Fiction Nuit blanche - Érudit

 
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Nuit blanche

Fiction

Numéro 66, printemps 1997

URI : https://id.erudit.org/iderudit/21139ac

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Éditeur(s)
Nuit blanche, le magazine du livre

ISSN
0823-2490 (imprimé)
1923-3191 (numérique)

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Citer ce compte rendu
(1997). Compte rendu de [Fiction]. Nuit blanche, (66), 15–31.

Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1997   Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
                                                                  services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
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COMMENTAIRES

F I C T I O N                                                                                            s'adresse plus volontiers aux
                                                                               p,ERRE «RGEMJ
                                                                                                         enfants qu'aux adultes, vise-t-il
                                                                                                         le public lecteur dont participe
                                                                              L'feCWVA»N                 cette petite Coralie de 11 ans à
                                                                                    PUBLIC               qui le roman est dédié. Il y a
                                                                                                         une insistance soignée dans
                                                                                                         l'écriture, un certain souci
      L'ECRIVAIN PUBLIC            l'extérieur. Il faut encore                                           didactique, une manière
         Pierre Yergeau            souligner l'imagerie renouvelée                                       savante de cerner le thème et
  L'instant même, Québec,          de L'écrivain public : ainsi lit-                                     de le redéployer qui, à cet
        1996, 24,95 $              on qu'une « pluie de fin du                                           égard, ne mentent pas. C'est
                                   monde, abondante et sour-                                             très bien fait.
Parvenu à un âge avancé,           noise » tombe comme « une                                                             François Ouellet
Jérémie Hanse se rappelle son      vengeance », que la « lumière,
enfance et son adolescence en      fine et souple [sait] se déployer
Abitibi où sa famille s'est éta-   dans la forêt avec une                                                      LE MYSTERE DE
blie en 1933, au hasard d'une      économie de peintre » et que                                                  LA PATIENCE
tournée du Grand Cirque            les paroles de l'abbé Gosselin                                               jostein Gaarder
d'Hiver pendant laquelle son       ont « une éloquence d'araignée                                             Trad, du norvégien
père, trapéziste, a trouvé la      occupée à bien tisser sa toile ».                                          par Hélène Hervieu
mort. Les Hanse survivent                        Jean-Guy Hudon                                                Seuil, Paris, 1996,
dans les chantiers, autour de                                                                                   378 p. ; 39,95 $.
Tony, la grand-mère, devenue
cuisinière en chef. Un jour        ELEAZAR OU LA SOURCE                                                  Retrouvez l'esprit d'enfance,
Delphine, la mère, disparaît           ET LE BUISSON                                                     enfoui depuis longtemps peut-
avec un impresario improvisé.           Michel Tournier                                                  être, sinon vous n'aurez aucun
À la mort de Tony, Jérémie se        Gallimard, Paris, 1996,                                             plaisir à accompagner Hans-
retrouve clerc à l'évêché               140 p.; 22,95$                                                   Thomas et son père dans leur
d'Amos pendant que son frère                                                                             aventure : aller de Norvège en
Georges fait des affaires à        Michel Tournier vient de si-                                          Grèce pour retrouver la mère de
Chicago et que sa jeune sœur       gner un roman dominé par la                                           Hans-Thomas, disparue depuis
Mie va demeurer à Val d'Or.        haute stature de Moïse, dont le                                       huit ans, et la ramener à Aren-
Plus tard, Jérémie suit son        mythe est d'une actualité que                                         dal. Le père est passionné de
protecteur, l'abbé Gosselin, qui   le magazine Le point enregis-                                         philosophie et le jeune garçon
vend des indulgences par les       trait dans un numéro récent,                                          va vivre une histoire extraor-
villages abitibiens.               plaçant en page couverture un                                         dinaire. Deux histoires en fait
    C'est sur ce fond de décom-    croquis de cette « tête à la                                          qui se recoupent sans cesse. La
position familiale et de recons-   barbe puissante », selon les                                          seconde, Hans-Thomas la lit
titution topographique que         mots de Freud. Il y a dans cette                                      dans un livre minuscule, caché
Pierre Yergeau a choisi de         figure biblique une extraordi-                                        dans une brioche que lui a
camper son troisième roman         naire stature de Père, que dou-                                       donnée le boulanger de Dorf,
où une théorie de personnages      ble celle d'un sombre assassin                                        petit village perdu dans les
hétéroclites et bizarres évolue    inconsciemment parricide,                                             Alpes suisses. Les lettres en sont
dans des situations insolites      cela aussi certainement que                                           si petites qu'il utilise la loupe
marquées au coin d'un oni-         nous entrons dans une ère                                             que lui a donnée un nain, dans
risme déstabilisant, d'où l'hu-    religieuse, ce que l'écrivain                                         une station-service. Vous est-il
mour n'est parfois pas absent.     allègue à coup de romans                                              déjà arrivé de compter le temps
L'univers ainsi créé, qui ne va    depuis déjà un bon moment.                                            avec un jeu de cartes ? Il y a
pas sans rappeler celui du             Éléazar, pasteur irlandais,                                       52 semaines dans une année,
peintre Jérôme Bosch, n'en         fuira sa terre natale au mo-                                          une pour chaque carte du jeu.
demeure pas moins cohérent         ment de la famine de 1845 qui                                         Sept fois 52 feront les 364 jours
dans la mesure où ce monde         déposa son lot de pestiférés sur     Yahweh avait interdit à Moïse    de l'année, le 365e jour étant
déglingué est perçu par les        Grosse-Île au Québec. Mais           d'entrer avec son peuple dans    celui du Joker et l'année est di-
yeux d'un vieillard qui se         c'est en Virginie qu'aborderont      le pays de Canaan, comprend      visée en quatre saisons comme
souvient du passé avec une         Éléazar et sa famille, qui se        qu'au seuil de la Terre pro-     les cartes le sont en quatre séries.
mémoire parfois défaillante,       lancent dès lors dans une            mise, l'élu, sa mission étant    Tous les quatre ans, une grande
avec une psyché formée à           expédition - sorte d'Exode -         accomplie, doit regagner le      fête marque les deux jours du
partir de certains faits mar-      vers la Californie, vue comme        giron du Père-Dieu et mourir     Joker ! Ils font alors la patience,
quants et récurrents, et avec la   la Terre promise. Graduelle-         auprès de lui, autrement dit     quand le Joker assemble les
conscience tenace de la peur       ment, Éléazar interprétera son       choisir le buisson (le désert)   phrases préparées par chaque
qui l'a toujours habité.           destin à la lumière de l'histoire    contre la source (l'eau et les   carte. Le plus étonnant est que
    Plus convaincante et plus      de Moïse : « La grandiose            fruits de la terre bénie).       l'histoire ainsi construite sera
efficace est l'introduction        aventure mosaïque agissait en            Éléazar ou la source et le   en concordance avec la réalité !
constante du narrateur dans la     grille de déchiffrement sur les      buisson est moins un grand       Seul rescapé du naufrage de son
pensée de ses protagonistes,       médiocres accidents de sa pro-       roman qu'un beau conte,          bateau, avec un jeu de cartes
grâce à quoi la réalité est vue    pre vie ». À la fin, Éléazar, qui    et sans doute Michel Tournier,   pour tout bagage, Frode fait
de l'intérieur autant que de       n'avait jamais saisi pourquoi        qui depuis quelques années       naître de son imagination

                                                             IUIT      B L A N C H E
Fiction Nuit blanche - Érudit
COMMENTAIRES

F i c T i o N

52 nains à la cervelle d'oiseau       qui l'habite. Parce qu'elle n'est
et finalement, un Joker. Mais         que l'enveloppe d'un néant
52 ans plus tard arrive Hans,         infécondable. Marie enfilera
seul rescapé d'un naufrage lui        les dentelles de prostituée.
aussi, qui avec le Joker s'enfuira    Faire l'amour à longueur de
de l'île enchanteresse quand          journée pour faire la vie. La
celle-ci disparaîtra après la mort    quête d'enfanter n'aboutira
de Frode. Hans sera le boulan-        pas à donner le jour. Marie
ger de Dorf, qui racontera l'his-     veut mourir pour donner la
toire à Albert, Albert à Ludwig       vie. Son ventre ne peut avoir
qui l'écrira et donnera la brio-      de sens que si un embryon s'y         l'expression d'un symbole             de véritable descente aux
che à Hans-Thomas. Les bou-           installe pour la faire exister.       parfait de la fusion homme-           enfers - une traversée hallu-
langers de Dorf transmettent          Elle ne peut être que si elle         femme, où l'homme prend               cinante de l'Amérique, de la
une histoire magique mais             enfante. Elle est donc morte          place dans les profondeurs            Côte-Nord du Québec jusqu'à
veulent surtout rappeler aux          puisque aucune vie ne l'habite.       d'un être vide, inexistant sans       un Mexique mythique incar-
hommes que « le monde est                 Marie Auger est folle, elle le    lui ? N'empêche qu'en confon-         nant le lieu historique des
l'aventure la plus belle et la plus   sait. Une folie absolue, qui          dant auteure et narratrice, le        pratiques reliées au culte aztè-
inouïe qui soit ». Hans-Thomas        l'entraîne dans la démesure du        caractère autobiographique            que. Et toute cette aventure est
a compris que tout cela le con-       masochisme. Elle s'inflige les        du récit prend toute sa signifi-      narrée sur fond de fin de siècle
cerne ; il veut repasser à Dorf       plus cruelles tortures, des           cation.                               apocalyptique à cause, préci-
avec ses parents ; il y retrouve sa   paupières arrachées au vagin              Il est difficile de ne pas se     sément, de l'éventualité d'une
grand-mère qui leur apprend           complètement cousu. Pour ne           sentir touché, ému ou effrayé         catastrophe nucléaire plané-
que Ludwig est décédé la veille.      plus être femme, pour faire           par la folie de Marie. Un lec-        taire. L'auteur n'oublie évi-
Heureusement, au cours du             disparaître le vide.                  teur, même insensible, sortira        demment pas l'évocation de
voyage, le père a donné à son             Joseph, c'est l'homme, l'a-       ébranlé de la lecture de Ventre       la désertification naturelle,
fils de précieuses leçons de          mour de sa vie, l'espoir de la        en tête. Fascinant et repoussant      sociale et culturelle propre à
philosophie, entre autres sur le      vie. Il est le morceau man-           à la fois, le langage dans Le         toute bonne critique de l'amé-
temps qui nous dévore d'un            quant du casse-tête incomplet         ventre en tête flirte avec le style   ricanité. Il faut aussi noter
coup de dents ! « Nos corps ont       qui laisse vide son ventre. Il        de Réjean Ducharme. Une               la précision et l'à-propos
le même destin que les châteaux       porte la vie qu'elle attend.          caractéristique qui dit tout          des réflexions écologiques et
de sable, et nous n'y pouvons             Mais chaque mois amène            quant à la qualité de l'écriture.     historiques, tant en ce qui
rien changer. Mais nous avons         son lot de sang, signe d'une              Pondre un premier rejeton         concerne les aléas de la post-
quelque chose en nous sur quoi        mort intérieure. Exaspérée,           de ce calibre mérite bien des         modernité américaine, qu'en
le temps n'a pas de prise. Juste-     Marie Auger ne veut plus être         honneurs. Ne reste plus qu'à          ce qui touche plus spécifique-
ment parce qu'il n'est pas de ce      femme. Il faut taire le cri           espérer que Mario Girard /            ment le passé mais surtout le
monde. [... ] Je n'avais pas tout     intérieur qui élargit le creux        Marie Auger fonde une famille         présent ainsi que l'avenir des
compris, mais j'avais du moins        utérin. La solution : castrer         complète et remplisse de ce           Mexicains. Ces derniers vont,
saisi que la philosophie n'était      Joseph et avec le sexe, boucher       genre de vide les tablettes des       en effet, représenter pour
pas une mince affaire et que          l'ouverture de la vie. À moins        librairies.                           Louis Hamelin une nouvelle
mon père était un vrai philoso-       que la permanence de l'organe                             Sophie Legault    américanité. Il écrit à ce
phe. » Ce livre a été écrit avant     entre ses jambes ne fermente et                                             sujet : « Les humains de l'an
Le monde de Sophie. Souhai-           devienne un fœtus. Incons-                                                  2000 s'élaborent ici, dans des
tons-lui le même succès !             tante, Marie souhaite hypocri-                                              cornues secrètes. Une race de
                                                                                     LE SOLEIL
              Monique Grégoire        tement que la graine germe en               DES GOUFFRES                    mutants. Les Mexicains eux-
                                      elle. Comme on plante une                     Louis Hamelin                 mêmes le croient. »
                                      tige dans la terre ; en espérant         Boréal, Montréal, 1996,                L'écriture et l'intrigue de ce
    LE VENTRE EN TETE                 que la feuille fleurisse, que le             372 p. ; 24,95 $               roman sont intelligentes et
        Marie Auger                   ventre enfante.                                                             prenantes, mais beaucoup trop
    XYZ, Montréal, 1996,                  Ce qui frappe dans Le              François Ladouceur, étudiant         échevelées notamment dans
       180 p. ; 19,95 $               ventre en tête, par son con-           en biologie et critique averti de    la première partie où, malgré
                                      traste avec la folie de Marie,         son époque, fait la rencontre        la justesse des réflexions, la
Marie Auger veut un enfant.           c'est la maîtrise du vocabu-           de Jean-B. Vitoux, gourou atti-      dramatique est noyée sous un
Obsédée, elle le répète autant        laire. Marie Auger, c'e.jt la          tré d'une secte (l'Organisation      amoncellement de remarques
de fois et d'autant de manières       narratrice, dont le nom appa-          Unitive de la Pyramide Solaire,      sur la flore et la faune. Même
qu'il est possible de l'exprimer.     raît en couverture comme               l'OUPS), qui prône un renou-         chose pour la troisième partie,
Parce que sa tête est pleine du       étant celui de l'auteure. Mais le      veau spirituel plutôt radical        où ce sont des réflexions à ca-
vide de son ventre.                   véritable auteur qui s'installe        d'un genre très particulier,         ractère sociologique et histo-
   Elle s'imagine en autobus,         en elle, la plume par laquelle         fondé sur les anciens cultes         rique qui alourdissent le récit.
en « mer » pour faire com-            Marie Auger se raconte, c'est          aztèques. Cette rencontre va         Mais tout cela est compensé
prendre l'immensité du vide           Mario G. (Girard). Est-ce là           nous faire vivre - sous forme        par le fait que l'auteur possède

                                                        « «   . N U I T    B L A N C H E   . 1 «S
Fiction Nuit blanche - Érudit
une excellente connaissance de       heureusement ! - de la nou-                                                  Ce qui les unit aux novelettes,
la culture mexicaine, du pro-        velle classique, avec une brève                                              c'est le plaisir du verbe, la
blème des sectes également.          mise en place, une lente ascen-                                              verve de l'argumentation. Qui
L'œuvre est, en fait, une fres-      sion et une chute brusque,                                                   veut faire plaisir offrira Un
que beaucoup plus grandiose          fulgurante) s'adressent à un                                                 sourire incertain, un bijou
que ne l'étaient La rage             public averti en matière de                                                  étincelant qui provoque le
(Québec/Amérique, 1989) ou           littérature, de cinéma ou d'art                                              sourire.
Cowboy (XYZ, 1992). Mais je          plastique, tout non-initié goû-                                                           Hans-Jùrgen Greif
regretterai toujours la belle        tera comme des chocolats
concision de Ces spectres agités     fondants ces petites capsules
(XYZ, 1991).                         au noyau explosif dont les                                                     LA PART DE L'OMBRE
                    Gilles Côté      effets se feront sentir bien                                                      Fernand Dumont
                                     après la lecture du dernier                                                    L'Hexagone, Montréal,
                                     texte. On en redemande, on                                                      1996, 215 p.; 19,95$
UN SOURIRE INCERTAIN                 n'aura jamais assez de ces
       VISAGES DE                    novelettes brillantes, travaillées                                              UNE FOI PARTAGEE
      L'IMPOSTURE                    à un point tel que la technique                                                    Fernand Dumont
       Bernard Lévy                  narrative tend à disparaître, et         rappelle qu'il dispose encore        Bellarmin, Montréal, 1996,
Triptyque, Montréal, 1996,           avec elle le signe du labeur de          de toute une panoplie de                   301 p. ; 21,95 $
        152 p. , 1 8 $               l'auteur qui possède, de façon           plumes bien aiguisées pour
                                     magistrale, son registre d'écri-         dire que le roi est nu. Difficile   Parmi l'intelligentsia québé-
        COMMENT                      ture. Les références à Kafka,            de recommander l'un ou              coise, Fernand Dumont est
    SE COMPRENDRE                    Sagan et tutti quanti se font de         l'autre de ces récits en parti-     une figure exemplaire. Ses
       AUTREMENT                     façon imperceptible ; les coups          culier : à propos de tels textes,   nombreux ouvrages sur l'i-
   QUE PAR ERREUR ?                  de fouet assenés à la rhéto-             d'une perfidie exquise, les         dentité culturelle du Québec
 ET AUTRES DIALOGUES                 rique, au théâtre réveillent le          goûts ne se discutent pas,          sont devenus, au fil des ans,
       Bernard Lévy                  lecteur habitué à la morne et            plutôt les couleurs, les saveurs.   une référence majeure - sinon
Triptyque, Montréal/Babel,           insoutenable rectitude politi-           Il y en a pour tout le monde, et    la référence - pour qui veut
Mazamet, 1996, 77 p. ; 17$           que ; l'attaque opérée sur le            ce recueil se lit aussi bien en     comprendre à fond le sort du
                                     discours délirant concernant             petites doses que d'un trait.       Québec. Mais on oublie trop
Avec Un sourire incertain,           l'art contemporain et le carac-              Plus discutables s'avèrent      souvent que Fernand Dumont
Bernard Lévy présente un             tère illisible de textes pseudo-         les dialogues, dont quelques-       a fait son entrée dans le do-
décalogue bien à lui : dix tex-      poétiques se fait avec un hu-            uns rappellent un genre             maine de la culture en publiant
tes, inédits pour la plupart,        mour mordant à souhait. Le               célèbre aux XVIIIe siècle (les      en 1952 son premier recueil
terriblement intelligents et         regard de Bernard Lévy sur le            Dialogues des morts, de             de poésie, L'ange du matin.
drolatiques, où le narrateur         monde des arts est celui d'un            Fontenelle, les œuvres de           Ce recueil ainsi que Parler
cède volontiers au plaisir           sceptique qui ne condamne                Fénélon, ou encore Le neveu         de septembre (1970) et un
manifeste de raconter des his-       jamais, mais ne peut s'em-               de Rameau), et dont certains        troisième, jusque-là inédit,
toires, toutes petites, et limées,   pêcher d'exposer le ridicule de          accusent l'écoulement du            L'arrière-saison (1995), vien-
polies à souhait. Satisfaction       ï'auto-célébration entourant             temps - le dialogue donnant le      nent d'être regroupés sous le
garantie pour le lecteur : bien      l'art pour initiés. Ici, c'est l'ar-     titre au recueil a été publié en    titre La part de l'ombre aux
que ces récits (dont la struc-       tiste attristé devant le discours        1970 -, la poussière ternissant     éditions de l'Hexagone...
ture se rapproche - finalement,      creux qui parle, mais il se              un discours brillant à l'époque.    pour notre bonheur !

                                            ONYX JOHN
                                            de TREVOR FERGUSON
                                            Roman, LA PLEINE LUNE, 444 pages, 24,95 $, ISBN 2-89024-113-0

                                            Après LA VIE AVENTUREUSE D'UN DRÔLE DE MOINEAU
                                                                                                                               O
                                                    Un livre extraordinaire I Une écriture vraiment maîtrisée, du style, de l'humour... Un
                                                    très grand écrivain I Georges-Hébert Germain, Sous la couverture, SRC.

                                                   Voici ONYX JOHN, roman de la fuite et de l'exil
                                                    Après un séjour forcé dans le Maine, Onyx John Cameron revient à Montréal dans
                                                    l'espoir d'y retrouver son père, mais rien n'y est plus comme avant. Le passé s'est
                                                    effondré. Traqué par Zoltan Tinodi, il disparaît à nouveau. On le recherche toujours.

                                                    On l'a comparé à Irving, on pense à Dickens... Mais non, Ferguson... c'est du Ferguson I
                                                    Sophie Gironnay, L'Actualité.
                            RECHERCHE

                                                       « «   . N U I T      B L A N C H E   .   1 7
Fiction Nuit blanche - Érudit
COMMENTAIRES

F I C T I O N                                                                                                ne se soucient même pas de
                                                                                                             l'origine chrétienne de la fête,
                                                                                                             devenue pour beaucoup une
                                                                                                             rencontre familiale marquante,
                                                                                                             éveillant parfois quelques
                                                                                                             souvenirs religieux. Bernard
                                                                                                             Clavel est entré dans la ronde
    D'abord, avec L'ange du          ample couverture / Une belle                                            avec une histoire toute simple,
matin, nous retrouvons la            écriture ». Quelques inquié-                                            bien racontée, fidèle à la
voie intérieure du pays de           tudes, nul regret, beaucoup                                             tradition, sans commentaires
l'enfance, rythmée aux pulsa-        d'espoir, voilà quelques-uns                                            personnels, sauf de temps à
tions de l'amour, de la nature       des derniers jalons de cette                                            autre une remarque ou
et de la foi. Jamais légère, la      écriture d'une exceptionnelle                                           quelques mots dans un style
poésie de Fernand Dumont             intensité. Le tout dernier                                              plus contemporain et quelques
nous convie à une essence.           texte, sur ce plan, m'apparaît                                          détails qui relèvent de sa
« Sans l'enfant vigilant / Le        déjà comme une future pièce                                             fantaisie. Peut-être ne croit-il
rire brisé des fleurs craque /       d'anthologie de la poésie qué-                                          pas à l'existence des anges car
Au lever du silence / Vague          bécoise mais je résiste à vous      où « la tendresse de la terre       c'est un étranger, que Marie
silence jeté avec l'homme /          le révéler...                       m'est plus chère que jamais »,      prend pour un mendiant, un
Dans les tisons de l'ombre. »            Dans La part de l'ombre         écrit-il au début de l'ouvrage.     quêteux mal habillé, qui lui
    Avec Parler de septembre         de Fernand Dumont, certains         Cette foi, jamais Dumont ne         annonce que Dieu l'a choisie
paru une première fois en            lecteurs seront sans doute          veut la soustraire au ques-         pour être la mère de son Fils.
 1970, la voie empruntée par         agacés par l'utilisation récur-     tionnement qui est la marque        Une colombe se pose sur
le poète se précise. Jamais          rente du mot Dieu, mais il          de notre époque. Ses inquié-        l'épaule de Jésus au moment
Fernand Dumont ne sera un            faut savoir puiser en ce mot,       tudes sont partagées par ceux       de son baptême dans le Jour-
poète de l'exploration. Avec         en compagnie du poète, une          d'entre nous qui ne cher-           dain, et réapparaît plus sou-
ce recueil se confirme une           recherche constante et de           chent pas leurs valeurs parmi       vent vers la fin de sa vie : au
écriture accomplie, caracté-         l'âme et de l'être que nous         les paroles religieuses, et cela    Jardin des Oliviers, quand il
risée par une voix personnelle       sommes et que nous igno-            nous permet de comprendre           passe encadré par les soldats de
et unique d'une profondeur           rons. L'œuvre de Fernand            que la distance est devenue         Ponce Pilate, quand il meurt
spirituelle remarquable. Le          Dumont réussit à se rendre          fort mince entre le croyant et      sur la Croix ; des soldats
langage est demeuré sensible-        spirituelle sans être au service    le non-croyant ! Par son lan-       cherchent à l'abattre, mais
ment le même que lors du             du religieux ; en tout temps,       gage discret et juste, Fernand      leurs projectiles dévient, elle
premier recueil, mais le verbe       elle demeure dans l'essence         Dumont témoigne d'une               reste intouchable. C'est un
y est plus sûr, plus authen-         de la poésie, dans l'élan inté-     honnêteté de l'âme que nous         vieux mendiant qui, d'un geste
tique encore, et l'on dirait que     rieur qui appelle au monde la       ne pouvons qu'admirer et qui        de la main en direction du
chaque poème amène un                poésie. Car, si Dumont affir-       ne peut que nous réconcilier        sépulcre, descelle l'énorme
recueillement ultime. Les thè-       me sa foi, le poète qu'il est       avec l'essentiel de la spiritua-    pierre qui en ferme l'entrée.
mes sont pour ainsi dire les         sait que la portée du mystère       lité chrétienne ; cette fois-ci,    Tout cela n'enlève rien au
mêmes qu'en 1952, traités ici        tient non pas dans la certi-        c'est l'essayiste qui emporte       caractère sacré de Jésus, qui se
avec plus de plénitude, de dis-      tude mais dans la recherche,        avec lui un réflexe de poète !      dit le Fils de Dieu, soumis à la
tanciation. Du coup, Dumont          donc dans l'élan qui l'entraî-                      Claude Paradis      volonté de son Père. Deux
se révèle poète d'une cons-          nera encore et encore plus                                              mille ans ont passé, on écrit et
cience : conscience de l'hom-        haut et plus loin. « Mais dans                                          on lit encore sa vie, certains en
me et conscience cosmique.           les hautes herbes du miroir des                JESUS                    font toujours le point central
« Je m'avance chargé d'une           ténèbres / Comme l'oiseau            LE FILS DU CHARPENTIER             de leurs jours.
moitié de la terre / La maison       rauque guidé par son chagrin               Bernard Clavel                             Monique Grégoire
est loin encore / Et la mort si      / Toujours je chercherai le          Robert Laffont, Paris, 1996,
proche. »                            vieux sentier perdu / Parfois              244 p. ; 24,95$
    L'arrière-saison ramène          jonché du tonnerre de ton                                                       CLIMATS
un réflexe de l'essayiste qu'est     amour. »                             Bernard Clavel raconte à son         Herménégilde Chiasson
aussi Dumont : ce troisième              Voilà bien un poète              tour - après quelques autres        D'Acadie, Moncton, 1996,
recueil, demeuré inédit jusqu'ici,   essentiel !                          qui l'ont abordée récemment -             129 p.; 15$
est une conclusion dans l'œu-            Pour poursuivre à fond           l'histoire de Jésus telle que
vre de Dumont : une synthèse         cette lecture de la poésie de        nous la présente la Bible,         Herménégilde Chiasson nous
et une ouverture s'y dévelop-        Dumont et pour mieux saisir          depuis l'Annonciation jusqu'à      offre ici un beau recueil de tex-
pent. Les thèmes chers au            l'essence de la spiritualité et      la rencontre avec les disciples    tes denses, profonds, souvent
 poète reviennent, cette fois        de la foi de cet intellectuel        d'Emmaùs. Cette vie, notre         étranges, présentés en quatre
 portés par les questions            québécois, je vous suggère de        enfance à tous - ou presque ! -    volets qui répondent au rythme
de l'âge, du vieillissement.         lire son tout dernier essai          en a été imprégnée. Pour           des saisons : le journal poé-
 « Bientôt décembre et la fin        paru chez Bellarmin : Une foi        commémorer l'illustre nais-        tique pour le printemps,
 des années », écrit-il au début     partagée. Dans cet essai,            sance, des expositions de          poèmes en alexandrins pour
 de la section « Aveu », et l'au-    Dumont tente d'expliquer             crèches sont encore montées        l'été, réflexions sur la mémoire
teur continue en esquissant un       quel est le défi de celui qui        chaque année dans de nom-          et la conscience de soi pour
 bilan sans nostalgie : « J'ai       aspire encore à vivre à travers      breuses villes. Rares d'ailleurs   l'automne, prose plus prag-
 rapproché tant de mots sur          l'espérance de la foi chré-          sont ceux qui ne fêtent pas        matique, à la manière de
 la page / Tissé de la vie une       tienne au moment de sa vie           Noël, si le sont moins ceux qui    l'essai, mais toujours avec une

                                                      «S«S . N U I T    B L A N C H E   . 1 8
Fiction Nuit blanche - Érudit
saveur poétique, pour l'hiver.       renouveau : une écriture du
Ceci dit, certains thèmes se         détail qui fait chavirer le
chevauchent dans l'ouvrage,          lecteur dans d'époustouflants
celui de l'aliénation, de la perte   sous-épisodes, le thème tenant
d'identité : « Un être mal           à quelques lignes percutantes
entendu qui se laissait faire        rondement esquissées, peu
dans sa folie qui le possédait       crédibles en apparence mais
comme une errance », ou              qui malgré tout nous convain-
encore celui du rapport entre        quent, à cause des à-côtés
la fragilité de l'existence et       justement, de cette façon de
l'écriture.      Herménégilde        raconter qui nous fait croire
Chiasson écrit à ce propos :         qu'on y est, même s'il s'agit
« Mais la vie est fragile, chan-     d'une femme qui meurt dans
geante, banale et absurde et le      nos bras un soir d'aventure,
langage est fragile, changeant,      pendant que son mari, loin de
banal [...]. Alors en quoi les       tout cela, la même nuit, voit
mots peuvent-ils témoigner de        aussi sa maîtresse mourir à
la vie et dire ce que le sang, la    côté de lui.                         en ceci qu'il épure tellement et   sera pas traduite en justice.
peau, les nerfs [...] savent si          Inscrit dans un Madrid avec un tel brio (sans parler de             Happy end ?
bien dire ? Qu'y a-t-il à dire       éphémère et effréné, ce dernier l'humour), qu'on serait en                  À peine paru, ce premier
d'autre ? » Il faut alors            roman de Javier Marias, aussi droit d'attendre de son                   roman du Canadien anglais
constater que le poète acadien       original et dérangeant qu'il prochain roman un bavardage                d'origine britannique Keith
s'engage envers la parole avec       puisse être, n'est en effet, à la blanc parfait (son roman              Oatley remportait le Prix du
une grande noblesse d'âme.           réflexion, pas si isolé dans la précédent ne s'intitulait-il pas        Commonwealth : le jury hono-
                      Gilles Côté    littérature européenne de cette Un cœur si blanc?).                     rait ainsi non seulement une
                                     fin de siècle. Il faut lire le                        Louis Jolicœur    série de pastiches absolument
                                     dernier Saramago, Essai sur la                                          brillants, mais aussi l'ingénio-
   DEMAIN DANS LA                    cécité (à paraître bientôt en                                           sité de la trame romanesque,
 BATAILLE PENSE À M O I              français), se rappeler Kundera,          LE CAS D'EMILY V.              simple et riche à la fois. La pre-
      javier Marias                  parfois, ou Semprun, surtout                  Keith Oatley              mière partie est consacrée aux
      Trad, de l'espagnol            dans leurs essais-romans (Les               Trad, de l'anglais          réflexions de Freud ; la deu-
      par Alain Kéruzoré             testaments trahis, L'écriture ou            par Paul Gagné              xième aux déductions du
    Rivages, Paris, 1996,            la vie). Ou songer à d'autres             et Lori Saint-Martin          limier britannique (très « élé-
      350 p. ; 39,95 $               Espagnols (Semprun ne serait           Flammarion, Paris / XYZ,         mentaires », comme doit le
                                     guère espagnol selon plu-                   Montréal, 1996,             reconnaître le Dr Watson),
Invraisemblable conteur, Javier      sieurs), qui sont en train                  424 p. ; 29,95 $            tandis que la dernière nous
Marias nous offre cette fois         d'écrire une littérature qui fait                                       montre comment la jeune
une histoire tellement épurée        mentir tout ce qui s'est dit sur Recette infaillible : 1904, à          femme se libère du poids d'un
que l'on serait en droit de se       la littérature espagnole de ce Vienne, Emily Vincent, jeune             meurtre et de l'influence d'un
demander si la prochaine fois        siècle. Car si l'art littéraire sous Anglaise cyclothymique, tue        sur-moi écrasant.
il restera une trame à son           Franco se limitait souvent à son tuteur, diplomate britan-                  Tout ce qui entre dans la
roman. Et pourtant, contrai-         dire sans dire, si le post- nique, un satyre. Perturbée,                composition de ce roman est
rement à ce type de livres dont      franquisme s'est enlisé parfois elle consulte le professeur             de qualité : Keith Oatley réussit
on dit qu'il ne s'y passe rien, ce   assez lourdement dans l'exis- Sigmund Freud afin de retrou-             un tour de force admirable en
dernier roman du jeune               tentielle question « que dire ver son équilibre, mais ne lui            recréant - à s'y méprendre - le
Madrilène est truffé d'événe-        désormais que l'on peut parle jamais du meurtre. Ce                     ton des écrits de Freud et de
ments. Comment expliquer le          dire ? », depuis quelques qu'Emily ne sait pas c'est que                Conan Doyle, enveloppés dans
paradoxe ? C'est d'abord que         années les écrivains castillans son tuteur a joué un rôle im-           la trame du récit des aventures
Marias a une imagination sans        (les Catalans avaient déjà portant dans une affaire                     de l'héroïne à Vienne, à Paris
bornes, qu'il réussit à être à la    ouvert la porte) découvrent un d'espionnage entre l'Empire              et à Londres. Traduit élégam-
fois baroque et intimiste, qu'il     filon du tonnerre, que nous britannique et le Reich du                  ment en français, le texte trahit
alterne entre des élans de           fait connaître la foire du livre Kaiser allemand. Comme les             une souveraine connaissance
passion shakespeariens et un         de Francfort (marketing - et circonstances de sa mort sont              des travaux du psychanalyste
bavardage quelque peu bor-           nouvelle Europe - oblige) : dire étranges (il s'est tué dans une        autrichien comme des romans
gien, pour enfin s'inspirer          l'inutile, le dire avec humour chute en montagne, lui qui               de l'écrivain britannique. Un
(sans doute) du regard phéno-        et fracas, s'arrêter à l'invrai- avait peur des hauteurs), le           roman pétillant d'intelligence,
ménologique et photogra-             semblable, voire l'absurde, gouvernement de Sa Majesté                  d'humour ; un feu roulant de
phique des Cortàzar et autres        mais pour le rendre intime et met Sherlock Holmes sur                   références littéraires, assorties
glaneurs latino-américains           palpable, tout en acceptant l'affaire. Entre temps, Emily est           de clins d'œil aux féministes ;
(Borges ne serait guère latino       (enfin) d'émouvoir. Contrat tombée amoureuse d'une riche                la dédramatisation des « amours
selon plusieurs), pour enfin         peu facile à remplir, certes, juive viennoise qui lui apprend           coupables » à l'ère victo-
donner dans le détail comme          mais auquel s'emploie avec de que les femmes ont une âme et             rienne : succès assuré, best-
personne depuis Proust. Ou           plus en plus de bonheur en des droits, et qu'elles n'ont pas            seller des deux côtés de l'Atlan-
alors rien de tout cela. Javier      Espagne toute une génération à encaisser les coups que leur             tique. Le prochain Keith
Marias, plutôt que le produit        d'auteurs (et de cinéastes). assènent les hommes. Holmes                Oatley est attendu avec impa-
d'un monde passé, est peut-          Sauf que, dans la mêlée, Javier et Freud estimant que le tuteur         tience.
être davantage l'annonce d'un        Marias se distingue nettement, a été justement puni, Emily ne
                                                                                                                           Hans-Jùrgen Greif

                                                               IUIT   B L A N C H E    .   1 9
Fiction Nuit blanche - Érudit
COMMENTAIRES

F I C T I O N

      FRENCH TOWN                    Pierre-Paul, qui a d'ores et déjà
      Michel Ouellette               transporté ses pénates dans la
  Le Nordir, Ottawa, 1996,           grande ville, où il exerce le
        124 p.; 17$                  métier de fonctionnaire, est
                                     sans doute le personnage le
Dans la préface qui accom-           moins sympathique de la
pagne la publication de French       pièce, celui qui fait office de
Town, du lauréat du Prix du          traître ; le milieu dont il est
Gouverneur général en 1994,          issu lui apparaissant médiocre,
on nous apprend que la pièce a       il tourne le dos à ses origines et
ses détracteurs : « boudé par le     s'accroche à la norme de la
milieu théâtral », French Town       langue française comme à une
n'a pas bénéficié d'un accueil       bouée de sauvetage, de là le    se glisser dans le corps d'un        l'errance d'un groupe de
plus favorable de la part            manque d'authenticité qui se    jeune homme, Lucien Lefrène,         femmes, isolé dans un pays
« d'une certaine élite intellec-     dégage de ce personnage au      20 ans, blond, ni beau ni            sans vie dans Moi qui n'ai pas
tuelle et universitaire » qui y a    langage emprunté, littéraire :  laid ; « [...] je m'incarne,         connu les hommes. Son dernier
vu, selon le préfacier, Stefan       « Ma chambre, un véritable      j'aboutis, l'univers se reforme      livre est celui de l'impossible.
Psenak une œuvre « miséra-           refuge. / Un véritable refuge   autour de moi, je possède un         Nous savons que toute per-
biliste » indigne de figurer au      contre Filber qui incarnait la  regard, j'entends, je sens, je       sonne est androgyne, qu'elle
panthéon de la littérature           barbarie de ce monde ignorant   suis ! » Lucien, qui s'appellera     présente en parts inégales
franco-ontarienne. Ce type de        et brutal. » Sa sœur Cindy, qui désormais Orlanda, retourne          féminité et masculinité, mais le
réception n'est pas sans rappe-      a suivi les traces de son père et
                                                                     aussi à Bruxelles. Il fait une       transfert partiel vers l'autre
ler certains jugements portés        travaillé au moulin jusqu'à sa  première découverte de son           sexe, sorte de libération
jadis à l'endroit de la drama-       fermeture, parle, au contraire, nouveau corps quand il               joyeuse, est impossible. Nos
turgie québécoise lorsque, à la      une langue châtrée, désarti-    s'arrête aux toilettes de la gare.   questions resteront en sus-
fin des années 60, Michel            culée et ponctuée de jurons ;   Dans le train, un homme dans         pens... Aline trouvera le
Tremblay cassait la baraque          véritable réplique de son père, la quarantaine lui offre une         moyen de récupérer Orlanda,
avec des œuvres que d'aucuns         elle représente, pour Pierre-   cigarette, puis l'invite à le        mais vivre heureux à deux
jugeaient « régionales » et          Paul, la continuité de « ce     suivre et Orlanda découvre son       dans le même corps, l'un
« vulgaires ». Mais là s'arrête la   monde ignorant et brutal »,     attirance pour les hommes. Les       dominant l'autre, affronter les
comparaison ; Michel Ouellette       dont il a souffert et qu'il mé- situations deviennent cocasses       pressions extérieures est bien
signe, avec French Town, une         prise à présent au point de     quand Annie, sa sœur, lui            problématique. Le roman est
pièce dont les enjeux sont           souhaiter sa ruine. Si l'affron-avoue qu'il a bien changé,           souvent drôle et l'imagination
d'abord et avant tout politi-        tement est inévitable entre ces quand Marie-Jeanne com-              s'y exerce librement. La
ques, qui attribue l'oppression      deux mondes, qui, du reste,     prend qu'il ne l'aime plus et ne     dernière ligne du livre est un
d'une communauté tant à              sont autant d'impasses, c'est   tient pas à la revoir. Lucien-       aveu : « Je n'ai jamais eu la
l'ordre social qui la régit qu'à     du fils cadet, Martin, que      Orlanda déménage, il drague,         prétention d'écrire des his-
son rapport à la question            naîtra l'espoir d'une libéra-   il se sent libre, joyeux, heu-       toires moralement correctes. »
linguistique.                        tion : dans le refus de la fuite,
                                                                     reux. Très vite l'histoire se                      Monique Grégoire
    L'auteur situe l'action dans     dans lafiertéet dans l'action.  complique, car il revoit Aline,
une petite ville minière du                              Diane Godin essaie de lui faire comprendre
nord de l'Ontario. French                                            qu'i/ est elle ! Ils éprouvent le            MONSIEUR
Town, sorte d'îlot franco-                                           besoin de se retrouver chaque              MALAUSSÈNE
phone perdu dans Timber                       ORLANDA                jour, tête contre tête. Il sait             AU THÉÂTRE
Falls, est un quartier en déclin         Jacqueline Harpman          tout d'Aline qu'il a habitée                Daniel Pennac
qui, depuis la fermeture du               Grasset, Paris, 1996,      pendant trente-cinq ans, ils se         Gallimard, Paris, 1996,
moulin qui faisait vivre une                294 p. ; 39,95 $         comprennent, ils sont très bien             93 p. ; 15,95 $
bonne partie de la population,                                       ensemble, mais il refuse d'y
n'offre plus beaucoup d'avenir.      En attendant l'heure du train reprendre sa place.                         DES CHRETIENS
Véritable toile de fond du           qui la ramènera à Bruxelles,        Jacqueline Harpman est               ET DES MAURES
texte, le sort de cette commu-       Aline, assise à la Brasserie de psychanalyste et transpose                  Daniel Pennac
nauté est lié au drame d'une         l'Europe, près de la gare du dans ses romans des données                Gallimard, Paris, 1996,
famille dont la mère décédée,        Nord à Paris, essaie, mais en théoriques ou expérimentales                  94 p. ; 14,95$
Simone, reconstitue, tout au         vain, de lire Orlando, de connues, sources de problèmes
long de la pièce, les combats et     Virginia Woolf. Le livre l'en- difficiles, comme l'amour             Daniel Pennac avait dit qu'il
les misères de French Town.          nuie, cet être androgyne est d'une très jeune fille pour un          n'y aurait pas de suite à
Autour d'elle, sa fille Cindy et     bien complexe ! Elle ne se rend peintre marié dans La plage          Monsieur Malaussène, que la
ses fils Pierre-Paul et Martin       pas compte que la partie d'Ostende, une relation                     tribu était devenue trop enva-
naviguent, plutôt mal que            masculine de son être la quitte amoureuse entre frère et sœur        hissante et qu'il n'osait pas
bien, entre le passé et l'avenir.    peu à peu, s'échappe pour dans Le bonheur dans le crime,             imaginer ce qui allait se passer

                                                       «S«i . N U I T     B L A N C H E   .   2 0
Fiction Nuit blanche - Érudit
s'il continuait à laisser se         surprendre de la part de l'au-        poète de savourer son propre         cessé d'aimer malgré un époux
multiplier sous son toit cette       teur de Comme un roman, à             écho, sa propre voix... Et l'on      attentionné et une fille atta-
grande famille de Belleville         qui l'on doit également un            ne comprend pas non plus             chante, parle et dit pourquoi,
(dont on peut lire les incroya-      grand nombre de récits pour la        pourquoi tant abuser de la           lui, il s'est éloigné - décalage
bles aventures dans Au bon-          jeunesse.                             ponctuation et de l'enjambe-         vers le rouge.
heur des ogres, La fée carabine         J'ai parfois l'impression que      ment, sinon pour créer une               Décalage vers le bleu
et La petite marchande de            Daniel Pennac est au roman ce         impression de distance (voire        évoque l'entité solitaire d'un
prose, tous titres ayant sin-        que Renaud est à la chanson           d'élévation !) par rapport au        astre, mais suggère aussi
gulière résonance littéraire).       (même si le second se prend           lecteur... Malgré cette impres-      qu'il se rapproche de l'ob-
« La suite ! la suite... »,          sans doute davantage au               sion désagréable d'être écrasé       servateur : chacun dans ce
réclamaient néanmoins, dans          sérieux). Non seulement               par la parole (qui ne va nulle       roman éprouve un profond
leurs charentaises, Jérémy et Le     prêtent-ils leurs voix aux            part, à la manière de Heidegger),    désir de s'approcher de l'autre,
Petit, enfants terribles de la       délinquants pour cause de             l'on retrouve quand même tou-        cependant qu'il en est inca-
famille et amateurs d'histoires,     nécessité et aux marginaux de         jours chez Pierre Ouellet une        pable le plus souvent et bien
mais aussi les autres person-        toutes sortes, mais encore            densité envoûtante : quand           impuissant à sortir de lui-
nages, qui ne voulaient pas          sont-ils tous deux amoureux           l'objectif de marier esthétique      même ; le roman, construit en
renoncer ainsi à l'existence. Si     des « mômes », qu'ils ont             et pensée est atteint, le lecteur    chapitres autonomes où les
bien que Daniel Pennac a             suffisamment écoutés pour en          ne fait qu'admirer le résultat,      protagonistes, à tour de rôle,
imaginé un compromis : la            avoir retenu deux ou trois            même si cette admiration re-         poursuivent un monologue
suite a pris la forme de deux        vérités bien envoyées, grandes        pose davantage sur l'intellect       intérieur, le montre assez bien.
petits retours en arrière.           questions existentielles du           que sur le cœur. « [C] haque         On peut reprocher à l'auteure
    Monsieur Malaussène au           genre : « C'est quand qu'on va        départ : / deuil bref / - qu'il      de ne pas toujours laisser vivre
théâtre est à la lettre ce que le    où?»                                  faut des siècles // à vivre : tu     ses personnages pour eux-
titre indique : un condensé de                      Hélène Gaudreau        sors du noir / que ton absence       mêmes : on la sent souvent
Monsieur Malaussène (le                                                    dessine / pour chemin de             derrière eux, et l'on n'arrive
roman) sous forme de one                                                   traverse. »                          pas à démêler si c'est elle qui
 man show. Le propos se con-              CONSOLATIONS                         Consolations est donc un         parle et qui pense, ou si c'est
centre sur les doutes exis-                 Pierre Ouellet                 recueil dans la foulée des pré-      eux. La polyphonie d'un texte
tentiels de Benjamin devant sa        Le Noroît, Saint-Hippolyte,          cédents. L'écriture y est, fort      est une chose difficile.
future paternité : « Et toi, petit        1996, 90 p. ; 16,95 $            heureusement, un peu plus                Mais Décalage vers le bleu
con, penses-tu vraiment que ce                                             resserrée que dans l'avant-          est une belle réussite, un beau
soit le monde, la famille,           Je suis toujours surpris devant       dernier titre, même si le sen-       roman, ambitieux et sérieux,
l'époque où te poser ? Pas           la rapidité de Pierre Ouellet         timent d'être en face de procé-      plus polysémique que ce qu'il
encore là et déjà de mauvaises       qui, depuis 1989, a publié            dés d'écriture persiste. La          en est dit ici ; il montre l'écla-
fréquentations ! » Le mono-          douze titres (poésie, nouvelle,       formule est répétitive, voire        tement des noyaux de solida-
logue de Benjamin brosse en          roman et essai). Cette prolixité      redondante parfois : « Une           rité traditionnels et le repli sur
effet à grands traits le portrait    de l'auteur va de pair avec ce        ombre pèse / le poids de la          soi qui semble prendre le
des membres de la famille... et      qui semble au lecteur une dé-         lumière / - blessée », devient       relais.
raconte enfin les périples d'un      concertante facilité d'écriture.      plus loin « La parole pèse / le                          Denis Noreau
fœtus, cobaye d'une invrai-          La parole de Pierre Ouellet, du       poids de l'air :fraie// son sens
semblable transplantation.           moins dans sa poésie, est exem-       / dans les plus dures / réalités :
     La réflexion sur la paternité   plaire quant à sa régularité et       la chair » ; le rythme, trop sys-          NOUS LIRONS
se poursuit et prend une forme       à son formalisme rigoureux.           tématiquement cassé ; la ré-            DU BOUT DES YEUX
originale dans Des chrétiens et      Pierre Ouellet travaille la forme     flexion, prévisible ; la ponc-             Cynthia Girard
des Maures. Le Petit veut            du poème : il se fait sculpteur       tuation, lourde, excessive,               Écrits des Forges,
connaître l'identité de son père     de la poésie. Ici encore, avec        outrageuse... Tout cela conduit           Trois-Rivières, 1996,
et entreprend dans ce but une        Consolations, le geste de graver      à ne plus apprécier cette poésie               76 p . ; 10$
grève de la faim. Or, nul ne sait    apparaît sans bavure ; c'est          gouvernée par une nette
le nom de cet inconnu (sans          autrement que le poète sur-           absence de modestie.                 Ce percutant recueil amalgame
doute mort au moment de la           prend : l'effet pour le lecteur,                        Claude Paradis     intelligemment prose poétique
narration), dont, pourtant, le       tout comme lors de son précé-                                              et poèmes. Le ton général est
séjour particulier chez les          dent recueil (Le corps pain,                                               extrêmement critique - de la
Malaussène occupe une bonne          l'âme vin), n'est plus que            DECALAGE VERS LE BLEU                société actuelle, de la culture
partie du livre, lequel se ter-      cérébral, et il est fort difficile        Louise Bouchard                  postmoderne - et désabusé,
mine sur une chute digne de          d'éprouver à la lecture une              Les Herbes rouges,                exprimant à la fois une inté-
la nouvelle « Continuité des         émotion, un sentiment, voire                 Montréal, 1996,               riorité riche et profonde.
parcs » de Cortàzar. En effet,       même un quelconque plaisir.                  234 p. ; 16,95 $                 L'auteure nous confie : « Il
comme dans La rose pourpre           « [L] a nuit venue / son silence                                           y a des profusions / des morts
du Caire de Woody Allen, les         éclate : vérité nue // l'aube ne      Que faire contre le destin ?         en catastrophes / des yeux
niveaux narratifs se croisent et     rêve / qu'abîmes / où s'enfon-        Maria, foyer autour duquel           vides [...] Ne participez plus /
le père de l'enfant est le per-      cer : lit d'air. »                    gravite le récit, est envahie par    aux joies / Des malheurs / en
sonnage d'une fiction dans la           Inlassablement, l'auteur           un carcinome et lutte contre la      catacombes ». Mais un espoir
fiction. Cette paternité toute       ramène à un questionnement            mort. À tort ou à raison - mais      réside cependant dans l'écri-
littéraire dans laquelle Le Petit    philosophique, mais qui ne            chacun cherche la raison des         ture, dans l'acte poétique : « oui
se reconnaît est un bel hom-         nous atteint plus que par déri-       choses dans ce roman - Maria         la poésie existe toujours / au
mage au pouvoir des mots et          sion : tout a l'air de redites,       croit pouvoir échapper à la          gré des fouets ».
des histoires et n'a pas de quoi     comme du plaisir qu'aurait le         mort si l'homme qu'elle n'a                                Gilles Côté

                                                               IUIT       B L A N C H E
Fiction Nuit blanche - Érudit
COMMENTAIRES

F i c T i o N

      DIANE OU LA                  mort et sur l'écriture. Le pre-
CHASSERESSE SOLITAIRE              mier chapitre, entre autres,
      Carlos Fuentes               foisonne de propos intelligents
    Trad, de l'espagnol            d'une grande richesse philo-
      par Céline Uns               sophique. Cette sérénité d'es-
  Gallimard, Paris, 1996,          prit n'aurait sans doute pas été
     238 p. ; 39,50 S              possible sans le recul dont fait
                                   preuve le narrateur- alter ego de
Mexico, 31 décembre 1969.          l'auteur vis-à-vis d'événements
Une décennie secouée par           qui, somme toute, remontent à
d'immenses bouleversements         vingt-trois ans. Ultimement le
s'achève. Le narrateur, en ce      lecteur n'aura aucun mal à
soir de la Saint-Sylvestre, tra-   croire que pour ce narrateur-         Soulié ; à savoir les conver-        encore, comme Suzanne Jacob,
verse quant à lui sa crise de la   écrivain la véritable amante,         sations surprises qui réorien-       obligent à plus d'attention
quarantaine. Invité chez des       c'est la littérature. Et devant       tent le récit, les coïncidences et   de notre part. En refermant
amis avec sa femme, il en est à    cette grande dame investie du         les rencontres inattendues,          Les écrits de l'eau, je ne savais
s'interroger sur le complexe de    pouvoir de conférer l'immor-          l'intervention intempestive du       trop comment définir ce que je
Don Juan lorsqu'une magnifi-       talité, Diane apparaît comme          hasard, la mise à rude épreuve       venais de lire... J'ai mis le
que beauté blonde fait son         une pauvre mortelle qui n'aura        de la vraisemblance..., à quoi       recueil de côté quelques jours ;
apparition. Comment résister       pas survécu à la folie des            il faut ajouter, dans le cas         lorsque je m'y suis remis, je me
à la fascinante Diane Soren,       années 60.                            particulier de Bataille d'âmes,      suis senti interpellé très
actrice de cinéma, Américaine                     Louise Villemaire      un univers manichéen forte-          profondément. La force de
mariée à un célèbre romancier                                            ment souligné et l'omnipré-          Suzanne Jacob réside dans sa
français ? Don Juan contre                                               sence moralisatrice du narra-        capacité d'évoquer l'espace
Diane chasseresse ; qui l'em-          BATAILLE D'AMES                   teur. C'est pourquoi il est pour     intérieur où le monde nous est
portera à ce jeu dangereux de           Pamphile Le May                  le moins abusif de vouloir           donné : sa parole est un dia-
la séduction ?                         Éditions de la Huit,              convaincre le lecteur des « qua-     logue entre l'origine et main-
    À travers le récit d'une            Sainte-Foy, 1996,                lités spécifiques » des romans       tenant ; entre une femme et
liaison amoureuse foudroyante             345 p. ; 26 S                  de Pamphile Le May : « souples-      son enfant ; entre un être et ce
qui durera deux mois, Carlos                                             se de l'affabulation, expres-        qui le rattache, depuis tou-
Fuentes met en scène une           Rémi Ferland vient d'établir,         sivité des portraits, vivacité des   jours, à la terre... Son angoisse
Diane insaisissable, un peu        de présenter et d'annoter la          dialogues, finesse des descrip-      est aussi la nôtre, du moins elle
blanche, un peu noire, chan-       première édition du quatrième         tions et du style ». Bataille        nous la rappelle : « Tu as
geante comme la lune. Femme        et dernier roman de Pamphile          d'âmes n'est pas non plus « un       pleuré que tu n'avais pas
à l'identité incertaine, comé-     Le May, Bataille d'âmes, qui          des meilleurs exemples du            demandé à naître ».
dienne sur le déclin qui joue      n'avait connu jusque-là qu'une        roman d'aventures au Qué-                Le recueil progresse ainsi
mieux dans la vie qu'à l'écran,    unique parution en feuilleton,        bec ». Il importe de donner          par le regard de celle qui ob-
Diane Soren veut être autre        dans La Patrie de Montréal, au        l'heure juste et de ne pas           serve la vie depuis ses premiers
pour se trouver elle-même.         tournant du siècle. Il envisage       tomber dans le dithyrambe.           balbutiements. Nous revivons
Mangeuse d'hommes, elle mène       également de republier (sur du            L'introduction de Rémi           avec l'auteure le parcours diffi-
une vie à risques et confond la    papier moins rigide, espérons-        Ferland est fort sympathique         cile de toutes nos blessures, de
lutte contre l'oppression avec     le) Le pèlerin de Sainte-Anne,        pour l'auteur qui, au demeu-         toutes nos peines, de toutes
le sexe et le romantisme. Diane    Picounoc le maudit et L'affaire       rant, s'est illustré bien plus       nos haines contre le monde. Et
chasseresse, oui, mais triple-     Sougraine, du même auteur.            savamment dans le conte et la        le visage de la mère nous appa-
ment solitaire : parce qu'elle     L'entreprise a le mérite de           poésie ; mais ses propos des-        raît soudain dans toute sa di-
vit à Paris en étrangère, parce    donner accès à des ouvrages           servent, plus qu'ils ne la ser-      gnité : « Les cris du monde ont
que sa carrière périclite, parce   devenus introuvables et dont la       vent, son édition.                   crevé la brume / t'appelant
que son militantisme politique     valeur documentaire demeure.                          Jean-Guy Hudon       pour le début. / Tu t'es levé. /
la condamne au désespoir.              Mais là s'arrête la justi-                                             Tu as vu mon visage / vieilli
Cette fille du Middle West est     fication de la réédition d'œu-                                             d'un siècle et séparé du tien. /
en fait une idéaliste déçue qui    vres qui poussent le genre aux          LES ECRITS DE L'EAU/               Tu avais atteint grandeur des
court à sa perte.                  limites du supportable en                LES SEPT FENÊTRES                 hommes. »
    Loin de la banale histoire     puisant dans le vieil arsenal des            Suzanne Jacob                     Mais le poème se renverse
d'adultère, le récit est mené      trucs utilisés au Québec depuis          L'Hexagone, Montréal,             et nous voyons l'auteure de-
d'une main de maître par un        les de Gaspé (fils) (1837) et les         1996, 103 p.; 12,95$             venir l'enfant en quête de la
Carlos Fuentes en pleine           Doutre (1844), qui les ont eux-                                            mère, et c'est encore nous qui
maturité qui enrichit l'anec-      mêmes empruntés aux feuille-          Certains poètes ont une voix         nous lançons vers la mémoire
dote d'une réflexion sur la        tonistes populaires français          forte qui nous saisit dès la         pour retrouver les traces ou,
fuite du temps, sur Dieu, sur la   d'alors, principalement Sue et        première lecture. D'autres           mieux, pour les y inscrire

                                                    «S«S . N U I T     B L A N C H E   .   2 7
Fiction Nuit blanche - Érudit
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