L'anthropologie et les sciences du langage au service du développement de Téducation - Unesco
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
L'anthropologie et les sciences du langage au service du développement de Téducation Unesco
French Edition ISBN 92-3-201095-X English Edition ISBN 92-3-101095-6 Spanish Edition ISBN 92-3-301095-3 Composé et imprimé dans les A teliers de l Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, 7, Place de Fontenoy - 75700 Paris, France ©Unesco 1973
Préface Le présent ouvrage rassemble des communications national portant sur la politique, la planification et présentées aux réunions de deux groupes consulta- l'enseignement linguistiques. tifs qui se sont tenues à l'Unesco, à Paris, du 21 Les auteurs des communications regroupées ici au 25 juin et du 19 au 23 juillet 1971, pour étudier étudient dans le détail certaines des questions les moyens d'améliorer, dans les Etats membres abordées lors de ces deux réunions et illustrent par de l'Unesco, la planification et l'exécution intégrées des exemples concrets des problèmes socio-culturels des programmes d'éducation. et linguistiques complexes qui se posent et les so- Un certain nombre de consultants de réputation lutions que l'anthropologie et la linguistique peuvent internationale, qui ont fait oeuvre de pionnier dans y apporter. leur spécialité, et qui ont acquis de l'expérience Nous espérons que ces communications donneront dans diverses régions du monde, ont été invités à au lecteur une vue plus claire et plus étendue de aider le Secrétariat de l'Unesco à mettre au point la nature des travaux de recherche et développe- un programme d'adaptation socio-culturelle et lin- ment entrepris par de nombreux spécialistes dans guistique du contenu et de la méthodologie de divers domaines et encourageront les échanges et l'enseignement. la collaboration avec des éducateurs du monde Les consultants qui participaient à la réunion entier. sur La contribution de l'anthropologie éducative et La présente publication s'adresse donc aux en- de la sociolinguistique au développement de l'édu- seignants, aux planificateurs et aux responsables cation, ont défini les domaines de l'anthropologie de l'éducation, ainsi qu'à tous ceux qui s'intéressent et de la sociolinguistique, analysé certaines de au rôle de l'éducation dans le développement natio- leurs applications actuelles à la planification et au nal. Il pourrait être utile de rapprocher le présent développement de l'éducation et proposé des mé- ouvrage des rapports des deux groupes consultatifs thodes nouvelles auxquelles ces deux disciplines mentionnés ci-dessus/1. peuvent servir de base. Les communications ci-après expriment l'opi- Au cours de la seconde réunion, sur Le rôle de nion des auteurs et non pas nécessairement celles la linguistique et de la sociolinguistique dans l'en- de l'Unesco. seignement lié au langage et dans la formulation d'une politique en matière de langues, les consul- tants ont traité de l'enseignement donné dans la langue maternelle et en plusieurs langues, sou- 1. On peut se procurer ces rapports en s'adressant lignant combien il importait d'étudier l'emploi etle au Département des programmes, structures et rôle des diverses langues dans chaque contexte méthodes d'éducation, Division des programmes culturel ; ils ont invité instamment les Etats à et structures, Unesco, Place de Fontenoy, donner priorité à l'établissement d'un programme 75700 Paris, France.
Table des matières INDRODUCTION 7 PREMIERE PARTIE : ANTHROPOLOGIE ET EDUCATION 9 1. "Vers un programme empirique d'enseignement sur l'homme" Frederick O. Gearing, Département d'anthropologie, State University of New York, Buffalo (Etats-Unis d'Amérique) 9 2. "La culture de l'école : Outil conceptuel de recherche et d'explication dans le domaine de l'éducation" Jacquetta Burnett, Université de l'Illinois (Etats-Unis d'Amérique) 14 3. "La comparaison entre cultures dans les recherches relatives à l'éducation des groupes minoritaires" John Singleton, Université de Pittsburgh (Etats-Unis d'Amérique) 19 4. "Programme visant à mettre au point un processus didactique d'observation directe et de raisonnement par induction pour le perfectionnement professionnel des enseignants et administrateurs de l'enseignement" Frederick O. Gearing et Frederick P. Frank 25 5. "Contribution de l'anthropologie éducative et de la sociolinguistique à l'éducation : Réflexions d'un planificateur de l'éducation" Gilda de Romero Brest, Instituto Torcuato di Telia, Buenos Aires (Argentine) 28 DEUXIEME PARTIE : LA LINGUISTIQUE ET LA SOCIOLINGUISTIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES ET LA POLITIQUE LINGUISTIQUE 31 6. "Linguistique et enseignement des langues : Problèmes et perspectives" Ayo Bamgbose, Département de linguistique et des langues nigérianes, Université d'Ibadan (Nigeria) 31 7. "La linguistique et la sociolinguistique dans leurs rapports avec l'enseignement des langues et la politique linguistique dans les Caraïbes anglophones" Dennis R. Craig, Département de l'éducation, University of the West Indies 35 8. "Quelques réflexions sur les programmes d'enseignement bilingue" G.R. Tucker et Alison d'Anglejan, McGill University (Canada) 41 9. "Stratégies verbales et plurilinguisme" John J. Gumperz, Université de la Californie, Berkeley (Etats-Unis d'Amérique) . 44
10. "Politique linguistique et principes d'une définition de l'utilité relative des langues" Professeur Y. D. Decheriev, Institut de recherches linguistiques, Académie des sciences de l'URSS, Moscou (URSS) 52 11. "Le choix d'une langue standard dans une série de dialectes" Dr Miklôs Hutterer, Université de Budapest (Hongrie) 55 12. "Une méthode de recherche multifactorielle à plusieurs niveaux appliquée à la sociologie du langage" Joshua A. Fishman, directeur de la Section de recherches linguistiques, Université hébraïque de Jérusalem (Israël) 57 13. "Vers un modèle général de planification linguistique" Anwar S. Dil, directeur du Groupe de recherches linguistiques du Pakistan . . 60
Introduction Partout, sous toutes les latitudes, l'éducation con- sociales. Aucun ne propose de panacée pour ré- naît crise sur crise et les éducateurs sont contraints soudre les problèmes complexes liés au rôle de de remettre en question bon nombre des hypothèses l'éducation dans le développement. Ils tentent de et des méthodes sur lesquelles ils croyaient pouvoir dégager des données scientifiques sur différents tabler ; réformer l'enseignement dans son contenu processus éducatifs en appliquant les résultats de comme dans ses méthodes, voilà, dans un monde leurs travaux à des programmes de réforme édu- en mutation, l'un des grands défis que nous réservent cative et de développement linguistique. les décennies avenir. Mais avons-nous conscience Les facteurs sociaux et culturels revêtent une dès à présent de la complexité de la tâche qui nous importance cruciale pour l'enseignement et l'ap- attend sur le plan social et culturel? Peut-être faut- prentissage des langues, comme pour le choix de il remettre en question les définitions selon les- la langue dans laquelle l'enseignement général doit quelles développer l'éducation, c'estatteindre cer- être donné. Les enseignants reconnaissent de plus tains objectifs d'ordre quantitatif ou économique. en plus souvent qu'il est impossible d'analyser à Nombreux sont les planificateurs de l'éducation, l'aide de la seule pédagogie les difficultés fondamen- dont certains ont une formation d'économiste, qui tales que soulève l'apprentissage d'une langue. Les appliquent des critères trop étroitement économiques langues ne sont pas confinées entre les quatre murs pour faire une place aux dimensions sociale, cultu- de la classe, et le succès ou l'échec dans l'acqui- relle et linguistique de l'éducation. sition'linguistique est souvent déterminé par le mi- Les organisations internationales, à qui il in- lieu social. combe de mettre à la disposition des pays en voie Il importe de renouveler la perspective dans la- de développement des conseillers, des bourses quelle nous envisageons les éternels problèmes d'études, des moyens de formation et du matériel fondamentaux : échecs scolaires et déperdition d'ef- d'enseignement, ont reconnu depuis longtemps la fectifs ; programmes d'études dépassés par la réa- nécessité d'apporter des réformes radicales à lité d'un monde en rapide évolution, surtout lors- l'éducation en général et à l'enseignement des qu'il s'agit de milieux multiculturels et multilingues ; langues en particulier. Malheureusement, la ma- méthodes et moyens d'instruction mal adaptés à nière dont elles définissent les problèmes à ré- l'objectif cherché ; formation initiale et recyclage soudre est souvent trop superficielle et bon nombre des maîtres perpétuant des pratiques de caractère d'efforts se sont soldés par des échecs onéreux. discriminatoire, etc. Il faut donc revoir le concept même d'avancement Consciente de ces problèmes, l'Unesco se pro- de l'éducation et poser des questions fondamen- pose, au titre d'un programme qui vise à mettre tales, comme : "la croissance - pourquoi faire ?", l'anthropologie et les sciences du langage au ser- "au profit de qui ?" et "par quels moyens ?". vice du développement de l'éducation (ALSED), de La seule croissance quantitative ne suffit pas stimuler, de coordonner et de faire connaître l'ac- et ne pourra jamais suffire ; une amélioration tion menée en faveur du développement linguistique d'ordre qualitatif est également indispensable. Or, par les experts en anthropologie éducative, les lin- il ne faut guère s'attendre à une amélioration sen- guistes, les sociolinguistes, les professeurs de sible tant que les facteurs socio-culturels et lin- langues et les spécialistes de la planification lin- guistiques n'auront pas été analysés et étudiés par guistique. L'ALSED, en ce sens qu'il montrera dans des experts compétents. quels domaines des solutions neuves s'imposent, Ces experts existent : anthropologues de l'édu- apportera un soutien intellectuel et matériel à l'ac- cation, linguistes, sociolinguistes, spécialistes de tion menée et facilitera les échanges d'informations l'enseignement des langues ou de la planification entre chercheurs, institutions et responsables des linguistique, et autres spécialistes des sciences politiques de l'éducation.
Ce programme prendra appui sur un réseau in- enseignants et des administrateurs de l'enseigne- ternational d'institutions et de spécialistes et son ment", ils décrivent une série de techniques tirées orientation et sa coordination seront assurées par de la méthodologie de la recherche ethnographique un Comité consultatif international composé de spé- dont les enseignants pourraient s'inspirer pour ob- cialistes nationaux expérimentés. Un Bulletin se- server et analyser le comportement de la classe mestriel fournira des indications sur le dernier de façon à aménager et à améliorer leurs méthodes état des recherches menées dans les contextes édu- pédagogiques.'Cette première partie s'achève avec catifs les plus divers ; un Répertoire international l'étude d'un spécialiste qui se trouve "de l'autre sera publié et distribué, ainsique d'autres publica- côté de la barrière" : dans sa communication, in- tions d'intérêt pratique portant sur les techniques titulée "Contribution de l'anthropologie éducative de recherche les plus récentes, des enquêtes réa- et delà sociolinguistique à l'éducation : Réflexions lisées sur des sujets tels que les options fondamen- d'un planificateur de l'éducation" Gilda de Romero tales de la planification et de la politique linguis- Brest donne une vue d'ensemble qui est celle d'un tiques, et une série de bibliographies analytiques. éducateur confirmé et demande des mesures Dans chaque pays, des chercheurs et des groupe- pratiques. ments seront appelés à exécuter des travaux de re- La deuxième partie du recueil, contient des com- cherche et développement sur l'adaptation des pro- munications sur la linguistique et la sociolinguis- grammes et des moyens d'enseignement, sur l'étude tique. Leurs auteurs insistent tous sur la nécessité comparative des processus éducatifs fondamentaux d'étudier l'emploi et le rôle des langues dans chaque dans plusieurs cultures, sur les aspects complexes contexte culturel et préconisent le recours aux mé- des situations multilingues, etc. Ces activités thodes les plus modernes de la recherche linguis- s'inspireront largement des conclusions formulées tique et sociologique ainsi que de la planification. par les deux groupes de consultants mentionnés Ayo Bamgbose s'appuie sur la longue expérience dans la préface. qu'il a acquise au Nigeria pour étudier "La linguis- La première partie du présent recueil contient tique et l'enseignement des langues : problèmes et des communications qui viennent s'ajouter aux tra- perspectives". Dennis Craig étudie les problèmes vaux de plus en plus nombreux sur l'anthropologie particuliers du créole dans une communication sur et l'éducation. Elle commence par une étude de "La linguistique et la sociolinguistique dans leurs Fred Gearing qui donne un aperçu du rôle de l'an- rapports avec l'enseignement des langues et la po- thropologue et de la place qui peut lui être faite à litique linguistique dans les Caraïbes anglophones" l'école ; un enseignement sur l'homme porterait etproposedes méthodes et des programmes d'ac- sur les données empiriques relatives aux origines tion remaniés à partir de la recherche linguistique. de l'homme, à l'évolution des cultures et aux élé- Dans "Quelques réflexions sur les programmes ments communs à toutes les cultures. Dans de nom- d'enseignement bilingue", G. Richard Tucker et breux pays, les éducateurs sont d'ores et déjà con- Alison d'Anglejan étudient l'infrastructure de la vaincus qu'un enseignement de ce genre est très recherche et les procédés d'évaluation indispen- utile et de nature à favoriser une meilleure com- sables aune rénovation fructueuse des programmes préhension internationale. Jacquetta Burnett montre d'enseignement bilingues. Dans son étude : "Stra- ensuite comme exploiter l'analyse ethnographique de tégies verbales et plurilinguisme", John Gumperz la communauté scolaire et de son milieu social analyse l'emploi de divers "codes" de telle ou telle et ethnique lorsqu'il y a enseignement et apprentis- autre langue. sage interculturels, dans une communication inti- Les questions de choix et de politique linguis- tulée "La culture de l'école : outil conceptuel de tiques dans une nation multilingue, ont marqué recherche et d'explication dans le domaine de l'édu- l'expérience soviétique, que Y. D. Decheriev dé- cation". Il existe de très nombreux modes et pro- crit dans une étude intitulée "Politique linguistique cessus différents de transmission culturelle, et principes d'une définition de l'utilité relative c'est-à-dire d'éducation, selon les cultures ; dans des langues". Dans une étude sur "Le choix d'une une étude intitulée "La comparaison entre cultures langue standard dans une série de dialectes", dans les recherches relatives à l'éducation des Miklds Hutterer précise les considérations qui groupes minoritaires", John Singleton rattache peuvent inspirer de tels choix dans les cas où les l'étude et la comparaison de ces processus aux dialectes sont nombreux - en Europe centrale par problèmes particuliers des groupes minoritaires, exemple. Joshua Fishman expose "Une méthode notamment aux objectifs et aux besoins éducatifs de recherche multifactorielle à plusieurs niveaux qui leur sont propres dans les systèmes scolaires appliquée à la sociologie du langage", et étudie dominés par d'autres groupes. Fred Gearing certaines tâches et utilisations fondamentales d'une et Frederick P. Frank expliquent comment, avec "sociologie appliquée au langage" en indiquant l'aide de moyens d'enseignement modernes, quelques grandes orientations de recherche. Enfin, l'ethnographie peut concourir à la formation des dans la dernière communication qui s'intitule "Vers maîtres. Dans leur article intitulé "Programme un modèle général de planification linguistique", visant à mettre au point un processus didactique Anwar S. Dil montre par des exemples à quelles d'observation directe et de raisonnement par induc- applications éventuelles se prête ce domaine nou- tion pour le perfectionnement professionnel des veau et important.
Première partie Anthropologie et éducation 1. VERS UN PROGRAMME EMPIRIQUE D'ENSEIGNEMENT SUR L'HOMME Frederick O. Gearing La structure du comportement quotidien est à bien un objectif très ambitieux qui ne peut être atteint des égards dictée par les diverses identités que tout qu'avec le concours des anthropologues. homme assume publiquement. Dans les sociétés ur- La tâche pédagogique qui revient à l'anthropolo- baines, ces identités reposent sur la classe, la "race", gie n'est pas théorique mais empirique ; il s'agit le groupe ethnique, l'âge, le sexe, la religion, la de veiller à ce que la réalité de l'Homme soit per- nationalité, etc. ; le plus souvent, l'homme agit en çue et bien comprise par les hommes. Pour la vertu de l'impulsion donnée àl'une ou l'autre de ces mener àbien, il faut intervenir à l'école. Les an- identités et la plupart des tensions psychologiques thropologues auront atteint leur but quand leurs et des maladies mentales sont les résultantes des élèves auront pris l'habitude de réagir devant un pressions contradictoires s'exerçant entre ces mul- comportement apparemment insolite en se disant : tiples identités. "il y a quelque chose que j'ignore, qu'est-ce que Parmi celles-ci, il en est une dont la faiblesse c'est ?". Le meilleur moyen d'atteindre ce but est estnotoire - l'identité d'homme, c'est-à-dire l'iden- de transformer le cours d'"études sociales", de tité de l'individu se voyant lui-même et tous les l'école maternelle à la fin du second degré, en un autres comme appartenant à une seule et même es- enseignement concerté sur l'homme, en un véri- pèce, homo sapiens. Que tout homme soit l'Homme, table "programme d'études sur l'humanité". Celui- est une vérité universellement admise, mais dans ci porterait sur le mode d'existence d'un grand le comportement cette identité-là paraît insigni- nombre d'êtres humains, choisis dans des milieux fiante, alors que les identités particulières ont un proches aussi bien que lointains, et représentant grand poids. Pourquoi ? C'est que les identités li- toute la gamme des traditions et des situations pos- mitées, qui sont plus fortes, juxtaposent des caté- sibles, et toutes les étapes delà vie humaine. De cette gories d'individus socialement définies et, de ce étude empirique se dégageraitle concept d'Homme. fait, sont ressenties comme "réelles", tandis que Les questions qui doivent constamment orienter l'identité universelle, l'appartenance à l'humanité, cet enseignement sont celles-ci : quel est l'élément ne crée aucune juxtaposition de ce genre et appa- humain commun à tous les hommes ? Comment tel raît donc irréelle en ce sens qu'elle n'est pas vécue ou tel individu, exprime-t-il, sous une forme dans l'expérience quotidienne. '( unique, cet élément commun d'humanité, quel qu'il De ce fait, la formule "tout homme est l'Homme" soit, à quelque moment que ce soit ? Ce sont là des est aujourd'hui à peu près aussi chargée de sens questions empiriques à traiter comme telles. Mais qu'une formule comme "les Nations Unies" ou "un il faut encore se poser celle-ci : Comment tel ou seul et même monde" ; en tant que concept, l'Homme tel individu insulte-t-il et fait-il échec, sous une est considéré comme entrant en concurrence, sur forme unique, à sa propre humanité ou à celle de le plan éthique, avec d'autres notions idéologiques son prochain ? abstraites telles que le nationalisme. Un enseignement sur l'humanité vise à une On voit bien alors où est le problème. Comment étude sans fioritures de cette entité qu'est faire de l'Homme une réalité vécue ? Autrement l'Homme. C'est, de surcroît, pour l'élève, un dit : comment peut-on inciter les hommes à consi- exercice de comparaison empirique. Pour appré- dérer simplement et empiriquement non pas seule- hender rhomo_sapien£, le plus facile consiste à re- ment des individus mais l'homo sapiens^ ? C'est là pérer dans son comportement ce qui le rapproche
et ce qui le différencie d'autres espèces - des pri- percevoir le caractère particulier des règles qui mates surtout - et de considérer tout particulière- l'intriguent et à reconnaître que les règles sont gé- ment l'apprentissage (notamment cette faculté que néralement établies par l'homme (il existe, à ce seul l'homme possède d'apprendre en se servant de sujet, un grand nombre d'histoires, de films etc. symboles). En comparant les sociétés humaines pertinents) ? entre elles, l'élève observera des individus qui lui L'étude d'autres domaines àl'aide d'un matériel sont culturellement étrangers et, notant les diffé- pédagogique analogue est également possible. Tou- rences, il se verra lui-même : je ne suis pas lui. tefois, l'établissement d'un programme d'enseigne- En outre, par un travail empirique, l'élève pourra ment, reste ici limité au minimum parce que la constater qu'un comportement apparemment inso- capacité d'émerveillement des enfants est relative- lite prend finalement pour lui un sens. Il découvrira ment non structurée. alors qu'il peut, par substitution, entrer d'une fa- Lorsqu'il s'agit d'établir un programme pour çon ou d'une autre dans l'expérience de ces étran- les classes intermédiaires et les classes supé- gers ; il s'identifiera - je suis lui simplement parce rieures, on serait malavisé de se contenter au dé- que je peux entrer dans son expérience. part d'un cadre général ; il faut une véritable base, C'est là un travail qui n'a rien à voir avec les un support, qui ne peut être fourni que par un en- généralisations abstraites sur la nature humaine. seignement existant. Il est très coûteux de mettre L'approche empirique exige une certaine aptitude au point un bon programme - il l'est bien moins à manier des concepts comme ceux d'espèce, de d'aménager et de compléter un bon enseignement déjà sélection naturelle, de symbole, de rôle, de cul- existant, et les dépenses peuvent alors être éche- ture, etc. lonnées ; créer de toutes pièces un bon programme Ce programme sur l'homme ne se prête pas aux prend du temps, tandis que les aménagements formes d'enseignement classiques. Ce n'est pas peuvent se faire à mesure que l'enseignement se qu'une pédagogie sera en soi meilleure qu'une poursuit ; dans ce domaine particulier, la mise au autre ;leproblème est plutôt de trouver la pédago- point d'un programme requiert le concours d'anthro- gie qui convient le mieux au but cherché - faire pologues et d'enseignants dotés de connaissances découvrir que "tout homme est l'Homme". Il faut théoriques particulières, alors qu'il n'y a rien à que tout élève et tout enseignant se reconnaisse lui- craindre d'un aménagement ou d'une extension même dans ce concept, et non qu'ily perçoive quel- parce qu'un bon programme constitue en soi un en- qu'un d'autre. Cela suppose une information abon- seignement pour les enseignants. dante diffusée par différents moyens, un fort cou- Le programme mis au point par l'Educational Dé- rant d'échange entre les élèves eux-mêmes, comme veloppement Centre de Cambridge (Massachusetts)/* entre ces derniers et l'enseignant, et des questions et intitulé "L'homme : programme d'études", empiriques bien conçues, appelant des réponses pose expressément la question essentielle : Quel nécessairement aussi diversifiées que la question : est l'élément humain commun à tous les hommes ? " "qui suis-je ? " L'élève est introduit dans une petite communauté Dans les classes primaires, le programme d'en- très différente de la sienne, celle des Esquimaux seignement sur l'humanité s'appuiera sur la faculté Netsilimint, à l'aide de films sans narration ac- d'émerveillement de l'enfant devant la diversité de compagnés de sons naturels. Le cours dure toute l'univers humain tel qu'il s'exprime dans les chan- une année, et débute par une série d'études compa- sons et les danses populaires, les contes, les rées du comportement animal, chez le saumon, la mythes et les belles images. L'ingénuité qui permet mouette, le babouin, mettant l'accent sur l'organi- àl'enfantdeprendre plaisir à écouter un conte tiré sation en bandes et les échanges vocaux chez les du folklore de populations très éloignées de lui, babouins ; vient ensuite l'étude de la vie des Es- comme si elles vivaient, tels les dinosaures, dans quimaux. Il s'agit essentiellement de faire saisir un univers coupé du temps et de l'espace, estun la nature de l'adaptation chez l'animal (au moyen atout précieux qui ne tarde pas à se perdre. Dans de la sélection naturelle) et chez l'homme (par la ce contexte, l'auteur du programme pourrait se culture, elle-même rendue possible parle langage). poser les trois questions fondamentales suivantes : Les éléments d'information qui sont communiqués 1. Qu'est-ce qui intrigue beaucoup d'enfants aux élèves sont très nourris, évocateurs, attachants, pendant la scolarité primaire (par exemple, les présentés àl'aide de supports judicieusement choisis, règles et la perception de la nature de celles-ci) ? et des "jeux stratégiques" (une chasse au caribou, 2. Etant donné ces questions que se pose l'en- une chasse au phoque) aident l'élève à saisir de fant, quelles sont les études du comportement ani- l'intérieur les manoeuvres du chasseur esqui- mal qui pourraient, par comparaison, l'aider à mau, tel qu'il est formé par sa culture, lors- comprendre (par exemple, les querelles de rats qu'il se livre à ces activités indispensables à sa blancs dans une cage, la hiérarchie du becquetage survie. Iln'est pas nécessaire qu'un tel programme chez les oiseaux de basse-cour, la hiérarchie dans remplace des programmes existants. Il suffira au une bande de babouins, phénomène qu'il est possible de lui faire connaître par le film, notamment) ? 3. Quelles sont les études du comportement hu- 1. Avec le concours financier de la National main qui, par comparaison, aideraient l'enfant à Science Foundation. 10
besoin de les aménager, ce qui permettra d'inté- du système. Le nombre minimum d'agents de trans- grer à ces niveaux des cours qui sans cela demeu- formation correspond à un microcosme représenta- reraient disparates. tif de tous les grands secteurs : les élèves, les ensei- Dans le cadre de son "Anthropology Curriculum gnants, l'administration, les parents, la commission Study Project" (Projet visant à la mise au ooint de scolaire. Ce microcosme doit être structuré de telle programmes d'études anthropologiques), l'American sorte que chacun de ses éléments renforce le com- Anthropological Association, a établi un programme portement des autres; et c'est le secteur qui exerce de cours intitulé Patterns in Human History (Thèmes le pouvoir et l'influence la plus étendue sur les de l'histoire de l'homme), qui est destiné aux autres qui doit occuper la position centrale. En classes du second degré. Là aussi, il s'agit d'étu- l'occurrence, dans un établissement scolaire, ce dier analytiquement toute une gamme de sociétés sont les élèves. qui ont été choisies pour les contrastes qu'elles Dans ce contexte, il s'agit non seulement de présentent. Les élèves suivent l'évolution biolo- transformer certains modes de comportement, gique et culturelle de l'homme, depuis les âges les mais aussi de faire passer dans ces derniers le plus reculés et apprennent à manier le concept de sentiment concret de l'humain. Est-ce possible ? rôle, qui est le principal instrument d'analyse uti- Et comment ? Pour le savoir, il faut mener des lisé. L'étude comparative de certaines sociétés recherches actives sur trois fronts. met en lumière le profil général de l'histoire hu- Dans une classe, les acteurs - c'est-à-dire les maine, ses moments critiques et la variété des enseignants et les élèves - savent tous depuis leur types culturels contemporains à laquelle elle a plus jeune âge que grand égale fort, égale expéri- abouti. Le programme s'achève avec le problème menté, et que petit égale le contraire. Cette équa- du "développement économique", vu dans la pers- tion contribue à former et à renforcer l'image po- pective du paysan. Là encore, ce programme per- pulaire du maître et de l'élève respectivement con- met l'aménagement et au besoin l'enseignement si- sidérés comme le transmetteur et le récepteur de multané déprogrammes d'études sociales existants, l'information. Ces images populaires sont en grande et il facilite l'intégration de cours qui, autrement, partie implicites et ne correspondent que de très demeureraient disparates. loin au discours des milieux professionnels sur Il reste encore aux anthropologues à participer l'enseignement, mais il ne fait pas de doute que à la formation des enseignants. Si, de leur côté, ces images agissent fortement sur les comporte- les établissements se dirigent peu à peu, en tâton- ments en dépit de diverses réformes de la profes- nant, vers un programme d'enseignement sur sion enseignante et de certaines rébellions appa- l'homme, l'organisation pratique de cet enseigne- rentes des élèves. ment effraie le personnel scolaire. On pourrait donc Comme on l'a vu plus haut, l'enseignement sur envisager, pendant l'année scolaire, des séances l'homme ne peut, étant donné son caractère très par- hebdomadaires d'initiation pour les maîtres en exer- ticulier, se faire sous une forme didactique mais cice, suivies, pendant l'été, d'un stage d'une quin- doit mettre les élèves à même de découvrir les zaine de jours ; ce serait là un programme de for- faits. Toutefois, les images populaires du maître mation suffisant. Les anthropologues ne devront et de l'élève s'imposent au point que la plupart des pas négliger le fait que les enseignants peuvent exé- enseignants tendent à faire des cours ex cathedra ; cuter certaines tâches dès le début, mais ils ne Les élèves trouvent cette façon de procéder nor- doivent pas non plus en faire des "anthropologues male" et, de ce fait, l'encouragent. On peut donc subalternes". être à peu près sûr qu'au bout d'un certain temps, L'adoption de ce programme d'enseignement sur l'objet fondamental d'un programme d'enseignement l'homme entraînera de profondes modifications sur l'homme aura été dénaturé. d'ordre institutionnel à l'intérieur des établisse- La question se pose alors de savoir par quels ments. Nous laisserons de côté les classes pri- moyens les enseignants et les élèves pourraient maires pour envisager des réformes qui ne sont établir entre eux, en classe, des relations d'un plausibles que dans l'enseignement intermédiaire type radicalement nouveau. On pourrait répondre et secondaire. L'étude des transformations institu- qu'en premier lieu, l'enseignant devrait bénéficier tionnelles en général et des transformations de l'en- d'une formation particulière qu'il acquerrait lui- seignement en particulier montre que, dans un cadre même en observant et en analysant le comportement institutionnel organisé, les comportements cons- de sa classe selon une méthode précise et bien struc- tants des acteurs sont inextricablement liés l'un à turée. Il existe heureusement aujourd'hui des ins- l'autre et renforcés par certains systèmes de sanc- truments qui rendent cette autoformation possible. tions, tout aussi inextricables et généralement im- Pour des raisons qui se conçoivent aisément, l'en- plicites. Quand on cherche à modifier le comporte- seignant doit avoir la possibilité de se former ainsi ment dans un tel cadre, il n'est pas possible d'ex- tout seul, dans le secret de son Cabinet. 11 dispose traire quelques éléments d'un secteur particulier, actuellement d'un excellent instrument d'autoforma- pour les modifier, puis les remettre en place, et tion, mis au point par Théodore W. Parsons, le compter qu'ils transforment l'ensemble ; en fait, "Guided Self-Analysis System for Professional ces éléments modifiés retrouveront leur forme ini- Development : Teaching for Inquiry" (Comment tiale, faute de quoi ils se trouveront isolés ou rejetés analyser sa performance professionnelle pour 11
l'améliorer : apprendre à chercher)/1 que 2. 000 en- empirique une réalité vécue. Cette identité doit seignants environ mettent actuellement à l'essai, à ensuite renforcer le comportement quotidien en tous les niveaux, y compris celui des "community transformant sans les supplanter d'autres identités collèges" (établissements d'enseignement propédeu- particulières. L'évaluation de l'identité universelle tique). Il s'agit d'un enregistrement magnétosco- ne doit pas, en principe, poser de gros problèmes pique, de vingt minutes sur un aspect du compor- de recherche : la psychologie sociale dispose d'ins- tement d'une classe, et d'un cadre programmé pour truments permettant de mesurer l'absence ou le une série de projections. Pour chacune d'entre degré de présence de cette identité universelle elles, l'enseignant exécute une seule tâche de codage, avant, pendant et après le cours. Mais il est plus axée très précisément sur un aspect particulier du difficile d'évaluer le pouvoir de l'identité univer- comportement présenté. A la suite de chaque pro- selle sur le comportement. Il faut alors observer jection, l'enseignant fait une analyse programmée systématiquement comment les élèves agissent les des résultats. Commeles projections s'enchaînent uns vis-à-vis des autres. Onpeut, à cette fin, en- en séquence, ces analyses sont cumulatives, et, à courager les élèves qui suivent cet enseignement la fin du cours constituent une analyse globale ex- à essayer, lorsque l'année est déjà très avancée, trêmement riche et nuancée qui rend parfaitement de "rendre le cours plus proche de la réalité vécue", compte de la complexité de la réalité vécue dans la compte tenu des facteurs sociaux, "raciaux", etc. classe elle-même. La série en question se compose particuliers à leur école et à leur communauté. de six projections portant sur certains types de Les élèves pourraient, par exemple, refaire le questions posées par l'enseignant et de certaines cours à l'intention des élèves de l'année suivante. de ses réactions devant les élèves, sur ses habi- Les adultes, de leur côté, devraient être prêts à tudes d'expression orale et sur les niveaux de la fournir, "du jour au lendemain", les données, les réflexion cognitive enseignant-enseigne. 1_,e désir indications ou les matériaux demandés par les de modifier son enseignement apparaît dès lors qu'en élèves. Il faudra bien entendu, vérifier qu'au bout s'observantl'enseignant constate un écart entre ce de plusieurs "générations" d'élèves, le programme qu'il souhaitait faire en classe et ce qu'il a réelle- d'enseignement ne se sera pas écarté de son objet ment fait. L'enseignant répétera l'opération de central, qui est le fait humain empirique. temps à autre, et pourra suivre ainsi l'évolution Pour que ce processus de transformation globale de son comportement. Sur le plan pratique, ce sys- soit politiquement viable, il faut lui associer tème n'exige qu'un apprentissage assez bref (4 à d'autres éléments du système ; par exemple, les 5 heures), du matériel vidéo-portatif, et une heure parents, les administrateurs et les membres de environ pour chaque séance de codage et d'analyse. la commission scolaire compétente, pourraient Il n'y aurait pas grand chose à faire ni de compli- être invités à assister à ces séances d'établisse- cations pratiques à craindre pour l'aménager de ment du programme et à y participer (sur l'initia- manière que les élèves observent et analysent eux- tive des élèves) ; les élèves pourraient être appelés, mêmes leur comportement. àla fin de leurs travaux, àprésenter et à "défendre" Dans les cours d1 "études sociales", comme dans leur programme sous une forme plus systématique. la société en général, la perception et la discussion L'application du projet ci-dessus, permettra dépendent des rôles que les enseignants et les élèves certainement de recueillir un grand nombre d'indi- s'attribuent à eux-mêmes et les uns aux autres. cations d'ordre ethnographique sur ces institutions Comme dans la société en général, ce sont les rôles clés de nos sociétés que sont les écoles et, par particuliers, plus que l'identité universelle, qui extension, sur toutes les institutions du même déterminent la matière de la réflexion et de la ordre, jusque sur le plan international. Mais plus discussion. fondamentalement encore, il paraît évident que ce Puisque l'objet même d'un programme d'ensei- qui est en cause, c'est la notion de culture conve- gnement sur l'homme est dénaturé s'il ne s'établit nant à des sociétés très vastes. Pour certains, pas de relations nouvelles entre l'enseignant et toute culture ou sous-culture est le résultat momen- l'élève, il faut adapter les méthodes de l'observa- tané d'un mouvement ininterrompu d'opérations. tion de soi. Au moyen de toute une série de projec- Selon la formule de Parsons/2 qui s'inspire beau- tions, de codages et d'analyses programmées cu- coup des travaux de Wallace, de Festinger/3 et mulatives, les enseignants devraient mettre au point des séances permettant de répartir les rôles attribués pendant la discussion en classe selon cer- 1. T.W. Parsons "Psychocultural Déterminants tains types définis : "les autres", "nous dans notre of Teaching Behaviour", (Facteurs psychocul- identité particulière",, "nous dans notre identité turels déterminants du comportement de l'en- universelle". seignant), inProceedings, National Conférence Pour que ce programme d'enseignement sur on Anthropology and Education, publié sous la l'homme atteigne son but, il faut que les élèves direction de F. Gearing, University Microfilms, puissent d'abord appréhender les codes culturels 1971. de populations qui leur sont étrangères, se recon- 2. T.W. Parsons, Op. cit. naître dans ces populations et avoir ainsi une per- 3. L. Festinger, A Theory of Cognitive Dissonance, ception concrète de l'Homme, en faisant du fait Row, Peterson, 1957. 12
d'autres, les individus se construisent leur laby- comment ces processus culturels fonctionnent, rinthe personnel, en assignant certains rôles aux et d'essayer de modifier et d'infléchir le fonction- autres et à eux-mêmes ; c'est ce que Parsons ap- nement de cette équation du moi et d'autrui. pelle l'équation du moi et d'autrui. De plus, ces Tout cet ensemble - les fondements empiriques individus, essentiellement sous l'impulsion de la solides dus aux deux cours dont nous avons parlé, dissonance cognitive, s'efforcent constamment l'auto-observation du comportement dans la classe, d'établir un rapport avec certains autres qu'ils ont l'aménagement permanent du programme par les choisis, en s'efforçant de réaliser une certaine élèves, l'accent mis constamment sur l'Homme en concordance entre ces labyrinthes personnels ; le tantquefait empirique, plus les effets positifs en- résultat, incomplet et imparfait, obtenu à un mo- registrés sur les "moi" organisés des élèves - cons- ment donné, constitue leur culture. titue le programme d'enseignement empirique sur La recherche envisagée icipermet de déterminer l'Homme. 13
•2. LA CULTURE DE L'ECOLE : OUTIL CONCEPTUEL DE RECHERCHE ET D'EXPLICATION DANS LE DOMAINE DE L'EDUCATION Jacquetta H. Burnett Les cultures scolaires ne sont qu'un cas particu- constituer l'ensemble culturel dont l'école, sur lier de la culture des institutions organisées. Le le plan local, constituera un sous-ensemble. C'est concept est particulièrement utile pour le type d'ins- ce que nous appellerons la culture de référence titutions dites "organisations complexes". La notion de l'école. de culture scolaire découle de l'idée qu'un ca'dre La notion de culture de référence implique un organisationnel type se compose d'un ensemble de concept de culture qui non seulement englobe les structures culturelles autour desquelles s'articulent activités dont nous avons parlé plus haut, mais les activités qui caractérisent l'organisation en aussi fait valoir l'importance des règles de base question. Toutefois, il faut se garder de confondre qui récapitulent ces activités en éléments ordonnés. la culture d'une école avec celle d'une tribu, d'un La culture revêt alors deux aspects fondamentaux groupe ethnique, d'une communauté, voire peut-être - l'aspect symbolique, correspondant à des règles d'une classe sociale. et à des normes, et l'aspect concret, celui du com- Pour être plus précis, s'il s'agit de définir une portement, qui se manifeste sous la forme d'actes, communauté par ses activités, il convient d'envisa- de sentiments, d'interactions et d'éléments maté- ger l'ensemble des activités indispensables à la riels, tous situés dans l'espace et dans le temps. survie du groupe social dans son milieu et à l'ex- A"ux fins delà description scientifique, il est essen- pression du style et du mode de vie particuliers qui, tiel de faire la distinction entre ces deux aspects. après un certain temps, ont fini par caractériser Pour voir comment fonctionne une règle de base au le groupe considéré. Toute organisation complexe niveau des phénomènes, il faut se rapporter au caractérisant une communauté constitue un sous- comportement et à la situation dans laquelle ensemble par rapport à la totalité des activités de il s'inscrit. Une règle de base renvoie gé- cette communauté. L'organisation a un rôle fonc- néralement à des ensembles d'actes simples tionnel à jouer dans la communauté, elle a, dirait ou à des fractions de comportement ; le Malinowski/1, une fin "statutaire". Certaines des terme de structure renvoie à un ensemble complexe fins vers lesquelles tendent l'ensemble des activités de comportements constitués d'ensembles de règles. seraient donc rattachées à cette fonction statutaire On peut, à partir des règles, construire un modèle de l'organisation intéressée. qui montre comment les membres du groupe orga- La culture d'une institution quelconque se com- nisent leur expérience du point de vue de la percep- pose d'une série incomplète de structures, série tion, de la prévision, du jugement et de l'action. trop limitée pour servir de système de principes C'est ainsi que la culture de référence d'une culture directeurs et de fonctions applicables à la totalité scolaire est la culture dont l'école et tout son per- de l'existence ou pour fournir les règles de base sonnel tirent les règles de base, les normes de concernant les activités qui englobent cette totalité. comportement et les types de relation applicables On peut supposer que les communautés ethniques aux activités qui caractérisent l'école. Pour pré- possèdent, elles, la série complète de ces struc- ciser rapidement ce point, disons que cette culture tures. Au cas ou la superstructure nationale ou de référence fournit les normes qui permettent de même la superstructure urbaine immédiate dispa- décider ce qui est (les objets perçus et les concepts), raîtrait, cette communauté pourrait, au prix de ce qui peut être (les propositions et les croyances quelques aménagements, continuer d'exister entant par lesquelles expliquer les événements et conce- qu'unité structurale et culturelle indépendante. Une voir des modes d'action) ; et ce qu'il y a lieu de enclave ou un quartier ethniques sont probablement faire (les modes d'action à adopter à l'égard des déjà moins à même de fonctionner avec cette auto- êtres et des choses)/^. nomie ; ils ne constituent donc pas une culture uni- Jusqu'ici, notre réflexion s'est largement ap- taire. Sil'onva plus loin encore sur l'axe indépen- puyée sur des modèles, et nous nous sommes dance-dépendance, on constate qu'une culture sco- laire est parfaitement incapable de procurer les activités, les modes opératoires, le personnel, etc. indispensables à tous les aspects de l'existence. En MALINOWSKI, Bronislaw. A scientific theory ce sens, par conséquent, on peut dire que la culture of culture, New York, Oxford University Press, d'une école ne correspond qu'à un sous-ensemble 1944 ; nouvelle édition 1960. Traduction fran- de l'ensemble constitué par la totalité des formes çaise : Une théorie scientifique de la culture, culturelles qui caractérisent une communauté. François Maspero, 1968. Dans un cadre culturel complexe, tel qu'un Etat Voir GOODENOUGH, Ward H. Coopération in national ou un cadre urbain pluriculturel, plusieurs Change. Russel Sage Foundation, New York, ensembles d'activités peuvent théoriquement 1963. 14
Vous pouvez aussi lire