Gouvernance, corruption et confiance a l'egard des institutions a Madagascar : Experience, perception et attentes de la population
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Afrobarometer Briefing Paper No. 140 Gouvernance, corruption et confiance a l’egard des institutions a Madagascar : Experience, perception et attentes de la population Par Joël Rakotomamonjy, Laetitia Razafimamonjy, Mireille Razafindrakoto, Désiré Razafindrazaka, François Roubaud, et Jean-Michel Wachsberger March 2014 1. Introduction La trajectoire de Madagascar sur longue période se caractérise par des crises sociopolitiques récurrentes (en 1972, 1991, 2001 et 2009) qui ont à chaque fois entraîné la chute du pouvoir en place et ont interrompu les dynamiques économiques positives amorcées (Razafindrakoto et alii, 2013). La dernière crise qui a débuté à la fin de 2008, et dont l'issue reste à ce jour incertaine malgré l'organisation des élections présidentielles et législatives au dernier trimestre 2013, a entrainé des conséquences dramatiques dans les domaines économiques et sociaux. Les indicateurs objectifs comme l'incidence de la pauvreté monétaire, qui s'élève à 92% en 2013 selon les estimations de la Banque mondiale (2013), mais également la perception par la population d'une dégradation massive de la situation économique et des conditions de vie attestent de l'ampleur du problème (Razafimamonjy et alii, 2013a). Ces constats mettent en évidence la forte imbrication entre les sphères politique et économique. La nécessité de ne pas se limiter aux seules variables économiques classiques pour comprendre et éclairer la situation à Madagascar est d'autant plus impérative que les Malgaches dénoncent dans leur grande majorité les problèmes de gouvernance. La mauvaise gestion des gouvernants, la corruption et les conflits politiques sont invoqués non seulement comme les causes de la dernière crise mais plus globalement comme le principal facteur blocage du développement du pays (Razafimamonjy et alii, 2013b). L’enquête Afrobaromètre 2013, qui fait suite à celles réalisées en 2005 et 2008, a justement été conçue pour répondre au formidable défi que représentent la mesure et le suivi de ces nouvelles dimensions du développement. Les résultats présentés dans cette étude cherchent à établir un diagnostic fiable et représentatif à l’échelle nationale dans ce domaine, en se focalisant d'une part sur l’expérience et la perception de la corruption par la population ainsi que sur l'efficacité de la politique de lutte contre la corruption, et d'autre part sur la confiance à l'égard des institutions. La comparaison des résultats de l’enquête Afrobaromètre 2013 avec ceux des vagues précédentes 1
mais également avec ceux des autres pays du continent donne l’occasion unique de mesurer et d'analyser concrètement les évolutions. Cette mise en perspective est d'autant plus opportune que toutes les enquêtes Afrobaromètre suivent la même méthodologie et sont de ce fait parfaitement comparables (voir encadré). 2. Source des données Les données que nous utilisons dans le cadre de ce travail sont issues de la cinquième série des enquêtes Afrobaromètre1 (Round 5) pour laquelle Madagascar est à sa troisième participation. Ceci étant, les données Afrobaromètre nous permettent de faire ici des comparaisons dans le temps. Elles nous offrent, en effet, un panel de variables sur les perceptions des citoyens malgaches sur la conjoncture socioéconomique nationale, les modes de gouvernance ainsi que le niveau de confiance aux institutions. Les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon sur lequel l’enquête a porté à Madagascar témoignent du respect de la représentativité des facteurs genre et milieu de résidence. L’échantillon Malgache formé de 1200 individus d’au moins 18 ans répartis à travers les 22 régions du pays, et distribués d’une part entre 50% de femmes et 50% d’hommes et d’autre part entre 25% d’urbains et 75% de ruraux pour une moyenne d’âge de 38 ans. Concernant le niveau d’instruction, 48% des enquêtés sont des non-scolarisés, 47% ont le niveau primaire, 5% le niveau secondaire et 2% ont au moins un niveau universitaire. 3. Une montée de la corruption 3.1 Des indicateurs subjectifs : la perception d'une corruption généralisée La corruption affecte tous les rouages de l’administration et la sphère politique. Aucune des institutions identifiées dans l’enquête n’y échappe selon les citoyens, en 2013 (graphique 1). Ainsi, 2 individus sur 3 (66 %) sont persuadés que la police est corrompue. Viennent ensuite les juges et magistrats : 57 % de la population affirment qu’au moins certains d’entre eux pratiquent la corruption, cette proportion atteignant même 83% si on exclut les individus qui considèrent ne pas avoir assez d’éléments pour répondre à la question. Après la police et la justice, près d’1 Malgache sur 2 (48 %) sont convaincus qu’au moins certains agents des impôts et des douanes sont corrompus. 1 Afrobaromètre est un vaste projet de recherche qui procède dans 35 pays d’Afrique à des collectes de données sur l’opinion des citoyens Africains sur la gouvernance, la démocratie, les réformes économiques et institutionnelles, la société civile et la qualité de vie. Il est conduit par l’Institute for Justice and Reconciliation in South Africa « Institut pour la justice et la réconciliation en Afrique du Sud », l’Institut de Recherche Empirique en Economie Politique (IREEP-Bénin) et le Ghana Center for Democratic Development (CDD-Ghana), sous la coordination de l’Université de Michigan (USA). A Madagascar, les collectes de données du Round5 se sont déroulées en Mars 2013. www.afrobarometer.org 2
Figure 1 : Perception du niveau de la corruption par institutions en 2013 25 31 23 43 46 41 58 57 11 32 12 16 8 11 33 6 6 27 28 24 31 22 22 27 19 23 28 8 9 10 9 13 4 5 5 5 5 5 7 5 Tous La plupart d'entre eux Certains d'entre eux Aucun NSP « Selon vous, combien de personnes des groupes suivants sont impliquées dans des affaires de corruption, ou n’êtes- vous pas assez familiers avec eux pour donner votre opinion ? ». Note : NSP Ne sait pas. Si l’on se penche sur les institutions politiques, on constate que seuls respectivement 37 % et 36 % des Malgaches affirment que les membres du Congrès de la Transition (CT) et du Conseil Supérieur de la Transition (CST) sont touchés par ce phénomène. Toutefois, lorsqu'on ne considère que les enquêtés qui estiment avoir des informations pour se prononcer, 86 % d'entre eux dénoncent la pratique de la corruption chez les membres du CT et CST2. A peine 6% de l'ensemble de la population sont convaincus que les membres de ces deux institutions sont entièrement intègres. Par ailleurs, seule une faible proportion de la population (respectivement 16% et 8%) estime que l’entourage du Président et les membres du gouvernement sont tous intègres. Les conseillers communaux se distinguent en revanche en recueillant près d'un tiers d'opinions très positives à leur égard (32% des Malgaches soulignent la parfaite intégrité de ces conseillers). La comparaison des résultats de 2013 avec ceux de 2005 et 2008 montre que le classement des institutions en matière de corruption perçue évolue assez peu, les policiers, les juges et magistrats, et les agents du fisc figurant toujours parmi les institutions les plus touchées. Parallèlement, si on ne considère que la population informée et qui donne un avis, la perception de la corruption tend à s'accroître au fil des années (graphique 2). Le pourcentage de ceux qui décrient la corruption au niveau de la présidence ou des membres du gouvernement est de plus en plus élevée. On aboutit au même constat si on compare la perception de la corruption concernant les membres du CT en 2013 à celle touchant l'Assemblée Nationale en 2005 et 2008. Globalement, la perception de la corruption bureaucratique est en léger recul par rapport à 2008. A contrario, la corruption politique est en hausse, à l'exception des conseillers municipaux / communaux qui sont considérés comme plus intègres. Nous reviendrons sur ce découplage entre représentations nationale et locale. 2 Depuis 2009, l’Assemblée Nationale a été remplacée par un Conseil de la Transition et le sénat par un Conseil Supérieur de la Transition. Les membres de ces deux assemblées n’ont pas été élus mais nommés. L’importance des non-réponses à toute les questions portant sur les membres du CT ou du CST semble indiquer que beaucoup d’enquêtés pourraient ne pas connaître ces appellations. 3
Figure 2 : Evolution de la corruption perçue par institution entre 2005 et 2013 100 en % des opinions exprimées 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 2005 2008 2013 « Selon vous, combien de personnes des groupes suivants sont impliquées dans des affaires de corruption, ou n’êtes- vous pas assez familiers avec eux pour donner votre opinion ? Il s'agit du % d'enquêtés ayant répondu « Tous », « La plupart » ou « Certains d'entre eux ». Note : le graphique considère la situation des membres du CT en 2013 pour les comparer aux députés en 2005 et 2008. 3.2 Des indicateurs objectifs : une hausse de l’incidence réelle de la corruption L’enquête Afrobaromètre permet de conforter les indicateurs subjectifs de perception par des mesures objectives des dysfonctionnements réels des institutions. Le premier constat est celui de l’importance de la corruption en 2013, avec un pourcentage élevé de victimes : 22 % de ceux qui ont fait des démarches pour l’obtention de documents officiels, 20% de ceux qui ont été au dispensaire ou à l'hôpital pour se soigner, 14% de ceux qui ont inscrit leurs enfants à l'école primaire public et 15 % de ceux qui ont eu un contact avec la police y ont été soumis. Tableau 2 : Incidence de la corruption entre 2005 et 2013 Victime de la corruption (% sur l'ensemble de la population) Total Urbain Rural 2005 2008 2013 2005 2008 2013 2005 2008 2013 Pour l’obtention d’un document 13 8 13 15 10 16 12 8 13 officiel ou d’une autorisation Avec la Police 7 3 6 9 5 8 6 2 6 Victime de la corruption (% sur l'ensemble des usagers) Total Urbain Rural 2005 2008 2013 2005 2008 2013 2005 2008 2013 Pour l’obtention d’un document 18 15 22 19 16 26 18 15 22 officiel ou d’une autorisation Avec la Police 14 8 15 16 10 19 14 7 15 « Au cours de l'année écoulée, combien de fois (si c’est arrivé) avez-vous eu à payer un pot de vin, à offrir un cadeau ou à accorder une faveur à des agents de l'Etat ? » Dans deux des services qui sont à la fois les plus sollicités par la population et où l'incidence de la corruption est structurellement la plus élevée, le phénomène a clairement augmenté. De 2008 à 2013, le pourcentage de victimes rapporté à l’ensemble de la population est passé de 8 % à 13 % pour l’obtention de documents officiels ou d’autorisations, et de 3 % à 6 % dans les contacts 4
avec la police. Ce diagnostic reste valable même si on ne considère que les usagers, à savoir ceux qui ont effectué une démarche auprès des services concernés au cours de l’année 3. Pour ces derniers, l’incidence passe respectivement de 15 % à 22 % et de 8 % à 15 %). Cette hausse est constatée aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. On retrouve ainsi les niveaux de l'année 2005, alors que la corruption tendait à baisser de 2005 à 2008. Comme nous venons de le voir, il est important de prendre en compte l'évolution de la proportion de citoyens en contact avec les administrations, et celle-ci peut varier d'une année à l'autre. Cette proportion a globalement peu évolué entre 2008 et 2013. Toutefois les contacts sont clairement moins fréquents qu'en 2005 quelles que soient les administrations concernées. L'interprétation de ce résultat n'est pas aisée. Une moindre fréquentation des services publics par la population pourrait s’expliquer par une amélioration de leur efficacité. Mais à l’inverse, elle pourrait aussi être la marque de difficultés croissantes d’accès aux services publics du fait de la compression du pouvoir d’achat et d’une perte de confiance dans ces institutions : .Les citoyens appauvris et découragés par la faible qualité des services et par la corruption, pourraient limiter les démarches administratives. Compte tenu de la dégradation de la situation économique à Madagascar et de la déliquescence des institutions (voir infra), la deuxième interprétation est la plus plausible. Tableau 3 : Pourcentage de la population n’ayant pas effectué de démarches administratives Pas de contact avec les institutions concernées (%) 2005 2008 2013 Pour l’obtention d’un document 31 44 40 officiel ou d’une autorisation Services eau /installations sanitaires 65 64 73 Dispensaire, hôpital 20 nd 29 Inscription école primaire 34 nd 42 Police 54 61 60 Note : nd (non disponibles), la question n'ayant pas été posée en 2008. 3.3 L’importance du rôle des médias Dans le contexte de prévalence massive de la corruption, les médias ont un rôle important à jouer pour dévoiler les cas avérés et suivre les évolutions du phénomène. Non seulement une majorité des Malgaches le réclament mais ils sont de plus en plus nombreux à en être convaincu (graphique 3). Au total, 72 % de la population en 2013 considèrent que les médias doivent constamment enquêter et publier sur la corruption et les problèmes de gouvernance (61% en 2008). Ils ne sont que 12 % à considérer que « trop de publications » sur les affaires de corruption pourraient être nuisibles pour le pays (16% en 2008). Ce constat est valable aussi bien en milieu urbain qu'à la campagne. 3 Une des modalités de réponse à la question est « N’a pas eu de contact avec l’administration concernée ». On rappellera que la question du contact, clef pour l'analyse de la corruption, a été introduite dans toutes les enquêtes Afrobaromètre depuis la deuxième vague (en 2005 pour Madagascar), à notre instigation. 5
Figure 3 : Le rôle potentiel des médias dans la lutte contre la corruption en 2008 et 2013 6% 5% 12% 17% 1% 3% 14% 2% 11% 21% Ne sait pas 19% 2% 12% 4% 12% 4% 16% 16% En désaccord avec Affirmation 1 et 2 82% 74% 73% 71% 63% 59% D'accord / Tout à fait d'accord avec affirmation 2 D'accord / Tout à fait 2013 2018 2013 2018 2013 2018 d'accord avec affirmation 1 Madagascar Urbain Rural Laquelle des affirmations suivantes est la plus proche de votre opinion ? Affirmation 1: Les médias devraient constamment enquêter et publier sur la corruption et les erreurs du Gouvernement. Affirmation 2: Trop de publications sur les évènements négatifs comme la corruption et les erreurs du Gouvernement sont nuisibles au pays Si en milieu rural, ceux qui sont en faveur des dénonciations publiques à travers les journaux sont moins nombreux, la population ne se positionne pas pour autant contre une telle démarche. En fait, une plus forte proportion de ruraux a du mal à exprimer son avis. Ce résultat révèle sans doute la nécessité d’une plus grande sensibilisation au phénomène de corruption et plus généralement aux problèmes de gouvernance en milieu rural. Sachant que la population souhaite que les médias jouent un rôle dans la dénonciation des affaires de corruption et plus globalement de problèmes de gouvernance, on peut s'interroger dans quelle mesure la presse est efficace dans ce domaine. L'appréciation des citoyens tend à montrer que la presse malgache ne joue pas efficacement ce rôle d'information et d'alerte pour permettre aux citoyens de suivre et de réagir aux dérives en matière de gouvernance (graphique 4). Au total, 29 % seulement de la population considère que la presse est très ou assez efficace « pour révéler les erreurs du gouvernement ou les cas de corruption ». Les opinions sont toutefois contrastées suivant le milieu : 40 % des urbains donnent un avis positif sur l'efficacité de la presse alors qu'ils ne sont que 26 % en milieu rural à partager un tel point de vue. Soulignons toutefois que cette différence découle essentiellement d'une proportion plus importante de personnes en milieu rural qui estiment ne pas pouvoir répondre faute d'information. 6
Figure 4 : Efficacité réelle des médias dans la lutte contre la corruption en 2008 et 2013 11 27 21 32 34 40 32 29 26 26 44 49 47 42 41 Madagascar Urbain Rural Homme Femme Pas du tout / Pas très efficace Assez/ très efficace Ne sait pas « Dans ce pays, à quel point est-ce que la presse est efficace pour révéler les erreurs du gouvernement ou les cas de corruption? » 4. Une dégradation de la confiance à l'égard des institutions En toute logique, un niveau élevé de corruption (perçu ou réel) devrait se traduire en un phénomène de défiance à l'égard des institutions, d'autant plus important que la corruption y est répandue. C'est cette relation que nous explorons dans cette seconde partie. D'un point de vue général, le degré de confiance de la population à l'égard des institutions est globalement faible (graphique 5). Ceux qui déclarent faire entièrement ou partiellement confiance au Président, à la police ou à l'armée représentent la moitié de la population. Ils sont 40% concernant la Commission électorale et les tribunaux, alors que moins de 30% font entièrement ou partiellement confiance à la direction des impôts et aux partis qu'ils soient dans la mouvance présidentielle ou dans l'opposition. Enfin, les membres des deux Congrès (CST et CT) sont ceux qui inspirent le moins confiance. Parmi toutes les institutions mentionnées dans l'enquête, seuls les conseillers communaux échappent à ce verdict sans appel avec une majorité significative (61%) déclarant leur confiance (entière ou partielle). 7
Figure 5 : Indice de confiance par institution en 2013 11 10 13 15 18 31 27 33 40 28 52 53 32 40 37 44 19 41 46 40 61 31 31 53 51 51 41 39 28 28 28 17 16 Conseil Président Police Armée CENI-T Tribunaux Parti Mouv. Parti Dir. Impôts Congrès de CST communal Présid d'opposition la Transition Très/ partiellement confiance Juste un peu / Pas du tout confiance NSP Faites-vous confiance à chacune des institutions suivantes, ou n’en avez-vous pas suffisamment entendu parler ? La comparaison des résultats dans le temps montre un recul en 2013 pour la plupart des institutions (graphique 6). C'est le cas pour le Président (président élu et le président de la transition) et le parti au pouvoir. Ca l'est aussi pour les membres du CT si on les compare aux députés de 2005 et 2008. Enfin, la police, la justice et l'armée sont également affectées par un sentiment accru de défiance de la part des citoyens malgaches. Les deux seules institutions qui échappent à ce recul de confiance sont les autorités locales et les partis d'opposition, mais qui partait d'un niveau extrêmement faible en 2005 comme en 2008. Ce mouvement de ciseau entre parti au pouvoir et partis d'opposition est la marque d'une polarisation croissante de la vie politique à Madagascar. 8
Figure 6 : Evolution de l'indice de confiance institutionnelle entre 2005 et 2013 51 Armée 54 39 Justice 40 43 51 Police 52 56 28 Partis d'opposition 13 15 28 Parti au pouvoir 49 50 61 Conseillers municipaux 55 59 41 Commission électorale indépendante 41 49 17 Assemblée Nationale (ou CT en 2013) 47 47 53 Président 68 67 0 10 20 30 40 50 60 70 2013 2008 2005 Faites-vous confiance à chacune des institutions suivantes, ou n’en avez-vous pas suffisamment entendu parler ? Si maintenant on croise les deux phénomènes, on observe une nette corrélation entre la méfiance à l’égard des institutions et l’ampleur de la corruption qui les affecte, comme le montre le graphique 7. Seule la police fait exception avec un indice de confiance plutôt élevé, ce qui est paradoxal compte tenu de son classement parmi les institutions les plus corrompues. Malgré la corruption endémique, les Malgaches se montrent relativement satisfaits de leur police au regard de la fonction de maintien de l’ordre qu’elle peut assurer. Il existe en revanche un bon niveau d’adéquation entre méfiance et ampleur de la corruption pour la justice, ainsi que les agents des impôts. Ces derniers sont considérés par la population comme parmi les plus corrompus, ce qui explique le niveau de confiance faible qu’ils inspirent. Figure 7 : Perception de la corruption au sein des institutions et manque de confiance Police Impôts % La plupart ou tous 40% Tribunaux corrompus 30% CT CST Chef de l'Etat 20% y = 0.4738x + 0.095 Conseil municipal R² = 0.3676 10% 30% 35% 40% 45% 50% 55% 60% 65% 70% % Peu ou pas confiance La gravité de la situation en termes de niveaux de confiance et de perception de la corruption à Madagascar peut également être mesurée à l'aune de celle des autres pays du continent africain. La comparaison des résultats entre les pays permet de conforter le diagnostic établi. Pour toutes 9
les institutions, Madagascar se classe systématiquement parmi les pays où le degré de confiance est le plus faible. A titre d'exemple, le niveau de confiance dans le Président malgache figure parmi les 6 derniers avec la Côte d'Ivoire, le Mali, le Nigéria. La confiance des Malgaches à l'égard du parti au pouvoir mais également des juges et magistrats est au plus bas : Madagascar se plaçant pour ces deux institutions en avant-dernière position parmi la trentaine de pays inclus dans la comparaison. L’exception à cette règle générale concerne les conseillers communaux dont le niveau de perception de la corruption est le plus faible d'Afrique. De façon cohérente, la grande Ile fait également partie des six pays où le degré de confiance à l'égard des conseillers communaux est les plus élevés. 5. Conclusion Les données des enquêtes Afrobaromètre réalisées en 2005, 2008 et 2013 donnent les moyens de suivre dans le temps l'évolution de la situation à Madagascar en matière de gouvernance. Dans un contexte où Madagascar doit s'engager dans un processus de reconstruction économique, sociale, politique et institutionnelle, après plus de quatre ans de crise, disposer d'un état des lieux chiffré, fiable et précis est indispensable. La perspective comparative avec les autres pays du continent apporte un éclairage utile. Les résultats des analyses permettent de mesurer l'ampleur des problèmes et d'identifier les institutions où ils sont particulièrement aigus. L'appréciation de la population n'autorise aucun doute sur l'étendue de la corruption et la nécessité d'inscrire la lutte contre ce fléau parmi les priorités. Les Malgaches perçoivent la corruption comme un phénomène endémique qui affecte tous les rouages de l’administration et surtout la sphère politique. Un certain nombre d’indicateurs montrent un net recul de la situation depuis 2008. D’une part, ceux qui dénoncent ce problème aujourd’hui sont plus nombreux qu’en 2008. D’autre part, l’incidence réelle de la corruption (ceux qui ont été personnellement touchés) a augmenté. En fonction des services, entre une à deux personnes sur dix ayant entrepris des démarches administratives en 2013 ont été victimes de la corruption. De plus, un nombre croissant de Malgaches déclare ne pas avoir eu de contact avec les services de l’administration, signe des difficultés croissantes d’accès aux services publics. En lien avec la question de la corruption, les analyses mettent également en exergue la faiblesse de la confiance que les citoyens accordent aux institutions. Des politiques de réforme et de réhabilitation, ainsi que de sensibilisation des citoyens pour le contrôle et le suivi des actions des gouvernants, devraient donc être engagés pour remédier au discrédit croissant qui affecte les institutions. Références Banque mondiale (2013), Madagascar. Poverty, Gender and Inequality Assessment, PREM, Africa Region, Banque mondiale, Washington DC. Razafindrakoto M., Roubaud F., Wachsberger J.-M. (2013), « Institutions, gouvernance et croissance de long terme à Madagascar : l'énigme et le paradoxe », DIAL, Document de Travail 2013-13, Paris [http://www.dial.ird.fr/publications/documents-de-travail-working- papers#chapitre_1]. 10
Razafimamonjy L., Razafindrakoto M., Razafindrazaka D., Roubaud F., Wachsberger J.-M. (2013), « Perception des Malgaches de la situation socio-économique du pays et de leur condition de vie. Premiers résultats de l'enquête Afrobaromètre 2013 », septembre. [http://www.dial.ird.fr/enquetes-statistiques/enquetes-afrobarometre] Razafimamonjy L., Razafindrakoto M., Razafindrazaka D., Roubaud F., Wachsberger J.-M. (2013), « Les principaux facteurs de blocage au développement de Madagascar selon les citoyens. Premiers résultats de l'enquête Afrobaromètre 2013 », septembre. [http://www.dial.ird.fr/enquetes-statistiques/enquetes-afrobarometre] Joël Rakotomamonjy, Laetitia Razafimamonjy, et Désiré Razafindrazaka sont avec COEF Ressources, Madagascar: coef-re@moov.mg Mireille Razafindrakoto, François Roubaud, et Jean-Michel Wachsberger sont avec le Centre de recherche européen en économie du développement (DIAL), Paris. Afrobaromètre, projet collaboratif de recherche par enquêtes, est conduit par un réseau de spécialistes des sciences sociales de plus de 30 pays africains. La coordination générale du projet est assurée par le Centre pour le développement démocratique (CDD-Ghana). Au niveau régional, les principaux partenaires coordonnent les enquêtes et les autres activités : l’Institut de Justice et Réconciliation (IJR) en Afrique du Sud, l’Institut de recherche empirique en économie politique (IREEP) au Bénin, et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) à l’université de Nairobi au Kenya. L’Université d’État du Michigan et l’Université de Cape Town fournissent des services de soutien analytique et technique. Le réseau Afrobaromètre remercie vivement le Département britannique pour le développement international (DfID), l’Agence suédoise de coopération pour le développement international (ASDI), l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), la Banque Mondiale, et la Fondation Mo Ibrahim pour leurs généreuses contributions. Les subventions des donateurs permettent de soutenir la recherche, le renforcement des capacités et les activités externes des Rounds 5 et 6 de Afrobaromètre (2011-2015). Pour plus d’informations, visitez notre site : www.afrobarometer.org 11
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