Henchir Tawrirt (Jerba) : un site libyque aux origines - OpenEdition Journals
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Antiquités africaines L’Afrique du Nord de la protohistoire à la conquête arabe 52 | 2016 Varia Henchir Tawrirt (Jerba) : un site libyque aux origines Sami Ben Tahar Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/antafr/544 DOI : 10.4000/antafr.544 ISSN : 2117-539X Éditeur CNRS Éditions Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2016 Pagination : 9-52 ISBN : 978-2-271-09352-3 ISSN : 0066-4871 Référence électronique Sami Ben Tahar, « Henchir Tawrirt (Jerba) : un site libyque aux origines », Antiquités africaines [En ligne], 52 | 2016, mis en ligne le 24 avril 2020, consulté le 07 mai 2020. URL : http:// journals.openedition.org/antafr/544 ; DOI : https://doi.org/10.4000/antafr.544 Antiquités africaines
Henchir Tawrirt (Jerba) : un site libyque aux origines protohistoriques Sami Ben Tahar* Mots-clés : Henchir Tawrirt ; Jerba ; Jeffara ; protohistoire ; céramique Keywords: Henchir Tawrirt; Jerba; Jeffara; protohistory; à empreintes de vannerie ; punique ; Sahara ; Carthage ; libyque ; Basket Ware; Punic; Sahara; Carthage; Libyan; flint; silex ; villa rurale. rural villa. Résumé : Les recherches archéologiques conduites entre 2006 et Abstract: Archaeological research carried out between 2006 2008 sur Henchir Tawrirt, site situé au sud-est de l’île de Jerba, and 2008 on Henchir Tawrirt, a site located in the southeast of ont mis au jour des vestiges s’étalant de la Protohistoire jusqu’à the island of Jerba, yielded remains dating from protohistory to l’époque romaine. Les plus anciennes traces d’occupation humaine Roman period. The most ancient traces of occupation on this consistent en des fonds de cabanes qui ont livré, outre des outils en site consist of remains of floor of huts which have delivered, silex, une poterie complètement inconnue jusqu’alors : il s’agit de la besides flint tools, a pottery entirely unknown on the island céramique à empreintes de vannerie. Cette dernière serait la réplique until now, Basket Ware. This is related to protohistoric insulaire d’une poterie protohistorique caractéristique du Sahara ceramics characteristic of the Libyan Sahara. In the Punic libyen. À l’époque punique, ce site s’est ouvert sur la Méditerranée, period, this site was open to the Mediterranean probably since probablement à partir du ve s. av. J.-C. comme en témoignent les the 5th century BC, as shown by the imported wine amphorae amphores importées de Carthage et de la Grande Grèce, destinées from Carthage and Magna Graecia. At the end of the 1st or the à contenir du vin. Vers la fin du ier s. ou au début du iie s. apr. J.-C., un beginning of the 2nd century AD, a large building, probably grand édifice, vraisemblablement une villa rurale, y a été construit, a rural villa, was constructed to exploit the agricultural destiné à exploiter les denrées agricoles qui y étaient produites. production in the territory. Introduction Dans le cadre du projet de recherches archéologiques tuniso-américain, ce site2 – identifié comme étant une villa – Henchir Tawrirt1 se trouve au sud-est de l’île de Jerba, a fait l’objet d’une prospection géophysique dont les vestiges, à l’intérieur des terres, à 2 km à l’ouest du site punique essentiellement des restes de murs et de fours qui produi- de Soûq el Guébli (fig. 1). Il se présente sous forme d’un saient des amphores de type Mau XXXV3, ont été dessinés monticule dont la courbe de niveau indique une élévation dans un plan d’ensemble (fig. 3)4. Les trouvailles de surface, de 20 mètres par rapport au niveau de la mer et dont la notamment la céramique à vernis noir, ont permis de dater superficie globale est aux alentours de deux hectares. cette villa du iie s. av. J.-C.5. Dans les endroits dégarnis, on peut voir quelques pierres taillées, des pans de murs en brique crue, des tesselles Le monument le plus proche de Henchir Tawrirt, situé éparpillées de mosaïque romaine et de multiples fragments à 200 m à l’ouest de notre site, appelé par la population de meules antiques à grain en basalte (fig. 2). D’autres locale « Dar El Ghoula »6, est un tombeau romain7, objets, tels que les pesons en pierre pour lester les filets de probablement un sepulchrum familiare, comme le laissent pêche, témoignent de l’activité halieutique pratiquée par la entendre les deux niches taillées dans deux de ses parois : population de ce site. celle du fond à l’ouest et celle latérale à l’est. Il s’agit d’un Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 2. Le numéro attribué à ce site est le K050 : Fentress, Fontana 2009, p. 86, fig. 7.1. 3. Fentress, Fontana 2009, p. 89, ci-après désignées sous l’appella- * Institut national du Patrimoine de Tunis. tion « pseudo-Dressel 2/4 ». 1. Tawrirt est un terme berbère qui veut dire « la colline ou la petite 4. Fentress, Fontana 2009, p. 88. montagne ». La montagne se traduit en berbère par « Awrir ». Je 5. Fentress, Fontana 2009, p. 89. dois toutes ces précisions à Monsieur Sassi Ben Yahiaten Djerbien 6. « Maison de l’ogresse ». berbérophone que je remercie infiniment. 7. Fentress, Fontana 2009, p. 190, fig. 12.3 ; 12.4. 9
Fig. 1 : Localisation de Henchir Tawrirt (Jerba). Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 Fig. 2 : Meule à grain en basalte trouvée en surface. 10
Murs Fours 0 50m 0 10 m Fig. 3 : Plan d’ensemble des vestiges repérés par la prospection géophysique, d’après Fentress, Fontana 2009, p. 88, fig. 7.4. tombeau monumental appartenant selon toute vraisemblance I. Époque protohistorique au seigneur ou au propriétaire de la villa romaine de Henchir Tawrirt8. Toutefois, une découverte a attiré notre 1. Fonds de cabanes à poteaux porteurs en bois : attention lors de la prospection de surface effectuée en 2006. vestiges d’occupation humaine précaire Il s’agit de fragments de céramique portant sur leur paroi extérieure des empreintes de vannerie : un type de poterie Le sondage 3, effectué en mai 2008, a permis de mettre inconnu jusqu’alors en Afrique Mineure, mais documenté au jour deux niveaux de cabanes superposés dont le sol, en ailleurs sous le nom de Basket Ware9. terre battue, est situé à 2 m du niveau de circulation actuel. La découverte de ce type de céramique constituerait Le grand nombre de trous de poteaux indique la réutilisation a priori un indice d’une occupation humaine antérieure à du même espace à plusieurs reprises, probablement pour l’époque antique. accueillir plus d’une cabane (fig. 4). On peut ainsi supposer Pour vérifier cette hypothèse et afin d’établir une stra- que l’US 26 (fig. 5) correspond à l’emplacement de la poutre tigraphie qui retrace les principales phases d’occupation centrale, située au milieu d’une hutte de plan circulaire, dont qu’aurait connu ce site, quatre sondages archéologiques ont le diamètre serait de l’ordre de 2,50 à 2,60 m. Ce calcul a été été effectués. Le premier a été implanté en mars 2006 à la réalisé sur la base d’une restitution purement hypothétique lisière occidentale du site, à l’ouest d’un mur en « arête de qui propose de voir dans les US 27 et 28 deux trous pour poisson» ; le second en mars 200710, à l’est du même mur ; abriter deux autres poutres latérales. Les autres trous de le troisième et le quatrième sondage ont eu lieu en mai 2008 poteaux, correspondant aux US 29-34, appartiendraient à au sud-ouest du site (fig. 24a). Les résultats de ces sondages d’autres huttes installées au même niveau de circulation associés aux données recueillies grâce à nos reconnaissances mais à des périodes différentes. De tels fonds de cabanes ne de terrain seront exposés dans cet article. sont pas sans rappeler Althiburos où ils ont été documentés Les différents sondages effectués à Henchir Tawrirt, dans les niveaux du Numide Ancien, souvent associés dont la stratigraphie est présentée en annexe, laissent voir à des foyers et des vases écrasés in situ11. Les traces de un site pluristratifié avec une chronologie qui s’étale de la réfection observées sur le sol de Henchir Tawrirt pourraient Protohistoire à l’époque romaine. indiquer une installation humaine à caractère saisonnier12. Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 D’autres vestiges de fréquentation occasionnelle, matérialisés 11. Kallala, Sanmartí 2011b, p. 33. Pour la chronologie du Numide Ancien (xe/ixe s.-viiie/début du viie s. av. J.-C.), voir ibid., p. 31. 8. Ce site a été probablement transformé en villa rurale à l’époque 12. Les fonds de cabane n’impliquent pas toujours une installation humaine romaine, comme on le verra ci-dessous dans le texte. à caractère temporaire. Voir par exemple les trous de poteaux rencontrés 9. Mutin 2006. à l’intérieur des espaces d’habitat construits en dur dans le village des 10. Concernant ce sondage, nous nous contenterons de ne présenter Garamantes à Aghram Nadharif : Libyan Sahara II, 2005, p. 54, fig. 7.3-4. que la stratigraphie, sans pouvoir étudier les contextes, le matériel Toutefois, en ce qui concerne nos sondages, nous n’avons rencontré aucun étant perdu. vestige relatif à une construction en dur à Henchir Tawrirt. 11
Fig. 4 : S3. Fonds de cabanes protohistoriques. Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 Fig. 5 : S3. Plan des cabanes protohistoriques. 12
Fig. 7 : Céramique à empreintes de vannerie. La dissemblance au niveau de la morphologie et des dimensions entre ces deux types de vases est due à l’utili- sation de deux moules différents sous forme de paniers en vannerie : le premier est un couffin à parois divergentes ; le second un panier rond, à parois verticales. D’un point de vue typologique, ces formes ne trouvent pas de répondants dans les niveaux les plus anciens de Carthage où la céramique modelée a pourtant bien été mise en évidence en quantités notables13. Ce constat pourrait s’expliquer par la présence d’un répertoire local de tradition libyque, vraisemblablement inspiré d’un modèle autre que Fig. 6 : S2. Fond d’une cabane protohistorique avec une fosse, un foyer et un fragment d’une meule renversée. phénicien. En raison de la grande dimension de ces vases, les par des trous de poteaux associés à des restes de foyers et potiers ont dû recourir au moulage, dans une ciste, qu’ils des fosses – probablement de stockage de denrées pour une enlevaient avant la cuisson (le démoulage)14. Ces impres- courte durée – ont été décelés dans le sondage 2 (fig. 6). Dans sions répondent donc à un besoin fonctionnel plutôt qu’à un ces niveaux se rencontrent souvent des ossements animaux quelconque souci décoratif. (essentiellement des ovi-caprinés), parfois des fragments de Sur le plan technique, le vase est fabriqué suivant deux silex, de la céramique modelée de tradition libyque et de la procédés différents : le bord est modelé, alors que la paroi poterie à empreintes de vannerie. est façonnée au moyen d’un moule en vannerie. Ainsi nous avons maintenant la preuve archéologique de l’utilisation des moules végétaux pour la fabrication des vases15. 2. Culture matérielle De par leur forme et la nature de leur pâte réfractaire, riche en calcite, dont la surface extérieure est « bruñida » Basket Ware à l’intérieur, probablement au lissoir en pierre16, il s’agirait, du moins pour les grandes formes évasées, Outre les silex, la fouille des niveaux protohistoriques a de poêles ou tajines qui auraient servi à la torréfaction livré d’importantes quantités de Basket Ware. Il s’agit d’une des céréales pour la préparation de mets particuliers17. céramique caractérisée par une technique de fabrication particulière, à savoir un moulage fait à l’intérieur de paniers 13. Voir par exemple Niemeyer, Docter 1993, p. 216 ; Mansel dont les empreintes restent visibles sur la surface externe des 1999 ; Mansel 2007. vases (fig. 7). 14. Papí Rodes 1992-1994, p. 47 ; Arribas et alii 1979, p. 61-96. Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 Deux formes sont attestées : la première consiste en des 15. Contra Rovira 2006, p. 115. poêles de grandes dimensions, dont le diamètre dépasse 16. Nous avons mis au jour plusieurs lissoirs en galets d’oued à surface lisse. parfois les 60 cm (fig. 27, 1). Elles sont peu profondes et 17. Il est tentant de voir dans ces grands vases des poêles pour la ont un bord évasé bien distinct qui ne devait pas recevoir de préparation de mets libyques à base de céréales aromatisés. Et c’est couvercle au moment de la cuisson. peut-être de ce genre de nourriture que Pline parla, voir nat. XVIII, 98 : « Faites d’abord griller les lentilles puis pilez-les légèrement Quant à la deuxième forme (fig. 28, 1), elle se distingue avec du son ». Par ailleurs, nous disposons de quelques données par un bord en petit bandeau, peu évasé ou quasiment vertical. archéologiques qui pourraient apporter de l’eau à notre moulin. En Ces vases sont eux aussi de grandes dimensions (autour de effet, on a souvent rencontré dans les niveaux protohistoriques du site 50 cm), bien qu’inférieures à celles des grandes poêles. numide d’Althiburos des céréales carbonisées associées à des tajines. 13
Ces plats pourraient avoir été employés aussi pour la cuisson du pain18. D’après les données stratigraphiques de Henchir Tawrirt, la Basket Ware n’a pas été trouvée dans des contextes plus anciens que les ive-iiie s. av. J.-C. Ce fait pourrait s’expli- quer par la nature résiduelle de nos céramiques, étant recueillies dans des contextes secondaires. Ces poteries devraient dater, en conséquence, d’époques plus anciennes, à moins qu’il s’agisse d’une survivance protohistorique d’une technique céramique dont les origines remontent à l’aube de l’histoire. L’élargissement de la fouille et l’explo- ration archéologique d’un terrain plus vaste apportera cer- tainement une réponse plus décisive. Par ailleurs, ce type de céramique pose indirectement le problème de la vannerie protohistorique. Le panier qui servait Fig. 8 : Fragment de céramique à empreintes de vannerie de moule à ces poteries a été confectionné de jonc, d’alfa ou trouvé à Henchir Bourgou. de sparte. Pour ce qui est des empreintes, elles présentent toutes une structure circulaire qui rappelle la vannerie cousue en spirale19 à points serrés20, une espèce de « cestería cosida en espiral » obtenue par l’utilisation d’une aiguille21. Une telle technique est attestée en Orient dès la Protohistoire22. Il faut signaler ici que plusieurs activités économiques dépendaient de ce type de matériau, telles que la pêche. En effet, les filets, avant le début de l’importation du lin à partir de l’époque punique, probablement de Malte23, étaient confectionnés en sparte ou en alfa tout comme les cistes pour le transport des produits maritimes et terrestres. En ce qui concerne le jonc, on ne doit pas exclure la zone du sud-est tunisien où d’ailleurs quelques toponymes modernes rappellent directement cette culture, tels que Smar du côté de Tataouine et oued Smar dans les environs de Gigthis. Il est possible qu’on ait affaire à des transactions remontant à des époques très reculées dans le temps. Il s’agit selon toute vraisemblance d’un commerce par voies ter- Fig. 9 : Fragment de céramique à empreintes de vannerie restres dont il ne faut pas sous-estimer l’importance, d’autant trouvé à Ghizène. qu’il drainait essentiellement des matériaux périssables nécessaires à la pratique de plusieurs activités économiques vitales à cette époque. (Égypte) où de grands paniers étaient utilisés pour recouvrir En dehors de l’Africa, les plus anciennes attestations de les cavités creusées dans le sol, celles-ci devenant imper- céramique à empreintes de vannerie remontent à la période méables, à l’intérieur, suite à l’application d’une couche néolithique. L’exemple le plus connu est celui d’El Fayoum d’argile24. Cette découverte semble confirmer l’hypothèse de C. Alfaro qui présumait que « les premières pièces de céramique devaient avoir une armature en vannerie »25. Il y a là, je crois, les indices de l’utilisation de ces vases en tant que poêles pour la torréfaction des céréales. L’enquête ethnographique, par En Afrique, en l’état actuel de la documentation, les deux ailleurs, montre la survivance de cette pratique culinaire jusqu’à nos techniques sont attestées, à savoir le moulage dans des paniers jours dans plusieurs villages et hameaux modernes. en vannerie (Basket Ware) et les simples empreintes sur des 18. Cette même hypothèse a été avancée par K. Mansel pour certaines fonds externes relevant de l’utilisation d’une petite natte ou formes rencontrées à Carthage dans des niveaux datés entre la d’un plateau en vannerie ou en sparterie pour séparer le vase deuxième moitié du viiie et la première moitié du viie s. av. J.-C. : voir du disque de tournage ou de modelage. Cette technique est Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 Mansel 2005, p. 261. appelée Mat-impressed ou Basket Impressed Ware26. 19. Papí Rodes 1992-1994, p. 43. 20. Pour cette technique de vannerie, voir Maréchal 1989, p. 55. 21. Papí Rodes 1992-1994, p. 43. 24. Alfaro 1989, p. 104. 22. Stordeur 1989. 25. Alfaro 1989, p. 104. 23. J’avais émis l’hypothèse de l’importation de céramique fine et 26. Stacul 1974, p. 240. Cette technique est documentée en Nubie d’amphores maltaises à Ghizène à l’époque punique comme étant un dès les iii-iie millénaires av. J.-C. : voir Gatto 2010, p. 35 ; elle est complément de cargaison, laquelle était constituée essentiellement également attestée à Aghram Nadharif : Gatto 2005, p. 208, 237. Un d’autres marchandises, notamment de lin : voir Ben Tahar, à paraître. exemplaire a été trouvé à Althiburos : Ben Moussa et alii 2011, p. 277, Pour l’artisanat du lin à Malte, voir Bonanno 1990, p. 215. p. 382, 290214, 5.2. 14
à Thigibba Bure dans une tombe datée par la regrettée A. Ben Younès entre la fin du iiie s. et la deuxième moitié du iie s. av. J.-C.31 et à Gastel32. Ailleurs, à une échelle méditerranéenne, on ne rencontre que les empreintes végétales sur les fonds externes des vases et non des parois entières moulées dans des paniers en vannerie comme c’est le cas pour la céramique de Henchir Tawrirt. Quelques contextes archéologiques ont livré des fragments de vannerie collés par l’argile à la céramique33, mais de telles trouvailles restent rarissimes. L’inventaire dressé récemment par Papí Rodes des sites qui ont livré de la céramique à fond à empreintes de vannerie laisse voir l’ampleur géographique de la diffusion de cette poterie. En effet, de telles céramiques sont attestées au Proche Orient (Ezion-Géber, Teleilat Ghassul, Jéricho, Hazorea), en France (Soubérac, Ors, Matignons, Mornouards) dans des contextes du Bronze Moyen et dans la Péninsule ibérique (Almeria, Fig. 10 : Fragment de céramique à empreintes de vannerie Málaga, Alicante, en Catalogne) entre le Chalcolithique et le trouvé à Gigthis. Bronze final34. En dehors de Henchir Tawrirt, la Basket Ware est docu- mentée dans deux autres sites à Jerba, à savoir Henchir Céramique modelée Bourgou : fragment ramassé en surface (fig. 8) et Ghizène, au Nord-Est de l’île : tesson recueilli dans un contexte qui a Il importe de signaler qu’aucun tesson tourné n’a été livré de la céramique des ve et ive s. av. J.-C. (fig. 9). En ce recueilli dans les niveaux protohistoriques. La céramique qui concerne le continent, la céramique moulée en vannerie modelée mise au jour est peu variée du point de vue a été recueillie près des tumuli protohistoriques de Faj El technique et morphologique. On y trouve la poterie à engobe Ajaj dans les environs de Tataouine27 et à Gigthis dans un rouge (minoritaire), la commune et la céramique culinaire contexte de paléo-plage des ve-ive s. av. J.-C. (fig. 10)28. dont la surface extérieure est souvent lissée. Il est notable que toutes les céramiques modelées sont dépourvues d’anses. Il est notable que dans les contextes scellés des ve et Les prises, quand il y en a, sont toujours sous forme de ive s. av. J.-C., notamment à Gigthis et à Ghizène, les céra- tétons de préhension, preuve supplémentaire de la tradition miques de type Basket Ware soient extrêmement rares. En protohistorique de cette céramique35. effet, parmi des centaines de tessons tournés et modelés Pour ce qui est des vases à feu, ils peuvent se répartir recueillis dans les niveaux archéologiques des deux sites, en quatre groupes : le premier se caractérise par des les trouvailles se limitent à un seul fragment de céramique à formes de grandes dimensions, peu profondes et à parois empreintes de vannerie par site. Ce fait pourrait être expliqué évasées (fig. 27, 2) : type de tajine pour torréfier les céréales par leur caractère résiduel. Effectivement, il est possible que ou « poêles pour cuire les galettes »36 ; le second par des ces céramiques appartiennent à l’origine à des contextes vases profonds, à profil hémisphérique et à bord rentrant. beaucoup plus anciens, en l’occurrence protohistoriques. Ces marmites servaient, selon toute vraisemblance, à mijoter Quant à la céramique à fond à empreintes de vannerie, des bouillies (fig. 27, 3). Le troisième groupe est composé de elle est attestée à Carthage : empreintes sur le fond de bols à bord déversé ou évasé (fig. 27, 4). Le dernier type est quelques céramiques tournées29 et modelées, à Althiburos représenté par des marmites à bord droit (fig. 50, 5). (empreintes sur le fond de quelques poteries modelées) Les bols à paroi à profil en « S » constitueraient la dans des contextes allant de l’époque archaïque jusqu’à principale forme de service, raison pour laquelle ils sont l’époque punique tardive30. Une telle technique est signalée souvent engobés en rouge (fig. 30, 1-2). Cette forme a survécu jusqu’à l’époque punique. Elle est bien documentée par 27. J’ai moi-même repéré quelques fragments de Basket Ware en exemple à Gigthis37 et au Sahel tunisien38. surface dans les environs de ces monuments funéraires lorsque j’ai Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 participé à deux campagnes de fouille en 2007 et en 2008 dans le 31. Krandel-Ben Younès 1992-1993, p. 204 et p. 263, pl. 43, cadre de la mission archéologique alors co-dirigée par les Professeurs T. IV, 3. M. Ghaki et F. Paris. 32. Camps 1961, p. 234. 28. Ce fragment a été trouvé dans un sondage stratigraphique effectué par mes collègues et amis A. Drine et M. el Aoudi à Gigthis en 2010. 33. Bonnamour 1989, p. 183, fig. 23. Je les remercie de m’avoir autorisé à le publier. 34. Rovira 2006, p. 115. 29. Pour la céramique à empreintes de vannerie à Carthage, voir 35. Morel 2003 p. 109. Mansel 1999, p. 231. 36. Camps 1987, p. 49. 30. Pour l’occurrence de cette céramique dans les contextes tardifs de 37. Ben Tahar 2004, p. 49, p. 59, pl. III, 3. Byrsa, voir Morel 2003, p. 110. 38. Ben Younès 1988, p. 137, pl. XVII, TB.10.1. 15
1 2 3 4 Fig. 11 : Meules primitives à système va-et-vient. En ce qui concerne les formes de stockage, on ne dispose pour l’instant que de pieds massifs à parois concaves (fig. 27, 5 ; fig. 52, 1-2). D’autres vases à profil ovoïde pourraient avoir servi comme jarres de stockage. Il s’agit a priori d’un répertoire morphologique libyque qui ne présente aucune affinité typologique avec le faciès phénicien ou méditerranéen d’une manière générale, contrai- rement à d’autres sites du littoral tunisien où quelques formes modelées s’inspirent clairement du répertoire levantin39. Techniques de mouture Fig. 12 : Fragment de meule portant des traces d’ocre rouge. Les plus anciennes meules sont en pierres locales riches Les parties dormantes, quant à elles, ne sont pas sans en quartzite issues de la couche géologique du mio-pliocène. rappeler les Saddle-shaped grinding slabs attestés également Elles sont toutes à système va-et-vient. à Aghram Nadharif44. Il s’agit de meules dites « de tradition néolithique ». En témoignent les parties dormantes ou gisantes (fig. 11, 4) et les L’une de ces meules, dites primitives, aurait servi au éléments mobiles (les molettes : fig. 11, 1-3). La plupart des broyage d’un colorant d’origine minérale (fig. 12). On peut éléments de mouture sont de petites dimensions. Par consé- y voir un dispositif pour écraser l’ocre en vue d’en extraire quent, ces molettes ne semblaient pas avoir servi au broyage un colorant, tel que l’engobe rouge pour décorer la poterie des céréales ; elles auraient été utilisées pour moudre d’autres ou d’autres artefacts, une pratique chère aux Libyques de produits qu’il reste à identifier. À Aghram Nadharif, de l’Afrique du Nord du Néolithique à l’époque romaine45. tels instruments, féminins par excellence, et qui renvoient au monde domestique, auraient servi à broyer, en plus des Cette meule a été taillée sur le côté pour la caler contre céréales, des légumineuses, tels que les petits pois et les pois- un objet ou un mur au moment de la friction. Par contre, chiche, les dattes séchées40 et les épices41. Sur le plan typolo- la fonction des encoches demeure pour le moment énig- Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 gique, ces molettes ressemblent beaucoup à celles d’Aghram matique, mais il n’est pas exclu qu’il puisse s’agir de trous Nadharif42 décrites comme étant Bifacial loaf-shaped43. pour encastrer des bâtons afin de fixer la partie gisante de la 39. Pour le site de Ghizène, voir Ben Tahar 2014, p. 91 ; pour 44. Mori 2005, p. 267, fig. 20.5, f-h. Carthage, voir, entre autres, Mansel 2007, p. 435-439. 45. L’engobage à l’ocre rouge est une technique d’origine libyque, 40. Mori 2005, p. 283. même si elle est utilisée aussi pour orner les céramiques phéniciennes 41. Mori 2005, p. 284. archaïques attestées à Carthage. Pour le rouge et les « connexions pro- 42. Mori 2005, p. 261, fig. 20.1, g : type Ia3. tohistoriques », voir Morel 2003, p. 101. Pour les contextes funéraires 43. Mori 2005, p. 264. d’époque romaine, voir par exemple Mattingly et alii, 2010, p. 91. 16
Fig. 13 : Mur de tradition libyque en « arête de poisson ». meule au moment où une autre personne procède à la friction Parmi ces pièces, il importe de signaler un nucléus en faisant mouvoir la molette. Sa forme générale n’est pas Levallois dont la matière première, provenant de Gafsa, sans rappeler les meules attestées dans le site de Fewet au remonte au Paléolithique Moyen et plus précisément à pays du Fazzan dans un contexte daté entre 400 et 50 av. J.-C. l’Atérien (vers 100 000 ans av. J.-C.)50. (Mature phase)46 et à Aghram Nadharif47. Outre ce nucléus, on peut mentionner une autre pièce provenant de l’ouest du Dahar51. Il s’agit d’un fragment d’une « lame débitée par percussion minérale tendre dont la partie proximale Pièces lithiques montre les traces d’amincissement, ce qui indiquerait le fonc- tionnement de l’objet en tant que partie apicale d’une arme »52. Les pièces lithiques sont au nombre de quatre. Elles ont toutes été recueillies dans des strates profondes des sondages 3 et 4. Une seule pièce a été trouvée en surface. II. Époque punique N’étant pas spécialiste du matériel lithique, j’ai soumis cette collection de silex à l’expertise de mon collègue et ami À l’époque punique, ce site s’est doté d’un mur d’enceinte Lotfi Belhochet48. Le résultat de son étude a confirmé nos ou de soutènement construit avec des pierres sèches, parfois Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 présomptions. Il s’agit bel et bien d’outils préhistoriques49. mêlées à de la terre, disposées en épi de blé ou en arêtes de poisson (fig. 13). Cette technique d’origine locale est attestée 46. Mori 2010, p. 23. 50. Pour la chronologie de l’Atérien, voir Bouzouggar, Barton 47. Mori 2005, p. 276, fig. 20.13. 2012, p. 93-95. 48. Préhistorien spécialiste des technologies lithiques à l’Institut 51. Pour les caractéristiques morphologiques de cette plateforme National du Patrimoine de Tunis. saharienne, voir Mzabi 1993, p. 20. 49. Ces trouvailles seront étudiées en détail par mon collègue et ami 52. Je dois cette identification à mon ami et collègue L. Belhochet ; Lotfi Belhochet. qu’il en soit vivement remercié. 17
aussi à Kerkouane pour la construction de sa muraille interne53. D’un point de vue stratigraphique, deux indices permettent de supposer une date de l’époque historique, probablement punique. Le fait que ce mur soit implanté sur un sol (Sondage 1/ US 9), daté par ailleurs des ive-iiie s. av. J.-C., indique qu’il s’agit d’une structure chronologiquement postérieure à cette date. Le second indice a trait au niveau d’effondrement du mur (Sondage 2/US 6) qui couvre le fond d’une cabane pro- tohistorique (fig. 14). Il lui est donc postérieur. Le troisième indice, et non des moindres, tient au fait que l’US 6 (sondage 1), datée du ier s. av. J.-C. s’adosse contre le mur MR 2. On peut en déduire, après le croisement de toutes ces données, que ce mur pourrait être daté entre le iv/iiie et le ier s. av. J.-C. De par son tracé irrégulier, ce mur n’est pas sans rappeler les enceintes des villages ruraux garamantes d’Aghram Nadharif54 et de l’oasis de Fewet dans la région du Fazzan qui remonte au « Mature Phase » (400 - 50 av. J.-C.)55, même si les techniques de construction des deux sites sont bien différentes. À l’époque punique, peut-être au cours du ve s., Henchir Tawrirt s’est ouvert au commerce méditerranéen, probable- ment à travers le site côtier de Soûq el Guébli. En témoignent les fragments d’amphores d’importation de Carthage (fig. 15, 1-12) et du monde grec occidental (fig. 15, 13) ramassés en surface56. Bien qu’elles proviennent d’endroits différents, toutes Fig. 14 : S1. Mur en « arête de poisson » ces amphores d’importation intra et extra-africaine servaient à avec son niveau d’effondrement. la consommation du vin acheminé du sud-ouest de la Calabre (ve s. av. J.-C.) et de la Lucanie (à partir de la fin du ive s.-début être redistribuée vers le littoral sud de la Tunisie. En ce qui du iiie s. av. J.-C.). Cette ouverture est également documentée concerne les amphores de type Gassner 8, elles ne sont pas par la découverte de vaisselle de table de type grec, notamment attestées avant la fin du ive s. av. J.-C.60. pour la consommation du poisson (fig. 15, 14-16). Ces données ne peuvent que nous conforter dans nos pré- Rappelons que les amphores de production carthaginoise somptions : l’île a été pleinement intégrée dans le commerce sont connues à Soûq el Guébli et à Ghizène depuis le ve s. méditerranéen sous l’égide de Carthage. Les quantités régu- av. J.-C. et jusqu’à la première moitié du iie s. av. J.-C.57. En ce lières de vin acheminées à Jerba depuis plusieurs sites grecs en qui concerne les amphores grecques, elles ont été abondam- sont l’exemple le plus probant. Ces amphores étaient accompa- ment recueillies à Ghizène (site du littoral nord-est de Jerba) gnées de vaisselle à vernis noir attique (aux ve-ive s. av. J.-C.), au cours des dernières recherches archéologiques58. mais aussi de coupes apodes à décor en médaillon en relief Sur le plan chronologique, les deux fragments d’amphores d’applique dont quelques exemplaires ont été mis au jour dans grecques de Henchir Tawrirt couvrent une période allant les fouilles opérées à Soûq el Guébli au iiie s. av. J.-C.61. des ve s./fin du ive au début du iiie s. av. J.-C. En effet, les Gassner Randform 3 ont été importées en grandes quantités à Carthage à partir du ve s. av. J.-C.59 dont une partie devait Catalogue (fig. 15) : 53. Fantar 1987, p. 334 et p. 404, pl. XXXIV. -- 1 : Amphore punique de type Ramon T-4.2.1.5 ; fragment 54. Putzolu 2005, p. 32, fig. 5.2 ; 5.3. de bord ; pâte verdâtre riche en grains de quartz ; production 55. Mori 2010, p. 20, 23, fig. 7. carthaginoise (inv. HT.0.17). Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 56. Une de ces amphores (fig. 13, 13) remonte au moins au ve s. -- 2 : Amphore punique de type Ramon T-4.2.1.5 ; fragment av. J.-C. Pour la chronologie de ce type de conteneur grec, voir de bord ; pâte verdâtre riche en grains de quartz ; production Bechtold 2013, p. 48. carthaginoise (inv. HT.0.51). 57. Pour le site de Ghizène, voir Ben Tahar 2008a, p. 69, fig. 7, 1, 3-5 ; p. 77, fig. 12, 1, 3-5, 7 ; Ben Tahar 2014, p. 68, fig. 10, 8 ; p. 71, fig. 13, 2 ; p. 42, fig. 18, 22 ; p. 79, fig. 20, 18 ; p. 81, fig. 21, 8 ; pour le site de Soûq el Guébli, voir Ben Tahar 2010-2012, p. 98, fig. 40, 1-7. 58. Voir Ben Tahar, Sternberg 2011, p. 110, fig. 8, 3. Bechtold 2013 ; 60. Voir Bechtold 2013, p. 73 et p. 76, fig. 23, 3. Ben Tahar 2014, p. 64, fig. 4, 5 ; fig. 21, 15 (Gassner Randform 3). 61. Ben Tahar 2008b, p. 37, 38, fig. 12, 6, 7 ; p. 43, 44, fig. 16, 1 ; 59. Bechtold 2008, p. 97-98. p. 50, 51, fig. 21, 1-2 18
1 2 3 4 5 6 7 8 10 9 11 12 14 0 5 cm 13 Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 15 16 Fig. 15 : Matériel d’époque punique recueilli en surface sur le site de Henchir Tawrirt. 19
Fig. 16 : Meule dite à trémie de type grec. -- 3 : Amphore punique de type Ramon T-4.2.1.5 ; fragment -- 15 : Céramique à vernis noir punique ; fragment de bord de bord ; pâte saumon riche en quartz ; surface extérieure et de paroi de plat à poisson de type Morel 1121-1122 ; crème ; production carthaginoise (inv. HT.0.35). pâte grisâtre ; vernis noir mat conservé en partie et effacé -- 4 : Amphore punique de type Ramon T-5.2.3.1 ; fragment dans plusieurs endroits ; production locale ou régionale de bord ; pâte rouge brun riche en fins grains de quartz ; (inv. HT.0.34). production carthaginoise (inv. HT.0.31). -- 16 : Céramique à vernis noir italique ; fragment de pied -- 5 : Amphore punique de type Ramon T-5.2.3.1 ; fragment d’un plat à poisson ; pâte rouge brun ; vernis noir à reflets de bord ; pâte rouge orangé riche en grains de quartz ; surface métallescents ; production campanienne A (inv. HT.0.81). extérieure verdâtre ; production carthaginoise (inv. HT.0.48). -- 6 : Amphore punique de type Ramon T-5.2.3.1 ; fragment À la même période, la population a adopté un nouveau de bord ; pâte vacuolaire de couleur rouge brun riche en fins type de meule, dite à trémie ou à fente, d’origine grecque grains de quartz ; surface crème ; production carthaginoise (fig. 16), mais probablement introduit par les Puniques de (inv. HT.0.47). Sicile. Des parallèles sont connus en Afrique et notamment à -- 7 : Amphore punique de type Ramon T-5.2.3.2 ; fragment Carthage63 et à Kerkouane64 à partir du ve s. av. J.-C.65. de bord ; pâte rouge orangé ; surface extérieure verdâtre ; production carthaginoise (inv. HT.0.100). -- 8 : Amphore punique de type Ramon T-4.2.1.5 ; fragment de bord ; pâte saumon ; surface extérieure jaunâtre ; production carthaginoise (inv. HT.0.77). -- 9 : Amphore punique de type Ramon T-5.2.3.2 ; fragment de bord ; pâte verdâtre riche en vacuoles ; production carthaginoise (inv. HT.0.82). -- 10 : Amphore punique de type Ramon T-4.2.1.5 ; fragment de bord ; pâte rouge orangé avec des fins grains de quartz ; production carthaginoise (inv. HT.0.83). -- 11 : Amphore punique de type Ramon T-4.2.1.5 ; fragment Fig. 17 : Peson de filet de pêche de bord ; pâte orangée riche en quartz ; surface extérieure en calcaire villafranchien. crème ; production carthaginoise (inv. HT.0.75). -- 12 : Amphore punique de type Ramon T-7.4.3.1 ; fragment Les activités de pêche continuèrent à être pratiquées de bord ; pâte rouge brun riche en grains de quartz et en comme le laissent voir les pesons de filets de pêche points jaunâtres ; production carthaginoise (inv. HT.0.69). recueillis sur le site dont l’un est fabriqué dans du calcaire -- 13 : Amphore grecque de type Gassner 362 ; fragment de villafranchien (fig.17)66. Il s’agit d’un galet aplati de forme Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 bord ; pâte brune, micacée avec des grains de quartz et des ovoïde percé au sommet d’un trou de suspension. Cet objet inclusions noires ; production de l’aire de Reggio Calabria a été trouvé dans un contexte d’abandon d’un niveau de (inv. HT.0.80). -- 14 : Céramique à vernis noir italique ; fragment de bord d’un plat à poisson de type Morel 1122 ; pâte rouge 63. Byrsa II, 1982 ; Morel 1969 ; Amouretti 1986, pl. 22. brun ; vernis noir à reflets métallescents ; production 64. Des meules semblables sont exposées au Musée de Kerkouane. campanienne A (inv. HT.0.16). 65. Pour la chronologie des meules dans le monde grec, voir Py 1992, p. 192. 62. Pour ce type d’amphore, voir Bechtold 2013, p. 48, 49, fig. 5, 5. 66. Ben Tahar, Sternberg 2011, p. 113, fig. 16. 20
Fig. 18 : S4. Vestiges d’une villa romaine. Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 Fig. 19 : S4. Radier d’un sol en terre battue. 21
circulation du iiie s. av. J.-C.67 (S2/US 9) qui a livré entre autres des instruments domestiques, notamment de la céramique, des lissoirs en pierre et des restes de consommation, tels que les ossements animaux et les murex pilés. III. Époque romaine Vers la fin du ier s. ou au début du iie s. apr. J.-C. un édifice en dur a été construit à Henchir Tawrirt. Deux murs parallèles orientés nord-sud (S4/MR 3, 4) construits avec des moellons taillés à l’extérieur et laissés à l’état brut à l’inté- rieur (fig. 18) ont été mis au jour. Cette technique d’origine libyque se rencontre dans plusieurs sites africains, tels que Soûq el Guébli68 et Henchir Ghayadha69. La datation post quem nous a été fournie par l’étude de la céramique recueillie dans un sol en terre battue découvert en Fig. 20 : Aire cendreuse jonchée de pierres brûlées et de céramique. dessous de cette construction (S4/US 7). Ce sol (US 7) repose sur un radier (une couche noircie riche en cailloux brûlés : US 12) ayant livré beaucoup de La découverte de quelques pesons de filets constitue matériel céramique et amphorique (fig. 19). un indice des plus probants de la pratique de la pêche par À un moment indéterminé, cette structure fut abandon- les habitants de cette villa, comme étant une activité sai- née et réoccupée par un autre édifice (une villa ?) dont les sonnière complémentaire de la production agricole. Nous murs ont gardé la même orientation (S4/MR 1, 2). Il est avons ici l’exemple d’une économie agro-littorale qui repose notable que ces derniers soient bâtis avec des moellons de sur deux activités différentes : maritime (pêche) et terrestre dimensions moyennes renforcés d’une harpe au milieu, une (agriculture)74. technique qui trouve un répondant à Ghizène dans une villa romaine du iie s. apr. J.-C.70. Au nord de cette structure se trouve une aire cendreuse Catalogue des amphores (fig. 21) : jonchée de pierres brûlées (fig. 20). Celle-ci a livré des ratés de cuisson, notamment des versions tardives d’amphores de -- 1 : Amphore de tradition punique de type Ramon T-7.4.1.1 ; type Mañá C et des pseudo-Dressel 2/4 (fig. 21), ce qui indi- fragment de bord et de col ; pâte verdâtre à grisâtre riche en querait une production agricole, probablement vinicole (?) fins grains blancs ; production locale (inv. HT.0.37). rattachée à une villa ou à une ferme rurale avec un habitat, -- 2 : Amphore de tradition punique de type Ramon T-7.3.1.1 ; expliquant la découverte de tesselles de mosaïque en fragment de bord et de col ; pâte rouge brun ; surface jaunâtre surface71 et de pans de murs. Il n’est pas exclu qu’une partie à verdâtre ; production locale (inv. HT.0.54). de ces amphores ait été produite pour commercialiser les -- 3 : Amphore de tradition punique ; fragment de bord et de saumures de poissons72. Cette hypothèse, avancée depuis col ; pâte brune et verdâtre riche en grains de quartz avec quelques années, pourrait être confirmée grâce à la décou- beaucoup de vacuoles ; production locale (inv. HT.0.53). verte récente d’un fond d’amphore de tradition punique, -- 4 : Amphore de tradition punique ; fragment de bord et poissé, contenant des écailles de poisson (fig. 22). Par de col ; pâte brune, un peu poreuse riche en fins grains ailleurs, la continuité observée entre les productions de de quartz ; surface de même couleur ; production locale Mañá C et les Dressel 2/4 sur plusieurs sites à Jerba, entre (inv. HT.0.23). autres à Henchir Tawrirt, nous incite à y voir, du moins en -- 5 : Amphore de tradition punique de type Ramon T-7.4.2.2 ; partie, des conteneurs vinaires73. fragment de bord et de col ; pâte compacte, rouge-brique, riche en grains blancs ; production locale (inv. HT.0.52). -- 6 : Amphore de tradition punique ; fragment de bord et de col ; pâte brune un peu poreuse riche en fins grains de quartz ; surface crème ; production locale (inv. HT.0.21). Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 67. Il s’agit d’une des rares indications chronologiques dont nous -- 7 : Amphore de tradition punique de type Ramon disposons pour le sondage 2, avant que le matériel ne disparaisse. 68. Pour les parallèles avec Jerba, voir Ben Tahar 2008b, p. 79, T-7.4.1.1/7.5.3.1 ; fragment de bord et de col ; pâte à moitié fig. 15. rouge brique, à moitié brune, compacte, très dure ; production 69. M’Charek A. et alii, 2008, p. 136, fig. 37. locale (inv. HT.0.68). 70. Ben Tahar 2015, p. 20, fig. 2. 71. Ces tesselles ont été trouvées en surface, déplacées à cause des 74. Dans les temps modernes, à Jerba il était rare que l’on soit uni- labours mécaniques. quement paysan ou artisan ou pêcheur. Le travail était bien réparti 72. Voir Ben Tahar 2008a, p. 72. durant toute l’année entre activités maritimes et terrestres selon un 73. Fontana 2009, p. 275. calendrier rigoureux. 22
1a 6 1b 7 2 8 3 9 4 10a 5 0 5 cm 10b Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 11a 11b Fig. 21 : Amphores produites localement. 23
offert par le site d’Althiburos où des constructions en dur concomitantes de la première occupation du site (xe-ixe s. av. J.-C.) ont été mises en évidence76, preuve du développe- ment du sédentarisme qui n’est autre que la « conséquence de dynamiques sociales et économiques internes qui ont débuté vers la fin du iie millénaire, parmi lesquelles une croissance importante de la population »77. Pour le site de Henchir Tawrirt, la présence de quelques meules primitives, de la céramique et des foyers nous renvoie à un contexte domestique (semi-sédentaire ou semi- nomade ?) confirmé d’ailleurs par les restes d’alimentation carnée constituée essentiellement par des ossements d’ovins et de caprins dont les petites quantités ne permettent pas de tirer des conclusions quant au modèle de production. Toutefois, une telle configuration n’est pas sans rappeler les Pastoral settlements du Wadi Tanezzuft à l’époque du Late Pastoral caractérisés par l’abondance de foyers domestiques, l’éparpillement d’outils de silex et de fragments de céramique associés à une faune faisant penser à une économie bergère78. Cette saisonnalité pourrait s’expliquer par l’absence de Fig. 22 : Fond d’une amphore avec des écailles de poisson. ruissellement superficiel et de sources d’eau susceptibles de sédentariser l’homme. Une telle carence n’aurait été compensée que par le creusement de puits dont la plus ancienne attestation -- 8 : Amphore de tradition punique de type Ramon T-7.5.2.2 ; n’est pas antérieure à l’époque punique archaïque à Jerba, du fragment de bord et de col ; pâte et surface grisâtre, moins en l’état actuel de nos connaissances79. Ce n’est pas un poreuse, riche en fins grains de quartz ; production locale hasard si le puits le plus ancien de l’île est situé sur le littoral (inv. HT.0.20). nord-est. Une nappe d’eau douce des calcaires du Tyrrhénien -- 9 : Amphore de tradition punique de type Ramon T-7.3.2.1 ; y est présente à une profondeur qui varie entre 1 et 2 mètres fragment de bord et de col ; pâte rouge brun ; surface de la surface du sol80. Des puits ont été creusés à l’intérieur jaunâtre ; production locale (inv. HT.0.60). des terres à une époque un peu plus tardive (punique moyenne -- 10 : Amphore de tradition punique ; fragment de bord et de ou classique ?), là où la nappe des sables Plio-Pontiens et col ; pâte rouge brun, fine ; production locale (inv. HT.0.100). Miocène81 est beaucoup plus profonde82. Le site de Henchir -- 11 : Amphore de tradition punique de type pseudo Dressel Bourgou se situe dans cette dernière zone et a livré quelques 2/4-pseudo Tripolitaine I ; fragment de bord et de col ; pâte puits remontant au moins à l’époque hellénistique83. La présence rouge brun ; surface extérieure jaunâtre ; production locale de l’eau douce dans cet endroit aurait alors été à l’origine du (inv. HT.0.150). peuplement ou de l’accroissement de la population de ce site. Ces amphores étaient destinées à être exportées probable- Il ne s’agit ici que d’une hypothèse que seules les futures ment par le port de Soûq el Guébli75. recherches archéologiques infirmeront ou confirmeront. Il n’y a rien, en l’état actuel des connaissances, qui puisse laisser supposer l’existence de techniques purement locales IV. Les enseignements historiques pour la valorisation des nappes souterraines d’eau douce, contrairement à d’autres populations africaines, tels que les Après avoir présenté ces vestiges, il convient à présent Garamantes qui ont su recourir à la foggara dès la deuxième d’en tirer les enseignements d’ordre historique. moitié du ier millénaire av. J.-C.84. De prime abord, il faut rappeler qu’il n’existe à Henchir Tawrirt aucun vestige d’une construction en dur en dessous des niveaux puniques. Ce fait pourrait s’expliquer par le 76. Kallala, Sanmartí 2011b, p. 33. caractère temporaire de l’installation humaine sur ce site à 77. Kallala, Sanmartí 2011b, p. 38. l’époque protohistorique attesté par des fonds de cabanes à 78. Cremaschi, Di Lernia 2001, p. 823 ; Cremaschi 2005, p. 19. Antiquités africaines, 52, 2016, p. 9-52 poteaux porteurs en bois. Il s’agit probablement de semi- 79. Ben Tahar 2014, p. 63, fig. 3a, p. 66. nomades dont la présence était liée aux activités saisonnières 80. Mzabi 1993, p. 68. 81. Mzabi 1993, p. 68. qu’ils pratiquaient, notamment la pêche. Mais rien n’empêche 82. Cette aire s’étend du village moderne de Midoun jusqu’à de supposer le recours à d’autres activités agricoles terrestres Mahboubine et Cedghiane. Voir Mzabi 1993, p. 72. complémentaires, telle que la céréaliculture et l’élevage, 83. Ferchiou 2009, p. 334, fig. 17, 4. Un autre puits dont la margelle comme on le verra ci-dessous. Un tel schéma diffère de celui est construite avec des pierres taillées a été reconnu lors des travaux agricoles effectués récemment par l’un des propriétaires d’un lopin de 75. Huit sites de production d’amphores de tradition punique ont été terre sis à l’intérieur de ce site. déjà repérés : voir Fonatana 2009, p. 272. 84. Wilson 2009a, p. 107 ; Wilson 2012, p. 420 ; Mori 2010, p. 20. 24
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