Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations conditionnées et à double sens Le cas d'Anaheim (Californie) - Érudit

 
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Téoros
Revue de recherche en tourisme

Tourisme et transport

Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations
conditionnées et à double sens
Le cas d’Anaheim (Californie)
Charlotte Ruggeri

Volume 32, numéro 2, 2013                                                         Résumé de l'article
Tourisme et transport                                                             Si les acteurs locaux ont souvent tendance à tout attendre en termes de
Tourisme et handicap                                                              développement économique de la grande vitesse ferroviaire, le cas d’Anaheim
                                                                                  (Californie) démontre que le tourisme peut aussi servir d’argument pour
                                                                                  défendre un projet de ligne et de gare à grande vitesse. Le tourisme et les
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1036594ar
                                                                                  loisirs deviennent alors une opportunité pour stimuler la construction
DOI : https://doi.org/10.7202/1036594ar                                           d’infrastructures de transport, ou pour repenser les réseaux existants.
                                                                                  Cet article se propose donc d’étudier les rapports entre grande vitesse
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                                                                                  ferroviaire et tourisme, sous l’angle des politiques d’aménagement
                                                                                  d’infrastructures entrepris par les acteurs locaux dans le cadre du projet de
                                                                                  ligne à grande vitesse en Californie. Cette étude a été réalisée au cours d’une
Éditeur(s)                                                                        thèse de doctorat en géographie et à partir d’un travail de terrain,
                                                                                  essentiellement centré sur des entretiens menés en 2012 et 2013. Ce projet
Université du Québec à Montréal
                                                                                  permet de mettre en évidence les conditions d’élaboration d’une relation
                                                                                  grande vitesse ferroviaire-tourisme dans le cadre d’un contexte touristique
ISSN                                                                              favorable. Toutefois, l’exemple d’Anaheim démontre également que la grande
0712-8657 (imprimé)                                                               vitesse ferroviaire renforce les activités touristiques préexistantes plus qu’elle
1923-2705 (numérique)                                                             ne les initie. Enfin, cette étude insiste sur la nécessité de penser des
                                                                                  infrastructures de transport intégrées aux territoires et réseaux locaux afin
                                                                                  d’optimiser les bénéfices attendus sur le tourisme.
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Citer cet article
Ruggeri, C. (2013). Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations
conditionnées et à double sens : le cas d’Anaheim (Californie). Téoros, 32(2),
47–57. https://doi.org/10.7202/1036594ar

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                                                                                 l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
                                                                                 Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                                 https://www.erudit.org/fr/
TOURISME ET TRANSPORT                 47

Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations
conditionnées et à double sens
Le cas d’Anaheim (Californie)
Charlotte RUGGERI
Doctorante en géographie
Laboratoire MRTE – Mobilités, Réseaux, Territoires, Environnement
Université de Cergy-Pontoise (France)
charlotte.ruggeri@gmail.com

RÉSUMÉ : Si les acteurs locaux ont souvent tendance à tout attendre en termes de développement économique de la
grande vitesse ferroviaire, le cas d’Anaheim (Californie) démontre que le tourisme peut aussi servir d’argument pour défen-
dre un projet de ligne et de gare à grande vitesse. Le tourisme et les loisirs deviennent alors une opportunité pour stimuler
la construction d’infrastructures de transport, ou pour repenser les réseaux existants.
Cet article se propose donc d’étudier les rapports entre grande vitesse ferroviaire et tourisme, sous l’angle des politiques
d’aménagement d’infrastructures entrepris par les acteurs locaux dans le cadre du projet de ligne à grande vitesse en
Californie. Cette étude a été réalisée au cours d’une thèse de doctorat en géographie et à partir d’un travail de terrain,
essentiellement centré sur des entretiens menés en 2012 et 2013. Ce projet permet de mettre en évidence les conditions
d’élaboration d’une relation grande vitesse ferroviaire-tourisme dans le cadre d’un contexte touristique favorable. Toutefois,
l’exemple d’Anaheim démontre également que la grande vitesse ferroviaire renforce les activités touristiques préexistantes
plus qu’elle ne les initie. Enfin, cette étude insiste sur la nécessité de penser des infrastructures de transport intégrées aux
territoires et réseaux locaux afin d’optimiser les bénéfices attendus sur le tourisme.

Mots-clés : acteur, localité, Anaheim, Disneyland, grande vitesse, train, transport.

Introduction et problématisation                                                       joue en faveur de la grande vitesse ferroviaire : les réseaux sont
La grande vitesse ferroviaire peut être couramment associée à                          rentables dans les pays où ils sont implantés, particulièrement
un miracle économique pour les territoires qu’elle dessert. En                         en France (CHSRA, 2012). Au vu de ces arguments, on peut
effet, lorsque des projets de lignes ferroviaires à grande vitesse                     comprendre l’intérêt et le désir des territoires d’être reliés aux
et de gares sont développés sur des territoires, les acteurs                           réseaux de la grande vitesse ferroviaire.
locaux espèrent que la grande vitesse sera synonyme de déve-                               De fait, tous ces arguments prennent également sens pour
loppement économique. Les avantages de la grande vitesse fer-                          le tourisme. Puisque le tourisme implique un déplacement de
roviaire sont nombreux et favorisent l’accessibilité de certains                       son lieu d’habitation vers un lieu de villégiature ou de loisirs,
territoires. Les trains à grande vitesse permettent d’atteindre                        les transports sont au cœur de cette activité. Ainsi, la recher-
plus rapidement les villes desservies. Ils permettent souvent                          che en géographie s’est penchée sur les liens entre transports
d’arriver en plein centre des villes, contrairement au transport                       et tourisme (Équipe MIT, 2002; Duhamel et Knafou, 2007),
aérien. Si l’on voyage seul ou à deux, le train à grande vitesse                       en particulier entre grande vitesse ferroviaire et tourisme
revient moins cher que l’automobile. Ces trois principaux                              (Chen et Haynes, 2012; Coronado et al., 2012; Delaplace et
arguments sont souvent pertinents, mais ne s’appliquent pas                            Perrin, 2012). Ces recherches ont surtout été menées à partir
systématiquement à tous les territoires desservis. En effet,                           de cas européens puisqu’en Europe, le réseau à grande vitesse
les gares exurbanisées sont courantes sur les lignes à grande                          existe depuis le début des années 1980. Cet intérêt à étudier
vitesse. Par ailleurs, le train à grande vitesse n’est pas toujours                    la relation entre ce mode de transport et le tourisme reflète
la solution la plus économique selon le pays concerné. Au-delà                         les espoirs que les acteurs locaux formulent envers la grande
de ces arguments qui relèvent de la pratique, un autre élément                         vitesse ferroviaire. Certains acteurs locaux associent la grande

                                                                                                                    TÉOROS, vol. 32, no 2, p. 47-57 © 2013
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vitesse à un « miracle » économique et touristique puisque                  Le terrain de recherche s’est centré sur deux espaces : la
ces trains permettent – selon eux – de diversifier les types de         Vallée centrale où doit commencer la construction du train
séjours et la clientèle, d’augmenter le nombre de touristes,            à grande vitesse et qui est le territoire le plus concerné par
mais aussi de mettre en valeur de nouveaux territoires du tou-          l’opposition au projet actuellement; la Californie du Sud, déjà
risme (Dunn, 2012; Lai, 2012 : communications personnelles).            choisie comme corridor ferroviaire de la grande vitesse dans
Mais qu’en est-il réellement ? Quels sont les possibles impacts         les années 1980 et territoire le plus peuplé de l’État et où des
de la grande vitesse ferroviaire sur l’activité touristique d’une       projets annexes de grande vitesse voient le jour (vers Las Vegas
ville desservie et comment les villes tentent-elles de s’emparer        notamment). J’ai centré mes recherches plus particulièrement
de ces opportunités de développement touristique ?                      sur le corridor Los Angeles-Anaheim et Los Angeles-San
    Cet article se propose d’étudier les rapports entre grande          Diego où les acteurs se sont montrés dynamiques et impliqués
vitesse ferroviaire et tourisme sous l’angle des politiques             dans le processus.
d’aménagement d’infrastructures entrepris par les acteurs                   En effet, sur ce corridor, si l’autorité a identifié douze
locaux. En effet, la recherche en géographie montre que le lien         villes comme gares potentielles (CHSRA, 2014), les acteurs
entre tourisme et grande vitesse ferroviaire n’est pas évident          s’accordent pour dire que seules deux ou trois villes devraient
et relève de relations conditionnées par des stratégies locales         obtenir une gare entre Los Angeles et San Diego. De fait,
importantes. Pour ce faire, cet article entend traiter du cas           toutes ces villes sont dans une politique de lobby auprès de
d’Anaheim, ville touristique de Californie qui a décidé de se           l’autorité pour être desservies par le train à grande vitesse à
saisir de l’opportunité que représente le futur train à grande          partir des années 2020-2030. Anaheim fait partie de ces villes
vitesse dans cet État.                                                  en campagne.
                                                                            Pour cerner ce terrain sud-californien, plusieurs entretiens
Méthodologie                                                            ont été menés sur place et permettent de comprendre l’inté-
Les données de cette étude sont issues d’un travail de recherche        rêt touristique et économique d’Anaheim d’être intégrée au
mené entre 2011 et 2013 sur le terrain, en Californie, et d’une         projet de grande vitesse. Tout d’abord, des entretiens ont été
littérature grise importante. Mener une étude sur un projet             réalisés à Anaheim avec la municipalité (Lai, 2012 : commu-
institutionnel implique tout d’abord de partir des documents            nications personnelles). J’ai rencontré, entre autres, des res-
sources publiés par les responsables politiques du projet :             ponsables de l’aménagement du territoire et des travaux de
l’État californien et le gouvernement fédéral (CHSRA, 2011,             l’ARTIC (Alpine et Davis, 2013 : communications personnel-
2012 et 2014; U.S. Department of Transportation, 2009, 2010             les); des consultants qui travaillent pour l’autorité sur la sec-
et 2013). Ces rapports se doublent de nombreux rapports                 tion Los Angeles-Anaheim (Labrado, 2013 : communications
universitaires ou issus d’agences de conseil qui cherchent à            personnelles); des acteurs locaux du comté d’Orange et de la
mettre en évidence les conséquences et les impacts du projet            MPO de la Southern California Association of Governments
de grande vitesse ferroviaire, que ce soient des conséquences           (SCAG) (Dunn, 2012 et Fox, 2012 : communications person-
positives ou négatives (Orange Business Council, 2008; Catz             nelles); des acteurs locaux des municipalités du corridor sud
et Christian, 2010). Le projet étant récent, peu d’ouvrages ou          (Backstrom, 2013; Gardner, 2013; Gutierrez, 2013 ; Montanez,
d’articles scientifiques traitent de la grande vitesse aux États-       2013; Petrek, 2013 et Wapner, 2013 : communications person-
Unis ou en Californie. Les écrits d’Anthony Perl permettent             nelles), et enfin des journalistes (Vartabedian, 2012 : commu-
tout de même d’avoir une vision historique assez complète de            nications personnelles). Pourtant, le lien entre grande vitesse
l’évolution des politiques publiques ferroviaires (Perl, 2002 et        ferroviaire et dynamisme touristique n’est pas avéré, encore
2012). Enfin, la presse quotidienne fournit un bon baromètre            moins systématique.
de l’évolution de la perception du projet en relatant les avan-
cées ou reculades du projet, ainsi qu’en se faisant le porte-           La grande vitesse ferroviaire et le tourisme :
parole des acteurs locaux et régionaux.                                 une relation pas toujours évidente
     De fait, les acteurs locaux et régionaux constituent la            La recherche en géographie s’intéresse depuis plusieurs années
source principale qui permet de cerner les enjeux territoriaux          aux liens et aux potentiels impacts de la grande vitesse fer-
du projet sur le terrain. Ces acteurs dépendent d’échelles              roviaire sur le développement économique, en particulier sur
variées : l’échelle fédérale, l’échelle californienne, l’échelle des    le tourisme (Chen et Haynes, 2012; Coronado et al., 2012;
Metropolitan Planning Organizations (MPO – ce sont des                  Delaplace et Perrin, 2012). Ces recherches sont avant tout
agences fédérales regroupant plusieurs comtés et chargées de            menées à partir de cas européens puisque ce sont des espaces
l’aménagement des transports) (Caltrans, 2013), l’échelle des           où la grande vitesse est développée depuis une trentaine d’an-
comtés et l’échelle des villes. Les acteurs étudiés sont soit res-      nées (Chen et Haynes, 2012).
ponsables du projet ou liés à l’autorité, ou encore concernés
par les impacts du projet, c’est-à-dire d’un territoire que le          La grande vitesse ferroviaire : une infrastructure
train devrait traverser ou desservir. À l’issue de deux séjours         de transport pour quel type de tourisme ?
en Californie en 2012 et 2013, j’ai pu rencontrer une cin-              Si le lien entre tourisme et grande vitesse relève donc avant tout
quantaine d’acteurs interrogés lors d’entretiens semi-directifs.        d’un cycle positif, les recherches menées en Europe démon-
Toutefois, dans cet article, je m’en tiendrai à la dizaine d’ac-        trent que seuls trois types de tourisme peuvent véritablement
teurs concernés par le projet d’Anaheim, en y ajoutant certains         bénéficier de la grande vitesse. Ainsi, le tourisme d’affaires
acteurs du corridor Los Angeles-San Diego.                              et de congrès, le tourisme de court séjour et le tourisme à la

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Charlotte RUGGERI : Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations conditionnées       49

journée sont potentiellement sensibles à l’arrivée de la grande          même projet. Une action isolée est rarement pertinente et
vitesse sur un territoire (Coronado et al., 2012). Le tourisme           les acteurs locaux doivent prendre conscience de la nécessité
d’affaires concerne les personnes qui sont en déplacement                de construire un projet d’accompagnement de la nouvelle
professionnel. La grande vitesse, avec ses temps de transport            desserte ferroviaire cohérent à l’échelle du territoire (Bazin
réduits, offre alors un avantage certain puisqu’elle permet de           et al., 2010).
réaliser plus d’allers et retours dans la journée (Duhamel et                Enfin, la dernière stratégie qui permet de bénéficier de la
Knafou, 2007). Le tourisme de courte durée joue également                grande vitesse est le ciblage de la clientèle. En effet, la grande
sur cet avantage, mais la concurrence avec l’automobile existe,          vitesse concerne avant tout trois types de tourisme : le tou-
notamment en termes de coûts (Coronado et al., 2012). À plus             risme d’affaires, le tourisme urbain et le tourisme à la journée
de deux personnes, l’automobile se montre plus rentable, mais            (Coronado et al., 2012). De fait, les acteurs locaux, publics
la grande vitesse ferroviaire reste concurrentielle puisqu’elle          ou privés, doivent cibler ces clientèles (Masson et Petiot,
évite les encombrements routiers et les problèmes de station-            2009). Cela peut consister en des réductions sur les hôtels
nement (Delaplace et Perrin, 2012). Enfin, le tourisme à la              lorsque l’on réserve son billet de train ou des réductions sur
journée est généralement celui qui profite le plus de la grande          le billet d’entrée dans les attractions de loisirs (Coronado et
vitesse ferroviaire. Dans tous les cas, ce tourisme « à grande           al., 2012). Ce ciblage passe également par des campagnes de
vitesse » induit souvent une réduction des nuitées sur place             promotion de la destination, qui peuvent être menées par
(Coronado et al., 2012).                                                 l’opérateur du train lui-même, par les acteurs locaux comme
    Malgré cela, les différentes études montrent que la relation         la municipalité ou des acteurs privés (Delaplace et Perrin,
entre tourisme et grande vitesse ferroviaire n’est pas automa-           2012). La participation des acteurs privés peut aussi passer
tique. Ce mythe des effets structurants des infrastructures de           par l’organisation d’événements, notamment d’événements
transports sur les activités touristiques est remis en cause ou          nocturnes, comme les parades, qui permettent de retenir les
questionné (Offner, 1993; Bazin et al., 2011; anonyme, 2014).            touristes pour la nuit (Coronado et al., 2012). Enfin, à terme,
Certes, de nouvelles dynamiques peuvent émerger, mais elles              les acteurs locaux comme la municipalité ou les acteurs
sont conditionnées (Delaplace et Perrin, 2012).                          privés doivent faciliter le séjour des touristes en organisant,
                                                                         par exemple, un accueil des touristes en gare (Delaplace et
Territoires, tourismes et grande vitesse :                               Perrin, 2012).
des relations conditionnées
La recherche sur la grande vitesse ferroviaire affirme que               La gare : l’enjeu central de la relation grande vitesse
celle-ci peut avoir des impacts sur le développement de l’ac-            ferroviaire-tourisme
tivité et de la fréquentation touristique, mais cela relève sou-         La question de la gare est donc au centre des relations entre
vent de trois éléments : des potentialités locales importantes,          grande vitesse ferroviaire et tourisme, puisque c’est par cette
des stratégies locales en amont de l’arrivée de la grande                infrastructure que les touristes qui choissisent le train comme
vitesse et le ciblage des clientèles les plus concernées (Masson         mode de transport arrivent. Construire une gare à grande
et Petiot, 2009).                                                        vitesse, que ce soit en vue de soutenir une activité touristi-
    Il faut tout d’abord que le territoire desservi offre des            que ou non, pose deux enjeux primordiaux pour les territoi-
aménités touristiques de valeur (Coronado et al., 2012). Dans            res urbains : l’intégration territoriale des gares aux réseaux
le même ordre d’idée, la ville doit disposer d’une capacité              de transports locaux, et aux dynamiques urbaines locales
hôtelière importante en termes de quantité, mais aussi de                (Facchinetti-Mannone et Richer, 2011). En effet, pour que la
qualité, afin de plaire à tous les touristes potentiels (Delaplace       relation entre tourisme et grande vitesse soit bénéfique, la gare
et Perrin, 2012).                                                        à grande vitesse ne doit pas être pensée comme un îlot, mais
    Le deuxième élément permettant une relation positive                 plutôt comme une porte d’entrée sur les activités de loisirs et
entre grande vitesse ferroviaire et tourisme est l’implication           de tourisme de la ville.
en amont des acteurs locaux (Bazin et al., 2011). Les acteurs                Ces éléments sont d’autant plus vrais pour le tourisme
locaux, généralement les élus municipaux, doivent prévoir                à la journée. Le temps gagné par la rapidité de la grande
l’arrivée de la grande vitesse ferroviaire et penser des politiques      vitesse ne doit pas être gâché par l’attente en gare ou par des
publiques et privées permettant le développement économi-                transports en commun peu performants sur place (L’Hostis
que local (Bazin et al., 2010). Une nouvelle desserte ferroviaire        et Baptiste, 2006). De fait, la localisation d’une gare à grande
représente des potentialités pour les territoires locaux, mais la        vitesse relève d’enjeux d’accessibilité et d’organisation ter-
concrétisation de ces opportunités dépend de la volonté et de            ritoriale primordiaux. Les acteurs locaux doivent penser
l’action des acteurs (Bazin et al., 2010). La réussite des territoi-     cette nouvelle infrastructure comme un moyen d’optimiser
res locaux à se saisir des opportunités que représente la grande         les potentialités et les réseaux locaux (Facchinetti-Mannone
vitesse ferroviaire dépend en grande partie des stratégies loca-         et Richer, 2011). De fait, les acteurs locaux ne doivent pas
les mises en œuvre (Urena et Ribalaygua, 2004).                          négliger la question de l’accessibilité à la gare. Cet élément
    Ces stratégies locales relèvent de l’appropriation du projet         est très important puisqu’il permet à la gare de s’intégrer au
par les acteurs locaux. Cette appropriation peut revêtir plu-            territoire qu’elle dessert. Une intermodalité performante est
sieurs formes : une appropriation individuelle relevant d’un             nécessaire dans les gares à grande vitesse parce qu’elles pola-
acteur privé ou public ou une appropriation collective per-              risent un espace qui dépasse l’échelle locale (Facchinetti-
mettant une coordination de plusieurs acteurs autour d’un                Mannone et Richer, 2011).

                                                                                                  TÉOROS, vol. 32, no 2, p. 47-57 © 2013
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                                                                                                           ILLUSTRATION 1 : La Californie,
                                                                                                           un État touristique
                                                                                                           (source : Ruggeri (2014)).

    La relation entre grande vitesse ferroviaire et tourisme peut      Anaheim : un pôle touristique états-unien
donc faire émerger des dynamiques urbaines, économiques et             et californien
de transports, selon certaines conditions. Si ces conditions           La ville d’Anaheim en Californie, accueille le parc de Disneyland
existent, on peut alors se demander quels seront les effets sur        depuis 1955. Elle a été choisie comme cas d’étude pour cet article.
la destination touristique (Anaheim), mais aussi pour le train         Anaheim n’est cependant pas un cas isolé en Californie, puisque
à grande vitesse.                                                      le Golden State est le troisième État touristique en termes de
                                                                       fréquentation (U.S. Department of Commerce, 2012).

TÉOROS, vol. 32, no 2, p. 47-57 © 2013
Charlotte RUGGERI : Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations conditionnées                  51

                                                       Tableau 1 : La fréquentation des parcs à thème aux États-Unis

    Rang                                       Parc                                             Ville et État                     Nombre de visiteurs en millions

       1                         Magic Kingdom (DisneyWorld)                              Lake Buena Vista, Floride                            18,5

       2                                   Disneyland                                       Ananeim, Californie                                16,2

       3                              EPCOT (DisneyWorld)                                 Lake Buena Vista, Floride                            11,2

       4                           Disney’s Animal Kingdom                                Lake Buena Vista, Floride                            10,1

       5                          Disney’s Hollywood Studios                              Lake Buena Vista, Floride                            10,1

       6                         Disney’s California Adventure                              Ananeim, Californie                                 8,5

       7                        Islands of Adventure (Universal)                              Orlando, Floride                                  8,1

       8                                Universal Studios                                     Orlando, Floride                                  7

       9                          Universal Studios Hollywood                             Universal City, Californie                            6,1

      10                                    SeaWorld                                          Orlando, Floride                                  5

      11                                    SeaWorld                                        San Diego, Californie                               4,3
Source : Ruggeri (2014), d’après la Themed Entertainment Association (2014).

Le tourisme californien : une activité variée                                           2013). Cette variation assez faible entre les deux saisons s’ex-
et puissante                                                                            plique par le climat relativement stable et chaud toute l’an-
La Californie dispose de nombreux atouts touristiques : des                             née dans une grande partie de la Californie (CTTC, 2013).
plages; des parcs nationaux nombreux tels que Yosemite, la                              Dans ce contexte très touristique de la Californie, plusieurs
Vallée de la Mort, King’s et Sequoia, Joshua Tree; des villes                           territoires se distinguent, notamment le comté d’Orange et
au patrimoine important comme San Francisco; ainsi que                                  Anaheim.
des parcs d’attraction, très répandus dans le sud de l’État. La
Californie offre donc des paysages et des activités touristiques                        Orange et Anaheim, berceaux
très diversifiés qui peuvent attirer de nombreux touristes                              du tourisme récréatif états-unien
(Foucrier et Coppolani, 2004; Foucrier, 2010).                                          Le comté d’Orange se hisse en effet à la seconde place califor-
    Historiquement, le train a permis de rendre les lieux du                            nienne en termes de recettes touristiques en 2012, derrière le
tourisme californiens plus accessibles. En effet, les compagnies                        comté de Los Angeles et devant celui de San Diego (CTTC,
ferroviaires états-uniennes et californiennes ont, dès la fin du                        2013). En termes d’emplois, le comté totalise 83 000 emplois
XIXe siècle, promu le train comme le moyen privilégié de l’ac-                          dans le secteur touristique, ce qui la classe quatrième dans
cès aux parcs nationaux et aux plages californiens (Starr, 1985;                        l’État, après San Francisco (183 000 emplois), Los Angeles
Foucrier, 2010). À partir des années 1950, les compagnies                               (160 000) et San Diego (117 000) (CTTC, 2013). La Californie
aériennes jouent sur les mêmes procédés publicitaires, met-                             se distingue également par ces villes, dont cinq font partie
tant en scène les paysages grandioses des parcs et des plages                           des vingt villes les plus touristiques des États-Unis : Los
sur leurs affiches.                                                                     Angeles, San Francisco, San Diego, Anaheim et San José (U.S.
    De fait, le tourisme est une activité majeure de l’éco-                             Department of Commerce, 2012) (Illustration 1).
nomie californienne depuis la fin du XIXe siècle. En 2012,                                  Anaheim se hisse dans ce classement grâce à plusieurs
la California Travel & Tourism Commission estime que le                                 attractions touristiques dont les parcs à thème. Le tourisme
tourisme représente 32,3 milliards de dollars de recettes dans                          à Anaheim repose en effet sur une forme récréative particu-
l’État et 917 000 emplois (CTTC, 2013). S’il est difficile d’ob-                        lière, celle du parc à thème et des loisirs sportifs. Rémy Knafou
tenir le chiffre du nombre de touristes visitant la Californie                          (2003) définit le parc à thème comme « un espace clos d’ac-
par an, on peut se reférer à d’autres chiffres pour prendre                             cès payant destiné au tourisme et au loisir et proposant des
conscience de l’importance du secteur. En termes de trans-                              activités récréatives ». La Californie du Sud regorge de parcs
ports, la Californie a enregistré 31 millions de personnes                              à thème comme les parcs Universal, SeaWorld ou encore Six
arrivées par avion sur le territoire pour y effectuer un séjour                         Flags. Les quatre principaux parcs du sud de la Californie ont
touristique en 2012 (CTTC, 2013). Il est aussi intéressant de                           attiré 35,1 millions de personnes en 2013 et se classent parmi
prendre en compte les données du secteur hôtelier, puisqu’en                            les vingt-cinq parcs les plus fréquentés au monde (Themed
2012, la demande en chambre oscille entre 28 millions pour                              Entertainment Association, 2014). Ils représentent presque
le trimestre hivernal (janvier, février et mars) et 35 millions                         un tiers de la fréquentation des parcs à thème des États-Unis,
pour le trimestre estival (juillet, août et septembre) (CTTC,                           comme le montre le tableau 1.

                                                                                                                       TÉOROS, vol. 32, no 2, p. 47-57 © 2013
52         Charlotte RUGGERI : Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations conditionnées

                                                                                                           ILLUSTRATION 2 : Anaheim
                                                                                                           et Disney : acteurs de la
                                                                                                           requalification urbaine ?
                                                                                                           (source : Ruggeri (2014)).

    À Anaheim, ce tourisme récréatif se double d’équipements           hôtellerie, on remarque une concentration des établissements
sportifs de loisirs qui attirent à leur tour une population nom-       autour des parcs de Disneyland, sur les avenues Katella et
breuse : le stade des Angels, l’équipe de baseball, et le Centre       Harbor notamment (voir Illustration 3). Ces hôtels sont des
Honda, ouvert en 1993, qui accueille l’équipe de hockey des            deux étoiles et la nuit coûte 78 euros en moyenne. La distance
Ducks (voir Illustration 2). Certes, ces activités de loisirs          moyenne entre les parcs Disneyland et les hôtels est de 1,4
attirent une population nombreuse les jours de match, mais             kilomètres.
elles n’ont pas le même impact sur l’économie touristique                  En termes de transport, la ville est actuellement desservie
de la ville, puisque cette population recourt faiblement aux           par des infrastructures routières et ferroviaires importantes.
hébergements. Enfin, Anaheim s’est affirmée dans les années            Elle est connectée à l’autoroute majeure de la Californie, l’In-
1990 comme une ville touristique d’affaires avec le Centre             terstate 5, qui la relie à Los Angeles et au nord de la Californie,
de convention, ouvert en 1967, et agrandi successivement en            ainsi qu’à San Diego, dans le sud. Les transports ferroviaires ne
1993 et 1997.                                                          sont pas absents du comté d’Orange et de la ville puisque des
    Afin de répondre à cette fréquentation touristique, les            trains Amtrak et Metrolink, le réseau régional de Los Angeles,
hébergements sont présents en quantité puisque le site inter-          arrivent à quelques kilomètres du parc de Disneyland.
net Expedia recense 94 hôtels à Anaheim (recherche effectuée           Actuellement, les mobilités urbaines sont avant tout assurées
en ligne en décembre 2013). Si l’on s’intéresse de près à cette        par un réseau d’autobus. Anaheim est également à quelques

TÉOROS, vol. 32, no 2, p. 47-57 © 2013
Charlotte RUGGERI : Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations conditionnées                          53

                                                                                                                                  Los Angeles
                                               La Palma

                                               Lincoln

                                       Beach

                                               Ball

                                                                                                 Walnut
                                               Katella

                                                                                                          Disneyland
                                               Orangewood

                                                                                                                                       Anaheim
                                                                                                                                                        San

                                                                                                                         Harbor
                                                                                                                                                        Diego
                                               Chapman

                                                      Parc Disneyland                     Concentration de plus de 20 hôtels                     Nord

  ILLUSTRATION 3 : Une hôtellerie                     Centre de Convention                Entre 5 et 20 hôtels
                                                                                                                                                 1 km
      au service de Disneyland ?                      Gare Amtrak/Metrolink               Moins de 5 hôtels
          (source : Ruggeri (2014)).

kilomètres du sixième aéroport californien, l’aéroport John                   les acteurs locaux sont parvenus à faire réintégrer cette section
Wayne de Santa Ana (California Airports Council, 2011). Si la                 dans le projet de grande vitesse (CHSRA, 2012). Ainsi, parmi
ville semble déjà bien desservie par plusieurs modes et infras-               toutes les villes du corridor sud, Anaheim a sa propre section,
tructures de transports, on peut se demander pourquoi la ville                sorte d’appendice à la ligne à grande vitesse, et est presque
d’Anaheim mène depuis 2008 une campagne intense pour                          assurée de voir des trains à grande vitesse la desservir dans les
accueillir une gare du futur train à grande vitesse californien.              années 2020. Anaheim serait ainsi accessible en 25 minutes à
                                                                              partir de la gare d’Union Station de Los Angeles. À l’instar des
Le cas d’Anaheim ou une relation duale : renforcer                            villes entre Los Angeles et San Diego, qui devront se mobiliser
les pôles touristiques par la grande vitesse /                                dans la décennie à venir pour s’imposer sur le tracé, Anaheim
justifier la grande vitesse par le tourisme                                   s’est mobilisée très tôt en présentant un projet de gare ambi-
L’arrivée de la grande vitesse entraîne généralement un ren-                  tieux. L’argument des acteurs locaux pour réintégrer le tracé
forcement des activités et de la fréquentation touristiques des               et justifier la construction de la gare était simple : Anaheim et
villes (Chen et Haynes, 2012). Les villes sans intérêt touris-                le comté d’Orange estiment recevoir entre 40 et 45 millions
tique ne deviennent pas magiquement dignes d’intérêt pour                     de touristes par an (ARTIC, 2012; Anaheim Orange County
les touristes lorsqu’elles sont desservies par un train à grande              Visitor & Convention Bureau, 2013).
vitesse (Coronado et al., 2012). De fait, on peut penser que                      Dans le cas d’Anaheim, les enjeux touristiques ont favo-
la relation entre la grande vitesse ferroviaire et Anaheim est                risé l’implantation et le maintien de la ligne à grande vitesse
double ou duale, elle bénéficie à la fois aux activités touris-               au détriment d’autres espaces (Delaplace et Perrin, 2012) :
tiques de la ville et au projet de grande vitesse en Californie.              « Le seul motif, c’est Disneyland, l’économie et le tourisme »
                                                                              (Fox, 2012 : communications personnelles). Par cette phrase,
Anaheim, une ville mobilisée                                                  Stephen G. Fox résume ce que de nombreux observateurs et
pour la grande vitesse ferroviaire                                            acteurs locaux du sud de la Californie pensent de la section
La ville d’Anaheim a commencé sa campagne de lobby en                         Los Angeles-Anaheim. De fait, certains acteurs du corridor
2008 en présentant son projet ARTIC (Anaheim Regional                         sud veulent s’inspirer de la campagne d’Anaheim pour garder
Transportation Intermodal Center), alors même que le projet                   sa gare comme les élus de Riverside (Gardner, 2013; Gutierrez,
de grande vitesse semblait incertain. Sa campagne en faveur du                2013 : communications personnelles). Les villes plus « assu-
train s’avère plutôt réussie puisque lorsque l’Autorité pensait               rées » de voir le train à grande vitesse s’arrêter sur leur ter-
supprimer la section Los Angeles-Anaheim (CHSRA, 2011),                       ritoire, comme Ontario, qui dispose d’un aéroport, pensent

                                                                                                                       TÉOROS, vol. 32, no 2, p. 47-57 © 2013
54          Charlotte RUGGERI : Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations conditionnées

                                                                                                            ILLUSTRATION 4 : Les réseaux de
                                                                                                            transport du sud californien
                                                                                                            (source : Ruggeri (2013)).

d’ailleurs qu’au-delà de la grande vitesse, l’enjeu est de renfor-      forte : « Le comté d’Orange est très peuplé (…) et a une croissance
cer leurs connexions avec Anaheim par le biais du Metrolink             économique très forte. Abandonner le comté d’Orange n’a pas
(voir illustration 4) ou du projet de Super Speed Train vers            plus de sens que de maintenir une gare à Fresno » (Vartabedian,
Las Vegas (Montanez, 2013 et Wapner, 2013 : communications              2012 : communications personnelles). Les transports ne sont
personnelles).                                                          pas considérés comme la clé de l’activité économique, plutôt
    Le train à grande vitesse n’est donc pas perçu comme un             comme le moyen d’intensifier et de renouveler la fréquenta-
moyen de générer une activité touristique à Anaheim, mais               tion touristique en Californie du Sud, mais aussi d’offrir une
comme un moyen de soutenir une croissance économique                    alternative de transports aux touristes (Équipe MIT, 2002).

TÉOROS, vol. 32, no 2, p. 47-57 © 2013
Charlotte RUGGERI : Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations conditionnées      55

     Le nouveau train pourrait permettre à plus de personnes                 En Californie, peu de villes peuvent aujourd’hui présenter
de se rendre dans les divers équipements récréatifs de la ville :         un projet de plateforme intermodale complète et moderne
« Anaheim accueille 40 millions de visiteurs par an et la moitié          comme l’ARTIC, qui devrait accueillir cinq réseaux de trans-
va à Disneyland. Le train à grande vitesse permettrait de déposer         ports différents.
les touristes à la porte du parc Disney, donc oui, le premier argu-
ment est touristique. Il s’agit avant tout de faciliter les transports    Un projet de requalification urbaine à long terme
pour les touristes » (Lai, 2012 : communications personnelles).           Le site choisi pour l’ARTIC entre dans un projet plus large
Le train permettrait ainsi d’échapper à la congestion des                 visant à repenser le quartier des parcs Disneyland (voir
autoroutes donnant accès à la ville, saturées depuis 1955 et              Illustration 2). Cette politique de requalification a été amorcée
l’inauguration du parc de Disneyland (Marling, 1991; Didier,              dans les années 1990.
2002). Selon Lai (2012), « Le problème de la congestion est inso-             Si la ville considèrait dès 1953 l’installation du parc comme
luble, donc il faut réfléchir à un nouveau mode de transport ».           une aubaine touristique, elle n’a pas saisi cette opportunité
L’ARTIC est donc avant tout conçu comme « une alternative de              pour redynamiser plus largement l’économie de la ville et
transport permettant d’accéder aux événements et destinations             du quartier. C’est seulement une quarantaine d’années plus
de l’Anaheim Resort, du stade des Angels et du Centre Honda »             tard que la municipalité lance un premier projet de réhabi-
(OCTA, 2012).                                                             litation urbaine avec l’Anaheim Resort (Didier, 2000). Cette
     Toutefois, la grande vitesse et la gare prévues à cet effet ne       politique fait suite à la décision de la compagnie Disney
font pas tout. Arrivé à destination, le touriste doit pouvoir uti-        d’ouvrir un second parc, le Disney’s California Adventure, et
liser les transports en commun urbains pour accéder aux lieux             un Downtown Disney, espace de commerces, restaurants et
touristiques (Coronado et al., 2012). Une fois la gare à grande           loisirs à l’entrée gratuite. Anaheim pense alors que les espaces
vitesse obtenue, l’enjeu pour Anaheim est de penser à des                 entourant le parc doivent eux aussi faire peau neuve et profiter
liaisons locales et régionales pertinentes, mais aussi de penser          des millions de visiteurs des parcs. La municipalité s’associe
à l’environnement urbain autour de la gare (Facchinetti-                  donc avec la compagnie Disney dans le cadre d’un partenariat
Mannone et Richer, 2011).                                                 public-privé pour aménager des hôtels, restaurants et rues
                                                                          commerçantes autour du parc (Didier, 2001).
Tourisme, grande vitesse ferroviaire                                          Ce quartier, en réhabilitation depuis vingt ans, est logi-
et intégration locale                                                     quement choisi pour accueillir l’ARTIC, mais le projet doit
Les concepteurs de l’ARTIC n’ont pas délaissé l’enjeu de l’in-            entraîner la requalification d’un espace adjacent, le Triangle
tégration locale. La municipalité voudrait se poser en tête de            Platinium (voir Illustration 2). Cet espace est, pour ainsi dire,
pont du changement des pratiques de mobilité : « Le projet de             presque vide actuellement. Il n’accueille que deux grandes
l’ARTIC fera d’Anaheim et du comté d’Orange des modèles en                infrastructures, le stade des Angels et le Centre Honda, qui
termes d’organisation des transports » (OCTA, 2012). Dans un              attirent du monde les jours de match. L’enjeu de l’intégra-
espace dont la croissance économique et l’urbanisation ont été            tion urbaine de la gare se situe donc dans cet espace, à relier
initiées et ont reposé sur l’extension du réseau routier, c’est           et à connecter à l’Anaheim Resort et au centre d’Anaheim.
un tournant radical (Le Goix, 2003). En termes de transports,             Ce territoire pourrait ainsi devenir un lieu complémentaire
l’ARTIC est une infrastructure novatrice présentée comme                  intéressant pour l’activité touristique de la ville en polari-
« ambitieuse » et « progressiste » par les acteurs locaux (Dunn,          sant tous les réseaux de transport, mais aussi un moyen
2012; Lai, 2012; Alpine et Davis, 2013 et Labrado, 2013 : com-            de diversifier l’activité locale. En effet, les concepteurs de
munications personnelles).                                                l’ARTIC pensent qu’au delà des activités touristiques, le site
    Avec une construction lancée en septembre 2012 par la ville           pourrait attirer des entreprises et leurs bureaux (Alpine et
et l’OCTA (Orange County Transportation Authority), l’AR-                 Davis, 2013 : communications personnelles). Ainsi, la cham-
TIC, centre régional intermodal, permettrait de connecter en              bre de commerce du comté d’Orange estime que près de
une plateforme plusieurs réseaux de transports. Tout d’abord,             20 000 emplois pourraient voir le jour grâce à l’arrivée de la
elle accueillerait les deux réseaux ferroviaires : le Metrolink,          grande vitesse (Orange County Business Council, 2008; Catz
qui dessert la Californie du Sud ainsi que l’Amtrak, qui dessert          et Christian, 2010). Toutefois, comme pour le tourisme, les
la Californie et le reste du pays. L’ARTIC disposerait également          impacts économiques de la grande vitesse, notamment sur la
de plusieurs plateformes pour les bus de l’OCTA qui desser-               création d’emplois, sont conditionnés et ne relèvent pas du
vent le comté et ceux d’Anaheim. Le trafic Metrolink/Amtrak               miracle économique (Chen et Hall, 2012).
est déjà dense, puisqu’en 2013, Amtrak comptabilisait 342 284
embarquements à Anaheim (Amtrak, 2013). À terme, la plate-                Conclusion
forme devrait également recevoir le train à grande vitesse cali-          Le cas d’Anaheim démontre bien que la grande vitesse fer-
fornien, mais aussi l’ARC (Anaheim Rapid Connection) et le                roviaire ne produit pas le tourisme. Dans des territoires for-
California-Nevada Super Speed Train. L’ARC est un tramway                 tement irrigués par des réseaux de transports, l’ajout d’une
qui desservirait l’Anaheim Resort et le Triangle Platinium, les           nouvelle infrastructure de transport permet avant tout d’in-
deux espaces réhabilités ou en cours de réhabilitation d’Ana-             tensifier l’activité touristique et de la diversifier. Anaheim
heim (voir Illustration 2). Sa construction devrait commencer             semble avoir compris que l’enjeu touristique de la grande
en 2014 et la ligne de 3,5 miles (5,6 kilomètres) devrait entrer          vitesse reposait avant tout sur sa capacité à se saisir de cette
en service en 2018 (OCTA, 2012).                                          opportunité. De fait, la ville présente aujourd’hui le projet

                                                                                                   TÉOROS, vol. 32, no 2, p. 47-57 © 2013
56           Charlotte RUGGERI : Grande vitesse ferroviaire et tourisme, des relations conditionnées

de gare le plus ambitieux (avec San Francisco), mais surtout                CTTC – CALIFORNIA TRAVEL & TOURISM COMMISSION (2013)
le plus avancé. Elle est devenue un modèle à suivre pour les                   California Travel Impacts by County, 1992-2011, 2012 Preliminary
autres villes intermédiaires du tracé qui veulent démon-                       State & Regional Estimates, Sacramento: California Travel & Tourism
trer leur capacité à accueillir le futur train à grande vitesse                Commission/California Business, Transportation and Housing
(Ontario, Riverside, San Bernardino, Corona, Murrieta).                        Agency, Division of Tourism. 170 p.
Avec le projet – actuellement très embryonnaire – de Super                  CALTRANS – California Department of Transportation, Division of
Speed Train vers Las Vegas, un corridor touristique de la                      Transportation Planning (2013) California Metropolitan Planning
grande vitesse pourrait même voir le jour et faire d’Anaheim                   Organizations (MPOs) and Regional Transportation Planning Agencies
le pôle intermodal du tourisme en Californie du Sud.                           (RTPAs), Sacramento: California Department of Transportation. 1 p.
    Mais au-delà de ces considérations locales plutôt positi-               CATZ, Sarah L. et Adam CHRISTIAN (2010) Thinking Ahead, High-
ves, le cas d’Anaheim démontre que le lien entre tourisme et                   Speed Rail in Southern California, Irvine: UC Irvine, Institute of
grande vitesse entraîne avant tout un renforcement des pôles                   Transportation Studies. 28 p.
touristiques préexistants. De plus, même si le train à grande               CHEN, Chia-Lin et Peter HALL (2012) « The wider spatial-economic
vitesse ne voit jamais le jour en Californie, Anaheim restera                  impacts of high-speed trains : a comparative study of Manchester
un pôle touristique indéniable, ce qui relativise quelque peu                  and Lille sub-regions », Journal of Transport Geography, vol. 24,
l’enjeu de la grande vitesse sur ce territoire et fournit un bon               septembre, p. 89-110.
argument aux opposants au train. Le train à grande vitesse                  CHEN, Zhenhua et Kingsley E. HAYNES (2012) « Tourism Industry and
est donc surtout un accélérateur du tourisme : il permet                       High Speed Rail, Is There a Linkage: Evidence from China’s High
d’accéder plus vite à la destination, de multiplier les séjours                Speed Rail Development », Communication au colloque de l’ASR-
sur place, de diversifier les types de séjours, de repenser les                DLF, juillet 2012, Belfort (France), 20 p.
transports locaux et d’offrir des opportunités économiques                  CORONADO, José Maria; Maddi GARMENDIA; Amparo MOYANO et
dans des quartiers en réhabilitation. De fait, la relation est                 José Maria URENA (2012) « Mesuring High Speed Rail Usefulness
à double sens : la grande vitesse profite au tourisme et le                    for Tourisme in Spain », Communication au colloque de l’ASRDLF,
tourisme profite à la grande vitesse. Mais de manière assez                    juillet 2012, Belfort (France), 18 p.
paradoxale, la grande vitesse et ses infrastructures pour-                  DELAPLACE, Marie et Julie PERRIN (2012) « Multiplication des desser-
raient aussi permettre à ce territoire monofonctionnel de                      tes TGV et tourismes urbains et d’affaires. Regards croisés sur la pro-
diversifier ses activités économiques.                                         vince et l’Île-de-France », Communication au colloque de l’ASRDLF,
                                                                               juillet 2012, Belfort (France), 20 p.
Références                                                                  DIDIER, Sophie (2000) Une île dans la ville ? Invention, négociation et
AMTRAK (2013) Amtrak Fact Sheet, Fiscal Year 2013, State of California,        mise en pratique du modèle de ville Disney à Anaheim (Californie),
    Washington D.C.: Amtrak Government Affairs. 6 p.                           1950-2000, Thèse de doctorat en géographie, Paris : Université Paris
ANAHEIM ORANGE COUNTY VISITOR & CONVENTION BUREAU                              1. 422 p.
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