Fiction Nuit blanche - Érudit
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Document généré le 11 déc. 2021 15:59 Nuit blanche Fiction Numéro 66, printemps 1997 URI : https://id.erudit.org/iderudit/21139ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (imprimé) 1923-3191 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu (1997). Compte rendu de [Fiction]. Nuit blanche, (66), 15–31. Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1997 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
COMMENTAIRES F I C T I O N s'adresse plus volontiers aux p,ERRE «RGEMJ enfants qu'aux adultes, vise-t-il le public lecteur dont participe L'feCWVA»N cette petite Coralie de 11 ans à PUBLIC qui le roman est dédié. Il y a une insistance soignée dans l'écriture, un certain souci L'ECRIVAIN PUBLIC l'extérieur. Il faut encore didactique, une manière Pierre Yergeau souligner l'imagerie renouvelée savante de cerner le thème et L'instant même, Québec, de L'écrivain public : ainsi lit- de le redéployer qui, à cet 1996, 24,95 $ on qu'une « pluie de fin du égard, ne mentent pas. C'est monde, abondante et sour- très bien fait. Parvenu à un âge avancé, noise » tombe comme « une François Ouellet Jérémie Hanse se rappelle son vengeance », que la « lumière, enfance et son adolescence en fine et souple [sait] se déployer Abitibi où sa famille s'est éta- dans la forêt avec une LE MYSTERE DE blie en 1933, au hasard d'une économie de peintre » et que LA PATIENCE tournée du Grand Cirque les paroles de l'abbé Gosselin jostein Gaarder d'Hiver pendant laquelle son ont « une éloquence d'araignée Trad, du norvégien père, trapéziste, a trouvé la occupée à bien tisser sa toile ». par Hélène Hervieu mort. Les Hanse survivent Jean-Guy Hudon Seuil, Paris, 1996, dans les chantiers, autour de 378 p. ; 39,95 $. Tony, la grand-mère, devenue cuisinière en chef. Un jour ELEAZAR OU LA SOURCE Retrouvez l'esprit d'enfance, Delphine, la mère, disparaît ET LE BUISSON enfoui depuis longtemps peut- avec un impresario improvisé. Michel Tournier être, sinon vous n'aurez aucun À la mort de Tony, Jérémie se Gallimard, Paris, 1996, plaisir à accompagner Hans- retrouve clerc à l'évêché 140 p.; 22,95$ Thomas et son père dans leur d'Amos pendant que son frère aventure : aller de Norvège en Georges fait des affaires à Michel Tournier vient de si- Grèce pour retrouver la mère de Chicago et que sa jeune sœur gner un roman dominé par la Hans-Thomas, disparue depuis Mie va demeurer à Val d'Or. haute stature de Moïse, dont le huit ans, et la ramener à Aren- Plus tard, Jérémie suit son mythe est d'une actualité que dal. Le père est passionné de protecteur, l'abbé Gosselin, qui le magazine Le point enregis- philosophie et le jeune garçon vend des indulgences par les trait dans un numéro récent, va vivre une histoire extraor- villages abitibiens. plaçant en page couverture un dinaire. Deux histoires en fait C'est sur ce fond de décom- croquis de cette « tête à la qui se recoupent sans cesse. La position familiale et de recons- barbe puissante », selon les seconde, Hans-Thomas la lit titution topographique que mots de Freud. Il y a dans cette dans un livre minuscule, caché Pierre Yergeau a choisi de figure biblique une extraordi- dans une brioche que lui a camper son troisième roman naire stature de Père, que dou- donnée le boulanger de Dorf, où une théorie de personnages ble celle d'un sombre assassin petit village perdu dans les hétéroclites et bizarres évolue inconsciemment parricide, Alpes suisses. Les lettres en sont dans des situations insolites cela aussi certainement que si petites qu'il utilise la loupe marquées au coin d'un oni- nous entrons dans une ère que lui a donnée un nain, dans risme déstabilisant, d'où l'hu- religieuse, ce que l'écrivain une station-service. Vous est-il mour n'est parfois pas absent. allègue à coup de romans déjà arrivé de compter le temps L'univers ainsi créé, qui ne va depuis déjà un bon moment. avec un jeu de cartes ? Il y a pas sans rappeler celui du Éléazar, pasteur irlandais, 52 semaines dans une année, peintre Jérôme Bosch, n'en fuira sa terre natale au mo- une pour chaque carte du jeu. demeure pas moins cohérent ment de la famine de 1845 qui Sept fois 52 feront les 364 jours dans la mesure où ce monde déposa son lot de pestiférés sur Yahweh avait interdit à Moïse de l'année, le 365e jour étant déglingué est perçu par les Grosse-Île au Québec. Mais d'entrer avec son peuple dans celui du Joker et l'année est di- yeux d'un vieillard qui se c'est en Virginie qu'aborderont le pays de Canaan, comprend visée en quatre saisons comme souvient du passé avec une Éléazar et sa famille, qui se qu'au seuil de la Terre pro- les cartes le sont en quatre séries. mémoire parfois défaillante, lancent dès lors dans une mise, l'élu, sa mission étant Tous les quatre ans, une grande avec une psyché formée à expédition - sorte d'Exode - accomplie, doit regagner le fête marque les deux jours du partir de certains faits mar- vers la Californie, vue comme giron du Père-Dieu et mourir Joker ! Ils font alors la patience, quants et récurrents, et avec la la Terre promise. Graduelle- auprès de lui, autrement dit quand le Joker assemble les conscience tenace de la peur ment, Éléazar interprétera son choisir le buisson (le désert) phrases préparées par chaque qui l'a toujours habité. destin à la lumière de l'histoire contre la source (l'eau et les carte. Le plus étonnant est que Plus convaincante et plus de Moïse : « La grandiose fruits de la terre bénie). l'histoire ainsi construite sera efficace est l'introduction aventure mosaïque agissait en Éléazar ou la source et le en concordance avec la réalité ! constante du narrateur dans la grille de déchiffrement sur les buisson est moins un grand Seul rescapé du naufrage de son pensée de ses protagonistes, médiocres accidents de sa pro- roman qu'un beau conte, bateau, avec un jeu de cartes grâce à quoi la réalité est vue pre vie ». À la fin, Éléazar, qui et sans doute Michel Tournier, pour tout bagage, Frode fait de l'intérieur autant que de n'avait jamais saisi pourquoi qui depuis quelques années naître de son imagination IUIT B L A N C H E
COMMENTAIRES F i c T i o N 52 nains à la cervelle d'oiseau qui l'habite. Parce qu'elle n'est et finalement, un Joker. Mais que l'enveloppe d'un néant 52 ans plus tard arrive Hans, infécondable. Marie enfilera seul rescapé d'un naufrage lui les dentelles de prostituée. aussi, qui avec le Joker s'enfuira Faire l'amour à longueur de de l'île enchanteresse quand journée pour faire la vie. La celle-ci disparaîtra après la mort quête d'enfanter n'aboutira de Frode. Hans sera le boulan- pas à donner le jour. Marie ger de Dorf, qui racontera l'his- veut mourir pour donner la toire à Albert, Albert à Ludwig vie. Son ventre ne peut avoir qui l'écrira et donnera la brio- de sens que si un embryon s'y l'expression d'un symbole de véritable descente aux che à Hans-Thomas. Les bou- installe pour la faire exister. parfait de la fusion homme- enfers - une traversée hallu- langers de Dorf transmettent Elle ne peut être que si elle femme, où l'homme prend cinante de l'Amérique, de la une histoire magique mais enfante. Elle est donc morte place dans les profondeurs Côte-Nord du Québec jusqu'à veulent surtout rappeler aux puisque aucune vie ne l'habite. d'un être vide, inexistant sans un Mexique mythique incar- hommes que « le monde est Marie Auger est folle, elle le lui ? N'empêche qu'en confon- nant le lieu historique des l'aventure la plus belle et la plus sait. Une folie absolue, qui dant auteure et narratrice, le pratiques reliées au culte aztè- inouïe qui soit ». Hans-Thomas l'entraîne dans la démesure du caractère autobiographique que. Et toute cette aventure est a compris que tout cela le con- masochisme. Elle s'inflige les du récit prend toute sa signifi- narrée sur fond de fin de siècle cerne ; il veut repasser à Dorf plus cruelles tortures, des cation. apocalyptique à cause, préci- avec ses parents ; il y retrouve sa paupières arrachées au vagin Il est difficile de ne pas se sément, de l'éventualité d'une grand-mère qui leur apprend complètement cousu. Pour ne sentir touché, ému ou effrayé catastrophe nucléaire plané- que Ludwig est décédé la veille. plus être femme, pour faire par la folie de Marie. Un lec- taire. L'auteur n'oublie évi- Heureusement, au cours du disparaître le vide. teur, même insensible, sortira demment pas l'évocation de voyage, le père a donné à son Joseph, c'est l'homme, l'a- ébranlé de la lecture de Ventre la désertification naturelle, fils de précieuses leçons de mour de sa vie, l'espoir de la en tête. Fascinant et repoussant sociale et culturelle propre à philosophie, entre autres sur le vie. Il est le morceau man- à la fois, le langage dans Le toute bonne critique de l'amé- temps qui nous dévore d'un quant du casse-tête incomplet ventre en tête flirte avec le style ricanité. Il faut aussi noter coup de dents ! « Nos corps ont qui laisse vide son ventre. Il de Réjean Ducharme. Une la précision et l'à-propos le même destin que les châteaux porte la vie qu'elle attend. caractéristique qui dit tout des réflexions écologiques et de sable, et nous n'y pouvons Mais chaque mois amène quant à la qualité de l'écriture. historiques, tant en ce qui rien changer. Mais nous avons son lot de sang, signe d'une Pondre un premier rejeton concerne les aléas de la post- quelque chose en nous sur quoi mort intérieure. Exaspérée, de ce calibre mérite bien des modernité américaine, qu'en le temps n'a pas de prise. Juste- Marie Auger ne veut plus être honneurs. Ne reste plus qu'à ce qui touche plus spécifique- ment parce qu'il n'est pas de ce femme. Il faut taire le cri espérer que Mario Girard / ment le passé mais surtout le monde. [... ] Je n'avais pas tout intérieur qui élargit le creux Marie Auger fonde une famille présent ainsi que l'avenir des compris, mais j'avais du moins utérin. La solution : castrer complète et remplisse de ce Mexicains. Ces derniers vont, saisi que la philosophie n'était Joseph et avec le sexe, boucher genre de vide les tablettes des en effet, représenter pour pas une mince affaire et que l'ouverture de la vie. À moins librairies. Louis Hamelin une nouvelle mon père était un vrai philoso- que la permanence de l'organe Sophie Legault américanité. Il écrit à ce phe. » Ce livre a été écrit avant entre ses jambes ne fermente et sujet : « Les humains de l'an Le monde de Sophie. Souhai- devienne un fœtus. Incons- 2000 s'élaborent ici, dans des tons-lui le même succès ! tante, Marie souhaite hypocri- cornues secrètes. Une race de LE SOLEIL Monique Grégoire tement que la graine germe en DES GOUFFRES mutants. Les Mexicains eux- elle. Comme on plante une Louis Hamelin mêmes le croient. » tige dans la terre ; en espérant Boréal, Montréal, 1996, L'écriture et l'intrigue de ce LE VENTRE EN TETE que la feuille fleurisse, que le 372 p. ; 24,95 $ roman sont intelligentes et Marie Auger ventre enfante. prenantes, mais beaucoup trop XYZ, Montréal, 1996, Ce qui frappe dans Le François Ladouceur, étudiant échevelées notamment dans 180 p. ; 19,95 $ ventre en tête, par son con- en biologie et critique averti de la première partie où, malgré traste avec la folie de Marie, son époque, fait la rencontre la justesse des réflexions, la Marie Auger veut un enfant. c'est la maîtrise du vocabu- de Jean-B. Vitoux, gourou atti- dramatique est noyée sous un Obsédée, elle le répète autant laire. Marie Auger, c'e.jt la tré d'une secte (l'Organisation amoncellement de remarques de fois et d'autant de manières narratrice, dont le nom appa- Unitive de la Pyramide Solaire, sur la flore et la faune. Même qu'il est possible de l'exprimer. raît en couverture comme l'OUPS), qui prône un renou- chose pour la troisième partie, Parce que sa tête est pleine du étant celui de l'auteure. Mais le veau spirituel plutôt radical où ce sont des réflexions à ca- vide de son ventre. véritable auteur qui s'installe d'un genre très particulier, ractère sociologique et histo- Elle s'imagine en autobus, en elle, la plume par laquelle fondé sur les anciens cultes rique qui alourdissent le récit. en « mer » pour faire com- Marie Auger se raconte, c'est aztèques. Cette rencontre va Mais tout cela est compensé prendre l'immensité du vide Mario G. (Girard). Est-ce là nous faire vivre - sous forme par le fait que l'auteur possède « « . N U I T B L A N C H E . 1 «S
une excellente connaissance de heureusement ! - de la nou- Ce qui les unit aux novelettes, la culture mexicaine, du pro- velle classique, avec une brève c'est le plaisir du verbe, la blème des sectes également. mise en place, une lente ascen- verve de l'argumentation. Qui L'œuvre est, en fait, une fres- sion et une chute brusque, veut faire plaisir offrira Un que beaucoup plus grandiose fulgurante) s'adressent à un sourire incertain, un bijou que ne l'étaient La rage public averti en matière de étincelant qui provoque le (Québec/Amérique, 1989) ou littérature, de cinéma ou d'art sourire. Cowboy (XYZ, 1992). Mais je plastique, tout non-initié goû- Hans-Jùrgen Greif regretterai toujours la belle tera comme des chocolats concision de Ces spectres agités fondants ces petites capsules (XYZ, 1991). au noyau explosif dont les LA PART DE L'OMBRE Gilles Côté effets se feront sentir bien Fernand Dumont après la lecture du dernier L'Hexagone, Montréal, texte. On en redemande, on 1996, 215 p.; 19,95$ UN SOURIRE INCERTAIN n'aura jamais assez de ces VISAGES DE novelettes brillantes, travaillées UNE FOI PARTAGEE L'IMPOSTURE à un point tel que la technique Fernand Dumont Bernard Lévy narrative tend à disparaître, et rappelle qu'il dispose encore Bellarmin, Montréal, 1996, Triptyque, Montréal, 1996, avec elle le signe du labeur de de toute une panoplie de 301 p. ; 21,95 $ 152 p. , 1 8 $ l'auteur qui possède, de façon plumes bien aiguisées pour magistrale, son registre d'écri- dire que le roi est nu. Difficile Parmi l'intelligentsia québé- COMMENT ture. Les références à Kafka, de recommander l'un ou coise, Fernand Dumont est SE COMPRENDRE Sagan et tutti quanti se font de l'autre de ces récits en parti- une figure exemplaire. Ses AUTREMENT façon imperceptible ; les coups culier : à propos de tels textes, nombreux ouvrages sur l'i- QUE PAR ERREUR ? de fouet assenés à la rhéto- d'une perfidie exquise, les dentité culturelle du Québec ET AUTRES DIALOGUES rique, au théâtre réveillent le goûts ne se discutent pas, sont devenus, au fil des ans, Bernard Lévy lecteur habitué à la morne et plutôt les couleurs, les saveurs. une référence majeure - sinon Triptyque, Montréal/Babel, insoutenable rectitude politi- Il y en a pour tout le monde, et la référence - pour qui veut Mazamet, 1996, 77 p. ; 17$ que ; l'attaque opérée sur le ce recueil se lit aussi bien en comprendre à fond le sort du discours délirant concernant petites doses que d'un trait. Québec. Mais on oublie trop Avec Un sourire incertain, l'art contemporain et le carac- Plus discutables s'avèrent souvent que Fernand Dumont Bernard Lévy présente un tère illisible de textes pseudo- les dialogues, dont quelques- a fait son entrée dans le do- décalogue bien à lui : dix tex- poétiques se fait avec un hu- uns rappellent un genre maine de la culture en publiant tes, inédits pour la plupart, mour mordant à souhait. Le célèbre aux XVIIIe siècle (les en 1952 son premier recueil terriblement intelligents et regard de Bernard Lévy sur le Dialogues des morts, de de poésie, L'ange du matin. drolatiques, où le narrateur monde des arts est celui d'un Fontenelle, les œuvres de Ce recueil ainsi que Parler cède volontiers au plaisir sceptique qui ne condamne Fénélon, ou encore Le neveu de septembre (1970) et un manifeste de raconter des his- jamais, mais ne peut s'em- de Rameau), et dont certains troisième, jusque-là inédit, toires, toutes petites, et limées, pêcher d'exposer le ridicule de accusent l'écoulement du L'arrière-saison (1995), vien- polies à souhait. Satisfaction ï'auto-célébration entourant temps - le dialogue donnant le nent d'être regroupés sous le garantie pour le lecteur : bien l'art pour initiés. Ici, c'est l'ar- titre au recueil a été publié en titre La part de l'ombre aux que ces récits (dont la struc- tiste attristé devant le discours 1970 -, la poussière ternissant éditions de l'Hexagone... ture se rapproche - finalement, creux qui parle, mais il se un discours brillant à l'époque. pour notre bonheur ! ONYX JOHN de TREVOR FERGUSON Roman, LA PLEINE LUNE, 444 pages, 24,95 $, ISBN 2-89024-113-0 Après LA VIE AVENTUREUSE D'UN DRÔLE DE MOINEAU O Un livre extraordinaire I Une écriture vraiment maîtrisée, du style, de l'humour... Un très grand écrivain I Georges-Hébert Germain, Sous la couverture, SRC. Voici ONYX JOHN, roman de la fuite et de l'exil Après un séjour forcé dans le Maine, Onyx John Cameron revient à Montréal dans l'espoir d'y retrouver son père, mais rien n'y est plus comme avant. Le passé s'est effondré. Traqué par Zoltan Tinodi, il disparaît à nouveau. On le recherche toujours. On l'a comparé à Irving, on pense à Dickens... Mais non, Ferguson... c'est du Ferguson I Sophie Gironnay, L'Actualité. RECHERCHE « « . N U I T B L A N C H E . 1 7
COMMENTAIRES F I C T I O N ne se soucient même pas de l'origine chrétienne de la fête, devenue pour beaucoup une rencontre familiale marquante, éveillant parfois quelques souvenirs religieux. Bernard Clavel est entré dans la ronde D'abord, avec L'ange du ample couverture / Une belle avec une histoire toute simple, matin, nous retrouvons la écriture ». Quelques inquié- bien racontée, fidèle à la voie intérieure du pays de tudes, nul regret, beaucoup tradition, sans commentaires l'enfance, rythmée aux pulsa- d'espoir, voilà quelques-uns personnels, sauf de temps à tions de l'amour, de la nature des derniers jalons de cette autre une remarque ou et de la foi. Jamais légère, la écriture d'une exceptionnelle quelques mots dans un style poésie de Fernand Dumont intensité. Le tout dernier plus contemporain et quelques nous convie à une essence. texte, sur ce plan, m'apparaît détails qui relèvent de sa « Sans l'enfant vigilant / Le déjà comme une future pièce fantaisie. Peut-être ne croit-il rire brisé des fleurs craque / d'anthologie de la poésie qué- pas à l'existence des anges car Au lever du silence / Vague bécoise mais je résiste à vous où « la tendresse de la terre c'est un étranger, que Marie silence jeté avec l'homme / le révéler... m'est plus chère que jamais », prend pour un mendiant, un Dans les tisons de l'ombre. » Dans La part de l'ombre écrit-il au début de l'ouvrage. quêteux mal habillé, qui lui Avec Parler de septembre de Fernand Dumont, certains Cette foi, jamais Dumont ne annonce que Dieu l'a choisie paru une première fois en lecteurs seront sans doute veut la soustraire au ques- pour être la mère de son Fils. 1970, la voie empruntée par agacés par l'utilisation récur- tionnement qui est la marque Une colombe se pose sur le poète se précise. Jamais rente du mot Dieu, mais il de notre époque. Ses inquié- l'épaule de Jésus au moment Fernand Dumont ne sera un faut savoir puiser en ce mot, tudes sont partagées par ceux de son baptême dans le Jour- poète de l'exploration. Avec en compagnie du poète, une d'entre nous qui ne cher- dain, et réapparaît plus sou- ce recueil se confirme une recherche constante et de chent pas leurs valeurs parmi vent vers la fin de sa vie : au écriture accomplie, caracté- l'âme et de l'être que nous les paroles religieuses, et cela Jardin des Oliviers, quand il risée par une voix personnelle sommes et que nous igno- nous permet de comprendre passe encadré par les soldats de et unique d'une profondeur rons. L'œuvre de Fernand que la distance est devenue Ponce Pilate, quand il meurt spirituelle remarquable. Le Dumont réussit à se rendre fort mince entre le croyant et sur la Croix ; des soldats langage est demeuré sensible- spirituelle sans être au service le non-croyant ! Par son lan- cherchent à l'abattre, mais ment le même que lors du du religieux ; en tout temps, gage discret et juste, Fernand leurs projectiles dévient, elle premier recueil, mais le verbe elle demeure dans l'essence Dumont témoigne d'une reste intouchable. C'est un y est plus sûr, plus authen- de la poésie, dans l'élan inté- honnêteté de l'âme que nous vieux mendiant qui, d'un geste tique encore, et l'on dirait que rieur qui appelle au monde la ne pouvons qu'admirer et qui de la main en direction du chaque poème amène un poésie. Car, si Dumont affir- ne peut que nous réconcilier sépulcre, descelle l'énorme recueillement ultime. Les thè- me sa foi, le poète qu'il est avec l'essentiel de la spiritua- pierre qui en ferme l'entrée. mes sont pour ainsi dire les sait que la portée du mystère lité chrétienne ; cette fois-ci, Tout cela n'enlève rien au mêmes qu'en 1952, traités ici tient non pas dans la certi- c'est l'essayiste qui emporte caractère sacré de Jésus, qui se avec plus de plénitude, de dis- tude mais dans la recherche, avec lui un réflexe de poète ! dit le Fils de Dieu, soumis à la tanciation. Du coup, Dumont donc dans l'élan qui l'entraî- Claude Paradis volonté de son Père. Deux se révèle poète d'une cons- nera encore et encore plus mille ans ont passé, on écrit et cience : conscience de l'hom- haut et plus loin. « Mais dans on lit encore sa vie, certains en me et conscience cosmique. les hautes herbes du miroir des JESUS font toujours le point central « Je m'avance chargé d'une ténèbres / Comme l'oiseau LE FILS DU CHARPENTIER de leurs jours. moitié de la terre / La maison rauque guidé par son chagrin Bernard Clavel Monique Grégoire est loin encore / Et la mort si / Toujours je chercherai le Robert Laffont, Paris, 1996, proche. » vieux sentier perdu / Parfois 244 p. ; 24,95$ L'arrière-saison ramène jonché du tonnerre de ton CLIMATS un réflexe de l'essayiste qu'est amour. » Bernard Clavel raconte à son Herménégilde Chiasson aussi Dumont : ce troisième Voilà bien un poète tour - après quelques autres D'Acadie, Moncton, 1996, recueil, demeuré inédit jusqu'ici, essentiel ! qui l'ont abordée récemment - 129 p.; 15$ est une conclusion dans l'œu- Pour poursuivre à fond l'histoire de Jésus telle que vre de Dumont : une synthèse cette lecture de la poésie de nous la présente la Bible, Herménégilde Chiasson nous et une ouverture s'y dévelop- Dumont et pour mieux saisir depuis l'Annonciation jusqu'à offre ici un beau recueil de tex- pent. Les thèmes chers au l'essence de la spiritualité et la rencontre avec les disciples tes denses, profonds, souvent poète reviennent, cette fois de la foi de cet intellectuel d'Emmaùs. Cette vie, notre étranges, présentés en quatre portés par les questions québécois, je vous suggère de enfance à tous - ou presque ! - volets qui répondent au rythme de l'âge, du vieillissement. lire son tout dernier essai en a été imprégnée. Pour des saisons : le journal poé- « Bientôt décembre et la fin paru chez Bellarmin : Une foi commémorer l'illustre nais- tique pour le printemps, des années », écrit-il au début partagée. Dans cet essai, sance, des expositions de poèmes en alexandrins pour de la section « Aveu », et l'au- Dumont tente d'expliquer crèches sont encore montées l'été, réflexions sur la mémoire teur continue en esquissant un quel est le défi de celui qui chaque année dans de nom- et la conscience de soi pour bilan sans nostalgie : « J'ai aspire encore à vivre à travers breuses villes. Rares d'ailleurs l'automne, prose plus prag- rapproché tant de mots sur l'espérance de la foi chré- sont ceux qui ne fêtent pas matique, à la manière de la page / Tissé de la vie une tienne au moment de sa vie Noël, si le sont moins ceux qui l'essai, mais toujours avec une «S«S . N U I T B L A N C H E . 1 8
saveur poétique, pour l'hiver. renouveau : une écriture du Ceci dit, certains thèmes se détail qui fait chavirer le chevauchent dans l'ouvrage, lecteur dans d'époustouflants celui de l'aliénation, de la perte sous-épisodes, le thème tenant d'identité : « Un être mal à quelques lignes percutantes entendu qui se laissait faire rondement esquissées, peu dans sa folie qui le possédait crédibles en apparence mais comme une errance », ou qui malgré tout nous convain- encore celui du rapport entre quent, à cause des à-côtés la fragilité de l'existence et justement, de cette façon de l'écriture. Herménégilde raconter qui nous fait croire Chiasson écrit à ce propos : qu'on y est, même s'il s'agit « Mais la vie est fragile, chan- d'une femme qui meurt dans geante, banale et absurde et le nos bras un soir d'aventure, langage est fragile, changeant, pendant que son mari, loin de banal [...]. Alors en quoi les tout cela, la même nuit, voit mots peuvent-ils témoigner de aussi sa maîtresse mourir à la vie et dire ce que le sang, la côté de lui. en ceci qu'il épure tellement et sera pas traduite en justice. peau, les nerfs [...] savent si Inscrit dans un Madrid avec un tel brio (sans parler de Happy end ? bien dire ? Qu'y a-t-il à dire éphémère et effréné, ce dernier l'humour), qu'on serait en À peine paru, ce premier d'autre ? » Il faut alors roman de Javier Marias, aussi droit d'attendre de son roman du Canadien anglais constater que le poète acadien original et dérangeant qu'il prochain roman un bavardage d'origine britannique Keith s'engage envers la parole avec puisse être, n'est en effet, à la blanc parfait (son roman Oatley remportait le Prix du une grande noblesse d'âme. réflexion, pas si isolé dans la précédent ne s'intitulait-il pas Commonwealth : le jury hono- Gilles Côté littérature européenne de cette Un cœur si blanc?). rait ainsi non seulement une fin de siècle. Il faut lire le Louis Jolicœur série de pastiches absolument dernier Saramago, Essai sur la brillants, mais aussi l'ingénio- DEMAIN DANS LA cécité (à paraître bientôt en sité de la trame romanesque, BATAILLE PENSE À M O I français), se rappeler Kundera, LE CAS D'EMILY V. simple et riche à la fois. La pre- javier Marias parfois, ou Semprun, surtout Keith Oatley mière partie est consacrée aux Trad, de l'espagnol dans leurs essais-romans (Les Trad, de l'anglais réflexions de Freud ; la deu- par Alain Kéruzoré testaments trahis, L'écriture ou par Paul Gagné xième aux déductions du Rivages, Paris, 1996, la vie). Ou songer à d'autres et Lori Saint-Martin limier britannique (très « élé- 350 p. ; 39,95 $ Espagnols (Semprun ne serait Flammarion, Paris / XYZ, mentaires », comme doit le guère espagnol selon plu- Montréal, 1996, reconnaître le Dr Watson), Invraisemblable conteur, Javier sieurs), qui sont en train 424 p. ; 29,95 $ tandis que la dernière nous Marias nous offre cette fois d'écrire une littérature qui fait montre comment la jeune une histoire tellement épurée mentir tout ce qui s'est dit sur Recette infaillible : 1904, à femme se libère du poids d'un que l'on serait en droit de se la littérature espagnole de ce Vienne, Emily Vincent, jeune meurtre et de l'influence d'un demander si la prochaine fois siècle. Car si l'art littéraire sous Anglaise cyclothymique, tue sur-moi écrasant. il restera une trame à son Franco se limitait souvent à son tuteur, diplomate britan- Tout ce qui entre dans la roman. Et pourtant, contrai- dire sans dire, si le post- nique, un satyre. Perturbée, composition de ce roman est rement à ce type de livres dont franquisme s'est enlisé parfois elle consulte le professeur de qualité : Keith Oatley réussit on dit qu'il ne s'y passe rien, ce assez lourdement dans l'exis- Sigmund Freud afin de retrou- un tour de force admirable en dernier roman du jeune tentielle question « que dire ver son équilibre, mais ne lui recréant - à s'y méprendre - le Madrilène est truffé d'événe- désormais que l'on peut parle jamais du meurtre. Ce ton des écrits de Freud et de ments. Comment expliquer le dire ? », depuis quelques qu'Emily ne sait pas c'est que Conan Doyle, enveloppés dans paradoxe ? C'est d'abord que années les écrivains castillans son tuteur a joué un rôle im- la trame du récit des aventures Marias a une imagination sans (les Catalans avaient déjà portant dans une affaire de l'héroïne à Vienne, à Paris bornes, qu'il réussit à être à la ouvert la porte) découvrent un d'espionnage entre l'Empire et à Londres. Traduit élégam- fois baroque et intimiste, qu'il filon du tonnerre, que nous britannique et le Reich du ment en français, le texte trahit alterne entre des élans de fait connaître la foire du livre Kaiser allemand. Comme les une souveraine connaissance passion shakespeariens et un de Francfort (marketing - et circonstances de sa mort sont des travaux du psychanalyste bavardage quelque peu bor- nouvelle Europe - oblige) : dire étranges (il s'est tué dans une autrichien comme des romans gien, pour enfin s'inspirer l'inutile, le dire avec humour chute en montagne, lui qui de l'écrivain britannique. Un (sans doute) du regard phéno- et fracas, s'arrêter à l'invrai- avait peur des hauteurs), le roman pétillant d'intelligence, ménologique et photogra- semblable, voire l'absurde, gouvernement de Sa Majesté d'humour ; un feu roulant de phique des Cortàzar et autres mais pour le rendre intime et met Sherlock Holmes sur références littéraires, assorties glaneurs latino-américains palpable, tout en acceptant l'affaire. Entre temps, Emily est de clins d'œil aux féministes ; (Borges ne serait guère latino (enfin) d'émouvoir. Contrat tombée amoureuse d'une riche la dédramatisation des « amours selon plusieurs), pour enfin peu facile à remplir, certes, juive viennoise qui lui apprend coupables » à l'ère victo- donner dans le détail comme mais auquel s'emploie avec de que les femmes ont une âme et rienne : succès assuré, best- personne depuis Proust. Ou plus en plus de bonheur en des droits, et qu'elles n'ont pas seller des deux côtés de l'Atlan- alors rien de tout cela. Javier Espagne toute une génération à encaisser les coups que leur tique. Le prochain Keith Marias, plutôt que le produit d'auteurs (et de cinéastes). assènent les hommes. Holmes Oatley est attendu avec impa- d'un monde passé, est peut- Sauf que, dans la mêlée, Javier et Freud estimant que le tuteur tience. être davantage l'annonce d'un Marias se distingue nettement, a été justement puni, Emily ne Hans-Jùrgen Greif IUIT B L A N C H E . 1 9
COMMENTAIRES F I C T I O N FRENCH TOWN Pierre-Paul, qui a d'ores et déjà Michel Ouellette transporté ses pénates dans la Le Nordir, Ottawa, 1996, grande ville, où il exerce le 124 p.; 17$ métier de fonctionnaire, est sans doute le personnage le Dans la préface qui accom- moins sympathique de la pagne la publication de French pièce, celui qui fait office de Town, du lauréat du Prix du traître ; le milieu dont il est Gouverneur général en 1994, issu lui apparaissant médiocre, on nous apprend que la pièce a il tourne le dos à ses origines et ses détracteurs : « boudé par le s'accroche à la norme de la milieu théâtral », French Town langue française comme à une n'a pas bénéficié d'un accueil bouée de sauvetage, de là le se glisser dans le corps d'un l'errance d'un groupe de plus favorable de la part manque d'authenticité qui se jeune homme, Lucien Lefrène, femmes, isolé dans un pays « d'une certaine élite intellec- dégage de ce personnage au 20 ans, blond, ni beau ni sans vie dans Moi qui n'ai pas tuelle et universitaire » qui y a langage emprunté, littéraire : laid ; « [...] je m'incarne, connu les hommes. Son dernier vu, selon le préfacier, Stefan « Ma chambre, un véritable j'aboutis, l'univers se reforme livre est celui de l'impossible. Psenak une œuvre « miséra- refuge. / Un véritable refuge autour de moi, je possède un Nous savons que toute per- biliste » indigne de figurer au contre Filber qui incarnait la regard, j'entends, je sens, je sonne est androgyne, qu'elle panthéon de la littérature barbarie de ce monde ignorant suis ! » Lucien, qui s'appellera présente en parts inégales franco-ontarienne. Ce type de et brutal. » Sa sœur Cindy, qui désormais Orlanda, retourne féminité et masculinité, mais le réception n'est pas sans rappe- a suivi les traces de son père et aussi à Bruxelles. Il fait une transfert partiel vers l'autre ler certains jugements portés travaillé au moulin jusqu'à sa première découverte de son sexe, sorte de libération jadis à l'endroit de la drama- fermeture, parle, au contraire, nouveau corps quand il joyeuse, est impossible. Nos turgie québécoise lorsque, à la une langue châtrée, désarti- s'arrête aux toilettes de la gare. questions resteront en sus- fin des années 60, Michel culée et ponctuée de jurons ; Dans le train, un homme dans pens... Aline trouvera le Tremblay cassait la baraque véritable réplique de son père, la quarantaine lui offre une moyen de récupérer Orlanda, avec des œuvres que d'aucuns elle représente, pour Pierre- cigarette, puis l'invite à le mais vivre heureux à deux jugeaient « régionales » et Paul, la continuité de « ce suivre et Orlanda découvre son dans le même corps, l'un « vulgaires ». Mais là s'arrête la monde ignorant et brutal », attirance pour les hommes. Les dominant l'autre, affronter les comparaison ; Michel Ouellette dont il a souffert et qu'il mé- situations deviennent cocasses pressions extérieures est bien signe, avec French Town, une prise à présent au point de quand Annie, sa sœur, lui problématique. Le roman est pièce dont les enjeux sont souhaiter sa ruine. Si l'affron-avoue qu'il a bien changé, souvent drôle et l'imagination d'abord et avant tout politi- tement est inévitable entre ces quand Marie-Jeanne com- s'y exerce librement. La ques, qui attribue l'oppression deux mondes, qui, du reste, prend qu'il ne l'aime plus et ne dernière ligne du livre est un d'une communauté tant à sont autant d'impasses, c'est tient pas à la revoir. Lucien- aveu : « Je n'ai jamais eu la l'ordre social qui la régit qu'à du fils cadet, Martin, que Orlanda déménage, il drague, prétention d'écrire des his- son rapport à la question naîtra l'espoir d'une libéra- il se sent libre, joyeux, heu- toires moralement correctes. » linguistique. tion : dans le refus de la fuite, reux. Très vite l'histoire se Monique Grégoire L'auteur situe l'action dans dans lafiertéet dans l'action. complique, car il revoit Aline, une petite ville minière du Diane Godin essaie de lui faire comprendre nord de l'Ontario. French qu'i/ est elle ! Ils éprouvent le MONSIEUR Town, sorte d'îlot franco- besoin de se retrouver chaque MALAUSSÈNE phone perdu dans Timber ORLANDA jour, tête contre tête. Il sait AU THÉÂTRE Falls, est un quartier en déclin Jacqueline Harpman tout d'Aline qu'il a habitée Daniel Pennac qui, depuis la fermeture du Grasset, Paris, 1996, pendant trente-cinq ans, ils se Gallimard, Paris, 1996, moulin qui faisait vivre une 294 p. ; 39,95 $ comprennent, ils sont très bien 93 p. ; 15,95 $ bonne partie de la population, ensemble, mais il refuse d'y n'offre plus beaucoup d'avenir. En attendant l'heure du train reprendre sa place. DES CHRETIENS Véritable toile de fond du qui la ramènera à Bruxelles, Jacqueline Harpman est ET DES MAURES texte, le sort de cette commu- Aline, assise à la Brasserie de psychanalyste et transpose Daniel Pennac nauté est lié au drame d'une l'Europe, près de la gare du dans ses romans des données Gallimard, Paris, 1996, famille dont la mère décédée, Nord à Paris, essaie, mais en théoriques ou expérimentales 94 p. ; 14,95$ Simone, reconstitue, tout au vain, de lire Orlando, de connues, sources de problèmes long de la pièce, les combats et Virginia Woolf. Le livre l'en- difficiles, comme l'amour Daniel Pennac avait dit qu'il les misères de French Town. nuie, cet être androgyne est d'une très jeune fille pour un n'y aurait pas de suite à Autour d'elle, sa fille Cindy et bien complexe ! Elle ne se rend peintre marié dans La plage Monsieur Malaussène, que la ses fils Pierre-Paul et Martin pas compte que la partie d'Ostende, une relation tribu était devenue trop enva- naviguent, plutôt mal que masculine de son être la quitte amoureuse entre frère et sœur hissante et qu'il n'osait pas bien, entre le passé et l'avenir. peu à peu, s'échappe pour dans Le bonheur dans le crime, imaginer ce qui allait se passer «S«i . N U I T B L A N C H E . 2 0
s'il continuait à laisser se surprendre de la part de l'au- poète de savourer son propre cessé d'aimer malgré un époux multiplier sous son toit cette teur de Comme un roman, à écho, sa propre voix... Et l'on attentionné et une fille atta- grande famille de Belleville qui l'on doit également un ne comprend pas non plus chante, parle et dit pourquoi, (dont on peut lire les incroya- grand nombre de récits pour la pourquoi tant abuser de la lui, il s'est éloigné - décalage bles aventures dans Au bon- jeunesse. ponctuation et de l'enjambe- vers le rouge. heur des ogres, La fée carabine J'ai parfois l'impression que ment, sinon pour créer une Décalage vers le bleu et La petite marchande de Daniel Pennac est au roman ce impression de distance (voire évoque l'entité solitaire d'un prose, tous titres ayant sin- que Renaud est à la chanson d'élévation !) par rapport au astre, mais suggère aussi gulière résonance littéraire). (même si le second se prend lecteur... Malgré cette impres- qu'il se rapproche de l'ob- « La suite ! la suite... », sans doute davantage au sion désagréable d'être écrasé servateur : chacun dans ce réclamaient néanmoins, dans sérieux). Non seulement par la parole (qui ne va nulle roman éprouve un profond leurs charentaises, Jérémy et Le prêtent-ils leurs voix aux part, à la manière de Heidegger), désir de s'approcher de l'autre, Petit, enfants terribles de la délinquants pour cause de l'on retrouve quand même tou- cependant qu'il en est inca- famille et amateurs d'histoires, nécessité et aux marginaux de jours chez Pierre Ouellet une pable le plus souvent et bien mais aussi les autres person- toutes sortes, mais encore densité envoûtante : quand impuissant à sortir de lui- nages, qui ne voulaient pas sont-ils tous deux amoureux l'objectif de marier esthétique même ; le roman, construit en renoncer ainsi à l'existence. Si des « mômes », qu'ils ont et pensée est atteint, le lecteur chapitres autonomes où les bien que Daniel Pennac a suffisamment écoutés pour en ne fait qu'admirer le résultat, protagonistes, à tour de rôle, imaginé un compromis : la avoir retenu deux ou trois même si cette admiration re- poursuivent un monologue suite a pris la forme de deux vérités bien envoyées, grandes pose davantage sur l'intellect intérieur, le montre assez bien. petits retours en arrière. questions existentielles du que sur le cœur. « [C] haque On peut reprocher à l'auteure Monsieur Malaussène au genre : « C'est quand qu'on va départ : / deuil bref / - qu'il de ne pas toujours laisser vivre théâtre est à la lettre ce que le où?» faut des siècles // à vivre : tu ses personnages pour eux- titre indique : un condensé de Hélène Gaudreau sors du noir / que ton absence mêmes : on la sent souvent Monsieur Malaussène (le dessine / pour chemin de derrière eux, et l'on n'arrive roman) sous forme de one traverse. » pas à démêler si c'est elle qui man show. Le propos se con- CONSOLATIONS Consolations est donc un parle et qui pense, ou si c'est centre sur les doutes exis- Pierre Ouellet recueil dans la foulée des pré- eux. La polyphonie d'un texte tentiels de Benjamin devant sa Le Noroît, Saint-Hippolyte, cédents. L'écriture y est, fort est une chose difficile. future paternité : « Et toi, petit 1996, 90 p. ; 16,95 $ heureusement, un peu plus Mais Décalage vers le bleu con, penses-tu vraiment que ce resserrée que dans l'avant- est une belle réussite, un beau soit le monde, la famille, Je suis toujours surpris devant dernier titre, même si le sen- roman, ambitieux et sérieux, l'époque où te poser ? Pas la rapidité de Pierre Ouellet timent d'être en face de procé- plus polysémique que ce qu'il encore là et déjà de mauvaises qui, depuis 1989, a publié dés d'écriture persiste. La en est dit ici ; il montre l'écla- fréquentations ! » Le mono- douze titres (poésie, nouvelle, formule est répétitive, voire tement des noyaux de solida- logue de Benjamin brosse en roman et essai). Cette prolixité redondante parfois : « Une rité traditionnels et le repli sur effet à grands traits le portrait de l'auteur va de pair avec ce ombre pèse / le poids de la soi qui semble prendre le des membres de la famille... et qui semble au lecteur une dé- lumière / - blessée », devient relais. raconte enfin les périples d'un concertante facilité d'écriture. plus loin « La parole pèse / le Denis Noreau fœtus, cobaye d'une invrai- La parole de Pierre Ouellet, du poids de l'air :fraie// son sens semblable transplantation. moins dans sa poésie, est exem- / dans les plus dures / réalités : La réflexion sur la paternité plaire quant à sa régularité et la chair » ; le rythme, trop sys- NOUS LIRONS se poursuit et prend une forme à son formalisme rigoureux. tématiquement cassé ; la ré- DU BOUT DES YEUX originale dans Des chrétiens et Pierre Ouellet travaille la forme flexion, prévisible ; la ponc- Cynthia Girard des Maures. Le Petit veut du poème : il se fait sculpteur tuation, lourde, excessive, Écrits des Forges, connaître l'identité de son père de la poésie. Ici encore, avec outrageuse... Tout cela conduit Trois-Rivières, 1996, et entreprend dans ce but une Consolations, le geste de graver à ne plus apprécier cette poésie 76 p . ; 10$ grève de la faim. Or, nul ne sait apparaît sans bavure ; c'est gouvernée par une nette le nom de cet inconnu (sans autrement que le poète sur- absence de modestie. Ce percutant recueil amalgame doute mort au moment de la prend : l'effet pour le lecteur, Claude Paradis intelligemment prose poétique narration), dont, pourtant, le tout comme lors de son précé- et poèmes. Le ton général est séjour particulier chez les dent recueil (Le corps pain, extrêmement critique - de la Malaussène occupe une bonne l'âme vin), n'est plus que DECALAGE VERS LE BLEU société actuelle, de la culture partie du livre, lequel se ter- cérébral, et il est fort difficile Louise Bouchard postmoderne - et désabusé, mine sur une chute digne de d'éprouver à la lecture une Les Herbes rouges, exprimant à la fois une inté- la nouvelle « Continuité des émotion, un sentiment, voire Montréal, 1996, riorité riche et profonde. parcs » de Cortàzar. En effet, même un quelconque plaisir. 234 p. ; 16,95 $ L'auteure nous confie : « Il comme dans La rose pourpre « [L] a nuit venue / son silence y a des profusions / des morts du Caire de Woody Allen, les éclate : vérité nue // l'aube ne Que faire contre le destin ? en catastrophes / des yeux niveaux narratifs se croisent et rêve / qu'abîmes / où s'enfon- Maria, foyer autour duquel vides [...] Ne participez plus / le père de l'enfant est le per- cer : lit d'air. » gravite le récit, est envahie par aux joies / Des malheurs / en sonnage d'une fiction dans la Inlassablement, l'auteur un carcinome et lutte contre la catacombes ». Mais un espoir fiction. Cette paternité toute ramène à un questionnement mort. À tort ou à raison - mais réside cependant dans l'écri- littéraire dans laquelle Le Petit philosophique, mais qui ne chacun cherche la raison des ture, dans l'acte poétique : « oui se reconnaît est un bel hom- nous atteint plus que par déri- choses dans ce roman - Maria la poésie existe toujours / au mage au pouvoir des mots et sion : tout a l'air de redites, croit pouvoir échapper à la gré des fouets ». des histoires et n'a pas de quoi comme du plaisir qu'aurait le mort si l'homme qu'elle n'a Gilles Côté IUIT B L A N C H E
COMMENTAIRES F i c T i o N DIANE OU LA mort et sur l'écriture. Le pre- CHASSERESSE SOLITAIRE mier chapitre, entre autres, Carlos Fuentes foisonne de propos intelligents Trad, de l'espagnol d'une grande richesse philo- par Céline Uns sophique. Cette sérénité d'es- Gallimard, Paris, 1996, prit n'aurait sans doute pas été 238 p. ; 39,50 S possible sans le recul dont fait preuve le narrateur- alter ego de Mexico, 31 décembre 1969. l'auteur vis-à-vis d'événements Une décennie secouée par qui, somme toute, remontent à d'immenses bouleversements vingt-trois ans. Ultimement le s'achève. Le narrateur, en ce lecteur n'aura aucun mal à soir de la Saint-Sylvestre, tra- croire que pour ce narrateur- Soulié ; à savoir les conver- encore, comme Suzanne Jacob, verse quant à lui sa crise de la écrivain la véritable amante, sations surprises qui réorien- obligent à plus d'attention quarantaine. Invité chez des c'est la littérature. Et devant tent le récit, les coïncidences et de notre part. En refermant amis avec sa femme, il en est à cette grande dame investie du les rencontres inattendues, Les écrits de l'eau, je ne savais s'interroger sur le complexe de pouvoir de conférer l'immor- l'intervention intempestive du trop comment définir ce que je Don Juan lorsqu'une magnifi- talité, Diane apparaît comme hasard, la mise à rude épreuve venais de lire... J'ai mis le que beauté blonde fait son une pauvre mortelle qui n'aura de la vraisemblance..., à quoi recueil de côté quelques jours ; apparition. Comment résister pas survécu à la folie des il faut ajouter, dans le cas lorsque je m'y suis remis, je me à la fascinante Diane Soren, années 60. particulier de Bataille d'âmes, suis senti interpellé très actrice de cinéma, Américaine Louise Villemaire un univers manichéen forte- profondément. La force de mariée à un célèbre romancier ment souligné et l'omnipré- Suzanne Jacob réside dans sa français ? Don Juan contre sence moralisatrice du narra- capacité d'évoquer l'espace Diane chasseresse ; qui l'em- BATAILLE D'AMES teur. C'est pourquoi il est pour intérieur où le monde nous est portera à ce jeu dangereux de Pamphile Le May le moins abusif de vouloir donné : sa parole est un dia- la séduction ? Éditions de la Huit, convaincre le lecteur des « qua- logue entre l'origine et main- À travers le récit d'une Sainte-Foy, 1996, lités spécifiques » des romans tenant ; entre une femme et liaison amoureuse foudroyante 345 p. ; 26 S de Pamphile Le May : « souples- son enfant ; entre un être et ce qui durera deux mois, Carlos se de l'affabulation, expres- qui le rattache, depuis tou- Fuentes met en scène une Rémi Ferland vient d'établir, sivité des portraits, vivacité des jours, à la terre... Son angoisse Diane insaisissable, un peu de présenter et d'annoter la dialogues, finesse des descrip- est aussi la nôtre, du moins elle blanche, un peu noire, chan- première édition du quatrième tions et du style ». Bataille nous la rappelle : « Tu as geante comme la lune. Femme et dernier roman de Pamphile d'âmes n'est pas non plus « un pleuré que tu n'avais pas à l'identité incertaine, comé- Le May, Bataille d'âmes, qui des meilleurs exemples du demandé à naître ». dienne sur le déclin qui joue n'avait connu jusque-là qu'une roman d'aventures au Qué- Le recueil progresse ainsi mieux dans la vie qu'à l'écran, unique parution en feuilleton, bec ». Il importe de donner par le regard de celle qui ob- Diane Soren veut être autre dans La Patrie de Montréal, au l'heure juste et de ne pas serve la vie depuis ses premiers pour se trouver elle-même. tournant du siècle. Il envisage tomber dans le dithyrambe. balbutiements. Nous revivons Mangeuse d'hommes, elle mène également de republier (sur du L'introduction de Rémi avec l'auteure le parcours diffi- une vie à risques et confond la papier moins rigide, espérons- Ferland est fort sympathique cile de toutes nos blessures, de lutte contre l'oppression avec le) Le pèlerin de Sainte-Anne, pour l'auteur qui, au demeu- toutes nos peines, de toutes le sexe et le romantisme. Diane Picounoc le maudit et L'affaire rant, s'est illustré bien plus nos haines contre le monde. Et chasseresse, oui, mais triple- Sougraine, du même auteur. savamment dans le conte et la le visage de la mère nous appa- ment solitaire : parce qu'elle L'entreprise a le mérite de poésie ; mais ses propos des- raît soudain dans toute sa di- vit à Paris en étrangère, parce donner accès à des ouvrages servent, plus qu'ils ne la ser- gnité : « Les cris du monde ont que sa carrière périclite, parce devenus introuvables et dont la vent, son édition. crevé la brume / t'appelant que son militantisme politique valeur documentaire demeure. Jean-Guy Hudon pour le début. / Tu t'es levé. / la condamne au désespoir. Mais là s'arrête la justi- Tu as vu mon visage / vieilli Cette fille du Middle West est fication de la réédition d'œu- d'un siècle et séparé du tien. / en fait une idéaliste déçue qui vres qui poussent le genre aux LES ECRITS DE L'EAU/ Tu avais atteint grandeur des court à sa perte. limites du supportable en LES SEPT FENÊTRES hommes. » Loin de la banale histoire puisant dans le vieil arsenal des Suzanne Jacob Mais le poème se renverse d'adultère, le récit est mené trucs utilisés au Québec depuis L'Hexagone, Montréal, et nous voyons l'auteure de- d'une main de maître par un les de Gaspé (fils) (1837) et les 1996, 103 p.; 12,95$ venir l'enfant en quête de la Carlos Fuentes en pleine Doutre (1844), qui les ont eux- mère, et c'est encore nous qui maturité qui enrichit l'anec- mêmes empruntés aux feuille- Certains poètes ont une voix nous lançons vers la mémoire dote d'une réflexion sur la tonistes populaires français forte qui nous saisit dès la pour retrouver les traces ou, fuite du temps, sur Dieu, sur la d'alors, principalement Sue et première lecture. D'autres mieux, pour les y inscrire «S«S . N U I T B L A N C H E . 2 7
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