Jean-Jacques Marchand, Studi machiavelliani, 2 tomes

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                           In corpore sano

Jean-Jacques Marchand, Studi machiavelliani, 2
tomes
Firenze, Polistampa, 2018, 2 tomes, 516 pages.

Paul Larivaille

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/italies/7796
ISSN : 2108-6540

Éditeur
Université Aix-Marseille (AMU)

Édition imprimée
Date de publication : 2 décembre 2019
Pagination : 432-437
ISBN : 979-10-320-0243-8
ISSN : 1275-7519

Référence électronique
Paul Larivaille, « Jean-Jacques Marchand, Studi machiavelliani, 2 tomes », Italies [En ligne], 23 | 2019,
mis en ligne le 03 mars 2020, consulté le 29 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/italies/
7796

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Jean-Jacques Marchand, Studi machiavelliani, 2 tomes   1

    Jean-Jacques Marchand, Studi
    machiavelliani, 2 tomes
    Firenze, Polistampa, 2018, 2 tomes, 516 pages.

    Paul Larivaille

    RÉFÉRENCE
    Jean-Jacques Marchand, Studi machiavelliani, Firenze, Polistampa, 2018, 2 tomes, 516
    pages.

1   Si impressionnant que soit leur nombre, les 31 essais en 50 ans (1969-2018) annoncés
    dès la première ligne de l’avant-propos ne sauraient faire oublier les travaux de valeur
    que J.-J. Marchand avait initialement consacrés à Machiavel : sa « thèse » de licence
    (1968) sur César Borgia chez Machiavel et surtout l’édition des Premiers écrits politiques du
    Secrétaire (1499-1512). Naissance d’une pensée et d’un style, dont la publication (Padova,
    Antenore, 1975) devait définitivement assurer à son auteur l’accès au plus haut niveau
    des études machiavéliennes, au service desquelles il n’a depuis lors jamais cessé
    d’œuvrer.
2   Des 31 essais réunis sous le titre de Studi machiaveliani, l’auteur avoue d’emblée s’être
    moins préoccupé de l’ordre chronologique de leur rédaction ou des occasions de leur
    élaboration –comme le cinq-centième anniversaire de la composition du Prince
    (1513-2013), ou encore la rédaction de divers articles pour l’Encyclopédie Machiavel
    (Enciclopedia machiavelliana) sortie en trois volumes à Rome en 2014 – que des
    « thèmes » dont ils traitent. Bref, après un ultime perfectionnement au contact de Fredi
    Chiappelli, avec qui il avait collaboré à la première édition de Legazioni. Commissarie.
    Scritti di Governo, J.-J. Marchand était appelé à jouer un rôle de premier plan dans la
    réalisation des volumes de l’Edition Nationale des Œuvres de Machiavel (Roma, Salerno
    Editrice, 2002-2011), tant par l’organisation à Lausanne de deux colloques (Machiavelli
    politico storico letterato et Machiavelli senza i Medici) que par la participation à une
    douzaine d’autres colloques en France et en Italie.

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3   Machiavel, en tant que « secrétaire général » de divers « ministères » s’étant vu confier
    dès 1498 de lourdes responsabilités, les premiers chapitres, logiquement, tournent
    autour des problèmes de langage : « Ambiguïté du langage du pouvoir » ; « Le
    raisonnement paradoxal dans le Prince ». Dans son second chapitre, ensuite, J.-J.
    Marchand, « contrairement à ce qu’habituellement on croit », en vient à affirmer une
    présence constante du « juste » et de l’ « injuste » au centre de la réflexion politique du
    Secrétaire : deux notions apparemment paradoxales, antithétiques, apparues pour la
    première fois dans l’Europe moderne, dans un traité théorique (id est le Prince), où elles
    sont conçues indépendamment du droit et de la morale, sur des critères de
    pragmatisme et d’efficacité, mais où « persiste toujours une certaine distinction entre
    le Bien et le Mal (c’est-à-dire entre le juste et l’injuste du point de vue moral) ».
4   Après un chapitre III consacré, du Prince à la Mandragore, à la prédilection de Machiavel
    pour le « discours paradoxal », le chapitre IV en revient aux institutions, en
    commençant par plusieurs pages de définitions des termes du titre : les ordini
    représentant « des dispositions fondamentales, écrites ou non », et les leggi, les textes
    d’application des ordini. Aux pages 56-57 se pose le problème du fonctionnement des
    institutions et en particulier des rapports entre le peuple et le pouvoir. Et se pose la
    possibilité d’un conflit social, comme au temps des républiques romaines antiques.
    Machiavel s’en tire avec un nouveau paradoxe, soutenant que ce sont les conflits
    sociaux qui « font progresser la démocratie » : « les bons exemples naissent de la bonne
    éducation, la bonne éducation des bonnes lois, et les bonnes lois de ces tumulti (émeutes)
    que beaucoup condamnent à tort (inconsidérément) ». À la difficulté ou l’impossibilité
    qu’il y a à maintenir une république dans les cités corrompues, il convient d’ajouter une
    autre prémisse : la ferme volonté de restaurer ou créer une république. Le
    raisonnement de Machiavel peut se résumer ainsi : la seule chance qu’il y ait de voir
    restaurer ou créer une république dans une cité corrompue est qu’apparaisse
    (« surga ! ») un homme décidé à le faire et qui, parvenu à ses fins, se rende maître
    absolu de la cité et conserve ce pouvoir absolu (« podestà quasi regia », semblable au
    pouvoir monarchique), aussi longtemps que la cité ne sera pas rééduquée
    politiquement et qu’il restera nécessaire de réprimer par la force l’insolence de certains :
    la principauté lui paraissant paradoxalement comme le chemin le plus sûr vers la
    création à terme d’une république viable.
5   Jean-Jacques Marchand relève que Machiavel n’en oublie pas pour autant l’usure du
    temps et le déclin de la vertu romaine primitive : constatant que Florence « est
    parvenue à un point où elle pourrait aisément être réformée sous quelque forme de
    gouvernement que soit », il en vient logiquement à s’interroger dans deux écrits de
    1522 (le Discursus florentinarum rerum et la Minuta di provvisione per la riforma dello Stato di
    Firenze) sur la possibilité de régénérer institutions et lois d’une république corrompue,
    en reconsidérant ce qu’il avait écrit une décennie avant aux chapitres XVI à XVIII du livre
    I des Discours sur la première décade de Tite-Live.

6   Le chapitre V aborde une problématique jusque-là affrontée « marginalement » par la
    critique machiavélienne : celle de la préface. L’auteur ne pouvait trouver meilleure
    entrée en matière que le prologue de la Mandragore, ne fût-ce que pour aussitôt
    employer le paragraphe suivant à évoquer habilement les précautions prises par
    Machiavel dès le Prince et dans toutes ses autres œuvres pour éviter des reproches
    susceptibles d’altérer son image.

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7   Les quatre derniers chapitres de la section « Problématiques générales » achèvent la
    présentation de Machiavel face à l’histoire ou, comme il l’écrit lui-même : « l’histoire
    “maîtresse” de nos actions et surtout [de celles] des princes » ( VIII p. 122). Le chapitre VI
    analyse l’évolution de la “figure” de César Borgia, du premier portrait dressé de lui en
    juin 1502, lorsqu’il exige un changement du gouvernement florentin qui ne lui plaît pas,
    au récit de la capture et mise à mort à Senigallia de conjurés de Magione, puis à sa
    réussite irrésistible jusqu’à la mort de son père et à sa chute attribuée « à une
    extraordinaire extrême malignité de la fortune ». Le VII analyse les usages que fait
    Machiavel au chapitre XVII du Prince en particulier, de la « cruauté inhumaine » jointe à
    d’« infinies vertus » d’Hannibal, et surtout de la « pitié » de Scipion l’Africain : un
    passage où « le texte original de Tite-Live est infléchi en une démonstration dont les
    prémisses et les conclusions sont étrangères tant au fait historique qu’aux personnages
    évoqués et au contexte géopolitique » (p. 120).
8   Au chapitre VIII, on voit comment, dans le prolongement du chapitre XV du Prince sur la
    conduite des gouvernants vis-à-vis de leurs sujets, Machiavel aboutit, au paragraphe
    initial du chapitre XIX de son traité, à une « première conclusion provisoire, selon
    laquelle un prince doit faire peu de cas des conjurations si le peuple lui est favorable ;
    mais s’il lui est ennemi et le déteste, il doit craindre tout et tout un chacun ». Pour ce
    qui est d’Hérodien, historien grec du IIe siècle après Jésus-Christ, traduit par le Politien
    et publié plusieurs fois à partir de 1493, l’usage qu’en fait Machiavel dans la seconde
    partie de ce même chapitre relève tantôt de la citation directe, comme il le fait avec
    Tite-Live dans son rapport De la façon de traiter les peuples de la Valdichiana révoltés (bien
    accueillis ou punis en fonction de l’opportunité politique) ; tantôt de la brève citation
    commentée ; tantôt d’un travail relativement développé aboutissant à un certain
    nombre de médaillons de personnages historiques. De Marc-Aurèle est simplement
    tracée l’image d’un philosophe sage et doux avec ses sujets, jamais haï ni méprisé.
    Pertinax, fait empereur contre l’avis des soldats, s’effondre dès ses débuts, prouvant
    que haine et mépris peuvent découler aussi bien de la bonté que de la cruauté. Septime
    Sévère fut un « très féroce lion et très malin renard », mais pour Caracalla, Commode et
    Maximin, il fut pernicieux de vouloir imiter Sévère sans en avoir les moyens. De sorte
    que, après avoir conclu sur la conduite à tenir face aux conjurations, Machiavel affirme
    « une nouvelle fois qu’un prince doit faire cas des grands, mais ne pas se faire haïr du
    peuple », et donc (conclusion du chapitre XIX du Prince) désormais la conduite à suivre
    pour tout prince nouveau dans une principauté nouvelle est celle : « de prendre de
    Sévère ce qui lui est nécessaire pour fonder son État, et de Marc ce qu’il y a de glorieux
    et propre à conserver un État déjà bien établi et solide ».
9   Les chapitres VII et VIII (respectivement de 2016 et 2015) illustrent en somme le
    plaidoyer de Machiavel pour une lecture politique de l’histoire, étudiée au chapitre IX
    (de 2009) de cet ouvrage. Après les succès abnormes (août 1506) de Jules II « ce pape
    sans balance ni canne, qui obtient par hasard, et sans armes, ce qu’avec de l’ordre et
    des armes il aurait difficilement pu réussir », l’auteur relève que Machiavel glisse du
    « riscontro con i tempi » (« convergence de la nature du prince avec ce que lui
    demandent les circonstances ») vers des solutions de repli offertes par la fortune : « que
    chacun fasse ce que lui dicte son tempérament » et n’hésite pas à « tenter la fortune qui
    est amie des jeunes, et changer avec les temps qui courent ». Sans « riscontro » avec
    une réalité politico-militaire nouvelle, Jules II n’aurait sans doute plus remporté autant
    de succès anormaux.

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10   Les chapitres IX et X amorcent le passage de la lecture politique de l’histoire à l’écriture
     pour ainsi dire professionnelle, de chancellerie, fruit d’une évolution « de la diplomatie
     à la politique », à l’analyse de laquelle J.-J. Marchand a consacré une de ses plus denses
     et éloquentes études. Au cours de ce chapitre XI (p. 171-183) nous pouvons en effet
     suivre comment à la fin de l’été 1506, Machiavel qualifié par les optimates tantôt de
     « mannerino » (« mouton »), tantôt de « ribaldo » (« canaille, scélérat ») est devenu
     l’homme de confiance du Gonfalonier à vie Piero Soderini. Il a depuis des mois
     commencé à enrôler plusieurs centaines de soldats dans la milice. Le Gonfalonier le
     dépêche pour voir quelle tournure prend l’expédition du pape Jules II, qui vient de
     quitter Rome, décidé à reconquérir les terres de l’Eglise, pratiquement sans autres
     troupes que les cardinaux de la Curie : une mission de plusieurs mois, ponctuée de
     dépêches et de lettres, décisive non seulement pour la formation de Machiavel, mais
     pour l’élaboration de sa pensée politique, de ses Discours sur la première Décade de Tite-
     Live, et « plus tard du traité politique par antonomase : son Prince ». Machiavel, dans
     une dépêche du 5 septembre, estime que Jules II, pour s’ouvrir la voie vers Bologne, doit
     s’emparer de Pérouse, la ville de Giampaolo Baglioni. Mais à sa grande surprise, « le
     pape se rend pratiquement désarmé à Pérouse, avec toute sa cour, pour en prendre le
     contrôle ». Dans sa dépêche du 13 septembre il manifeste sa stupeur devant le risque
     couru par Jules II, craignant probablement de le voir tomber dans le même piège que
     celui qu’avait tendu César Borgia quatre ans plus tôt à Senigallia, aux conjurés de
     Magione. Mais c’est au contraire le pape qui réussit à l’emporter sur Baglioni, au
     désavantage de tout ce que pouvaient faire croire de tels précédents historiques. Il en
     résulte une forte mise en crise d’un des piliers du credo en une science de la politique :
     celui de l’immuabilité des sentiments et des comportements humains dans le cours de
     l’histoire, qu’il avait résumés en ces termes dans son opuscule De la façon de traiter… cité
     plus haut : « J’ai ouï dire que l’histoire est la maîtresse de nos actions, et surtout de
     celles des princes : et que le monde a toujours été habité d’une même manière, par des
     hommes qui ont toujours eu les mêmes passions ; et qu’il y a toujours eu des gens qui
     servent et des gens qui commandent, et des gens qui servent de mauvais gré, et des
     gens qui servent de bon gré, et des gens qui se révoltent et qui sont corrigés ».
     Machiavel au cours des jours suivants ne commente pas le succès inattendu de
     l’entreprise, mais il continue à manifester sa stupeur devant la façon dont le pape
     s’obstine à poursuivre sa campagne de reconquête de Bologne, malgré le refus de la
     France de lui accorder son soutien : « son entreprise apparaît à chacun téméraire, dès
     lors que la France n’y participe pas et que l’on veut poursuivre, et que tout un chacun a
     l’esprit suspendu à ce qu’il en sera ».
11   Le 25 septembre, alors que l’aide de la France reste incertaine, Machiavel voit encore
     toute l’entreprise reposer sur l’« humeur » impétueuse du pape. Désormais, pour lui,
     l’expédition illogique sur le plan tant militaire que politique, relève de la dynamique
     d’une fuite en avant précipitée, déclenchée par une résolution sans appel prise par Jules
     II à son départ de la cour de Rome. Mais ce sont les soi-disant Ghiribizzi al Soderino [
     Élucubrations à Giovan Battista Soderini, neveu du Gonfalonier], ébauche d’une lettre
     privée écrite précisément pendant les jours de ces dernières dépêches (13-25 septembre
     1506), qui dévoilent la gravité de la crise où sombre Machiavel devant le succès d’un
     comportement politique tout à fait abnorme. Comme l’indiqua en premier Mario
     Martelli, les Ghiribizzi sont étroitement liés aux événements que l’on vient d’évoquer.
     En effet, la constatation désolée de l’imprévisibilité des événements y est directement
     mise en rapport avec le comportement imprudent de Jules II à Pérouse et son succès

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     inattendu. Nous sommes arrivés là au comble de la crise de confiance en la possibilité
     de déduire de l’histoire des règles sûres de comportement politique. Dans le
     mouvement pendulaire de la pensée machiavélienne, on en vient à l’expression d’un
     relativisme total : « D’où vient que diverses opérations sont parfois également utiles ou
     également nuisibles, je n’en sais rien, mais j’aimerais bien le savoir ».
12   La seconde partie de la lettre introduit trois nouveaux composants : la fortune, le «
     riscontro con i tempi » [« concordance avec les époques »] et « l’impetuosità nell’imporsi
     agli eventi [« l’impétuosité qui s’impose aux événements »]. La fortune, bonne ou
     mauvaise, est la composante qui semble rendre vaine toute prévision humaine : selon
     une représentation classique, c’est elle qui avec sa roue fait monter ceux qui sont en
     bas et descendre ceux qui sont en haut dans un mouvement perpétuel et
     incompréhensible ; elle est le symbole de l’irrationnel du destin des hommes et des
     peuples. Dans ses écrits précédents, déjà, Machiavel avait postulé que la fortune
     pouvait être « connue » et apprivoisée. Dans De la façon de traiter…, il rapportait que le
     cardinal Francesco Soderini, frère du Gonfalonier, disait que le pape Alexandre VI et
     son fils César Borgia étaient considérés comme des connaisseurs de la fortune. Mais
     César Borgia lui aussi avait été frappé d’un manque excessif de fortune. « S’il était
     survenu des temps exigeant d’agir avec des égards, il s’en serait suivi la perte de ce
     pape, qui n’aurait jamais dévié des manières auxquelles l’incitait sa nature ». Et son
     exemple, au moins pour ce qui est de la « vérité effective », c’est-à-dire des faits
     réellement advenus, permet aussi de démontrer, sinon le contraire de tout ce qui a été
     affirmé, « qu’il vaut mieux être impétueux que circonspect, parce que la fortune est
     femme, et il est nécessaire, si on veut la soumettre, de la battre et de la rudoyer ; et on
     voit qu’elle se laisse vaincre par ceux qui agissent de la sorte, plutôt que par ceux qui
     procèdent avec froideur » (Prince, XXV, 26-27). Tandis que l’affirmation précédente
     rendait impossible l’action d’un prince n’agissant pas en harmonie avec son temps,
     l’image impétueuse de Jules II lui offre un espoir de vaincre le sentiment de la toute-
     puissance de la fortune qui caractérise le chapitre XXV du Prince.
13   Suivent cinq essais consacrés à autant de missions diplomatiques, où l’auteur étudie la
     manière dont Machiavel utilise des techniques narratives proches de la nouvelle ou de
     la dramaturgie théâtrale pour narrer aux autorités florentines les moments saillants de
     ses entretiens avec les souverains et les membres les plus éminents de leur cour.
14   Sans pouvoir nous attarder sur les dernières sections du second volume consacrées à
     l’étude des lettres privées du Chancelier, aux rapports entre son œuvre historique
     (Istorie fiorentine) et celle de Guichardin (Storia d’Italia), ainsi qu’à la fortune de sa pensée
     à travers les siècles (comme l’Anti-Machiavel du français Innocent Gentillet), nous nous
     concentrerons sur le chapitre XVIII de cette étude. Dans cet essai inédit, l’auteur nous
     informe sur un événement pratiquement inconnu de l’expérience diplomatico-militaire
     de Machiavel. Une lettre des Dieci di libertà (l’équivalent du Ministère de l’Intérieur et
     de la Guerre) datée du 31 mars 1509 nous apprend en effet que les commissaires et les
     condottières engagés sur le front de Pise avaient élaboré le 28 mars un projet de
     création de trois camps autour de la ville rebelle. Toutefois, tandis qu’on se préparait à
     renforcer le siège, quelques personnes tramaient avec le Gonfalonier à vie un coup de
     force pour la conquérir par surprise. Guichardin, dans le dernier chapitre de ses Storie
     fiorentine en narre les circonstances, sans jamais mentionner le nom de Machiavel: « Au
     moment où Alessandro Nasi était devenu Commissaire à Cascina, un Pisan nommé
     Alfonso del Mutolo avait été capturé et retenu prisonnier de Florence. […] Alors qu’il

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     avait passé plus d’une année dans la prison des Stinche, un certain Canaccio da
     Pratovecchio, officier d’ordonnance, un de ses amis […] l’avait incité à penser, si jamais
     il revenait à Pise, à faire en sorte que la ville redevînt propriété des Florentins :
     incitation à laquelle, rétif au début, il avait changé de résolution et fini par se montrer
     consentant ». Dans son étude, J.-J. Marchand démontre – et ceci en est la nouveauté –
     l’implication directe de Machiavel dans cette manœuvre secrète narrée par
     Guichardin : de l’accord du Gonfalonier à vie pour « faire passer le retour d’Alfonso del
     Mutolo à Pise pour un échange de prisonniers entre les deux cités ennemies », aux
     mesures – militaires entre autres – à prendre, et au véritable “faux en écriture” (« falso
     in atto pubblico ») de l’usage des scellés du Gonfalonier pour garantir « le financement
     et l’organisation d’une traîtrise » au bénéfice de la patrie florentine ; laquelle, à la veille
     de Pâques, se révélera un piège mortel des Pisans : orchestré par Alfonso del Mutolo,
     c’est-à-dire celui-là même qui avait été censé ouvrir aux Florentins l’accès victorieux à
     la cité rebelle.
15   La leçon est dure à supporter tant pour Soderini, le Gonfalonier immature berné par un
     faux traître pisan, que pour son fidèle Chancelier, dont deux lettres autographes
     inédites démontrent l’implication : c’est une leçon que Machiavel n’oubliera pas
     puisque quelques années plus tard, elle illustrera l’avant-dernier chapitre de ses
     Discours sur la première décade de Tite-Live, intitulé : « Quand on voit un ennemi
     commettre une grosse erreur, il faut croire qu’il y a là-dessous une duperie ». Mais deux
     mois à peine après les déboires du 7 avril, la campagne militaire florentine aboutira le 6
     juin 1509 à une victoire où Machiavel se trouvera des plumes pour attribuer quelques
     mérites à la sienne : la reconquête florentine de Pise.
16   Ce chapitre XVIII, placé où il est au centre de l’ouvrage, offre donc un bon exemple de la
     méthode très bien rodée employée par J.-J. Marchand depuis ses recherches de jeunesse
     sur les premiers écrits de Machiavel : une documentation sans faille, puisée aux
     meilleures sources, alliée à d’incontestables capacités d’analyse.

     AUTEURS
     PAUL LARIVAILLE
     Université Paris Nanterre

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