Fiction Nuit blanche - Érudit
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Document généré le 10 sept. 2021 02:53 Nuit blanche Fiction Numéro 64, automne 1996 URI : https://id.erudit.org/iderudit/21171ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (imprimé) 1923-3191 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu (1996). Compte rendu de [Fiction]. Nuit blanche, (64), 33–45. Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1996 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
COMMENTAIRES F i c T i o N Robert Giroux passe par une respiration, une ultime signa- ture du souffle. « Il y a lieu ,. Jjiukerto parfois de s'éclaircir la voix, ne serait-ce que pour retrouver sa tv Bco propre respiration. » Cette phrase, tirée de la quatrième de L'ILE DU JOUR D'AVANT artificialité forcenée et jusqu'à l • \ % du jour ^ couverture, convient parfaite- Umberto Eco l'aspect poussif de certaines de '% A'avant ment au poète. Lisez ce recueil Trad, de l'italien leurs constructions, conduit-il en le murmurant et vous vous par Jean-Noël Schifano le romancier à mener trop loin sentirez aussi respirer par ce Grasset, Paris, 1996, la distanciation, dans un étalage souffle. 461 p. ; 34,95 $ somme toute assez scolaire de Claude Paradis cours rhétoriques rares, d'in- Abandonnez toute espérance, ventions narratives tordues, vous qui abordez à ces rivages d'affectations langagières las- LE CHEMIN DU RETOUR dans l'espoir d'y trouver un santes et sans verve. Toujours Roland Bourneuf roman : vous n'aurez ici que est-il que ce roman s'enlise dès L'instant même, Québec, ratiocinations fumeuses à peine son premier tiers et que le lec- 1996, 238 p. ; 24,95 $ assaisonnées d'une ironie que la teur reste toujours si étranger à perspective rend un peu facile ; ce qui se passe là que bientôt Essayiste chevronné, puis poète cours d'histoire des sciences où seul son respect pour l'auteur le et nouvelliste, Roland Bourneuf le maître, pourtant grand péda- pousse à poursuivre. s'attaque cette fois-ci au roman. gogue devant l'éternel, distille Depuis Le nom de la rose Et il le fait de main de maître en un ennui presque mortel, éta- d'éclatante mémoire, le roman- empruntant les couleurs du récit lage, guilleret comme toujours, cier Umberto Eco ne cesse, autobiographique au je. Son mais complaisant comme ja- hélas, de décevoir et de déchoir. narrateur, le Français Louis- mais, d'une culture qu'on finit Souhaitons à ses nombreux Edouard Dubuc, est un « sexa- par trouver paradoxalement admirateurs qu'après le cul-de- génaire sur le déclin » qui est insignifiante tant elle s'amuse sac de ce dernier roman il re- maintenant à la retraite et qui a du rare, de l'incunable, du naisse à l'invention vraie et toujours aimé la solitude. Il dit bizarre et du controuvé. abandonne ses jeux solipsistes avoir « entrepris cette histoire Une bonne moitié du livre avec sa phénoménale culture. sans autre projet que le plaisir est faite de discussions, que Jean-Pierre Vidal de céder à la poussée des mots ». l'on aimerait bien suivre avec Il remonte dans son enfance et un quelconque intérêt, entre s'achemine petit à petit jusqu'à un vieux jésuite et un jeune J'ALLUME la réalité contemporaine. homme, sur la détermination Robert Giroux Loin d'être linéaire, cepen- de certain méridien et quelques Triptyque, Montréal, 1995, dant, le récit procède par larges principes de physique où le 55 p.; 14$ retours en arrière. Il adopte un bricolage a la part belie, le tout ton grave et lent où régnent la agrémenté d'une vague amou- Le rythme, en poésie, est une discrétion et la pudeur des sen- rette traitée dans l'artifice de la donnée de base, un élément timents. Dubuc se raconte en . carte du tendre et d'un fatras de fondamental de l'univers poé- plus avec la lucidité de celui qui mises en abyme, de doubles et tique. Robert Giroux, avec son connaît le « pouvoir falsifica- de miroirs où l'apprenti litté- tout dernier recueil, a trouvé teur des mots » et qui sait qu'il rateur reconnaîtra le clin d'œil dans le rythme même l'unité « invente autant qu' [il se] baroque ou néo-romanesque. dont toute œuvre a besoin pour remémore ». On pense ici à Bien sûr on retrouvera çà s'épanouir. Si les thèmes de Robert de Roquebrune du et là, tout de même, la patte J'allume, qui convergent pour Testament de mon enfance, un d'Umberto Eco, faite d'une la plupart vers la sensualité, ne récit autobiographique apparte- fantaisie amusée et d'une joie s'y cantonnent pas, s'il est aussi nant en fait au roman. d'écrire contagieuse, mais avec question d'amour, de musique, Mais Le chemin du retour quelle parcimonie, au milieu de entre autres choses, le recueil fréquente en même temps d'au- quel effort et de quelles lour- prend quand même son sens femmes, griffons-oiseaux et/ tres avenues. Si le narrateur se deurs de saltimbanque un peu véritable, il me semble, dans le toutes ces feuilles gracieuses en préoccupe du récit des faits essoufflé ! rythme qui transcrit si bien cette hommage/au gisant indifférent ». eux-mêmes, il tend aussi, avec Peut-être le XVIIe siècle sensualité. Tout est circulaire Cette façon d'amalgamer les une modestie et une attention qu'Umberto Eco prend pour dans l'écriture de Robert Giroux, thèmes (par le rythme) permet remarquables, à rechercher leur cadre de son roman est-il trop tout me semble en rondeur : le au poète d'élargir la palette des signification. Le tout est rendu loin de nous, peut-être ses phrasé, l'enjambement, même textures ambiantes, passant sans dans une langue raffinée et pré- préoccupations nous apparais- l'image du poète penché sur accroc de la ville à la nature, cise qui fait habilement état des sent-elles oiseuses, et byzantines toute chose : « Le gisant gît là en croisant la langueur de la hésitations de la mémoire et de ses querelles métaphysiques. dans la plus grande simplicité/ musique comme l'effervescence la confusion des souvenirs. Tout Sans doute aussi pasticher, pierre froide nez coupé comme contenue d'un doux érotisme. en larguant, par petites touches, comme il le fait, les précieux et il se doit/les bas-reliefs m'obli- Tout tient avec justesse parce « ce qui fait mal », Dubuc en leurs élégances un peu torses, leur gent à me pencher/poissons- que tout dans l'écriture de arrive ultimement à « [se] rap- I L A N C H E
COMMENTAIRES F i c T i o N Or, puisque l'auteur sait faire preuve de délicatesse, pourquoi résout-il son intrigue de ma- nière si brutale ? Décidément, l'intimité d'Adèle ne parvient pas à susciter l'adhésion du lecteur qui termine ce mini- procher de [lui]-même ». L'exer- charnières qui modèlent à roman peu convaincu de son gue initial de Colin Wilson jamais chez un enfant les rela- intérêt. prend alors tout son sens : « Le tions qu'il établira par la suite Louise Villemaire chemin du retour est la marche avec son entourage. Témoin à en avant qui s'enfonce plus pro- 4 ans des pires scènes de l'avi- fondément dans la vie ». lissement humain, auxquelles LE NEVEU D'AMERIQUE «Je n'ai jamais aimé laisser de surcroît sa mère est forcée de Luis Sepûlveda quoi que ce fût derrière moi participer, Jeroen Brouwers en Trad, de l'espagnol (Chili) [...]. Pas de trace qui permît de traînera les séquelles toute sa par François Gaudry m'identifier, [...]», nous dit le vie. La seule vue de sa femme Métailié, Paris, 1996, narrateur au début et à la fin de donnant naissance à son enfant, 166 p. ; 34,90 $ son récit. Le chemin du retour des marques de douleur dans est pourtant un legs qu'on ne un corps de femme, suffira à Quatre voyages de Luis risque pas d'oublier : c'est, à rejeter non seulement cette l'approfondissement d'un pro- Sepûlveda, quatre textes auto- tous points de vue, un roman vision, entre toutes intolérables pos et trop élaboré - mais aussi biographiques. Le premier de la maturité. À déguster à du seul fait de leur pouvoir trop dilué - pour satisfaire aux voyage ne mène nulle part, petites doses. d'évocation cauchemardesque, exigences de la nouvelle. c'est-à-dire dans une prison au Jean-Guy Hudon mais à fuir la femme elle-même. André Brochu écrit pourtant Chili ; son grand-père le lui Sa vie durant, tel un enfant qui depuis belle lurette. Écrivain avait prédit ! Il parle peu des n'a de la beauté qu'une concep- prolifique et reconnu, lauréat tortures, des 942 jours où il est ROUGE DECANTE tion inaltérable, il refusera toute de prix prestigieux, à la fois enfermé ; il est homme plus Jeroen Brouwers forme d'altération physique, de critique, poète, nouvelliste et libre que jamais ! On retrouve Trad, du néerlandais déchéance chez l'autre. romancier, l'auteur d'Adèle dans la prison la presque tota- par Patrick Grilli Le présent roman, loin d'a- intime jouit d'une solide répu- lité du corps enseignant des Gallimard, Paris, 1995, gir miraculeusement en opérant tation dans le milieu littéraire universités du sud du pays ; ils 168 p. ; 24,95 $ l'impossible réconciliation avec québécois. Il est d'autant plus organisent plusieurs facultés ; le passé, vient plutôt en mesurer pénible de ce fait de souligner la on peut y apprendre l'anglais, le Deuxième volet d'une trilogie froidement l'irréversibilité. Sans faiblesse de son dernier ouvrage français, l'allemand, le russe, les autobiographique à laquelle se jamais verser dans la vindicte, defictionqui laisse une gênante mathématiques, la physique consacre Jeroen Brouwers, Jeroen Brouwers témoigne impression de travail bâclé et quantique, l'histoire universelle, considéré comme l'auteur le superbement du quotidien dans complaisant. Les thèmes tragi- l'histoire de l'art, la philosophie. plus lu et le plus célèbre des ces camps où la vie n'était que ques du triangle amoureux, de Libéré de prison, comment Pays-Bas, Rouge décanté a valu bruissement du vent et, comme la rupture, du désarroi senti- sortira-t-il du Chili et de l'Amé- à son auteur le Prix Femina il nous le rappelle tout au long mental, de la folie meurtrière y rique latine ? Il n'a pas d'argent, à l'automne 1995. Le projet de ces pages, le vent fait parfois sont traités de façon banale et la peur règne partout. Il reste romanesque s'inscrit dans la bruire les feuilles mais égale- superficielle. Sans compter que six mois dans une riche famille lente et inéluctable remontée ment claquer les drapeaux. les effets de style ratent souvent pour écrire une biographie du de la mémoire, immédiate et Jean-Paul Beaumier leur cible. On comprend bien maître de maison. Mais il prend passée, déclenchée lorsque le qu'Adèle souffre, mais étran- le large le jour où un ami de la narrateur apprend la mort de gement sa douleur reste en deçà cuisinière lui apprend ce que la sa mère un certain matin de ADELE INTIME des mots, comme abstraite. famille attend de lui : qu'il janvier 1981. L'annonce de cette André Brochu Même ses paroles crues, son engrosse d'un fils lafilleApari- mort agit ici tel un puissant XYZ, Montréal, 1996, délire scatologique sonnent cia ! Plus tard, à Barcelone, un révélateur et ravive des souve- 102 p.; 14,95$ faux, et ce malgré les intentions éditeur le met en contact avec nirs qu'il voudrait à jamais que l'on devine derrière ces un écrivain anglais, Bruce ensevelis dans l'oubli : des Il est étonnant de constater à choix langagiers. En revanche, il Chatwin ; ils font le pari de se moments de son enfance vécus quel point, ces derniers temps, faut avouer que dans cette retrouver en Patagonie sur dans un camp durant l'occupa- on attribue facilement le voca- histoire racontée simultané- les traces de deux aventuriers, tion japonaise de l'Indonésie ble de roman à des récits plutôt ment à la première et à la troi- Butch Cassidy et Sundance Kid. néerlandaise au moment de la courts qui n'offrent pas tou- sième personne, les transitions Luis Sepûlveda attendra neuf Deuxième Guerre mondiale. jours la substance, la complexité entre le elle et le je sont parti- longues années, en Allemagne, L'enfant y sera quotidienne- et les qualités littéraires que culièrement réussies. l'autorisation de rentrer dans ment témoin, en compagnie de réclame le genre romanesque. Cela dit, la force d'André son pays. Il part aussitôt pour la sa mère, de sa grand-mère et de Et malheureusement Adèle Brochu réside dans la manière Patagonie, un pays qu'il aime, sa petite sœur, de scènes effro- intime n'échappe pas à la de situer les décors et les atmos- où il y compte beaucoup d'amis. yables qui marqueront à jamais tendance. À vrai dire, il faudrait phères. Il excelle avant tout Au terme d'un quatrième sa vision du monde. peut-être inventer une catégorie dans l'art de faire passer l'émo- voyage enfin, il arrive à Martos, Sur un ton et un rythme intermédiaire entre le roman et tion par une description, un en Andalousie. Le curé du village incantatoires, Jeroen Brouwers la nouvelle pour situer ce texte à détail significatif, une phrase retrouve dans les registres fait l'autopsie de ces années la fois trop bref pour permettre qui soudain se démarque. paroissiaux le nom de son A 4 . N U I T B L A N C H E . 3 4
grand-père et sa date de nais- compte du nombre des morts sance. Miracle ! Le frère cadet qui m'entourent. Je vous épar- vit encore, dans ce village, gne les pleurs, sachez seulement Bernard Clavel rue de la Vierge, n° 12. Luis que je fais la fortune des mor- Sepûlveda y entendra le plus gues. Voilà peut-être pourquoi beau poème que la vie lui ait je nargue la mort, je la défie. Je offert quand Don Angel appelle ne la redoute plus [...] Voilà Maria, une vieille femme tout aussi pourquoi je vis seule : je habillée de noir et lui dit : prends mes précautions. Plus « Femme, apporte du vin, mon rien ne peut être contaminé. » neveu d'Amérique vient d'ar- Un très beau texte donc qui river ». mérite attention. En somme, L'auteur est attachant parce nous découvrons une jeune que sa parole est celle d'un auteure qui promet énormé- homme libre, chaleureux, qui ment. raconte en toute simplicité et Gilles Côté avec humour ses rencontres avec les gens, amis ou pas ; ce voyageur infatigable nous parle avec tendresse des pays qu'il O SIRENES, LIBEREZ-MOI aime. Nicole V. Champeau Monique Grégoire Vermillon, Ottawa, 1996, 93 p.; 13$ CAMI Étrange !... Je n'ai pu lire ce Martine Latulippe recueil qu'une fois. Pas eu la Arion, Québec, 1996, force de m'y remettre. J'étais 144 p.; 17,95$ saoule, ivre de mots, d'images, de musiques venues de je ne sais Dans un roman étonnamment où. Depuis fort longtemps, je riche, Martine Latulippe nous n'avais ressenti un tel envahis- fait découvrir un incroyable sement à la lecture d'une suite entrelacement de réflexions poétique. pertinentes sur l'amour, la folie Alors quoi dire ? Rien ! Il y a et surtout la mort. La narratrice, dans cette œuvre tout ce qu'il jeune universitaire, écrivaine et faut pour faire taire les com- grande lectrice évoque - pour mentaires. Eau, terre, ciel ; elle-même et son éventuel flamme, feu, volcan ; lune, public-lecteur - une histoire soleil, étoiles, atomes ; fruit, d'amour cauchemardesque qui fleurs, arbres ; extase, douleur, la conduira dans un épouvan- confiance, peur, amour, dé- table dédale. Nous sommes en fiance : mythologie, musique, présence d'un personnage en ascension, plongée. Je vous le perpétuel dédoublement, diffi- dis, il y a tout. L'écriture est cile à saisir, à identifier ; qui fait habilement rythmée, portée par d'ailleurs allusion à des artistes des mouvements de vagues, qui se projetaient totalement exactement comme le serait un dans l'imaginaire, tels Artaud et bateau. C'est vraiment une Dali. Odyssée. La couverture du livre Nous assistons ainsi à une où l'on voit des sirènes surgir de constante confrontation entre la mer ne ment pas. ce que l'on nomme le réel et La question que je me suis l'univers du fantasme. C'est une posée en refermant ie recueil ? Le carcajou, cet animal maléfique auquel rien ne résiste. trop grande solitude chez le Se pourrait-il que le paradis ne personnage qui crée cette dis- soit pas en haut mais en bas, Une longue traque... tanciation excessivement angois- qu'il nous attende au fond des Un roman bref, simple, admirable. sante et schizoïde. Cependant, océans plutôt qu'aux confins le tragique de la bizarre exis- des galaxies ? tence de Camille s'imposera C'est la mélodie qui habite le comme plus réel que ses affa- texte qui m'a bouleversée. Suis- bulations délirantes. Sans dé- je tombée sous le charme ? « ô voiler l'intrigue de ce déroutant sirènes, libérez-moi. » roman, nous dirons que Camille est porteuse de mal- heurs, de mort : une sorte Je vous conseille vivement de lire cette auteure, originaire || Robert Laffont de Cornwall en Ontario, et ins- d'Ange noir. Elle nous dit : tallée à Ottawa. « [...] je ne peux plus tenir le Réjeanne Larouche A-4 . N U I T B L A N C H E
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