Islam suisse : comment sortir des clichés ? - 20 ans du 11 Septembre - Réformés.ch
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SEPTEMBRE 2021 Edition Neuchâtel / N° 49 / Journal des Eglises réformées romandes 4 ACTUALITÉ Les derniers chrétiens de Raqqa 8 RENCONTRE Mariel Mazzocco, la simplicité, clé de la spiritualité 20 ans du 11 Septembre 19 RECHERCHE Islam suisse : Vin en biodynamie, entre spiritualité et pragmatisme comment sortir des clichés ? 25 VOTRE CANTON
2 AU MENU Réformés | Septembre 2021 SOMMAIRE DANS LES CANTONS VOISINS 4 ACTUALITÉ VAUD 4 Les derniers chrétiens de Raqqa L’église Saint-Laurent autour du gospel 5 NOUVEAU DÉPART C’est l’un des trois « lieux phares » du protestantisme au cœur Série « Les religions à l’école » : Fribourg de Lausanne : l’église Saint-Laurent est désormais rebaptisée église Martin Luther 7 Au Bénin, la lutte pour la possession King. Avec le pasteur Benjamin Corbaz et la communauté déjà rassemblée autour de des sols ce lieu, un projet d’Eglise centré sur le gospel sera élaboré au fil des mois, à partir de septembre. Le mot d’ordre ? Créer un lieu inclusif, familial et solidaire. Toutes les 8 bonnes volontés sont sollicitées. Culte gospel de lancement prévu le 26 septembre. RENCONTRE Mariel Mazzocco, démythifier la spiritualité GENÈVE DOSSIER : 10 Les mythes dans la Bible à l’honneur THÉOLOGIE Après les héros bibliques et les miracles bibliques, le pasteur Marc 11 SEPTEMBRE, Pernot propose une série de quatre conférences sur les mythes bibliques. L’objectif VINGT ANS de ce nouveau cycle reste inchangé : permettre au grand public de mieux comprendre D’AMALGAMES ces textes. La Bible reprend des mythes anciens, notamment mésopotamiens, les 12 relit et les réécrit à sa façon. Témoignage de musulmans suisses 14 Infos : les jeudis 16, 23 et 30 septembre, puis 7 octobre, de 12h30 à 13h30, au temple de la Made- Le cercle vicieux de l’incompréhension leine. www.heros-bibliques.ch. Les conférences seront ensuite disponibles sur www.jeCherche- 16 Dieu.ch. De l’argent local pour un islam local 17 Evolution du dialogue interreligieux BERNE-JURA 19 Portraits de bénévoles THÉOLOGIE TÉMOIGNAGES L’église du Pasquart de Bienne accueille une exposition qui met en 19 lumière des personnes qui ont choisi d’être bénévolement au service de notre société. Biodynamie, une foi pragmatique Une vingtaine de portraits photographiques accompagnés de textes rendront hommage 20 Comprendre le mariage à leurs élans et motivations. Cette exposition de l’association Présences veut souligner pour toutes et tous l’importance de ces personnes qui contribuent, souvent discrètement, à donner à notre société un visage plus humain. 22 CULTURE Plus d’infos : www.presences.ch. 23 Humour à la RTS : la vie de J. C. 25 VOTRE RÉGION 25 L’Eglise se mobilise pour les réfugiés Réformés se décline en quatorze éditions régionales. Ces trois résumés en sont issus. (www.reformes.ch/pdf). Sur Reformes.ch et sur les réseaux sociaux, suivez l’actu religieuse 27 tout au long du mois. Ecoutez un choix d’articles au 021 539 19 09 ou en podcast Reconnaissance des communautés (reformes.ch/ecoute). religieuses 38 CULTES Réagissez à un article Les messages envoyés à courrierlecteur@ Fichier d’adresses et abonnements Merci de vous adresser au canton qui vous concerne : reformes.ch sont susceptibles d’être publiés. Le Genève aboGE@reformes.ch, 022 552 42 33 (je – ve). texte doit être concis (700 signes maximum), signé Vaud aboVD@reformes.ch, 021 331 21 61 (lu – ve). et réagir à un de nos articles. La rédaction se réserve Neuchâtel aboNE@reformes.ch, 032 725 78 14 (lu – ma). SUPPLÉMENT le droit de choisir les titres et de réduire les courriers trop longs. Berne-Jura aboBEJU@reformes.ch, 032 485 70 02 (ma, je matin). LE PROGRAMME DU CENTRE Abonnez-vous ! Pour nous faire un don CULTUREL DES TERREAUX À DÉGRAFER www.reformes.ch/abo IBAN CH64 0900 0000 1403 7603 6 ENTRE LES PAGES 20 ET 21.
N° 49 | Réformés ÉDITO 3 RENDEZ-VOUS LIGNES DE FAILLE TV Faut pas croire aborde des questions Les talibans ont repris le contrôle de l’Afghanis- éthiques, philosophiques et religieuses. tan en quelques semaines à peine. Comme si la Le samedi à 13h25 sur RTS un. Teleglise suit l’actualité des Eglises de guerre déclarée contre eux et l’organisation terro- Bienne et région sur TeleBielingue. Tous riste Al-Qaïda par les Etats-Unis, après l’attentat les jours, à 10h30 et à 16h30 ou sur You- du 11 septembre 2001, n’avait été qu’un épisode, Tube. une page désormais tournée. RADIO Difficile de comprendre et encore davantage de résumer Décryptez l’actualité religieuse avec les tout ce qu’ont signifié les événements du 11 Septembre pour magazines de RTSreligion.ch. nos sociétés. La science historique se chargera de le déter- Hautes fréquences le dimanche, à 19h, sur La Première. miner. Vingt ans après, nous ne pouvons que suivre les lignes Babel le dimanche, à 11h, sur Espace 2. de faille suscitées par ce choc. Sans oublier Respirat ions sur R JB, C’est le propre de tout événement historique, de faire Paraboliques sur Canal3. Programme et podcast sur www.paraboliques.ch. apparaître de nouvelles catégories dans le débat public : Le dimanche, messe à 9h, culte à 10h, « musulman », « terroriste »… (voir p. 14) qui sont autant de sur Espace 2. délimitations, de séparations. Il faut penser le monde diffé- Suivez jour après jour l’actu religieuse sur www.reformes.ch. remment, construire de nouvelles grilles de lecture. Mais si ces constructions nous aident à mieux discerner des faits, WEB elles restent toujours réductrices, partielles, face à la com- « Peut-on vivre une spiritualité éco- plexité du réel. Et lorsqu’elles deviennent l’unique lecture logique ? » Michel Maxime Egger, au- teur de « Ecospiritualité : réenchanter du monde, ces lignes de faille peuvent devenir de franches notre relation à la nature » est l’invité de fractures, comme en témoignent de nombreux musulman·e·s ce premier épisode du podcast de la ré- relégué·e·s à leur seule religion après les attentats. (voir p. 12). daction : « Qu’est-ce qu’on a fait du bon Dieu ? » A écouter sur les plateformes de Aujourd’hui, d’autres termes apparaissent dans la discus- baladodiffusion et sur www.reformes.ch/ sion, témoignages d’autres clivages profonds : « antivax », bondieu. « complotiste », d’un côté, « moutons » ou « naïfs », de l’autre. GENÈVE Ce que le 11 Septembre nous a appris, c’est qu’une fois nées, « Au nom de la mère », perspectives fé- ces catégories ne disparaissent pas. Elles sont réactivées à ministes et théologiques sur la condition chaque nouvel incident, fragmentant toujours plus nos socié- sexuée et sexuelle dans les Eglises chré- tés. Saurons-nous les surmonter ? Trouver ce qui rassemble tiennes, 17 et 18 septembre, 9h - 17h30, Uni Bastions salle B 106, en présentiel et non ce qui désunit reste toujours un défi. sur inscription. www.re.fo/mere. Camille Andres L’ADN de Réformés Réformés est un journal indépendant financé par les Eglises réformées des cantons de Vaud, Neuchâtel, Genève, Berne et Jura. Soucieux des particularités régionales, ce mensuel présente un regard ouvert aux enjeux contemporains. Fidèle à l’Evangile, il s’adresse à la part spirituelle de tout être humain. Editeur CER Médias Réformés Sarl. Ch. des Cèdres 5, 1004 Lausanne, 021 312 89 70, www.reformes.ch – CH64 0900 0000 1403 7603 6 Conseil de gérance Jean Biondina (président), Olivier Leuenberger, Pierre Bonanomi et Philippe Paroz Rédaction en chef Joël Burri (joel.burri@reformes.ch) Journalistes redaction@reformes.ch / Camille Andres (VD, camille.andres@reformes.ch), Marie Destraz (VD, marie.destraz@reformes.ch), Nicolas Meyer (BE – JU, NE, nicolas.meyer@reformes.ch), Khadija Froidevaux (BE – JU, khadija.froidevaux@reformes.ch), Anne Buloz (GE, anne.buloz@reformes.ch), Elise Perrier (elise.perrier@reformes.ch), Matthias Wirz (matthias.wirz@mediaspro.ch) Informaticien Yves Bresson (yves.bresson@reformes.ch) Internet Katie Mital (katie.mital@mediaspro.ch) Réseaux sociaux Sonia Zanou (Sonia.Zanou@mediaspro.ch) Service lecteurs et lectrices Alessandra Genini (accueil@reformes.ch) Comptabilité Olivier Leuenberger (compta@reformes. ch) Publicité pub@reformes.ch Délai publicité 5 semaines avant parution Parution 10 fois par année – 168 000 exemplaires (certifié REMP) Couverture de la prochaine parution Du 4 au 31 octobre 2021 Graphisme LL G & DA Une iStock Impression CIL SA Bussigny, imprimé sur un papier journal écologique avec un pourcentage élevé de papier recyclé allant jusqu’à 85 %.
4 ACTUALITÉ Réformés | Septembre 2021 En Syrie, l’agonie des derniers chrétiens de Raqqa Dans l’ancienne capitale de Daesh, libérée il y a quatre ans, les chrétiens sombrent dans la misère et l’isolement. Privées de tout dans une ville ravagée par les bombes, les dernières familles arméniennes de Raqqa rêvent d’exil. REPORTAGE Dans une petite maison au comme Najah et sa famille, sont livrés à « Il n’y a plus rien pour les chrétiens ici. milieu des décombres et des impacts de eux-mêmes. « Nous n’avons plus d’argent, Nous ne pouvons même pas le faire bap- balles, le petit Baher vit ses premières pas de travail, et aucun soutien des orga- tiser. » Une église catholique vient d’être heures. Emmailloté dans les bras de sa nisations humanitaires », déplore Nour, reconstruite par les autorités kurdes qui grand-mère, le nouveau-né dort paisible- l’un de ses fils. contrôlent aujourd’hui la ville, mais au- ment malgré le chahut de ses frères et Après le départ de l’organisation cun prêtre n’a pour l’instant été nommé. sœurs qui jouent dans le salon aux murs terroriste qui avait imposé la terreur et Les bancs de la nef flambant neuve, sans défraîchis. « Nous n’avons pas beaucoup persécutait la fragile communauté, les croix ni icône, restent vides, recouverts de place, explique Najah Alkhouja, le re- Arméniens catholiques de Raqqa espé- de poussière. « Ils ne vont pas envoyer un gard triste. Les maisons de mes enfants raient le retour des jours heureux. Un curé pour si peu de fidèles ! » se lamente ont été détruites par les bombardements. mirage. « Nous ne pouvons compter que Marie-Rose, une voisine de Najah. « Et Depuis la fin de la guerre, nous vivons sur Dieu », lance ce père de famille, en puis, ça serait dangereux pour lui, comme à quinze dans ces trois petites pièces. » levant ses mains vers le ciel. pour nous », prévient cette vieille dame, Occupée pendant près de quatre ans Les Alkhouja sont l’une des dernières le regard noir. Toujours menacée par les par les djihadistes de l’Etat islamique qui familles chrétiennes de Raqqa. Dans le cellules de Daesh terrées dans la région, en avait fait la capitale de leur califat au- chaos de la révolution syrienne, l’avène- la communauté arménienne craint de se toproclamé, Raqqa n’est plus qu’un champ ment de Daesh en 2014 a fait fuir la mi- réunir pour célébrer la messe, de peur de ruines. Pour chasser les terroristes et norité de cette ville millénaire. Seule une d’être la cible d’un attentat. Quatre ans libérer la ville, les avions de la coalition cinquantaine sont revenus, faute d’avoir après la libération, le souvenir des crimes internationale l’ont rasée à près de 80 % pu quitter ce pays ravagé par dix années djihadistes est encore vif. en octobre 2017. Des frappes aveugles qui de guerre sans répit. Marie-Rose et son époux Elias, mé- ont tué 1600 civils selon Amnesty Inter- « Presque tous nos amis sont partis canicien, sont parmi les seuls chrétiens national. Depuis, les habitants, majoritai- à l’étranger », souffle la grand-mère, en à n’avoir jamais quitté la ville, même lors rement musulmans, mais aussi chrétiens berçant son quatorzième petit-enfant. du règne de Daesh. Le vieil homme en a payé le prix : considéré comme un apos- tat par les extrémistes, il a été jeté sept mois en prison. Le corps meurtri par des années de labeur qu’une décennie de guerre a fini d’abîmer, le septuagénaire parvient à peine à se tenir debout. Entre deux bouffée de Ventoline, il raconte son calvaire dans les geôles de Daesh. « Ils nous pendaient par les bras pendant plusieurs jours, nous affamaient, et me- naçaient de nous égorger », confie-t-il d’une voix tremblante. A Raqqa, la crainte de voir à nouveau flotter la bannière noire du groupe terro- riste est sur toutes les lèvres. Alors, ces derniers chrétiens rêvent d’exil. « Il n’y a plus d’avenir ici. Nous sommes seuls, © Noé Pignède assure Najah, les yeux brillants. Si l’on reste vivre ici, avec qui se marieront nos enfants ? » Céline Martelet et Noé Pignède, Raqqa
N° 49 | Réformés ACTUALITÉ 5 RELIGIONS À L’ÉCOLE Fribourg : le catéchisme à l’école Dans le canton de Fribourg, le catéchisme se donne entre une leçon de mathématiques et de gymnastique. Une spécificité en Suisse qui est inscrite dans la loi scolaire et la constitution cantonale pour favoriser la diversité. être dans la balance… On passe ensuite sur une rétrospective des animaux dans la Bible, thème central de l’année écou- lée. Les élèves se souviennent de toutes les espèces qu’ils ont abordées : aigle, tigre, léopard, fourmi, singe, araignée et… daman des rochers, un genre de su- ricate que même un fin connaisseur des textes bibliques aurait du mal à situer. Le « Notre Père » était également au programme. Toutes et tous semblent le maîtriser assez bien, avec un petit mé- lange vers la fin entre gloire, puissance © DR et règne. Certain·e·s connaissent même la prière dans une autre langue, selon leurs origines familiales. Il faut dire que APPRENTISSAGE Courtepin, environ arrivent dans la salle avec leurs cahiers l’école accueille des enfants issus de plus 3000 habitants. Dans ce village du Nord et se mettent autour de la table en toute de 70 nationalités. C’est l’occasion d’en- fribourgeois, le Cercle scolaire primaire tranquillité. « Pour moi, c’est une chance tendre cet incontournable en anglais, en accueille pas moins de 560 enfants fran- de pouvoir enseigner le catéchisme dans espagnol et en allemand. « Où que vous cophones et alémaniques. L’institution un cadre scolaire. Les élèves bénéficient alliez dans le monde, cette prière est la ne cesse de s’agrandir en assurant l’édu- d’un encadrement qui nous est profi- même et vous pourrez en reconnaître le cation des nouvelles têtes blondes issues table, ils participent aux leçons comme rythme », ajoute la catéchète profession- de toute la région. Une zone en plein s’il s’agissait d’une autre matière et se nelle à l’intention de ses élèves, une ma- boom démographique, qui attire de nou- montrent souvent très assidus. De notre nière pour elle de souligner l’universalité veaux habitants. La partie francophone côté, nous nous plions de manière stricte du message chrétien. compte quelque 450 enfants répartis en aux exigences de l’école », précise Sophie classes de 1er à 8 e Harmos. Ils sont pris Campiche. Bien que se déroulant dans le Année particulière en charge par 65 enseignantes et ensei- cadre scolaire, l’heure d’enseignement Durant l’année, les élèves ont également gnants, trois logopédistes, deux psycho- religieux confessionnel n’est pas obli- abordé l’histoire de David et ont été sen- logues et des coordinateurs. Une fois par gatoire. Les élèves suivent en plus, une sibilisés aux enjeux de la campagne de semaine, l’école accueille également une heure – obligatoire et non confession- Pain pour le prochain sur la justice cli- catéchète professionnelle. nelle – d’éthique et cultures religieuses. matique. « Cette année a tout de même été un peu particulière, nous n’avons pas Classe assidue Rétrospective détaillée pu faire beaucoup de sorties et avons Arrivée dans la salle des professeur·e·s, C’est la dernière rencontre de l’année, fin renoncé à organiser des repas. Avec le Sophie Campiche est comme un pois- juin, l’occasion de revenir sur les sujets recul, je me rends compte qu’ils n’ont son dans l’eau. Elle échange quelques traités durant l’année. Chaque semaine, pas vu mon visage durant toute l’année, mots avec les enseignant·e·s en pause on commence par un petit tour de table ce qui est tout de même assez étrange », avant d’aller préparer sa salle de cours. afin de voir comment se sentent les pe- complète Sophie Campiche. La session Elle attend une douzaine d’enfants de 3e tits. Chacun·e est invité·e à évaluer son se termine par la remise du prix de la à 5e H pour la rencontre hebdomadaire indice de bonheur avec des chiffres allant camaraderie et celui de la persévérance. de catéchisme réformé. Les petits ca- de 1 à 10. Tous semblent plus qu’heureux, Un rituel attendu avec impatience auquel tholiques, eux, ont rendez-vous au parc puisque les notes varient entre 10+ et 10 les enfants accordent une grande impor- pour une session en plein air. Les enfants infini, les vacances arrivant pèsent peut- tance. Nicolas Meyer
6 ACTUALITÉ Réformés | Septembre 2021 BRÈVES «Le caté se donne Fleuves et se vit » d’eau vive Rencontres virtuelles, sayons de permettre aux enfants de faire SPIRITUALITÉ A la fois source de vie des ponts avec ce qu’ils connaisssent, des et puissance destructrice, l’eau est marionnettes, camp ou connaissances et des compétences qui leur porteuse d’une forte symbolique. Les encore rencontres hebdo- soient utiles pour leur vie et pour leur foi. » cours d’eau qui prennent leur source madaires, peu d’activités « Notre responsabilité est de permettre aux enfants de faire leur chemin en res- dans les Alpes relient les peuples eu- ropéens. C’est tous ces aspects que prennent des formes aussi pectant la diversité », complète Florence les Eglises d’Allemagne, d’Autriche variées et créatives que Auvergne-Abric, animatrice pédagogique à et de Suisses proposent d’explorer l’Eglise protestante de Genève. Respect de durant la Saison de la Création du 1er l’enseignement de la foi. la diversité qui implique de ne pas renon- septembre au 4 octobre. Une période Fin septembre, une cer à son identité. « On n’échappe pas au qui inclut diverses fêtes dans les dif- journée aura lieu à fantasme de la toute-puissance et au fait férentes confessions : Journée de la de se dire : ‹ je vais laisser mon enfant ou- Création, fête de François d’Assise, Fribourg pour partager vert à tous les possibles ›, mais en réalité, Jeûne fédéral ou Fête des récoltes. les expériences. on ne peut choisir que lorsque l’on a été www.oeku.ch. mis en situation. Un enfant qui choisira TRANSMISSION « Notre Eglise a réelle- un instrument de musique le fera dans le ment quelque chose à apporter aux jeunes cadre de la sélection que ses parents au- et aux familles. Quelque chose de la foi, de la confiance, des valeurs, de l’espérance… », ront dû faire pour lui », compare-t-elle. Abus avérés promet Laurence Bohnenblust-Pidoux res- Multiplication des formes INSTITUTION Gottfried Locher, an- ponsable cantonale « enfance » de l’Eglise « Les paroisses cherchent donc à multi- cien président de l’Eglise évangélique réformée vaudoise. C’est cet enthou- plier les offres afin de répondre au mieux réformée, a porté atteinte à l’intégri- siasme qu’elle ne se lasse pas de partager aux besoins des familles », constate Lau- té sexuelle, spirituelle et psycholo- dans sa pratique. Pourtant, les chiffres ne rence Bohnenblust-Pidoux. « Le but, ce gique d’une ancienne collaboratrice. sont guère encourageants : la proportion n’est pas forcément d’amener des gens Dévoilées début août, les conclu- d’enfants inscrits au catéchisme ne cesse au culte ou au caté, mais de permettre au sions de la commission chargée, au de baisser. « En revanche, l’engagement plus grand nombre de vivre quelque chose printemps 2020, d’enquêter sur les de celles et ceux qui viennent encore est dans nos Eglises. » Ainsi, des rencontres accusations portées à l’encontre du fort et c’est souvent l’engagement d’une hebdomadaires traditionnelles au camp ministre sont sans appel : « Les abus famille entière », note Laurence Bohnen- annuel, des spectacles, complétées ou de tous types sont manifestes », relaie blust-Pidoux. Fini le temps où les caté- remplacées par des activités en lignes, les l’agence Keystone-ATS. La commis- chètes donnaient seulement un enseigne- offres pour les enfants seuls ou impliquant sion reconnaît également une part de ment religieux, « le défi pour aujourd’hui les familles se multiplient. « Nous espérons responsabilité de l’institution. Divers c’est d’offrir aux enfants et aux familles que la journée du 25 septembre permet- règlements seront ou ont été modifiés des lieux et des temps pour explorer la foi tra de partager des expériences, de voir ce en conséquence. chrétienne avec d’autres. Le caté se donne qui se fait en dehors des frontières de son et se vit », se réjouit la pasteure. canton », explique Laurence Bohnenblust- Pidoux. « La catéchèse n’a d’autre choix Des outils pour se construire « Dans notre canton, nous sommes un que d’être dynamique, et de sens que si elle est à l’écoute des besoins des enfants », Eglise ouverte peu privilégiés, la question de la reli- conclut Florence Auvergne-Abric. J. B. TRAVAIL L’église ouverte Sainte-Eli- gion semble plus naturelle, insérée dans sabeth à Bâle est la première insti- une tradition », relate Nicole Awais, res- tution ecclésiale à recevoir le Swiss ponsable de la formation en catéchèse de LGBTI-label qui récompense les l’Eglise réformée fribourgeoise. « Nous Infos pratiques organisations et entreprises qui pouvons encore proposer le catéchisme « Quoi de neuf pour parler de œuvrent pour l’inclusion sur les lieux dans les locaux scolaires (voir p. 5). Malgré Dieu ? », assises romandes de la de travail. Parmi les autres lauréats cela, les gens ont encore dans la tête, le catéchèse, samedi 25 septembre, figurent cette année des entreprises caté qu’ils ont pu connaître eux-mêmes », Fr ibourg . I n s c ri p t i o n s j us qu ’ a u telles que UBS, Novartis et Swisscom. regrette-t-elle. « Aujourd’hui, nous es- 1er septembre. http://ktkoi.eerv.ch. Protestinfo
N° 49 | Réformés SOLIDARITÉ 7 Au Bénin, la lutte pour la possession des sols De grandes entreprises ou des caciques locaux s’approprient les terres de paysan·ne·s. Une situation qui n’est pas prête de s’améliorer. la production de biodiesel. Pratiquement toutes les transactions se font sur la base seulement de conventions de vente sans certification par les autorités locales. Très peu font l’objet d’un acte notarié ou d’un certificat foncier. Ces transactions sont souvent arrangées par des intermédiaires locaux. Ils ont plus de facilité pour négo- cier avec les paysans, car natifs de la com- munauté. » Parfois, les ventes ont même lieu à la suite de menaces. Souveraineté alimentaire © PPP Si le Bénin ne connaît actuellement pas de crise alimentaire aiguë, la pandémie, « qui Une famille de cultivateurs en pleine récolte au Bénin. montre l’importance de la souveraineté alimentaire et de ceux et celles qui pro- INCERTITUDE Tout juste réélu à la tête élites locales s’approprient les terrains ap- duisent », y a rendu l’accès aux sols encore du pays, à la suite d’un scrutin contesté, le partenant à des communautés qui ont des plus essentiel, explique Ester Wolf. président béninois Patrice Talon a promis droits coutumiers. Le phénomène a pris Evidemment, les paysan·ne·s n’ont pas jusqu’à « 500 000 hectares de terres » aux de l’ampleur après la crise alimentaire de les moyens de mener des procès pour faire entreprises de monoculture investissant 2008 », explique Ester Wolf, responsable valoir leur accès à la terre. Le syndicat Sy- dans le pays. Sur place, l’annonce inquiète : du secteur « droit à l’alimentation », de nergie Paysanne, soutenu par PPP, les ac- quelles sont ces terres ? Des propriétés l’ONG Pain pour le prochain (PPP). compagne et mène un important travail étatiques, ou des terrains exploités depuis de sensibilisation sur le terrain : enseigne- des décennies par des familles paysannes Transactions arrangées ment du droit, formation dans les villages, usant de droit coutumier ? Une inquiétude Si investir dans des terres agricoles consti- documentation de cas exemplaires, plai- d’autant plus grande que dans ce pays, la tue une tradition au Bénin, la nature même doyer politique… majorité de la population est liée à la terre de ces investissements a changé selon les Certains combats juridiques ont été pour ses revenus. analyses de la Fondation pour l’agriculture gagnés, donnant de l’espoir aux personnes « L’accaparement des terres » par des et la ruralité : « Les fonctionnaires de l’ad- lésées. En 2013, un nouveau code foncier personnes de pouvoir au détriment de fa- ministration et les hommes d’affaires ont a été adopté, qui permet de faire valoir milles de cultivateurs et cultivatrices est depuis des années acheté des terres. Les le droit coutumier et donc les droits des un phénomène bien ancré. « La pratique superficies concernées étaient toujours li- communautés. « Le texte permet de limi- est courante en Afrique de l’Ouest : des mitées, de l’ordre de 20 à 50 hectares. Ce- ter certaines pratiques : il indique la taille pendant, depuis une dizaine d’années, le maximale des terrains autorisés à la vente, phénomène a pris de l’ampleur avec l’achat par exemple. Sa mise en œuvre reste ce- de superficies plus importantes et l’entrée pendant un grand défi », commente Ester Informations et dons d’investisseurs étrangers et des multina- Wolf. « D’autant plus que le président ré- L’offrande du Jeûne fédéral, le tionales dans l’acquisition de terres dans cemment réélu a d’ores et déjà annoncé 19 septembre prochain, est destinée les régions considérées comme les gre- une nouvelle réforme du code foncier. » cette année au programme de lutte niers du Bénin. Les acquéreurs sont des Camille Andres contre l’accaparement des terres nationaux qui semblent jouer le rôle d’in- au Bénin. Infos et dons : www.re.fo/ termédiaires et des investisseurs étran- Ecoutez cet article sur accaparement. gers, très intéressés pour le moment par www.reformes.ch/ecoutez
8 RENCONTRE Réformés | Septembre 2021 Mariel Mazzocco, démythifier la spiritualité rement à la religion. Les Eglises sont ap- mythiques pour restituer leur parole, Ses cours sur le sujet pelées à relever ce défi. » saisir de quelle manière elles peuvent rencontrent un franc C’est d’ailleurs pour répondre à cette nous interpeller aujourd’hui. » succès à la faculté quête de sens qu’elle a lancé un cycle de La spiritualité, justement, comment conférences avec des invités de diffé- la définir ? La clé, Mariel Mazzocco la de théologie de rentes traditions religieuses en plus de détaille dans son dernier ouvrage (voir l’Université de Genève. ses enseignements. Ouverts au public, encadré) : « c’est la simplicité. Etre spiri- Une approche qui ses cours attirent aussi bien des retrai- tés que de jeunes étudiant·e·s. Depuis tuel·le, ce n’est pas s’isoler de tout, mais faire unité avec la multiplicité, ouvrir réhabilite les trésors l’essor des cours en ligne, l’audience dé- des chemins de liberté intérieure pour du christianisme et passe les frontières de la Suisse. mieux appréhender le monde. On pense Dans ses interventions, Mariel Ma- que cette démarche appartient aux re- déconstruit les clichés. zzocco s’attache à dissiper « le flou » qui ligions, mais elle peut être également entoure la spiritualité. « Il y a beaucoup laïque. Il n’existe aucune méthode ou de confusion entre spirituel, religieux et recette prête à l’emploi pour y parvenir, repli identitaire. » Patiemment, par une chacun peut trouver ce chemin en soi. » ITINÉRANCE C’est en Italie que grandit approche intellectuelle, mais laissant Un travail intérieur qui demande « le Mariel Mazzocco, dans une famille fran- une vraie place à la discussion, la cher- courage de se remettre en question », çaise « ouverte d’esprit, intellectuelle- cheuse déconstruit les stéréotypes. Sur beaucoup plus éprouvant qu’une simple ment stimulante, où j’ai pu m’épanouir ». la méditation par exemple. « Qui exerce pratique de bien-être. « Souvent, la spi- Son attrait pour la philosophie et les un grand attrait, surtout dans sa tradi- ritualité est comprise comme un ou- sciences des religions la conduit dans tion orientale. Pourtant, la méditation til d’apaisement pour faire face aux de prestigieux lieux de recherche, dont existe depuis toujours dans le christia- épreuves de la vie. Si elle peut apporter le Collège de France, où elle nisme, notamment chez les cela, tant mieux. Mais le but ultime de construit un parcours inter- Pères du désert ! » Pas ques- toute tradition spirituelle est la transfor- disciplinaire, à la croisée de « Ouvrir tion pour autant de fusion- mation intérieure, articulée à une vie so- ces disciplines ainsi que de des chemins ner les cultures. « Mon but, ciale », cadre la chercheuse. « D’ailleurs, l’histoire et de la littérature. Elle se spécialise notamment de liberté c’est de faire redécouvrir les sources de la spirituali- beaucoup de figures spirituelles étaient très actives socialement, ouvertes au dans la mystique chrétienne intérieure » té, notamment chrétiennes, dialogue avec les autres, y compris ceux du XVIIe siècle. les réactualiser pour entrer qui ne partageaient pas leurs idées. A Genève, depuis 2019, Mariel Ma- en dialogue avec d’autres traditions. Il Cette ouverture à l’altérité peut aussi zzocco donne deux cours d’introduction existe des interconnexions et des inter- susciter une transformation intérieure, à la spiritualité. « Les questionnements dépendances. » s’avérer un moteur de changement dans spirituels m’ont toujours habitée, et j’ai Parmi le « trésor » spirituel qu’elle la société, ouvrir des chemins de sens toujours eu un grand intérêt pour ce qui invite à retrouver, la chercheuse réserve et de signif ication du monde. » Par relève du religieux et de la théologie. Je une place de choix aux femmes spi- exemple ? Outre les mystiques citées n’ai jamais estimé que la raison s’oppose rituelles du XX e siècle, au centre d’un plus haut, Mariel Mazzocco pense à Hé- à la foi. Tout ce qui relève de la transcen- cours dédié. Ici aussi, les stéréotypes lène Monastier (1882-1976), « figure vau- dance s’inscrit aussi dans une réflexion sont démontés. « Souvent, on a sublimé doise d’origine réformée », institutrice, philosophique. Mais notre société craint ces figures comme Etty Hillesum (1914- pacifiste engagée qui a notamment col- surtout l’imposition de la transcendance 1943), Edith Stein (1892-1942), Madeleine laboré à la création du Service civil in- comme un dogme. » Paradoxalement, Delbrêl (1904-1964), Dorothy Day (1897- ternational et qui est « tombée dans l’ou- note-t-elle, « la spiritualité attire un 1980)… Alors qu’elles vivaient dans leur bli ». Encore un trésor à redécouvrir ! nombre croissant de personnes, contrai- temps. Il faut déconstruire les figures Camille Andres
© DR Bio express 2007 Doctorat en scien- ces religieuses, Ecole pratique des hautes étu- des, Paris. 2010-2014 Postdoctorat au Collège de France, Paris. 2015-2021 Collaboratrice scientifique au sein de A paraître l’Institut romand de sys- Dans son dernier ouvrage à pa- tématique et d’éthique raître en septembre, Mariel Maz- (Faculté de théologie, zocco reprend les thématiques prin- UNIGE). cipales traitées dans son cours d’in- 2 016 - 2 019 Recherche troduction à la spiritualité : simplicité, dans le cadre du Fonds méditation, silence, prière, discer- national suisse sur M me nement. Elle détaille notamment en Guyon et la mystique du quoi la simplicité est la clé de la spi- XVII siècle. e ritualité chrétienne. Avec en sus une Depuis 2019 Respon- réflexion sur l’empathie, rendue très sable des enseignements actuelle par la crise sanitaire. et de la recherche en spi- Eloge de la simplicité, Mariel Maz- ritualité à la Faculté de zocco, Bayard/Labor et Fides, 2021, théologie, UNIGE. 224 p.
Les islams de Suisse 5 % de la population Selon l’Office fédéral de la statistique, 371 680 musulman∙e∙s vivaient en Suisse à la fin de l’année 2018, soit 5,3 % de la population résidente perma- nente totale, des évaluations complé- mentaires rapportent la population de culture ou de confession musulmane totale à quelque 480 000 personnes. Une croissance qui se stabilise Depuis 2000, même si la population de culture ou de confession musul- mane a augmenté, son taux de crois- sance a lui diminué. Une communauté majoritairement européenne et balkanique. Après les musulman∙e∙s suisses, on trouve des personnes avec une nationa- lité des Balkans (34,8 % au total) et ori- ginaires de Turquie (10,4 %). Bien que la proportion de personnes originaires de pays arabophones ait approximative- ment triplé depuis 2000, elle demeure une minorité par rapport au nombre total de musulman∙e∙s en Suisse. Environ 10 000 converti∙e∙s Entre 9000 et 12 000 personnes mu- sulmanes seraient converties et non originaires de la migration. Une population jeune, majoritairement En Suisse, les musulman∙e∙s sont en moyenne plus jeunes que la population non musulmane du pays. Une population majoritairement sunnite Parmi les dénominations, la répar- tition est estimée à 85 % de sun- nites, 7 % de chiites, 7 % d’alevis et autres minorités. Aucun chiffre fiable n’existe, car l’assignation à une dé- nomination est complexe. Des personnes peu pratiquantes : Les musulman∙e∙s investissent diffé- remment les normes, les pratiques, les rituels et les croyances en lien avec l’islam. En Suisse par exemple, seule une minorité de personnes qui se déclarent musulmanes pratiquent leur religion dans la vie quotidienne. Source : Université de Fribourg, islamand- society.ch
DOSSIER 11 ISLAM : VINGT ANS D’AMALGAMES DOSSIER Les attentats du 11 septembre 2001 marquent une fracture historique et géopolitique. Cet événement mondial a fortement contribué à structurer les débats nationaux en lien avec l’islam. Au risque de réduire les personnes musulmanes à leur seule apparte- nance religieuse et à perdre de vue leur contribution à l’ensemble de la société. Comment s’est mise en place cette logique d’incom- préhension ? Quel est son impact ? Comment la surmonter ? Vevey, le 7 mars 2021. Une affiche en faveur de l’interdiction de se dissimuler le visage © Shutterstock acceptée par les électeurs suisses ce jour-là. Si le type de vêtements représentés est ultra- minoritaire en Suisse, les promoteurs de l’initiative ont largement utilisé cette symbolique dans leur campagne.
12 DOSSIER Réformés | Septembre 2021 Ni victimes ni complices, © DR « juste fatigué·e·s » © People of Publicity © DR © DR Dia Khadam Farah Hocine Pascal Gemperli Vahid Koshideh MICRO-AGRESSIONS « Chaque année, porter plainte. Même si la justice peut concerne aussi des communautés. « Les c’est pire ! » Elle ponctue sa phrase d’un décevoir… » Le réseau des jeunes musul- tracasseries pour louer des biens sont petit rire, mais le quotidien de Miriam mans de Suisse a organisé de nombreux de plus en plus fréquentes. Les régies ne Amrani, thérapeute indépendante et mu- ateliers, ces dernières années, pour affron- donnent pas facilement des lieux à louer à sulmane à Fribourg, n’a rien de drôle. Il ter les conflits et les clichés, par exemple des organisations musulmanes. Et parfois, est ponctué d’attaques, larvées. Des « re- au travail. « Une personne musulmane en ce sont les banques qui se rétractent au gards lourds », des remarques ou gestes Suisse doit être proactive, comprendre dernier moment pour l’octroi d’un prêt, blessants… Comme ce passant qui lui fait ce qui se joue quand quelqu’un soulève bien que les fonds propres proviennent signe de tomber son foulard, le lendemain un débat, problématiser les préjugés, y entièrement de Suisse », témoigne Mon- d’une votation sur la burqa. Elle lui répond compris lorsqu’ils viennent d’autres mu- tassar BenMrad, président de la Fédé- par un sourire. Mais cette quinquagénaire sulmans », assure Ebnomer Taha, son pré- ration des organisations islamiques de se dit « fatiguée » de ces micro-agressions. sident de 32 ans. Suisse. Ces obstacles structurels, couplés D’autant plus qu’elle préside une associa- à la demande permanente de se désolida- tion qu’elle définit comme « facilitatrice Tracasseries riser après chaque attentat, finissent par d’intégration », Espace Mouslima, offrant Si des statistiques sont difficiles à établir épuiser, voire diviser les fidèles. de la médiation dans les écoles, des ren- sur une décennie, ces actes d’inimitié Farah Hocine a 27 ans : elle avait sept contres entre femmes de quatorze natio- sont néanmoins en hausse. La Commis- ans lorsque les tours jumelles se sont ef- nalités… Ces remarques ont eu raison de sion fédérale contre le racisme les qualifie fondrées. Après une scolarité à Berne, la légèreté dans son quotidien. Les lende- « d’hostilité envers les musulmans » plu- dans une école internationale et ouverte, mains d’attentats, « si je peux, je ne sors tôt que d’« islamophobie », terme qui met c’est en entrant au gymnase à Bienne plus », affirme-t-elle. l’accent sur « le rejet émotionnel de l’islam qu’elle se retrouve réduite à sa religion A 23 ans, Zahra Ali, à Fribourg, a en tant que religion ». Elle leur a consacré par des élèves encore peu confrontés à la constaté le lien entre la survenue d’atten- un colloque en 2017. Une question clé est diversité. « J’avais l’impression de devoir tats et les insultes en raison de sa religion. ressortie de cette journée : « Notre percep- me justifier et m’expliquer en perma- « J’ai senti la haine venir même de voisins, tion et nos relations avec les musulmans nence. J’étais interrogée tout le temps. qui m’ont pourtant vue grandir ici ! » Elle a ne sont-elles pas avant tout l'expression de C’était insupportable ! Oui, je ne bois pas opté pour la stratégie inverse : « Au début, notre propre incertitude vis-à-vis des tra- d’alcool, mais on ne devrait pas me de- je ne disais rien. Et puis, vers 18-19 ans, ditions culturelles et religieuses occiden- mander pourquoi… » j’ai compris que l’attente des agresseur·e·s tales face à la mondialisation, au consumé- Pourtant, Farah Hocine adore expli- était précisément que je subisse en silence. risme, au libéralisme ? » quer : elle est notamment guide pour Dia- Alors, j’ai décidé de répondre, dénoncer, Cette hostilité qui a mille visages logue en route, programme qui permet
N° 49 | Réformés DOSSIER 13 Ils et elles sont musulman·e·s et ont vu grandir l’incompréhension, voire une franche hostilité à leur égard, en deux décennies. Leur adaptation a requis des stratégies très différentes. de visiter des lieux de culte. « J’ai étudié avant la part spirituelle du Coran, plutôt guerre culturelle et terminologique, les l’histoire des religions, un domaine que que des règles à suivre à la lettre ». Il y a terroristes ont gagné. Face à ça, on est j’adore, car il permet de comprendre les dix ans, sa mosquée est exclue sans expli- déçus et en colère. A vrai dire, quand des fondements de notre société. » Mais ex- cation d’une association de quartier, après personnes reprennent à leur compte cette pliquer les fondements d’une religion n’est une fête commune, qui s’est pourtant dé- compréhension dévoyée de l’islam… on ne pas devoir justifier ses choix personnels, roulée sans encombre. « On a senti qu’af- sait plus quoi faire. » « comme si sa religion était une anomalie ficher notre culture islamique dérangeait. ou une phase. A force, je dois reconnaître Mais pour nous, c’est une question d’iden- Dépasser la victimisation que cela donne envie de rester entre soi. tité. On s’est interrogés : on ne va quand L’impuissance a aussi failli avoir raison Si je dois choisir une amie ou un compa- même pas s’appeler association pour la de la détermination de Dia Khaddam. A gnon, je préfère quelqu’un qui comprend, paix ? On veut que les gens sachent que Genève, cette maîtresse d’arabe a parti- qui connaît mon vécu ». Pour éviter que nous sommes là, musulmans, et humains cipé à de multiples actions de dialogue. son identité lui soit « renvoyée à la figure » comme les autres, avec nos croyances et la « Mon but, c’est toujours de faire le pont dans les interactions quotidiennes, Farah volonté de vivre en harmonie ! » entre deux manières de penser, celle des Hocine en vient même à « essayer de ne Pour Pascal Gemperli, secrétaire gé- musulman·e·s et celle d’une société diffé- pas trop dire » qu’elle est musulmane. néral de l’Union vaudoise des associations rente, mais qui a énormément de richesses musulmanes (UVAM), qui a affaire depuis à m’offrir, et qui est ouverte d’esprit à la Discrétion douze ans avec la société civile, ces rac- base. » Le lendemain du 11 Septembre, Faire profil bas. C’est aussi l’attitude du courcis fréquents entre islam et terro- elle a vu apparaître « des regards remplis soufi Philippe Mottet. « Des fois, quand risme viennent d’un manque de connais- de haine et de suspicion ». Dia Khaddam les gens découvrent que je suis musul- sances. « Quand des comportements est passée par « la colère, la honte, l’humi- man, ils croient que je blague », s’amuse le problématiques surviennent dans des liation d’être associée à l’‹ axe du mal › ». président de l’Association internationale communautés chrétiennes, les gens en Elle a connu ensuite la frustration de voir soufie Alâwiyya (AISA) Suisse. Sa com- Suisse savent les lire, à quel courant mi- ses efforts de rapprochement détruits par munauté ne publie plus de communiqué noritaire ou quelle pensée spécifique les un nouvel attentat. Cette maman de neuf pour dénoncer les attentats de djihadistes. rattacher. Mais pour l’islam, la moindre enfants a senti les difficultés survenir dans Une discrétion qui s’explique par le fait information négative, issue parfois de la vie scolaire. Au sein de communautés qu’à l’étranger les soufi·e·s sont régulière- groupes ultra-minoritaires, est associée musulmanes, elle a vu aussi diverses idéo- ment victimes des terroristes. « Commu- aux musulmans dans leur ensemble. » logies gagner du terrain. Pourtant, af- niquer servirait juste à désigner de nou- firme-t-elle, « en vingt ans, je ne me suis velles cibles. » Cette prudence n’empêche Guerre culturelle jamais dit que cela ne valait pas la peine. pas l’engagement sociétal : pour dépasser Le manque de connaissances, admet Pas- Notre rôle comme connaisseurs de l’islam, les antagonismes construits à la suite du cal Gemperli, en vient à concerner… les c’est de faciliter sa compréhension. Et en 11 septembre 2001, AISA ONG internatio- musulman·e·s mêmes. « Si les amalgames tant que parents, c’est d’éviter de trans- nale a fondé, en 2017, une journée inter- entre islam et terrorisme sont véhiculés mettre à nos enfants la colère que nous nationale « du vivre-ensemble en paix », par les médias, le risque, c’est vrai, c’est pouvons avoir face à des injustices. Quelles soutenue par l’ONU. que certains de nos jeunes y adhèrent. » Et seront nos empreintes, ici, comme musul- Faut-il en arriver à gommer son iden- de souligner la difficulté qu’ont les com- mans ? Qu’avons-nous fait pour être com- tité pour vivre sa religion ? A Genève, le munautés, « déjà à la limite en matière pris du reste de la société ? Je crois qu’il musulman chiite d’origine iranienne Va- de ressources humaines », pour contrer faut dépasser la victimisation. Et sans hid Khoshideh, président de l’Associa- les discours extrémistes circulant sur le cesse planter la graine de la patience face tion islamique et culturelle d’Ahl-el-Bayt, web. « On s’oppose à ces visions de ma- à tous les préjugés. » Camille Andres s’est retrouvé confronté à la question. Cet nière claire et répétée. Mais si, dans le homme qui a beaucoup cheminé se définit discours public ici, l’islam est associé à Ecoutez cet article sur comme libéral, « cherchant à mettre en la violence, on peut dire qu’en matière de www.reformes.ch/ecoutez
14 DOSSIER Réformés | Septembre 2021 Le cercle vicieux de l’incompréhension RECONFIGURATION A bien des égards, des mouvements terroristes. A travers le cantonales ou nationales sur ces sujets : notre société actuelle est en partie struc- monde, depuis vingt ans, les victimes de la reconnaissance de communautés reli- turée par les attentats du 11 septembre cette idéologie sont d’abord musulmanes. gieuses à Zurich ; la votation sur les na- 2001 et leurs conséquences. En Occident, Pourtant, observe François Der- turalisations facilitées ; l’interdiction des l’événement a contribué à reconfigurer mange, professeur d’éthique à la facul- minarets, l’interdiction de se dissimuler le « logiciel » géopolitique. « Le 11 Sep- té théologique de Genève, dans le débat le visage… C’est d’ailleurs en partie à la tembre a permis au monde occidental de public, une association erronée s’est très suite de l’interdiction des minarets en répondre idéologiquement et politique- vite construite : celle « du terrorisme avec 2008 qu’est impulsée la création du CSIS, ment à l’insécurité créée par la chute du l’islam. Intrinsèquement, l’islam a été vu à Fribourg. mur de Berlin, en offrant un nouvel en- comme une religion violente et dange- De fait, aucune autre minorité re- nemi de substitution » à la menace sovié- reuse pour la démocratie ». Une construc- ligieuse n’a suscité autant de débats tique, explique Jean-François Bayart, titu- tion facilitée par un contexte qui a vu le politiques depuis 20 ans en Suisse. Et laire de la chaire Yves Oltramare, religion retour du langage religieux en politique, comme le constatent de nombreuses re- et politique dans le monde contemporain, sous l’impulsion du président américain cherches, au fil des ans, « le paradigme à l’institut des Hautes études internatio- Georges W. Bush, évangélique conserva- médiatique a changé vers une perspec- nales et du développement (Genève). teur. La thèse controversée du « choc des tive négative, focalisée sur la violence Ce nouvel ennemi, le djihadisme civilisations », proférée par le professeur qui n’existait pas auparavant : les posi- transnational, est une forme de terro- Samuel Huntington en 1996, a concouru tions hostiles ont pris une part de plus risme, qui résulte d’un radicalisme poli- à cette lecture « essentialisante » et stric- en plus importante », explique Hansjörg tique, l’islamisme, lui-même né d’un fon- tement religieuse du monde. Schmid, à la tête du CSIS. damentalisme religieux. En Suisse, « le 11 Septembre a eu pour Une stigmatisation qui se répercute En résumé, le terrorisme « n’est pas effet de construire la catégorie sociale du sur les personnes musulmanes, modifiant une croyance religieuse », rappelle Wis- musulman, alors qu’auparavant, on dési- leur identification et les amenant parfois à sam Halawi, professeur d’histoire sociale gnait les communautés par leur apparte- surinterpréter la part musulmane d’elles- et culturelle de l’Islam* et des nance culturelle : les Turcs, les mêmes, constatent plusieurs chercheurs. mondes musulmans à la facul- Albanais… », explique Mallory Une relation « d’inimitié complémentaire » té de théologie et de sciences « Laïcistes Schneuwly Purdie, sociologue s’est même mise en place entre laïcistes des religions de l’Universi- et djihadistes des religions au Centre Suisse et djihadistes, comme l’a analysé Jean- té de Lausanne ; c’est bien Islam et Société de Fribourg François Bayart. « Chacun d’entre eux est plutôt une pensée politique ont besoin (CSIS). C’est donc un référent dans une invention de sa tradition. Mais « qui rompt avec tout l’ordre de l’autre unique qui a été mis en place tous deux ont besoin de l’autre pour exis- social et politique présent et vise à mettre en place un état pour exister, pour désigner des réalités so- ciales, culturelles, religieuses ter, leur identification est interactive. » Les personnes musulmanes, elles, sont et une société islamique par leur identi- très diverses. Ce passage d’un usées de devoir sans cesse se désolidariser tous les moyens, y compris la violence ». L’islamisme – qui fication est cadre ethnique à un cadre religieux conduit à réduire d’actes terroristes, comme si une confu- sion était possible entre leurs convictions n’implique pas le passage à la interactive » l’identité de l’autre « à sa seule religieuses et l’extrémisme politique. Mais violence, contrairement au catégorie religieuse, et à inter- pour certains analystes, elles, ou du moins terrorisme – n’est pas né le 11 septembre préter tous ses comportements par ce seul leur communauté, portent une part de 2001. Mais ce « fondamentalisme poli- prisme. Or aucun individu ne saurait être responsabilité dans cette confusion. « Il y tique globalisant » a réussi à réunir, ou uniquement et complètement musulman », a, au sein des communautés musulmanes, à récupérer, une série de contestations pointe un texte du CSIS (voir encadré). des formes d’islam politiques qui ne disent sociales et politiques au Moyen-Orient Tout est donc en place pour pola- pas leur nom. De plus, les mondes mu- au cours du XXe siècle. Il s’est internatio- riser le débat public. Ce qui surviendra sulmans européens sont beaucoup plus nalisé dans les années 1980 et a inspiré entre 2003 et 2021, au fil des votations conservateurs que ce que l’on voudrait
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