troisième siècle, qui s’est des tons gris et roses ; ces tons évoquent une converti à la foi chrétienne encore interdite. couleur de peau ou le rendu décoloré d’une L’homme sans défense réussit à supporter la photographie qui s’estompe. Floue, la touche souffrance avec une absolue sérénité. De toute brouille le reflet d’une fenêtre sur le miroir de évidence, la force de son esprit est suffisante l’œil. pour sublimer la douleur physique, ce qui doit Étonnamment, ce détail n’a pas nous convaincre de la toute-puissance de sa été emprunté à un portrait ou une figure Fabrice Samyn L’Atelier de Lucas Cranach, foi. humaine peinte par Cranach l’ancien. Le 2009, Collection privée Le Sébastien de Fabrice Samyn cerf couché derrière le personnage d’Ève s’inscrit dans un contraste ombre-lumière Hans Memling dans les panneaux figurant Adam et Ève au dramatique, loin des paysages qui peuvent Le martyre de Saint Sébastien, jardin d’Eden a fourni l’inspiration. Ou plutôt, distraire le spectateur. Son regard cherche vers 1475, inv.2927 l’observation attentive de Fabrice Samyn a désespérément le salut dans les hauteurs, décelé cette surprise : le reflet de la fenêtre de tandis que les traces de la mort se dessinent l’atelier du peintre jusqu’au Paradis. déjà sur son corps. Bientôt, les courbes Paradis perdu ou jardin, inaccessible, érotiques de son torse s’effaceront, et seul l’artiste doit-il, en évoquant le péché originel subsistera le squelette déjà visible. Sur cette et la chute, introduire ce reflet de fenêtre ? Il peinture ancienne, Samyn laisse transparaître fait comme un court-circuit ou une disruption le squelette en ôtant la couche de vernis dans la représentation. à certains endroits. La mort sous-jacente Ne dit-on pas que les yeux sont les (Thanatos) se révèle à travers l’énergie vitale fenêtres ou les miroirs de l’âme? (jPTh) (Eros). Pour les associer, tant Samyn que Memling recourent aux arts plastiques. (M.K.) Lucas I Cranach Fabrice Samyn Eve, inv.2627 Au-delà d’Eros et Thanatos 1625-2012, Collection privée 13
COMPASSION RÉFLEXIONS Dans La mise au tombeau, panneau En recouvrant d’une pellicule argentée le verre central du Triptyque Haneton, Bernard van d’un sablier, Fabrice Samyn altère subtilement Orley représente le Christ entouré de sept la valeur symbolique de cet objet associé personnages, regroupés dans un espace au temps. L’écoulement du sable mesurait les restreint, au cadrage serré. Le fond doré instants qui passent … Se mêlent maintenant évoque l’art byzantin mais également la les mouvements des visiteurs ou les variations Bernard Van Orley Descente de croix de Rogier van der Weyden. Triptyque Haneton, ca. 1520, de la lumière sur l’architecture intemporelle du Dans cette dernière, les détails très saisissants inv.358 Musée. Symétriques, en miroir et miroitantes, des larmes remplissant les yeux et ruisselant les deux parties de l’objet ne doivent plus sur les joues des protagonistes ont souvent être retournées pour amorcer les cycles de la été soulignés. Van Orley reprend également durée. cette attention. Les visages emperlés de ses Œil et miroir allaient déjà de pair à Fabrice Samyn Alors que tu es le temps, 2009, caractères féminins répondent délicatement l’époque baroque. Dans une sculpture de Collection privée aux reflets de certains de leurs voiles et Ludovic Willemssens, sous forme d’une bijoux. Le chagrin de cet épisode se traduit amulette ou tenu en main, l’organe de la vue dans l’émotion des personnages, notamment et l’objet spéculatif, aux côtés de livres et véhiculée par leurs pleurs. Fabrice Samyn d’un compas, figurent la circonspection, la revient lui aussi sur ce détail des larmes, qu’il clairvoyance, la connaissance ou la raison. Ils semble tout droit avoir extrait du panneau afin donnent une forme concrète à une abstraction, de proposer une parure raffinée. Deux gouttes Fabrice Samyn « la prudence ». Alors que tu es le temps, De la douleur à la compassion, de verre sont fixées sur une ancienne monture 2018, Courtesy of the artist de Fabrice Samyn, permet au spectateur de lunettes en laiton. Tout en finesse et reflété de devenir lui-même une allégorie : sobriété, il parvient à matérialiser un concept l’incarnation du temps. (jPTh) aussi lourd de sens et complexe que celui de la douleur. (V.M.) Ludovicus Willemssens La Prudence, 1700, inv.12141
VERTU, VICE & VERSA STIGMATA Les représentations traditionnelles de saint Dans cette gigantesque composition de Jérôme le campent souvent en pénitent Peter Paul Rubens, nous voyons Marie, Jean dans le désert. Se dépouillant de ses riches et deux femmes pleurer le Christ mort, tandis chapeau et manteau de cardinal, il est que Marie-Madeleine s’empare des clous accompagné du lion qu’il a un jour aidé. avec lesquels il a été crucifié. Un ange vêtu Dans la peinture hyperréaliste de Samyn, de rouge, tenant la lance qui a percé le flanc observons-nous sa version féminine, une du Christ, nous invite à être les témoins de la sainte « Jéromine » dont l’ellipse du chapeau rencontre spirituelle entre Jésus et Giovanni dessine l’auréole ? di Pietro di Bernardone, plus connu sous le Opulence et licence ? L’habit écarlate nom de saint François, un riche Italien du contraste avec la nudité qu’on entrevoit. Fabrice Samyn douzième siècle qui a décidé de mener une La Lionne cardinale ou l'épine Dans tous ces glissements de sens et retirée, 2014 vie d’humilité et de compassion à l’image du transformations d’une image traditionnelle, Collection privée Christ. En suivant son exemple, saint François Peter Paul Rubens et atelier Samyn pose la question du regard et du ne s’est pas transformé spirituellement, mais Pietà avec saint François, inv.164 déplacement moral : « La luxure pourrait- aussi physiquement comme en témoignent ses elle être élevée en vertu (cardinale). » Il fait stigmates aux flanc, mains et pieds. clairement référence aux passions (virginité Fabrice Samyn peint à l’aquarelle le et abstinence) sur lesquelles saint Jérôme s’est squelette d’un pied droit, sur lequel apparaît exprimé. une tache violette. Par rapprochement avec La seconde partie du titre suggère-t- la Pietà de Rubens, cette tache pourrait elle qu’une fois les passions domptées, elles évoquer également l’idée de cette cicatrice protègent l’humain des tentations extérieures ? surnaturelle, symbole de l’aspiration de saint Dans le tableau de Provoost, au XVIe siècle, François à s’identifier au Christ. c’est sous une image de la vierge à l’enfant que En considérant cette tache comme un se déroule la saynète de « l’épine retirée » de la stigmate, ne pratiquons-nous pas aussi une patte du fauve. Comme avec la bête sauvage forme d’identification basée sur le principe devenue protectrice, ne peut-on considérer la Jan Provoost d’affinité ? (M.K.) Fabrice Samyn passion comme une grâce, une fois qu’elle est La pénitence de saint Jérôme Sans titre, de la série Stigmata inv.10817 2011, Courtesy of the artist déchargée de toute fascination ? (jPTh) 17
FABRICE SAMYN TO SEE WITH ELLIPSE Aujourd’hui m’est venu comme une évidence; je suis le temps. Aujourd’hui est venu à moi sans bouger. Aujourd’hui me nomme, c’est ma voix. Quel soulagement d’être le temps, de ne plus à ne pas à en avoir ou à le perdre ; comment ne pas avoir le temps si je le suis ? Je suis le temps comme l’eau suit son cours dans la rivière, je suis le temps à la trace, je le suis comme mon ombre. Je suis mon ombre, la trace est mon dessein, car je suis tout autant hier que demain et tout autant aucun des deux. Je ne suis que ce battement de tambour qui en grande pompe s’annonce lui-même ; Ô comme mon coeur chavire de se ressentir battre ! Et je respire comme l’eau dans ce lit coule. Oui, cette eau, c’est parce qu’elle coule qu’elle est rivière, et quand bien même deviendra-t-elle un jour mer, rejoindra cette plénitude du don : la rivière est son propre rapide. Je suis tout le temps que nous sommes tous à cet instant, c’est merveilleux. Fabrice Samyn © 2006 19
ICONO - FLAMMES ELLIPTIQUE Le détail des flammes des tableaux de Chaque peinture de la série Ellipse nous Georges de La Tour a inspiré à Fabrice Samyn confronte à une image où l’on reconnaît la une série ambitieuse de peintures. trajectoire d’un corps cosmique : l’ellipse Ce motif, à la fois frêle et puissant, est le parcours d’un satellite autour d’une est chaque fois porté à la taille d’une figure planète ou le mouvement de celle-ci autour humaine. Les quelques centimètres carrés d’où d’une étoile. Mais, revisitant l’histoire de l’art est émise toute la lumière des compositions du ancien, Fabrice Samyn trace ici un cercle vu en Fabrice Samyn peintre lorrain sont monumentalisés. perspective, que matérialise un liquide dans Ellipse #1, 2011, Collection privée La Madeleine pénitente, aujourd’hui un verre. Il s’est inspiré de ces « morceaux de conservée à New York, double l’image virtuosité picturale » où Pieter Claesz, Willem d’une chandelle dans un miroir. Samyn, en Claesz Heda ou encore Jan Davidsz de Heem reproduisant cette particularité, questionne Fabrice Samyn excellaient au XVIIe siècle. Dans leurs natures aussi la notion de reflet. La Madeleine aux deux mortes, le temps se suspend, prend une valeur flammes, Metropolitan Museum Comment convoquer ou représenter of Art, New York City, 2012, méditative. Les transparences conjuguées le divin dans une image ? Vidé de toute Collection privée, Belgique des liquides et verreries dialoguent avec les figuration humaine, mais porté à notre échelle, reflets de la lumière. Apanages de raffinement le tableau est rendu abstrait. Il est ramené et richesse, ces motifs n’en rappellent pas à un clair-obscur essentiel, à la fois geste moins, par leur fragilité, leur peu de poids iconoclaste et célébration de l’illumination. face à l’infini de notre monde. Vanités, ils nous Dans Les pèlerins d’Emmaüs du renvoient à notre condition de mortels. caravagesque Abraham Bloemaert, les Jusqu’au vertige, Samyn, comme ses flammes s’agitent aussi sous l’action physique prédécesseurs, entrevoit et partage ces d’un geste ou d’un souffle bien tangible. Elles points de contact entre microcosme et Jan Davidsz. de Heem délimitent également un espace mystérieux et Abraham Bloemaert macrocosme, vie tranquille et métaphysique. Le pot d'étain, vers 1643, sacré, l’apparition du christ, « une lumière qui Les pèlerins d'Emmaüs, 1622, (jPTh) inv.2852 inv.3705 luit dans les ténèbres »… (jPTh) • à découvrir au Musée Old Masters : Salle 07 (Paccar) École Hollandaise 21
POSES SOUFFLE Fabrice Samyn s’est intéressé au détail de Jacob Vrel peint un intérieur qui se veut la main droite de Narcisse dans le célèbre être ce qu’il est, quoiqu’il arrive : immobile tableau du Caravage. Il l’a fidèlement statue du temps. Peut-être est-ce pour cette reproduit sur toile, mais l’a fait basculer de raison qu’il est quasi monochrome : de manière verticale. L’axe horizontal qui séparait l’ombre, de la lumière et à peine quelques la main de l’eau se transforme en ligne droite tons intermédiaires. Nous sommes dans une évoquant la surface d’un miroir. La main, chambre où règne une atmosphère austère. initialement posée au sol, paraît dès lors jointe Seule palpite la lumière vers laquelle un jeune à l’autre en prière. Le reflet change d’origine Fabrice Samyn garçon lève un regard plein d’espoir, comme et de statut. Il passe d’objet d’orgueil à source Narcissus?, 2014 si, au-delà de la fenêtre, un monde meilleur Collection privée Jacobus Vrel de contemplation du mystère. l’attendait. Intérieur hollandais, inv.2826 Dans la sculpture de Gabriel Grupello, De même, Fabrice Samyn nous rappelle • à découvrir au Musée Old Masters : Salle 04 (Paccar) le langage véhiculé par la position des une caractéristique essentielle de la École Hollandaise mains de Narcisse est éminemment expressif. peinture : le silence. Ici, contrairement à Sa main gauche, ramenée vers sa poitrine, l’intérieur de Vrel, un homme, de l’extérieur, témoigne toute l’admiration que le jeune regarde vers l’intérieur. Seul, nu, il cherche homme se porte. Sa main droite, crispée vers ce qui pourrait se trouver de l’autre côté de l’arrière, communique quant à elle l’anxiété la fenêtre. Son propre souffle est l’unique quasi simultanée qui l’envahit lorsqu’il réalise signe visible de vie. L’homme semble qu’il ne peut plus se passer de son image. désespérément en quête d’un contact avec (V.M.) quelque chose qui manque, comme le jeune garçon dans le tableau de Vrel. (M.K.) Gabriel Grupello Narcisse, inv.3468 • à découvrir au Musée Old Masters : Salles Bernheim et Fabrice Samyn Boël, couloir Sans titre, de la série The Seen Breath, 2019, Collection privée
NE M’OUBLIEZ PAS SEUILS Peindre un vase garni de fleurs est une façon Dans l'œuvre de René Magritte, l’image est saisissante de rendre éternel l’éphémère. question de seuil : entre le réel et le surréel, un Encore enfant, le peintre de nature morte objet et sa représentation, le saisissable et Joseph de Bray a appris le métier de son l’insaisissable. Si beaucoup lient la présence père Salomon. En 1664, il est mort de la peste dans son travail de personnages voilés au à Haarlem, âgé d’une trentaine d’années. suicide de sa mère (retrouvée noyée, le visage Au pied de cette composition emplie de couvert d’un tissu), l’artiste ne se prononcera René Magritte sobriété, le peintre a posé les fleurs sur le bloc pas sur la question. Les interprétations restent L’Histoire centrale, (1928), de marbre, déjà prêtes à disparaître dans les toujours ouvertes, jamais figées. Collection Belfius Banque & profondeurs obscures. Même le lis blanc ne Ne pas dévoiler pour mieux révéler. Assurances Joseph de Bray • à découvrir au Musée parvient pas à chasser la pensée de la mort. Fleurs autour d'une bouteille Mourning Through The Day de Fabrice Samyn Magritte +3) Dès l’enfance, Fabrice Samyn a peint des de porcelaine sur un bloc de participe à cette même réflexion. Trois toiles natures mortes. Celles-ci ont été conservées. marbre, inv.6315 ont été recouvertes de draps qui laissent En 2014, jeune trentenaire, il réalise une subtilement deviner ce qu’ils cachent. Chaque réplique d’un de ses dessins d’enfant, sur tableau représente un miroir capté à un base de la reconstitution du bouquet original, moment différent de la journée. Le jeu d’ombre Fabrice Samyn vase bleu inclus. Par sa disposition, l’œuvre et de lumière induit par les plis du drapé Mourning Through the Day (ou the Covered Mirror), 2015, est tournée à la fois vers le passé et le futur. accentue l’idée du temps qui passe. Collection privée, Bruxelles Fabrice Samyn Nous sommes confrontés simultanément à un Forget Me Not, de la série Dans le judaïsme, au moment du deuil, souvenir et une vision de l’avenir, cristallisés When Are You More You?, les familles couvrent généralement les miroirs dans des myosotis (Forget me not en anglais) 1987-2014, Collection privée de grands draps. Selon les croyances, la imputrescibles et immortalisés par le geste tristesse des endeuillés peut freiner l’ascension de l’artiste, qu’il s’appelle Samyn ou de Bray. de l’âme de 40 jours. Une façon de se protéger (M.K.) de notre reflet qui nous ramène à un corps voué à disparaître et de faire face à la perte de l’autre. Considération aussi sur l’objet et sa représentation puisqu’un miroir peint ne pourra finalement jamais refléter rien d’autre que l’image d’un reflet, étant lui-même déjà une image. (V.M.) Fabrice Samyn Seuil, 2018, Collection privée
Le #museuminquestions Les artistes contemporains exposés cette musée saison interrogent de façon inédite les missions et valeurs des Musées royaux. Retrouvez leurs questions, participez au débat nous et partagez vos points de vue sur nos réseaux sociaux en suivant le #museuminquestions. permet-il de toucher à notre vulnérabilité exhibitions 15.10 2021 > 13.02 2022 ? Fabrice Samyn Aimé Mpane Rachel Labastie Fabrice Samyn fine-arts-museum.be @FineArtsBelgium #museuminquestions
FABRICE SAMYN AU MUSÉE MAGRITTE L'œuvre et la pensée de René Magritte continuent d’innerver l’art contemporain, comme en témoigne la présence entre ces murs des œuvres de Gavin Turk, de Joseph Kosuth ou de Nicolas Party. Les Musées invitent aujourd’hui Fabrice Samyn à établir un dialogue entre son travail et celui du grand maître surréaliste. Plusieurs points de convergence existent entre les deux artistes, qu’il s’agisse de manier l’alliage visuel des contraires, de se risquer à représenter le silence et le vide, ou d’interroger la dimension plastique des mots.
ÉCLOSIONS CORRESPONDANCES Au sommet du Musée, Fabrice Samyn et Les mots forment des signes qui font sens, René Magritte se partagent le ciel comme créent de nouvelles images, nous bouleversent ils partagent les nuages. Ils bourgeonnent, ou nous laissent froids. Ils ont « la même Fabrice Samyn nombreux, dans leurs œuvres respectives. substance que les images » dit Magritte qui Correspondence Piece IV : Chez Fabrice Samyn, les nuages sont rajoute : « un mot peut remplacer une image » Letter to Space – tout sauf “virtuels”. Ces vapeurs accumulées et « une image peut remplacer un mot ». “Corps Activation I : Lettre d’amour à personne inconnue, 2014, se figent dans la forme, prennent corps, Fabrice Samyn de femme” , “Canon”, prennent alors une infinité Collection privée texture, pesanteur. Selon l’artiste, il s’agit de L'Éclosion du Nuage, 2021, de formes et de sens selon L’usage de la parole Courtesy of the artist “reconsidérer un sacré hors de portée”. Les pour reprendre le titre de l’artiste. nues retombent littéralement sur terre, nous Lorsqu’un mot est traduit dans une autre atteignent et nous touchent. “Un peu de ciel langue, sa forme change la plupart du temps. qui chute...” Mais qu’en est-il du sens ? Mais si dans sa chute, le nuage de C’est l’expérience qu’a menée Fabrice marbre se brise avec fracas, n’est-ce pas pour Samyn dans Correspondence Piece IV. L’artiste a libérer de la pierre « tangible » de nouvelles fait traduire une lettre d’amour dans les langues formes « invisibles » ? de pays situés sur une même latitude : 50° A contrario, René Magritte représente René Magritte Nord. La première lettre est écrite en français. davantage les nuages comme des concepts. Il La malédiction, (1960), Traduite et manuscrite de pays en pays, de Collection privée, Belgique les peint sans profondeur, ni textures, tels qu’on • À découvrir au MMM +1 gauche à droite, elle revient en boomerang les voit sur les papiers peints qui tapissent les à sa source, son pays natal, sa langue espaces de rêves … Mais lorsque les amis d’origine. Transformée au gré de ses voyages poètes surréalistes leur apposent subitement linguistiques, la dernière Correspondence ne « un titre lourd de sens comme dans l’oeuvre correspond » plus à la première. René Magritte L'usage de la parole, (1927-1929), La malédiction, ils se chargent, deviennent Comme les tableaux-mots de Magritte, inv. 11530 inquiétants et prennent alors une toute autre l’amour, tout universel qu’il soit, prend les formes • A découvrir plus loin dans le forme dans notre esprit. multiples qu’on désire lui donner. L’usage, parcours Peindre « l’au-delà » du ciel ou sculpter la culture, l’individu, le temps et l’espace le l’ « hors de portée » , mêler le grave et le modifient. Lorsque cette notice sera traduite, léger, associer les réalités contraires… autant aura-t-elle le même sens ? Correspondra-t-elle d’échos entre deux univers, semblables et à l’intention première de l’artiste ? (G.B.) différents comme le sont les nuages. (G.B.)
FLAMMES TEMPS Depuis la Renaissance, les peintures ont Si chez un célèbre Surréaliste espagnol les souvent été assimilées à des fenêtres nous montres fondent, rendues molles, chez René donnant à contempler le monde visible. Mais Magritte la présence de l’horloge, statique, ici, avec cette œuvre de la série Seuil, Fabrice pourrait bien mettre au défi un concept aussi René Magritte Samyn nous arrête dans notre élan. Toutefois, complexe que le temps. Tout comme il le Les reflets du temps, 1928, une porte, ouverte ou fermée, appellera fait avec le langage, le peintre belge nous collection privée , Courtesy Fondation Magritte toujours notre esprit à y voir un passage vers conduirait à questionner les conventions en une autre dimension. Le bois a été doré puis jeu derrière cette notion. Quels en sont les brûlé. L’or convoque la lumière, l’illumination contours, quelles images y sont associées ? intemporelle qu’on associe aux icônes. Tout en Une heure, une minute ou une seconde sont- le magnifiant, le feu révèle la “flamme”, celle elles aussi illusoires qu’un mot ? Le caractère du bois, autant que celle de chaleur et de la cyclique de la nature régit en partie ce vie. Révélateur mais aussi destructeur, le feu, concept, qui n’est donc pas du seul registre iconoclaste, entraîne tout vers la disparition de la construction. Mais son importance ou le refus des images… a crû au sein d’une société dans laquelle Fabrice Samyn Chez Magritte, passé le seuil du titre, Sans Titre, de la série Seuil, 2016, nous essayons sans cesse de le rattraper, le Le démon de la perversité campe un mur qui Courtesy of the artist rentabiliser. nous empêche d’explorer un espace nocturne, De manière poétique, Fabrice Samyn typique de la période sombre ou propose au visiteur une expérience toute « caverneuse » de l’artiste. La matière, à la autre du temps. Au moyen d’une montre et fois inerte et vivante, pourrait évoquer du d’un collier, il offre à la mesure temporelle métal fondu, du ciment, une peau qui se une suspension. Ce flux immatériel est mis au délite... Des ouvertures révèlent le cœur de regard de sa relativité. Les grains du sablier cette construction : la flamme du bois dont les ne s’écoulent pas. La coquille fossilisée veines sont rendues avec une précision de d’une ammonite remplace le cadran de la trompe-l’œil. René Magritte montre. Bien qu’il s’agisse d’un marqueur Fabrice Samyn Les deux artistes, entre transparence Le démon de la perversité, chronologique, sa forme en spirale évoque Stairs of Time| Still Flow, 2018. (1928), inv.7418 • Les bijoux sont portés par des et opacité, associent énigme et révélation, l'infini. Ces bijoux seront portés par les surveillants du Musée Magritte création et destruction, mystère et poésie. surveillants, gardiens du temps. (V.M.) (jPTh)
CADAVRE EXQUIS LUNES CLAIRES « Souris puisque c’est grave » ! Fabrice Samyn, fasciné par les éclipses, Chamfort (le chanteur et non le moraliste du XVIIIe siècle) questionne la notion de cycle. Sept miroirs antiques chinois, dont les surfaces se sont Le titre À nous deux pose peut-être un défi oxydées avec le temps, ont été partiellement Fabrice Samyn entre l’œuvre et le spectateur, invité à repolis par l’artiste, de manière croissante ou In the Glimpse of an I, 2016, décrypter ces éléments hétéroclites. Il révèle décroissante. Les zones polies retrouvent leur Collection privée surtout une création conjointe de Marianne pouvoir réfléchissant. Le visiteur est amené Berenhaut et Fabrice Samyn. Pendant un à s’y percevoir. Samyn l’invite à reconsidérer confinement récent, les deux artistes ont l’échelle temporelle d’une vie face à celle de dialogué par objets interposés. phénomènes cosmiques. Un perchoir - sans cage!- porte un nid La dernière œuvre achevée de René qui protège une entrée de serrure qui... etc. etc. Marianne Berenhaut & Magritte, La page blanche, illustre à merveille Fabrice samyn Fabrice Samyn rejoint son aînée À nous deux, 2021, le goût de l’artiste pour la défiance. Coutumier René Magritte qui depuis la fin des années 1960 associe Courtesy Dvir Gallery des croissants de lune, le peintre surréaliste La page blanche, 1967, inv.10711 intimement les fragments du quotidien pour déroge cette fois-ci à la règle en présentant • À découvrir au MMM +1 affronter les grands traumas du XXe siècle ou une lune pleine. Ce choix surgit dans un second magnifier les petits trésors de nos existences. temps, lorsqu’il décide de sur-peindre le Ensemble, les deux artistes explorent « le sens croissant initial dont l’impact visuel n’était qui se tisse au gré de l’altérité ». pas assez fort : la lune doit apparaître « par- Expérimentale et ludique, la démarche dessus » les feuillages et non pas « à travers ». rejoint les « cadavre exquis », jeux d’écriture Cette toile clôture la carrière de Magritte, bien ou d’invention graphique initiés par les que son titre annonce un nouveau départ, la surréalistes parisiens. À l’occasion, Magritte potentielle éclosion d’une idée future. Tout est et ses amis (ici à quatre mains !) ont aussi question de cycle. pratiqué ce jeu qui convoque le hasard. Un Du croissant à la pleine lune, de l'œuf à la participant commence un dessin, le suivant poule… qui était là au commencement ? Reflet, René Magritte continue mais sans voir ce qui a déjà été René Magritte - Louis vanité… tout est aussi question d’apparence. Le domaine d’Arnheim, (1962) Scutenaire - Irène Hamoir - Paul inv.10707 mis sur le papier et ainsi de suite avant la Comme celle d’une lune par-dessus les feuilles. • À découvrir au MMM +1 Nougé révélation finale. (jPTh) Cadavre exquis, 1934, inv.12124 (V.M.)
ÉCLAIRAGES MOULÉ.E « C’est le mystère qui éclaire la connaissance ». En moulant son téton, Fabrice Samyn nous C’est avec ces mots que René Magritte conclut livre un étonnant autoportrait. Il est aussi un son texte La fée ignorante dont le tableau peu celui de nous, toutes et tous. Isolé du reste éponyme représente, sous les traits d’Anne- du corps, un téton est commun aux identités Marie Gillion Crowet, une « fée » à l’écoute sexuelles. Il permet de décliner tous les genres d’une flamme qui diffuse une aura obscure. qui aujourd’hui sont progressivement mis en Les fées ont le pouvoir de transformer René Magritte avant pour rompre avec une vision binaire La fée ignorante, 1956 et restrictive de nos vies. Façonné dans une une chose en son contraire. Extralucides, Collection Baronne Gillion elles savent, à l’instar des surréalistes, que Crowet ancienne médaille de la Première guerre le mystère participe à la connaissance du mondiale, l’objet, s’il était porté, rendrait à monde. nouveau visible une petite zone érogène de Cette phrase de Magritte pourrait-elle nos corps que les vêtements cachent ou de Fabrice Samyn nous éclairer à son tour sur la série Feu la vie de nombreuses sensibilités censurent. Once Androgynous, 2014, Fabrice Samyn ? Une flamme en cristal semble Du souvenir de 1918, l’artiste a aussi Courtesy of the artist fondre comme neige au soleil. Elle incarne le conservé le ruban-attache. Multicolore, il mystère de la vie et de la mort, ce que relève Fabrice Samyn transcendait autrefois les frontières en étant par ailleurs l’expression « feu la vie ». Sans titre #4, de la série Feu la commun aux dix-huit pays vainqueurs et vie, 2010, Courtesy of the artist alliés, éditeurs de la médaille. Aujourd’hui il Métaphore de l’adoration et de la destruction, la flamme vitale s’élève comme se rapproche du drapeau arc-en-ciel associé on vénère une icône ou se consume comme aux mouvements LGBTQI A+ depuis la fin des on brûle une idole. Elle se liquéfie, à l’image années 1970. de ces bougies dans les lieux de prière. Mais Et Magritte? Dans ses représentations, le feu se glace en cristal et arrête la course du a-t-il lui aussi cherché à déconstruire les temps, l’immortalise dans l’instant. conventions liées aux sexes pour construire Si Magritte assemble les contraires dans de nouveaux genres? Peut-on échapper à son sa Fée ignorante, Fabrice Samyn, en « savant corps biologique? (jPTh) magicien », les fusionne. De la fée extralucide René Magritte Dessin pour Moralité du au cristal translucide, l’alchimie s’opère et sommeil de Paul Eluard, publié confirme que Magie, Mystère et Connaissance par L'Aiguille Aimantée, ne font qu’un ! (G.B.) Bruxelles, avril 1941, inv.11729 • À découvrir au MMM +2
POINT DE VUE DES NUES Comment décrire un nuage à une personne Peindre permet de réarranger le réel qui n’a jamais vu ? Dans Voir des nues, autrement. Tant Notre Voile que La Magie Fabrice Samyn relève le défi à travers des noire présentent, avec étrangeté, une femme textes poétiques adressés à des personnes entourée de ciel et de nuages. aveugles de naissance qui les sculptent Chez Magritte, elle ferme les yeux et ensuite. Chacun donne ainsi sa vision à l’autre. s’adonne à la rêverie. La pensée devient Le visible devient lisible et inversement. On libératrice. Chez Samyn, par contre, le ciel retrouve cette idée de dialogue dans L’art nuageux n’est pas espace d’ « inspiration » de la conversation de René Magritte : Deux mais enveloppe physique. personnages font face à un amoncellement Où est-elle ? Que regarde-t-elle ? Les de pierres dans lesquelles on devine des mots deux femmes s’inscrivent dans une image où légers (RÊVE, TRÊVE…) ou lourds et pesants l’ambiguïté prévaut : ouverture et fermeture, Fabrice Samyn (CRÈVE, RÉVEIL …). Chacun, selon son point de éloignement et proximité, plaisir et danger, Notre Voile, 2018, vue. présence et absence. Collection privée Comme Magritte, Fabrice Samyn taille la En fonction de l’environnement, la Fabrice Samyn pierre. Mais en gravant le poème en braille sur Voir des nues (Cumulus 1), 2021, pensée est légère chez l’une, pesante chez le socle, il nous le rend inaccessible. Les rôles Courtesy of the artist l’autre. La « tête dans les nuages » peut susciter habituellement auto-attribués aux “voyants” *L’œuvre existe à la fois dans son entité le sourire comme la gravité. Chez toutes deux, sculpturale mais inclut également une censés guider les personnes non-voyantes se action performative. Au fil de l’exposition, la cependant, le corps est perçu comme plus sculpture sera ponctuellement “actionnée” trouvent intervertis. L'œuvre selon l’artiste ne par une personne aveugle de naissance. que lui-même. Et peut-être est-ce précisément s’active qu’avec l’intervention d’une personne ce qui nous fascine dans ces deux œuvres : la aveugle qui du bout des doigts nous guide et manière dont quelqu’un se transcende, pense partage le contenu du poème. La démarche ou fait penser à autre chose. Des artistes inclusive change de main! comme Samyn et Magritte parviennent à “Je veux rendre visible l’invisible” disait saisir l’infini dans les limites d’une œuvre d’art Magritte. Pour voir ces nues, fermons nos yeux plastique. (M.K.) en forme d'ellipse et écoutons ce que Fabrice Samyn nous dit à haute voix dans le titre de René Magritte René Magritte La Magie noire, 1945, inv.10706 cette exposition : “To see with ellipse” ... “To L’art de la conversation, 1950 • À découvrir au MMM +2 see with the lips”. Les écrits restent, les nuages Collection privée, Suisse s’envolent. (G.B.)
TIME AFTER TIME… EQUINOXE — ELLIPSE : VOIR AUTREMENT Entretiens avec des personnes aveugles de naissance menées par Le temps comme douce transition lumineuse, Musée sur Mesure à l’initiative de Fabrice Samyn sur le thème de la en douze étapes chez Fabrice Samyn, du lever perception du temps. au coucher du soleil, mais en deux seulement chez René Magritte, où l’opposition entre le jour et la nuit est implacable. « Il y a la sensation de la lumière ou du noir sur la peau » La merveilleuse interaction de la lumière Fabrice Samyn Sans titre de la série « Que voit-on finalement ? (…) cela prend du temps de se relier à ce solaire avec l’atmosphère, qui se répète The Color of Time, 2016 qu’on ne voit pas, à tout ce qu’on ne sait pas qu’on ne voit pas… » toutes les vingt-quatre heures, reste pour les Courtesy of the artist artistes une source d’inspiration magique. « Les personnes qui voient sont davantage dans l’espace…Moi je me Par l’action de l’homme, toutefois, le cycle de situe dans le temps… ou peut-être plutôt dans le présent… » la lumière et de l’obscurité doit affronter la « Si on se relie au ciel, il y a quelque chose qui s’ouvre dans la tête, il y a concurrence de la lumière artificielle. Un seul quelque chose qui s’ouvre dans le corps… » réverbère suffit à sauver de la disparition un paysage ténébreux. Mais la lumière « Quand on s’approche de quelque chose de solide, par exemple d’un artificielle ne connaît ni lever ni coucher. Elle est mur, c’est l’ossature qui sent… » allumée ou éteinte. Les globes atmosphériques de Samyn Merci à Sylvie, Jeanne-Françoise, Lucie, Marieke, Brenda, Simon, Vincent, explorent la gamme infinie des nuances. La Lumière asbl (Liège) et Sint Rafael (Gent). Mais eux aussi restreignent un phénomène cosmique en le réduisant à douze unités d’une demi-journée. Magritte réunit les deux « Vivre la visite au musée sans voir, y apprécier un tableau qu’on ne peut moitiés d’une image en une journée complète, René Magritte toucher, se connecter à l’esprit de l'œuvre… Cette expérience particulière comme les revers juxtaposés d’une médaille. L’Empire des lumières, 1954, vécue par les visiteurs non-voyants surprend ceux qui voient. L’évolution cyclique du temps, de la lumière inv.6715 Car voir n’est peut-être pas l’unique accès au monde muséal…. » et de la couleur confronte l’être humain à Marie-Suzanne Gilleman, responsable du service Musée sur Mesure aux MRBAB des dimensions sans commune mesure avec et du programme Equinoxe sa propre existence éphémère. Des artistes comme Magritte et Samyn parviennent à Des visites pour les publics voyant et non voyant, ainsi que des performances et activations saisir le grandiose dans les limites de l’art d'œuvres sont organisées tout au long de l’exposition. D’autres citations sont encore plastique. (M.K.) à découvrir au Musée Magritte.
Colophon Guide du visiteur conçu pour accompagner l’exposition Fabrice Samyn. To See with Ellipse (15 octobre 2021 – 13 février 2022) Directeur général : Michel Draguet Commissaire : Pierre-Yves Desaive Direction du Service Expositions et coordination du projet : Sophie Van Vliet Direction des Services aux publics & Médiation culturelle : Isabelle Vanhoonacker Médiation culturelle | Expositions : Géraldine Barbery Textes : Géraldine Barbery [G.B.], Jean-Philippe Theyskens [jPTh], Marianne Knop [M.K.], Virginie Mamet [V.M.] Traductions : Marie-Françoise Dispa Design Studio : Piet Bodyn & Vladimir Tanghe Relectures : Géraldine Barbery, Jean-Philippe Theyskens, Marianne Knop, Isabelle Vanhoonacker Imprimé sur papier Nautilus Classic White FSC Recycled 100%, 90g Crédits photographiques © Achim Kukulies, courtesy Sies + Höke, Düsseldorf : p. 4b, 12a, 22a, 24a, 36a. L’exposition Fabrice Samyn. To See With Ellipse bénéficie du © Archives Ludion Uitgeverij : p. 25c, 30b, 33c, 36b, 38b. soutien de : © Clemence Leveau : p. 33b. © Courtesy Dvir Gallery : p. 34a. © Hugard & Vanoverschelde studio : p. 23a. © KIK-IRPA : p. 15b. © Luk Vander Plaetse : p. 7, 14a, 16a, 33a, 35a. © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique / photo Johan Geleyns Art Photography : p. 5b, 8b, 9b, 10b, 12b, 13b, 16b, 17b, 20b, 22b, 23b, 31b, 32b, 34b, 35bd, 37b, 39b, 40b / photo Atelier de l’Imagier : p. 24b / photo Freya Maes : p. 11b, 14b / Photo d’art Speltdoorn & Fils, Bruxelles : p. 21b. L’artiste et les Musees royaux des Beaux-Arts de Belgique dédient cette exposition à la mémoire de Cédric © Philippe De Gobert : p. 1, 4a, 5a, 8a, 9a, 10a, 11a, 13a, 15a, 17a, 19, 20a, 21a, 25ab, 29, 30a, 31a, 32a, 35c, Liénart à laquelle nous associons son épouse Cookie. Cédric est à l’origine de ce projet et nous voulons, ici, 37a, 38a, 39a, 40a. l’en remercier. © Fabrice Samyn, 2021, avec son aimable autorisation, pour les reproductions de ses œuvres | © Succession René Magritte – SABAM Belgium, 2021 – pour les œuvres de René Magritte (p. 25, 30-40) | © MRBAB et les auteurs (pour la conception, les textes et la mise en pages) Différentes activités sont organisées autour de l’exposition, découvrez le programme complet sur www.fine-arts-museum.be/fr/agenda/2021/10 É.R. : Michel Draguet, 9 rue du Musée, 1000 Bruxelles.
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