Juin 2021 Discriminations en matière de logement et pistes d'action pour l'arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension
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Discriminations en matière de logement et pistes d’action pour l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension juin 2021 1
Le présent document a été réalisé grâce au soutien financier du Bureau d’intégration pour les nouveaux arrivants (BINAM) de la Ville de Montréal dans le cadre du projet Des quartiers riches de leur diversité. Cette initiative, portée par l’Association des locataires de Villeray (ALV), en collaboration avec le Bureau Information Logement (BIL) de Saint-Michel et le Comité d’action de Parc-Extension (CAPE), vise à mettre en valeur la richesse et la diversité culturelle des quartiers Villeray, Saint-Michel et Parc-Extension et à favoriser des échanges positifs, harmonieux et constructifs entre propriétaires et locataires dans une visée d’un meilleur vivre-ensemble. Fondée en 1977, l’Association des locataires de Villeray (ALV) est un organisme voué à la défense des droits des locataires du quartier Villeray et à la promotion du droit au logement. Le Comité d’action de Parc-Extension (CAPE) travaille à l’amélioration des conditions de logement des résident-es les plus démunis en matière d’habitation du quartier Parc-Extension depuis 1986. Rattaché au Centre éducatif communautaire René-Goupil, le Bureau Info Logement de Saint-Michel (BIL) informe sur les droits et les obligations des locataires. Il oriente, conseille et accompagne les locataires dans leurs multiples démarches liées au logement. Rédaction : Chloé Reiser et Geneviève Breault Faits saillants du rapport Photos du rapport : couverture, i,ii : Chloé Re- iser, p.1 : Sarita Hooja, 3-4-7-9-12-13: Geneviève Les nouveaux arrivant-es et les immigrant-es sont des personnes Breault, 5-11-14 Jennifer Galewski particulièrement vulnérables sur le marché du logement et sont confrontés à Mise en page: Jennifer Galewski de multiples barrières dans le secteur social et privé au sein des grandes villes Association des locataires de Villeray canadiennes. Les pratiques discriminatoires des propriétaires figurent parmi 660, rue Villeray, bureau 2.103 les barrières spécifiques que vivent les nouveaux arrivant-es, aussi bien à leur Montréal (QC) H2R 1J1 arrivée au Canada, que lors de leur processus d’intégration au cours des années Téléphone :514-270-6703 qui suivront. alv@cooptel.qc.ca À Montréal, la crise du logement participe à l’augmentation des discriminations. Si la situation est de plus en plus abordée dans les médias et si la Commission de consultation publique en a fait le sujet de son rapport sur le racisme et les discriminations systémiques, ce phénomène reste encore peu visible et difficile à prouver malgré le nombre de plaintes qui est en augmentation. L’arrondissement de Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension, l’un des arrondissements les plus peuplés et les plus divers de la Ville de Montréal, abrite des locataires en proie à différents enjeux de discrimination en matière de logement. Parmi les témoignages recueillis lors de l’enquête, ces derniers rapportent avoir vécu lors de leur recherche de logement des discriminations multiples, raciales, ethniques et/ou religieuses, ainsi que des discriminations envers leur statut familial. Ces expériences de discrimination ont un impact important sur la parcours d’intégration et la santé mentale des immigrant-es et des nouveaux arrivant-es. Pour les propriétaires rencontrés au sein de l’arrondissement, la question de la couleur de peau ou de la religion passe loin derrière l’importance d’avoir un-e locataire bon payeur. Toutefois, l’exigence de preuves de revenus est susceptible de provoquer des discriminations indirectes envers les immigrant-es et les nouveaux arrivant-es. Par ailleurs, certains propriétaires affirment avoir eu des difficultés avec des locataires immigrant-es. Ces défis rencontrés par les propriétaires ont souvent à voir avec des préjugés véhiculés sur les personnes migrantes. Dans ce rapport, plusieurs outils sont envisagés à destination des locataires, des groupes communautaires, mais aussi des propriétaires pour améliorer le vivre-ensemble au sein de l’arrondissement. i
TaBle des matières 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2. L’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension . . . . . . . . . . . . . . 2 3. Les défis rencontrés par les personnes issues de l’immigration sur le marché du logement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3.1 Les multiples barrières vécues par les immigrant-es 3 3.2 Les discriminations en matière de logement 4 3.3 La situation à Montréal 5 4. Les principaux défis rencontrés dans l’arrondissement VSMPE . . . . . . . 6 4.1 Précisions méthodologiques 6 4.2 Les défis vécus par les locataires 7 4.3 Les défis vécus par les propriétaires 10 5. Constats et pistes de réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 6. Pistes de solution et recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13 6.1. Les recommandations destinées à mieux outiller les locataires 13 6.2. Les recommandations destinées 13 à mieux outiller les propriétaires 13 7.Comment déposer une plainte ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13 8.Biibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..14 ii
1. Introduction Les gestes et attitudes de discrimination basés sur l’origine ethnique, la race et/ ou la religion qui se manifestent lors de la recherche d’un logement, pendant son occupation et après son départ (à travers les références), peuvent être produits et/ ou véhiculés par des locateurs de logement, des concierges et même des voisins. Ces phénomènes ont malheureusement pour effet de diminuer considérablement la capacité des ménages immigrants, racisés et/ou nouvellement arrivés au Canada, de se trouver un logement de taille adéquate, en bon état et à un prix abordable. Or, mettre en valeur la richesse de la diversité culturelle présente au sein de l’arrondissement Villeray—Saint-Michel— Parc-Extension permet non seulement de la conserver et de favoriser des échanges harmonieux dans les milieux de vie entre locataires et propriétaires, mais également d’outiller ses résident-es afin de développer un meilleur vivre-ensemble. Le présent portrait vise à présenter un survol des enjeux et dynamiques de discrimination au sein de l'arrondissement afin de développer une meilleure compréhension des problématiques rencontrées par les locataires, mais également par les propriétaires dans leurs expériences respectives de location résidentielle. À travers le partage des témoignages, ce portrait aspire à une meilleure compréhension des diverses perspectives à partir desquelles se construisent les discours autour de la discrimination. Il poursuit également l’objectif de dégager des pistes de recommandations et d’actions afin de favoriser et de promouvoir une société plus inclusive dans laquelle les nouveaux arrivant-es peuvent participer pleinement à la vie collective, s’y épanouir et y développer des relations significatives. 11
2. L’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension Montréal a toujours été une terre d’accueil pour les majeur au sein de la Ville de Montréal. Enfin, près de nouveaux arrivant-es. Entre 2006 et 2015, 80 % des 61 540 personnes auraient changé de domicile dans les ménages admis au Québec s’y sont installés¹. L’arron- cinq années précédant le recensement, ce qui représente dissement Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension est environ 46 % de la population. situé au centre nord de la Ville de Montréal et couvre un territoire d’une superficie de 16,5 km². Il comporte Si certaines langues comme l’anglais, l’espagnol ou encore une grande richesse culturelle et linguistique alors que l’arabe sont parlées fréquemment au sein des domiciles, sept personnes sur dix ont un lien de proximité avec le français demeure la langue la plus utilisée par les l’immigration, soit en étant nées à l’étranger, soit en résident-es de l’arrondissement. Le bilinguisme est une ayant au moins un parent né à l’extérieur du Canada. forte composante dans la mesure où une personne sur deux est capable d’entretenir une conversation aussi bien L’arrondissement est le deuxième plus peuplé de la Ville en français qu’en anglais. Cependant, il faut noter que plus de Montréal. En 2016, il compte 143 853 habitant-es soit de 5 % de la population recensée dans l’arrondissement 8,4 % de la population montréalaise, dont 15 % n’ont ne parle aucune des deux langues officielles du Canada. pas encore reçu la citoyenneté canadienne. De plus, 47 % de la population de l’arrondissement s’identifie à Formé par trois anciens quartiers ouvriers, une minorité visible, ce qui représente plus de 66 600 l’arrondissement Villeray–Saint-Michel-Parc-Extension est résident-es dans le quartier. Haïti, l’Algérie, le Vietnam, majoritairement constitué de locataires qui représentent l’Italie et le Maroc sont les cinq principaux pays d’origine 74 % de la population. Malgré des dynamiques de gen- dont sont majoritairement issus les immigrant-es. En ce trification accélérées causées par le développement de qui concerne les immigrant-es arrivé-es depuis moins de projets immobiliers résidentiels et institutionnels, plus de cinq ans au Canada, soit entre 2011 et 2016, les pays de 33 000 résident-es de l’arrondissement sont en situation provenance les plus représentés sont respectivement de faible revenu, soit 23 % de la population. De plus, 32 % l’Algérie, Haïti, le Maroc et la France. des ménages consacrent 30 % et plus de leur revenu à leur loyer. Par ailleurs, près de 9 % des logements de l’arron- Parmi les habitant-es de l’arrondissement, on recense dissement nécessitent des réparations majeures contre 60 200 immigrant-es, ce qui représente plus deux 8,5 % pour la Ville de Montréal. Alors que le quartier re- résident-es sur cinq. Leur présence est plus importante à groupe beaucoup de familles avec enfants, plus de 12 % Parc-Extension où elle compte pour 61 % et à Saint-Michel des logements sont de taille insuffisante selon la norme où elle est de 49 %, qu’à Villeray où l’on dénombre environ nationale d’occupation élaborée par la SCHL. La difficulté 30 % d’immigrant-es². Parmi la population immigrante d’accès au logement subventionné, le faible nombre de de l’arrondissement, près de 11 890 personnes sont logements sociaux présents au sein du parc locatif, ainsi nouvellement arrivées au Canada, ce qui représente que les pratiques discriminatoires des propriétaires dans près de 20 % de la population. Cette proportion de l’arrondissement poussent les immigrant-es les plus vul- nouveaux arrivant-es au sein de l’arrondissement est nérables à se rabattre sur des logements insalubres. en augmentation, ce qui en fait un espace d’accueil ¹ Les chiffres de cette section du rapport sont issus du dernier recensement canadien datant de 2016 et de Montréal en Statistiques, 2018. ² Centraide du Grand Montréal, 2017. Analyse territoriale 2015-2016 Villeray, Saint-Michel et Parc-Extension. 2
3. Les défis rencontrés par les personnes issues de l’immigration sur le marché du logement 3.1 Les multiples barrières vécues par les immigrant-es Depuis le début des années 2000, les chercheurs-euses constatent que l’intégration socio-économique des personnes immigrantes est de plus en plus difficile dans les grandes villes canadiennes³. Le constat est le même lorsque l’on observe ce qui se passe dans le domaine du logement. En effet, les immigrant-es et les nouveaux arrivant-es éprouvent de plus en plus de difficultés pour accéder à un logement abordable et adéquat. Si les conditions de logement des ménages immigrants ont tendance à s’améliorer au fur et à mesure du temps passé au Canada, ce processus n’est pas linéaire et uniforme selon les caractéristiques socioéconomiques des individus et, dans l’ensemble, les ménages immigrants ont tendance à vivre des conditions de logement plus précaires que les natifs, parfois longtemps après leur arrivée⁴. Parmi les immigrant-es, les personnes récemment arrivées au Canada et les réfugié-es comptent parmi les individus les plus vulnérables, aux côtés d’autres catégories comme les autochtones ou les jeunes. Pour expliquer cette situation, plusieurs études ont mis en évidence les obstacles particuliers qui pèsent sur les nouveaux arrivant-es en matière de logement⁵. En effet, au-delà de l’éventuelle faiblesse de leurs revenus économiques, les chercheurs-euses montrent que les immigrant-es récents sont confrontés à plusieurs désavantages spécifiques qui les rendent plus vulnérables que les natif-ves sur le marché du logement. En effet, si rechercher un logement dans des marchés immobiliers complexes avec un taux d’inoccupation très bas est un défi difficile à relever pour n’importe quel ménage, la barrière de la langue, le manque de connaissance concernant les marchés locaux de l’habitat et les droits des locataires, l’absence d’historique de crédit et/ou de garant-e et les différentes formes de discrimination viennent s’ajouter aux aléas de la recherche du logement pour les immigrant-es. ³ Voir notamment Ledent, Chicha et Arcand. 2017; Teixeira, et Li dir. 2015. ⁴ Voir Haan. 2005; Leloup et Nong. 2006; Murdie et Logan. 2011. ⁵ Voir Teixeira. 2008; Francis. 2011. 3
3.2 Les discriminations en matière de logement Les discriminations en matière de logement comptent Les pratiques discriminatoires peuvent survenir à parmi les principales barrières auxquelles sont différents moments de la trajectoire résidentielle. En confrontés les ménages immigrants au sein du marché effet, la plupart du temps, elles se déroulent pendant du logement. Ces pratiques discriminatoires des la recherche de logement, dans les relations directes propriétaires, courtiers, prêteurs immobiliers ou encore avec les propriétaires, au moment de la visite ou des institutions ont été documentées dans plusieurs lors d’un contact téléphonique8. Toujours pendant la études à partir de différents contextes urbains nord- recherche de logement, les pratiques discriminatoires améri-cains6. des propriétaires se lisent également de manière plus indirecte à travers des offres dédiées à un certain Les discriminations en matière de logement désignent : type de clientèle sur les plateformes immobilières en ligne9, dans les demandes d’informations faites par « tout comportement, pratique ou politique dans les propriétaires à travers les formulaires de demande les secteurs public ou privé qui cause directement, de location et de renseignements personnels (nom indirectement ou systématiquement un préjudice de l’employeur, numéro d’assistance sociale, nom de empêchant un accès ou une utilisation et une l’institution financière, etc.) ou encore en imposant jouissance équitable du logement par les des frais aux locataires pour consulter leur historique membres des groupes sociaux historiquement de crédit. Ces discriminations peuvent aussi avoir désavantagés »7. lieu lorsque le locataire occupe le logement. Dans un rapport produit sur les besoins des femmes racisées Les discriminations peuvent donc prendre différentes dans Villeray10, plusieurs femmes témoignent avoir vécu formes, du simple refus d’accorder un logement à un du harcèlement raciste, psychologique et/ou sexuel, de ménage ou un individu à la mise en place de critères la part de voisins ou de propriétaires au sein de leur lieu de sélection différenciés, en passant par de la publicité de résidence. ciblée pour des logements. Les motifs discriminatoires sont variés et peuvent concerner aussi bien la race que Les immigrant-es et les nouveaux arrivant-es sont l’origine ethnique, le sexe, l’identité ou l’expression de particulièrement vulnérables à ces discriminations en genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, la situation matière de logement. En effet, situés à l’intersection familiale, l’âge, la religion, les convictions politiques, la de plusieurs marqueurs d’identité, ils ou elles subissent langue, la condition sociale ou encore le handicap. Si ces simultanément différentes formes de domination discriminations en matière de logement sont interdites qui permettent d’expliquer en partie leur trajectoire par la loi canadienne, il n’y a en réalité que très peu de résidentielle singulière au sein du marché du logement11. poursuites judiciaires. Si certains facteurs sont des barrières fixes comme la 6 Voir en particulier Novac et al., 2002. 7 Définition tirée de Novac et al., 2002, p.1 et traduite de « Housing discrimination consists of any behaviour, practice, or policy in the public or private sectors that directly, indirectly, or systematically causes harmthrough inequitable access to or use and enjoyment of housing by mem- bers of historically disadvantaged social groups ». 8 Voir Dion, 2001. 9 Voir Hogan et Berry, 2011. 10 Cousineau, Amélie. 2018. Les besoins des femmes racisées dans le quartier Villeray. 4
race et l’ethnicité, la religion ou 3.3 La situation à Montréal encore le genre, d’autres peuvent évoluer avec le temps à l’instar des Le nombre de plaintes reçues pour discrimination lors de la recherche revenus et de la situation d’emploi, d’un logement serait en augmentation selon les données récoltées du statut migratoire, de la maîtrise par la Commission des droits de la personne et des droits de la des langues officielles ou du capital Jeunesse (CDPDJ) à Montréal. En effet, selon le rapport annuel de social des individus12. Par ailleurs, la Commission, le nombre de plaintes a augmenté de 35 % entre la d’autres recherches montrent que, période de 2006 à 2011 et celle de 2011 à 201615. la plupart du temps, les réfugié- es, les demandeurs-euses d’asile et les immigrant-es non reçus sont confrontés aux situations de logement les plus difficiles dans les grandes villes canadiennes, en particulier quand ils ou elles sont des personnes racisées13. Les expériences de discrimination dépendent également du contexte géographique et temporel étudié. Dans un article sur les différences de perception de la discrimination à « Ce qu’on constate, c’est qu’il y a une persistance de la Vancouver, Montréal et Toronto14, discrimination fondée sur l’origine ethnique et la race » il a été démontré que certains - Myrlande Pierre, vice-présidente de la CDPDJ18 espaces sont considérés comme plus inclusifs que d’autres par les immigrant-es. Par conséquent, La plupart des dossiers de plaintes ouverts concernent des les expériences de logement ne expériences de discrimination liées à l’origine ethnique et à la seront pas les mêmes pour les couleur de la peau. Cette situation serait d’ailleurs renforcée par ménages immigrants selon les le resserrement du marché locatif à Montréal et se serait encore villes et les quartiers habités. accentuée dans le contexte de la COVID-1917. En effet, le faible taux d’inoccupation laisse la possibilité aux propriétaires d’être plus sélectifs. On observe d’ailleurs que, lors de la dernière crise du logement du début des années 2000, les plaintes pour discrimination basée sur la race ou l’origine ethnique diminuaient à mesure que le taux d’inoccupation augmentait16. Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ)19 recense régulièrement depuis quelques années des annonces locatives discriminatoires mises en ligne sur les sites internet et les réseaux sociaux. Ces dernières font état de nombreux cas de discrimination liés notamment à l’origine ethnique, à la condition sociale, à l’état civil et à l’âge des enfants, au sexe ou encore à l’âge. 11 Voir notamment Dion, 2001; Reiser, 2018. 12 Voir notamment les travaux de Miraftab, 2000; Teixeira, 2008; Francis, 2011; Mensah et Williams, 2013; Ray et Rose, 2011; Murdie, 2008; Rose et Charette, 2014; D’Addario et al., 2007. 13 Voir Francis, 2011; Carter et Vitiello, 2012. 14 Voir Ray et Preston, 2009. 15 CDPDJ. 2020. Rapport d’activités et de gestion 2019-2020. 16Goudreault, Zacharie. 2019. « Hausse des cas de discrimination dans l’accès à un logement », Journal Métro. 17 Vézina, Henri Ouellette. 2020. « Accès au logement: la discrimination «s’accentue» à Montréal », Journal Métro. 18 Hachey, Isabelle. 2009. « Discrimination envers les locataires: le nombre de plaintes en forte baisse », La Presse. 19 RCLALQ. 2019-2020-2021. Rapports sur Discrimination et logement. 5
« Quand il y a une rareté de logements locatifs, la discrimination augmente parce que les propriétaires ont le choix. C’est illégal et [...] extrêmement inquiétant », - Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)20 Cependant, la très faible probabilité de sanctionner juridiques, les sanctions assez faibles pour punir un propriétaire décourage les locataires de porter les propriétaires fautifs, à l’exception de quelques plainte. En effet, si ces discriminations en matière de cas21, et la difficulté de prouver la discrimination logement sont interdites par la loi, il n’y a en réalité que sont dissuasives pour les locataires victimes. Enfin, très peu de poursuites judiciaires. Il importe d’abord le processus ne garantit pas le fait d’obtenir un toit à de souligner que tant que le bail n’est pas signé, le l’issue du recours. Ainsi, la discrimination en matière Tribunal administratif du logement (anciennement la de logement reste un phénomène difficilement Régie du logement) demeure impuissant face à ces visible et mesurable à Montréal. En 2019-2020, les pratiques. Les locataires doivent alors porter plainte plaintes pour discrimination en matière de logement devant la Commission des droits de la personne et de à la CDPDJ représentent seulement 6 % des dossiers la jeunesse (CDPDJ), mais la longueur des démarches ouverts contre 49 % dans le secteur du travail (CDPDJ, 2020). 4. Les principaux défis rencontrés dans l’arrondissement VSMPE 4.1 Précisions méthodologiques En raison de la crise sanitaire engendrée par la Les discriminations rapportées par les locataires COVID-19, la méthodologie mise de l’avant pour sont à la fois d’ordres direct et indirect. La élaborer ce portrait a dû être adaptée. Elle repose discrimination directe constitue la forme la plus principalement sur onze entrevues individuelles avec flagrante de discrimination. Elle consiste à faire des locataires de l’arrondissement et six entrevues subir un traitement différent à une personne selon avec des propriétaires bailleurs de VSMPE. Elle un motif discriminatoire de façon ouverte. Par comporte, par conséquent, certaines limites et ne exemple, le fait de discriminer ostensiblement des peut se targuer d’être représentative du vécu de tous individus immigrants ou racisés dans des annonces les locataires et de tous les propriétaires bailleurs locatives en ligne. La discrimination indirecte est plus de l’arrondissement. Par ailleurs, il importe de subtile et plus difficile à condamner. Elle découle de mentionner que, contrairement à ce qui était prévu l’application d’une norme, neutre à première vue, qui initialement, nous n’avons pas limité la collecte de a cependant un effet discriminatoire sur les individus données aux personnes arrivées depuis moins de 5 sans avoir une intention de discriminer à l’origine. ans au Canada afin d’obtenir le plus de témoignages C’est le cas de certaines exigences des propriétaires possible. La présente publication représente donc qui réclament un-e garant-e ou un historique de un premier portrait sur lequel pourront s’appuyer de crédit pour obtenir un logement, ce qui handicape prochaines recherches. particulièrement les nouveaux et nouvelles arrivant-es. Enfin, quelques locataires immigrant-es La majorité des discriminations en matière de décrivent également des situations qu’on nommera logement recensées dans l’arrondissement lors de « discriminations inversées » où les propriétaires notre enquête sont : choisissent de sélectionner délibérément des • Des discriminations raciales, ethniques et/ou nouveaux arrivant-es plus vulnérables. religieuses, parfois cumulées; • Des discriminations envers les familles avec en- fants, qui cachent souvent des discriminations raciales et ethniques. 20 Poiré, Anne-Sophie. 2021. « On ne veut pas d’enfants dans des logements à louer », Le Journal de Montréal. 21 Lévesque, Lia. 2018. « Discrimination: 12 000$ à payer pour avoir refusé de louer un logement », La Presse. 6
Caractéristiques des locataires interrogé-es Prénom22 Pays d'origine Nb d'années au Quartier habité Motifs de Discrimination Discrimination lors Québec discrimination pendant de l’occupation la recherche de du logement logement 1 Isgou Somalie 20 ans Villeray Raciale OUI NON Ethnique 2 Amina Algérie 10 ans Villeray Raciale OUI NON Ethnique Religieuse 3 Yolanda Haïti 9 ans Villeray Raciale OUI OUI 4 Mustapha Tunisie 25 ans Saint-Michel Religieuse OUI NON 5 Ibrahim Maroc 13 ans Villeray Raciale OUI OUI Ethnique Religieuse 6 Sanou France 8 ans Villeray Raciale NON OUI Religieuse 7 Majida Maroc 14 ans VIlleray Raciale NON OUI Religieuse 8 Josette Congo 2 ans Saint-Michel Ethnique NON OUI 9 Mehdi Algérie 5 ans Saint-Michel Raciale NON OUI Ethnique Religieuse 10 Amir Pakistan 7 ans Parc-Extension Ethnique OUI NON 11 Rosario Nicaragua 25 ans Saint-Michel Ethnique OUI OUI 22 Les prénoms des participant-es, locataires comme propriétaires, ont été modifiés pour préserver leur anonymat. 4.2 Les défis vécus par les locataires Nous avons recueilli plusieurs témoignages de locataires qui, lors de la recherche d’un logement, ont fait face à des refus de location, explicites ou implicites, qui étaient dus à leur origine raciale, ethnique ou religieuse. En voici quelques-uns dans lesquels la couleur de la peau et/ou les habits et signes religieux, non visibles par téléphone, ont repoussé des propriétaires en face à face lors de la visite du logement convoité. « L’immeuble où j’habitais est passé au feu. J’ai dû me chercher un autre logement durant la période des travaux. On m’a donné pas mal de rendez-vous par téléphone, mais une fois arrivée sur les lieux, on me dit que c’est loué. Entre vous et moi, est-ce qu’on donne rendez-vous pour un logement loué? Je sais que c’est le voile. Je suis orgueilleuse, je me dis que c’est son droit au propriétaire, que c’est sa propriété. Alors, je fais demi-tour, les larmes dans les yeux. Je ne peux pas supplier pour louer. Je ne demande pas de charité, je vais payer. » - Amina, femme d’origine algérienne, arrivée au Québec en 2011 « Je garde un très mauvais souvenir de mon dernier déménagement à Montréal. C'était en 2012 et depuis, malgré que je le voudrais, je ne me lance plus. J'avais commencé mes recherches dès février et j'avais déjà informé mon propriétaire que je quittais mon logement de l'époque au 30 juin... Je suis française, donc avec un accent de France, je n'ai jamais eu de difficulté à avoir d'entrevue, mais une fois sur place, je sentais le malaise. Un propriétaire asiatique m'a même demandé si j'étais vraiment française. Bref, j'en ai visité des appartements! J'ai trouvé mon logement actuel le 29 juin, c'est mon boulanger qui a eu pitié de moi et qui a demandé au propriétaire. Étant noire et voilée, j'ai laissé mon mari aller voir le propriétaire, espérant que l'aspect religieux ne soit pas visible au moins... Tellement eu de refus, que je n'y croyais plus. Pour les croyants comme moi, on se dit heureusement qu'il y a un bon Dieu. » - Sanou, femme d’origine française arrivée au Québec en 2013 7
« En me regardant, une dame m’a dit carrément que si j’étais un musulman qui pratique, elle ne voulait pas de moi. Elle m’a dit qu’elle ne voulait pas être dérangée pendant le ramadan. Moi j’ai pensé, être musulman ne veut pas dire faire du bruit! [...] Une autre dame m’a dit :”Ici, c’est propre, moi je choisis mes locataires”. Puis, elle me dit qu’il n’y a aucun noir ici. D’après moi, elle voulait me dire qu’elle ne prenait que des personnes blanches. Alors, quand elle a vu mon prénom sur le formulaire, il y a eu une sorte de malaise. Je suis arabe, mais j’ai la peau claire. Elle avait dû penser que j’étais blanc moi aussi. Puis, elle ne m’a jamais rappelé. » - Mustapha, homme d'origine tunisienne, arrivé au Québec en 1995 Dans certaines situations, c’est l’accent de la personne locataire à la recherche d’un logement qui, lors de l’échange téléphonique, dévoile une expérience d’immigration qui rebute un propriétaire. « Mon mari et moi, on cherchait des appartements en se promenant en voiture. À trois reprises, j’ai appelé à un numéro indiqué sur une pancarte et on m’a répondu que l'appartement était déjà loué. On est passé deux semaines plus tard devant l’immeuble et la pancarte était toujours là. Moi, je suis latina et quand je parle, même si on me comprend bien, on entend mon accent. Je pense qu’on ne laisse pas une pancarte à louer quand un logement est déjà loué.» - Rosario, femme d'origine nicaraguayenne, arrivée au Québec en 1995 À l’origine ethnique et à la religion, s’ajoutent fréquemment d’autres facteurs discriminatoires comme le fait d’avoir ou non des enfants. Malheureusement, ces discriminations à l’égard du statut familial sont courantes et constituent la majorité des témoignages de discrimination partagés aux intervenant-es oeuvrant dans les comités logement de l’arrondissement. Ces discriminations envers les familles avec enfants sont d’ailleurs renforcées par la situation du marché immobilier où les grands logements sont très peu disponibles au sein du parc de logement de l’arrondissement. Néanmoins, on peut remarquer que ce type de motif discriminatoire cache souvent des discriminations raciales et/ou ethniques comme c’est le cas pour Isgou et Amir qui en témoignent dans les extraits suivants. « J’ai visité un appartement avec mes enfants. Quand je suis venue, ils m’ont dit que c’est déjà pris. J’avais des doutes. Quand je suis rentrée à la maison, j’ai appelé pour voir si c’était vrai ce qu’ils disaient. Ils m’ont dit que le logement était disponible, que je pouvais venir visiter. Je ne sais pas si c’est à cause des enfants, de la couleur. J’ai compris qu’ils ne voulaient pas de moi. J’ai laissé tomber. C’était au début, j’étais nouvelle. J’avais mal, je me posais la question “Mais pourquoi, pourquoi il ne t’a pas donné la chance?”. » - Isgou, femme d’origine malienne, arrivée au Québec en 2001 « I was looking for an apartment. I was living in a 3 and a half and I have 3 kids with some cockroaches and mice issues. We were newcomers and did not have enough resources. During my quest, I came across discrimination. A landlord asked me: “Are you a student?”. I told I have a family, and he ended up. Another realtor, he told me that if I am family, the rent is 1200$ instead of 1050$ as written on the board. I asked: “What is the difference?”, he answered: “There will be more use of the appartement”. The same guy rented another 4 and half. He asked how many people we were and he said: “It will be 500$ per head”, but it was written 1100$ on the poster. He said: “This is not my appartement, I will talk with my friend” but he never called me back. » - Amir, homme d'origine pakistanaise, arrivé au Québec en 2013 Dans un des témoignages recueillis, on peut observer ce qui semble être un exemple de stratification raciale, soit une dévalorisation de certains groupes racisés face à d’autres dans le processus de location. En effet, une locataire d’origine latino-américaine nous a partagé avoir fait face à un premier refus de location qui, selon elle, était dû à l’origine ethnique de sa famille, puis finalement sélectionnée car la propriétaire de l’immeuble sou- haitait éviter d’être contrainte de louer ses logements à des personnes de certaines origines ethniques. « On a décidé de déménager parce que l’appartement était trop petit. Quand on est allé visiter, ce n’était pas l’appartement sur les photos de l’annonce: les planchers n’étaient pas très bons, la peinture n’était pas faite. L’agent immobilier nous a téléphoné pour nous informer que nous n’étions pas sélectionnés. Deux jours plus tard, la propriétaire de l’immeuble nous a appelé et elle a dit: “Écoute, je préfère te louer à toi qu'à des noirs”. C’était dans les dernières semaines du mois de juin, même si je n’avais pas aimé ce commentaire, je n’avais pas le choix. » - Rosario, femme d'origine nicaraguayenne, arrivée au Québec en 1995 8
« Quand je suis arrivée au Québec, je suis allée habiter avec ma mère et ma sœur qui m’avaient parrainée moi et mes filles. Quand mes garçons sont arrivés d’Haïti, le logement était trop petit. Ma mère et ma sœur ont pris un autre logement dans l’im- meuble et j’ai gardé celui-ci. Moi, je viens d'Haïti, je ne connaissais pas trop la loi. Mais, je vois que l’immeuble n’était pas propre, je ne connaissais pas ce qu’était la moisissure. Ils ne réparent vraiment pas. J’avais la honte d’aller au bureau pour en parler. Punaises, coquerelles, souris. Je n’arrête pas de jeter les meubles, les vêtements, les affaires, les matelas. Ils me disent que les tuyaux sont bloqués parce que je mange du riz. Ils me disent qu’il y a de la moisissure parce que je cuisine trop. Ils me disent qu’il y a des souris parce que j’achète des poches de riz et de pois. Vous pensez que je suis la seule à manger ici? » - Yolanda, femme d’origine haïtienne, arrivée au Québec en 2012 Par ailleurs, au sein de l’arrondissement, certains propriétaires « Il nous a amenés à la Régie deux fois pour rien. Il n’est pas venu. profitent de la méconnaissance des locataires nouveaux Il crie sur mon mari devant les enfants, il nous menace qu’il arrivant-es ou immigrant-es par rapport à leurs droits. Par va nous mettre dehors si on n’accepte pas l’augmentation. Il exemple, les témoignages recueillis démontrent que certains n’accepte pas de faire les réparations dans notre logement. Il propriétaires préfèrent louer leurs logements insalubres à a fait des réparations sur les balcons, il a avisé tout le monde, un immigrant allophone plutôt qu’à un-e Québécois-e ou à mais pas nous. Il y avait des déchets sur nos choses. Je ne un-e immigrant-e trop bien renseigné et lettré. Les nouveaux sais pas pour qui il se prend. Il a pris un chèque, il ne l’a pas arrivant-es sont en quelque sorte des cibles pour les encaissé. Puis, il a dit qu’on n’a pas payé. Je ne sais pas ce qu’il propriétaires mal intentionnés. C’est notamment la situation nous veut, mais entre moi et vous, il veut vous mettre dehors de Yolanda, une mère monoparentale de 4 enfants, pour qui la parce qu’il est raciste. Nous, on ne comprenait pas. C’est son recherche de logement n’a pas forcément été problématique gendre qui nous a dit qu'il est raciste. » à son arrivée au Québec. Parrainée par des membres de sa - Majida, femme d’origine marocaine, au Québec depuis 2006 famille, elle est allée habiter dans le même logement qu’eux. En revanche, elle a dû faire face à des problèmes d’insalubrité Si ces expériences de discrimination au sein du logement sont dans son logement, le propriétaire profitant de sa situation éprouvantes au quotidien pour les locataires, il est néanmoins de vulnérabilité et de sa méconnaissance des droits des difficile de quitter un logement pour en trouver un autre, en locataires pour ne pas intervenir et faire les réparations particulier avec la crise du logement qui sévit à Montréal. requises. Majida est en attente d’un logement à loyer modique (HLM), car les revenus familiaux ne lui permettent pas de trouver un Ces expériences de discrimination ont un impact fort sur logement de 5 pièces. Avec 4 enfants, dont un enfant autiste, l’expérience d’intégration et la santé mentale des immigrant- Yolanda se dit elle aussi découragée devant son incapacité es et des nouveaux arrivant-es. à trouver un autre logement. Elle vit non seulement les désagréments d’un logement insalubre, mais aussi la honte Ibrahim affirme par exemple avoir fait le deuil de beaucoup qui l’accompagne et le besoin de réduire au silence son vécu. d'attentes qu'il avait lorsqu'il a immigré au Québec concernant l’intégration des nouveaux arrivant-es, autant sur « Je suis une femme monoparentale noire. Où je vais aller? le marché du travail que dans le domaine du logement. Il se Je dis à mon enfant que les coquerelles s’appellent des dit déçu d’une société qui a des visées d’immigration massive, fourmis pour ne pas qu’il dise à ses amis à l’école qu’on a des mais ne reconnaît pas les nouveaux arrivant-es à leur juste coquerelles à la maison. Je sais ce que c’est des coquerelles. valeur. Vous vous rendez compte? » « Les propriétaires cherchent des immigrants, parce qu’ils - Yolanda, femme d’origine haïtienne, arrivée au Québec en 2012 peuvent les dominer. On pense souvent que c’est avec des mots, mais c’est aussi avec des gestes. J’étais dans la salle de bain, et je suis sorti. J’ai trouvé le concierge dans mon appartement. Est-ce que c’est normal? C’est pour me montrer que les immigrants sont inférieurs. » - Ibrahim, homme d’origine marocaine, au Québec depuis 2007 Majida, une locataire d’origine marocaine, habite le même logement depuis qu’elle est arrivée au Québec. Elle s’est installée dans le logement trouvé par son mari, arrivé au Québec 4 ans auparavant. N’ayant pas eu à surmonter les obstacles d’une recherche de logement, elle raconte néanmoins que les relations sont difficiles avec le fils du propriétaire depuis le décès du père. Ce dernier a, à deux reprises, ouvert une demande à la Régie du logement dans l’objectif est de la mettre en défaut et d’expulser sa famille. 9
La rareté des options de logement abordable disponibles logement et que ce dernier puisse être reloué plus cher par sur le marché du logement au sein de l’arrondissement a la suite. Dans une telle situation, même si l’enjeu réside entre une forte incidence sur les pratiques discriminatoires des deux locataires, il est de la responsabilité du propriétaire propriétaires, en particulier dans les espaces en gentrification d’assurer aux locataires la jouissance paisible des lieux loués comme l’ouest de Villeray, Parc-Extension, et le secteur sud de et d’intervenir pour faire cesser le conflit. Saint-Michel. Pour Mustapha, qui doit quitter son logement « Il [le locataire] dit que je cogne sur le plafond de mon au 1er juillet en raison d’une reprise de logement, il ne lui logement. Et là, il frappe sur son plancher. Il est venu reste que peu d’espoir de trouver un logement. Il mentionne frapper dans ma porte avec violence. Moi, je n’ai rien à faire avoir communiqué avec plus de 120 propriétaires depuis de frapper sur mon plafond. Une fois, il m’a traité de chien janvier 2021 sans résultat positif. Pour cet homme immigrant sale. Parfois, il crie sur le balcon. Il a fait du vandalisme, il a de 62 ans, la situation est particulièrement préoccupante et brisé mon auto. La police est venue 25-26 fois, moi j’appelle anxiogène. la police. Des fois, il se plaint du bruit, mais il n’y a personne « Ma recherche d’appartement, c’est une crise pour moi. Ce à la maison. Le propriétaire ne veut pas bouger parce que n’est pas normal que ça n’aboutisse pas. On remarque que j’ai nous, on paye 800$ et les nouveaux comme lui, ils payent un accent. Dans la conversation, on me demande la première 1200$. Ma femme a un fauteuil roulant, on cherche un autre chose, c’est quoi votre prénom. Je comprends très bien, nous logement pour le moment. » sommes des êtres humains, je préfère un voisin d’une certaine - Mehdi, homme d’origine algérienne, au Québec depuis 2015 origine. Et puisque l’offre est moins grande que la demande, on fait de la ségrégation. Moi, pour le 1er juillet, je regarde Les expériences de discrimination vécues par les locataires déjà comment me départir de mes meubles, les jeter ou les sont multiples et sont fortement liées au contexte et vendre et aller dormir au McDonald. » aux transformations du marché du logement au sein - Mustapha, homme d’origine tunisienne, au Québec depuis 2007 de l’arrondissement. Alors qu’en est-il du ressenti des Mehdi, lui, juge que son propriétaire n’intervient pas dans propriétaires ? un conflit de voisinage dans l’espoir de le voir quitter son 4.3 Les défis vécus par les propriétaires Caractéristiques des propriétaires interrogé-es Prénom Pays d'origine Quartier Propriétaire Sélection des lo- Expériences Exige un bailleur depuis cataires en fonction plus diffi- historique de de critères spéci- ciles avec crédit, un-e fiques liés à la race, locataires garant-e à l’ethnie ou à la immigrants religion 1 Solange Canada Saint-Michel 9 ans NON OUI OUI 2 Mathieu Canada Saint-Michel 6 ans NON NON OUI 3 Julie Canada Villeray 2 ans NON NON OUI 4 Marie Canada Saint-Michel 1 an NON NSP OUI 5 Hélène Canada Villeray 3 ans NON OUI OUI 6 Manon Canada Villeray 8 ans NON NON OUI La plupart des propriétaires rencontrés ou « Je cherche quelqu’un qui va être proactif. Quelqu’un qui va interrogés lors des questionnaires affirment ne pas payer à temps, que tu sois propre et que tu me le dises si quelque regarder ni la couleur de la peau ni l’origine de la chose pète. Mon profilage n’est pas sur la couleur de la peau, personne lorsqu’ils ou elles sont à la recherche de mais l’heure à laquelle tu arrives. Le marché est chaud, c’est une locataires pour l’un de leurs logements. Ils ou elles lutte féroce, tu n’as pas le choix de te baser sur des critères. » se disent plutôt attentifs à certaines qualités qui - Solange, propriétaire à Saint-Michel sont des gages d’une bonne candidature, de bons comportements avec les voisins et de la capacité « L'origine ethnique de mes locataires m'importe peu. En de paiement des locataires. Pour ce faire, ils tant que propriétaire occupant d'un duplex, je recherche une exigent des preuves de revenus et des références personne qui a la capacité de payer et qui est respectueuse de comme on peut le voir dans les extraits d’entretien ses voisins ( moi ) et de son logement. » suivants. - Mathieu, propriétaire à Saint-Michel 10
« On cherche quelqu’un avec de bonnes références de qui occupent leurs logements sont immigrant-es et que l’ancien propriétaire, on veut vérifier si la personne a malheureusement, leurs expériences négatives de location un travail, un revenu qui permet de payer le logement. se sont parfois déroulées avec des locataires immigrant-es. On cherche des gens humains. On est une famille avec 3 C’est le cas de Solange, propriétaire à Saint-Michel, qui enfants. Étant donné la taille du logement, on cherchait raconte plusieurs mauvaises expériences de location avec une personne seule qui vise à être là à long terme. » des locataires immigrant-es dans les extraits d’entretien - Marie, propriétaire à Saint-Michel suivants : « J'ai de bonnes relations avec mes locataires. Je ne « Mon locataire marocain n’était pas ici depuis longtemps. Il prenais presque jamais de références auparavant. ne chauffait pas son logement l’hiver, il gardait son manteau Maintenant, je le fais de manière systématique, peu dans la maison. Tout l’appartement était moisi, la salle de importe la provenance des personnes, d'autant que les bain était noire. Il jetait de l’huile de cuisson dans le lavabo expériences négatives sont autant liées à des personnes et il nous appelait pour le déboucher. J’ai trouvé ça vraiment immigrantes que des personnes non-immigrantes. Le dur... Est-ce qu’on lui avait expliqué que ça coûtait cher l'Hydro respect est une valeur universelle, peu importe d'où vient et qu’il fallait mettre du chauffage dans la maison quand il est la personne. Un des critères les plus importants demeure arrivé au Canada? Il mettait aussi toutes sortes de vidanges la bonne cohabitation avec les personnes de l'immeuble au chemin la semaine, alors que les poubelles ne passaient puisque je désire que ce soit une agréable communauté que le mercredi. Les autres voisins se plaignaient. Je pense où chacun fait attention à l'autre et à l'immeuble.» que ça fait partie de l’intégration de faire ces apprentissages. - Manon, propriétaire à Villeray Mais c’est un rôle ingrat pour le propriétaire, car tu ne veux pas être condescendant. Je comprends que le monsieur ne Certains propriétaires voient même dans la location de voulait pas chauffer son logement parce que ça coûte cher. l’un de leurs logements à un nouvel arrivant la possibilité Je trouve ça dur. Ça ne m'empêcherait pas de louer à un d’accompagner cette personne dans son processus autre Marocain, mais je l'écrirais dans le bail. Mais combien d’intégration à la société québécoise et de participer à d’exigences comme ça je devrais ajouter sur le bail pour être augmenter son ancrage dans le quartier. sûre de tout prévoir? « Je ne peux pas dire que je lui donne une chance, parce [...] que je ne lui offre pas un loyer pas cher. Mais, j’ai fraternisé un peu avec lui. Je me permets une certaine fraternité qui Les nouveaux arrivants ont besoin de connaître leurs s’inscrit dans mes valeurs et habitudes. Je lui ai remis une droits, mais aussi leurs devoirs. Le bail est un contrat avec liste de lieux à connaître et à découvrir dans le quartier. des paramètres à respecter. Ma locataire algérienne vivait Moi, ça me valorise en tant que propriétaire d'accueillir. » avec sa fille. Un jour, elle me dit qu’il faut qu’elle s’en aille - Julie, propriétaire à Villeray dans 2 semaines. Je lui réponds: Mais, non tu as un bail, tu as des obligations! Et elle me répète qu’il faut qu’elle s’en « Moi, j’aimerais avoir plus d’informations sur les aille, qu’elle va s’en aller. Son histoire était très floue. On programmes pour les nouveaux arrivants: qui les aide, s’est entendu, je lui ai demandé un mois de loyer et je lui qui les finance, est-ce qu’ils ont des cours de français? Je ai dit que j’allais essayer de trouver quelqu’un le plus vite n’ai pas eu la chance de choisir une personne d’une autre possible. Finalement, j’ai appris que sa fille avait des enjeux culture, mais j’aime l’idée que, comme propriétaire, je d’immigration et qu’elle devait retourner en Algérie pour ses pourrais aider quelqu’un à être bien dans notre quartier. papiers. Est-ce que c’était une honte pour elle, et c’est pour ça C’est déjà multiculturel, donc ce serait plus facile pour qu’elle ne me l’a pas dit? Je ne sais pas. Mais j’avais trouvé ça les gens de se développer un réseau et d’être bien, de plate, parce que tout le monde a eu un stress énorme. Je suis s’intégrer à la communauté. » sensible à sa réalité quand même. Si j’avais su, je ne lui aurais - Marie, propriétaire à Saint-Michel même pas demandé un mois. » - Solange, propriétaire à Saint-Michel Néanmoins, certains propriétaires rapportent que leurs défis sont plus importants quand les locataires 11
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