LES LANGUES DE POLYNESIE FRANCAISE ET LA CONSTITUTION: LIBERTE, EGALITE, IDENTITE

 
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LES LANGUES DE POLYNESIE
FRANCAISE ET LA CONSTITUTION:
LIBERTE, EGALITE, IDENTITE
Marc Debène*

The languages in use in French Polynesia alongside French are a matter of
cultural and current political concern. For France it is a constitutional issue.
Professor Debène provides the background to, and a close analysis of, the issue.
Given the daily use of Tahitian languages with French in French Polynesia, one
solution to these concerns is to do nothing. Another solution – the one here
proposed – is to amend art 74 of the French Constitution to provide specifically for
the use in overseas countries of both French and other languages. This would
guarantee language freedom and well-organised local language education.
Les lois organiques de 1996 et de 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie
française précisent le caractère officiel de la langue française avant de définir la
« langue tahitienne » comme « un élément fondamental de l'identité culturelle » et
ajoute que « le français, le tahitien, le marquisien, le paumutou et le
mangarévien sont les langues de la Polynésie française ». Pour préciser le champ
de l'officialité de la langue française ou le statut de l'enseignement des langues
polynésiennes, le Conseil constitutionnel comme le juge administratif se référent
aux principes constitutionnels de liberté et d'égalité et tiennent compte de diverses
contraintes pour interpréter la loi organique et pour préciser la portée juridique de
ses propositions. L'analyse des décisions peut révéler la stratégie du juge,
compréhensive pour les usages, rigide pour l'enseignement. Sur ce constat, l'auteur
s'attache à déterminer comment les solutions ainsi dégagées sont reçues en
Polynésie Française et quelle stratégie les acteurs locaux peuvent concevoir pour
entrevoir une évolution.

*   Professeur à l'Université de Polynésie française "Gouvernance et développement insulaire", EA
    4240.
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      I      INTRODUCTION
          En 1946, un député élu outre-mer pour siéger à l'Assemblée nationale
      constituante, Léopold Sedar Senghor, propose d'inscrire dans le projet de
      Constitution alors en débat "le droit à l'épanouissement et à l'indépendance de leur
      langue et de leur culture par les peuples d'outre mer".1 L'amendement n'ayant pas
      été retenu, la Constitution, comme toutes ses devancières, ne fera aucune mention
      de la langue qu'elle soit française ou ultra-marine. La question relevait
      traditionnellement de la loi ou du règlement, de l'ordonnance de Villers-Cotterêts
      de 1539 aux décrets de la Révolution.2 Tout au plus, l'étude du droit constitutionnel
      permettait-il de rappeler le projet unitaire des révolutionnaires fondé sur une langue
      commune et amenait à se demander si le choix de cet élément objectif était bien
      compatible avec la conception française de la nation reposant sur la volonté de
      vivre ensemble. En pratique, la langue française, langue du Roi puis de la
      République, devint celle de tous les français. En métropole, sous l'action conjuguée
      des hussards noirs de la République (mais aussi des "bons maîtres", tels les frères
      de Ploërmel) et de la conscription (sans oublier la fraternité des tranchées), les
      patois, dialectes ou langues réunis sous la rubrique peu valorisante de "parlers
      locaux" furent réduits à un niveau tel que l'on pût croire à leur disparition. Outre-
      mer, la langue coloniale porteuse de la "mission civilisatrice de la France" se heurta
      à des résistances fondées sur une "conscience identitaire"3 peut-être plus forte.
      Ainsi, dans les îles qui seront réunies sous le nom d'Etablissements français
      d'Océanie puis de Polynésie française, l'arrivée de l'Evangile, rapidement traduit en
      langue vernaculaire, puis l'administration française n'empêcheront pas les
      communautés de continuer à vivre en langue tahitienne, marquisienne, pa'umotou
      et mangarévienne. 4 Comme en Bretagne, l'école française n'hésita pourtant pas à
      stigmatiser les élèves qui continuaient à utiliser leur langue en les marquant ici d'un

      1   Assemblée Nationale Constituante élue le 21 octobre 1945 Compte rendu analytique des débats
          (1945) 462, cité par Véronique Bertile Langues régionales ou minoritaires et Constitution.
          France, Espagne et Italie (Bruylant, Bruxelles, 2008) no 148.
      2   Voir en général Jean-Marie Pontier Droit de la langue française (Dalloz, Paris, 1997).
      3   Marie-Noëlle Capogna "L'espace de la langue tahitienne au temps de la colonisation" in Serge
          Dunis (dir) Le Grand Océan. Le temps et l'espace du Pacifique (Georg Editeur, Genève, 2003)
          347.
      4   Les langues citées reprennent l'énumération des langues qui avec le français sont considérées
          comme "langues de Polynésie" par l'art 57 al 3 de la loi organique no 2004-192 du 27 février
          2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française [Loi organique no 2004-192 du 27
          février 2004]. On considérera qu'à l'exclusion du français, elles constituent les "langues
          polynésiennes" ou "Reo Maohi".
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sabot, là d'un coquillage. 5 La méfiance administrative assimila les publications en
langue locale à celles en langue étrangère en leur imposant une autorisation
préalable peu compatible avec le régime républicain de la liberté de la presse. 6
Mais la pratique familiale et l'école du dimanche permirent de conserver et de
transmettre les mots et les codes perçus comme autant de richesses.
    Dans le silence constitutionnel, le gouvernement de la Polynésie française put
proclamer en 1980 la "co-officialité". L'article premier d'une décision signée par le
haut commissaire de la République et le vice-président Francis Sandford dispose en
effet que "[l]a langue tahitienne est conjointement avec la langue française, langue
officielle du territoire de la Polynésie française", 7 la première étant toutefois
reconnue comme "langue du droit"puisque "[d]ans les actes juridiques, la langue
française fait foi". 8 L'idée était de mettre un terme à la diglossie coloniale, à
l'ignorance de la langue tahitienne par l'administration et par l'école. L'assemblée
territoriale avait déjà créé en 1972 l'Académie tahitienne. La loi Deixonne du 11
janvier 1951 qui permit une timide réapparition des "parlers locaux" dans
l'enseignement primaire9 ne sera étendue à la Polynésie que trente ans après, en
1981. Ainsi, l'enseignement du reo maohi (entendu comme l'ensemble des langues
polynésiennes parlées sur le territoire de la Polynésie française) n'est-il
officiellement introduit dans l'enseignement élémentaire et préélémentaire qu'en
1982.10 Comme dans les territoires d'outre-mer ayant accédé à l'indépendance dans
les années soixante, la formule consistait à reconnaitre l'utilité et l'importance de la
langue française, langue de communication permettant d'accéder aux ressources
nationales, et encore pour un temps internationales, tout en affirmant la dignité des
langues locales, ailleurs qualifiées de "langues nationales".11 Dans le cadre de la

5   Voir en général Louise Peltzer "Le tahitien, langue régionale de France?" in Paul de Dekker et
    Jean-Yves Faberon (dirs) L'Etat pluriculturel et les droits aux différences (Bruylant, Bruxelles,
    2003) 203-214; Bruno Saura Tahiti Ma'ohi, culture, identité, religion et nationalisme en
    Polynésie française (Au vent des îles, Papeete, 2008).
6   Voir Jean-Marc Régnault "Petite histoire de la citoyenneté dans les EFO et la Polynésie française:
    Depuis 1945" Tahiti-Pacifique Magazine (Tahiti, no 235, novembre 2010) 24, 24–27.
7   Décision no 2036 VP du 28 novembre 1980 donnant à la langue tahitienne qualité de langue
    officielle du territoire de la Polynésie française [1980] Journal officiel de la Republique francaise
    [JORF] 1270, art 1.
8   Ibid, art 2. Voir également G Sem Introduction au statut juridique de la Polynésie française
    (DDOM, Papeete, 1996) 171.
9   Loi 51-46 du 11 janvier 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux.
10 Décision du Conseil de gouvernement no 21 SE du 20 octobre 1982.

11 Ainsi, la Constitution de la République du Sénégal de 2001 précise dans son article 1 que "[l]a
    langue officielle de la République du Sénégal est le Français" et ajoute un alinéa 2: "[l]es langues
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      République, on pouvait se demander si la décision ainsi prise ne relevait pas plutôt
      de la compétence du Parlement après consultation de l'Assemblée territoriale au
      titre de l'"organisation particulière" et des "intérêts propres" du territoire (tel
      qu'indiqué dans la rédaction initiale de l'article 73). La formule polynésienne
      alimentera d'autres revendications, notamment celle de la jeunesse corse luttant
      pour la reconnaissance de sa "langue nationale". Le droit constitutionnel comparé
      pouvait en outre être convoqué. Dans nombre d'Etats européens, fédéraux comme
      la Suisse ou la Belgique ou régionalisés comme l'Italie ou l'Espagne, la
      Constitution déclare plusieurs langues officielles. Ainsi, en Espagne, l'article 3 de
      la Constitution de 1978 indique que si "le castillan est la langue officielle de l'Etat.
      … Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser", les
      autres langues espagnoles "peuvent être officielles dans les communautés
      autonomes", "la richesse de la diversité linguistique de l'Espagne [étant] un
      patrimoine culturel qui fait l'objet d'un respect et d'une protection spéciale". 12
      Ailleurs, la Constitution peut combiner le bilinguisme officiel et la reconnaissance
      des droits linguistiques des peuples autochtones (Canada) ou instituer un système
      permettant de reconnaître neuf (Afrique du Sud) ou onze (Inde) langues officielles.
      La Constitution garantit ainsi aux citoyens le droit d'utiliser leur langue dans la vie
      publique comme dans la vie privée. La loi du 6 septembre 1984 portant statut du
      territoire de la Polynésie française introduit seulement au titre de l'identité
      culturelle un article sur l'enseignement du tahitien et des autres langues
      polynésiennes.13 Le Conseil constitutionnel ne fit alors ni objection ni réserve,
      laissant l'école polynésienne envisager de donner à tous ses élèves les bases
      linguistiques et culturelles nécessaires pour vivre dans la société polynésienne. 14 La
      "co-officialité" était admise.
         En 1992, l'irruption de la langue dans la Constitution va remettre en cause le
      choix du gouvernement polynésien. L'article 2 est complété par une phrase courte
      dont on a pu se demander si elle ne relevait pas plus de l'évidence que de la norme:

          nationales sont le Diola, le Malinké, le Pular, le Sérère, le Soninké, le Wolof et tout autre langue
          nationale qui sera codifiée". De manière générale, voir Nazam Halaoui "L'identification des
          langues dans les constitutions africaines" [2001] RFDC 31-53.
      12 Voir Bertile, précité n 1.

      13 Loi no 84-820 du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Polynésie française, art 90.
      14 Voir en général Conseil constitutionnel, décision no 84-177 DC du 30 août 1977, Loi relative au
          statut du territoire de la Polynésie française, et notamment son article 10 [Décision no 84-177
          DC du 30 août 1977].
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"[l]a langue de la République est le français".15 C'est à l'occasion du débat
parlementaire sur la ratification du Traité de Maastricht, perçu par certains comme
une menace pour l'identité nationale, qu'un amendement est introduit par Alain
Lamassoure à l'Assemblée nationale. 16 Stratégiquement, la révision était conçue
pour résister à la montée de l'anglais en Europe. Elle se situait dans la logique de la
loi Bas-Lauriol du 31 décembre 1975 rendant obligatoire l'emploi de la langue
française en matière commerciale. 17 Un député proposa en vain de compléter le
nouvel alinéa par la mention "dans le respect des langues régionales". La précision
aurait été utile; en effet, loin de constituer un simple constat, le nouvel alinéa de
l'article 2 impose une obligation dont l'efficacité sera limitée pour contrebalancer
l'influence de l'anglais mais bien réelle pour entraver le développement, parfois
même la renaissance, des diverses langues parlées par les ressortissants français sur
le territoire de la République. Pour les désigner, on utilise désormais le terme de
langues, distinguant avec Bernard Cerquiglini les langues régionales de France
métropolitaine, les langues non territorialisées et les langues d'outre-mer.18 Plus
tard, la loi Toubon du 4 août 1994 qui précise dans son article premier que le
français est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services
publics ajoutera que ses dispositions s'appliquent "sans préjudice de la législation et
de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s'opposent pas
à leur usage". 19 Le nouvel état du droit constitutionnel constituera un obstacle
dirimant à la ratification de la Charte des langues régionales ou minoritaires
élaborées en 1992 sous l'égide du Conseil de l'Europe.20 En mai 1999, malgré un
avis défavorable du Conseil d'Etat,21 estimant contraire à la Constitution le droit

15 Loi constitutionnelle no 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre: "Des
   Communautés européennes et de l'Union européenne", art 1.
16 Commentaire René Chiroux in François Luchaire, Gérard Conac et Xavier Prétot (dir) La
    Constitution de la République française. Analyses et commentaires (3ème éd, Economica, Paris,
    2009).
17 Loi no 75-1349 du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue française, abrogée par la loi
    no 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française [Loi no 94-665 du 4 août
    1994].
18 Voir en général Bernard Cerquiglini (dir) Les langues de France (PUF, Paris, 2003).

19 Loi no 94-665 du 4 août 1994, précité n 17, art 21. Voir Conseil constitutionnel, décision no 94-
    345 DC du 29 juillet 1994, Loi relative à l'emploi de la langue francaise [Décision no 94-345 du
    29 juillet 1994].
20 Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (adoptée le 5 novembre 1992, entrée en
    vigueur le 1er mars 1998).
21 Conseil d'Etat, avis du 6 juillet 1995, Convention cadre pour la protection des minorités
    nationales, no 357466 [Conseil d'Etat, avis du 6 juillet 1995].
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      d'utiliser des langues minoritaires dans les relations avec les autorités
      administratives, le gouvernement de Lionel Jospin, s'appuyant sur un rapport
      parlementaire22 et la consultation d'un universitaire,23 avait toutefois pu signer cette
      Charte dont le préambule qualifie d'imprescriptible "le droit de pratiquer une
      langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique", chaque Etat devant
      s'engager à adopter une série de 35 mesures significatives sur les 98 énumérées.
      Saisi par le Président de la République sur la base de l'article 54 de la Constitution,
      le Conseil constitutionnel décide qu'elle ne peut être ratifiée sans modification
      préalable de la Constitution, notamment parce qu'en conférant des droits
      spécifiques à des "groupes" de locuteurs de langues régionales ou minoritaires elle
      porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République,
      d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français.24
          Entre temps, la loi organique du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la
      Polynésie française avait tiré les conséquences de la révision constitutionnelle dans
      une nouvelle rédaction des articles consacrés à l'identité culturelle. 25 Alors que
      l'Assemblée territoriale consultée avait proposé de reconduire la "co-officialité", le
      titre s'ouvre par la mention "[l]e français étant la langue officielle" et se poursuit
      par une formule dont on ne sait si le plus surprenant tient à sa banalité ou à la
      condescendance du propos: "… les langues polynésiennes peuvent être utilisées". 26
      En 2004, une nouvelle loi organique, la loi organique no 2004-192 du 27 février
      2004, réaffirme le caractère officiel de la langue française avant de définir la
      "langue tahitienne" comme "un élément fondamental de l'identité culturelle" et de
      préciser que "le français [qui par un heureux hasard vient en premier par ordre
      alphabétique!], le tahitien, le marquisien, le paumutou et le mangarévien sont les
      langues de la Polynésie française",27 constituent un ensemble de langues

      22 Bernard Poignant Langues et cultures régionales:             rapport au Premier ministre (La
          Documentation française, Paris, 1998).
      23 Guy Carcassonne Etude sur la compatibilité entre la Charte européenne des langues régionales
          ou minoritaires et la Constitution: rapport au Premier ministre (La Documentation française,
          Paris, 1998).
      24 Conseil constitutionnel, décision no 99–412 du 15 juin 1999, Charte européenne des langues
          régionales ou minoritaires, considérant 10.
      25 Loi organique no 96–312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française,
          arts 115–116 [Loi organique no 96–312 du 12 avril 1996].
      26 Ibid, art 115. Voir Jean-Yves Faberon "Indivisibilité de la République et diversité linguistique du
          peuple français: la place des langues polynésiennes dans le nouveau statut de la Polynésie
          française" [1996] RFDC 607-618.
      27 Loi organique no 2004–192 du 27 février 2004, précité n 4, art 57 al 1, al 2 et al 3.
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hiérarchisées en droit (la langue française étant langue officielle, les langues
polynésiennes seraient donc officieuses?)28 et en fait (la place prioritaire donnée au
Tahitien).29 Encore, faut-il noter le caractère non exhaustif de l'énumération qui
oublie les langues parlées dans l'archipel des Australes! L'omission serait passée
inaperçue si le législateur avait utilisé l'expression reo maohi (mais il est vrai que
les lois organiques doivent être rédigées dans la langue de la République!). Si la
place des langues polynésiennes par rapport à la langue française est semblable à
celle des langues régionales, la pratique les distingue. Même si l'école, l'armée, les
services publics et les médias, notamment audiovisuels, imposent la pratique du
français, les langues polynésiennes sont effet parlées ou comprises par une grande
part des populations de Tahiti et plus encore des autres îles. Aussi, en Polynésie
comme dans les régions métropolitaines à forte identité culturelle, espérait-on que
la Constitution pourrait être à nouveau modifiée pour intégrer la diversité
linguistique et culturelle.
    L'occasion se présenta en 2008, quand le président Nicolas Sarkozy souhaita
une modification d'ampleur pour rééquilibrer et moderniser les institutions. Une
réflexion préalable est alors confiée à une commission d'experts présidée par
l'ancien Premier ministre, Edouard Balladur. Malgré la présence de Jack Lang et de
Guy Carcassonne, la question linguistique n'est pas abordée; elle est toutefois
posée lors des débats parlementaires. A l'Assemblée nationale, un amendement
accepté par le gouvernement vise à reconnaître les langues régionales comme
élément du patrimoine de la France en les mentionnant dès l'article premier. Cédant
aux pressions de l'Académie française, le Sénat s'y oppose. Finalement, c'est au
titre XII, à l'article 75-1, que sont inscrites les langues régionales qui font partie du
"patrimoine de la France". 30 La place du nouvel article dans la Constitution comme
sa formulation ont pu susciter quelque étonnement. Depuis 1992, les diverses
propositions visaient l'article premier ou l'article 2. Le constituant n'a pas souhaité
les intégrer dans le titre I (sur la souveraineté), préférant le titre XII (sur les
collectivités territoriales) au risque d'introduire une confusion entre l'adjectif
qualificatif "régionales" et les régions, collectivités régionales qui n'ont pas, du
moins à titre principal, compétence en ce domaine. En effet, en droit commun,
l'enseignement des langues est de la compétence de l'Etat même si les collectivités
territoriales peuvent y être associées. La référence "régionales" vise ici le

28 Florence Benoit-Rohmer "Les langues officieuses de France" [2001] RFDC 3, 17.

29 Loi organique no 2004-192 du 27 février 2004, précité n 4, art 57 al 2.

30 Voir Valérie Bernaud "Commentaire de l'article 75-1" in Luchaire, Conac et Prétot, précité n 16,
    1827–1835.
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      rattachement des langues à un territoire (qui peut être plus ou moins large que la
      région, qualifiant à la fois la langue d'oc parlée dans plusieurs régions que la langue
      basque dont l'aire de diffusion au nord des Pyrénées ne recouvre que la moitié d'un
      département). En se limitant aux "langues régionales", le constituant exclut les
      "langues minoritaires" qui sont parlées sur le territoire de la République par des
      groupes de personnes non ressortissantes (langues de l'immigration). Il est enfin
      possible de se demander si les "langues d'outre-mer" sont bien concernées. C'est le
      doute qu'a dû avoir le législateur en pensant nécessaire de préciser que "les créoles
      font partie du patrimoine linguistique de la nation". 31 La formule qui substitue la
      nation à la France n'est pas neutre: si la langue française est contenue dans cet
      ensemble elle y figurera plus comme langue nationale que comme langue officielle
      de la République (de l'Etat dont la République est la forme). Quant à la notion
      même de patrimoine, elle rappelle ici celle utilisée avec d'autres "entités mystico-
      abstraites" comme l'Humanité, le Monde, la Nature,32 qui ne peuvent être
      confondues ni avec des personnes ni avec des groupes de personnes. Il parait en
      effet difficile de considérer les langues comme des biens, même immatériels,
      notamment des biens publics, 33 en les rattachant à un patrimoine au sens civiliste
      du terme. La portée juridique de la notion de patrimoine est bien faible pour y voir
      un outil de "nationalisation voilée". 34 Les langues s'apparentent plus à des choses
      communes qu'il convient de protéger pour en développer les usages. La révision
      constitutionnelle de 2008 introduisant un nouveau titre consacré à la francophonie
      nous rappelle d'ailleurs à l'article 86 que cette langue est "en partage". La même
      idée aurait pu être reprise pour les langues régionales ou pour celles d'outre-mer,
      notamment pour le reo maohi, outil d'échange avec les peuples du triangle
      polynésien (Hawaï, Maori de Nouvelle Zélande, île de Pâques). En classant les
      "langues régionales" dans le "patrimoine de la France", la Constitution souligne
      qu'elles constituent des richesses qui doivent être conservées et dont il faut
      certainement développer la connaissance et favoriser la pratique. Au-delà de ces
      vœux, vrais ou supposés, force est de constater que la portée normative de l'article
      75-1 devrait être bien faible. A priori, il ne confère aucun droit subjectif nouveau
      aux différents locuteurs et ne contient aucune disposition permettant de modifier la
      position de la France vis-à-vis de la Charte européenne des langues régionales ou

      31 Loi no 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, art 73.

      32 Voir Etienne Le Roy "L'apport des chercheurs du LAJP à la gestion patrimoniale" [1998] 23
         Bulletin de liaison du LAJP 29-57.
      33 Christian Lavialle "Du nominalisme juridique. Le nouvel article 75-1 de la Constitution du 4
         octobre 1958" [2008] RFDA 1110, 1110-1115.
      34 Ibid.
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minoritaires.35 Les travaux préparatoires montrent d'ailleurs que tel était l'intention
des constituants.36
    Le statut des langues polynésiennes repose sur des textes et des décisions
antérieures à 2008. Les lois statutaires ont souligné leur contribution à l'identité
culturelle. Le Conseil constitutionnel et le juge administratif se sont référés aux
principes républicains de liberté et d'égalité pour apporter des réponses aux
questions posées par la coexistence de langues aux statuts dissymétriques. De
manière générale, l'usage des langues régionales a pu être analysé en termes de
tolérance, alors définie comme "la manière d'agir d'une autorité qui accepte
ouvertement, en vertu d'une sorte de coutume, telle ou telle dérogation aux lois et
règlements qu'elle est chargée d'appliquer". 37 Mais de deux choses l'une. Soit il
s'agit du non respect de la règle de droit. Soit la notion de tolérance désigne des
situations intermédiaires entre l'obligation et l'interdiction, des cas dans lesquels les
autorités publiques pourront laisser faire, reconnaissant une simple possibilité, une
faculté admise par le droit, c'est-à-dire une liberté. Mais dans cette hypothèse, une
interprétation authentique a été donnée; une nouvelle règle est apparue non de la
résignation coutumière mais par la volonté du juge. L'analyse du statut
constitutionnel des langues de la Polynésie française permet de rencontrer ces deux
cas de figure. Pour préciser le champ de l'officialité de la langue française ou le
statut de l'enseignement des langues polynésiennes, le Conseil constitutionnel
comme le juge administratif vont se référer aux principes constitutionnels de liberté
et d'égalité et tenir compte de diverses contraintes pour interpréter la loi organique
et préciser ainsi la portée juridique de ses propositions. L'analyse des décisions
peut révéler la stratégie du juge, compréhensive pour les usages, rigide pour
l'enseignement. Reste à déterminer comment les solutions ainsi dégagées sont ici
reçues et quelle stratégie les acteurs locaux peuvent concevoir pour entrevoir une
évolution.

         er
35 Au 1 mars 2011, la Charte a été ratifiée par 25 Etats. Comme la France, huit autres Etats l'ont
    signée mais non encore ratifiée.
36 Voir Assemblée nationale Rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la
    législation et de l'administration générale de la République sur le projet de Loi constitutionnelle,
    modifié par le Sénat (no 993), de modernisation des institutions de la Ve République par M Jean-
    Luc Warsmann, député (no 1009, 2 juillet 2008).
37 Définition du dictionnaire philosophique Lalande empruntée par Ferdinand Mélin-Soucramanien
    "Le statut des langues régionales ou minoritaires: la 'tolérance constitutionnelle'" in Anne-Marie
    Le Pourhiet (dir) Langue(s) et Constitution(s). Actes du Colloque de Rennes des 7 et 8 décembre
    2000 (Economica, Paris, 2004) 225, 227.
144                                          (2010) NZACL YEARBOOK 16

      II     AU NOM DE LA LIBERTE, L'OFFICIALITE NE PEUT ETRE
             EXCLUSIVE
          La langue française est donc aujourd'hui la seule langue officielle et coexiste
      avec les autres langues de Polynésie française. Illustrant ainsi la "diversité
      culturelle", les unes et les autres sont utilisées quotidiennement par les habitants
      pour communiquer tant dans la vie privée que dans la vie publique, à des degrés
      divers selon les îles, les milieux sociaux ou les moments de la journée ou de
      l'année. Si certains n'utilisent qu'une langue, d'autres peuvent passer de l'une à
      l'autre, jouant alors sur la dualité des appartenances et des identités. Les langues
      locales constituent en effet à la fois un code de communication et "un élément
      fondamental de l'identité culturelle". La langue française relève à la fois du champ
      pratique et de la symbolique républicaine, "lingua franca" et contribution à
      l'identité nationale. Si la "langue de la République" est conçue comme une garantie
      donnée à chaque citoyen dont on présume ainsi qu'il est francophone, la loi
      statutaire reconnaît que l'usage des autres langues est libre en dehors du cercle de
      l'officialité. L'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel et par les juges
      administratifs amène en outre à distinguer officialité et exclusivité.
      A Liberté et Officialité
      1 Le libre usage de la langue de son choix
          La loi statutaire de 1996 se contentait d'une formule minimale: "la langue
      tahitienne et les autres langues polynésiennes peuvent être utilisées". 38 La formule
      de 2004 est à la fois plus réaliste et plus respectueuse des locuteurs. L'usage des
      langues polynésiennes n'est plus maladroitement concédé comme une simple
      possibilité, mais défini en se référant à la liberté, même si celle-ci apparaît
      uniquement par sa forme adverbiale à propos des actes et conventions pour lesquels
      les personnes physiques ou morales de droit privé "en usent librement". 39 Dans la
      vie de tous les jours, à la maison, en famille, à l'église, dans les associations et au
      travail, les polynésiens peuvent naturellement utiliser leur langue, la parler, l'écrire,
      pour s'exprimer et communiquer. Loin d'être une simple possibilité, une facilité ou
      une pratique simplement tolérée par l'administration, c'est bien d'une liberté dont il
      s'agit. La pratique des langues polynésiennes n'est en effet pas interdite par la loi.
      L'autonomie linguistique est implicitement reconnue: chaque personne a bien "un
      pouvoir de"40 s'exprimer dans la langue de son choix. Si pour certains, cette

      38 Loi organique no 96-312 du 12 avril 1996, précité n 25, art 115.

      39 Loi organique no 2004-192 du 27 février 2004, précité n 4, art 57 al 3.

      40 Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, art 4.
LES LANGUES DE POLYNESIE FRANCAISE ET LA CONSTITUTION: LIBERTE, EGALITE, IDENTITE        145

possibilité relève de l'évidence ou de la nature des choses, pour le juriste il s'agit
non d'un droit naturel mais bien d'un droit positif, d'ailleurs pris en compte par les
tribunaux. Quelques décisions de justice, notamment en Alsace-Moselle,
permettent de rappeler que l'emploi des langues régionales a toujours été admis
dans la vie privée, au nom de la liberté d'expression. 41 Il est vrai que la question de
la liberté linguistique est rarement abordée par la doctrine. Partant des affirmations
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les auteurs
définissent la liberté soit de la manière la plus générale possible en se référant à
l'article 4 ("la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui") ou se
bornent à citer l'article 11 consacré à "la libre communication des pensées et des
opinions" en rappelant qu'elle implique que tout citoyen puisse "parler librement"
sans s'interroger alors sur la langue employée. Le Conseil constitutionnel s'est
contenté de préciser qu'elle permet à chacun de choisir les termes jugés les mieux
appropriés à l'expression de sa pensée. 42 Quant à la loi, on sait qu'elle ne s'oppose
pas à l'usage des langues régionales, formule qui semble même aller au-delà de la
seule sphère privée. 43
    Dans d'autres systèmes juridiques bâtis dans un contexte plurilingue, en
Belgique ou au Canada, le droit à l'emploi de sa langue a pu aussi être assimilé tant
aux droits naturels et imprescriptibles de l'homme qu'aux libertés civiles. La
question a été reprise quand sont apparus les droits économiques et sociaux dits de
la deuxième génération, complétant les "droits de" par des "droits à". Le droit à la
langue (ou du moins à son apprentissage) peut alors être envisagé au titre du droit à
l'instruction ou à l'éducation, mais aussi en évoquant le droit à la culture. Les droits
culturels ont un caractère hybride, se rattachant à la fois aux droits-créances et aux
libertés premières qui imposent aux pouvoirs publics une obligation négative, celle
de ne pas s'immiscer dans le champ de l'autonomie personnelle. Enfin, ces droits
sont parfois rapprochés des droits dits de la troisième génération, droits de
solidarité, droit à la différence, droit garantis par la notion de patrimoine commun.
Quand les instruments internationaux évoquent la question, ils le font soit sur le
premier registre ("[t]oute personne doit ainsi pouvoir s'exprimer … dans la langue

41 Olivia Bui-Xuan Le droit public français entre universalisme et différentialisme (Economica,
    Paris, 2004) 458.
42 Décision 94-345 DC du 29 juillet 1994, précité n 19, considérant 6.

43 Loi no 94-665 du 4 août 1994, précité n 17, art 21.
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      de son choix")44 soit sur le second présentant alors la langue comme "vecteur du
      patrimoine culturel immatériel". 45 La ratification de la Charte européenne des
      langues régionales ou minoritaires aurait permis d'affirmer plus clairement que "le
      droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique
      constitue un droit imprescriptible". 46 Encore eût-il fallu se demander si était alors
      reconnue une liberté publique (interrogation qui pourrait avoir des conséquences
      sur les compétences respectives de l'Etat et du Pays!). Quoiqu'il en soit, les
      dispositions de l'article 57 concernant le choix de la langue pour la rédaction des
      actes juridiques ne laissent aucun doute. Il y a bien en Polynésie un espace de
      liberté linguistique organisé, réservé aux personnes privées, personnes physiques,
      associations, sociétés ou syndicats dont les actes juridiques, notamment les
      conventions, "n'encourent aucune nullité au motif qu'ils ne sont pas rédigés dans la
      langue officielle".47
      2 L'obligation de recourir à la langue française
          L'article 57 alinéa 1 de la loi organique no 2004-192 du 27 février 2004 prévoit
      que le "Français est la langue officielle de la Polynésie française". La formule
      elliptique est la conclusion d'un syllogisme. La langue de la République étant le
      français, et la Polynésie un territoire de la République, le français y a le même
      statut que sur l'ensemble du territoire national. Les formulations législatives,
      notamment celles issues des décisions du Conseil constitutionnel, permettent de
      fixer le périmètre de l'officialité et de s'interroger sur les règles régissant l'usage des
      différentes langues de Polynésie française. Encore faut-il déterminer ce que signifie
      l'expression "langue de la République" (langue nationale? Langue de l'Etat?) et
      préciser le sens de la référence à la "Polynésie française".
         Le Conseil d'Etat avait déjà été d'avis que l'utilisation des langues minoritaires
      dans les rapports avec les autorités administratives était incompatible avec l'article
      2 de la Constitution. 48 Examinant la loi organique de 1996 portant statut
      d'autonomie de la Polynésie française, le Conseil constitutionnel précise qu'en

      44 Voir l'art 5 de la Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle (résolution
          adoptée sur le rapport de la Commission IV à la 20ième séance plénière, le 2 novembre 2001),
          reproduite dans Actes de la conférence générale, 31ième session, Paris, 15 octobre – 3 novembre
          2001. Volume 1. Résolutions (UNESCO, Paris, 2002) 73.
      45 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (adoptée le 17 octobre 2003,
          entrée en vigueur le 20 avril 2006), art 2(2) (non ratifiée par la France).
      46 Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, précité n 20, art 4.

      47 Loi organique no 2004-192 du 27 février 2004, précité n 4, art 57 al 3.

      48 Conseil d'Etat, avis du 6 juillet 1995, précité n 20.
LES LANGUES DE POLYNESIE FRANCAISE ET LA CONSTITUTION: LIBERTE, EGALITE, IDENTITE               147

qualifiant le français de langue officielle, son article 115 impose son usage aux
institutions et aux relations des usagers avec elles.49 La "langue de la République"
est donc analysée non comme la "langue nationale" (une nation, une langue) mais
comme la langue de l'Etat, au sens large, la langue de l'administration ou des
services publics. La langue officielle n'est pas la langue exclusive de la nation et
des populations qui composent le peuple français. Le considérant que le Conseil
constitutionnel reprendra à plusieurs reprises, parfois avec de légères variantes
notamment dans sa décision de 1999 relative à la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires,50 a été transcrit tel quel en 2004 dans le texte même de
la loi statutaire.
    Explicitant le caractère officiel de la langue française, l'article 57 alinéa 1
affirme d'abord que "son usage s'impose aux personnes morales de droit public et
aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public". Léon
Duguit affirmait à ses étudiants qu'il n'avait jamais dîné avec une personne morale.
Nous voilà rassurés! Non seulement elles existent, mais elles sont douées de la
parole! La Constitution et la loi imposent à certaines d'entre elles de s'exprimer en
français. La règle est ancienne; se fondant sur l'ordonnance de Villers-Cotterêts
édictée par le roi François 1er en 1539 et les décrets de la révolution, la Cour de
cassation l'a même un temps érigée en "principe essentiel du droit public … qui
garantit l'unité de la langue nationale".51 La langue de la République doit être
utilisée non seulement pour édicter des actes juridiques ou pour les publier (le
français, langue du droit, est ainsi la seule langue utilisée par le journal officiel de
la Polynésie française) mais aussi pour leur communication. Au-delà de la fiction
institutionnelle, les locuteurs ici visés sont évidemment les personnes physiques
qui représentent les personnes morales, les élus de leur conseil, les responsables de
leur exécutif mais aussi les agents, fonctionnaires ou contractuels qui, en principe,

49 Conseil constitutionnel, décision no 96-373 DC du 9 avril 1996, Loi portant statut d'autonomie de
    la Polynésie française; considérants 90-94.
50 Décision no 99–412 DC du 15 juin 1999, précité n 24, considérants 7–13. Voir aussi Décision no
    94–345 DC du 29 juillet 1994, précité n 19, considérants 5–15; Conseil constitutionnel, décision
    no 2001–452 DC du 6 décembre 2001, Loi portant mesures urgentes de réformes à caractère
    économique et financier (MURCEF), considérants 16–19 [Décision no 2001–452 DC du 6
    décembre 2001]; Conseil constitutionnel, décision no 2001–456 DC du 27 décembre 2001, Loi de
    finances pour 2002, considérants 48–52 [décision no 2001–456 DC du 27 décembre 2001];
    Conseil constitutionnel, décision no 2006–541 DC du 28 septembre 2006, Accord sur
    l'application de l'article 65 sur la convention sur la délivrance des brevets européens (accord de
    Londres).
51 Arrêt de la Cour de Cassation du 4 août 1859, Giorgi c Masapino [1859] Dalloz 454, analysé par
    Bertile, précité n 1, no 105.
148                                            (2010) NZACL YEARBOOK 16

      doivent utiliser la langue française pour rédiger les actes juridiques 52 ou assurer la
      communication administrative. La règle s'applique à toutes les personnes morales
      de droit public, c'est-à-dire non seulement à la collectivité d'outre-mer, mais aussi à
      ses établissements publics, aux communes et naturellement aux services de l'Etat.
      Par Polynésie française, il ne faut donc pas entendre le "pays" mais le territoire sur
      lequel diverses institutions interviennent. Il peut s'agir tant des autorités
      administratives qui assurent les divers services publics à caractère administratif ou
      industriel et commercial, mais aussi des autorités judiciaires et du service public de
      la justice. 53 Il en est de même des personnes de doit privé chargées d'une mission
      de service public, formule qui peut recouvrir tant les personnes physiques que les
      personnes morales, telles les sociétés d'économie mixte ou les sociétés délégataires
      de service public. Pour ne pas omettre les établissements d'enseignement privés, il
      semble utile de donner une interprétation large à la notion de mission de service
      public pour qu'elle puisse englober la simple association au service public. L'article
      57 alinéa 1 comme les décisions du Conseil constitutionnel poursuivent en
      précisant: "ainsi qu'aux usagers dans leur relation avec les administrations et les
      services publics". La règle est bien connue .Elle s'applique tant à la justice qui en
      principe ne peut être saisie qu'en langue française54 qu'aux autres services publics. 55
      Le Conseil constitutionnel en déduit:56
         [Q]ue les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les
         administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le
         français, ni être contraints à un tel usage.

         Au-delà de cette définition organique du champ de l'officialité, la langue
      française peut-elle être imposée aux relations entre personnes privées? La loi de
      1994 sur l'emploi du français imposant la rédaction des contrats en français pour
      protéger les salariés ou les consommateurs n'a certes pas été étendue à la Polynésie

      52 "Les actes des fonctionnaires français doivent être rédigés en français": Arrêt de la Cour de
          Cassation du 15 janvier 1875, Renucci [1875] Dalloz 240.
      53 Décision no 99-412 DC du 15 juin 1999, précité n 24, considérants 7-13.
      54 Pour la juridiction judiciaire, voir par exemple: Arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 1986,
          Turkson, [1987] Dalloz 78; pour la juridiction administrative, voir: Conseil d'Etat, décision du 22
          novembre 1985, M. Quillevère (irrecevabilité d'une requête en breton), no 65106.
      55 Conseil d'Etat, décision du 10 juin 1991, Kerrain, no 99608 (aucune décision implicite ne peut
          naître du silence gardé par l'administration saisie de demandes non rédigées en français); Conseil
          d'Etat, décision du 15 avril 1992, Le Duigou, [1992] Dalloz 517 (le refus d'acheminer une lettre
          dont l'adresse est rédigée en breton ne méconnait ni la liberté d'expression, ni l'égalité des usagers
          du service public).
      56 Décision no 99-412 DC du 15 juin 1999, précité n 24, considérant 8.
LES LANGUES DE POLYNESIE FRANCAISE ET LA CONSTITUTION: LIBERTE, EGALITE, IDENTITE                 149

français et il ne semble pas que malgré son objet elle soit considérée comme
nécessairement destinée à régir l'ensemble du territoire de la République.57 Mais,
les autorités polynésiennes ont pu s'en inspirer. Ainsi, le Code du travail de la
Polynésie française dispose que les contrats de travail doivent être écrits en
français, et si le salarié "en exprime le désir" (sic) dans une des langues
polynésiennes;58 l'employeur, public ou privé, est donc tenu de s'engager en
français. De même, en cas de traduction, la langue française sera appelée à faire
foi. Mais si, dans la sphère privée, le français peut garder une place obligatoire, les
langues polynésiennes ne sont de leur côté pas totalement exclues de la sphère
publique.
B Officialité et non Exclusivité
    La mission de service public qui est confiée aux institutions peut les amener à
promouvoir les langues polynésiennes. C'est le cas des écoles et établissements
publics et privés d'enseignement59 ou des établissements culturels. De même, la loi
no 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986
relative à la liberté de communication prévoit que les sociétés de radio et de
télévision de service public contribuent, conformément à leur cahier des missions
et des charges, à l'expression des langues régionales ou des langues d'outre-mer.
Ainsi Radio France Outre-mer comme ses concurrents privés diffusent de
nombreuses émissions en langues polynésiennes. Le Conseil constitutionnel a
d'ailleurs précisé que l'application de l'article 2 de la Constitution "ne doit pas
conduire à méconnaitre l'importance que revêt, en matière d'enseignement, de
recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d'expression et de
communication".60 Certains services publics peuvent donc assurer leurs prestations
en langues polynésiennes. De même, les langues polynésiennes peuvent-elles être
utilisées pour assurer la signalétique, notamment sur les voies publiques des
communes.61 Si les institutions doivent respecter le caractère officiel de la langue,
elles agissent en milieu plurilingue. Tenant compte des réalités linguistiques, le
Conseil constitutionnel précise que "l'article 2 de la Constitution n'interdit pas

57 Loi organique no 2004-192 du 27 février 2004, précité n 4, art 7.

58 Code du travail de la Polynésie française, art 2.
59 Voir ci-dessous III.

60 Décision no 99–412 DC du 15 juin 1999, précité n 24, considérant 8.

61 En effet, rien ne s'oppose à ce qu'une langue régionale soit employée par une collectivité sur la
    voie publique "lorsque les circonstances particulières ou l'intérêt général le justifient" (Tribunal
    administratif de Montpellier, 12 décembre 2010, Mouvement républicain de salut public, no
    0903420.
150                                         (2010) NZACL YEARBOOK 16

      l'utilisation de traductions". 62 En outre, rien ne s'oppose "dans la pratique
      administrative à ce qu'une autre langue que le français soit employée lorsque les
      circonstances particulières ou l'intérêt général le justifient et par accords des
      personnes concernées".63 L'emploi d'une langue polynésienne au guichet est
      fréquent, du moins quand l'agent public et l'usager sont tous deux familiers de cette
      langue. La Cour d'appel de Paris a même jugé que:64
         [N]i l'article 2 de la Constitution ni l'article 115 ne prohibent l'utilisation par ces
         personnes (morales de droit public), à titre de dénomination ou d'appellation de
         termes ou d'expression issues des langues locales, quand bien même ces termes ou
         expressions auraient un équivalent en langue française.
      Ainsi, des expressions polynésiennes peuvent être utilisées pour désigner des
      distinctions (ordre de Tahiti nui) ou des fonctions administratives (tavana hau).
      Pour mener leur action, les institutions ne sont donc pas tenues d'utiliser
      uniquement le français.
          Si la langue de la République est aussi celle des institutions locales, la pratique
      des assemblées délibérantes impose d'en relativiser le rôle. Dans les quarante-huit
      conseils municipaux des communes de Polynésie, les débats ont lieu, du moins
      principalement, en tahitien, en marquisien ou en pa'umotou. Si la question a pu être
      évoquée en métropole pour certaines langues régionales, 65 notamment le corse ou
      l'alsacien, elle a ici donné lieu à plusieurs décisions du Conseil d'Etat à propos des
      débats à l'Assemblée de Polynésie française.66 A ainsi été annulé un article de son
      règlement intérieur qui prévoyait en séance plénière la possibilité alternative de
      s'exprimer en langue française ou en langue tahitienne ou dans l'une des autres
      langues polynésiennes. 67 Le Conseil d'Etat a été amené à censurer une "loi du pays"
      votée après des débats au cours desquels le ministre des finances avait présenté le

      62 Décision 94–345 DC du 29 juillet 1994, précité n 19, considérant 7; Décision no 99–412 DC du
         15 juin 1999, précité n 24, considérant 8; Décision 2001–452, précité n 50, considérant 16.
      63 J-E Schoettl "Langue française" [1999] AJDA 573, 576.

      64 Cour administrative d'appel de Paris, décision du 14 octobre 1999, no 97PA00883 (à propos du
         choix par l'Assemblée de Polynésie française de l'expression "Tahiti nui" pour désigner l'ordre
         créé par l'art 1 al 3 de loi organique no 96-312 du 12 avril 1996, précité n 25).
      65 Dominique Latournerie "Le droit de la langue française" in Etudes et Documents du Conseil
         d'Etat (Etude no 36, Paris, 1985–1986) 89, 112.
      66 Alain Moyrand "Les élus peuvent-ils parler les langues polynésiennes lors des débats à
         l'Assemblée de la Polynésie française" cette ouvrage at 297.
      67 Conseil d'Etat, décision du 29 mars 2006, Haut commissaire de la République en Polynésie
         française, no 282335.
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