Grands événements sportifs : la nécessité d'une réévaluation - Futuribles
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Grands événements sportifs : la nécessité d’une réévaluation PAR JEAN-JACQUES GOUGUET ET JEAN-FRANÇOIS BROCARD 1 Lorsque paraîtra ce numéro, la coupe du monde de football 2014 battra son plein, avant la grande finale prévue le 13 juillet dans le stade de Rio de Janeiro. C’est en effet le Brésil qui, cette année, accueille la compétition sans doute la plus suivie à travers la planète et qui, pour ce faire, a entrepris de vastes travaux qui ont duré plu- sieurs années et mobilisé d’importantes sommes d’argent. Un tel in- vestissement financier pour organiser ce type d’événement, qui plus est dans un pays certes émergent, mais dont une part encore impor- tante de la population ne bénéficie aucunement des retombées de la croissance économique, est-il justifié ? C’est l’une des questions centrales abordées ici par Jean-Jacques Gouguet et Jean-François Brocard, dans leur réflexion sur l’intérêt véri- table, pour un pays ou une ville, d’accueillir de grands événements sportifs. Tirant dans un premier temps les enseignements de bilans réalisés après diverses grandes manifestations du même ordre (jeux Olympiques, coupes du monde…), les auteurs soulignent les impacts économiques incertains et la charge financière que cela induit par- fois à long terme pour les territoires organisateurs. Ils insistent éga- lement sur la non-prise en compte d’externalités pourtant coûteuses aux plans économique, social et désormais environnemental. Puis ils examinent les perspectives qui découlent de ces bilans mitigés pour l’organisation de grandes manifestations sportives à venir, compte tenu d’une part des héritages qui résultent de ces événements (en 1. Respectivement directeur scientifique des études économiques et chercheur au CDES (Centre de droit et d’économie du sport), OMIJ (Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques), université de Limoges. 5
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014 termes d’infrastructures, d’image de marque…), d’autre part de la fa- çon dont les décisions sont prises en la matière. Ils soulignent ainsi la nécessité de bien choisir les instruments d’aide à la décision (no- tamment lors de la réalisation d’études d’impact ex ante), et le risque croissant que l’organisation de grands événements sportifs ne soit plus possible dans les pays démocratiques (en raison de la sensibilité des opinions à l’égard du bon usage des deniers publics, et de la priorité donnée aux aspects sociaux et environnementaux). S.D. ■ es grands événements sportifs droits souvent bafoués (logement, L comme les jeux Olympiques (JO) ou la coupe du monde de football dignité, conditions de travail, déplace- ments forcés, activité économique…). font aujourd’hui l’objet de multiples — Les multinationales veulent maxi- controverses. La question est de sa- miser leurs profits. voir s’il est légitime ou non pour une ville ou un pays d’organiser — Les États font de l’événement un l’accueil de tels événements, qui enjeu politique majeur d’image de apparaissent pour les uns comme marque sur la scène internationale. un puissant levier de développement — Les organisations sportives, de- économique et social, mais pour les puis les années 1980, sont rentrées autres comme un véritable désastre dans une logique de rentabilisation économique, financier, social et éco- financière de l’événement. logique 2. En effet, les grands événe- ments sportifs depuis les JO de Bar- Il apparaît ainsi, à l’énoncé de ces celone (1992) sont conçus comme objectifs, que l’évaluation de l’im- de vastes opérations de restructura- pact économique et social des grands tion urbaine. On profite de l’événe- événements sportifs sur les pays et ment pour accélérer la réalisation villes d’accueil va être un exercice d’opérations d’aménagement qui très délicat. Tout d’abord, ce calcul prendraient sinon trop de temps fait l’objet d’une instrumentalisation pour de multiples raisons 3. de toutes les parties prenantes, qui veulent justifier la légitimité de l’or- La décision de l’accueil est ainsi ganisation pour certaines, ou le re- dominée par d’autres logiques que jet pour d’autres. Il existe ensuite la seule dimension sportive et ré- de nombreuses externalités écono- sulte de l’interaction complexe entre miques, sociales et environnemen- de multiples parties prenantes aux tales qui sont très difficiles à évaluer intérêts contradictoires : et dont l’intégration paraît essen- — Les populations concernées tielle pour un calcul complet. Il n’y cherchent à faire respecter leurs a pas, enfin, d’instruments d’aide à 2. Duchatel Julie (sous la dir. de), La Coupe est pleine ! Les désastres économiques et sociaux des grands événements sportifs, Genève : CETIM (Centre Europe tiers-monde), 2013. 3. Gouguet Jean-Jacques, « Anticiper l’héritage des grands événements sportifs : l’exemple des jeux Olympiques », Juristourisme, n° 151, mars 2013, p. 20-24. 6
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION la décision sur un mode participatif mistes, et cela au regard de plusieurs qui aient été expérimentés au-delà indicateurs : d’un référendum comme à Munich — Les pays organisateurs de coupe pour les JO d’hiver 2022. Nous nous du monde de football depuis 30 ans proposons donc, dans cet article, ont tout d’abord obtenu des résul- d’éclairer deux questions : tats moindres que prévu en termes — Quels enseignements peut-on ti- de croissance économique au cours rer des divers bilans contradictoires de l’événement 4. L’impact net de qui ont été faits de l’accueil des l’accueil de la coupe du monde en grands événements sportifs ? Afrique du Sud n’a ainsi permis qu’une augmentation de 0,54 % du — Quelles perspectives peut-on en- produit intérieur brut (PIB) en 2010 visager pour les grands événements pour un investissement public total qui se préparent à l’heure actuelle de 39,2 milliards de rands (environ au Brésil, en Russie et au Qatar, et 2,71 milliards d’euros 5). quelles préconisations dans l’amé- lioration des instruments d’aide à — Un modèle d’équilibre général a la décision pourrait-on faire ? montré que les JO de Sydney de 2000 ont entraîné une baisse de 2,1 milliards de dollars US (1,5 mil- liard d’euros) de la consommation Éléments de synthèse en Australie 6. Le calcul de l’impact économique — L’impact sur l’emploi est égale- des grands événements sportifs à ment à nuancer. Il y a de fait une court ou long terme fait l’objet d’éva- création d’emplois à court terme, luations très différenciées de la part principalement dans les années des économistes. Au-delà des que- précédant l’événement et liée à la relles de méthodes qui rendent le construction d’infrastructures, mais calcul incertain, il y a également toute il s’agit d’emplois précaires qui, par la difficulté de la prise en compte définition, disparaissent dès l’évé- des externalités liées à l’événement. nement passé. Malgré l’accueil de la coupe du monde en juin 2010, Un impact économique l’Afrique du Sud a ainsi vu le nombre d’emplois total diminuer de 4,7 % incertain entre juillet 2009 et juillet 2010, À court terme notamment à cause d’une baisse de l’emploi dans le secteur de la cons- L’impact macroéconomique à truction de 7,1 %. Il n’y a donc pas court terme de l’accueil de grands eu les effets multiplicateurs atten- événements sportifs est sérieuse- dus, ce qu’a confirmé une autre ment remis en cause par les écono- étude menée en Allemagne, mon- 4. Szymanski Stefan, « The Economic Impact of the World Cup », World Economics, vol. 3, n° 1, janvier-mars 2002, p. 169-177. 5. Selon le taux de conversion en vigueur au 14 avril 2014. 6. Giesecke James A. et Madden John R., The Sydney Olympics, Seven Years on: An Ex-post Dynamic CGE Assessment, Melbourne : Centre of Policy Studies (Monash University), General Paper n° G-168, 2007. 7
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014 trant également que l’emploi n’a 1 300 % grâce à l’accueil de la coupe pas été significativement pérennisé du monde entre 2004 et 2009. dans les zones accueillant des Dans le même temps, les revenus matchs de la coupe du monde de fiscaux, en pourcentage du PIB, en football 2006 7. Afrique du Sud, n’ont augmenté que de 0,7 %, ce qui laisse à penser — En termes de tourisme, les at- que les bénéfices perçus par ces tentes sont également souvent dé- firmes n’ont pas profité à l’écono- çues, comme dans la région du Cap mie nationale. en Afrique du Sud, en 2010, où le taux d’occupation des hôtels pen- On assiste donc à une privatisa- dant la coupe du monde a atteint tion des bénéfices qui mérite un vrai 55 %, en dessous des moyennes ob- débat public sur l’opportunité pour servées les années précédentes. un pays de candidater à l’accueil d’un grand événement sportif. Si les dépenses publiques réali- sées pour accueillir un grand évé- nement sportif n’ont pas l’impact À long terme escompté sur l’économie du pays Il est nécessaire de prendre du d’accueil, on peut pourtant identifier recul pour évaluer l’impact à plus des bénéficiaires. On assiste en effet long terme de l’accueil d’événements à une privatisation des bénéfices de sportifs. On peut à ce titre claire- tels événements, partagés par une ment identifier de nombreux échecs poignée de parties prenantes. La et quelques satisfactions. FIFA (Fédération internationale de football association) aurait ainsi De nombreux sites ayant engagé réalisé un chiffre d’affaires non im- des dépenses publiques impor- posé de 2,2 milliards d’euros en tantes pour organiser l’accueil de Afrique du Sud en 2010 (+ 50 % ces grands événements sportifs ont par rapport à 2006). Les partenaires connu des difficultés pour rem- commerciaux de la FIFA et du CIO bourser les emprunts effectués. La (Comité international olympique) Grèce a investi 12 milliards d’euros bénéficient également de conditions (5 % de la richesse nette annuelle très avantageuses pendant l’évé- du pays) pour construire ou déve- nement, puisque les organisateurs lopper 36 sites pour les JO d’Athènes leur attribuent une exclusivité com- en 2004, ce qui a entraîné des coûts merciale dans l’ensemble des zones de maintenance importants les an- d’accueil de l’événement. Au niveau nées suivantes (96,6 millions d’eu- local, les grandes entreprises du ros en 2005 par exemple) et contri- secteur bâtiment-travaux publics bué à la crise de la dette grecque de (BTP) profitent de l’opportunité de la fin des années 2000. Au total, on l’investissement massif en infra- estime que pour Athènes 2004, les structures. Les bénéfices des cinq dépenses totales ont atteint 14 mil- entreprises dominantes du BTP en liards d’euros pour seulement deux Afrique du Sud ont augmenté de milliards d’euros de recettes. 7. Maennig Wolfgang, One Year Later: A Re-Appraisal of the Economics of the 2006 Soccer World Cup, Limoges / Iowa City : IASE (International Association of Sports Economists) / NAASE (North American Association of Sports Economists), Working Paper Series, n° 0723, 2007. 8
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION La piste de luge construite à cès à long terme, du moins selon Turin pour les JO d’hiver de 2006 certains indicateurs. La réussite re- coûte deux millions d’euros par an connue des JO d’été de Barcelone sans qu’elle ait une utilisation suffi- provient de l’insertion du projet spor- sante depuis la fin des Jeux. Les tif dans un projet territorial global 9. contribuables grenoblois ont payé La mise en place des nouvelles in- jusqu’en 1992 les dépenses enga- frastructures de contournement du gées par les collectivités territo- centre-ville jusque-là saturé et la ré- riales pour l’accueil des JO d’hiver habilitation du quartier qui a accueilli de 1968. Il en est de même pour le village olympique sont consi- leurs homologues montréalais qui dérées comme deux réussites ur- ont remboursé la dette olympique baines de grande ampleur. Elles ont des JO de 1976 jusqu’en 2006. été favorisées par le caractère ras- sembleur des JO qui a permis de Pour la coupe du monde de dépasser en peu de temps les blo- football 2006, la Corée du Sud a cages sociaux, politiques et finan- construit 10 nouveaux stades pour ciers. Dans le même ordre d’idées, une facture de deux milliards de dol- la réhabilitation du quartier est de lars US (1,45 milliard d’euros), soit la ville de Londres dans le cadre de 0,28 % de son PIB, et le Japon a fi- l’accueil des JO de 2012 est une réus- nancé sept nouvelles constructions site urbaine reconnue, malgré des et trois rénovations pour quatre mil- dépenses liées à l’accueil de l’évé- liards de dollars US (2,91 milliards nement qui ont presque triplé entre d’euros), soit 0,13 % de son PIB. l’estimation de 2005 (3 milliards de Ces stades, pour l’essentiel surdi- livres / 3,63 milliards d’euros) et mensionnés pour les compétitions 2014 (8,92 milliards de livres / 10,8 sportives locales, sont aujourd’hui milliards d’euros). considérés comme des « éléphants blancs 8 ». Pour autant, ces quartiers réha- Le recul est moins grand en bilités sont aujourd’hui peuplés de Afrique du Sud, mais les premiers classes moyennes supérieures voire résultats sont assez clairs. L’accueil aisées. On s’aperçoit donc que, dans de la coupe du monde de 2010 a eu les conditions dans lesquelles les un impact négatif pour le gouver- grands événements sportifs sont nement sud-africain (perte nette de actuellement accueillis, l’impact aussi 20 milliards de rands, soit 1,38 mil- bien à court qu’à long terme est in- liard d’euros) alors que parmi les certain. Si des réussites existent, 10 stades construits ou agrandis, elles profitent surtout aux classes trois au moins sont déjà considérés aisées et aux institutions proches de comme des « éléphants blancs ». l’organisation de l’événement. Et ce résultat d’impact mitigé doit encore Pourtant, certaines expériences être relativisé par la prise en compte sont considérées comme des suc- des externalités. 8. Expression consacrée pour désigner ce type de réalisations d’envergure, souvent d’initiative publique, mais in fine plus coûteuses que bénéfiques, et dont l’exploitation ou l’entretien de- vient un fardeau financier (NDLR). 9. Gouguet Jean-Jacques, op. cit. 9
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014 Des externalités oubliées de montagne qui soulève le plus de soupçons. Cette infrastructure, fac- turée six milliards d’euros environ D’un point de vue économique (l’équivalent du coût total des jeux Il y a tout d’abord toutes les de Vancouver), aboutit à un tarif conséquences que doivent subir les kilométrique 10 fois supérieur à ce populations locales du fait de la cor- qui est demandé dans les Alpes ruption dans le pays d’accueil ou autrichiennes ou suisses pour des des lois d’exception imposées par travaux équivalents 12. l’organisateur (FIFA, CIO). Sur le Au-delà de la corruption, les lois premier point, il est difficile, par na- d’exception imposées par l’organi- ture, d’obtenir des données. Néan- sateur peuvent là encore générer un moins, on sait qu’il y a souvent des manque à gagner considérable pour actes de corruption divers allant de les populations locales. Avec la coupe la surfacturation des travaux à tra- du monde, la FIFA durcit réguliè- vers des chaînes d’intermédiaires et rement sa législation sur les restric- de sous-traitants, à des actions d’in- tions du commerce. Par exemple, les timidation des populations, des tra- vendeurs de rue perdent leur droit fics divers (prostitution, drogue), du au travail dans les zones exclusives blanchiment d’argent sale 10… autour des enceintes sportives. Ce Ainsi, la coupe du monde de genre d’externalités n’a encore ja- football en Afrique du Sud est un mais été évalué précisément, notam- bon exemple d’entente entre grands ment en termes de conséquences groupes de travaux publics pour sur- sociales pour un certain nombre de facturer la construction des stades 11. familles, de perte de leur revenu 13. L’Afrique du Sud s’est ainsi retrou- vée avec des éléphants blancs qui, D’un point de vue social en plus, lui ont coûté beaucoup Il existe ici toute une littérature plus cher qu’ils n’auraient dû. Dans sous la plume de syndicats interna- le même sens, il est couramment tionaux, d’organisations non gou- admis que la corruption à Sotchi vernementales ou d’organismes offi- pourrait concerner de 30 % à 40 % ciels qui dénoncent les méfaits de de la totalité des 36 milliards d’eu- l’accueil de grands événements spor- ros investis dans les JO d’hiver 2014. tifs dans trois directions. C’est certainement la construction des 58 kilomètres d’autoroute et de Il y a tout d’abord le problème voie ferrée entre Sotchi et la station des déplacements forcés de popu- 10. Ollier Fabien, « FIFA et CIO : institutions-pilotes du capitalisme prédateur », in Julie Duchatel (sous la dir. de), op. cit. 11. Cottle Eddie, South Africa’s World Cup: A Legacy for Whom?, Durban : University of Kwa- Zulu-Natal Press, 2011. 12. Sochi 2014: Encyclopedia of Spending. The Cost of Olympics Report by the Anti-Corruption Foundation, 2014. URL : http://sochi.fbk.info/md/file/sochi_fbk_report_en_1.pdf. Consulté le 5 mai 2014. 13. Duminy James, Literature Survey: Mega-Events and the Working Poor, with a Special Reference to the 2010 FIFA World Cup, Le Cap : African Center for Cities, University of Cape Town / WIEGO (Women in Informal Employment Globalizing and Organizing), 2012. 10
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION lation. Les grands événements spor- déplacés ou interdits dans certaines tifs entraînent l’expropriation de parties de la ville. résidents et la destruction de quar- tiers populaires pour permettre la Il y a ensuite la ségrégation spa- construction des infrastructures tiale qui vient amplifier ces dépla- sportives et non sportives. Le plus cements forcés de population. On souvent (comme à Pékin), les condi- assiste en effet, dans toutes les villes tions de l’expropriation ne font pas d’accueil, à un phénomène de gen- l’objet d’une véritable négociation trification (embourgeoisement des avec les populations défavorisées qui quartiers) à proximité des sites réha- n’ont pas de solutions alternatives. bilités. Une deuxième vague d’évic- On peut même assister à des pres- tions indirectes a toujours lieu du sions pour accélérer le mouvement fait de la hausse du prix du foncier d’éviction quand les délais de fin de ou des loyers. C’est donc toute la travaux l’exigent (comme à Sotchi ou composition sociodémographique à Rio). Le cas le plus extrême peut du quartier qui va évoluer, avec consister en des expulsions violentes d’une part l’arrivée de classes aisées au milieu de la nuit, sans avertisse- et d’autre part le départ des classes ment préalable (Pékin). modestes qui ne peuvent plus se maintenir dans un quartier réha- Ces expulsions concernent éga- bilité. Ces populations vont re- lement les habitants de quartiers joindre des quartiers en voie de informels qui doivent être détruits marginalisation. pour accueillir des équipements sportifs, des logements ou des in- Il y a enfin le dumping social qui frastructures diverses. L’Afrique du est régulièrement dénoncé comme Sud a ainsi opté pour l’élimination une atteinte évidente aux principes de bidonvilles et le relogement des qui devraient en théorie se trouver sans-logis dans des camps de transit. au fondement même de l’éthique Au Brésil, de multiples favelas sont sportive. Il s’agit en premier lieu de menacées et depuis 2009, l’État de l’atteinte au droit du travail dans le Rio a lancé un vaste programme cadre de la construction des infra- de construction de près de 15 kilo- structures. Pour tenir les délais, il mètres de murs de trois mètres de peut être imposé des conditions de hauteur autour de 13 favelas de la travail allant jusqu’au décès d’ou- zone sud la plus touristique. De vriers (Afrique du Sud, Brésil, Qa- plus, cela est complété par une poli- tar). Il s’agit en second lieu du non- tique de reconquête des favelas avec respect d’engagements pris auprès l’installation d’« unités de police pa- des travailleurs afin de minimiser cificatrice ». On peut se demander les coûts. C’est le cas par exemple ainsi de quel type d’urbanité veulent de salariés sous-payés (Afrique du se réclamer les JO 2016 à Rio 14. De Sud, Brésil), voire tenus en état de la même façon, pendant le temps de privation de liberté (Qatar). Les orga- l’événement, on cache les pauvres. nisations sportives internationales Les sans-logis peuvent ainsi être ne contribuent pas suffisamment à 14. Borius Olivier, « Rio de Janeiro olympique : murs tropicaux, favelas et gentrification », 2010. URL : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00499344. Consulté le 5 mai 2014. 11
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014 faire respecter les droits du travail un rapport du WWF 17, les princi- ainsi que le versement de salaires pales erreurs commises sont les sui- corrects en incluant par exemple vantes : localisation du cluster olym- ces aspects dans leurs cahiers des pique sur le territoire d’un parc charges avec sanctions à l’appui 15. national ; constructions dans des zones à risques ; études d’impact D’un point de vue insuffisantes du fait d’un manque environnemental d’informations de base sur l’envi- ronnement ; destruction des frayères Parmi les très nombreux pro- à saumons de la rivière Mzymta et blèmes, il y a tout d’abord l’em- de tout son écosystème ; destruc- preinte carbone des grands événe- tion de milliers d’hectares de forêts ments sportifs qui dépend en grande primaires datant de l’ère tertiaire ; partie du transport international. Par destruction de sites d’hibernation, exemple, l’empreinte de la coupe du de couloirs de migrations d’espèces monde de football 2010 en Afrique sauvages… Dans le même sens, la du Sud a été estimée à 2,8 millions législation relative à la protection de de tonnes de CO2 équivalent. Le l’environnement a singulièrement seul transport international repré- reculé au prétexte de l’organisation sentait 67,4 % du total pour la mo- des Jeux. Par exemple, l’interdiction bilité des joueurs et des spectateurs. d’organiser des grands événements On estime que cette empreinte est sportifs dans un parc national a été huit fois supérieure à celle de la amendée, l’autorisation d’abattre des coupe du monde 2006 en Alle- espèces rares d’arbres a été don- magne. Compte tenu de la locali- née…, ceci au mépris du nouveau sation du Brésil et de l’étendue du principe de non-régression du droit pays, l’empreinte carbone devrait de l’environnement. être également très élevée pour le Mondial 2014 16. Cela pose le pro- Quand on réunit toutes ces exter- blème de l’internalisation de tels nalités négatives, on se rend compte effets externes (augmentation du qu’il est loin d’être évident de consi- prix des billets d’avion, des tickets dérer que les grands événements d’entrée pour les spectateurs ve- sportifs constituent une opportu- nant de loin…). nité intéressante pour le pays d’ac- cueil. On est en droit de savoir s’il Il y a ensuite l’exemple d’organi- est rationnel de continuer dans la sation de grands événements comme course à l’accueil pour faire monter les JO de Sotchi qui constituent un les enchères et connaître la « malé- véritable désastre écologique. Selon diction du vainqueur 18 », voire s’il ne 15. Solidar Suisse, « Le mondial 2014 au Brésil : une fête pour toutes et tous ? », dossier, 2012. URL : http://www.solidar.ch/data/0DF06392/Dossier_layout_F.pdf. Consulté le 5 mai 2014. 16. Sustainable Brazil: Social and Economic Impacts of the 2014 World Cup, São Paulo : Ernst& Young Terco, 2011. 17. Voir « Mistakes of Sochi-2014 », sur le site de l’antenne russe du WWF (World Wide Fund for Nature). URL : http://www.wwf.ru/about/positions/sochi2014/eng. Consulté le 5 mai 2014. 18. Andreff Wladimir, « The Winner’s Curse: Why is the Cost of Mega Sporting Events so Often Underestimated? » in Wolfgang Maennig et Andrew Zimbalist (sous la dir. de), International Handbook on the Economics of Mega Sporting Events, Cheltenham / Northampton : Edward Elgar, 2012. 12
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION serait pas raisonnable de revoir com- Cuiabá, Manaus et Natal) ne cor- plètement les instruments d’aide à respondent pas à des besoins réels la décision et les modalités de prise (en moyenne 2 000 à 4 000 spec- de décision. tateurs pendant le championnat). La solution existe en partie avec la Éléments mise en place d’infrastructures tem- poraires ou démontables 19. Londres de prospective a déjà expérimenté de tels équipe- Pour l’organisation des grands ments temporaires pour les JO 2012. événements sportifs en cours ou à Cette solution n’est pas moins venir (coupe du monde de football coûteuse que la construction d’in- 2014 au Brésil, JO 2016 à Rio, coupe frastructures pérennes, mais elle du monde de football 2018 en Rus- économise ensuite tous les coûts sie et 2022 au Qatar), il faut se de- de fonctionnement. Ce recyclage mander si l’on n’est pas en train de d’équipements sportifs va être au refaire les mêmes erreurs que celles centre de la stratégie du Qatar pour que nous venons de dénoncer. Dans la coupe du monde 2022. Il est cer- un premier temps, nous revenons tain que 12 stades de grande capa- sur la question fondamentale de cité surpassent très largement les l’héritage des grands événements besoins de cet État. Le projet est donc sportifs. Dans un second temps, de démanteler ces stades et de les nous discutons de nouvelles moda- reconstituer à échelle adaptée pour lités de prise de décision. les réinstaller dans des pays pauvres. C’est ainsi un enjeu considérable pour les organisations sportives La question de l’héritage internationales d’imposer, dans leur cahier des charges, des équipe- Héritage tangible ments suffisamment flexibles pour correspondre à la demande de long Aujourd’hui, la première hantise terme 20. des organisateurs de grands événe- ments sportifs est le problème des La deuxième question relative à éléphants blancs. Par le passé, les l’héritage concerne les infrastruc- grands événements sportifs ont tures non sportives. À l’occasion des donné lieu à la construction d’in- grands événements sportifs, de mul- frastructures surdimensionnées qui, tiples infrastructures sont moder- par la suite, ne servaient à rien faute nisées : autoroutes, aéroports, lignes d’un club résident, d’une demande à grande vitesse, stations d’épura- suffisante de spectateurs ou d’un tion…, avec des effets de long terme financement des coûts de fonction- escomptés sur la productivité d’en- nement à la hauteur. C’est ce qui semble du territoire d’accueil. En- risque d’arriver à nouveau dans le core faut-il que ces infrastructures cas du Brésil où quatre stades de soient au service de ceux qui en ont la coupe du monde 2014 (Brasília, le plus besoin, ce qui n’est pas né- 19. Le Roux Hein, « Cost Model: Sporting Venues », Building Magazine, janvier 2012. 20. Ridley Rob, « Hunting White Elephants », SportBusiness International, n° 185, décembre 2012. 13
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014 cessairement le cas. C’est l’exemple critiqués sur leur volet social et en- du Gautrain, premier train à grande vironnemental, d’où une dégrada- vitesse construit pour la coupe du tion de l’image du pays d’accueil. monde en Afrique du Sud, qui ne La coupe du monde au Qatar est profite qu’aux classes supérieures une bonne illustration de la diffi- et aux touristes. culté croissante qu’aura ce pays à justifier la légitimité de sa candida- Cela pose tout le problème du ture à l’heure de l’accélération du calcul du coût d’opportunité de tels réchauffement climatique. Il en est équipements : l’investissement n’au- de même pour le Brésil qui risque rait-il pas rapporté plus à la société de souffrir d’une dégradation de son s’il avait été consacré à des secteurs image comme auparavant la Grèce, comme le logement, l’éducation, la le Portugal, la Chine, l’Afrique du santé, la culture… Au vu des résul- Sud ou la Russie. L’opinion publique tats passés, il n’est pas certain que internationale a tendance à retenir l’héritage tangible des grands évé- les aspects négatifs de l’héritage et nements sportifs soit à la hauteur les organisations sportives inter- des espérances. De plus, l’événe- nationales feraient bien de se de- ment sportif devient un simple pré- mander si l’on n’est pas en train texte au service d’un projet plus gé- d’atteindre un seuil d’acceptabilité néral de modernisation urbaine et sociale de manifestations consi- d’accès au statut de ville mondiale, dérées comme un « barnum » ou ce qui ne résout pas nécessairement comme « les jeux du cirque de l’ère les problèmes sociaux les plus ur- marchande ». Des travaux de pros- gents. Au contraire, ces investisse- pective sur le cycle de vie des grands ments sont mis au service d’une événements (JO) commencent à être oligarchie dont l’objectif est d’appar- menés, compte tenu de l’inquiétude tenir à une élite mondiale, les grands d’un certain nombre d’experts sur événements sportifs permettant d’en l’avenir du sport (encadré ci-contre). donner une preuve. D’un point de vue interne aux Héritage intangible pays d’accueil, l’exemple brésilien L’objectif des pays d’accueil est est édifiant pour venir contrecarrer généralement double : améliorer l’image traditionnellement véhi- leur image sur la scène internatio- culée de l’héritage intangible des nale ; renforcer l’unité nationale. grands événements sportifs. Ces événements sont réputés produire Sur le premier point, il est diffi- des émotions qui renforceraient la cile de faire des prévisions, tant ce fierté nationale, l’identité nationale, type d’héritage relève d’une grande l’intégration sociale des minorités 21. subjectivité dans son évaluation. On Le Brésil risque de laisser un autre peut néanmoins s’attendre à des héritage autour du rejet de ce type évolutions dans les années à venir d’événement. Des manifestations autour des grands événements de rue de plus en plus nombreuses sportifs qui sont de plus en plus dénoncent le gaspillage économique 21. Preuss Holger, « The Contribution of the FIFA World Cup and the Olympic Games to Green Economy », Sustainability, vol. 5, août 2013, p. 3581-3600. 14
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION L’HÉRITA GE DES G RA NDS ÉVÉN EMENTS SPORTIF S Une littérature abondante commence à s’intéresser à l’analyse économique du cycle de vie des grands événements sportifs autour de quatre phases : candi- dature, préparation (dont mise en place des infrastructures), déroulement de la manifestation, et héritage à long terme. Une bonne synthèse de ces travaux a été réalisée par Wolfgang Maennig et Andrew Zimbalist 1. Aujourd’hui, des ré- flexions sont en cours, notamment sur le futur de la coupe du monde de foot- ball au Brésil 2, en Russie 3 et au Qatar 4, en s’appuyant en particulier sur des résultats importants tirés de la coupe du monde 2010 en Afrique du Sud 5. Dans tous ces travaux, il est reconnu l’existence de deux types d’héritage 6 : un héritage tangible (stades, infrastructures) et un héritage intangible (image de marque internationale, identité nationale). Sur l’héritage tangible, la préoccu- pation des chercheurs se concentre sur deux points essentiels : le problème des « éléphants blancs » d’une part, et celui des coûts d’opportunité d’autre part (ne vaudrait-il pas mieux investir ailleurs que dans le spectacle sportif ?). Sur l’hé- ritage intangible, tout le monde reconnaît la très grande difficulté de l’exercice du fait que le calcul s’adresse ici à la catégorie des externalités économiques. Au final, la communauté des économistes regrette souvent que l’on instrumen- talise la valeur très aléatoire de cet héritage intangible pour compenser des résultats souvent décevants autour de l’héritage tangible. J.-J.G. 1. M AENNIG Wolfgang et Z IMBALIST Andrew (sous la dir. de), International Handbook on the Economics of Mega Sporting Events, Cheltenham / Northampton : Edward Elgar, 2012. 2. C ARDOSO Marcos Vinicius, F LEURY Fernando A. et M ALAIA João Manuel, « World Cup Legacy and Pertaining Impacts on São Paulo City’s Future », Future Studies Research Journal, vol. 5, n° 1, jan- vier-juin 2013, p. 168-201. 3. WARSHAW Andrew, « Russia 2018 Review Reports Good Progress and Highlights Legacy », In- side World Football, 13 mai 2013. URL : http://www.insideworldfootball.com/world-cup/russia- 2018/12518-russia-2018-review. Consulté le 5 mai 2014. 4. Qatar National Vision 2030, 2008. URL : http://www.gsdp.gov.qa/portal/page/portal/gsdp_ en/qatar_national_vision/qnv_2030_document/QNV2030_English_v2.pdf. Consulté le 5 mai 2014. 5. COTTLE Eddie, South Africa’s World Cup: A Legacy for Whom?, Durban : University of KwaZulu- Natal Press, 2011. 6. P REUSS Holger, « The Conceptualisation and Measurement of Mega Sporting Events Legacies », Journal of Sport and Tourism, vol. 12, n° 3-4, 2007, p. 207-227. de ressources rares alors que les be- Le choix des instruments soins de base ne sont pas satisfaits. De plus, les conséquences précé- d’aide à la décision demment décrites en termes d’ac- Un risque d’instrumentalisation centuation de la ségrégation spatiale dans les grandes villes d’accueil vont La décision d’accueillir des grands renforcer le sentiment de dualisa- événements sportifs est éminem- tion de la société brésilienne. Les ment politique. Dans ce cadre, les grands événements sportifs sont décideurs commandent des études susceptibles d’être tenus pour res- ex ante dont les résultats doivent ponsables de l’augmentation des justifier l’accueil de ces événements inégalités dans un pays déjà forte- en faisant miroiter des retombées ment inégalitaire. économiques considérables. Non 15
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014 seulement ces calculs reposent sou- liards d’euros) de revenus pour les vent sur des bases scientifiques habitants. Au final, l’accueil de la faibles, mais, en plus, ils ne sont pas coupe du monde augmenterait le légitimes. La justification de l’ac- PIB de 1,8 %. Ces chiffres sont tout cueil d’un événement doit se faire à fait comparables à ceux proposés au vu d’un calcul de rentabilité so- par GT en Afrique du Sud. ciale et non d’un calcul de retom- Ces cabinets vendent aussi des bées économiques 22. éléments qualitatifs de nature à lé- Un rapport rendu en 2003 par le gitimer l’accueil au-delà de l’impact cabinet Grant Thornton (GT), pen- économique pur, mais dont la faible dant la campagne de candidature scientificité rend peu crédibles les de l’Afrique du Sud pour l’accueil de évaluations (exemple : instrument la coupe du monde 2010, illustre ce de « soft power »). type de résultat 23. Il prévoyait que Dans le même temps, des études l’Afrique du Sud bénéficierait, grâce d’impact ex ante ou ex post, sont au Mondial, d’un gain de 4,9 mil- réalisées par des chercheurs indé- liards de rands (338 millions d’eu- pendants mais aboutissent à des ré- ros), alors que les estimations réali- sultats inconsistants. Très souvent, sées après l’événement démontrent les études de retombées écono- que le pays a perdu 20 milliards de miques de grands événements spor- rands (1,38 milliard d’euros). Cette tifs surévaluent considérablement erreur impressionnante s’explique les résultats du fait d’erreurs plus notamment par la différence entre ou moins grossières dans l’appli- les dépenses réelles du gouverne- cation des théories économiques : ment sud-africain (calculées en 2010) non-prise en compte de l’effet de et la prévision de 2003, ce qui cor- substitution ; non-prise en compte respond à une sous-estimation de du déplacement temporel de dé- 1 709 % par le cabinet. penses de consommation ou d’in- vestissement ; omission des effets De son côté, le Brésil a fait appel d’éviction en matière de consom- au cabinet Ernst&Young pour esti- mation ou d’investissement ; omis- mer l’impact de l’accueil de la coupe sion des fuites hors territoire ou, au du monde 2014. D’après le rap- contraire, double comptabilisation port 24, les effets économiques sur pour les injections. le pays seront remarquables : 142,4 milliards de réals (45,75 milliards Sur la base de ces erreurs, on d’euros) injectés dans l’économie aboutit à des résultats surprenants. brésilienne sur la période 2010-14, Pour la candidature de Paris aux générant 3,6 millions d’emplois et JO de 2012, une étude du Boston 36,5 milliards de réals (11,73 mil- Consulting Group (BCG) de 2004 25 22. Barget Éric et Gouguet Jean-Jacques, Événements sportifs. Impacts économique et social, Bruxelles : De Boeck, 2010. 23. Grant Thornton Kessel Feinstein, South Africa 2010: Soccer World Cup Bid. Economic Impact - Executive Summary, 2003, cité in Eddie Cottle, op. cit. 24. Sustainable Brazil […], op. cit. 25. Évaluation des impacts économiques des JO à Paris. Principaux éléments d’analyse, Boston : BCG, 17 juin 2004, non publié. 16
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION annonçait 42 000 emplois pérennes de rentabilité sociale. Dans l’idéal, et 35 milliards d’euros de retom- il serait même souhaitable d’effec- bées dans les sept années suivant tuer un calcul coûts/bénéfices ex les Jeux. Pour la coupe du monde ante comme instrument d’aide à la de rugby de 2007 en France, une décision, et un calcul de retombées étude de l’ESSEC de 2007 26 pré- ex post pour bénéficier de données voyait huit milliards d’euros de re- réelles fiables. tombées économiques, dont quatre milliards avant et pendant l’événe- Vers des choix démocratiques ment, alors qu’une étude acadé- mique a calculé ex post un impact L’accueil de grands événements économique et social de 500 000 sportifs doit-il être laissé au seul euros 27. Pour le tournoi de Flushing choix des experts ou doit-il relever Meadows, la ligue américaine de d’un vrai débat public ? Des réfé- tennis estimait ses retombées éco- rendums ont déjà été expérimentés nomiques à 3 % de l’impact annuel dans le cas des JO d’hiver, à Mu- total du tourisme à New York, ce nich, Oslo ou Saint-Moritz. Par qui est tout simplement insensé 28. exemple, pour Munich, la victoire Le cabinet américain Aecom avait du « non » au référendum a traduit estimé à quatre milliards d’euros la crainte exprimée par les citoyens l’impact économique de l’accueil de de la détérioration de l’image de la la coupe du monde de football en ville du fait de l’endettement, de 1994 pour les États-Unis, alors que l’altération de l’environnement ou les économistes académiques ne du coût d’opportunité des Jeux. À la trouvent aucune trace d’impact. suite des jeux de Sotchi, l’appré- hension d’une facture démesurée On comprend ainsi pourquoi les et du bétonnage de la montagne dossiers de candidature à l’organi- cristallisent les oppositions à ce type sation de grands événements spor- de projets dans les pays concernés. tifs restent le plus souvent secrets. Cela pose donc tout le problème de Les résultats des études qu’ils uti- l’accueil des grands événements spor- lisent sont commandés pour légiti- tifs dans des pays démocratiques. mer une décision politique plutôt que pour démontrer une quel- De plus en plus, un tel accueil se conque utilité sociale 29. Ces calculs fait dans des pays émergents mais de retombées économiques ne sont également dans des pays à régime pas légitimes pour justifier de l’or- politique autoritaire qui sont ca- ganisation d’un grand événement pables d’imposer des choix qui ne sportif. Il faut pour cela un calcul seraient pas nécessairement admis 26. Les Retombées économiques de la coupe du monde de rugby 2007 en France. Étude pour le comité d’organisation France 2007, Paris : ESSEC (École supérieure des sciences économiques et com- merciales), Chaire européenne de marketing sportif, 27 avril 2007. 27. Barget Éric et Gouguet Jean-Jacques, De l’évaluation des grands événements sportifs. La coupe du monde de rugby 2007 en France, Limoges : Presses universitaires de Limoges, 2010. 28. Baade R., « Be Careful What You Wish For: A Cautionary Note for City Suitors for the 2012 Summer Olympic Games », document de travail non publié, 2005. 29. Crompton John L., « Economic Impact Studies: Instruments for Political Shenanigans? », Journal of Travel Research, vol. 45, août 2006, p. 67-82. 17
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014 dans une démocratie. Il faut bien re- saire de répondre à des questions connaître en effet que les conditions préalables avant de lancer l’accueil imposées par les grandes organi- de grands événements : quelles se- sations sportives internationales ront les conséquences d’un tel peuvent apparaître insupportables accueil ? Au profit et au détriment aux classes populaires de pays démo- de qui se fera une telle organisa- cratiques qui vont résister. Faut-il tion ? La prise de décision de l’ac- alors cautionner la position consis- cueil est-elle démocratique ? Avec tant à donner leur préférence à l’or- la mise en place de conférences de ganisation des grands événements citoyens, il n’est pas certain que les sportifs dans des régimes forts qui événements sportifs tels que nous sont capables de garantir l’accepta- les connaissons aujourd’hui puissent tion sociale des coûts d’organisation ? se maintenir, tant leurs coûts ne compensent pas nécessairement Pour éviter de tels abus, de nou- leurs avantages. velles procédures de décision de- vraient être testées, quitte à accepter ] ] ] des remises en cause d’un certain nombre de projets. L’expérience Nous venons de suggérer que l’ac- montre que les conférences de ci- cueil de grands événements sportifs toyens peuvent constituer un rem- ne contribue pas nécessairement à part contre la mise en place de grands l’amélioration du bien-être des popu- projets inutiles. L’heure est à la lutte lations des pays concernés. La déci- contre la démesure et il est néces- sion d’accueil n’est pas toujours prise RÉCHA UF FEMENT CLIMA TIQU E ET J O D’HI VER DU FUTU R Une étude menée par l’université de Waterloo au Canada 1 a cherché à déter- miner si les 19 sites qui ont accueilli les Jeux d’hiver dans le passé pourraient continuer à le faire dans la deuxième moitié du XXIe siècle. Compte tenu du réchauffement climatique, parmi de multiples indicateurs testés, deux ont été retenus : la probabilité que la température du jour reste suffisamment basse pour éviter le dégel des pistes ; la probabilité que le manteau neigeux reste supérieur à 30 cm. Une station sera éligible à l’accueil des Jeux si un ou les deux indica- teurs sont satisfaits dans plus de 75 % des hivers. Les prévisions ont été effec- tuées sur la base de données météorologiques mondiales combinées à des scé- narios du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Dans le scénario le plus pessimiste, les résultats obtenus pour 2080 sont les suivants : — Stations non fiables : Sotchi, Grenoble, Garmisch-Partenkirchen, Chamonix, Vancouver, Squaw Valley, Sarajevo, Oslo, Innsbruck, Turin, Nagano. — Stations à haut risque : Lillehammer, Lake Placid. — Stations fiables : Sapporo, Salt Lake City, Saint-Moritz, Cortina d’Apezzo, Cal- gary, Albertville. J.-J.G. 1. S COTT Daniel, STEIGER Robert, R UTTY Michelle et J OHNSON Peter, « The Future of the Winter Olympics in a Warmer World », Waterloo : University of Waterloo, janvier 2014. 18
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION CA TASTROPHE DE F UKUSHI MA ET JO DE TOKYO 2020 Selon les spécialistes et de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), la situation de la centrale de Fukushima (où s’est produite la catastrophe nucléaire de mars 2011) n’est absolument pas sous contrôle. De plus, le déman- tèlement d’une telle centrale demandera une cinquantaine d’années environ. D’ici là, la fragilité des installations est telle que tout risque d’accident majeur est loin d’être écarté. Dans ces conditions, fallait-il organiser les jeux Olympiques de 2020 à Tokyo ? Au minimum, un certain nombre de scientifiques et d’ONG suggèrent que le Comité international olympique finance une étude scientifique internationale indépendante pour évaluer le niveau réel du risque d’accueillir ces Jeux 1. J.-J.G. 1. Voir la lettre du professeur Helen Caldicott (Helen Caldicott Foundation) à Thomas Bach (pré- sident du CIO) le 23 janvier 2014. URL : http://akiomatsumura.com/wp-content/uploads/2014/ 03/Helen-Caldicott-IOC-Letter1.pdf. Consulté le 6 mai 2014. de façon démocratique, mais plus demandes de la société civile, sous souvent par les parties prenantes qui peine de se voir opposer des résis- ont des intérêts dans l’événement. tances de plus en plus fortes de la Cela implique une révision globale part des populations concernées. de la conception de tels événements Ou bien il suffira d’attendre les qui sont devenus totalement déme- contraintes environnementales qui surés. C’est certainement la condi- se profilent. Par exemple, une pros- tion indispensable pour garantir l’or- pective menée par une équipe ca- ganisation future de ces événements nadienne a montré que pour les qui sont de plus en plus ouverte- jeux Olympiques d’hiver de 2080, ment contestés dans les pays démo- il ne resterait que très peu de lieux cratiques. Les promesses de béné- capables d’accueillir les Jeux, faute fices considérables tant tangibles de neige 30. Dans le même sens, on qu’intangibles ne font plus rêver. Si peut s’interroger sur l’organisation on rajoute la nécessité de respecter des JO d’été 2020 à Tokyo compte des contraintes environnementales tenu des conséquences potentielles de plus en plus vitales comme celles de la catastrophe de Fukushima. La liées au réchauffement climatique, transition écologique en cours nous l’avenir des grands événements spor- conduira peut-être vers un autre tifs tels que nous les connaissons mode d’organisation économique et aujourd’hui n’est plus assuré. sociale qui ne connaîtra plus le spec- tacle sportif. Le futur du sport reste Les organisations sportives inter- à écrire en fonction des hypothèses nationales vont devoir accepter de que l’on peut poser sur l’issue des prendre en compte ces nouvelles grands défis planétaires actuels. ■ 30. Scott Daniel, Steiger Robert, Rutty Michelle et Johnson Peter, « The Future of the Winter Olympics in a Warmer World », Waterloo : University of Waterloo, janvier 2014. Voir encadré ci-contre. 19
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