Juin 2021 Discriminations en matière de logement et pistes d'action pour l'arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension

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Juin 2021 Discriminations en matière de logement et pistes d'action pour l'arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension
Discriminations
         en matière de logement
et pistes d’action pour l’arrondissement
  Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension
                  juin 2021

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Juin 2021 Discriminations en matière de logement et pistes d'action pour l'arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension
Le présent document a été réalisé grâce au soutien financier du Bureau d’intégration pour les nouveaux arrivants (BINAM) de la Ville de
Montréal dans le cadre du projet Des quartiers riches de leur diversité. Cette initiative, portée par l’Association des locataires de Villeray
(ALV), en collaboration avec le Bureau Information Logement (BIL) de Saint-Michel et le Comité d’action de Parc-Extension (CAPE), vise à
mettre en valeur la richesse et la diversité culturelle des quartiers Villeray, Saint-Michel et Parc-Extension et à favoriser des échanges positifs,
harmonieux et constructifs entre propriétaires et locataires dans une visée d’un meilleur vivre-ensemble.

      Fondée en 1977, l’Association des locataires de Villeray (ALV) est un organisme voué à la défense des droits des locataires du quartier Villeray et
      à la promotion du droit au logement.

      Le Comité d’action de Parc-Extension (CAPE) travaille à l’amélioration des conditions de logement des résident-es les plus démunis en matière
      d’habitation du quartier Parc-Extension depuis 1986.

      Rattaché au Centre éducatif communautaire René-Goupil, le Bureau Info Logement de Saint-Michel (BIL) informe sur les droits et les obligations
      des locataires. Il oriente, conseille et accompagne les locataires dans leurs multiples démarches liées au logement.

Rédaction : Chloé Reiser et Geneviève Breault                  Faits saillants du rapport
Photos du rapport : couverture, i,ii : Chloé Re-
iser, p.1 : Sarita Hooja, 3-4-7-9-12-13: Geneviève             Les nouveaux arrivant-es et les immigrant-es sont des personnes
Breault, 5-11-14 Jennifer Galewski                             particulièrement vulnérables sur le marché du logement et sont confrontés à
Mise en page: Jennifer Galewski
                                                               de multiples barrières dans le secteur social et privé au sein des grandes villes
Association des locataires de Villeray
                                                               canadiennes. Les pratiques discriminatoires des propriétaires figurent parmi
660, rue Villeray, bureau 2.103                                les barrières spécifiques que vivent les nouveaux arrivant-es, aussi bien à leur
Montréal (QC) H2R 1J1                                          arrivée au Canada, que lors de leur processus d’intégration au cours des années
Téléphone :514-270-6703                                        qui suivront.
alv@cooptel.qc.ca
                                                               À Montréal, la crise du logement participe à l’augmentation des discriminations.
                                                               Si la situation est de plus en plus abordée dans les médias et si la Commission
                                                               de consultation publique en a fait le sujet de son rapport sur le racisme et les
                                                               discriminations systémiques, ce phénomène reste encore peu visible et difficile
                                                               à prouver malgré le nombre de plaintes qui est en augmentation.

                                                               L’arrondissement de Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension, l’un des
                                                               arrondissements les plus peuplés et les plus divers de la Ville de Montréal,
                                                               abrite des locataires en proie à différents enjeux de discrimination en matière
                                                               de logement. Parmi les témoignages recueillis lors de l’enquête, ces derniers
                                                               rapportent avoir vécu lors de leur recherche de logement des discriminations
                                                               multiples, raciales, ethniques et/ou religieuses, ainsi que des discriminations
                                                               envers leur statut familial. Ces expériences de discrimination ont un impact
                                                               important sur la parcours d’intégration et la santé mentale des immigrant-es
                                                               et des nouveaux arrivant-es. Pour les propriétaires rencontrés au sein de
                                                               l’arrondissement, la question de la couleur de peau ou de la religion passe loin
                                                               derrière l’importance d’avoir un-e locataire bon payeur. Toutefois, l’exigence de
                                                               preuves de revenus est susceptible de provoquer des discriminations indirectes
                                                               envers les immigrant-es et les nouveaux arrivant-es. Par ailleurs, certains
                                                               propriétaires affirment avoir eu des difficultés avec des locataires immigrant-es.
                                                               Ces défis rencontrés par les propriétaires ont souvent à voir avec des préjugés
                                                               véhiculés sur les personnes migrantes.

                                                               Dans ce rapport, plusieurs outils sont envisagés à destination des locataires,
                                                               des groupes communautaires, mais aussi des propriétaires pour améliorer le
                                                               vivre-ensemble au sein de l’arrondissement.
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TaBle des matières
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
2. L’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension . . . . . . . . . . . . . . 2
3. Les défis rencontrés par les personnes issues de l’immigration sur le
marché du logement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
            3.1 Les multiples barrières vécues par les immigrant-es                                                                  3
           3.2 Les discriminations en matière de logement                                                                            4
           3.3 La situation à Montréal                                                                                               5

4. Les principaux défis rencontrés dans l’arrondissement VSMPE . . . . . . . 6
           4.1 Précisions méthodologiques                                                                                            6
           4.2 Les défis vécus par les locataires                                                                                    7
           4.3 Les défis vécus par les propriétaires                                                                                10

5. Constats et pistes de réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
6. Pistes de solution et recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13
           6.1. Les recommandations destinées à mieux outiller les locataires                                                       13
           6.2. Les recommandations destinées                                                                                       13
           à mieux outiller les propriétaires                                                                                       13

 7.Comment déposer une plainte ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13
8.Biibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..14

                                                                                                                                          ii
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1. Introduction

     Les gestes et attitudes de discrimination
     basés sur l’origine ethnique, la race et/
     ou la religion qui se manifestent lors de la
     recherche d’un logement, pendant son
     occupation et après son départ (à travers
     les références), peuvent être produits et/
     ou véhiculés par des locateurs de logement,
     des concierges et même des voisins. Ces
     phénomènes ont malheureusement pour
     effet de diminuer considérablement la
     capacité des ménages immigrants, racisés
     et/ou nouvellement arrivés au Canada, de se
     trouver un logement de taille adéquate, en
     bon état et à un prix abordable.

     Or, mettre en valeur la richesse de la
     diversité culturelle présente au sein de
     l’arrondissement Villeray—Saint-Michel—
     Parc-Extension permet non seulement de
     la conserver et de favoriser des échanges
     harmonieux dans les milieux de vie entre
     locataires et propriétaires, mais également
     d’outiller ses résident-es afin de développer
     un meilleur vivre-ensemble.

     Le présent portrait vise à présenter un survol
     des enjeux et dynamiques de discrimination
     au sein de l'arrondissement afin de
     développer une meilleure compréhension
     des problématiques rencontrées par
     les locataires, mais également par les
     propriétaires dans leurs expériences
     respectives de location résidentielle.

     À travers le partage des témoignages,
     ce portrait aspire à une meilleure
     compréhension des diverses perspectives à
     partir desquelles se construisent les discours
     autour de la discrimination. Il poursuit
     également l’objectif de dégager des pistes
     de recommandations et d’actions afin de
     favoriser et de promouvoir une société
     plus inclusive dans laquelle les nouveaux
     arrivant-es peuvent participer pleinement à
     la vie collective, s’y épanouir et y développer
     des relations significatives.
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2. L’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension
Montréal a toujours été une terre d’accueil pour les                       majeur au sein de la Ville de Montréal. Enfin, près de
nouveaux arrivant-es. Entre 2006 et 2015, 80 % des                         61 540 personnes auraient changé de domicile dans les
ménages admis au Québec s’y sont installés¹. L’arron-                      cinq années précédant le recensement, ce qui représente
dissement Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension est                         environ 46 % de la population.
situé au centre nord de la Ville de Montréal et couvre
un territoire d’une superficie de 16,5 km². Il comporte                    Si certaines langues comme l’anglais, l’espagnol ou encore
une grande richesse culturelle et linguistique alors que                   l’arabe sont parlées fréquemment au sein des domiciles,
sept personnes sur dix ont un lien de proximité avec                       le français demeure la langue la plus utilisée par les
l’immigration, soit en étant nées à l’étranger, soit en                    résident-es de l’arrondissement. Le bilinguisme est une
ayant au moins un parent né à l’extérieur du Canada.                       forte composante dans la mesure où une personne sur
                                                                           deux est capable d’entretenir une conversation aussi bien
L’arrondissement est le deuxième plus peuplé de la Ville                   en français qu’en anglais. Cependant, il faut noter que plus
de Montréal. En 2016, il compte 143 853 habitant-es soit                   de 5 % de la population recensée dans l’arrondissement
8,4 % de la population montréalaise, dont 15 % n’ont                       ne parle aucune des deux langues officielles du Canada.
pas encore reçu la citoyenneté canadienne. De plus,
47 % de la population de l’arrondissement s’identifie à                    Formé par trois anciens quartiers ouvriers,
une minorité visible, ce qui représente plus de 66 600                     l’arrondissement Villeray–Saint-Michel-Parc-Extension est
résident-es dans le quartier. Haïti, l’Algérie, le Vietnam,                majoritairement constitué de locataires qui représentent
l’Italie et le Maroc sont les cinq principaux pays d’origine               74 % de la population. Malgré des dynamiques de gen-
dont sont majoritairement issus les immigrant-es. En ce                    trification accélérées causées par le développement de
qui concerne les immigrant-es arrivé-es depuis moins de                    projets immobiliers résidentiels et institutionnels, plus de
cinq ans au Canada, soit entre 2011 et 2016, les pays de                   33 000 résident-es de l’arrondissement sont en situation
provenance les plus représentés sont respectivement                        de faible revenu, soit 23 % de la population. De plus, 32 %
l’Algérie, Haïti, le Maroc et la France.                                   des ménages consacrent 30 % et plus de leur revenu à leur
                                                                           loyer. Par ailleurs, près de 9 % des logements de l’arron-
Parmi les habitant-es de l’arrondissement, on recense                      dissement nécessitent des réparations majeures contre
60 200 immigrant-es, ce qui représente plus deux                           8,5 % pour la Ville de Montréal. Alors que le quartier re-
résident-es sur cinq. Leur présence est plus importante à                  groupe beaucoup de familles avec enfants, plus de 12 %
Parc-Extension où elle compte pour 61 % et à Saint-Michel                  des logements sont de taille insuffisante selon la norme
où elle est de 49 %, qu’à Villeray où l’on dénombre environ                nationale d’occupation élaborée par la SCHL. La difficulté
30 % d’immigrant-es². Parmi la population immigrante                       d’accès au logement subventionné, le faible nombre de
de l’arrondissement, près de 11 890 personnes sont                         logements sociaux présents au sein du parc locatif, ainsi
nouvellement arrivées au Canada, ce qui représente                         que les pratiques discriminatoires des propriétaires dans
près de 20 % de la population. Cette proportion de                         l’arrondissement poussent les immigrant-es les plus vul-
nouveaux arrivant-es au sein de l’arrondissement est                       nérables à se rabattre sur des logements insalubres.
en augmentation, ce qui en fait un espace d’accueil

¹ Les chiffres de cette section du rapport sont issus du dernier recensement canadien datant de 2016 et de Montréal en Statistiques, 2018.
² Centraide du Grand Montréal, 2017. Analyse territoriale 2015-2016 Villeray, Saint-Michel et Parc-Extension.
                                                                                                                                             2
3. Les défis rencontrés par les personnes
    issues de l’immigration sur le marché du
    logement

       3.1 Les multiples barrières vécues par les immigrant-es

          Depuis le début des années 2000, les chercheurs-euses
          constatent que l’intégration socio-économique des
          personnes immigrantes est de plus en plus difficile dans les
          grandes villes canadiennes³.

          Le constat est le même lorsque l’on observe ce qui se passe
          dans le domaine du logement. En effet, les immigrant-es
          et les nouveaux arrivant-es éprouvent de plus en plus
          de difficultés pour accéder à un logement abordable et
          adéquat. Si les conditions de logement des ménages
          immigrants ont tendance à s’améliorer au fur et à mesure
          du temps passé au Canada, ce processus n’est pas linéaire et
          uniforme selon les caractéristiques socioéconomiques des
          individus et, dans l’ensemble, les ménages immigrants ont
          tendance à vivre des conditions de logement plus précaires
          que les natifs, parfois longtemps après leur arrivée⁴. Parmi
          les immigrant-es, les personnes récemment arrivées au
          Canada et les réfugié-es comptent parmi les individus les
          plus vulnérables, aux côtés d’autres catégories comme les
          autochtones ou les jeunes.

          Pour expliquer cette situation, plusieurs études ont mis
          en évidence les obstacles particuliers qui pèsent sur
          les nouveaux arrivant-es en matière de logement⁵. En
          effet, au-delà de l’éventuelle faiblesse de leurs revenus
          économiques, les chercheurs-euses montrent que
          les immigrant-es récents sont confrontés à plusieurs
          désavantages spécifiques qui les rendent plus vulnérables
          que les natif-ves sur le marché du logement. En effet, si
          rechercher un logement dans des marchés immobiliers
          complexes avec un taux d’inoccupation très bas est un défi
          difficile à relever pour n’importe quel ménage, la barrière
          de la langue, le manque de connaissance concernant les
          marchés locaux de l’habitat et les droits des locataires,
          l’absence d’historique de crédit et/ou de garant-e et les
          différentes formes de discrimination viennent s’ajouter aux
          aléas de la recherche du logement pour les immigrant-es.

        ³ Voir notamment Ledent, Chicha et Arcand. 2017; Teixeira, et Li dir. 2015.
        ⁴ Voir Haan. 2005; Leloup et Nong. 2006; Murdie et Logan. 2011.
        ⁵ Voir Teixeira. 2008; Francis. 2011.

3
3.2 Les discriminations en matière de logement
Les discriminations en matière de logement comptent                           Les pratiques discriminatoires peuvent survenir à
parmi les principales barrières auxquelles sont                               différents moments de la trajectoire résidentielle. En
confrontés les ménages immigrants au sein du marché                           effet, la plupart du temps, elles se déroulent pendant
du logement. Ces pratiques discriminatoires des                               la recherche de logement, dans les relations directes
propriétaires, courtiers, prêteurs immobiliers ou encore                      avec les propriétaires, au moment de la visite ou
des institutions ont été documentées dans plusieurs                           lors d’un contact téléphonique8. Toujours pendant la
études à partir de différents contextes urbains nord-                         recherche de logement, les pratiques discriminatoires
améri-cains6.                                                                 des propriétaires se lisent également de manière plus
                                                                              indirecte à travers des offres dédiées à un certain
Les discriminations en matière de logement désignent :                        type de clientèle sur les plateformes immobilières en
                                                                              ligne9, dans les demandes d’informations faites par
    « tout comportement, pratique ou politique dans                           les propriétaires à travers les formulaires de demande
    les secteurs public ou privé qui cause directement,                       de location et de renseignements personnels (nom
    indirectement ou systématiquement un préjudice                            de l’employeur, numéro d’assistance sociale, nom de
    empêchant un accès ou une utilisation et une                              l’institution financière, etc.) ou encore en imposant
    jouissance équitable du logement par les                                  des frais aux locataires pour consulter leur historique
    membres des groupes sociaux historiquement                                de crédit. Ces discriminations peuvent aussi avoir
    désavantagés »7.                                                          lieu lorsque le locataire occupe le logement. Dans un
                                                                              rapport produit sur les besoins des femmes racisées
Les discriminations peuvent donc prendre différentes                          dans Villeray10, plusieurs femmes témoignent avoir vécu
formes, du simple refus d’accorder un logement à un                           du harcèlement raciste, psychologique et/ou sexuel, de
ménage ou un individu à la mise en place de critères                          la part de voisins ou de propriétaires au sein de leur lieu
de sélection différenciés, en passant par de la publicité                     de résidence.
ciblée pour des logements. Les motifs discriminatoires
sont variés et peuvent concerner aussi bien la race que                       Les immigrant-es et les nouveaux arrivant-es sont
l’origine ethnique, le sexe, l’identité ou l’expression de                    particulièrement vulnérables à ces discriminations en
genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, la situation                     matière de logement. En effet, situés à l’intersection
familiale, l’âge, la religion, les convictions politiques, la                 de plusieurs marqueurs d’identité, ils ou elles subissent
langue, la condition sociale ou encore le handicap. Si ces                    simultanément différentes formes de domination
discriminations en matière de logement sont interdites                        qui permettent d’expliquer en partie leur trajectoire
par la loi canadienne, il n’y a en réalité que très peu de                    résidentielle singulière au sein du marché du logement11.
poursuites judiciaires.                                                       Si certains facteurs sont des barrières fixes comme la

6 Voir en particulier Novac et al., 2002.
7 Définition tirée de Novac et al., 2002, p.1 et traduite de « Housing discrimination consists of any behaviour, practice, or policy in the public or
private sectors that directly, indirectly, or systematically causes harmthrough inequitable access to or use and enjoyment of housing by mem-
bers of historically disadvantaged social groups ».
8
  Voir Dion, 2001.
9
  Voir Hogan et Berry, 2011.
10 Cousineau, Amélie. 2018. Les besoins des femmes racisées dans le quartier Villeray.

                                                                                                                                                        4
race et l’ethnicité, la religion ou                           3.3 La situation à Montréal
encore le genre, d’autres peuvent
évoluer avec le temps à l’instar des                          Le nombre de plaintes reçues pour discrimination lors de la recherche
revenus et de la situation d’emploi,                          d’un logement serait en augmentation selon les données récoltées
du statut migratoire, de la maîtrise                          par la Commission des droits de la personne et des droits de la
des langues officielles ou du capital                         Jeunesse (CDPDJ) à Montréal. En effet, selon le rapport annuel de
social des individus12. Par ailleurs,                         la Commission, le nombre de plaintes a augmenté de 35 % entre la
d’autres recherches montrent que,                             période de 2006 à 2011 et celle de 2011 à 201615.
la plupart du temps, les réfugié-
es, les demandeurs-euses d’asile
et les immigrant-es non reçus
sont confrontés aux situations de
logement les plus difficiles dans
les grandes villes canadiennes, en
particulier quand ils ou elles sont
des personnes racisées13.

Les expériences de discrimination
dépendent également du contexte
géographique et temporel étudié.
Dans un article sur les différences
de perception de la discrimination à                               « Ce qu’on constate, c’est qu’il y a une persistance de la
Vancouver, Montréal et Toronto14,                                  discrimination fondée sur l’origine ethnique et la race »
il a été démontré que certains                                           - Myrlande Pierre, vice-présidente de la CDPDJ18
espaces sont considérés comme
plus inclusifs que d’autres par les
immigrant-es. Par conséquent,                                 La plupart des dossiers de plaintes ouverts concernent des
les expériences de logement ne                                expériences de discrimination liées à l’origine ethnique et à la
seront pas les mêmes pour les                                 couleur de la peau. Cette situation serait d’ailleurs renforcée par
ménages immigrants selon les                                  le resserrement du marché locatif à Montréal et se serait encore
villes et les quartiers habités.                              accentuée dans le contexte de la COVID-1917. En effet, le faible taux
                                                              d’inoccupation laisse la possibilité aux propriétaires d’être plus
                                                              sélectifs. On observe d’ailleurs que, lors de la dernière crise du
                                                              logement du début des années 2000, les plaintes pour discrimination
                                                              basée sur la race ou l’origine ethnique diminuaient à mesure que le
                                                              taux d’inoccupation augmentait16.

                                                              Le Regroupement des comités logement et associations de locataires
                                                              du Québec (RCLALQ)19 recense régulièrement depuis quelques
                                                              années des annonces locatives discriminatoires mises en ligne sur
                                                              les sites internet et les réseaux sociaux. Ces dernières font état de
                                                              nombreux cas de discrimination liés notamment à l’origine ethnique,
                                                              à la condition sociale, à l’état civil et à l’âge des enfants, au sexe ou
                                                              encore à l’âge.

    11 Voir notamment Dion, 2001; Reiser, 2018.
    12 Voir notamment les travaux de Miraftab, 2000; Teixeira, 2008; Francis, 2011; Mensah et Williams, 2013; Ray et Rose, 2011; Murdie, 2008;
    Rose et Charette, 2014; D’Addario et al., 2007.
    13 Voir Francis, 2011; Carter et Vitiello, 2012.
    14 Voir Ray et Preston, 2009.
    15 CDPDJ. 2020. Rapport d’activités et de gestion 2019-2020.
    16Goudreault, Zacharie. 2019. « Hausse des cas de discrimination dans l’accès à un logement », Journal Métro.
    17 Vézina, Henri Ouellette. 2020. « Accès au logement: la discrimination «s’accentue» à Montréal », Journal Métro.
    18 Hachey, Isabelle. 2009. « Discrimination envers les locataires: le nombre de plaintes en forte baisse », La Presse.
    19 RCLALQ. 2019-2020-2021. Rapports sur Discrimination et logement.
5
« Quand il y a une rareté de logements locatifs, la discrimination augmente parce que les propriétaires
    ont le choix. C’est illégal et [...] extrêmement inquiétant »,
    - Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)20

Cependant, la très faible probabilité de sanctionner                    juridiques, les sanctions assez faibles pour punir
un propriétaire décourage les locataires de porter                      les propriétaires fautifs, à l’exception de quelques
plainte. En effet, si ces discriminations en matière de                 cas21, et la difficulté de prouver la discrimination
logement sont interdites par la loi, il n’y a en réalité que            sont dissuasives pour les locataires victimes. Enfin,
très peu de poursuites judiciaires. Il importe d’abord                  le processus ne garantit pas le fait d’obtenir un toit à
de souligner que tant que le bail n’est pas signé, le                   l’issue du recours. Ainsi, la discrimination en matière
Tribunal administratif du logement (anciennement la                     de logement reste un phénomène difficilement
Régie du logement) demeure impuissant face à ces                        visible et mesurable à Montréal. En 2019-2020, les
pratiques. Les locataires doivent alors porter plainte                  plaintes pour discrimination en matière de logement
devant la Commission des droits de la personne et de                    à la CDPDJ représentent seulement 6 % des dossiers
la jeunesse (CDPDJ), mais la longueur des démarches                     ouverts contre 49 % dans le secteur du travail (CDPDJ,
                                                                        2020).

4. Les principaux défis rencontrés dans l’arrondissement VSMPE
4.1 Précisions méthodologiques

En raison de la crise sanitaire engendrée par la                        Les discriminations rapportées par les locataires
COVID-19, la méthodologie mise de l’avant pour                          sont à la fois d’ordres direct et indirect. La
élaborer ce portrait a dû être adaptée. Elle repose                     discrimination directe constitue la forme la plus
principalement sur onze entrevues individuelles avec                    flagrante de discrimination. Elle consiste à faire
des locataires de l’arrondissement et six entrevues                     subir un traitement différent à une personne selon
avec des propriétaires bailleurs de VSMPE. Elle                         un motif discriminatoire de façon ouverte. Par
comporte, par conséquent, certaines limites et ne                       exemple, le fait de discriminer ostensiblement des
peut se targuer d’être représentative du vécu de tous                   individus immigrants ou racisés dans des annonces
les locataires et de tous les propriétaires bailleurs                   locatives en ligne. La discrimination indirecte est plus
de l’arrondissement. Par ailleurs, il importe de                        subtile et plus difficile à condamner. Elle découle de
mentionner que, contrairement à ce qui était prévu                      l’application d’une norme, neutre à première vue, qui
initialement, nous n’avons pas limité la collecte de                    a cependant un effet discriminatoire sur les individus
données aux personnes arrivées depuis moins de 5                        sans avoir une intention de discriminer à l’origine.
ans au Canada afin d’obtenir le plus de témoignages                     C’est le cas de certaines exigences des propriétaires
possible. La présente publication représente donc                       qui réclament un-e garant-e ou un historique de
un premier portrait sur lequel pourront s’appuyer de                    crédit pour obtenir un logement, ce qui handicape
prochaines recherches.                                                  particulièrement les nouveaux et nouvelles
                                                                        arrivant-es. Enfin, quelques locataires immigrant-es
La majorité des discriminations en matière de                           décrivent également des situations qu’on nommera
logement recensées dans l’arrondissement lors de                        « discriminations inversées » où les propriétaires
notre enquête sont :                                                    choisissent de sélectionner délibérément des
• Des discriminations raciales, ethniques et/ou                         nouveaux arrivant-es plus vulnérables.
    religieuses, parfois cumulées;
• Des discriminations envers les familles avec en-
    fants, qui cachent souvent des discriminations
    raciales et ethniques.

 20 Poiré, Anne-Sophie. 2021. « On ne veut pas d’enfants dans des logements à louer », Le Journal de Montréal.
 21 Lévesque, Lia. 2018. « Discrimination: 12 000$ à payer pour avoir refusé de louer un logement », La Presse.
                                                                                                                                   6
Caractéristiques des locataires interrogé-es
                                  Prénom22     Pays d'origine     Nb d'années au   Quartier habité    Motifs de         Discrimination     Discrimination lors
                                                                  Québec                              discrimination    pendant            de l’occupation
                                                                                                                         la recherche de   du logement
                                                                                                                        logement
                          1       Isgou        Somalie            20 ans           Villeray           Raciale           OUI                NON
                                                                                                      Ethnique

                          2       Amina        Algérie            10 ans           Villeray           Raciale           OUI                NON
                                                                                                      Ethnique
                                                                                                      Religieuse

                          3       Yolanda      Haïti              9 ans            Villeray           Raciale           OUI                OUI

                          4       Mustapha     Tunisie            25 ans           Saint-Michel       Religieuse        OUI                NON

                          5       Ibrahim      Maroc              13 ans           Villeray           Raciale           OUI                OUI
                                                                                                      Ethnique
                                                                                                      Religieuse
                          6       Sanou        France             8 ans            Villeray           Raciale           NON                OUI
                                                                                                      Religieuse

                          7       Majida       Maroc              14 ans           VIlleray           Raciale           NON                OUI
                                                                                                      Religieuse

                          8       Josette      Congo              2 ans            Saint-Michel       Ethnique          NON                OUI

                          9       Mehdi        Algérie            5 ans            Saint-Michel       Raciale           NON                OUI
                                                                                                      Ethnique
                                                                                                      Religieuse
                          10      Amir         Pakistan           7 ans            Parc-Extension     Ethnique          OUI                NON

                          11      Rosario      Nicaragua          25 ans           Saint-Michel       Ethnique          OUI                OUI

                         22
                              Les prénoms des participant-es, locataires comme propriétaires, ont été modifiés pour préserver leur anonymat.

                         4.2 Les défis vécus par les locataires
                         Nous avons recueilli plusieurs témoignages de locataires qui, lors de la recherche d’un logement,
                         ont fait face à des refus de location, explicites ou implicites, qui étaient dus à leur origine raciale,
                         ethnique ou religieuse. En voici quelques-uns dans lesquels la couleur de la peau et/ou les habits et
                         signes religieux, non visibles par téléphone, ont repoussé des propriétaires en face à face lors de la
                         visite du logement convoité.

    « L’immeuble où j’habitais est passé au feu. J’ai dû me chercher un autre logement durant la période des travaux. On
    m’a donné pas mal de rendez-vous par téléphone, mais une fois arrivée sur les lieux, on me dit que c’est loué. Entre
    vous et moi, est-ce qu’on donne rendez-vous pour un logement loué? Je sais que c’est le voile. Je suis orgueilleuse,
    je me dis que c’est son droit au propriétaire, que c’est sa propriété. Alors, je fais demi-tour, les larmes dans les yeux.
    Je ne peux pas supplier pour louer. Je ne demande pas de charité, je vais payer. »
    - Amina, femme d’origine algérienne, arrivée au Québec en 2011

    « Je garde un très mauvais souvenir de mon dernier déménagement à Montréal. C'était en 2012 et depuis, malgré
    que je le voudrais, je ne me lance plus. J'avais commencé mes recherches dès février et j'avais déjà informé mon
    propriétaire que je quittais mon logement de l'époque au 30 juin... Je suis française, donc avec un accent de France,
    je n'ai jamais eu de difficulté à avoir d'entrevue, mais une fois sur place, je sentais le malaise. Un propriétaire
    asiatique m'a même demandé si j'étais vraiment française. Bref, j'en ai visité des appartements! J'ai trouvé mon
    logement actuel le 29 juin, c'est mon boulanger qui a eu pitié de moi et qui a demandé au propriétaire. Étant noire
    et voilée, j'ai laissé mon mari aller voir le propriétaire, espérant que l'aspect religieux ne soit pas visible au moins...
    Tellement eu de refus, que je n'y croyais plus. Pour les croyants comme moi, on se dit heureusement qu'il y a un
    bon Dieu. »
    - Sanou, femme d’origine française arrivée au Québec en 2013

7
« En me regardant, une dame m’a dit carrément que si j’étais un musulman qui pratique, elle ne voulait pas de
  moi. Elle m’a dit qu’elle ne voulait pas être dérangée pendant le ramadan. Moi j’ai pensé, être musulman ne veut
  pas dire faire du bruit! [...]
  Une autre dame m’a dit :”Ici, c’est propre, moi je choisis mes locataires”. Puis, elle me dit qu’il n’y a aucun noir
  ici. D’après moi, elle voulait me dire qu’elle ne prenait que des personnes blanches. Alors, quand elle a vu mon
  prénom sur le formulaire, il y a eu une sorte de malaise. Je suis arabe, mais j’ai la peau claire. Elle avait dû penser
  que j’étais blanc moi aussi. Puis, elle ne m’a jamais rappelé. »
  - Mustapha, homme d'origine tunisienne, arrivé au Québec en 1995

Dans certaines situations, c’est l’accent de la personne locataire à la recherche d’un logement qui, lors de
l’échange téléphonique, dévoile une expérience d’immigration qui rebute un propriétaire.

  « Mon mari et moi, on cherchait des appartements en se promenant en voiture. À trois reprises, j’ai appelé à
  un numéro indiqué sur une pancarte et on m’a répondu que l'appartement était déjà loué. On est passé deux
  semaines plus tard devant l’immeuble et la pancarte était toujours là. Moi, je suis latina et quand je parle, même
  si on me comprend bien, on entend mon accent. Je pense qu’on ne laisse pas une pancarte à louer quand un
  logement est déjà loué.»
  - Rosario, femme d'origine nicaraguayenne, arrivée au Québec en 1995

À l’origine ethnique et à la religion, s’ajoutent fréquemment d’autres facteurs discriminatoires comme le fait
d’avoir ou non des enfants. Malheureusement, ces discriminations à l’égard du statut familial sont courantes
et constituent la majorité des témoignages de discrimination partagés aux intervenant-es oeuvrant dans les
comités logement de l’arrondissement. Ces discriminations envers les familles avec enfants sont d’ailleurs
renforcées par la situation du marché immobilier où les grands logements sont très peu disponibles au sein du
parc de logement de l’arrondissement. Néanmoins, on peut remarquer que ce type de motif discriminatoire
cache souvent des discriminations raciales et/ou ethniques comme c’est le cas pour Isgou et Amir qui en
témoignent dans les extraits suivants.

  « J’ai visité un appartement avec mes enfants. Quand je suis venue, ils m’ont dit que c’est déjà pris. J’avais des
  doutes. Quand je suis rentrée à la maison, j’ai appelé pour voir si c’était vrai ce qu’ils disaient. Ils m’ont dit que
  le logement était disponible, que je pouvais venir visiter. Je ne sais pas si c’est à cause des enfants, de la couleur.
  J’ai compris qu’ils ne voulaient pas de moi. J’ai laissé tomber. C’était au début, j’étais nouvelle. J’avais mal, je
  me posais la question “Mais pourquoi, pourquoi il ne t’a pas donné la chance?”. »
  - Isgou, femme d’origine malienne, arrivée au Québec en 2001

  « I was looking for an apartment. I was living in a 3 and a half and I have 3 kids with some cockroaches and mice
  issues. We were newcomers and did not have enough resources. During my quest, I came across discrimination.
  A landlord asked me: “Are you a student?”. I told I have a family, and he ended up. Another realtor, he told me
  that if I am family, the rent is 1200$ instead of 1050$ as written on the board. I asked: “What is the difference?”,
  he answered: “There will be more use of the appartement”. The same guy rented another 4 and half. He asked
  how many people we were and he said: “It will be 500$ per head”, but it was written 1100$ on the poster. He
  said: “This is not my appartement, I will talk with my friend” but he never called me back. »
  - Amir, homme d'origine pakistanaise, arrivé au Québec en 2013

Dans un des témoignages recueillis, on peut observer ce qui semble être un exemple de stratification raciale,
soit une dévalorisation de certains groupes racisés face à d’autres dans le processus de location. En effet, une
locataire d’origine latino-américaine nous a partagé avoir fait face à un premier refus de location qui, selon elle,
était dû à l’origine ethnique de sa famille, puis finalement sélectionnée car la propriétaire de l’immeuble sou-
haitait éviter d’être contrainte de louer ses logements à des personnes de certaines origines ethniques.

  « On a décidé de déménager parce que l’appartement était trop petit. Quand on est allé visiter, ce n’était pas
  l’appartement sur les photos de l’annonce: les planchers n’étaient pas très bons, la peinture n’était pas faite.
  L’agent immobilier nous a téléphoné pour nous informer que nous n’étions pas sélectionnés. Deux jours
  plus tard, la propriétaire de l’immeuble nous a appelé et elle a dit: “Écoute, je préfère te louer à toi qu'à des
  noirs”. C’était dans les dernières semaines du mois de juin, même si je n’avais pas aimé ce commentaire, je
  n’avais pas le choix. »
  - Rosario, femme d'origine nicaraguayenne, arrivée au Québec en 1995

                                                                                                                        8
« Quand je suis arrivée au Québec, je suis allée habiter avec ma mère et ma sœur qui m’avaient parrainée moi et mes filles.
  Quand mes garçons sont arrivés d’Haïti, le logement était trop petit. Ma mère et ma sœur ont pris un autre logement dans l’im-
  meuble et j’ai gardé celui-ci. Moi, je viens d'Haïti, je ne connaissais pas trop la loi. Mais, je vois que l’immeuble n’était pas propre,
  je ne connaissais pas ce qu’était la moisissure. Ils ne réparent vraiment pas. J’avais la honte d’aller au bureau pour en parler.
  Punaises, coquerelles, souris. Je n’arrête pas de jeter les meubles, les vêtements, les affaires, les matelas. Ils me disent que les
  tuyaux sont bloqués parce que je mange du riz. Ils me disent qu’il y a de la moisissure parce que je cuisine trop. Ils me disent qu’il
  y a des souris parce que j’achète des poches de riz et de pois. Vous pensez que je suis la seule à manger ici? »

  - Yolanda, femme d’origine haïtienne, arrivée au Québec en 2012

Par ailleurs, au sein de l’arrondissement, certains propriétaires        « Il nous a amenés à la Régie deux fois pour rien. Il n’est pas venu.
profitent de la méconnaissance des locataires nouveaux                   Il crie sur mon mari devant les enfants, il nous menace qu’il
arrivant-es ou immigrant-es par rapport à leurs droits. Par              va nous mettre dehors si on n’accepte pas l’augmentation. Il
exemple, les témoignages recueillis démontrent que certains              n’accepte pas de faire les réparations dans notre logement. Il
propriétaires préfèrent louer leurs logements insalubres à               a fait des réparations sur les balcons, il a avisé tout le monde,
un immigrant allophone plutôt qu’à un-e Québécois-e ou à                 mais pas nous. Il y avait des déchets sur nos choses. Je ne
un-e immigrant-e trop bien renseigné et lettré. Les nouveaux             sais pas pour qui il se prend. Il a pris un chèque, il ne l’a pas
arrivant-es sont en quelque sorte des cibles pour les                    encaissé. Puis, il a dit qu’on n’a pas payé. Je ne sais pas ce qu’il
propriétaires mal intentionnés. C’est notamment la situation             nous veut, mais entre moi et vous, il veut vous mettre dehors
de Yolanda, une mère monoparentale de 4 enfants, pour qui la             parce qu’il est raciste. Nous, on ne comprenait pas. C’est son
recherche de logement n’a pas forcément été problématique                gendre qui nous a dit qu'il est raciste. »
à son arrivée au Québec. Parrainée par des membres de sa                 - Majida, femme d’origine marocaine, au Québec depuis 2006
famille, elle est allée habiter dans le même logement qu’eux.
En revanche, elle a dû faire face à des problèmes d’insalubrité          Si ces expériences de discrimination au sein du logement sont
dans son logement, le propriétaire profitant de sa situation             éprouvantes au quotidien pour les locataires, il est néanmoins
de vulnérabilité et de sa méconnaissance des droits des                  difficile de quitter un logement pour en trouver un autre, en
locataires pour ne pas intervenir et faire les réparations               particulier avec la crise du logement qui sévit à Montréal.
requises.                                                                Majida est en attente d’un logement à loyer modique (HLM),
                                                                         car les revenus familiaux ne lui permettent pas de trouver un
Ces expériences de discrimination ont un impact fort sur                 logement de 5 pièces. Avec 4 enfants, dont un enfant autiste,
l’expérience d’intégration et la santé mentale des immigrant-            Yolanda se dit elle aussi découragée devant son incapacité
es et des nouveaux arrivant-es.                                          à trouver un autre logement. Elle vit non seulement les
                                                                         désagréments d’un logement insalubre, mais aussi la honte
Ibrahim affirme par exemple avoir fait le deuil de beaucoup              qui l’accompagne et le besoin de réduire au silence son vécu.
d'attentes qu'il avait lorsqu'il a immigré au Québec
concernant l’intégration des nouveaux arrivant-es, autant sur            « Je suis une femme monoparentale noire. Où je vais aller?
le marché du travail que dans le domaine du logement. Il se              Je dis à mon enfant que les coquerelles s’appellent des
dit déçu d’une société qui a des visées d’immigration massive,           fourmis pour ne pas qu’il dise à ses amis à l’école qu’on a des
mais ne reconnaît pas les nouveaux arrivant-es à leur juste              coquerelles à la maison. Je sais ce que c’est des coquerelles.
valeur.                                                                  Vous vous rendez compte? »
« Les propriétaires cherchent des immigrants, parce qu’ils               - Yolanda, femme d’origine haïtienne, arrivée au Québec en 2012
peuvent les dominer. On pense souvent que c’est avec des
mots, mais c’est aussi avec des gestes. J’étais dans la salle
de bain, et je suis sorti. J’ai trouvé le concierge dans mon
appartement. Est-ce que c’est normal? C’est pour me montrer
que les immigrants sont inférieurs. »
- Ibrahim, homme d’origine marocaine, au Québec depuis 2007

Majida, une locataire d’origine marocaine, habite le même
logement depuis qu’elle est arrivée au Québec. Elle s’est
installée dans le logement trouvé par son mari, arrivé au
Québec 4 ans auparavant. N’ayant pas eu à surmonter
les obstacles d’une recherche de logement, elle raconte
néanmoins que les relations sont difficiles avec le fils du
propriétaire depuis le décès du père. Ce dernier a, à deux
reprises, ouvert une demande à la Régie du logement dans
l’objectif est de la mettre en défaut et d’expulser sa famille.
9
La rareté des options de logement abordable disponibles                     logement et que ce dernier puisse être reloué plus cher par
sur le marché du logement au sein de l’arrondissement a                     la suite. Dans une telle situation, même si l’enjeu réside entre
une forte incidence sur les pratiques discriminatoires des                  deux locataires, il est de la responsabilité du propriétaire
propriétaires, en particulier dans les espaces en gentrification            d’assurer aux locataires la jouissance paisible des lieux loués
comme l’ouest de Villeray, Parc-Extension, et le secteur sud de             et d’intervenir pour faire cesser le conflit.
Saint-Michel. Pour Mustapha, qui doit quitter son logement
                                                                            « Il [le locataire] dit que je cogne sur le plafond de mon
au 1er juillet en raison d’une reprise de logement, il ne lui
                                                                            logement. Et là, il frappe sur son plancher. Il est venu
reste que peu d’espoir de trouver un logement. Il mentionne
                                                                            frapper dans ma porte avec violence. Moi, je n’ai rien à faire
avoir communiqué avec plus de 120 propriétaires depuis
                                                                            de frapper sur mon plafond. Une fois, il m’a traité de chien
janvier 2021 sans résultat positif. Pour cet homme immigrant
                                                                            sale. Parfois, il crie sur le balcon. Il a fait du vandalisme, il a
de 62 ans, la situation est particulièrement préoccupante et
                                                                            brisé mon auto. La police est venue 25-26 fois, moi j’appelle
anxiogène.
                                                                            la police. Des fois, il se plaint du bruit, mais il n’y a personne
« Ma recherche d’appartement, c’est une crise pour moi. Ce                  à la maison. Le propriétaire ne veut pas bouger parce que
n’est pas normal que ça n’aboutisse pas. On remarque que j’ai               nous, on paye 800$ et les nouveaux comme lui, ils payent
un accent. Dans la conversation, on me demande la première                  1200$. Ma femme a un fauteuil roulant, on cherche un autre
chose, c’est quoi votre prénom. Je comprends très bien, nous                logement pour le moment. »
sommes des êtres humains, je préfère un voisin d’une certaine               - Mehdi, homme d’origine algérienne, au Québec depuis 2015
origine. Et puisque l’offre est moins grande que la demande,
on fait de la ségrégation. Moi, pour le 1er juillet, je regarde             Les expériences de discrimination vécues par les locataires
déjà comment me départir de mes meubles, les jeter ou les                   sont multiples et sont fortement liées au contexte et
vendre et aller dormir au McDonald. »                                       aux transformations du marché du logement au sein
- Mustapha, homme d’origine tunisienne, au Québec depuis 2007
                                                                            de l’arrondissement. Alors qu’en est-il du ressenti des
Mehdi, lui, juge que son propriétaire n’intervient pas dans                 propriétaires ?
un conflit de voisinage dans l’espoir de le voir quitter son

4.3 Les défis vécus par les propriétaires

     Caractéristiques des propriétaires interrogé-es
     Prénom         Pays d'origine     Quartier              Propriétaire          Sélection des lo-          Expériences     Exige un
                                                             bailleur depuis       cataires en fonction       plus diffi-     historique de
                                                                                   de critères spéci-         ciles avec      crédit, un-e
                                                                                   fiques liés à la race,     locataires      garant-e
                                                                                   à l’ethnie ou à la         immigrants
                                                                                   religion
 1   Solange        Canada             Saint-Michel          9 ans                 NON                        OUI             OUI
 2 Mathieu          Canada             Saint-Michel          6 ans                 NON                        NON             OUI
 3 Julie            Canada             Villeray              2 ans                 NON                        NON             OUI
 4 Marie            Canada             Saint-Michel          1 an                  NON                        NSP             OUI
 5 Hélène           Canada             Villeray              3 ans                 NON                        OUI             OUI
 6 Manon            Canada             Villeray              8 ans                 NON                        NON             OUI

     La plupart des propriétaires rencontrés ou                      « Je cherche quelqu’un qui va être proactif. Quelqu’un qui va
     interrogés lors des questionnaires affirment ne pas             payer à temps, que tu sois propre et que tu me le dises si quelque
     regarder ni la couleur de la peau ni l’origine de la            chose pète. Mon profilage n’est pas sur la couleur de la peau,
     personne lorsqu’ils ou elles sont à la recherche de             mais l’heure à laquelle tu arrives. Le marché est chaud, c’est une
     locataires pour l’un de leurs logements. Ils ou elles           lutte féroce, tu n’as pas le choix de te baser sur des critères. »
     se disent plutôt attentifs à certaines qualités qui             - Solange, propriétaire à Saint-Michel
     sont des gages d’une bonne candidature, de bons
     comportements avec les voisins et de la capacité                « L'origine ethnique de mes locataires m'importe peu. En
     de paiement des locataires. Pour ce faire, ils                  tant que propriétaire occupant d'un duplex, je recherche une
     exigent des preuves de revenus et des références                personne qui a la capacité de payer et qui est respectueuse de
     comme on peut le voir dans les extraits d’entretien             ses voisins ( moi ) et de son logement. »
     suivants.                                                       - Mathieu, propriétaire à Saint-Michel

                                                                                                                                              10
« On cherche quelqu’un avec de bonnes références de                qui occupent leurs logements sont immigrant-es et que
l’ancien propriétaire, on veut vérifier si la personne a           malheureusement, leurs expériences négatives de location
un travail, un revenu qui permet de payer le logement.             se sont parfois déroulées avec des locataires immigrant-es.
On cherche des gens humains. On est une famille avec 3             C’est le cas de Solange, propriétaire à Saint-Michel, qui
enfants. Étant donné la taille du logement, on cherchait           raconte plusieurs mauvaises expériences de location avec
une personne seule qui vise à être là à long terme. »              des locataires immigrant-es dans les extraits d’entretien
- Marie, propriétaire à Saint-Michel                               suivants :

« J'ai de bonnes relations avec mes locataires. Je ne              « Mon locataire marocain n’était pas ici depuis longtemps. Il
prenais presque jamais de références auparavant.                   ne chauffait pas son logement l’hiver, il gardait son manteau
Maintenant, je le fais de manière systématique, peu                dans la maison. Tout l’appartement était moisi, la salle de
importe la provenance des personnes, d'autant que les              bain était noire. Il jetait de l’huile de cuisson dans le lavabo
expériences négatives sont autant liées à des personnes            et il nous appelait pour le déboucher. J’ai trouvé ça vraiment
immigrantes que des personnes non-immigrantes. Le                  dur... Est-ce qu’on lui avait expliqué que ça coûtait cher l'Hydro
respect est une valeur universelle, peu importe d'où vient         et qu’il fallait mettre du chauffage dans la maison quand il est
la personne. Un des critères les plus importants demeure           arrivé au Canada? Il mettait aussi toutes sortes de vidanges
la bonne cohabitation avec les personnes de l'immeuble             au chemin la semaine, alors que les poubelles ne passaient
puisque je désire que ce soit une agréable communauté              que le mercredi. Les autres voisins se plaignaient. Je pense
où chacun fait attention à l'autre et à l'immeuble.»               que ça fait partie de l’intégration de faire ces apprentissages.
- Manon, propriétaire à Villeray                                   Mais c’est un rôle ingrat pour le propriétaire, car tu ne veux
                                                                   pas être condescendant. Je comprends que le monsieur ne
Certains propriétaires voient même dans la location de             voulait pas chauffer son logement parce que ça coûte cher.
l’un de leurs logements à un nouvel arrivant la possibilité        Je trouve ça dur. Ça ne m'empêcherait pas de louer à un
d’accompagner cette personne dans son processus                    autre Marocain, mais je l'écrirais dans le bail. Mais combien
d’intégration à la société québécoise et de participer à           d’exigences comme ça je devrais ajouter sur le bail pour être
augmenter son ancrage dans le quartier.                            sûre de tout prévoir?

« Je ne peux pas dire que je lui donne une chance, parce           [...]
que je ne lui offre pas un loyer pas cher. Mais, j’ai fraternisé
un peu avec lui. Je me permets une certaine fraternité qui         Les nouveaux arrivants ont besoin de connaître leurs
s’inscrit dans mes valeurs et habitudes. Je lui ai remis une       droits, mais aussi leurs devoirs. Le bail est un contrat avec
liste de lieux à connaître et à découvrir dans le quartier.        des paramètres à respecter. Ma locataire algérienne vivait
Moi, ça me valorise en tant que propriétaire d'accueillir. »       avec sa fille. Un jour, elle me dit qu’il faut qu’elle s’en aille
- Julie, propriétaire à Villeray                                   dans 2 semaines. Je lui réponds: Mais, non tu as un bail, tu
                                                                   as des obligations! Et elle me répète qu’il faut qu’elle s’en
« Moi, j’aimerais avoir plus d’informations sur les                aille, qu’elle va s’en aller. Son histoire était très floue. On
programmes pour les nouveaux arrivants: qui les aide,              s’est entendu, je lui ai demandé un mois de loyer et je lui
qui les finance, est-ce qu’ils ont des cours de français? Je       ai dit que j’allais essayer de trouver quelqu’un le plus vite
n’ai pas eu la chance de choisir une personne d’une autre          possible. Finalement, j’ai appris que sa fille avait des enjeux
culture, mais j’aime l’idée que, comme propriétaire, je            d’immigration et qu’elle devait retourner en Algérie pour ses
pourrais aider quelqu’un à être bien dans notre quartier.          papiers. Est-ce que c’était une honte pour elle, et c’est pour ça
C’est déjà multiculturel, donc ce serait plus facile pour          qu’elle ne me l’a pas dit? Je ne sais pas. Mais j’avais trouvé ça
les gens de se développer un réseau et d’être bien, de             plate, parce que tout le monde a eu un stress énorme. Je suis
s’intégrer à la communauté. »                                      sensible à sa réalité quand même. Si j’avais su, je ne lui aurais
- Marie, propriétaire à Saint-Michel                               même pas demandé un mois. »
                                                                   - Solange, propriétaire à Saint-Michel
Néanmoins, certains propriétaires rapportent que
leurs défis sont plus importants quand les locataires

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