L'anthropologie et les sciences du langage au service du développement de Téducation - Unesco

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L'anthropologie et les sciences
          du langage au service
          du développement
          de Téducation

          Unesco
French Edition    ISBN 92-3-201095-X
English Edition   ISBN 92-3-101095-6
Spanish Edition   ISBN 92-3-301095-3

Composé et imprimé dans les A teliers
de l Organisation des Nations Unies
pour l'éducation, la science et la culture,
7, Place de Fontenoy - 75700 Paris, France

©Unesco 1973
Préface

Le présent ouvrage rassemble des communications          national portant sur la politique, la planification et
présentées aux réunions de deux groupes consulta-        l'enseignement linguistiques.
tifs qui se sont tenues à l'Unesco, à Paris, du 21           Les auteurs des communications regroupées ici
au 25 juin et du 19 au 23 juillet 1971, pour étudier     étudient dans le détail certaines des questions
les moyens d'améliorer, dans les Etats membres           abordées lors de ces deux réunions et illustrent par
de l'Unesco, la planification et l'exécution intégrées   des exemples concrets des problèmes socio-culturels
des programmes d'éducation.                              et linguistiques complexes qui se posent et les so-
    Un certain nombre de consultants de réputation       lutions que l'anthropologie et la linguistique peuvent
internationale, qui ont fait oeuvre de pionnier dans     y apporter.
leur spécialité, et qui ont acquis de l'expérience           Nous espérons que ces communications donneront
dans diverses régions du monde, ont été invités à        au lecteur une vue plus claire et plus étendue de
aider le Secrétariat de l'Unesco à mettre au point       la nature des travaux de recherche et développe-
un programme d'adaptation socio-culturelle et lin-       ment entrepris par de nombreux spécialistes dans
guistique du contenu et de la méthodologie de            divers domaines et encourageront les échanges et
l'enseignement.                                          la collaboration avec des éducateurs du monde
    Les consultants qui participaient à la réunion       entier.
sur La contribution de l'anthropologie éducative et          La présente publication s'adresse donc aux en-
de la sociolinguistique au développement de l'édu-       seignants, aux planificateurs et aux responsables
cation, ont défini les domaines de l'anthropologie       de l'éducation, ainsi qu'à tous ceux qui s'intéressent
et de la sociolinguistique, analysé certaines de         au rôle de l'éducation dans le développement natio-
leurs applications actuelles à la planification et au    nal. Il pourrait être utile de rapprocher le présent
développement de l'éducation et proposé des mé-          ouvrage des rapports des deux groupes consultatifs
thodes nouvelles auxquelles ces deux disciplines         mentionnés ci-dessus/1.
peuvent servir de base.                                      Les communications ci-après expriment l'opi-
    Au cours de la seconde réunion, sur Le rôle de       nion des auteurs et non pas nécessairement celles
la linguistique et de la sociolinguistique dans l'en-    de l'Unesco.
seignement lié au langage et dans la formulation
d'une politique en matière de langues, les consul-
tants ont traité de l'enseignement donné dans
la langue maternelle et en plusieurs langues, sou-       1. On peut se procurer ces rapports en s'adressant
lignant combien il importait d'étudier l'emploi etle        au Département des programmes, structures et
rôle des diverses langues dans chaque contexte              méthodes d'éducation, Division des programmes
culturel ; ils ont invité instamment les Etats à            et structures, Unesco, Place de Fontenoy,
donner priorité à l'établissement d'un programme            75700 Paris, France.
Table des matières

  INDRODUCTION                                                                                7

  PREMIERE PARTIE : ANTHROPOLOGIE ET EDUCATION                                                9

     1.   "Vers un programme empirique d'enseignement sur l'homme"
          Frederick O. Gearing, Département d'anthropologie,
          State University of New York, Buffalo (Etats-Unis d'Amérique)                       9
     2.   "La culture de l'école : Outil conceptuel de recherche et
          d'explication dans le domaine de l'éducation"
          Jacquetta Burnett, Université de l'Illinois (Etats-Unis d'Amérique)                14
     3.   "La comparaison entre cultures dans les recherches relatives
          à l'éducation des groupes minoritaires"
          John Singleton, Université de Pittsburgh (Etats-Unis d'Amérique)                   19
     4.   "Programme visant à mettre au point un processus didactique
          d'observation directe et de raisonnement par induction pour le
          perfectionnement professionnel des enseignants et administrateurs
          de l'enseignement"
          Frederick O. Gearing et Frederick P. Frank                                         25
     5.   "Contribution de l'anthropologie éducative et de la sociolinguistique
          à l'éducation : Réflexions d'un planificateur de l'éducation"
          Gilda de Romero Brest, Instituto Torcuato di Telia,
          Buenos Aires (Argentine)                                                           28

  DEUXIEME PARTIE : LA LINGUISTIQUE ET LA SOCIOLINGUISTIQUE DANS
                    L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES ET LA POLITIQUE
                    LINGUISTIQUE                                                             31

     6.   "Linguistique et enseignement des langues : Problèmes et perspectives"
          Ayo Bamgbose, Département de linguistique et des langues
          nigérianes, Université d'Ibadan (Nigeria)                                          31
     7.   "La linguistique et la sociolinguistique dans leurs rapports avec
          l'enseignement des langues et la politique linguistique dans
          les Caraïbes anglophones"
          Dennis R. Craig, Département de l'éducation,
          University of the West Indies                                                      35
     8.   "Quelques réflexions sur les programmes d'enseignement bilingue"
          G.R. Tucker et Alison d'Anglejan, McGill University (Canada)                       41
     9.   "Stratégies verbales et plurilinguisme"
          John J. Gumperz, Université de la Californie, Berkeley (Etats-Unis d'Amérique) .   44
10.   "Politique linguistique et principes d'une définition de l'utilité
      relative des langues"
      Professeur Y. D. Decheriev, Institut de recherches linguistiques,
      Académie des sciences de l'URSS, Moscou (URSS)                                  52
11.   "Le choix d'une langue standard dans une série de dialectes"
      Dr Miklôs Hutterer, Université de Budapest (Hongrie)                            55
12.   "Une méthode de recherche multifactorielle à plusieurs niveaux
      appliquée à la sociologie du langage"
      Joshua A. Fishman, directeur de la Section de recherches linguistiques,
      Université hébraïque de Jérusalem (Israël)                                      57
13.   "Vers un modèle général de planification linguistique"
      Anwar S. Dil, directeur du Groupe de recherches linguistiques du Pakistan . .   60
Introduction

Partout, sous toutes les latitudes, l'éducation con-     sociales. Aucun ne propose de panacée pour ré-
naît crise sur crise et les éducateurs sont contraints   soudre les problèmes complexes liés au rôle de
de remettre en question bon nombre des hypothèses        l'éducation dans le développement. Ils tentent de
et des méthodes sur lesquelles ils croyaient pouvoir     dégager des données scientifiques sur différents
tabler ; réformer l'enseignement dans son contenu        processus éducatifs en appliquant les résultats de
comme dans ses méthodes, voilà, dans un monde            leurs travaux à des programmes de réforme édu-
en mutation, l'un des grands défis que nous réservent    cative et de développement linguistique.
les décennies avenir. Mais avons-nous conscience             Les facteurs sociaux et culturels revêtent une
dès à présent de la complexité de la tâche qui nous      importance cruciale pour l'enseignement et l'ap-
attend sur le plan social et culturel? Peut-être faut-   prentissage des langues, comme pour le choix de
il remettre en question les définitions selon les-       la langue dans laquelle l'enseignement général doit
quelles développer l'éducation, c'estatteindre cer-      être donné. Les enseignants reconnaissent de plus
tains objectifs d'ordre quantitatif ou économique.       en plus souvent qu'il est impossible d'analyser à
Nombreux sont les planificateurs de l'éducation,         l'aide de la seule pédagogie les difficultés fondamen-
dont certains ont une formation d'économiste, qui        tales que soulève l'apprentissage d'une langue. Les
appliquent des critères trop étroitement économiques     langues ne sont pas confinées entre les quatre murs
pour faire une place aux dimensions sociale, cultu-      de la classe, et le succès ou l'échec dans l'acqui-
relle et linguistique de l'éducation.                    sition'linguistique est souvent déterminé par le mi-
    Les organisations internationales, à qui il in-      lieu social.
combe de mettre à la disposition des pays en voie            Il importe de renouveler la perspective dans la-
de développement des conseillers, des bourses            quelle nous envisageons les éternels problèmes
d'études, des moyens de formation et du matériel         fondamentaux : échecs scolaires et déperdition d'ef-
d'enseignement, ont reconnu depuis longtemps la          fectifs ; programmes d'études dépassés par la réa-
nécessité d'apporter des réformes radicales à            lité d'un monde en rapide évolution, surtout lors-
l'éducation en général et à l'enseignement des           qu'il s'agit de milieux multiculturels et multilingues ;
langues en particulier. Malheureusement, la ma-          méthodes et moyens d'instruction mal adaptés à
nière dont elles définissent les problèmes à ré-         l'objectif cherché ; formation initiale et recyclage
soudre est souvent trop superficielle et bon nombre      des maîtres perpétuant des pratiques de caractère
d'efforts se sont soldés par des échecs onéreux.         discriminatoire, etc.
Il faut donc revoir le concept même d'avancement             Consciente de ces problèmes, l'Unesco se pro-
de l'éducation et poser des questions fondamen-          pose, au titre d'un programme qui vise à mettre
tales, comme : "la croissance - pourquoi faire ?",       l'anthropologie et les sciences du langage au ser-
"au profit de qui ?" et "par quels moyens ?".            vice du développement de l'éducation (ALSED), de
    La seule croissance quantitative ne suffit pas       stimuler, de coordonner et de faire connaître l'ac-
et ne pourra jamais suffire ; une amélioration           tion menée en faveur du développement linguistique
d'ordre qualitatif est également indispensable. Or,      par les experts en anthropologie éducative, les lin-
il ne faut guère s'attendre à une amélioration sen-      guistes, les sociolinguistes, les professeurs de
sible tant que les facteurs socio-culturels et lin-      langues et les spécialistes de la planification lin-
guistiques n'auront pas été analysés et étudiés par      guistique. L'ALSED, en ce sens qu'il montrera dans
des experts compétents.                                  quels domaines des solutions neuves s'imposent,
    Ces experts existent : anthropologues de l'édu-      apportera un soutien intellectuel et matériel à l'ac-
cation, linguistes, sociolinguistes, spécialistes de     tion menée et facilitera les échanges d'informations
l'enseignement des langues ou de la planification        entre chercheurs, institutions et responsables des
linguistique, et autres spécialistes des sciences        politiques de l'éducation.
Ce programme prendra appui sur un réseau in-        enseignants et des administrateurs de l'enseigne-
ternational d'institutions et de spécialistes et son    ment", ils décrivent une série de techniques tirées
orientation et sa coordination seront assurées par      de la méthodologie de la recherche ethnographique
un Comité consultatif international composé de spé-     dont les enseignants pourraient s'inspirer pour ob-
cialistes nationaux expérimentés. Un Bulletin se-       server et analyser le comportement de la classe
mestriel fournira des indications sur le dernier        de façon à aménager et à améliorer leurs méthodes
état des recherches menées dans les contextes édu-      pédagogiques.'Cette première partie s'achève avec
catifs les plus divers ; un Répertoire international    l'étude d'un spécialiste qui se trouve "de l'autre
sera publié et distribué, ainsique d'autres publica-    côté de la barrière" : dans sa communication, in-
tions d'intérêt pratique portant sur les techniques     titulée "Contribution de l'anthropologie éducative
de recherche les plus récentes, des enquêtes réa-       et delà sociolinguistique à l'éducation : Réflexions
lisées sur des sujets tels que les options fondamen-    d'un planificateur de l'éducation" Gilda de Romero
tales de la planification et de la politique linguis-   Brest donne une vue d'ensemble qui est celle d'un
tiques, et une série de bibliographies analytiques.     éducateur confirmé et demande des mesures
Dans chaque pays, des chercheurs et des groupe-         pratiques.
ments seront appelés à exécuter des travaux de re-          La deuxième partie du recueil, contient des com-
cherche et développement sur l'adaptation des pro-      munications sur la linguistique et la sociolinguis-
grammes et des moyens d'enseignement, sur l'étude       tique. Leurs auteurs insistent tous sur la nécessité
comparative des processus éducatifs fondamentaux        d'étudier l'emploi et le rôle des langues dans chaque
dans plusieurs cultures, sur les aspects complexes      contexte culturel et préconisent le recours aux mé-
des situations multilingues, etc. Ces activités         thodes les plus modernes de la recherche linguis-
s'inspireront largement des conclusions formulées       tique et sociologique ainsi que de la planification.
par les deux groupes de consultants mentionnés          Ayo Bamgbose s'appuie sur la longue expérience
dans la préface.                                        qu'il a acquise au Nigeria pour étudier "La linguis-
    La première partie du présent recueil contient      tique et l'enseignement des langues : problèmes et
des communications qui viennent s'ajouter aux tra-      perspectives". Dennis Craig étudie les problèmes
vaux de plus en plus nombreux sur l'anthropologie       particuliers du créole dans une communication sur
et l'éducation. Elle commence par une étude de          "La linguistique et la sociolinguistique dans leurs
Fred Gearing qui donne un aperçu du rôle de l'an-       rapports avec l'enseignement des langues et la po-
thropologue et de la place qui peut lui être faite à    litique linguistique dans les Caraïbes anglophones"
l'école ; un enseignement sur l'homme porterait         etproposedes méthodes et des programmes d'ac-
sur les données empiriques relatives aux origines       tion remaniés à partir de la recherche linguistique.
de l'homme, à l'évolution des cultures et aux élé-      Dans "Quelques réflexions sur les programmes
ments communs à toutes les cultures. Dans de nom-       d'enseignement bilingue", G. Richard Tucker et
breux pays, les éducateurs sont d'ores et déjà con-     Alison d'Anglejan étudient l'infrastructure de la
vaincus qu'un enseignement de ce genre est très         recherche et les procédés d'évaluation indispen-
utile et de nature à favoriser une meilleure com-       sables aune rénovation fructueuse des programmes
préhension internationale. Jacquetta Burnett montre     d'enseignement bilingues. Dans son étude : "Stra-
ensuite comme exploiter l'analyse ethnographique de     tégies verbales et plurilinguisme", John Gumperz
la communauté scolaire et de son milieu social          analyse l'emploi de divers "codes" de telle ou telle
et ethnique lorsqu'il y a enseignement et apprentis-    autre langue.
sage interculturels, dans une communication inti-           Les questions de choix et de politique linguis-
tulée "La culture de l'école : outil conceptuel de      tiques dans une nation multilingue, ont marqué
recherche et d'explication dans le domaine de l'édu-    l'expérience soviétique, que Y. D. Decheriev dé-
cation". Il existe de très nombreux modes et pro-       crit dans une étude intitulée "Politique linguistique
cessus différents de transmission culturelle,           et principes d'une définition de l'utilité relative
c'est-à-dire d'éducation, selon les cultures ; dans     des langues". Dans une étude sur "Le choix d'une
une étude intitulée "La comparaison entre cultures      langue standard dans une série de dialectes",
dans les recherches relatives à l'éducation des         Miklds Hutterer précise les considérations qui
groupes minoritaires", John Singleton rattache          peuvent inspirer de tels choix dans les cas où les
l'étude et la comparaison de ces processus aux          dialectes sont nombreux - en Europe centrale par
problèmes particuliers des groupes minoritaires,        exemple. Joshua Fishman expose "Une méthode
notamment aux objectifs et aux besoins éducatifs        de recherche multifactorielle à plusieurs niveaux
qui leur sont propres dans les systèmes scolaires       appliquée à la sociologie du langage", et étudie
dominés par d'autres groupes. Fred Gearing              certaines tâches et utilisations fondamentales d'une
et Frederick P. Frank expliquent comment, avec          "sociologie appliquée au langage" en indiquant
l'aide de moyens d'enseignement modernes,               quelques grandes orientations de recherche. Enfin,
l'ethnographie peut concourir à la formation des        dans la dernière communication qui s'intitule "Vers
maîtres. Dans leur article intitulé "Programme          un modèle général de planification linguistique",
visant à mettre au point un processus didactique        Anwar S. Dil montre par des exemples à quelles
d'observation directe et de raisonnement par induc-     applications éventuelles se prête ce domaine nou-
tion pour le perfectionnement professionnel des         veau et important.
Première partie                                            Anthropologie et
                                                           éducation

                1. VERS UN PROGRAMME EMPIRIQUE D'ENSEIGNEMENT SUR L'HOMME

                                             Frederick O. Gearing

La structure du comportement quotidien est à bien          un objectif très ambitieux qui ne peut être atteint
des égards dictée par les diverses identités que tout      qu'avec le concours des anthropologues.
homme assume publiquement. Dans les sociétés ur-               La tâche pédagogique qui revient à l'anthropolo-
baines, ces identités reposent sur la classe, la "race",   gie n'est pas théorique mais empirique ; il s'agit
le groupe ethnique, l'âge, le sexe, la religion, la        de veiller à ce que la réalité de l'Homme soit per-
nationalité, etc. ; le plus souvent, l'homme agit en       çue et bien comprise par les hommes. Pour la
vertu de l'impulsion donnée àl'une ou l'autre de ces       mener àbien, il faut intervenir à l'école. Les an-
identités et la plupart des tensions psychologiques        thropologues auront atteint leur but quand leurs
et des maladies mentales sont les résultantes des          élèves auront pris l'habitude de réagir devant un
pressions contradictoires s'exerçant entre ces mul-        comportement apparemment insolite en se disant :
tiples identités.                                          "il y a quelque chose que j'ignore, qu'est-ce que
    Parmi celles-ci, il en est une dont la faiblesse       c'est ?". Le meilleur moyen d'atteindre ce but est
estnotoire - l'identité d'homme, c'est-à-dire l'iden-      de transformer le cours d'"études sociales", de
tité de l'individu se voyant lui-même et tous les          l'école maternelle à la fin du second degré, en un
autres comme appartenant à une seule et même es-           enseignement concerté sur l'homme, en un véri-
pèce, homo sapiens. Que tout homme soit l'Homme,           table "programme d'études sur l'humanité". Celui-
est une vérité universellement admise, mais dans           ci porterait sur le mode d'existence d'un grand
le comportement cette identité-là paraît insigni-          nombre d'êtres humains, choisis dans des milieux
fiante, alors que les identités particulières ont un       proches aussi bien que lointains, et représentant
grand poids. Pourquoi ? C'est que les identités li-        toute la gamme des traditions et des situations pos-
mitées, qui sont plus fortes, juxtaposent des caté-        sibles, et toutes les étapes delà vie humaine. De cette
gories d'individus socialement définies et, de ce          étude empirique se dégageraitle concept d'Homme.
fait, sont ressenties comme "réelles", tandis que              Les questions qui doivent constamment orienter
l'identité universelle, l'appartenance à l'humanité,       cet enseignement sont celles-ci : quel est l'élément
ne crée aucune juxtaposition de ce genre et appa-          humain commun à tous les hommes ? Comment tel
raît donc irréelle en ce sens qu'elle n'est pas vécue      ou tel individu, exprime-t-il, sous une forme
dans l'expérience quotidienne.             '(              unique, cet élément commun d'humanité, quel qu'il
    De ce fait, la formule "tout homme est l'Homme"        soit, à quelque moment que ce soit ? Ce sont là des
est aujourd'hui à peu près aussi chargée de sens           questions empiriques à traiter comme telles. Mais
qu'une formule comme "les Nations Unies" ou "un            il faut encore se poser celle-ci : Comment tel ou
seul et même monde" ; en tant que concept, l'Homme         tel individu insulte-t-il et fait-il échec, sous une
est considéré comme entrant en concurrence, sur            forme unique, à sa propre humanité ou à celle de
le plan éthique, avec d'autres notions idéologiques        son prochain ?
abstraites telles que le nationalisme.                         Un enseignement sur l'humanité vise à une
    On voit bien alors où est le problème. Comment         étude sans fioritures de cette entité qu'est
faire de l'Homme une réalité vécue ? Autrement             l'Homme. C'est, de surcroît, pour l'élève, un
dit : comment peut-on inciter les hommes à consi-          exercice de comparaison empirique. Pour appré-
dérer simplement et empiriquement non pas seule-           hender rhomo_sapien£, le plus facile consiste à re-
ment des individus mais l'homo sapiens^ ? C'est là         pérer dans son comportement ce qui le rapproche
et ce qui le différencie d'autres espèces - des pri-     percevoir le caractère particulier des règles qui
mates surtout - et de considérer tout particulière-      l'intriguent et à reconnaître que les règles sont gé-
ment l'apprentissage (notamment cette faculté que        néralement établies par l'homme (il existe, à ce
seul l'homme possède d'apprendre en se servant de        sujet, un grand nombre d'histoires, de films etc.
symboles). En comparant les sociétés humaines            pertinents) ?
entre elles, l'élève observera des individus qui lui         L'étude d'autres domaines àl'aide d'un matériel
sont culturellement étrangers et, notant les diffé-      pédagogique analogue est également possible. Tou-
rences, il se verra lui-même : je ne suis pas lui.       tefois, l'établissement d'un programme d'enseigne-
En outre, par un travail empirique, l'élève pourra       ment, reste ici limité au minimum parce que la
constater qu'un comportement apparemment inso-           capacité d'émerveillement des enfants est relative-
lite prend finalement pour lui un sens. Il découvrira    ment non structurée.
alors qu'il peut, par substitution, entrer d'une fa-         Lorsqu'il s'agit d'établir un programme pour
çon ou d'une autre dans l'expérience de ces étran-       les classes intermédiaires et les classes supé-
gers ; il s'identifiera - je suis lui simplement parce   rieures, on serait malavisé de se contenter au dé-
que je peux entrer dans son expérience.                  part d'un cadre général ; il faut une véritable base,
    C'est là un travail qui n'a rien à voir avec les     un support, qui ne peut être fourni que par un en-
généralisations abstraites sur la nature humaine.        seignement existant. Il est très coûteux de mettre
L'approche empirique exige une certaine aptitude         au point un bon programme - il l'est bien moins
à manier des concepts comme ceux d'espèce, de            d'aménager et de compléter un bon enseignement déjà
sélection naturelle, de symbole, de rôle, de cul-        existant, et les dépenses peuvent alors être éche-
ture, etc.                                               lonnées ; créer de toutes pièces un bon programme
    Ce programme sur l'homme ne se prête pas aux         prend du temps, tandis que les aménagements
formes d'enseignement classiques. Ce n'est pas           peuvent se faire à mesure que l'enseignement se
qu'une pédagogie sera en soi meilleure qu'une            poursuit ; dans ce domaine particulier, la mise au
autre ;leproblème est plutôt de trouver la pédago-       point d'un programme requiert le concours d'anthro-
gie qui convient le mieux au but cherché - faire         pologues et d'enseignants dotés de connaissances
découvrir que "tout homme est l'Homme". Il faut          théoriques particulières, alors qu'il n'y a rien à
que tout élève et tout enseignant se reconnaisse lui-    craindre d'un aménagement ou d'une extension
même dans ce concept, et non qu'ily perçoive quel-       parce qu'un bon programme constitue en soi un en-
qu'un d'autre. Cela suppose une information abon-        seignement pour les enseignants.
dante diffusée par différents moyens, un fort cou-           Le programme mis au point par l'Educational Dé-
rant d'échange entre les élèves eux-mêmes, comme         veloppement Centre de Cambridge (Massachusetts)/*
entre ces derniers et l'enseignant, et des questions     et intitulé "L'homme : programme d'études",
empiriques bien conçues, appelant des réponses           pose expressément la question essentielle : Quel
nécessairement aussi diversifiées que la question :      est l'élément humain commun à tous les hommes ? "
"qui suis-je ? "                                         L'élève est introduit dans une petite communauté
    Dans les classes primaires, le programme d'en-       très différente de la sienne, celle des Esquimaux
seignement sur l'humanité s'appuiera sur la faculté      Netsilimint, à l'aide de films sans narration ac-
d'émerveillement de l'enfant devant la diversité de      compagnés de sons naturels. Le cours dure toute
l'univers humain tel qu'il s'exprime dans les chan-      une année, et débute par une série d'études compa-
sons et les danses populaires, les contes, les           rées du comportement animal, chez le saumon, la
mythes et les belles images. L'ingénuité qui permet      mouette, le babouin, mettant l'accent sur l'organi-
àl'enfantdeprendre plaisir à écouter un conte tiré       sation en bandes et les échanges vocaux chez les
du folklore de populations très éloignées de lui,        babouins ; vient ensuite l'étude de la vie des Es-
comme si elles vivaient, tels les dinosaures, dans       quimaux. Il s'agit essentiellement de faire saisir
un univers coupé du temps et de l'espace, estun          la nature de l'adaptation chez l'animal (au moyen
atout précieux qui ne tarde pas à se perdre. Dans        de la sélection naturelle) et chez l'homme (par la
ce contexte, l'auteur du programme pourrait se           culture, elle-même rendue possible parle langage).
poser les trois questions fondamentales suivantes :      Les éléments d'information qui sont communiqués
    1. Qu'est-ce qui intrigue beaucoup d'enfants         aux élèves sont très nourris, évocateurs, attachants,
pendant la scolarité primaire (par exemple, les          présentés àl'aide de supports judicieusement choisis,
règles et la perception de la nature de celles-ci) ?     et des "jeux stratégiques" (une chasse au caribou,
    2. Etant donné ces questions que se pose l'en-       une chasse au phoque) aident l'élève à saisir de
fant, quelles sont les études du comportement ani-       l'intérieur les manoeuvres du chasseur esqui-
mal qui pourraient, par comparaison, l'aider à           mau, tel qu'il est formé par sa culture, lors-
comprendre (par exemple, les querelles de rats           qu'il se livre à ces activités indispensables à sa
blancs dans une cage, la hiérarchie du becquetage        survie. Iln'est pas nécessaire qu'un tel programme
chez les oiseaux de basse-cour, la hiérarchie dans       remplace des programmes existants. Il suffira au
une bande de babouins, phénomène qu'il est possible
de lui faire connaître par le film, notamment) ?
    3. Quelles sont les études du comportement hu-       1. Avec le concours financier de la National
main qui, par comparaison, aideraient l'enfant à            Science Foundation.

10
besoin de les aménager, ce qui permettra d'inté-           du système. Le nombre minimum d'agents de trans-
grer à ces niveaux des cours qui sans cela demeu-          formation correspond à un microcosme représenta-
reraient disparates.                                       tif de tous les grands secteurs : les élèves, les ensei-
    Dans le cadre de son "Anthropology Curriculum          gnants, l'administration, les parents, la commission
Study Project" (Projet visant à la mise au ooint de        scolaire. Ce microcosme doit être structuré de telle
programmes d'études anthropologiques), l'American          sorte que chacun de ses éléments renforce le com-
Anthropological Association, a établi un programme         portement des autres; et c'est le secteur qui exerce
de cours intitulé Patterns in Human History (Thèmes        le pouvoir et l'influence la plus étendue sur les
de l'histoire de l'homme), qui est destiné aux             autres qui doit occuper la position centrale. En
classes du second degré. Là aussi, il s'agit d'étu-        l'occurrence, dans un établissement scolaire, ce
dier analytiquement toute une gamme de sociétés            sont les élèves.
qui ont été choisies pour les contrastes qu'elles              Dans ce contexte, il s'agit non seulement de
présentent. Les élèves suivent l'évolution biolo-          transformer certains modes de comportement,
gique et culturelle de l'homme, depuis les âges les        mais aussi de faire passer dans ces derniers le
plus reculés et apprennent à manier le concept de          sentiment concret de l'humain. Est-ce possible ?
rôle, qui est le principal instrument d'analyse uti-       Et comment ? Pour le savoir, il faut mener des
lisé. L'étude comparative de certaines sociétés            recherches actives sur trois fronts.
met en lumière le profil général de l'histoire hu-             Dans une classe, les acteurs - c'est-à-dire les
maine, ses moments critiques et la variété des             enseignants et les élèves - savent tous depuis leur
types culturels contemporains à laquelle elle a            plus jeune âge que grand égale fort, égale expéri-
abouti. Le programme s'achève avec le problème             menté, et que petit égale le contraire. Cette équa-
du "développement économique", vu dans la pers-            tion contribue à former et à renforcer l'image po-
pective du paysan. Là encore, ce programme per-            pulaire du maître et de l'élève respectivement con-
met l'aménagement et au besoin l'enseignement si-          sidérés comme le transmetteur et le récepteur de
multané déprogrammes d'études sociales existants,          l'information. Ces images populaires sont en grande
et il facilite l'intégration de cours qui, autrement,      partie implicites et ne correspondent que de très
demeureraient disparates.                                  loin au discours des milieux professionnels sur
    Il reste encore aux anthropologues à participer        l'enseignement, mais il ne fait pas de doute que
à la formation des enseignants. Si, de leur côté,          ces images agissent fortement sur les comporte-
les établissements se dirigent peu à peu, en tâton-        ments en dépit de diverses réformes de la profes-
nant, vers un programme d'enseignement sur                 sion enseignante et de certaines rébellions appa-
l'homme, l'organisation pratique de cet enseigne-          rentes des élèves.
ment effraie le personnel scolaire. On pourrait donc           Comme on l'a vu plus haut, l'enseignement sur
envisager, pendant l'année scolaire, des séances           l'homme ne peut, étant donné son caractère très par-
hebdomadaires d'initiation pour les maîtres en exer-       ticulier, se faire sous une forme didactique mais
cice, suivies, pendant l'été, d'un stage d'une quin-       doit mettre les élèves à même de découvrir les
zaine de jours ; ce serait là un programme de for-         faits. Toutefois, les images populaires du maître
mation suffisant. Les anthropologues ne devront            et de l'élève s'imposent au point que la plupart des
pas négliger le fait que les enseignants peuvent exé-      enseignants tendent à faire des cours ex cathedra ;
cuter certaines tâches dès le début, mais ils ne           Les élèves trouvent cette façon de procéder nor-
doivent pas non plus en faire des "anthropologues          male" et, de ce fait, l'encouragent. On peut donc
subalternes".                                              être à peu près sûr qu'au bout d'un certain temps,
    L'adoption de ce programme d'enseignement sur          l'objet fondamental d'un programme d'enseignement
l'homme entraînera de profondes modifications              sur l'homme aura été dénaturé.
d'ordre institutionnel à l'intérieur des établisse-            La question se pose alors de savoir par quels
ments. Nous laisserons de côté les classes pri-            moyens les enseignants et les élèves pourraient
maires pour envisager des réformes qui ne sont             établir entre eux, en classe, des relations d'un
plausibles que dans l'enseignement intermédiaire           type radicalement nouveau. On pourrait répondre
et secondaire. L'étude des transformations institu-        qu'en premier lieu, l'enseignant devrait bénéficier
tionnelles en général et des transformations de l'en-      d'une formation particulière qu'il acquerrait lui-
seignement en particulier montre que, dans un cadre        même en observant et en analysant le comportement
institutionnel organisé, les comportements cons-           de sa classe selon une méthode précise et bien struc-
tants des acteurs sont inextricablement liés l'un à        turée. Il existe heureusement aujourd'hui des ins-
l'autre et renforcés par certains systèmes de sanc-        truments qui rendent cette autoformation possible.
tions, tout aussi inextricables et généralement im-        Pour des raisons qui se conçoivent aisément, l'en-
plicites. Quand on cherche à modifier le comporte-         seignant doit avoir la possibilité de se former ainsi
ment dans un tel cadre, il n'est pas possible d'ex-        tout seul, dans le secret de son Cabinet. 11 dispose
traire quelques éléments d'un secteur particulier,         actuellement d'un excellent instrument d'autoforma-
pour les modifier, puis les remettre en place, et          tion, mis au point par Théodore W. Parsons, le
compter qu'ils transforment l'ensemble ; en fait,           "Guided Self-Analysis System for Professional
ces éléments modifiés retrouveront leur forme ini-         Development : Teaching for Inquiry" (Comment
tiale, faute de quoi ils se trouveront isolés ou rejetés   analyser sa performance professionnelle pour

                                                                                                               11
l'améliorer : apprendre à chercher)/1 que 2. 000 en-     empirique une réalité vécue. Cette identité doit
seignants environ mettent actuellement à l'essai, à      ensuite renforcer le comportement quotidien en
tous les niveaux, y compris celui des "community         transformant sans les supplanter d'autres identités
collèges" (établissements d'enseignement propédeu-       particulières. L'évaluation de l'identité universelle
tique). Il s'agit d'un enregistrement magnétosco-        ne doit pas, en principe, poser de gros problèmes
pique, de vingt minutes sur un aspect du compor-         de recherche : la psychologie sociale dispose d'ins-
tement d'une classe, et d'un cadre programmé pour        truments permettant de mesurer l'absence ou le
une série de projections. Pour chacune d'entre           degré de présence de cette identité universelle
elles, l'enseignant exécute une seule tâche de codage,   avant, pendant et après le cours. Mais il est plus
axée très précisément sur un aspect particulier du       difficile d'évaluer le pouvoir de l'identité univer-
comportement présenté. A la suite de chaque pro-         selle sur le comportement. Il faut alors observer
jection, l'enseignant fait une analyse programmée        systématiquement comment les élèves agissent les
des résultats. Commeles projections s'enchaînent         uns vis-à-vis des autres. Onpeut, à cette fin, en-
en séquence, ces analyses sont cumulatives, et, à        courager les élèves qui suivent cet enseignement
la fin du cours constituent une analyse globale ex-      à essayer, lorsque l'année est déjà très avancée,
trêmement riche et nuancée qui rend parfaitement         de "rendre le cours plus proche de la réalité vécue",
compte de la complexité de la réalité vécue dans la      compte tenu des facteurs sociaux, "raciaux", etc.
classe elle-même. La série en question se compose        particuliers à leur école et à leur communauté.
de six projections portant sur certains types de         Les élèves pourraient, par exemple, refaire le
questions posées par l'enseignant et de certaines        cours à l'intention des élèves de l'année suivante.
de ses réactions devant les élèves, sur ses habi-        Les adultes, de leur côté, devraient être prêts à
tudes d'expression orale et sur les niveaux de la        fournir, "du jour au lendemain", les données, les
réflexion cognitive enseignant-enseigne. 1_,e désir      indications ou les matériaux demandés par les
de modifier son enseignement apparaît dès lors qu'en     élèves. Il faudra bien entendu, vérifier qu'au bout
s'observantl'enseignant constate un écart entre ce       de plusieurs "générations" d'élèves, le programme
qu'il souhaitait faire en classe et ce qu'il a réelle-   d'enseignement ne se sera pas écarté de son objet
ment fait. L'enseignant répétera l'opération de          central, qui est le fait humain empirique.
temps à autre, et pourra suivre ainsi l'évolution
                                                            Pour que ce processus de transformation globale
de son comportement. Sur le plan pratique, ce sys-
                                                         soit politiquement viable, il faut lui associer
tème n'exige qu'un apprentissage assez bref (4 à
                                                         d'autres éléments du système ; par exemple, les
5 heures), du matériel vidéo-portatif, et une heure
                                                         parents, les administrateurs et les membres de
environ pour chaque séance de codage et d'analyse.
                                                         la commission scolaire compétente, pourraient
Il n'y aurait pas grand chose à faire ni de compli-
                                                         être invités à assister à ces séances d'établisse-
cations pratiques à craindre pour l'aménager de
                                                         ment du programme et à y participer (sur l'initia-
manière que les élèves observent et analysent eux-
                                                         tive des élèves) ; les élèves pourraient être appelés,
mêmes leur comportement.
                                                         àla fin de leurs travaux, àprésenter et à "défendre"
    Dans les cours d1 "études sociales", comme dans      leur programme sous une forme plus systématique.
la société en général, la perception et la discussion       L'application du projet ci-dessus, permettra
dépendent des rôles que les enseignants et les élèves    certainement de recueillir un grand nombre d'indi-
s'attribuent à eux-mêmes et les uns aux autres.          cations d'ordre ethnographique sur ces institutions
Comme dans la société en général, ce sont les rôles      clés de nos sociétés que sont les écoles et, par
particuliers, plus que l'identité universelle, qui       extension, sur toutes les institutions du même
déterminent la matière de la réflexion et de la          ordre, jusque sur le plan international. Mais plus
discussion.                                              fondamentalement encore, il paraît évident que ce
    Puisque l'objet même d'un programme d'ensei-         qui est en cause, c'est la notion de culture conve-
gnement sur l'homme est dénaturé s'il ne s'établit       nant à des sociétés très vastes. Pour certains,
pas de relations nouvelles entre l'enseignant et         toute culture ou sous-culture est le résultat momen-
l'élève, il faut adapter les méthodes de l'observa-      tané d'un mouvement ininterrompu d'opérations.
tion de soi. Au moyen de toute une série de projec-      Selon la formule de Parsons/2 qui s'inspire beau-
tions, de codages et d'analyses programmées cu-          coup des travaux de Wallace, de Festinger/3 et
mulatives, les enseignants devraient mettre au
point des séances permettant de répartir les rôles
attribués pendant la discussion en classe selon cer-     1. T.W. Parsons "Psychocultural Déterminants
tains types définis : "les autres", "nous dans notre        of Teaching Behaviour", (Facteurs psychocul-
identité particulière",, "nous dans notre identité          turels déterminants du comportement de l'en-
universelle".                                               seignant), inProceedings, National Conférence
    Pour que ce programme d'enseignement sur                on Anthropology and Education, publié sous la
l'homme atteigne son but, il faut que les élèves            direction de F. Gearing, University Microfilms,
puissent d'abord appréhender les codes culturels            1971.
de populations qui leur sont étrangères, se recon-       2. T.W. Parsons, Op. cit.
naître dans ces populations et avoir ainsi une per-      3. L. Festinger, A Theory of Cognitive Dissonance,
ception concrète de l'Homme, en faisant du fait             Row, Peterson, 1957.

12
d'autres, les individus se construisent leur laby-     comment ces processus culturels fonctionnent,
rinthe personnel, en assignant certains rôles aux      et d'essayer de modifier et d'infléchir le fonction-
autres et à eux-mêmes ; c'est ce que Parsons ap-       nement de cette équation du moi et d'autrui.
pelle l'équation du moi et d'autrui. De plus, ces          Tout cet ensemble - les fondements empiriques
individus, essentiellement sous l'impulsion de la      solides dus aux deux cours dont nous avons parlé,
dissonance cognitive, s'efforcent constamment          l'auto-observation du comportement dans la classe,
d'établir un rapport avec certains autres qu'ils ont   l'aménagement permanent du programme par les
choisis, en s'efforçant de réaliser une certaine       élèves, l'accent mis constamment sur l'Homme en
concordance entre ces labyrinthes personnels ; le      tantquefait empirique, plus les effets positifs en-
résultat, incomplet et imparfait, obtenu à un mo-      registrés sur les "moi" organisés des élèves - cons-
ment donné, constitue leur culture.                    titue le programme d'enseignement empirique sur
   La recherche envisagée icipermet de déterminer      l'Homme.

                                                                                                        13
•2. LA CULTURE DE L'ECOLE : OUTIL CONCEPTUEL DE RECHERCHE
                      ET D'EXPLICATION DANS LE DOMAINE DE L'EDUCATION
                                            Jacquetta H. Burnett

Les cultures scolaires ne sont qu'un cas particu-         constituer l'ensemble culturel dont l'école, sur
lier de la culture des institutions organisées. Le        le plan local, constituera un sous-ensemble. C'est
concept est particulièrement utile pour le type d'ins-    ce que nous appellerons la culture de référence
titutions dites "organisations complexes". La notion      de l'école.
de culture scolaire découle de l'idée qu'un ca'dre            La notion de culture de référence implique un
organisationnel type se compose d'un ensemble de          concept de culture qui non seulement englobe les
structures culturelles autour desquelles s'articulent     activités dont nous avons parlé plus haut, mais
les activités qui caractérisent l'organisation en         aussi fait valoir l'importance des règles de base
question. Toutefois, il faut se garder de confondre       qui récapitulent ces activités en éléments ordonnés.
la culture d'une école avec celle d'une tribu, d'un       La culture revêt alors deux aspects fondamentaux
groupe ethnique, d'une communauté, voire peut-être        - l'aspect symbolique, correspondant à des règles
d'une classe sociale.                                     et à des normes, et l'aspect concret, celui du com-
    Pour être plus précis, s'il s'agit de définir une     portement, qui se manifeste sous la forme d'actes,
communauté par ses activités, il convient d'envisa-       de sentiments, d'interactions et d'éléments maté-
ger l'ensemble des activités indispensables à la          riels, tous situés dans l'espace et dans le temps.
survie du groupe social dans son milieu et à l'ex-        A"ux fins delà description scientifique, il est essen-
pression du style et du mode de vie particuliers qui,     tiel de faire la distinction entre ces deux aspects.
après un certain temps, ont fini par caractériser         Pour voir comment fonctionne une règle de base au
le groupe considéré. Toute organisation complexe          niveau des phénomènes, il faut se rapporter au
caractérisant une communauté constitue un sous-           comportement et à la situation dans laquelle
ensemble par rapport à la totalité des activités de       il s'inscrit. Une règle de base renvoie gé-
cette communauté. L'organisation a un rôle fonc-          néralement à des ensembles d'actes simples
tionnel à jouer dans la communauté, elle a, dirait        ou à des fractions de comportement ; le
Malinowski/1, une fin "statutaire". Certaines des         terme de structure renvoie à un ensemble complexe
fins vers lesquelles tendent l'ensemble des activités     de comportements constitués d'ensembles de règles.
seraient donc rattachées à cette fonction statutaire      On peut, à partir des règles, construire un modèle
de l'organisation intéressée.                             qui montre comment les membres du groupe orga-
    La culture d'une institution quelconque se com-       nisent leur expérience du point de vue de la percep-
pose d'une série incomplète de structures, série          tion, de la prévision, du jugement et de l'action.
trop limitée pour servir de système de principes          C'est ainsi que la culture de référence d'une culture
directeurs et de fonctions applicables à la totalité      scolaire est la culture dont l'école et tout son per-
de l'existence ou pour fournir les règles de base         sonnel tirent les règles de base, les normes de
concernant les activités qui englobent cette totalité.    comportement et les types de relation applicables
On peut supposer que les communautés ethniques            aux activités qui caractérisent l'école. Pour pré-
possèdent, elles, la série complète de ces struc-         ciser rapidement ce point, disons que cette culture
tures. Au cas ou la superstructure nationale ou           de référence fournit les normes qui permettent de
même la superstructure urbaine immédiate dispa-           décider ce qui est (les objets perçus et les concepts),
raîtrait, cette communauté pourrait, au prix de           ce qui peut être (les propositions et les croyances
quelques aménagements, continuer d'exister entant         par lesquelles expliquer les événements et conce-
qu'unité structurale et culturelle indépendante. Une      voir des modes d'action) ; et ce qu'il y a lieu de
enclave ou un quartier ethniques sont probablement        faire (les modes d'action à adopter à l'égard des
déjà moins à même de fonctionner avec cette auto-         êtres et des choses)/^.
nomie ; ils ne constituent donc pas une culture uni-         Jusqu'ici, notre réflexion s'est largement ap-
taire. Sil'onva plus loin encore sur l'axe indépen-       puyée sur des modèles, et nous nous sommes
dance-dépendance, on constate qu'une culture sco-
laire est parfaitement incapable de procurer les
activités, les modes opératoires, le personnel, etc.
indispensables à tous les aspects de l'existence. En         MALINOWSKI, Bronislaw. A scientific theory
ce sens, par conséquent, on peut dire que la culture         of culture, New York, Oxford University Press,
d'une école ne correspond qu'à un sous-ensemble              1944 ; nouvelle édition 1960. Traduction fran-
de l'ensemble constitué par la totalité des formes           çaise : Une théorie scientifique de la culture,
culturelles qui caractérisent une communauté.                François Maspero, 1968.
   Dans un cadre culturel complexe, tel qu'un Etat           Voir GOODENOUGH, Ward H. Coopération in
national ou un cadre urbain pluriculturel, plusieurs         Change. Russel Sage Foundation, New York,
ensembles d'activités peuvent théoriquement                  1963.

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