Gouvernance, corruption et confiance a l'egard des institutions a Madagascar : Experience, perception et attentes de la population

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Afrobarometer Briefing Paper No. 140

                                                    Gouvernance, corruption et
                                                    confiance a l’egard des
                                                    institutions a Madagascar :
                                                    Experience, perception et
                                                    attentes de la population
                                                    Par Joël Rakotomamonjy, Laetitia
                                                    Razafimamonjy, Mireille Razafindrakoto,
                                                    Désiré Razafindrazaka, François Roubaud, et
                                                    Jean-Michel Wachsberger

                                                    March 2014

1. Introduction

La trajectoire de Madagascar sur longue période se caractérise par des crises sociopolitiques
récurrentes (en 1972, 1991, 2001 et 2009) qui ont à chaque fois entraîné la chute du pouvoir en
place et ont interrompu les dynamiques économiques positives amorcées (Razafindrakoto et alii,
2013). La dernière crise qui a débuté à la fin de 2008, et dont l'issue reste à ce jour incertaine
malgré l'organisation des élections présidentielles et législatives au dernier trimestre 2013, a
entrainé des conséquences dramatiques dans les domaines économiques et sociaux. Les
indicateurs objectifs comme l'incidence de la pauvreté monétaire, qui s'élève à 92% en 2013
selon les estimations de la Banque mondiale (2013), mais également la perception par la
population d'une dégradation massive de la situation économique et des conditions de vie
attestent de l'ampleur du problème (Razafimamonjy et alii, 2013a).

Ces constats mettent en évidence la forte imbrication entre les sphères politique et économique.
La nécessité de ne pas se limiter aux seules variables économiques classiques pour comprendre
et éclairer la situation à Madagascar est d'autant plus impérative que les Malgaches dénoncent
dans leur grande majorité les problèmes de gouvernance. La mauvaise gestion des gouvernants,
la corruption et les conflits politiques sont invoqués non seulement comme les causes de la
dernière crise mais plus globalement comme le principal facteur blocage du développement du
pays (Razafimamonjy et alii, 2013b).

L’enquête Afrobaromètre 2013, qui fait suite à celles réalisées en 2005 et 2008, a justement été
conçue pour répondre au formidable défi que représentent la mesure et le suivi de ces nouvelles
dimensions du développement. Les résultats présentés dans cette étude cherchent à établir un
diagnostic fiable et représentatif à l’échelle nationale dans ce domaine, en se focalisant d'une part
sur l’expérience et la perception de la corruption par la population ainsi que sur l'efficacité de la
politique de lutte contre la corruption, et d'autre part sur la confiance à l'égard des institutions. La
comparaison des résultats de l’enquête Afrobaromètre 2013 avec ceux des vagues précédentes

                                                                                                      1
mais également avec ceux des autres pays du continent donne l’occasion unique de mesurer et
d'analyser concrètement les évolutions. Cette mise en perspective est d'autant plus opportune que
toutes les enquêtes Afrobaromètre suivent la même méthodologie et sont de ce fait parfaitement
comparables (voir encadré).

2. Source des données

Les données que nous utilisons dans le cadre de ce travail sont issues de la cinquième série des
enquêtes Afrobaromètre1 (Round 5) pour laquelle Madagascar est à sa troisième participation.
Ceci étant, les données Afrobaromètre nous permettent de faire ici des comparaisons dans le
temps. Elles nous offrent, en effet, un panel de variables sur les perceptions des citoyens
malgaches sur la conjoncture socioéconomique nationale, les modes de gouvernance ainsi que le
niveau de confiance aux institutions.

Les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon sur lequel l’enquête a porté à
Madagascar témoignent du respect de la représentativité des facteurs genre et milieu de
résidence. L’échantillon Malgache formé de 1200 individus d’au moins 18 ans répartis à travers
les 22 régions du pays, et distribués d’une part entre 50% de femmes et 50% d’hommes et
d’autre part entre 25% d’urbains et 75% de ruraux pour une moyenne d’âge de 38 ans.
Concernant le niveau d’instruction, 48% des enquêtés sont des non-scolarisés, 47% ont le niveau
primaire, 5% le niveau secondaire et 2% ont au moins un niveau universitaire.

3. Une montée de la corruption

3.1 Des indicateurs subjectifs : la perception d'une corruption généralisée
La corruption affecte tous les rouages de l’administration et la sphère politique. Aucune des
institutions identifiées dans l’enquête n’y échappe selon les citoyens, en 2013 (graphique 1).
Ainsi, 2 individus sur 3 (66 %) sont persuadés que la police est corrompue. Viennent ensuite les
juges et magistrats : 57 % de la population affirment qu’au moins certains d’entre eux pratiquent
la corruption, cette proportion atteignant même 83% si on exclut les individus qui considèrent ne
pas avoir assez d’éléments pour répondre à la question. Après la police et la justice, près d’1
Malgache sur 2 (48 %) sont convaincus qu’au moins certains agents des impôts et des douanes
sont corrompus.

1
  Afrobaromètre est un vaste projet de recherche qui procède dans 35 pays d’Afrique à des collectes de données sur
l’opinion des citoyens Africains sur la gouvernance, la démocratie, les réformes économiques et institutionnelles, la
société civile et la qualité de vie. Il est conduit par l’Institute for Justice and Reconciliation in South Africa « Institut
pour la justice et la réconciliation en Afrique du Sud », l’Institut de Recherche Empirique en Economie Politique
(IREEP-Bénin) et le Ghana Center for Democratic Development (CDD-Ghana), sous la coordination de l’Université
de Michigan (USA). A Madagascar, les collectes de données du Round5 se sont déroulées en Mars 2013.
www.afrobarometer.org

                                                                                                                           2
Figure 1 : Perception du niveau de la corruption par institutions en 2013

        25                                                                        31          23
                                               43        46           41
                      58          57                                                          11
        32                                                                        12
                                               16         8           11                      33
                       6           6                                              27
                                                         28           24
        31            22          22           27
                                                                      19          23          28
        8             9           10           9         13
        4             5            5           5          5            5           7           5

               Tous        La plupart d'entre eux   Certains d'entre eux     Aucun      NSP

« Selon vous, combien de personnes des groupes suivants sont impliquées dans des affaires de corruption, ou n’êtes-
vous pas assez familiers avec eux pour donner votre opinion ? ». Note : NSP Ne sait pas.

Si l’on se penche sur les institutions politiques, on constate que seuls respectivement 37 % et 36
% des Malgaches affirment que les membres du Congrès de la Transition (CT) et du Conseil
Supérieur de la Transition (CST) sont touchés par ce phénomène. Toutefois, lorsqu'on ne
considère que les enquêtés qui estiment avoir des informations pour se prononcer, 86 % d'entre
eux dénoncent la pratique de la corruption chez les membres du CT et CST2. A peine 6% de
l'ensemble de la population sont convaincus que les membres de ces deux institutions sont
entièrement intègres. Par ailleurs, seule une faible proportion de la population (respectivement
16% et 8%) estime que l’entourage du Président et les membres du gouvernement sont tous
intègres. Les conseillers communaux se distinguent en revanche en recueillant près d'un tiers
d'opinions très positives à leur égard (32% des Malgaches soulignent la parfaite intégrité de ces
conseillers).

La comparaison des résultats de 2013 avec ceux de 2005 et 2008 montre que le classement des
institutions en matière de corruption perçue évolue assez peu, les policiers, les juges et
magistrats, et les agents du fisc figurant toujours parmi les institutions les plus touchées.
Parallèlement, si on ne considère que la population informée et qui donne un avis, la perception
de la corruption tend à s'accroître au fil des années (graphique 2). Le pourcentage de ceux qui
décrient la corruption au niveau de la présidence ou des membres du gouvernement est de plus
en plus élevée. On aboutit au même constat si on compare la perception de la corruption
concernant les membres du CT en 2013 à celle touchant l'Assemblée Nationale en 2005 et 2008.
Globalement, la perception de la corruption bureaucratique est en léger recul par rapport à 2008.
A contrario, la corruption politique est en hausse, à l'exception des conseillers municipaux /
communaux qui sont considérés comme plus intègres. Nous reviendrons sur ce découplage entre
représentations nationale et locale.

2
 Depuis 2009, l’Assemblée Nationale a été remplacée par un Conseil de la Transition et le sénat par un Conseil
Supérieur de la Transition. Les membres de ces deux assemblées n’ont pas été élus mais nommés. L’importance des
non-réponses à toute les questions portant sur les membres du CT ou du CST semble indiquer que beaucoup
d’enquêtés pourraient ne pas connaître ces appellations.

                                                                                                                 3
Figure 2 : Evolution de la corruption perçue par institution entre 2005 et 2013
                                 100
   en % des opinions exprimées

                                  90
                                  80
                                  70
                                  60
                                  50
                                  40
                                  30
                                  20
                                  10
                                   0

                                                2005    2008    2013

« Selon vous, combien de personnes des groupes suivants sont impliquées dans des affaires de corruption, ou n’êtes-
vous pas assez familiers avec eux pour donner votre opinion ? Il s'agit du % d'enquêtés ayant répondu « Tous », «
La plupart » ou « Certains d'entre eux ».
Note : le graphique considère la situation des membres du CT en 2013 pour les comparer aux députés en 2005 et
2008.

3.2 Des indicateurs objectifs : une hausse de l’incidence réelle de la corruption
L’enquête Afrobaromètre permet de conforter les indicateurs subjectifs de perception par des
mesures objectives des dysfonctionnements réels des institutions. Le premier constat est celui de
l’importance de la corruption en 2013, avec un pourcentage élevé de victimes : 22 % de ceux qui
ont fait des démarches pour l’obtention de documents officiels, 20% de ceux qui ont été au
dispensaire ou à l'hôpital pour se soigner, 14% de ceux qui ont inscrit leurs enfants à l'école
primaire public et 15 % de ceux qui ont eu un contact avec la police y ont été soumis.

Tableau 2 : Incidence de la corruption entre 2005 et 2013
                                              Victime de la corruption (% sur l'ensemble de la population)
                                              Total                      Urbain                      Rural
                                       2005   2008     2013       2005    2008     2013     2005     2008     2013
Pour l’obtention d’un document
                                       13       8       13         15       10      16        12          8    13
officiel ou d’une autorisation
Avec la Police                          7       3        6          9        5       8        6           2    6

                                                Victime de la corruption (% sur l'ensemble des usagers)
                                              Total                      Urbain                      Rural
                                       2005   2008     2013       2005    2008     2013     2005     2008     2013
Pour l’obtention d’un document
                                       18      15       22         19       16      26        18       15      22
officiel ou d’une autorisation
Avec la Police                         14       8       15         16       10      19        14          7    15
« Au cours de l'année écoulée, combien de fois (si c’est arrivé) avez-vous eu à payer un pot de vin, à offrir un
cadeau ou à accorder une faveur à des agents de l'Etat ? »

Dans deux des services qui sont à la fois les plus sollicités par la population et où l'incidence de
la corruption est structurellement la plus élevée, le phénomène a clairement augmenté. De 2008 à
2013, le pourcentage de victimes rapporté à l’ensemble de la population est passé de 8 % à 13 %
pour l’obtention de documents officiels ou d’autorisations, et de 3 % à 6 % dans les contacts

                                                                                                                     4
avec la police. Ce diagnostic reste valable même si on ne considère que les usagers, à savoir ceux
qui ont effectué une démarche auprès des services concernés au cours de l’année 3. Pour ces
derniers, l’incidence passe respectivement de 15 % à 22 % et de 8 % à 15 %). Cette hausse est
constatée aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. On retrouve ainsi les niveaux de l'année
2005, alors que la corruption tendait à baisser de 2005 à 2008.

Comme nous venons de le voir, il est important de prendre en compte l'évolution de la proportion
de citoyens en contact avec les administrations, et celle-ci peut varier d'une année à l'autre. Cette
proportion a globalement peu évolué entre 2008 et 2013. Toutefois les contacts sont clairement
moins fréquents qu'en 2005 quelles que soient les administrations concernées. L'interprétation de
ce résultat n'est pas aisée. Une moindre fréquentation des services publics par la population
pourrait s’expliquer par une amélioration de leur efficacité. Mais à l’inverse, elle pourrait aussi
être la marque de difficultés croissantes d’accès aux services publics du fait de la compression du
pouvoir d’achat et d’une perte de confiance dans ces institutions : .Les citoyens appauvris et
découragés par la faible qualité des services et par la corruption, pourraient limiter les démarches
administratives. Compte tenu de la dégradation de la situation économique à Madagascar et de la
déliquescence des institutions (voir infra), la deuxième interprétation est la plus plausible.

Tableau 3 : Pourcentage de la population n’ayant pas effectué de démarches
administratives
                                                   Pas de contact avec les institutions concernées (%)
                                                 2005                    2008                      2013
Pour l’obtention d’un document
                                                  31                      44                       40
officiel ou d’une autorisation
Services eau /installations sanitaires            65                      64                       73
Dispensaire, hôpital                              20                      nd                       29
Inscription école primaire                        34                      nd                       42
Police                                            54                      61                       60
Note : nd (non disponibles), la question n'ayant pas été posée en 2008.

3.3 L’importance du rôle des médias
Dans le contexte de prévalence massive de la corruption, les médias ont un rôle important à jouer
pour dévoiler les cas avérés et suivre les évolutions du phénomène. Non seulement une majorité
des Malgaches le réclament mais ils sont de plus en plus nombreux à en être convaincu
(graphique 3). Au total, 72 % de la population en 2013 considèrent que les médias doivent
constamment enquêter et publier sur la corruption et les problèmes de gouvernance (61% en
2008). Ils ne sont que 12 % à considérer que « trop de publications » sur les affaires de
corruption pourraient être nuisibles pour le pays (16% en 2008). Ce constat est valable aussi bien
en milieu urbain qu'à la campagne.

3
  Une des modalités de réponse à la question est « N’a pas eu de contact avec l’administration concernée ». On
rappellera que la question du contact, clef pour l'analyse de la corruption, a été introduite dans toutes les enquêtes
Afrobaromètre depuis la deuxième vague (en 2005 pour Madagascar), à notre instigation.

                                                                                                                    5
Figure 3 : Le rôle potentiel des médias dans la lutte contre la corruption en 2008 et 2013

                             6%         5%
       12%       17%        1%         3%     14%
        2%                 11%                            21%          Ne sait pas
                                       19%     2%
       12%        4%                          12%         4%
                 16%
                                                          16%
                                                                       En désaccord avec
                                                                       Affirmation 1 et 2
                           82%
       74%                             73%    71%
                 63%                                      59%          D'accord / Tout à fait
                                                                       d'accord avec affirmation 2

                                                                       D'accord / Tout à fait
      2013      2018      2013     2018      2013      2018            d'accord avec affirmation 1
       Madagascar             Urbain              Rural

Laquelle des affirmations suivantes est la plus proche de votre opinion ?
Affirmation 1: Les médias devraient constamment enquêter et publier sur la corruption et les erreurs du
Gouvernement.
Affirmation 2: Trop de publications sur les évènements négatifs comme la corruption et les erreurs du
Gouvernement sont nuisibles au pays

Si en milieu rural, ceux qui sont en faveur des dénonciations publiques à travers les journaux
sont moins nombreux, la population ne se positionne pas pour autant contre une telle démarche.
En fait, une plus forte proportion de ruraux a du mal à exprimer son avis. Ce résultat révèle sans
doute la nécessité d’une plus grande sensibilisation au phénomène de corruption et plus
généralement aux problèmes de gouvernance en milieu rural.

Sachant que la population souhaite que les médias jouent un rôle dans la dénonciation des
affaires de corruption et plus globalement de problèmes de gouvernance, on peut s'interroger
dans quelle mesure la presse est efficace dans ce domaine. L'appréciation des citoyens tend à
montrer que la presse malgache ne joue pas efficacement ce rôle d'information et d'alerte pour
permettre aux citoyens de suivre et de réagir aux dérives en matière de gouvernance (graphique
4). Au total, 29 % seulement de la population considère que la presse est très ou assez efficace «
pour révéler les erreurs du gouvernement ou les cas de corruption ». Les opinions sont toutefois
contrastées suivant le milieu : 40 % des urbains donnent un avis positif sur l'efficacité de la
presse alors qu'ils ne sont que 26 % en milieu rural à partager un tel point de vue. Soulignons
toutefois que cette différence découle essentiellement d'une proportion plus importante de
personnes en milieu rural qui estiment ne pas pouvoir répondre faute d'information.

                                                                                                     6
Figure 4 : Efficacité réelle des médias dans la lutte contre la corruption en 2008 et 2013

                                      11
         27                                                                        21
                                                     32                                          34

                                      40
                                                                                   32
        29                                           26                                          26

         44                           49                                           47
                                                     42                                          41

   Madagascar                       Urbain         Rural                        Homme          Femme
                Pas du tout / Pas très efficace        Assez/ très efficace        Ne sait pas

« Dans ce pays, à quel point est-ce que la presse est efficace pour révéler les erreurs du gouvernement ou les cas de
corruption? »

4. Une dégradation de la confiance à l'égard des institutions

En toute logique, un niveau élevé de corruption (perçu ou réel) devrait se traduire en un
phénomène de défiance à l'égard des institutions, d'autant plus important que la corruption y est
répandue. C'est cette relation que nous explorons dans cette seconde partie.

D'un point de vue général, le degré de confiance de la population à l'égard des institutions est
globalement faible (graphique 5). Ceux qui déclarent faire entièrement ou partiellement
confiance au Président, à la police ou à l'armée représentent la moitié de la population. Ils sont
40% concernant la Commission électorale et les tribunaux, alors que moins de 30% font
entièrement ou partiellement confiance à la direction des impôts et aux partis qu'ils soient dans
la mouvance présidentielle ou dans l'opposition. Enfin, les membres des deux Congrès (CST et
CT) sont ceux qui inspirent le moins confiance. Parmi toutes les institutions mentionnées dans
l'enquête, seuls les conseillers communaux échappent à ce verdict sans appel avec une majorité
significative (61%) déclarant leur confiance (entière ou partielle).

                                                                                                                    7
Figure 5 : Indice de confiance par institution en 2013

    11                      10        13
                15                                         18
                                                                      31          27          33
                                                40
    28                                                                                                   52         53
                32          40        37
                                                           44
                                                19                    41          46          40

    61                                                                                                   31         31
                53          51        51
                                                41         39
                                                                      28          28          28
                                                                                                         17         16

   Conseil   Président     Police    Armée     CENI-T   Tribunaux Parti Mouv.  Parti    Dir. Impôts Congrès de      CST
 communal                                                           Présid d'opposition             la Transition
                     Très/ partiellement confiance      Juste un peu / Pas du tout confiance             NSP

Faites-vous confiance à chacune des institutions suivantes, ou n’en avez-vous pas suffisamment entendu parler ?

La comparaison des résultats dans le temps montre un recul en 2013 pour la plupart des
institutions (graphique 6). C'est le cas pour le Président (président élu et le président de la
transition) et le parti au pouvoir. Ca l'est aussi pour les membres du CT si on les compare aux
députés de 2005 et 2008. Enfin, la police, la justice et l'armée sont également affectées par un
sentiment accru de défiance de la part des citoyens malgaches. Les deux seules institutions qui
échappent à ce recul de confiance sont les autorités locales et les partis d'opposition, mais qui
partait d'un niveau extrêmement faible en 2005 comme en 2008. Ce mouvement de ciseau entre
parti au pouvoir et partis d'opposition est la marque d'une polarisation croissante de la vie
politique à Madagascar.

                                                                                                                          8
Figure 6 : Evolution de l'indice de confiance institutionnelle entre 2005 et 2013
                                                                                                                      51
                                                  Armée                                                                    54
                                                                                                      39
                                                  Justice                                              40
                                                                                                         43
                                                                                                                      51
                                                   Police                                                              52
                                                                                                                               56
                                                                                                28
                                      Partis d'opposition                          13
                                                                                        15

                                                                                                28
                                         Parti au pouvoir                                                          49
                                                                                                                    50
                                                                                                                                      61
                                  Conseillers municipaux                                                                       55
                                                                                                                                    59
                                                                                                          41
   Commission électorale indépendante                                                                     41
                                                                                                                     49
                                                                                         17
 Assemblée Nationale (ou CT en 2013)                                                                           47
                                                                                                                47
                                                                                                                          53
                                               Président                                                                                    68
                                                                                                                                           67
                                                            0              10            20     30   40         50              60         70

                                                                    2013    2008    2005

Faites-vous confiance à chacune des institutions suivantes, ou n’en avez-vous pas suffisamment entendu parler ?

Si maintenant on croise les deux phénomènes, on observe une nette corrélation entre la méfiance
à l’égard des institutions et l’ampleur de la corruption qui les affecte, comme le montre le
graphique 7. Seule la police fait exception avec un indice de confiance plutôt élevé, ce qui est
paradoxal compte tenu de son classement parmi les institutions les plus corrompues. Malgré la
corruption endémique, les Malgaches se montrent relativement satisfaits de leur police au regard
de la fonction de maintien de l’ordre qu’elle peut assurer. Il existe en revanche un bon niveau
d’adéquation entre méfiance et ampleur de la corruption pour la justice, ainsi que les agents des
impôts. Ces derniers sont considérés par la population comme parmi les plus corrompus, ce qui
explique le niveau de confiance faible qu’ils inspirent.

Figure 7 : Perception de la corruption au sein des institutions et manque de confiance
                                                                 Police                                   Impôts
   % La plupart ou tous

                          40%                                                       Tribunaux
        corrompus

                          30%                                                                                  CT         CST
                                                   Chef de l'Etat
                          20%
                                                                                                      y = 0.4738x + 0.095
                                      Conseil municipal
                                                                                                          R² = 0.3676
                          10%
                                30%     35%       40%           45%             50%           55%    60%           65%               70%
                                                                % Peu ou pas confiance

La gravité de la situation en termes de niveaux de confiance et de perception de la corruption à
Madagascar peut également être mesurée à l'aune de celle des autres pays du continent africain.
La comparaison des résultats entre les pays permet de conforter le diagnostic établi. Pour toutes

                                                                                                                                                 9
les institutions, Madagascar se classe systématiquement parmi les pays où le degré de confiance
est le plus faible. A titre d'exemple, le niveau de confiance dans le Président malgache figure
parmi les 6 derniers avec la Côte d'Ivoire, le Mali, le Nigéria. La confiance des Malgaches à
l'égard du parti au pouvoir mais également des juges et magistrats est au plus bas : Madagascar
se plaçant pour ces deux institutions en avant-dernière position parmi la trentaine de pays inclus
dans la comparaison. L’exception à cette règle générale concerne les conseillers communaux
dont le niveau de perception de la corruption est le plus faible d'Afrique. De façon cohérente, la
grande Ile fait également partie des six pays où le degré de confiance à l'égard des conseillers
communaux est les plus élevés.

5. Conclusion

Les données des enquêtes Afrobaromètre réalisées en 2005, 2008 et 2013 donnent les moyens de
suivre dans le temps l'évolution de la situation à Madagascar en matière de gouvernance. Dans
un contexte où Madagascar doit s'engager dans un processus de reconstruction économique,
sociale, politique et institutionnelle, après plus de quatre ans de crise, disposer d'un état des lieux
chiffré, fiable et précis est indispensable. La perspective comparative avec les autres pays du
continent apporte un éclairage utile. Les résultats des analyses permettent de mesurer l'ampleur
des problèmes et d'identifier les institutions où ils sont particulièrement aigus.

L'appréciation de la population n'autorise aucun doute sur l'étendue de la corruption et la
nécessité d'inscrire la lutte contre ce fléau parmi les priorités. Les Malgaches perçoivent la
corruption comme un phénomène endémique qui affecte tous les rouages de l’administration et
surtout la sphère politique. Un certain nombre d’indicateurs montrent un net recul de la situation
depuis 2008. D’une part, ceux qui dénoncent ce problème aujourd’hui sont plus nombreux qu’en
2008. D’autre part, l’incidence réelle de la corruption (ceux qui ont été personnellement touchés)
a augmenté. En fonction des services, entre une à deux personnes sur dix ayant entrepris des
démarches administratives en 2013 ont été victimes de la corruption. De plus, un nombre
croissant de Malgaches déclare ne pas avoir eu de contact avec les services de l’administration,
signe des difficultés croissantes d’accès aux services publics. En lien avec la question de la
corruption, les analyses mettent également en exergue la faiblesse de la confiance que les
citoyens accordent aux institutions. Des politiques de réforme et de réhabilitation, ainsi que de
sensibilisation des citoyens pour le contrôle et le suivi des actions des gouvernants, devraient
donc être engagés pour remédier au discrédit croissant qui affecte les institutions.

Références
Banque mondiale (2013), Madagascar. Poverty, Gender and Inequality Assessment, PREM,
  Africa Region, Banque mondiale, Washington DC.

Razafindrakoto M., Roubaud F., Wachsberger J.-M. (2013), « Institutions, gouvernance et
  croissance de long terme à Madagascar : l'énigme et le paradoxe », DIAL, Document de
  Travail 2013-13, Paris [http://www.dial.ird.fr/publications/documents-de-travail-working-
  papers#chapitre_1].

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Razafimamonjy L., Razafindrakoto M., Razafindrazaka D., Roubaud F., Wachsberger J.-M.
   (2013), « Perception des Malgaches de la situation socio-économique du pays et de leur
   condition de vie. Premiers résultats de l'enquête Afrobaromètre 2013 », septembre.
[http://www.dial.ird.fr/enquetes-statistiques/enquetes-afrobarometre]
Razafimamonjy L., Razafindrakoto M., Razafindrazaka D., Roubaud F., Wachsberger J.-M.
  (2013), « Les principaux facteurs de blocage au développement de Madagascar selon les
  citoyens. Premiers résultats de l'enquête Afrobaromètre 2013 », septembre.
  [http://www.dial.ird.fr/enquetes-statistiques/enquetes-afrobarometre]

Joël Rakotomamonjy, Laetitia Razafimamonjy, et Désiré Razafindrazaka sont avec COEF
Ressources, Madagascar: coef-re@moov.mg

Mireille Razafindrakoto, François Roubaud, et Jean-Michel Wachsberger sont avec le
Centre de recherche européen en économie du développement (DIAL), Paris.

Afrobaromètre, projet collaboratif de recherche par enquêtes, est conduit par un réseau de
spécialistes des sciences sociales de plus de 30 pays africains. La coordination générale du projet
est assurée par le Centre pour le développement démocratique (CDD-Ghana). Au niveau
régional, les principaux partenaires coordonnent les enquêtes et les autres activités : l’Institut de
Justice et Réconciliation (IJR) en Afrique du Sud, l’Institut de recherche empirique en économie
politique (IREEP) au Bénin, et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) à l’université
de Nairobi au Kenya. L’Université d’État du Michigan et l’Université de Cape Town fournissent
des services de soutien analytique et technique. Le réseau Afrobaromètre remercie vivement le
Département britannique pour le développement international (DfID), l’Agence suédoise de
coopération pour le développement international (ASDI), l’Agence des États-Unis pour le
développement international (USAID), la Banque Mondiale, et la Fondation Mo Ibrahim pour
leurs généreuses contributions. Les subventions des donateurs permettent de soutenir la
recherche, le renforcement des capacités et les activités externes des Rounds 5 et 6 de
Afrobaromètre       (2011-2015).     Pour     plus    d’informations,     visitez    notre      site :
www.afrobarometer.org

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