Grands événements sportifs : la nécessité d'une réévaluation - Futuribles

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Grands événements
sportifs : la nécessité
d’une réévaluation
     PAR JEAN-JACQUES GOUGUET                 ET JEAN-FRANÇOIS          BROCARD 1

   Lorsque paraîtra ce numéro, la coupe du monde de football 2014
battra son plein, avant la grande finale prévue le 13 juillet dans le
stade de Rio de Janeiro. C’est en effet le Brésil qui, cette année,
accueille la compétition sans doute la plus suivie à travers la planète
et qui, pour ce faire, a entrepris de vastes travaux qui ont duré plu-
sieurs années et mobilisé d’importantes sommes d’argent. Un tel in-
vestissement financier pour organiser ce type d’événement, qui plus
est dans un pays certes émergent, mais dont une part encore impor-
tante de la population ne bénéficie aucunement des retombées de
la croissance économique, est-il justifié ?
   C’est l’une des questions centrales abordées ici par Jean-Jacques
Gouguet et Jean-François Brocard, dans leur réflexion sur l’intérêt véri-
table, pour un pays ou une ville, d’accueillir de grands événements
sportifs. Tirant dans un premier temps les enseignements de bilans
réalisés après diverses grandes manifestations du même ordre (jeux
Olympiques, coupes du monde…), les auteurs soulignent les impacts
économiques incertains et la charge financière que cela induit par-
fois à long terme pour les territoires organisateurs. Ils insistent éga-
lement sur la non-prise en compte d’externalités pourtant coûteuses
aux plans économique, social et désormais environnemental. Puis ils
examinent les perspectives qui découlent de ces bilans mitigés pour
l’organisation de grandes manifestations sportives à venir, compte
tenu d’une part des héritages qui résultent de ces événements (en

1. Respectivement directeur scientifique des études économiques et chercheur au CDES
(Centre de droit et d’économie du sport), OMIJ (Observatoire des mutations institutionnelles
et juridiques), université de Limoges.

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termes d’infrastructures, d’image de marque…), d’autre part de la fa-
çon dont les décisions sont prises en la matière. Ils soulignent ainsi
la nécessité de bien choisir les instruments d’aide à la décision (no-
tamment lors de la réalisation d’études d’impact ex ante), et le risque
croissant que l’organisation de grands événements sportifs ne soit plus
possible dans les pays démocratiques (en raison de la sensibilité des
opinions à l’égard du bon usage des deniers publics, et de la priorité
donnée aux aspects sociaux et environnementaux). S.D. ■

    es grands événements sportifs                   droits souvent bafoués (logement,
L   comme les jeux Olympiques (JO)
ou la coupe du monde de football
                                                    dignité, conditions de travail, déplace-
                                                    ments forcés, activité économique…).
font aujourd’hui l’objet de multiples
                                                    — Les multinationales veulent maxi-
controverses. La question est de sa-
                                                    miser leurs profits.
voir s’il est légitime ou non pour
une ville ou un pays d’organiser                    — Les États font de l’événement un
l’accueil de tels événements, qui                   enjeu politique majeur d’image de
apparaissent pour les uns comme                     marque sur la scène internationale.
un puissant levier de développement                 — Les organisations sportives, de-
économique et social, mais pour les                 puis les années 1980, sont rentrées
autres comme un véritable désastre                  dans une logique de rentabilisation
économique, financier, social et éco-               financière de l’événement.
logique 2. En effet, les grands événe-
ments sportifs depuis les JO de Bar-                    Il apparaît ainsi, à l’énoncé de ces
celone (1992) sont conçus comme                     objectifs, que l’évaluation de l’im-
de vastes opérations de restructura-                pact économique et social des grands
tion urbaine. On profite de l’événe-                événements sportifs sur les pays et
ment pour accélérer la réalisation                  villes d’accueil va être un exercice
d’opérations d’aménagement qui                      très délicat. Tout d’abord, ce calcul
prendraient sinon trop de temps                     fait l’objet d’une instrumentalisation
pour de multiples raisons 3.                        de toutes les parties prenantes, qui
                                                    veulent justifier la légitimité de l’or-
   La décision de l’accueil est ainsi               ganisation pour certaines, ou le re-
dominée par d’autres logiques que                   jet pour d’autres. Il existe ensuite
la seule dimension sportive et ré-                  de nombreuses externalités écono-
sulte de l’interaction complexe entre               miques, sociales et environnemen-
de multiples parties prenantes aux                  tales qui sont très difficiles à évaluer
intérêts contradictoires :                          et dont l’intégration paraît essen-
— Les populations concernées                        tielle pour un calcul complet. Il n’y
cherchent à faire respecter leurs                   a pas, enfin, d’instruments d’aide à

2. Duchatel Julie (sous la dir. de), La Coupe est pleine ! Les désastres économiques et sociaux des
grands événements sportifs, Genève : CETIM (Centre Europe tiers-monde), 2013.
3. Gouguet Jean-Jacques, « Anticiper l’héritage des grands événements sportifs : l’exemple
des jeux Olympiques », Juristourisme, n° 151, mars 2013, p. 20-24.

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GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION

la décision sur un mode participatif             mistes, et cela au regard de plusieurs
qui aient été expérimentés au-delà               indicateurs :
d’un référendum comme à Munich
                                                 — Les pays organisateurs de coupe
pour les JO d’hiver 2022. Nous nous
                                                 du monde de football depuis 30 ans
proposons donc, dans cet article,
                                                 ont tout d’abord obtenu des résul-
d’éclairer deux questions :
                                                 tats moindres que prévu en termes
— Quels enseignements peut-on ti-                de croissance économique au cours
rer des divers bilans contradictoires            de l’événement 4. L’impact net de
qui ont été faits de l’accueil des               l’accueil de la coupe du monde en
grands événements sportifs ?                     Afrique du Sud n’a ainsi permis
                                                 qu’une augmentation de 0,54 % du
— Quelles perspectives peut-on en-               produit intérieur brut (PIB) en 2010
visager pour les grands événements               pour un investissement public total
qui se préparent à l’heure actuelle              de 39,2 milliards de rands (environ
au Brésil, en Russie et au Qatar, et             2,71 milliards d’euros 5).
quelles préconisations dans l’amé-
lioration des instruments d’aide à               — Un modèle d’équilibre général a
la décision pourrait-on faire ?                  montré que les JO de Sydney de
                                                 2000 ont entraîné une baisse de
                                                 2,1 milliards de dollars US (1,5 mil-
                                                 liard d’euros) de la consommation
Éléments de synthèse                             en Australie 6.
   Le calcul de l’impact économique              — L’impact sur l’emploi est égale-
des grands événements sportifs à                 ment à nuancer. Il y a de fait une
court ou long terme fait l’objet d’éva-          création d’emplois à court terme,
luations très différenciées de la part           principalement dans les années
des économistes. Au-delà des que-                précédant l’événement et liée à la
relles de méthodes qui rendent le                construction d’infrastructures, mais
calcul incertain, il y a également toute         il s’agit d’emplois précaires qui, par
la difficulté de la prise en compte              définition, disparaissent dès l’évé-
des externalités liées à l’événement.            nement passé. Malgré l’accueil de
                                                 la coupe du monde en juin 2010,
Un impact économique                             l’Afrique du Sud a ainsi vu le nombre
                                                 d’emplois total diminuer de 4,7 %
incertain                                        entre juillet 2009 et juillet 2010,
À court terme                                    notamment à cause d’une baisse de
                                                 l’emploi dans le secteur de la cons-
  L’impact macroéconomique à                     truction de 7,1 %. Il n’y a donc pas
court terme de l’accueil de grands               eu les effets multiplicateurs atten-
événements sportifs est sérieuse-                dus, ce qu’a confirmé une autre
ment remis en cause par les écono-               étude menée en Allemagne, mon-

4. Szymanski Stefan, « The Economic Impact of the World Cup », World Economics, vol. 3, n° 1,
janvier-mars 2002, p. 169-177.
5. Selon le taux de conversion en vigueur au 14 avril 2014.
6. Giesecke James A. et Madden John R., The Sydney Olympics, Seven Years on: An Ex-post
Dynamic CGE Assessment, Melbourne : Centre of Policy Studies (Monash University), General
Paper n° G-168, 2007.

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trant également que l’emploi n’a                 1 300 % grâce à l’accueil de la coupe
pas été significativement pérennisé              du monde entre 2004 et 2009.
dans les zones accueillant des                   Dans le même temps, les revenus
matchs de la coupe du monde de                   fiscaux, en pourcentage du PIB, en
football 2006 7.                                 Afrique du Sud, n’ont augmenté
                                                 que de 0,7 %, ce qui laisse à penser
— En termes de tourisme, les at-                 que les bénéfices perçus par ces
tentes sont également souvent dé-                firmes n’ont pas profité à l’écono-
çues, comme dans la région du Cap                mie nationale.
en Afrique du Sud, en 2010, où le
taux d’occupation des hôtels pen-                   On assiste donc à une privatisa-
dant la coupe du monde a atteint                 tion des bénéfices qui mérite un vrai
55 %, en dessous des moyennes ob-                débat public sur l’opportunité pour
servées les années précédentes.                  un pays de candidater à l’accueil
                                                 d’un grand événement sportif.
    Si les dépenses publiques réali-
sées pour accueillir un grand évé-
nement sportif n’ont pas l’impact                À long terme
escompté sur l’économie du pays                     Il est nécessaire de prendre du
d’accueil, on peut pourtant identifier           recul pour évaluer l’impact à plus
des bénéficiaires. On assiste en effet           long terme de l’accueil d’événements
à une privatisation des bénéfices de             sportifs. On peut à ce titre claire-
tels événements, partagés par une                ment identifier de nombreux échecs
poignée de parties prenantes. La                 et quelques satisfactions.
FIFA (Fédération internationale de
football association) aurait ainsi                   De nombreux sites ayant engagé
réalisé un chiffre d’affaires non im-            des dépenses publiques impor-
posé de 2,2 milliards d’euros en                 tantes pour organiser l’accueil de
Afrique du Sud en 2010 (+ 50 %                   ces grands événements sportifs ont
par rapport à 2006). Les partenaires             connu des difficultés pour rem-
commerciaux de la FIFA et du CIO                 bourser les emprunts effectués. La
(Comité international olympique)                 Grèce a investi 12 milliards d’euros
bénéficient également de conditions              (5 % de la richesse nette annuelle
très avantageuses pendant l’évé-                 du pays) pour construire ou déve-
nement, puisque les organisateurs                lopper 36 sites pour les JO d’Athènes
leur attribuent une exclusivité com-             en 2004, ce qui a entraîné des coûts
merciale dans l’ensemble des zones               de maintenance importants les an-
d’accueil de l’événement. Au niveau              nées suivantes (96,6 millions d’eu-
local, les grandes entreprises du                ros en 2005 par exemple) et contri-
secteur bâtiment-travaux publics                 bué à la crise de la dette grecque de
(BTP) profitent de l’opportunité de              la fin des années 2000. Au total, on
l’investissement massif en infra-                estime que pour Athènes 2004, les
structures. Les bénéfices des cinq               dépenses totales ont atteint 14 mil-
entreprises dominantes du BTP en                 liards d’euros pour seulement deux
Afrique du Sud ont augmenté de                   milliards d’euros de recettes.

7. Maennig Wolfgang, One Year Later: A Re-Appraisal of the Economics of the 2006 Soccer World
Cup, Limoges / Iowa City : IASE (International Association of Sports Economists) / NAASE
(North American Association of Sports Economists), Working Paper Series, n° 0723, 2007.

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GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION

   La piste de luge construite à                  cès à long terme, du moins selon
Turin pour les JO d’hiver de 2006                 certains indicateurs. La réussite re-
coûte deux millions d’euros par an                connue des JO d’été de Barcelone
sans qu’elle ait une utilisation suffi-           provient de l’insertion du projet spor-
sante depuis la fin des Jeux. Les                 tif dans un projet territorial global 9.
contribuables grenoblois ont payé                 La mise en place des nouvelles in-
jusqu’en 1992 les dépenses enga-                  frastructures de contournement du
gées par les collectivités territo-               centre-ville jusque-là saturé et la ré-
riales pour l’accueil des JO d’hiver              habilitation du quartier qui a accueilli
de 1968. Il en est de même pour                   le village olympique sont consi-
leurs homologues montréalais qui                  dérées comme deux réussites ur-
ont remboursé la dette olympique                  baines de grande ampleur. Elles ont
des JO de 1976 jusqu’en 2006.                     été favorisées par le caractère ras-
                                                  sembleur des JO qui a permis de
   Pour la coupe du monde de                      dépasser en peu de temps les blo-
football 2006, la Corée du Sud a                  cages sociaux, politiques et finan-
construit 10 nouveaux stades pour                 ciers. Dans le même ordre d’idées,
une facture de deux milliards de dol-             la réhabilitation du quartier est de
lars US (1,45 milliard d’euros), soit             la ville de Londres dans le cadre de
0,28 % de son PIB, et le Japon a fi-              l’accueil des JO de 2012 est une réus-
nancé sept nouvelles constructions                site urbaine reconnue, malgré des
et trois rénovations pour quatre mil-             dépenses liées à l’accueil de l’évé-
liards de dollars US (2,91 milliards              nement qui ont presque triplé entre
d’euros), soit 0,13 % de son PIB.                 l’estimation de 2005 (3 milliards de
Ces stades, pour l’essentiel surdi-               livres / 3,63 milliards d’euros) et
mensionnés pour les compétitions                  2014 (8,92 milliards de livres / 10,8
sportives locales, sont aujourd’hui               milliards d’euros).
considérés comme des « éléphants
blancs 8 ».                                          Pour autant, ces quartiers réha-
   Le recul est moins grand en                    bilités sont aujourd’hui peuplés de
Afrique du Sud, mais les premiers                 classes moyennes supérieures voire
résultats sont assez clairs. L’accueil            aisées. On s’aperçoit donc que, dans
de la coupe du monde de 2010 a eu                 les conditions dans lesquelles les
un impact négatif pour le gouver-                 grands événements sportifs sont
nement sud-africain (perte nette de               actuellement accueillis, l’impact aussi
20 milliards de rands, soit 1,38 mil-             bien à court qu’à long terme est in-
liard d’euros) alors que parmi les                certain. Si des réussites existent,
10 stades construits ou agrandis,                 elles profitent surtout aux classes
trois au moins sont déjà considérés               aisées et aux institutions proches de
comme des « éléphants blancs ».                   l’organisation de l’événement. Et ce
                                                  résultat d’impact mitigé doit encore
  Pourtant, certaines expériences                 être relativisé par la prise en compte
sont considérées comme des suc-                   des externalités.

8. Expression consacrée pour désigner ce type de réalisations d’envergure, souvent d’initiative
publique, mais in fine plus coûteuses que bénéfiques, et dont l’exploitation ou l’entretien de-
vient un fardeau financier (NDLR).
9. Gouguet Jean-Jacques, op. cit.

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Des externalités oubliées                         de montagne qui soulève le plus de
                                                  soupçons. Cette infrastructure, fac-
                                                  turée six milliards d’euros environ
D’un point de vue économique
                                                  (l’équivalent du coût total des jeux
   Il y a tout d’abord toutes les                 de Vancouver), aboutit à un tarif
conséquences que doivent subir les                kilométrique 10 fois supérieur à ce
populations locales du fait de la cor-            qui est demandé dans les Alpes
ruption dans le pays d’accueil ou                 autrichiennes ou suisses pour des
des lois d’exception imposées par                 travaux équivalents 12.
l’organisateur (FIFA, CIO). Sur le
                                                     Au-delà de la corruption, les lois
premier point, il est difficile, par na-
                                                  d’exception imposées par l’organi-
ture, d’obtenir des données. Néan-
                                                  sateur peuvent là encore générer un
moins, on sait qu’il y a souvent des
                                                  manque à gagner considérable pour
actes de corruption divers allant de
                                                  les populations locales. Avec la coupe
la surfacturation des travaux à tra-
                                                  du monde, la FIFA durcit réguliè-
vers des chaînes d’intermédiaires et
                                                  rement sa législation sur les restric-
de sous-traitants, à des actions d’in-
                                                  tions du commerce. Par exemple, les
timidation des populations, des tra-
                                                  vendeurs de rue perdent leur droit
fics divers (prostitution, drogue), du
                                                  au travail dans les zones exclusives
blanchiment d’argent sale 10…
                                                  autour des enceintes sportives. Ce
   Ainsi, la coupe du monde de                    genre d’externalités n’a encore ja-
football en Afrique du Sud est un                 mais été évalué précisément, notam-
bon exemple d’entente entre grands                ment en termes de conséquences
groupes de travaux publics pour sur-              sociales pour un certain nombre de
facturer la construction des stades 11.           familles, de perte de leur revenu 13.
L’Afrique du Sud s’est ainsi retrou-
vée avec des éléphants blancs qui,                D’un point de vue social
en plus, lui ont coûté beaucoup
                                                      Il existe ici toute une littérature
plus cher qu’ils n’auraient dû. Dans
                                                  sous la plume de syndicats interna-
le même sens, il est couramment
                                                  tionaux, d’organisations non gou-
admis que la corruption à Sotchi
                                                  vernementales ou d’organismes offi-
pourrait concerner de 30 % à 40 %
                                                  ciels qui dénoncent les méfaits de
de la totalité des 36 milliards d’eu-
                                                  l’accueil de grands événements spor-
ros investis dans les JO d’hiver 2014.
                                                  tifs dans trois directions.
C’est certainement la construction
des 58 kilomètres d’autoroute et de                 Il y a tout d’abord le problème
voie ferrée entre Sotchi et la station            des déplacements forcés de popu-

10. Ollier Fabien, « FIFA et CIO : institutions-pilotes du capitalisme prédateur », in Julie
Duchatel (sous la dir. de), op. cit.
11. Cottle Eddie, South Africa’s World Cup: A Legacy for Whom?, Durban : University of Kwa-
Zulu-Natal Press, 2011.
12. Sochi 2014: Encyclopedia of Spending. The Cost of Olympics Report by the Anti-Corruption
Foundation, 2014. URL : http://sochi.fbk.info/md/file/sochi_fbk_report_en_1.pdf. Consulté le
5 mai 2014.
13. Duminy James, Literature Survey: Mega-Events and the Working Poor, with a Special Reference
to the 2010 FIFA World Cup, Le Cap : African Center for Cities, University of Cape Town /
WIEGO (Women in Informal Employment Globalizing and Organizing), 2012.

10
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION

lation. Les grands événements spor-              déplacés ou interdits dans certaines
tifs entraînent l’expropriation de               parties de la ville.
résidents et la destruction de quar-
tiers populaires pour permettre la                   Il y a ensuite la ségrégation spa-
construction des infrastructures                 tiale qui vient amplifier ces dépla-
sportives et non sportives. Le plus              cements forcés de population. On
souvent (comme à Pékin), les condi-              assiste en effet, dans toutes les villes
tions de l’expropriation ne font pas             d’accueil, à un phénomène de gen-
l’objet d’une véritable négociation              trification (embourgeoisement des
avec les populations défavorisées qui            quartiers) à proximité des sites réha-
n’ont pas de solutions alternatives.             bilités. Une deuxième vague d’évic-
On peut même assister à des pres-                tions indirectes a toujours lieu du
sions pour accélérer le mouvement                fait de la hausse du prix du foncier
d’éviction quand les délais de fin de            ou des loyers. C’est donc toute la
travaux l’exigent (comme à Sotchi ou             composition sociodémographique
à Rio). Le cas le plus extrême peut              du quartier qui va évoluer, avec
consister en des expulsions violentes            d’une part l’arrivée de classes aisées
au milieu de la nuit, sans avertisse-            et d’autre part le départ des classes
ment préalable (Pékin).                          modestes qui ne peuvent plus se
                                                 maintenir dans un quartier réha-
    Ces expulsions concernent éga-               bilité. Ces populations vont re-
lement les habitants de quartiers                joindre des quartiers en voie de
informels qui doivent être détruits              marginalisation.
pour accueillir des équipements
sportifs, des logements ou des in-                   Il y a enfin le dumping social qui
frastructures diverses. L’Afrique du             est régulièrement dénoncé comme
Sud a ainsi opté pour l’élimination              une atteinte évidente aux principes
de bidonvilles et le relogement des              qui devraient en théorie se trouver
sans-logis dans des camps de transit.            au fondement même de l’éthique
Au Brésil, de multiples favelas sont             sportive. Il s’agit en premier lieu de
menacées et depuis 2009, l’État de               l’atteinte au droit du travail dans le
Rio a lancé un vaste programme                   cadre de la construction des infra-
de construction de près de 15 kilo-              structures. Pour tenir les délais, il
mètres de murs de trois mètres de                peut être imposé des conditions de
hauteur autour de 13 favelas de la               travail allant jusqu’au décès d’ou-
zone sud la plus touristique. De                 vriers (Afrique du Sud, Brésil, Qa-
plus, cela est complété par une poli-            tar). Il s’agit en second lieu du non-
tique de reconquête des favelas avec             respect d’engagements pris auprès
l’installation d’« unités de police pa-          des travailleurs afin de minimiser
cificatrice ». On peut se demander               les coûts. C’est le cas par exemple
ainsi de quel type d’urbanité veulent            de salariés sous-payés (Afrique du
se réclamer les JO 2016 à Rio 14. De             Sud, Brésil), voire tenus en état de
la même façon, pendant le temps de               privation de liberté (Qatar). Les orga-
l’événement, on cache les pauvres.               nisations sportives internationales
Les sans-logis peuvent ainsi être                ne contribuent pas suffisamment à

14. Borius Olivier, « Rio de Janeiro olympique : murs tropicaux, favelas et gentrification »,
2010. URL : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00499344. Consulté le 5 mai 2014.

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faire respecter les droits du travail              un rapport du WWF 17, les princi-
ainsi que le versement de salaires                 pales erreurs commises sont les sui-
corrects en incluant par exemple                   vantes : localisation du cluster olym-
ces aspects dans leurs cahiers des                 pique sur le territoire d’un parc
charges avec sanctions à l’appui 15.               national ; constructions dans des
                                                   zones à risques ; études d’impact
D’un point de vue                                  insuffisantes du fait d’un manque
environnemental                                    d’informations de base sur l’envi-
                                                   ronnement ; destruction des frayères
   Parmi les très nombreux pro-                    à saumons de la rivière Mzymta et
blèmes, il y a tout d’abord l’em-                  de tout son écosystème ; destruc-
preinte carbone des grands événe-                  tion de milliers d’hectares de forêts
ments sportifs qui dépend en grande                primaires datant de l’ère tertiaire ;
partie du transport international. Par             destruction de sites d’hibernation,
exemple, l’empreinte de la coupe du                de couloirs de migrations d’espèces
monde de football 2010 en Afrique                  sauvages… Dans le même sens, la
du Sud a été estimée à 2,8 millions                législation relative à la protection de
de tonnes de CO2 équivalent. Le                    l’environnement a singulièrement
seul transport international repré-                reculé au prétexte de l’organisation
sentait 67,4 % du total pour la mo-                des Jeux. Par exemple, l’interdiction
bilité des joueurs et des spectateurs.             d’organiser des grands événements
On estime que cette empreinte est                  sportifs dans un parc national a été
huit fois supérieure à celle de la                 amendée, l’autorisation d’abattre des
coupe du monde 2006 en Alle-                       espèces rares d’arbres a été don-
magne. Compte tenu de la locali-                   née…, ceci au mépris du nouveau
sation du Brésil et de l’étendue du                principe de non-régression du droit
pays, l’empreinte carbone devrait                  de l’environnement.
être également très élevée pour le
Mondial 2014 16. Cela pose le pro-                    Quand on réunit toutes ces exter-
blème de l’internalisation de tels                 nalités négatives, on se rend compte
effets externes (augmentation du                   qu’il est loin d’être évident de consi-
prix des billets d’avion, des tickets              dérer que les grands événements
d’entrée pour les spectateurs ve-                  sportifs constituent une opportu-
nant de loin…).                                    nité intéressante pour le pays d’ac-
                                                   cueil. On est en droit de savoir s’il
   Il y a ensuite l’exemple d’organi-              est rationnel de continuer dans la
sation de grands événements comme                  course à l’accueil pour faire monter
les JO de Sotchi qui constituent un                les enchères et connaître la « malé-
véritable désastre écologique. Selon               diction du vainqueur 18 », voire s’il ne

15. Solidar Suisse, « Le mondial 2014 au Brésil : une fête pour toutes et tous ? », dossier,
2012. URL : http://www.solidar.ch/data/0DF06392/Dossier_layout_F.pdf. Consulté le 5 mai 2014.
16. Sustainable Brazil: Social and Economic Impacts of the 2014 World Cup, São Paulo : Ernst&
Young Terco, 2011.
17. Voir « Mistakes of Sochi-2014 », sur le site de l’antenne russe du WWF (World Wide Fund
for Nature). URL : http://www.wwf.ru/about/positions/sochi2014/eng. Consulté le 5 mai 2014.
18. Andreff Wladimir, « The Winner’s Curse: Why is the Cost of Mega Sporting Events so Often
Underestimated? » in Wolfgang Maennig et Andrew Zimbalist (sous la dir. de), International
Handbook on the Economics of Mega Sporting Events, Cheltenham / Northampton : Edward Elgar, 2012.

12
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION

serait pas raisonnable de revoir com-          Cuiabá, Manaus et Natal) ne cor-
plètement les instruments d’aide à             respondent pas à des besoins réels
la décision et les modalités de prise          (en moyenne 2 000 à 4 000 spec-
de décision.                                   tateurs pendant le championnat).
                                                  La solution existe en partie avec la
Éléments                                       mise en place d’infrastructures tem-
                                               poraires ou démontables 19. Londres
de prospective                                 a déjà expérimenté de tels équipe-
    Pour l’organisation des grands             ments temporaires pour les JO 2012.
événements sportifs en cours ou à              Cette solution n’est pas moins
venir (coupe du monde de football              coûteuse que la construction d’in-
2014 au Brésil, JO 2016 à Rio, coupe           frastructures pérennes, mais elle
du monde de football 2018 en Rus-              économise ensuite tous les coûts
sie et 2022 au Qatar), il faut se de-          de fonctionnement. Ce recyclage
mander si l’on n’est pas en train de           d’équipements sportifs va être au
refaire les mêmes erreurs que celles           centre de la stratégie du Qatar pour
que nous venons de dénoncer. Dans              la coupe du monde 2022. Il est cer-
un premier temps, nous revenons                tain que 12 stades de grande capa-
sur la question fondamentale de                cité surpassent très largement les
l’héritage des grands événements               besoins de cet État. Le projet est donc
sportifs. Dans un second temps,                de démanteler ces stades et de les
nous discutons de nouvelles moda-              reconstituer à échelle adaptée pour
lités de prise de décision.                    les réinstaller dans des pays pauvres.
                                               C’est ainsi un enjeu considérable
                                               pour les organisations sportives
La question de l’héritage                      internationales d’imposer, dans
                                               leur cahier des charges, des équipe-
Héritage tangible                              ments suffisamment flexibles pour
                                               correspondre à la demande de long
   Aujourd’hui, la première hantise            terme 20.
des organisateurs de grands événe-
ments sportifs est le problème des                La deuxième question relative à
éléphants blancs. Par le passé, les            l’héritage concerne les infrastruc-
grands événements sportifs ont                 tures non sportives. À l’occasion des
donné lieu à la construction d’in-             grands événements sportifs, de mul-
frastructures surdimensionnées qui,            tiples infrastructures sont moder-
par la suite, ne servaient à rien faute        nisées : autoroutes, aéroports, lignes
d’un club résident, d’une demande              à grande vitesse, stations d’épura-
suffisante de spectateurs ou d’un              tion…, avec des effets de long terme
financement des coûts de fonction-             escomptés sur la productivité d’en-
nement à la hauteur. C’est ce qui              semble du territoire d’accueil. En-
risque d’arriver à nouveau dans le             core faut-il que ces infrastructures
cas du Brésil où quatre stades de              soient au service de ceux qui en ont
la coupe du monde 2014 (Brasília,              le plus besoin, ce qui n’est pas né-

19. Le Roux Hein, « Cost Model: Sporting Venues », Building Magazine, janvier 2012.
20. Ridley Rob, « Hunting White Elephants », SportBusiness International, n° 185, décembre
2012.

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cessairement le cas. C’est l’exemple        critiqués sur leur volet social et en-
du Gautrain, premier train à grande         vironnemental, d’où une dégrada-
vitesse construit pour la coupe du          tion de l’image du pays d’accueil.
monde en Afrique du Sud, qui ne             La coupe du monde au Qatar est
profite qu’aux classes supérieures          une bonne illustration de la diffi-
et aux touristes.                           culté croissante qu’aura ce pays à
                                            justifier la légitimité de sa candida-
    Cela pose tout le problème du           ture à l’heure de l’accélération du
calcul du coût d’opportunité de tels        réchauffement climatique. Il en est
équipements : l’investissement n’au-        de même pour le Brésil qui risque
rait-il pas rapporté plus à la société      de souffrir d’une dégradation de son
s’il avait été consacré à des secteurs      image comme auparavant la Grèce,
comme le logement, l’éducation, la          le Portugal, la Chine, l’Afrique du
santé, la culture… Au vu des résul-         Sud ou la Russie. L’opinion publique
tats passés, il n’est pas certain que       internationale a tendance à retenir
l’héritage tangible des grands évé-         les aspects négatifs de l’héritage et
nements sportifs soit à la hauteur          les organisations sportives inter-
des espérances. De plus, l’événe-           nationales feraient bien de se de-
ment sportif devient un simple pré-         mander si l’on n’est pas en train
texte au service d’un projet plus gé-       d’atteindre un seuil d’acceptabilité
néral de modernisation urbaine et           sociale de manifestations consi-
d’accès au statut de ville mondiale,        dérées comme un « barnum » ou
ce qui ne résout pas nécessairement         comme « les jeux du cirque de l’ère
les problèmes sociaux les plus ur-          marchande ». Des travaux de pros-
gents. Au contraire, ces investisse-        pective sur le cycle de vie des grands
ments sont mis au service d’une             événements (JO) commencent à être
oligarchie dont l’objectif est d’appar-     menés, compte tenu de l’inquiétude
tenir à une élite mondiale, les grands      d’un certain nombre d’experts sur
événements sportifs permettant d’en         l’avenir du sport (encadré ci-contre).
donner une preuve.
                                                D’un point de vue interne aux
Héritage intangible                         pays d’accueil, l’exemple brésilien
   L’objectif des pays d’accueil est        est édifiant pour venir contrecarrer
généralement double : améliorer             l’image traditionnellement véhi-
leur image sur la scène internatio-         culée de l’héritage intangible des
nale ; renforcer l’unité nationale.         grands événements sportifs. Ces
                                            événements sont réputés produire
   Sur le premier point, il est diffi-      des émotions qui renforceraient la
cile de faire des prévisions, tant ce       fierté nationale, l’identité nationale,
type d’héritage relève d’une grande         l’intégration sociale des minorités 21.
subjectivité dans son évaluation. On        Le Brésil risque de laisser un autre
peut néanmoins s’attendre à des             héritage autour du rejet de ce type
évolutions dans les années à venir          d’événement. Des manifestations
autour des grands événements                de rue de plus en plus nombreuses
sportifs qui sont de plus en plus           dénoncent le gaspillage économique

21. Preuss Holger, « The Contribution of the FIFA World Cup and the Olympic Games to
Green Economy », Sustainability, vol. 5, août 2013, p. 3581-3600.

14
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION

   L’HÉRITA GE DES G RA NDS ÉVÉN EMENTS SPORTIF S

   Une littérature abondante commence à s’intéresser à l’analyse économique du
   cycle de vie des grands événements sportifs autour de quatre phases : candi-
   dature, préparation (dont mise en place des infrastructures), déroulement de la
   manifestation, et héritage à long terme. Une bonne synthèse de ces travaux a
   été réalisée par Wolfgang Maennig et Andrew Zimbalist 1. Aujourd’hui, des ré-
   flexions sont en cours, notamment sur le futur de la coupe du monde de foot-
   ball au Brésil 2, en Russie 3 et au Qatar 4, en s’appuyant en particulier sur des
   résultats importants tirés de la coupe du monde 2010 en Afrique du Sud 5.
   Dans tous ces travaux, il est reconnu l’existence de deux types d’héritage 6 : un
   héritage tangible (stades, infrastructures) et un héritage intangible (image de
   marque internationale, identité nationale). Sur l’héritage tangible, la préoccu-
   pation des chercheurs se concentre sur deux points essentiels : le problème des
   « éléphants blancs » d’une part, et celui des coûts d’opportunité d’autre part (ne
   vaudrait-il pas mieux investir ailleurs que dans le spectacle sportif ?). Sur l’hé-
   ritage intangible, tout le monde reconnaît la très grande difficulté de l’exercice
   du fait que le calcul s’adresse ici à la catégorie des externalités économiques.
   Au final, la communauté des économistes regrette souvent que l’on instrumen-
   talise la valeur très aléatoire de cet héritage intangible pour compenser des
   résultats souvent décevants autour de l’héritage tangible.
                                                                                J.-J.G.

   1. M AENNIG Wolfgang et Z IMBALIST Andrew (sous la dir. de), International Handbook on the
   Economics of Mega Sporting Events, Cheltenham / Northampton : Edward Elgar, 2012.
   2. C ARDOSO Marcos Vinicius, F LEURY Fernando A. et M ALAIA João Manuel, « World Cup Legacy and
   Pertaining Impacts on São Paulo City’s Future », Future Studies Research Journal, vol. 5, n° 1, jan-
   vier-juin 2013, p. 168-201.
   3. WARSHAW Andrew, « Russia 2018 Review Reports Good Progress and Highlights Legacy », In-
   side World Football, 13 mai 2013. URL : http://www.insideworldfootball.com/world-cup/russia-
   2018/12518-russia-2018-review. Consulté le 5 mai 2014.
   4. Qatar National Vision 2030, 2008. URL : http://www.gsdp.gov.qa/portal/page/portal/gsdp_
   en/qatar_national_vision/qnv_2030_document/QNV2030_English_v2.pdf. Consulté le 5 mai 2014.
   5. COTTLE Eddie, South Africa’s World Cup: A Legacy for Whom?, Durban : University of KwaZulu-
   Natal Press, 2011.
   6. P REUSS Holger, « The Conceptualisation and Measurement of Mega Sporting Events Legacies »,
   Journal of Sport and Tourism, vol. 12, n° 3-4, 2007, p. 207-227.

de ressources rares alors que les be-                  Le choix des instruments
soins de base ne sont pas satisfaits.
De plus, les conséquences précé-                       d’aide à la décision
demment décrites en termes d’ac-                       Un risque d’instrumentalisation
centuation de la ségrégation spatiale
dans les grandes villes d’accueil vont                    La décision d’accueillir des grands
renforcer le sentiment de dualisa-                     événements sportifs est éminem-
tion de la société brésilienne. Les                    ment politique. Dans ce cadre, les
grands événements sportifs sont                        décideurs commandent des études
susceptibles d’être tenus pour res-                    ex ante dont les résultats doivent
ponsables de l’augmentation des                        justifier l’accueil de ces événements
inégalités dans un pays déjà forte-                    en faisant miroiter des retombées
ment inégalitaire.                                     économiques considérables. Non

                                                                                                          15
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014

seulement ces calculs reposent sou-              liards d’euros) de revenus pour les
vent sur des bases scientifiques                 habitants. Au final, l’accueil de la
faibles, mais, en plus, ils ne sont pas          coupe du monde augmenterait le
légitimes. La justification de l’ac-             PIB de 1,8 %. Ces chiffres sont tout
cueil d’un événement doit se faire               à fait comparables à ceux proposés
au vu d’un calcul de rentabilité so-             par GT en Afrique du Sud.
ciale et non d’un calcul de retom-
                                                    Ces cabinets vendent aussi des
bées économiques 22.
                                                 éléments qualitatifs de nature à lé-
   Un rapport rendu en 2003 par le               gitimer l’accueil au-delà de l’impact
cabinet Grant Thornton (GT), pen-                économique pur, mais dont la faible
dant la campagne de candidature                  scientificité rend peu crédibles les
de l’Afrique du Sud pour l’accueil de            évaluations (exemple : instrument
la coupe du monde 2010, illustre ce              de « soft power »).
type de résultat 23. Il prévoyait que                Dans le même temps, des études
l’Afrique du Sud bénéficierait, grâce            d’impact ex ante ou ex post, sont
au Mondial, d’un gain de 4,9 mil-                réalisées par des chercheurs indé-
liards de rands (338 millions d’eu-              pendants mais aboutissent à des ré-
ros), alors que les estimations réali-           sultats inconsistants. Très souvent,
sées après l’événement démontrent                les études de retombées écono-
que le pays a perdu 20 milliards de              miques de grands événements spor-
rands (1,38 milliard d’euros). Cette             tifs surévaluent considérablement
erreur impressionnante s’explique                les résultats du fait d’erreurs plus
notamment par la différence entre                ou moins grossières dans l’appli-
les dépenses réelles du gouverne-                cation des théories économiques :
ment sud-africain (calculées en 2010)            non-prise en compte de l’effet de
et la prévision de 2003, ce qui cor-             substitution ; non-prise en compte
respond à une sous-estimation de                 du déplacement temporel de dé-
1 709 % par le cabinet.                          penses de consommation ou d’in-
                                                 vestissement ; omission des effets
   De son côté, le Brésil a fait appel
                                                 d’éviction en matière de consom-
au cabinet Ernst&Young pour esti-
                                                 mation ou d’investissement ; omis-
mer l’impact de l’accueil de la coupe
                                                 sion des fuites hors territoire ou, au
du monde 2014. D’après le rap-
                                                 contraire, double comptabilisation
port 24, les effets économiques sur
                                                 pour les injections.
le pays seront remarquables : 142,4
milliards de réals (45,75 milliards                Sur la base de ces erreurs, on
d’euros) injectés dans l’économie                aboutit à des résultats surprenants.
brésilienne sur la période 2010-14,              Pour la candidature de Paris aux
générant 3,6 millions d’emplois et               JO de 2012, une étude du Boston
36,5 milliards de réals (11,73 mil-              Consulting Group (BCG) de 2004 25

22. Barget Éric et Gouguet Jean-Jacques, Événements sportifs. Impacts économique et social,
Bruxelles : De Boeck, 2010.
23. Grant Thornton Kessel Feinstein, South Africa 2010: Soccer World Cup Bid. Economic
Impact - Executive Summary, 2003, cité in Eddie Cottle, op. cit.
24. Sustainable Brazil […], op. cit.
25. Évaluation des impacts économiques des JO à Paris. Principaux éléments d’analyse, Boston :
BCG, 17 juin 2004, non publié.

16
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION

annonçait 42 000 emplois pérennes                 de rentabilité sociale. Dans l’idéal,
et 35 milliards d’euros de retom-                 il serait même souhaitable d’effec-
bées dans les sept années suivant                 tuer un calcul coûts/bénéfices ex
les Jeux. Pour la coupe du monde                  ante comme instrument d’aide à la
de rugby de 2007 en France, une                   décision, et un calcul de retombées
étude de l’ESSEC de 2007 26 pré-                  ex post pour bénéficier de données
voyait huit milliards d’euros de re-              réelles fiables.
tombées économiques, dont quatre
milliards avant et pendant l’événe-               Vers des choix démocratiques
ment, alors qu’une étude acadé-
mique a calculé ex post un impact                     L’accueil de grands événements
économique et social de 500 000                   sportifs doit-il être laissé au seul
euros 27. Pour le tournoi de Flushing             choix des experts ou doit-il relever
Meadows, la ligue américaine de                   d’un vrai débat public ? Des réfé-
tennis estimait ses retombées éco-                rendums ont déjà été expérimentés
nomiques à 3 % de l’impact annuel                 dans le cas des JO d’hiver, à Mu-
total du tourisme à New York, ce                  nich, Oslo ou Saint-Moritz. Par
qui est tout simplement insensé 28.               exemple, pour Munich, la victoire
Le cabinet américain Aecom avait                  du « non » au référendum a traduit
estimé à quatre milliards d’euros                 la crainte exprimée par les citoyens
l’impact économique de l’accueil de               de la détérioration de l’image de la
la coupe du monde de football en                  ville du fait de l’endettement, de
1994 pour les États-Unis, alors que               l’altération de l’environnement ou
les économistes académiques ne                    du coût d’opportunité des Jeux. À la
trouvent aucune trace d’impact.                   suite des jeux de Sotchi, l’appré-
                                                  hension d’une facture démesurée
    On comprend ainsi pourquoi les                et du bétonnage de la montagne
dossiers de candidature à l’organi-               cristallisent les oppositions à ce type
sation de grands événements spor-                 de projets dans les pays concernés.
tifs restent le plus souvent secrets.             Cela pose donc tout le problème de
Les résultats des études qu’ils uti-              l’accueil des grands événements spor-
lisent sont commandés pour légiti-                tifs dans des pays démocratiques.
mer une décision politique plutôt
que pour démontrer une quel-                         De plus en plus, un tel accueil se
conque utilité sociale 29. Ces calculs            fait dans des pays émergents mais
de retombées économiques ne sont                  également dans des pays à régime
pas légitimes pour justifier de l’or-             politique autoritaire qui sont ca-
ganisation d’un grand événement                   pables d’imposer des choix qui ne
sportif. Il faut pour cela un calcul              seraient pas nécessairement admis

26. Les Retombées économiques de la coupe du monde de rugby 2007 en France. Étude pour le comité
d’organisation France 2007, Paris : ESSEC (École supérieure des sciences économiques et com-
merciales), Chaire européenne de marketing sportif, 27 avril 2007.
27. Barget Éric et Gouguet Jean-Jacques, De l’évaluation des grands événements sportifs. La
coupe du monde de rugby 2007 en France, Limoges : Presses universitaires de Limoges, 2010.
28. Baade R., « Be Careful What You Wish For: A Cautionary Note for City Suitors for the 2012
Summer Olympic Games », document de travail non publié, 2005.
29. Crompton John L., « Economic Impact Studies: Instruments for Political Shenanigans? »,
Journal of Travel Research, vol. 45, août 2006, p. 67-82.

                                                                                            17
© futuribles n° 401 . juillet-août 2014

dans une démocratie. Il faut bien re-                  saire de répondre à des questions
connaître en effet que les conditions                  préalables avant de lancer l’accueil
imposées par les grandes organi-                       de grands événements : quelles se-
sations sportives internationales                      ront les conséquences d’un tel
peuvent apparaître insupportables                      accueil ? Au profit et au détriment
aux classes populaires de pays démo-                   de qui se fera une telle organisa-
cratiques qui vont résister. Faut-il                   tion ? La prise de décision de l’ac-
alors cautionner la position consis-                   cueil est-elle démocratique ? Avec
tant à donner leur préférence à l’or-                  la mise en place de conférences de
ganisation des grands événements                       citoyens, il n’est pas certain que les
sportifs dans des régimes forts qui                    événements sportifs tels que nous
sont capables de garantir l’accepta-                   les connaissons aujourd’hui puissent
tion sociale des coûts d’organisation ?                se maintenir, tant leurs coûts ne
                                                       compensent pas nécessairement
   Pour éviter de tels abus, de nou-                   leurs avantages.
velles procédures de décision de-
vraient être testées, quitte à accepter                                        ]
                                                                              ] ]
des remises en cause d’un certain
nombre de projets. L’expérience                           Nous venons de suggérer que l’ac-
montre que les conférences de ci-                      cueil de grands événements sportifs
toyens peuvent constituer un rem-                      ne contribue pas nécessairement à
part contre la mise en place de grands                 l’amélioration du bien-être des popu-
projets inutiles. L’heure est à la lutte               lations des pays concernés. La déci-
contre la démesure et il est néces-                    sion d’accueil n’est pas toujours prise

     RÉCHA UF FEMENT CLIMA TIQU E ET J O D’HI VER DU FUTU R

     Une étude menée par l’université de Waterloo au Canada 1 a cherché à déter-
     miner si les 19 sites qui ont accueilli les Jeux d’hiver dans le passé pourraient
     continuer à le faire dans la deuxième moitié du XXIe siècle. Compte tenu du
     réchauffement climatique, parmi de multiples indicateurs testés, deux ont été
     retenus : la probabilité que la température du jour reste suffisamment basse pour
     éviter le dégel des pistes ; la probabilité que le manteau neigeux reste supérieur
     à 30 cm. Une station sera éligible à l’accueil des Jeux si un ou les deux indica-
     teurs sont satisfaits dans plus de 75 % des hivers. Les prévisions ont été effec-
     tuées sur la base de données météorologiques mondiales combinées à des scé-
     narios du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
     Dans le scénario le plus pessimiste, les résultats obtenus pour 2080 sont les
     suivants :
     — Stations non fiables : Sotchi, Grenoble, Garmisch-Partenkirchen, Chamonix,
     Vancouver, Squaw Valley, Sarajevo, Oslo, Innsbruck, Turin, Nagano.
     — Stations à haut risque : Lillehammer, Lake Placid.
     — Stations fiables : Sapporo, Salt Lake City, Saint-Moritz, Cortina d’Apezzo, Cal-
     gary, Albertville.
                                                                                 J.-J.G.

     1. S COTT Daniel, STEIGER Robert, R UTTY Michelle et J OHNSON Peter, « The Future of the Winter
     Olympics in a Warmer World », Waterloo : University of Waterloo, janvier 2014.

18
GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS : LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉÉVALUATION

    CA TASTROPHE DE F UKUSHI MA ET JO DE TOKYO 2020

    Selon les spécialistes et de nombreuses organisations non gouvernementales
    (ONG), la situation de la centrale de Fukushima (où s’est produite la catastrophe
    nucléaire de mars 2011) n’est absolument pas sous contrôle. De plus, le déman-
    tèlement d’une telle centrale demandera une cinquantaine d’années environ.
    D’ici là, la fragilité des installations est telle que tout risque d’accident majeur
    est loin d’être écarté. Dans ces conditions, fallait-il organiser les jeux Olympiques
    de 2020 à Tokyo ? Au minimum, un certain nombre de scientifiques et d’ONG
    suggèrent que le Comité international olympique finance une étude scientifique
    internationale indépendante pour évaluer le niveau réel du risque d’accueillir
    ces Jeux 1.
                                                                                    J.-J.G.

    1. Voir la lettre du professeur Helen Caldicott (Helen Caldicott Foundation) à Thomas Bach (pré-
    sident du CIO) le 23 janvier 2014. URL : http://akiomatsumura.com/wp-content/uploads/2014/
    03/Helen-Caldicott-IOC-Letter1.pdf. Consulté le 6 mai 2014.

de façon démocratique, mais plus                      demandes de la société civile, sous
souvent par les parties prenantes qui                 peine de se voir opposer des résis-
ont des intérêts dans l’événement.                    tances de plus en plus fortes de la
Cela implique une révision globale                    part des populations concernées.
de la conception de tels événements                   Ou bien il suffira d’attendre les
qui sont devenus totalement déme-                     contraintes environnementales qui
surés. C’est certainement la condi-                   se profilent. Par exemple, une pros-
tion indispensable pour garantir l’or-                pective menée par une équipe ca-
ganisation future de ces événements                   nadienne a montré que pour les
qui sont de plus en plus ouverte-                     jeux Olympiques d’hiver de 2080,
ment contestés dans les pays démo-                    il ne resterait que très peu de lieux
cratiques. Les promesses de béné-                     capables d’accueillir les Jeux, faute
fices considérables tant tangibles                    de neige 30. Dans le même sens, on
qu’intangibles ne font plus rêver. Si                 peut s’interroger sur l’organisation
on rajoute la nécessité de respecter                  des JO d’été 2020 à Tokyo compte
des contraintes environnementales                     tenu des conséquences potentielles
de plus en plus vitales comme celles                  de la catastrophe de Fukushima. La
liées au réchauffement climatique,                    transition écologique en cours nous
l’avenir des grands événements spor-                  conduira peut-être vers un autre
tifs tels que nous les connaissons                    mode d’organisation économique et
aujourd’hui n’est plus assuré.                        sociale qui ne connaîtra plus le spec-
                                                      tacle sportif. Le futur du sport reste
  Les organisations sportives inter-                  à écrire en fonction des hypothèses
nationales vont devoir accepter de                    que l’on peut poser sur l’issue des
prendre en compte ces nouvelles                       grands défis planétaires actuels. ■

30. Scott Daniel, Steiger Robert, Rutty Michelle et Johnson Peter, « The Future of the
Winter Olympics in a Warmer World », Waterloo : University of Waterloo, janvier 2014. Voir
encadré ci-contre.

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