La meilleure santé possible - Un droit de l'homme pour riches et pauvres
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
No 4 / DÉCEMBRE 2012 LE MAGAZINE DE LA DDC Un seul monde SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch La meilleure santé possible Un droit de l’homme pour riches et pauvres Tchad : qui profite de la manne pétrolière ? La ruée sur les terres agricoles du Sud
Sommaire D O S S I E R SANTÉ 6 Riches et pauvres restent inégaux face à la maladie La santé est un droit de l’homme. Pourtant, plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à des soins appropriés. 11 Bénévoles au service des villageois Dans le domaine de la santé, la DDC mise sur l’amélioration des soins de base. Exemple d’un projet couronné de succès au Kirghizistan. 15 Courir d’un projet à l’autre pour se soigner Entretien avec Ilona Kickbusch, spécialiste de la politique globale de santé 17 Faits et chiffres H O R I Z O N S 18 La malédiction du pétrole L’exportation de pétrole rapporte au Tchad des milliards de dollars. Qu’est-ce que cela a changé pour les 11,5 millions d’habitants ? 21 Une journée sur le terrain avec… Didier Douziech, directeur du bureau de la coopération suisse à N’Djaména 22 Un rêve d’équilibre entre homme et femme Achta Bougaye parle de la position de la femme dans la société tchadienne D D C 23 Des chiens de garde pas très mordants En Tanzanie, un programme de formation et de mentorat contribue à l’émergence d’un journalisme de qualité 24 Désenclaver les montagnards Dans les montagnes du Laos, la DDC soutient une ethnie défavorisée F O R U M 27 La ruée sur les terres fertiles Les surfaces agricoles des pays en développement se négocient à l’échelle internationale. Cependant, l’accaparement des terres compromet sérieusement la sécurité alimentaire. 30 Une obsession étouffante Carte blanche : la Népalaise Rubeena Mahato est révoltée contre son gouvernement, incapable de livrer des engrais aux paysans C U L T U R E 31 Lueur d’espoir dans les salles obscures Entretien avec le réalisateur malien Cheick Oumar Sissoko, également ancien ministre de la culture de son pays 3 Éditorial 4 Périscope Un seul monde est édité par la Direction du développement 26 DDC interne et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). 33 Service Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au 35 Coup de cœur avec Cosey sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement 35 Impressum le point de vue de la DDC et des autorités fédérales. 2 Un seul monde No 4 / Décembre 2012
Éditorial Delgerjargal Davaanyam/ DDC Migration : pas d’explications ni de solutions simples Le lien entre migration et aide au développement fait Nous attendons des pays partenaires de la coopération actuellement l’objet de vives discussions – au Parle- suisse qu’ils se montrent disposés à discuter des pro- ment, dans les médias, mais aussi aux tables des ca- blèmes posés par la migration. Toutefois, le Conseil fé- fés. Diverses thèses, en partie contradictoires, sont as- déral et le Parlement se rendent bien compte qu’il faut sénées comme autant de vérités. Cela va de celle qui tendre à des solutions globales et durables, plutôt que considère l’aide comme la panacée universelle jusqu’à d’appliquer rigoureusement le principe de conditionna- l’idée que la coopération au développement pousse da- lité – c’est-à-dire de lier la coopération à la reprise des vantage de gens à émigrer. demandeurs d’asile déboutés. Petit donateur, la Suisse n’a guère les moyens d’exercer des pressions poli- C’est une bonne chose que ce débat ait lieu. Mais il tiques. En outre, la suspension de son aide frapperait porte sur une réalité qui échappe aux explications et les populations pauvres, auxquelles nous souhaitons aux solutions simples. On parle étonnamment peu chez précisément offrir des perspectives d’avenir. nous des transformations et des raisons qui poussent les gens à émigrer. Outre la pauvreté endémique qui La protection des réfugiés et des personnes déplacées frappe certains pays, il faut prendre en compte le dans les régions en crise, ainsi que leur réintégration, vieillissement de notre société : la Suisse restera à l’ave- constituent depuis longtemps des tâches importantes nir tributaire d’une main-d’œuvre immigrée. de l’aide humanitaire suisse. Un réfugié sur six seule- ment vit en Europe. Protéger ces populations sur place N’oublions pas que la migration constitue aussi un fac- est un acte de solidarité à l’égard des plus vulnérables. teur de développement pour les pays pauvres. Les re- Les réfugiés recherchent la sécurité, de quoi se nourrir venus envoyés à leur famille par les travailleurs expa- et un logement. À défaut de trouver cela chez eux ou triés représentent trois à cinq fois le volume total de dans le pays voisin, ils émigrent plus loin – souvent au l’aide publique au développement. Cet argent profite péril de leur vie. La Suisse entend renforcer dans des aux classes sociales démunies du pays d’origine. C’est régions choisies son engagement pour la protection le sésame qui leur ouvre les portes de l’école et de des réfugiés et dans le domaine de l’aide au retour. la formation professionnelle, ou qui leur donne accès à des prestations médicales. La diaspora contribue à Martin Dahinden bien des égards – notamment sous forme d’investisse- Directeur de la DDC ments – au développement local. (De l’allemand) Ne perdons pas de vue non plus l’objectif premier de la coopération au développement, qui consiste à com- battre la pauvreté sur place. L’amélioration des condi- tions de vie dans le pays d’origine réduit certes la né- cessité de s’exiler. Mais il est vrai aussi que la coopé- ration ne peut pas empêcher ce phénomène. Ce n’est pas un levier capable de réguler les flux migratoires. Un seul monde No 4 / Décembre 2012 3
Périscope www.uni-bayreuth.de, chercher marquer que le pays était inca- « Income and Democracy » pable de surveiller ses eaux ter- ritoriales, où un nombre crois- Stop au pillage des poissons sant de bateaux asiatiques africains pêchent en toute illégalité. ( jls) Les pays ouest-africains s’inquiètent du pillage de leurs Ces vers qui empêchent ressources halieutiques par les d’apprendre bateaux européens et asiatiques. (bf ) Selon l’Organisation mon- Reiner Harscher/laif Au Sénégal, où presque toutes diale de la santé (OMS), les trois les espèces de poissons sont vic- types de parasites intestinaux les times de surpêche, le gouverne- plus répandus – l’ascaride, le tri- ment a suspendu en avril der- chocéphale et les ankylostomes L’Afrique les pieds dans l’eau nier une trentaine d’autorisa- – infestent environ 1,5 milliard (gn) Dans le nord de la Namibie, des hydrogéologues ont tions accordées à des chalutiers de personnes. Dans les pays en découvert que le sous-sol de la savane recèle, à 280 étrangers. La Mauritanie a re- développement, ce sont les prin- mètres de profondeur, plus de 5 milliards de m3 d’eau. nouvelé fin juillet son accord de cipaux agents pathogènes. Ils Ces réserves pourraient remédier à la situation précaire pêche avec l’Union européenne sont transmis par les œufs pré- de la région : les 800 000 habitants sont approvisionnés en (UE), après quinze mois d’âpres sents dans les excréments hu- eau potable par un lac artificiel qui se trouve dans l’Angola négociations : elle autorise les mains qui contaminent les sols voisin. Il conviendra toutefois de gérer de manière durable bateaux européens à prélever dans les régions où les moyens l’eau accumulée au cours des millénaires, pour pouvoir en 300 000 tonnes de poisson par d’assainissement sont insuffi- bénéficier longtemps. Le cas de l’aquifère namibien n’est an dans ses eaux territoriales, sants. Ces infections, appelées pas isolé. Des scientifiques britanniques ont publié au mais exige en contrepartie que « géohelminthiases », touchent les printemps dernier des cartes répertoriant les réserves sup- les captures soient débarquées communautés les plus défavori- posées d’eau dans le sous-sol africain. Le volume total est dans le port de Nouadhibou, sées. Elles provoquent notam- estimé à 660 000 km3, ce qui représente plus de cent fois afin d’en faciliter le contrôle. En ment de la diarrhée, des dou- la quantité annuelle de pluie. Sur le continent, où plus de février, la Guinée-Bissau a éga- leurs abdominales et un état de 300 millions de personnes n’ont pas accès à de l’eau po- lement conclu un nouvel accord faiblesse générale. Les enfants table, les immenses stocks souterrains pourraient atténuer avec l’UE. Les pêcheurs français, atteints présentent des troubles les effets du changement climatique. Les chercheurs souli- portugais et espagnols pourront physiques, nutritionnels et co- gnent cependant les difficultés inhérentes à l’exploitation prélever du poisson – notam- gnitifs. Des tests ont montré que de ces sources. ment du thon –, des poulpes et leurs aptitudes intellectuelles www.bgs.ac.uk/GWResilience des crevettes. En contrepartie, sont d’autant plus diminuées l’UE versera 9,2 millions d’euros que les vers sont nombreux dans par an (contre 7,5 millions dans leur intestin. En 2001, l’OMS a la convention précédente). La lancé une initiative visant à dif- Guinée-Bissau souhaitait une fuser des mesures de lutte contre Prospérité et démocratie hauts revenus favorisent la dé- compensation plus importante, ce fléau. Jusqu’à présent, seuls vont de pair mocratie, tandis que des salaires mais les Européens ont fait re- trois pays en développement (bf ) Plus le revenu par habitant médiocres lui portent préjudice. – Burkina Faso, Cambodge et d’un pays est élevé, plus ses Les auteurs tirent également de Laos – ont atteint l’objectif fixé, structures sont démocratiques. leur étude des projections sur à savoir le déparasitage annuel Une étude récente publiée par l’avenir, notamment celui des d’au moins 75% des enfants en une équipe d’économistes de pays en développement ou âge scolaire. l’Université de Bayreuth vient émergents. « Il sera intéressant de www.who.int/fr, chercher de confirmer cette corrélation voir si la Chine peut maintenir « géohelminthiases » qui faisait depuis longtemps durablement son système autori- l’objet de controverses dans les taire de parti unique au cas où Du tam-tam à Internet milieux scientifiques. Les cher- le niveau de vie de sa population (bf ) Il est loin le temps où des cheurs allemands ont comparé continue de progresser », note peuples indigènes communi- les données de 150 pays des cinq Benedikt Heid, un des auteurs quaient leurs revendications po- Pierre Geizes/REA/laif continents, en examinant leur de l’étude. « Si nos calculs sont litiques par le tam-tam et les évolution depuis 1950 jusqu’à justes, la Chine pourrait bien à signaux de fumée. En Amérique aujourd’hui. La preuve scienti- terme se diriger vers un régime latine notamment, ces commu- fique est désormais établie : de politique plus démocratique. » nautés exploitent aujourd’hui 4 Un seul monde No 4 / Décembre 2012
Dessin de Jean Augagneur toutes les possibilités des médias droits des peuples indigènes, reprendront une existence d’Erindiroukambe. En collabo- électroniques. Elles publient des bénéficient d’une couverture traditionnelle semi-nomade. ration avec les anciens, ils ont newsletters, organisent des vidéo- médiatique dont d’autres ne Des chercheurs de l’Université également mis au point une conférences, diffusent des clips peuvent que rêver. d’Aalborg (Danemark) et de application qui imite la manière très professionnels sur YouTube l’École polytechnique de dont on dessinait autrefois dans et sont présentes sur les réseaux Le savoir des Héréros Namibie ont développé une le sable. Les villageois introdui- sociaux. Qu’il s’agisse d’évoquer sur tablette visualisation en 3D du village sent dans la tablette des séquen- les droits humains au Chili, les (gn) Dans le désert du Kalahari, ces vidéo et des dessins qui dé- autoroutes traversant des parcs en Namibie, les anciens accom- crivent la vie locale. On y trouve nationaux en Bolivie ou la pros- pagnaient jadis leurs récits de par exemple des informations pection controversée de pétrole dessins tracés dans le sable quand sur l’abattage de chèvres, les pro- en Équateur, les autochtones ils transmettaient les secrets de priétés des herbes médicinales, utilisent les technologies mo- la culture héréro. Aujourd’hui, les soins à prodiguer aux ani- dernes pour faire entendre leur leurs doigts effleurent un écran maux ou la manière de s’orien- voix et travailler en réseau. Ils tactile : tandis que les jeunes sont ter dans le désert selon la posi- reçoivent le soutien d’agences partis vers la capitale pour suivre tion du soleil. « La race humaine internationales de communica- une formation ou trouver du deviendrait plus terne si nous tion qui veulent ainsi soigner travail, les parents confient leur perdions ce type de savoir », leur propre image. L’opinion savoir traditionnel à une tablette estime Kasper Rodil de publique est en effet très sensible électronique. Ainsi, les enfants l’Université d’Aalborg. à cette problématique : des orga- pourront rattraper les leçons www.indiknowtech.org Kasper Rodil nisations telles que Survival manquées à leur retour, quel- International, qui défendent les ques années plus tard, quand ils Un seul monde No 4 / Décembre 2012 5
D O S S I E R Riches et pauvres restent inégaux face à la maladie Plus d’un milliard de personnes dans le monde n’ont pas accès aux soins de base. Les raisons en sont multiples. L’une d’elles est l’insuffisance des structures sanitaires dans les pays en développement. En outre, le fossé se creuse entre la coûteu- se médecine de pointe et les possibilités financières des plus démunis. Afin que le droit à la santé devienne une réalité aus- si pour les populations pauvres, de nouvelles approches s’im- posent. De Gabriela Neuhaus. 6 Un seul monde No 4 / Décembre 2012
Santé Les campagnes mondiales de vaccination sont l’un des grands succès enregistrés dans le secteur de la santé – comme ici à Madagascar. tâche « d’amener tous les peuples du monde au ni- veau de santé le plus élevé possible ». Elle a fixé cet objectif dans sa Constitution, adoptée en 1946. Ce- pendant, 66 ans après, plus d’un milliard de per- sonnes n’ont toujours pas accès à des soins dispen- sés par des professionnels. C’est surtout le cas dans les pays pauvres du Sud, où nombre de régions et de villages sont dépourvus d’établissements adéquats et où les habitants n’ont souvent pas les moyens de payer le trajet jusqu’à l’hôpital le plus proche. Même dans les pays émergents et industrialisés, l’ac- cès aux soins ne va pas de soi. Aux États-Unis, une personne démunie n’est souvent pas en mesure de Le droit à la santé s’offrir une visite chez le médecin. La loi sur la san- « Toute personne a droit à té du président Obama, qui prévoit une assurance- un niveau de vie suffisant maladie de base pour tous, demeure controversée. pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa fa- Avec l’explosion des coûts de la santé, les autres pays mille, notamment pour l’ali- occidentaux risquent aussi de voir s’instaurer un sys- mentation, l’habillement, le tème de soins à deux vitesses. Enfin, les crises éco- logement, les soins médi- nomiques en Europe du Sud prouvent que la san- caux ainsi que pour les services sociaux nécessai- té est un bien fragile et qu’il faut peu de chose pour res ; elle a droit à la sécu- détériorer l’état de santé d’une population. rité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse Progrès médicaux ou dans les autres cas Si la situation apparaît peu reluisante à l’échelle de perte de ses moyens de mondiale, on a tout de même enregistré de nom- subsistance par suite de breux progrès, voire de véritables percées, dans cer- circonstances indépendan- tes de sa volonté. » tains domaines. C’est le cas par exemple des cam- Déclaration universelle des pagnes de vaccination lancées par l’OMS, qui ont droits de l’homme de 1948 abouti à l’éradication de la variole en 1980 et net- (article 25) tement endigué d’autres maladies, telles la polio- de Pablo/Zurita/laif myélite et la tuberculose. Relevons aussi les succès Condition fondamentale remportés dans la prévention et le traitement du de la paix sida. La mise à disposition de médicaments abor- « La santé est un état de complet bien-être physi- dables dans les pays pauvres a constitué une étape que, mental et social, et ne Il y a longtemps que nous mesurons le degré de importante à cet égard. consiste pas seulement en développement d’un pays à l’aune d’indicateurs sa- Sauver des vies humaines est la raison d’être de l’ai- une absence de maladie nitaires. Nous calculons par exemple l’espérance de de humanitaire. Celle-ci s’est considérablement ou d’infirmité. La posses- sion du meilleur état de vie moyenne, les taux de natalité et de mortalité, les professionnalisée ces dernières années. Lors de ca- santé qu’il est capable cas de malaria ou les décès dus au sida et à la sous- tastrophes, des équipes spécialisées arrivent sur pla- d’atteindre constitue l’un alimentation. Les statistiques sur la prévalence de la ce en quelques heures, au besoin avec des équipe- des droits fondamentaux démence, du suicide et de l’épuisement profession- ments hospitaliers complets ou un laboratoire de tout être humain, quel- les que soient sa race, sa nel permettent de tirer d’autres conclusions enco- d’analyse de l’eau. Après le séisme en Haïti, par religion, ses opinions poli- re sur l’état d’une société. Ces données renseignent exemple, les secouristes ont pu sauver de nom- tiques, sa condition éco- aussi sur son avenir potentiel, car santé et bien-être breuses vies et soigner les blessés. nomique ou sociale. La sont indispensables à l’évolution des gens et des Organisations non gouvernementales et fondations santé de tous les peuples est une condition fonda- communautés. contribuent largement à améliorer les soins médi- mentale de la paix du Bien que les rapports de cause à effet entre l’état de caux dans les pays en développement. Les engage- monde et de la sécurité ; santé et les conditions de vie aient largement été ments dans le domaine de la santé sont les plus pri- elle dépend de la coopéra- tion la plus étroite des indi- prouvés, la promotion de la santé est rarement prio- sés, car ils permettent de faire quelque chose di- vidus et des États. » ritaire dans les politiques sociales. L’Organisation rectement pour les populations. En outre, les projets Extrait de la Constitution mondiale de la santé (OMS) s’est certes donné pour dotés d’un objectif clairement défini, comme la de l’OMS (1946) Un seul monde No 4 / Décembre 2012 7
CSA/DDC L’aide humanitaire arrive sur place en quelques heures, au besoin avec des équipements hospitaliers complets. Ce fut le cas notamment à Haïti après le séisme de 2010. diminution de la mortalité infantile ou la lutte ensuite contribué à cantonner de plus en plus la san- contre la malaria, donnent des résultats immédia- té dans le domaine des sciences. L’essor d’une mé- tement visibles et mesurables. decine coûteuse et de l’industrie pharmaceutique Le revers de la médaille, c’est qu’en se concentrant a alors fait exploser les coûts. L’évolution récente, sur des problèmes médicaux spécifiques, l’aide in- dans le domaine de la médecine personnalisée, ne ternationale perd de vue le contexte général. Elle fera que renforcer cette tendance. Un réseau mondial lutte contre des maladies et guérit des gens pour les Fondée en 1948, l’OMS renvoyer ensuite à une vie qui ne peut que les rendre Les pauvres vivent moins longtemps est une institution spécia- malades à nouveau. Même les technologies médicales les plus sophisti- lisée de l’ONU. Elle a son quées ne changent rien au fait qu’il n’est possible siège à Genève, où les re- présentants de ses 194 L’importance du cadre général de vivre sainement que dans un environnement sain. États membres se retrou- L’Europe est pourtant bien placée pour connaître La Conférence internationale sur les soins de santé vent chaque année pour le problème : les grands patrons de l’industrie ont primaires, réunie à Alma-Ata (Kazakhstan) en 1978, délibérer et décider des investi très tôt dans l’hygiène et l’alimentation, afin soulignait, dans sa déclaration finale, la nécessité affaires financières et opérationnelles. Voici ses d’améliorer la santé de leurs ouvriers et d’accroître d’agir : « L’accession au niveau de santé le plus éle- principales activités : coor- ainsi la productivité de leurs entreprises. Par la sui- vé possible est un objectif social extrêmement im- donner, à l’échelle mon- te, l’État a pris le relais et s’est engagé dans diffé- portant qui intéresse le monde entier et suppose la diale, les efforts nationaux et internationaux de lutte rents domaines en faveur de la santé de la popula- participation de nombreux secteurs socioécono- contre les maladies trans- tion. Il a ainsi mis en place des réseaux d’adduction miques autres que celui de la santé. » Huit ans plus missibles (sida, paludisme, d’eau et des systèmes d’évacuation des déchets. Il a tard, la Charte d’Ottawa, adoptée par les États mem- grippe, etc.) ; définir des aussi pris des mesures d’ordre social en interdisant bres de l’OMS, réorientait les efforts : au lieu de normes en matière de trai- tement et de prévention ; le travail des enfants et en créant des systèmes édu- viser uniquement à prévenir la maladie, il importe lancer et coordonner des catifs publics. Pendant une bonne partie du 20e à nouveau de promouvoir davantage la santé. mesures de prévention (par siècle, on a continué de considérer la promotion de Deux chercheurs anglais, Richard Wilkinson et exemple des vaccinations) ; la santé comme une tâche sociale qui devait créer Michael Marmot, ont d’ailleurs démontré l’impor- mener des campagnes d’information sur le taba- les conditions indispensables au développement et tance primordiale des conditions socioéconomiques gisme ou le surpoids. au progrès. pour la santé de tout individu : « Les personnes si- L’OMS publie en outre ré- Fondées sur les progrès scientifiques, les nouvelles tuées au bas de l’échelle sociale sont au moins deux gulièrement des données et des analyses sur divers conquêtes de la médecine (par exemple la vaccina- fois plus exposées au risque de maladie grave ou de aspects de la santé. tion, le dépistage précoce de certaines maladies et décès prématuré que celles qui se trouvent près du www.who.org le traitement médicamenteux de la dépression) ont sommet de l’échelle », constatent-ils dans une étu- 8 Un seul monde No 4 / Décembre 2012
Fernando Moleres/laif Santé pharmaceutique. Ils opposent par exemple une ré- sistance farouche à la politique des brevets appliquée par les multinationales. Ces pratiques accroissent Double charge pour les non seulement le prix des médicaments et donc les pays en développement coûts de la santé, mais entravent également l’essor Le diabète, le cancer, les d’une industrie pharmaceutique concurrente dans troubles cardiovasculaires les pays émergents. et les affections respira- toires représentent des Dans le cadre de la coopération Sud-Sud, des pays défis de taille pour les sys- tels que le Brésil ne soutiennent plus une aide fon- tèmes de santé à l’échelle Paul Hahn/laif dée sur des projets médicaux et préfèrent promou- mondiale. Dans les pays voir un modèle de soins primaires qui a fait ses en développement, ces maladies non transmis- La fourniture de médicaments s’est nettement améliorée preuves au niveau national. Dans leurs efforts pour sibles (MNT) s’ajoutent aux dans les pays en développement et émergents, comme au garantir le bien-être de leur population, le Bhou- « problèmes sanitaires Mozambique et en Inde. tan, l’Équateur, la Bolivie et d’autres États ne s’en classiques » causés par la faim et le manque d’eau de parue en 2003. Ces effets ne se limitent pas aux tiennent de loin pas aux indicateurs habituellement potable et d’hygiène, ainsi pauvres. Les inégalités de santé d’origine sociale sont utilisés en matière de santé, mais se sont donné un qu’aux maladies infec- observées dans l’ensemble de la société. Même dans mandat plus large. Ils ont inscrit dans leurs Consti- tieuses. Déjà mis à rude la classe moyenne, les cadres ont de meilleurs atouts tutions que l’objectif est de créer les conditions qui contribution, les systèmes de santé font ainsi face à en matière de santé que les employés de bureau sub- permettent aux citoyens de « bien vivre ». une double charge de tra- alternes. vail. C’est pourquoi l’OMS Approche globale de la santé accorde une grande prio- Non à la dictature des brevets Ces changements dans les efforts mondiaux desti- rité à la lutte contre les MNT qui résultent souvent Autrement dit, l’écart entre riches et pauvres se nés à promouvoir la santé ne sont pas restés sans d’une alimentation dés- reflète dans l’état de santé des êtres humains. Ce effets. Lancé en 2010, le processus de réforme de équilibrée et d’un mode constat s’applique non seulement au sein d’une l’OMS devrait conduire à l’adoption d’une défini- de vie malsain. Elle concen- même société, mais aussi au niveau mondial. Au- tion plus globale de la santé. Celle-ci apparaît déjà tre également ses efforts sur la réalisation des jourd’hui, de plus en plus de voix plaident pour une dans la proposition de l’Union européenne pour un Objectifs du Millénaire égalité en matière de santé et une meilleure prise nouveau programme « Santé en faveur de la crois- pour le développement en compte des besoins des pays pauvres. Des États sance ». Elle sous-tend également l’action d’agences qui visent à améliorer les chances de survie des émergents, comme l’Inde et la Thaïlande, jouent à de développement comme la DDC. mères et des jeunes en- cet égard un rôle important. Ils n’acceptent plus la Une redéfinition s’impose d’autant plus que les dé- fants, ainsi que sur l’éradi- toute-puissance de l’Occident dans le domaine fis actuels exigent davantage de mesures qui dépas- cation de la poliomyélite. Un seul monde No 4 / Décembre 2012 9
Heiko Meyer/laif Intérêts antagonistes La Suisse dispose depuis 2006 d’une politique exté- rieure en matière de santé. Elle y a défini vingt objec- Dans le cadre de la coopération Sud-Sud, des pays émergents, comme le Brésil, appliquent avec succès leur propre tifs, qui vont de son rôle au modèle de soins primaires. sein de l’OMS à son enga- sent le cadre strictement médical. Ils englobent en gendre, tel le diabète, ce sont New York et le Da- gement en faveur de l’aide humanitaire, en passant effet aussi les désavantages sociaux, les conditions de nemark qui ont lancé le mouvement : la métropo- par la défense des intérêts travail délétères, la pollution de l’air, divers types le nord-américaine prélève désormais un impôt sur de l’industrie pharmaceu- d’irradiation, sans oublier les répercussions du chan- les boissons sucrées, tandis que le Danemark est, de- tique. La Suisse est un ac- teur de premier plan dans gement climatique. Celles-ci incluent la pénurie puis 2009, le premier pays du monde à taxer les le domaine de la santé. d’eau, la désertification ou la destruction de la graisses. Bien ciblées, ces taxes incitatives devraient Elle le doit d’une part à couche d’ozone qui protège la planète contre les réduire le prix de produits sains et les mettre ainsi l’industrie pharmaceutique rayonnements ultraviolets. La multiplication, à à la portée des petits budgets. Elles pourraient et à la recherche, d’autre part au fait qu’elle abrite le l’échelle mondiale, de maladies non transmissibles, contribuer à améliorer l’état de santé de la popula- siège d’organisations inter- comme le cancer, les troubles cardiovasculaires et le tion et à diminuer les coûts dans le domaine de la nationales telles que l’OMS diabète, appelle par ailleurs de nouvelles stratégies santé. et la Fédération internatio- en matière de financement et de prévention. D’autres mesures préventives devraient être envisa- nale des sociétés de la Croix-Rouge et du gées en priorité pour promouvoir la santé au ni- Croissant-Rouge. Aux cô- Priorité à la santé veau mondial. Ce sont par exemple l’interdiction tés de la DDC et manda- Le débat sur le meilleur niveau possible de santé et des substances chimiques particulièrement nocives tées par elles, une série d’organisations non gou- de bien-être continue de susciter conflits et contro- et l’abandon de l’énergie nucléaire. À partir de vernementales de renom- verses. C’est que la réalisation de cet objectif met quand le risque sanitaire est-il suffisamment élevé mée mondiale s’attachent en jeu des intérêts économiques puissants. Ceux du pour justifier l’intervention des États ou des orga- à promouvoir la santé dans secteur pharmaceutique bien sûr, mais aussi ceux nisations internationales ? Ce n’est pas seulement les pays en développe- ment et en transition. de l’industrie alimentaire et du tabac. une question de bon sens. L’importance que l’on Leurs activités, axées sur Les avis divergent toujours sur la question de savoir accorde à la santé en tant que droit de l’homme, les besoins des plus dé- si la santé relève de la responsabilité individuelle et face à d’autres facteurs, relève en fin de compte de munis, s’opposent souvent à partir de quand elle doit être perçue comme un considérations politiques. ■ directement aux intérêts économiques de l’industrie bien public. L’OMS a donné un signal important pharmaceutique. en adoptant en 2004 la Convention-cadre pour la (De l’allemand) www.ofsp.admin.ch, lutte antitabac. Ce texte affirme que le tabagisme « Thèmes », « Affaires inter- représente un risque pour la santé publique et doit nationales », « Politique extérieure en matière de être combattu à l’échelle mondiale. Pour ce qui est santé » du surpoids et des maladies chroniques qu’il en- 10 Un seul monde No 4 / Décembre 2012
Santé Bénévoles au service des villageois La santé est l’une des conditions essentielles du développe- ment. C’est pourquoi la DDC mise beaucoup, dans ce domai- ne, sur l’amélioration des soins de base. Lorsque ses pro- grammes sont efficaces, ils peuvent produire des effets qui dépassent de loin l’objectif initial. Les comités de santé villa- geois, au Kirghizistan, en sont un exemple : leur succès ne se limite pas au seul secteur de la santé. CAH (Ministère kirghize de la santé, DDC, Sida, LED) Ce paysan kirghize est venu faire contrôler sa pression sanguine auprès du comité local de santé. (gn) Qu’ils soient menuisiers, institutrices ou fem- micile, organisent des séances d’information, lan- mes au foyer, des milliers de Kirghizes s’activent cent des projets de cultures potagères ou mènent bénévolement dans les villages pour améliorer la des campagnes contre l’alcoolisme. santé et le bien-être de leurs concitoyens. Œuvrant Dix ans après la création du premier comité dans en partenariat avec du personnel soignant profes- le cadre du projet Action communautaire pour la sionnel, les membres des comités de santé locaux santé (CAH), ces organismes bénévoles ont déjà jouent un rôle crucial dans les régions rurales : ils largement contribué à promouvoir la santé des po- cernent les besoins des gens, font des visites à do- pulations rurales. Ils proposent par exemple des Un seul monde No 4 / Décembre 2012 11
CAH (Ministère kirghize de la santé, DDC, Sida, LED) (5) Dans les régions rurales, la population villageoise prend en main sa propre santé : désinfection de matériel pour lutter contre la brucellose (en haut à gauche), contrôle du sel ou discussion pour fixer les priorités. Difficile transition au Kirghizistan Jusqu’au début des an- contrôles réguliers de la pression sanguine ou veil- hôpitaux. Cette mesure avait pour but de réduire nées 90, la couverture mé- lent à ce que des conduites d’eau délabrées soient leurs coûts de fonctionnement. dicale au Kirghizistan était efficace, gratuite et acces- remises en état. La distribution de tests destinés à Chargée de la mise en œuvre du projet, la CRS a sible à tous. Après la chute contrôler la qualité du sel leur a valu un franc succès rapidement manifesté sa volonté de promouvoir de l’Union soviétique, les et suscité un vif intérêt au niveau international. aussi la santé dans les villages. Au ministère kirghi- ressources ont fait défaut pour préserver ce sys- Depuis que les commerçants et même leurs clients ze de la santé, cette exigence a d’abord éveillé le tème. Dans le même disposent d’un moyen simple pour vérifier si le sel scepticisme. Ce n’est que lorsque la DDC a garanti temps, la pauvreté crois- contient effectivement les ingrédients mentionnés que la réhabilitation des structures hospitalières sante ainsi que le délabre- sur l’emballage, on ne trouve pratiquement plus de progresserait selon le plan convenu que Tobias ment des infrastructures d’adduction d’eau et de sel non iodé dans les magasins kirghizes. Consé- Schüth et son équipe ont été autorisés à travailler gestion des déchets ont quence : la prévalence du goitre, encore élevée dans également dans les villages. « En respectant la vo- détérioré la santé de la les années 90, a fortement reculé. De l’avis de To- lonté gouvernementale de poursuivre la rénova- population. Malgré ses bias Schüth, qui a conçu et mis sur pied le projet tion des hôpitaux, la DDC a gagné la confiance des moyens limités, le gouver- nement s’est engagé réso- CAH sur mandat de la Croix-Rouge suisse (CRS), partenaires kirghizes et ouvert de nombreuses lument dans la mise en la principale réussite enregistrée jusqu’ici réside portes au nouveau projet », affirme M. Schüth. place d’un nouveau sys- dans le changement d’attitude de la population : tème de santé : avec l’appui de l’OMS, de la « Les gens ont compris que ce n’est pas le ministè- Activités axées sur les besoins Banque mondiale et de re de la santé qui est responsable de leur bien-être, Le projet visant les campagnes a misé sur une ap- l’agence de développe- mais eux-mêmes. » proche innovante : persuadés qu’il n’est possible ment américaine (Usaid), d’améliorer la santé de la population qu’avec le il a lancé en 1996 un ré- seau de médecins de fa- Investir dans l’infrastructure concours des personnes directement concernées, mille, qui fonctionne au- Le programme destiné à réformer le système de les responsables ont invité les villageois à faire part jourd’hui très bien. De santé kirghize prévoyait de mettre en place des soins de leurs préoccupations aux médecins locaux et au plus, la réforme du sys- de santé primaires. Dans la phase initiale, le gou- personnel soignant. « Les médecins et les infirmiè- tème de santé semble en bonne voie. Le manque vernement a toutefois accordé la priorité à l’indis- res vivent certes dans les villages, mais c’est la pre- aigu de médecins se fait pensable rénovation des hôpitaux. Au cours de la mière fois qu’ils allaient sur le terrain pour de- toutefois durement sentir, première année de son intervention, la DDC, qui mander aux gens leur avis, au lieu de simplement surtout dans les régions rurales. Beaucoup émigrent a contribué depuis 1999 à la réforme de la santé leur prodiguer des conseils », explique Tobias à l’étranger où ils gagnent dans l’oblast (région) de Narin, s’est donc concen- Schüth. Ce dialogue à un niveau tout à fait différent bien mieux leur vie. trée sur la réhabilitation et la restructuration des fut essentiel pour la suite. Au terme des discus- 12 Un seul monde No 4 / Décembre 2012
Santé Un comité de santé villageois discute de la procédure à suivre. sions, les habitants ont remercié les médecins de les savions rien de plus », se souvient Tobias Schüth. avoir écoutés. Les professionnels de la santé se sont Selon lui, c’est la souplesse du donateur qui a per- dits impressionnés par l’étendue des connaissances mis d’élaborer un modèle bien adapté au contex- de la population sur ce thème. te kirghize. D’après Tobias Schüth, la réussite du projet a Les activités conçues dans le cadre du projet CAH reposé sur le respect que médecins, personnel se fondent sur une interprétation large de la pro- soignant et collaborateurs du projet ont témoigné motion de la santé. Comme cela avait déjà été le aux villageois : « Nous les avions préparés à ces cas pour les hôpitaux, on a beaucoup investi dans rencontres en organisant des cours intensifs sur le l’infrastructure des villages : nombre de dispen- comportement non dominateur. Il arrive souvent saires et de bains publics de l’ère soviétique ont été en effet qu’un partenariat ne fonctionne pas, rénovés ; des conduites d’eau ont été remises en parce que l’on n’investit pas dans ce genre de ré- état. « On ne peut pas faire la leçon aux gens et leur flexions. C’est pourtant tout aussi nécessaire que recommander de boire de l’eau potable lorsque les d’acquérir des connaissances sur l’anémie ou la canalisations sont délabrées. Il faut commencer par pression sanguine. » réhabiliter le réseau d’eau », souligne M. Schüth. Ouverture et souplesse Du projet pilote au programme D’une part, les rencontres dans les villages ont sus- Les rencontres organisées avec les villageois ont cité la formation de comités de santé. D’autre part, révélé que l’anémie constituait le principal pro- elles ont permis de réunir des informations de pre- blème de santé. Dans le cadre d’une étude, le pro- mière main sur les problèmes médicaux les plus jet CAH a donc testé l’efficacité d’un mélange de pressants dans les zones rurales. À partir de là, les micronutriments appelé Sprinkles. Il s’agit d’une responsables du projet ont prévu une vaste palette poudre contenant du fer, des vitamines, du zinc et d’activités en collaboration avec les intervenants. de l’acide folique, que l’on ajoute aux aliments pour Ils ont pu le faire parce que la DDC a renoncé à enfants. Grâce à cette nouvelle méthode, le recul fixer un cadre budgétaire strict et leur a laissé une de l’anémie a atteint jusqu’à 40% dans les régions grande autonomie : « Nous voulions mettre au pilotes. Encouragé par ce succès, le Kirghizistan a Liens point un modèle de promotion de la santé en ré- été le premier pays du monde à lancer en 2011 un www.cah.kg gion rurale. À cet effet, nous avions besoin d’ar- programme national de distribution de sachets de www.ddc.admin.ch/asie- gent pour les rencontres et les cours. Nous ne Sprinkles. centrale Un seul monde No 4 / Décembre 2012 13
Mais c’est tout le projet CAH qui est une réussi- santé. Ceux-ci ne se contentent plus de participer te : le scepticisme initial du ministère de la santé s’est aux projets du CAH. Nombre d’entre eux ont lan- vite envolé. D’autres villages sont venus s’ajouter cé leurs propres initiatives et coopèrent désormais aux quinze premiers. Depuis 2005, les comités de avec différents partenaires, dont les autorités locales. santé font partie intégrante du programme officiel « Les gens ont appris à se faire entendre, à traiter de réforme, qui veut développer l’infrastructure avec les autorités et à trouver des ressources », sanitaire dans les campagnes.Aux côtés de la DDC, constate Tobias Schüth. « La démocratie s’instaure d’autres donateurs se sont engagés entre-temps à ainsi à partir de la base. Notre projet de promo- cofinancer l’extension du programme à l’ensemble tion de la santé y a contribué presque involontai- du pays. rement. » ■ Le ministère kirghize de la santé met pour sa part des moyens financiers et du personnel à la dispo- (De l’allemand) sition des provinces, afin de soutenir les comités de La santé, un thème mondial (gn) Ces dernières années, la DDC n’a cessé de tral – et explorer des formes novatrices de colla- multiplier ses activités dans le domaine de la boration avec l’aide humanitaire. santé, tout en se concentrant sur trois priorités www.ddc.admin.ch, « Thèmes », « Santé » thématiques : - renforcer les systèmes de santé aux niveaux local et national ; - améliorer la santé des mères et des jeunes en- fants, de même que la santé sexuelle et repro- ductive ; - lutter contre les principales maladies infectieu- ses et non transmissibles. La DDC soutient des projets et des programmes ayant trait à la santé dans le cadre de sa coopé- ration bilatérale avec les pays de l’Est, ainsi qu’en Afrique australe et orientale. En reliant ces activités à son engagement sur le plan multilaté- ral, elle parvient à exploiter au mieux les syner- gies potentielles. À l’avenir, la Suisse s’investira davantage en fa- veur de la santé, tant dans ses programmes par pays que sur la scène politique mondiale. Vu le nombre et le poids des acteurs intervenant dans ce domaine, c’est là un projet ambitieux. « Nous allons nous concentrer sur des thèmes où nous pensons pouvoir faire bouger les choses, grâce à l’expérience tirée de la coopération bilatérale et multilatérale, et grâce à nos partenariats stra- tégiques », prévoit Gerhard Siegfried, respon- sable du thème de la santé à la DDC. Il s’agit par exemple d’accroître l’intérêt porté sur le plan mondial à la lutte contre les maladies tropicales négligées ou au financement de la santé. La DDC entend également renforcer les liens avec les Fernando Moleres/laif activités menées dans les domaines de l’eau et de l’alimentation – où la santé joue un rôle cen- 14 Un seul monde No 4 / Décembre 2012
Santé Courir d’un projet à l’autre pour se soigner La santé pour tous ! Alors que nous devions l’atteindre en l’an 2000, cet objectif reste un beau rêve. La politologue et socio- logue allemande Ilona Kickbusch, spécialiste de la santé, évo- que ce qui est allé de travers, mais explique aussi pourquoi elle garde bon espoir. Entretien avec Gabriela Neuhaus. Ilona Kickbusch est une spécialiste de la politique globale de santé, en particulier de la promotion de la santé. Née à Munich en 1948, elle a étudié les sciences politiques et la sociologie à l’Université de Constance. Ensuite, elle a occupé pendant près de vingt ans di- verses fonctions au Kontinent/laif sein de l’OMS et parti- cipé à la rédaction de la Charte d’Ottawa Lorsque des gens cherchent de la nourriture dans les dépotoirs (ici au Nicaragua), leur santé en est directement affectée. pour la promotion de la santé. Outre ses ac- Un seul monde : Pourquoi la politique de la Quels sont, à votre avis, les problèmes mon- tivités de professeure santé est-elle un thème mondial ? Les dif- diaux les plus aigus en matière de santé ? invitée et de conseil- lère d’institutions na- férences régionales et le fossé entre pays ri- L’environnement, l’alimentation et la répartition tionales et internatio- ches et pauvres ne sont-ils pas trop grands des richesses. Mais il y a bien sûr aussi les problè- nales, Ilona Kickbusch pour tenir dans une seule politique ? mes de santé eux-mêmes : la résistance croissante dirige depuis 2008 le Ilona Kickbusch : Certes, les écarts sont grands. aux antibiotiques ou les maladies non transmissi- Programme de santé globale à l’Institut de Cependant, nous vivons dans un monde globalisé, bles et chroniques telles que le cancer et le diabè- hautes études interna- si bien que divers problèmes de santé peuvent être te. Ce sont là des défis qui exigent des interven- tionales et du dévelop- ramenés à un dénominateur commun. Il existe ain- tions à l’échelon national, mais qui touchent aux pement à Genève. www.ilonakickbusch. si des liens notoires entre la faim qui sévit dans de intérêts de l’industrie orientée vers le cadre multi- com nombreux pays en développement et les dérives de national. Des actions s’imposent donc aussi au www.graduateinsti- l’industrie alimentaire, qui conduisent chez nous niveau mondial. L’un des grands débats qui nous tute.ch, « Recherche », au surpoids. Ces interactions sont massives et ne attendent devra répondre à deux questions : com- « Centres et program- mes », « Global Health cessent de s’intensifier. Il faut donc intervenir à plu- ment définissons-nous la santé en tant que bien Programme » sieurs niveaux. Même des actions locales, voire in- public mondial et comment pouvons-nous la fi- dividuelles, peuvent s’avérer efficaces. Un de mes nancer pour garantir que chacun y ait accès ? collègues dit toujours que l’un des actes politiques que nous accomplissons au quotidien, dans le Il devient toujours plus difficile de financer Nord, consiste à choisir notre alimentation. Si nous la santé, chez nous certes mais surtout dans continuons à manger autant de viande, les paysans les pays pauvres, où même les soins de base africains en subiront les conséquences. Si nous ne sont pas toujours garantis. Comment continuons à subventionner notre agriculture, le remédier à cette situation ? désert ne manquera pas d’engloutir des terres ara- Les problèmes d’argent comportent toujours deux bles dans les pays en développement. aspects. Si l’on considère la répartition des fonds Un seul monde No 4 / Décembre 2012 15
Vous pouvez aussi lire