L'anticoagulation au citrate pour épuration extra-rénale continue en réanimation - Un jour ça ...

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L'anticoagulation au citrate pour épuration extra-rénale continue en réanimation - Un jour ça ...
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    L'anticoagulation au citrate
pour épuration extra-rénale continue
                  en réanimation

                          Didier Journois
                   Université René Descartes, Paris.
                      d.journois@invivo.edu

                        Version du 22 mai 2019

    Document mis à jour accessible à l’adresse : http://bit.ly/2aiergh

             L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt

                                               Anticoagulation au CiCa en EER de réanimation
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◦   L’administration de citrate trisodique et la restitution de chlorure de calcium en proportions
    dépendantes représente une anticoagulation régionale de très grande efficacité nécessitant
    toutefois la maitrise de ses conséquences électrolytiques, acido-basiques et métaboliques.
◦   Cette anticoagulation a été rendue possible par la mise en œuvre de modèles
    pharmacocinétiques éprouvés en clinique, pilotant les pompes des moniteurs d’EER.

◦   Bien qu’utilisable dans tous les modes d’EER (CVVHD, CVVHDF, CVVHF) cette
    anticoagulation offre les meilleures performances de maintien de clairance pour des
    quantités administrées de citrate réduites quand le débit sanguin peut être faible et que le
    colmatage de la membrane de réduit pas la clairance du citrate c’est à dire en mode diffusif
    (CVVHD).

◦   L’approche globale de Stewart de l’équilibre acide-base est indispensable pour expliquer
    l’ensemble des effets observés par ce mode d’anticoagulation.

◦   Le citrate n’est pas transformé en bicarbonate mais en CO2 et H2O comme tout substrat
    incorporé au cycle de Krebs, comme tout hydrate de carbone issu de la glycolyse ou tout
    acide gras issu de la ß-hydroxylation. Son potentiel alcalinisant résulte de l’apport
    concomitant de trois ions sodium (accroissement de la Différence des Ions Forts).

◦   Le réglage de l’objectif de concentration de citrate se fait par l’intermédiaire du dosage de la
    calcémie ionisée dans le circuit d’EER. La maitrise de ce réglage est essentielle car trop bas

    ou trop haut il risque d’entrainer une alcalose par excès d’apport de Na+ ou par insuffisance
    de son épuration.

◦   Mieux vaut viser une calcémie post filtre précise que de se contenter de rester à l’intérieur
    d’une fourchette de valeurs admissibles.

◦   La surveillance de la capacité épurative de la membrane employée est la principale méthode
    de prévention de l’accumulation de complexes de citrate-calcium.

◦   Les légères variations de pH ou de calcémie ionisée (circuit ou systémique) doivent être
    considérées comme des tendances et justifient une adaptation des réglages de façon à
    prévenir les déséquilibres de façon précoce. Cette anticipation est en règle efficace alors que
    les corrections tardives sont longues et parfois difficiles. Ces réglages relèvent de décisions
    médicales.

◦   Les principales contre-indications reposent sur le manque d’entrainement de l’équipe de
    réanimation puis sur l’incapacité de métabolisation du citrate accumulé. Il s’agit
    principalement : des états de choc avec importante hypoperfusion hépatique traduite par
    une hyperlactatémie importante ou une variation rapide de lactatémie. Les hépatopathies

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isolées ne sont pas des contre-indications dans la mesure où la technique est correctement
conduite. Toutes ces contre-indications sont relatives dans la mesure où l’accumulation des
complexes citrate-calcium se prévient et se corrige par une élimination importante, utilisant
la membrane d’EER.

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Alors que les propriétés anticoagulantes du citrate sont connues de très longue date son utilisation a
été pendant longtemps réservée à la mise en condition des examens biologiques d’hémostase ou à
l’anticoagulation de produits de fractionnement du sang. En clinique son emploi a été limité aux
seules situations pour lesquelles une autre anticoagulation n’était pas souhaitée voire impossible. Le
fait que de récentes recommandations internationales en matière de prise en charge de l’agression
rénale aiguë (ARA) en proposent l’usage quasi-systématique atteste de l’importante évolution de
cette technique {"KDIGO Clinical Practice Guideline for Acute Kidney Injury", 2012}. En effet les
progrès réalisés dans le cadre du contrôle de son administration dorénavant asservie de façon
informatique, ainsi que la meilleure connaissance de son métabolisme ont permis, en association au
rejet progressif des alternatives sans anticoagulant, d’en faire la technique de premier choix
{Caruana, 1987; Sagedal, 2006; Panphanpho, 2011}.

Le citrate est actuellement administré selon des modèles à objectif de concentration qui apportent
une précision et donc une sécurité qui a considérablement accrue sa tolérance, y compris chez les
patients le plus à risque d’accumulation {Morgera, 2009}. Cependant études et méta-analyses restent
encore centrées sur les critères d’efficacité davantage que sur les critères de tolérance ce qui rend
l’évaluation de cette dernière plus difficile qu’en apparence {Wu, 2012}. En effet on sait que les
principaux problèmes rencontrés résultent de défauts de formation et d’effets secondaires évitables.

L’accroissement de la durée de vie des membranes est de nature à réduire les coûts de mise en œuvre
mais est surtout susceptible d’améliorer la qualité de la prise en charge des patients par une meilleure
régulation au cours du temps de la clairance assurée, de la gestion de l’équilibre hydro-électrolytique
et de l’application comme attendu des traitements essentiels tels que les antibiotiques. En effet, on se
rend progressivement compte que le contrôle de l’emploi de ces derniers au cours des épuration
extra-rénales (EER) est jusque là loin d’être parfait, en particulier du fait des variations observées, au
cours du temps, des modalités d’épuration {Seyler, 2011; Roberts, 2014}.

Le citrate est une molécule organique dotée de trois groupements carboxylate proches les uns des
autres et dont les pK respectifs sont 3,15 - 4,77 et 6,40.

Figure 1. Molécule de citrate trisodique. Une chaine centrale tri-carbonée avec trois radicaux carboxylate liant 3 atomes
de sodium.

L’acide citrique est donc totalement dissocié au pH plasmatique, même en situation d’acidose

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pathologique profonde, il reste toujours sous forme de “citrate” dans notre milieu intérieur. En outre
la présence constante de calcium ionisé dans notre plasma, sans lequel la vie serait impossible,
constitue un milieu très particulier pour la molécule de citrate qui se trouve immédiatement et

entièrement chélaté (tant que sa concentration est inférieure à celle du Ca2+). En effet, la distance
deux à deux de ses trois groupes anioniques correspond précisément à la distance des deux groupes
cationiques de l’atome de calcium ionisé. Cette particularité fait que le citrate, un acide organique
fort, devient un acide faible dans les liquides extracellulaires riches en calcium par « neutralisation
calcique ». En revanche, en milieu intracellulaire, très pauvre en calcium, il retrouve son pouvoir
acidifiant susceptible d’influencer diverses activités enzymatiques.

Le complexe calcium-citrate (CCC) résultant est donc un anion faible de petit poids moléculaire
(PM=298) qui est de ce fait très hydrosoluble et aisément éliminante par diffusion ou convection.

La chélation de la large majorité des atomes de Ca2+ par le citrate prive les enzymes de la
coagulation, comme ceux de la fibrinolyse de leur cœnzyme, indispensable à leur activité. Cette
liaison est extrêmement solide et l’atome de calcium peut être considéré comme perdu même après sa
sortie du circuit d’EER jusqu’à la métabolisation du citrate qui le porte. À défaut d’être en mesure de
récupérer la molécule de citrate en libérant le calcium à la sortie du circuit, son usage thérapeutique
oblige à apporter du calcium dans une proportion inférieure a celle qui a été chélatée car la
métabolisation des CCC conduit à un relargage plasmatique du calcium chélaté. En clair le calcium
apporté en sortie de circuit correspond exactement au calcium perdu par épuration. On comprend
alors immédiatement qu’une réduction des besoins d’apports en calcium puisse souvent résulter
d’une perte de clairance du filtre et qu’une augmentation des besoins en calcium soit le signe d’une
absence de relargage du calcium c’est à dire d’une accumulation de CCC.

L’emploi de ce type d’anticoagulation requiert à la fois une bonne connaissance des phénomènes
physico-chimiques en présence et un dispositif informatisé d’asservissement du débit de la solution
de citrate au débit sanguin et au débit de diffusion ou de convection.

Le citrate est un composé constituant du cycle tricarboxylique de Krebs. Il est présent à ce titre dans
la plupart des cellules de l’organisme comme composé du métabolisme énergétique intermédiaire.
Les apports de citrate extérieurs à la cellule sont très faibles et proviennent de l’alimentation végétale
(citron, autres agrumes, etc.). Le citrate, administré comme anticoagulant, bénéficie d’une excellente
diffusion intra-cytoplasmique puis intra-mitochondriale par l’intermédiaire des transporteurs
tricarboxyliques et qui semble ne pas être régulée comme peuvent l’être celles des lipides, glucides et
protides.

Ce citrate exogène est néanmoins préférentiellement métabolisé par le foie, les muscles et les reins.
On ne sait toutefois pas ce que deviennent les parts respectives de ces métabolismes dans le cadre de
la réanimation où la fonction rénale est par définition altérée dans les situations de mise en œuvre
d’une EER et où le muscle est l’objet de fréquents troubles de perfusion comme lors des états de choc.

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Il est vraisemblable que le foie reste alors le principal organe métabolisant le citrate.

Figure 2 : Le cycle de Krebs. Le citrate résulte de l’incorporation de l’acétyl-coA dans le cycle. Le citrate exogène intègre
directement le cycle à cette étape et requiert donc que les conditions métaboliques soient favorables à cette voie
énergétique. C’est heureusement le plus souvent le cas car le cycle tricarboxylique est le pivot énergétique des organismes
dotés de mitochondries.

Le citrate est transformé en cis-aconitate, en D-iso-citrate puis en alpha-céto-glutarate réduisant un
NAD+ en NADH puis éliminant, par l’iso-citrate-deshydrogénase, une molécule de CO2. Ceci fait
parfois dire aux adeptes de la vision simplifiée de l’équilibre acide-base réduite à l’équation
d’Henderson-Hasselbalch, que l’origine de l’alcalose métabolique induite par le citrate repose sur
“une production accrue de bicarbonate”. Cette vision est erronée car une fois dans le cycle de Krebs,
rien ne différencie le citrate exogène du citrate issu du catabolisme de la glycolyse, de la ß-
hydroxylation des acides gras ou du catabolisme des acides aminés auxquels personne n’attribue
pourtant de vertus alcalinisantes. En outre le CO2 produit n’est pas du bicarbonate, lequel ne sera
accumulé à partir du CO2 que si les conditions locales physico-chimiques le requièrent. Enfin, on
sait aujourd’hui que l’élévation de la concentration de bicarbonate n’est pas la cause mais la
conséquence de conditions alcalinisantes. En réalité l’alcalose métabolique ne se retrouve qu’avec le
citrate trisodique et repose sur l’accroissement de la différence des ions forts imputable à la charge

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sodée, quasiment libre, puisque l’anion citrate est rapidement métabolisé (cf. § suivant).

La dose quotidienne de citrate administrée à titre d’anticoagulation régionale représente une charge
énergétique non négligeable échappant au contrôle glycémique qui n’a jusque là presque pas été
étudiée en réanimation. Le sujet est néanmoins intéressant car du fait d’une quasi-absence de
régulation de son métabolisme cette voie parallèle semble échapper aux contrôles mis en œuvre au
cours des situations de stress qui elles sont l’objet d’intenses investigations depuis des dizaines
d’années.

La conception de Henderson-Hasselbalch inverse les causes et les conséquences et ne prend pas en
compte l’effet des électrolytes sur l’équilibre acide-base. Pour ces deux raisons l’approche acido-
basique globale, dite “de Stewart”, est indispensable pour mesurer les implications de
l’anticoagulation au citrate-calcium. Elle permet en particulier de donner sa place au sodium dans
l’explication des désordres acido-basiques qui peuvent survenir lors de l’administration de citrate
trisodique.

Rappel de l’approche globale de Stewart

À moins de consentir à d’importantes approximations, la compréhension d’une anticoagulation au
citrate-calcium est impossible sans faire appel à l’approche globale de l’équilibre acide-base. Cette
vision est qualifiée de globale car elle généralise, en l’englobant, la vision restreinte d’Henderson-
Hasselbalch. Sa principale caractéristique est de tenir compte de l’ensemble des conditions physico-
chimiques du milieu et en particulier de la présence des électrolytes, ions totalement dissociés tel que
le Na+ ou le Cl- (ion chlorure). L’effet tampon de la concentration de bicarbonate résulte d’autres
facteurs et globalement le pH est principalement déterminé par la différence des ions forts (DIF ou
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Strong Ions Difference = SID, en anglais) définie par : (Na+ + Ca2+ + Mg2+ + K+) - (Cl + Lactate)
qui élève le pH et par la PaCO2, la phosphatémie et l’albuminémie qui l’abaissent. Il est possible de
considérer que le « trou des ions forts ou « TIF » (SIG = Strong Ions Gap, en anglais) représente
l’écart entre ce qui est mesuré et ce qui est prédit par le modèle. On comprend que l’administration
de citrate trisodique soit capable, en fonction des vitesses de métabolisation respectives de ses deux
composants, d’être, en théorie, à l’origine soit d’une légère acidose (CCC accumulés) soit d’une forte
alcalose (Na+ accumulé). De même le chlorure de calcium, administré en sortie de circuit, associé à
une composition enrichie en chlorure du dialysat, contribuent à rétablir une “chlorurémie”
physiologique. C’est donc par l’intermédiaire du maintien de la DIF que l’équilibre acido-basique est
assuré. Il faut noter que tous les solutés proposés : solution de citrate, dialysat, liquide de
substitution, solution de restitution calcique, etc, obéissent à des règles découlant de cette approche
globale et que la rigidité des protocoles proposés par les industriels ne correspond pas au souhait
d’établir un marché captif mais à la nécessaire prévention des déséquilibres acido-basiques au sein
d’un modèle cohérent.

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Citrate de sodium et acide citrique (ACD)
Le citrate peut être apporté sous différentes formes pharmaceutiques. La plus répandue et le citrate
trisodique. Cette solution est susceptible d'induire à la fois une légère acidose (citrate complexé) et
une forte alcalose (triple sodium). La plupart des protocoles qui ont été mis au point au cours des
dernières années préfèrent le citrate trisodique. En effet, les solutions d'acide citrique ne sont
susceptibles que d'entraîner une acidose et requièrent donc une attention accrue de la part du
clinicien qui les rend peu utilisable sans dérive acido-basique.

    On pourrait penser qu'en administrant d'importantes quantités de citrate l’anticoagulation serait
    parfaite et l'objectif atteint. Mais en sortie de circuit extracorporel, une quantité importante
    retournerait dans l’organisme, liée au calcium. Du fait de sa haute hydrophilie et de sa taille
    réduite, le complexe de citrate-calcium (PM = 298) est éliminé soit lors de son passage initial sur
    la membrane d’épuration extra-rénale (environ 40-60%), soit lors d’un passage ultérieur et, à
    défaut, par voie catabolique.

    En cas de métabolisme normal une faible fraction de calcium lié au citrate circule en permanence
    dans la circulation systémique. Dans le cas ou le métabolisme du citrate devient limitant, cette
    fraction s'accroît entraînant le développement d'un “troisième secteur” calcique. Sa dimension, et
    son absence de croissance, peuvent et doivent être évaluées quotidiennement par le calcul du
    rapport de la calcémie totale par la calcémie ionisée qui ne doit pas s’élever, attestant d’un état
    stationnaire, et dans l’absolu qui ne doit pas s’élever au delà de 2,3-2,5 {Meier-Kriesche, 2001;
    Schultheiss, 2012}.

    Ce risque d’accumulation de citrate justifie d’en administrer la dose optimale. C’est à dire à la fois
    élevée pour assurer une parfaite anticoagulation du circuit et réduite pour en accumuler les plus
    faibles quantités possibles. En pratique cet objectif est facilité par l’asservissement du débit
    massique de citrate au débit sanguin du circuit d’EER à l’aide du logiciel du moniteur d’EER.

    Le dosage direct de la concentration plasmatique de citrate n’est pas de pratique courante et ne
    serait pas utile pour le réglage de la dose à administrer. En effet on la détermine de façon
    indirecte par la mesure de son principal effet qui est de réduire la calcémie (ionisée). Dans cet
    article, le terme « calcémie » désigne le plus souvent la calcémie ionisée dont la valeur normale
    est de l’ordre de 1,15 à 1,25 mmol/L (ou mM). Elle correspond à la concentration disponible
    pour les actions physiologiques du calcium plasmatique. On la distingue de la calcémie totale qui
    est la somme des concentrations plasmatiques du calcium libre sous forme ionique et du calcium
    lié aux protides ainsi que de l’éventuel calcium lié au citrate.

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Figure 3. Évolution en thromboélastographie (k-time) en fonction de la calcémie ionisée. D’après James et al.
{ James, 2004}.

James et al. ont étudié en thromboélastographie la relation entre la concentration de Ca2+
plasmatique et la coagulation (Figure 3) { James, 2004}. Le seuil de Ca2+ à partir duquel la
coagulation ne se fait plus est de l’ordre de 0,20 mM. On y voit aussi que la perte du pouvoir
coagulant est très abrupte et qu’à la valeur de Ca2+ de 0,55 mM la coagulation est encore
quasiment normale. Pour cette raison l’objectif du dispositif d’asservissement d’administration
de citrate est d’atteindre une calcémie circuit comprise entre 0,30 et 0,35 mM. On verra que tout
écart de cette valeur idéale de la calcémie ionisée du circuit est de nature à entrainer une alcalose
métabolique.

En pratique la concentration plasmatique de citrate qui permet d’atteindre cet objectif est de
l’ordre de 4,0 mM. On prend l’habitude de régler cette valeur cible virtuelle car elle correspond à
un modèle mathématique qui assure la liaison aux effets cliniques exactement comme avec les
valeurs cibles au site effet de la sédation ou de l’anesthésie à objectif de concentration.

Enfin il est important de réaliser que le calcium apporté en sortie de circuit n’est pas destiné à
antagoniser le citrate administré. Ce dernier persiste jusqu’à son métabolisme ou son élimination
et l’apport de calcium ne fait que compenser la « perte » du calcium liée à l’épuration
extrarénale (convective ou diffusive).

Les divers industriels qui proposent un mode citrate-calcium sur leur moniteur d’EER ont
travaillé avec les capacités de l’informatique embarquée pour gérer un nombre important de
règles et contraintes lesquelles sont résumées sur la figure 4. La règle de base est d’obtenir en
continu la concentration de citrate jugée optimale pour assurer l’anticoagulation tout en
minimisant la quantité de citrate qui échappe à l’épuration.

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Figure 4. Principaux déterminants de la charge en citrate imposée au patient intervenants au niveau du modèle.
En rouge les mécanismes d’accroissement et en vert les mécanismes de réduction constants. Le nombre des
interdépendances justifie l’usage d’un modèle informatisé ainsi que de rendre constant ce qui peut facilement l’être
(membrane, modalités opératoires, concentrations, valeurs de départ, etc.).

Au sein de ce modèle les solutions proposées opèrent automatiquement deux asservissements
principaux qui sont :

  •      le réglage de la vitesse de la pompe à citrate en fonction de la concentration de la
         solution employée, du débit sanguin et de l’objectif de concentration souhaité ;

  •      le réglage de la pompe d’administration de chlorure de calcium en fonction de la
         concentration de la solution employée, du débit massique de citrate obtenu, des
         caractéristiques épuratives circonstancielles et de l’objectif de concentration souhaité.

Si tout ce qui peut et doit être automatisé l’est, le clinicien garde en revanche la main sur les
choix et les réglages des objectifs de citratémie d’entrée de circuit et de calcémie de sortie de
circuit. Il garde la possibilité de régler manuellement les débits de sang et de dialyse, de
restitution et de perte patient mais des recommandations précises sont fournies pour que
persiste une harmonie entre ces réglages afin d’assurer le respect du modèle pharmacocinétique.
Des abaques permettent de déterminer les réglages optimaux en fonction des valeurs de
calcémies observées et de la situation acido-basique du patient. Elles sont des ressources
pédagogiques initiales mais elles ne sauraient se substituer à la compréhension des mécanismes
mis en œuvre qui seule permet de s’adapter à toutes les situations rencontrées et surtout d’éviter
la survenue de phénomènes d’excès d’apport ou d’accumulation qui peuvent se constituer

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lentement en dépit d’un respect des abaques. Par exemple un patient dont la calcémie ionisée du
circuit est maintenue à la limite inférieure fixée par l’abaque (0,30 mM par exemple) pendant
plusieurs jours recevra au total une dose de citrate trisodique à métaboliser plus importante que
si il avait été positionné au milieu de la fourchette admissible. Ce phénomène explique les
alcaloses de surdosage que l’on persiste à observer alors qu’elles sont devenues totalement évitable
avec une bonne formation.

Alors que les abaques fournissent les réglages les plus facilement mémorisables la compréhension
des différents mécanismes en jeu permet de déterminer le réglage optimal. En effet, ce dernier
est souvent un réglage parmi plusieurs possibles.

    L’adaptation des débits comme celle des objectifs de concentration nécessitent de connaître
    les calcémies (ionisées) circuit et systémique. Cette mesure est réalisée au laboratoire par
    dosage direct du calcium ionisé (électrode sélective) et aujourd’hui plus rarement par calcul à
    partir de la calcémie totale {Gidenne, 2003}. Dans ce dernier cas le modèle utilisé est peu
    adapté à l’anticoagulation au citrate car il suppose que le calcium n’est fixé qu’à l’albumine et
    aux globulines plasmatiques et ignore le citrate, ce qui n’est acceptable que lorsque le patient
    ne l’accumule pas. En outre les abaques qui sont basées sur la linéarité du logarithme de
    [Ca2+] en fonction du pH entre 7,20 et 7,60 ne sont plus utilisables en acidose sévère et le
    laboratoire de biologie refuse alors souvent de rendre un résultat incertain. Il est donc
    indispensable de mettre en place un protocole commun de rendu des résultats « en l’état »
    en cas de pH inférieur à 7,20 car, même si la valeur est inexacte à 0,02-0,03 mM près, la
    connaissance de cette valeur approximative peut permettre d’éviter de perdre un circuit ou
    de laisser se constituer lentement une hypocalcémie ionisée systémique. L’idéal reste bien
    entendu la mesure directe du Ca2+ avec une électrode spécifique.

    L’attention du clinicien a été portée sur la variabilité des résultats obtenus selon le matériel
    employé. Les différents appareils de dosage de la calcémie ionisée donnant systématiquement
    des valeurs différentes pour un même échantillon sanguin {Schwarzer, 2015}. Ce
    phénomène justifie d’adapter les normes en vigueur dans sa pratique clinique à la machine
    utilisée par des séries de dosage d’étalonnage. Le protocole de réglage qui en découle sera
    alors basé sur la valeur retenue comme étant la cible à atteindre.

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Figure 5. Variabilité des valeurs de calcémie ionisées obtenues pour un même échantillon de sang d’après
{Schwarzer, 2015}. Cette importante variabilité ne porte que sur les valeurs postfiltres mais elle ne peut pas
être négligée.

Le dosage de la calcémie ionisée est indispensable quelques minutes après le démarrage de
l’épuration puis régulièrement toutes les 4 heures en deux points. On peut raisonnablement,
lorsque l’état stationnaire est atteint, se limiter à un double dosage toutes les 6 heures mais il
faut savoir accroitre cette fréquence en cas de survenue d’une anomalie, par exemple quand
des changements de réglages importants sont réalisés. Outre le pilotage du modèle ces
dosages mettent à l’abri d’accidents potentiellement graves. Cette pratique régulière des
dosages permet d’anticiper et de maitriser la tendance lorsque un déplacement des valeurs
s’opère progressivement à l’intérieur des fourchettes de valeurs acceptables.

       •      On ne dose pas en routine la citratémie dans le circuit d’EER. Seul son effet
              nous intéresse, il est mesuré de façon régulière par l’intermédiaire de la calcémie
              ionisée du circuit. La valeur mesurée du Ca2+ servira donc à choisir la
              concentration cible de citrate. Par convention la calcémie circuit se mesure
              toujours à l’extrémité veineuse du filtre, raison pour laquelle on la nomme
              «calcémie post-filtre ».

       •      La mesure régulière de la calcémie ionisée systémique permet de s’assurer que la
              quantité de calcium ayant été épurée sous forme de CCC a été convenablement
              compensée par l’apport de calcium ionisé à sa sortie.

    Ces deux principes doivent être bien mémorisés car on pourrait penser, à tort, qu’une

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   calcémie circuit éloignée de l’objectif pourrait être compensée par un changement des
   apports de calcium en sortie de circuit ou encore qu’une anomalie de la calcémie ionisée
   systémique pourrait justifier de réduire l’objectif de citratémie dans le circuit. Ces deux
   derniers raisonnements sont erronés car ils correspondent à un mécanisme de “levier”
   utilisé dans le mauvais sens.
D’autres examens biologiques sont régulièrement nécessaires, à des fréquences moindres que
la mesure de la calcémie ionisée.

   Les gaz du sang permettent de contrôler le pH systémique du patient et de prévenir son
   élévation lors de l’utilisation de citrate trisodique. Les légères élévations doivent être
   considérées comme des tendances et justifient une adaptation des réglages de façon à
   prévenir les déséquilibres de façon précoce. Cette anticipation est en règle efficace alors
   que les corrections tardives sont longues et parfois difficiles. Ce point est sans doute l’un
   des plus délicats à faire acquérir à l’ensemble de l’équipe qui prend en charge les patients.
   La lactatémie, en général réalisée sur prélèvement artériel afin de bénéficier d’un
   échantillon de sang reflétant la production de l’ensemble des organes, elle doit être
   surveillée quand la situation clinique le justifie. Son élévation est très en faveur d’une
   réduction de la phosphorylation oxydative et donc parallèlement du métabolisme du
   citrate.

   Le ionogramme sanguin doit être surveillé une à deux fois par jour. La natrémie peut
   s’élever dans le cas où le bilan sodé ne serait pas équilibré (déficit d’épuration en dépit
   d’apports de citrate trisodique). La chlorurémie est susceptible de réduire en particulier
   en cas d’erreur dans le choix des solutés utilisés. L’usage accidentel d’un dialysat ou d’une
   solution de substitution destinée à l’EER conventionnelle peut être ainsi révélé (bien que
   des connexions détrompeuses soient en général présentes). En effet ces liquides
   contiennent moins de chlorure que dans les solutions destinées à l’anticoagulation au
   citrate. De même l’usage accidentel de gluconate de calcium à la place du chlorure de
   calcium se traduit par une hypochlorurémie associée à une rapide et importante alcalose
   métabolique.

   Le dosage quotidien de la calcémie totale permet de calculer le rapport Catot/Ca2+. Ce
   rapport s’élève quand se développe un troisième secteur calcique plasmatique. Il a été
   proposé d’utiliser ce rapport pour fixer la limite d’utilisation de l’anticoagulation au
   citrate {Meier-Kriesche, 2001}. En pratique, plutôt que d’attendre d’atteindre une limite
   arbitraire avec des apports importants de citrate et une élimination insuffisante des
   CCC, il est plus judicieux de simplement réaliser les réglages adaptés puis de surveiller
   que la valeur de ce rapport ne s’accroit pas. En effet, le diagnostic précoce permet le plus
   souvent de rectifier les réglages responsables d’une dérive progressive vers l’accumulation
   de citrate. Il faudra envisager une réduction des apports de citrate et un accroissement du

                                                      Anticoagulation au CiCa en EER de réanimation
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    débit d’épuration.

    Le magnésium est un cation divalent comme le calcium. Sa taille est inférieure mais ses
    implications chimiques sont analogues (case du dessus dans le tableau de Mendeleev). Il
    en résulte au plan chimique une moindre affinité pour établir une liaison ionique
    divalente avec le citrate. En physiologie cette notion chimique est rendue accessoire par
    la présence obligatoire de calcium ionisé dans le plasma qui fait que tout le citrate
    administré est immédiatement chélaté à du calcium (dont la concentration excède
    toujours celle du citrate) et qu’il ne reste donc pas de citrate libre disponible pour
    chélater le magnésium.

    Les quantités de magnésium chélaté lors d’une anticoagulation au citrate sont donc très
    faibles. En pratique le dosage du magnésium plasmatique est nécessaire mais une seule
    fois par jour comme chez la plupart des patients de réanimation. Dans la mesure où le
    magnésium n’interfère pas avec l’hémostase il est recommandé d’utiliser des dialysats ou
    des liquides de restitution contenant du magnésium à des concentrations proches de la
    physiologie.

Une caractéristique essentielle de toutes les techniques d’anticoagulation au citrate calcium
est le respect d’un strict couplage entre le débit sanguin et celui de la méthode d’épuration
assurant la clairance : dialyse ou convection.

    Le débit de dialyse en CVVHD ou en CVVHDF, comme celui de la substitution en
    CVVH et en CVVHDF contribuent à accroitre les clairances dont celle des CCC (PM
    = 298). Dans la situation la plus fréquente, à métabolisation de citrate normale, cet
    accroissement de clairance contribue à réduire l’alcalose induite par le citrate trisodique
    en cas d’apport important. Cette adaptation présente l’avantage, par rapport à la
    réduction de débit sanguin qui produirait le même effet, d’accroitre la clairance de toutes
    les substances et donc d’améliorer la suppléance rénale.

    Un cas particulier est celui de la prédilution en CVVH ou en CVVHDF. Elle dilue le
    sang et donc la calcémie permettant des objectifs de citratémie moindres puisque le
    calcium est dilué (jusque vers 3,0 mM). Mais la prédilution réduit la clairance globale.
    Elle est utilisée sous héparine comme adjuvant au cours d’une anticoagulation imparfaite
    et est de ce fait non justifiée sous citrate. La réduction d’administration de citrate n’est
    qu’illusoire car pour obtenir la même clairance que sans prédilution, elle oblige à un
    accroissement du débit sanguin et donc de la dose de citrate, aboutissant à l’effet opposé
    de celui recherché. C’est la raison pour laquelle il serait raisonnable d’éviter d’utiliser des
    solutions de citrate diluées ou toute autre prédilution quel qu’en soit le motif.

    La dose d’épuration à prescrire dépend évidemment de facteurs indépendants de la
    technique d’anticoagulation comme le poids du patient (incluant sa prise de poids

                                                        Anticoagulation au CiCa en EER de réanimation
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hydrique récente conduisant au concept de “poids pharmacologique”), l’éventuel
initiation tardive de l’épuration et de la capacité du cathéter à assurer un débit sanguin
constant à la valeur de débit sanguin que l’on aura choisie. En admettant que ces
paramètres soient déterminés, la figure ci-dessous donne, sur une membrane à haute
perméabilité utilisée en hémodialyse continue, un ordre d’idée des valeurs à régler ainsi
que du couplage avec le débit sanguin (cf. chapitre suivant).

Figure 6. Sur l’exemple d’une CVVHD, cette abaque propose différentes valeurs de couplage entre le débit
sanguin et le débit de dialyse continue sur membrane à très haute perméabilité en fonction du poids du
patient et de l’intensité d’épuration requise. La zone vert pâle représente les valeurs les plus fréquentes.

D’un coté, comme au cours de toutes les méthodes d’EER, le débit sanguin a intérêt à
être élevé pour éviter thrombose et faibles clairances mais, trop élevé, il engendre divers
problèmes au cours du temps, liés aux pressions et aux voies d’abord vasculaire. D’un
autre côté sous citrate une nouvelle contrainte est introduite : l’apport de citrate est
proportionnel au débit sanguin. Il convient donc qu’il soit le plus faible possible afin
d’en limiter les apports. Pour y parvenir tout en conservant une clairance suffisante, des
membranes à haute perméabilité sont employées, associées à des débits d’épuration
plutôt élevés. Le point le plus important à connaitre est que le respect du couplage
entre des débits de sang et d’épuration devient capital dès lors que le citrate est utilisé.
Sous héparine un couplage non optimal n’a pas d’incidence si ce n’est de ne pas
bénéficier de la meilleure clairance possible. Sous citrate un mauvais couplage est la porte
ouverte aux complications métaboliques et acido-basiques.

Une fois les valeurs et le couplage entre débits sanguin et d’épuration choisies et mises en

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    œuvre il est possible que des contraintes liées aux circonstances rencontrées chez le
    patient traité en justifient le changement. La figure ci-dessous expose comment de
    légères dérives au modèle permettent de contrôler l’équilibre acido-basique et la quantité
    de citrate finalement apportée au patient.

              Débit sanguin (mL/min)

                                                 2           1

                                                         3

                                       Débit dialyse ou ultrafiltration (mL/h)

    Figure 7. En réglant le débit d’épuration de façon proportionnelle au débit de sang (et donc de citrate
    puisque sa concentration est maintenue constante) aucune déviation acido-basique n’apparaît ce que
    reflète la concentration constante de bicarbonate plasmatique ( flèche 1). Un accroissement de débit sang
    isolé favorise une alcalose par apport accru de sodium (élargissement de la DIF, flèche 2). De façon
    opposée un accroissement isolé de l’épuration favorise l’acidose ( flèche 3) par clairance accrue du sodium.

On voit qu’au plan théorique, et la pratique le confirme très rapidement, que la technique au
citrate-calcium permet, sous prétexte d’anticoagulation, de manipuler assez facilement
l’équilibre acidobasique. Il est à ce jour recommandé de corriger certains désordres acido-
basiques (par perte de sodium, apports excessifs de chlorure, etc.) mais pas d’autres (par
accumulation d’indosés anioniques éliminés par le rein, d’hyperlactatémie par dysoxie
cellulaire, etc). Ceci oblige le clinicien, d’une part à percevoir la situation du patient avec
précision, mais aussi à ne corriger que la part de trouble acido-basique qui doit l’être. Cette
approche quantitative requiert donc une bonne maitrise de l’approche globale de l’équilibre
acide-base. En pratique, et par exemple, on tolèrera l’acidose des premières heures de prise en
charge tant que la charge d’indosés anioniques imputable au déficit d’élimination rénale n’est
pas épurée. En revanche on pourra corriger rapidement l’acidose liée à une hyperchlorurémie
d’apport (important remplissage au sérum salé isotonique). On pourra identifier plusieurs
autres situations de désordres acido-basiques dont la résolution par l’ajustement de la
prescription de la technique peut être guidée par l’interprétation de la différence des ions
forts (DIF). L’apparition au cours de l’emploi de la technique avec utilisation de citrate

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trisodique d’une alcalose métabolique avec augmentation de la DIF doit faire envisager une
diminution de l’apport de sodium libre, donc de citrate trisodique, en réduisant le débit
sanguin et/ou en accroissant son élimination en augmentant les débits de dialysat,
éventuellement d’ultrafiltrat.

Figure 8 : Le “carré calcium”. Lors des écarts au modèle idéal différents risques et différentes méthodes de
prévention doivent être connus. Il est important de noter que l’alcalose métabolique est la conséquence de trois
mécanismes différents. Qd = débit de dialysat, Quf = débit d’ultrafiltrat.

    L’apparition ou la majoration d’une acidose métabolique chez un patient sous EER au
    citrate doit faire envisager quelques situations typiques. Par ordre de fréquence :

    1. Une acidose par excès d’acides indosés liés à l’insuffisance rénale ou à une
    hyperlactatémie (baisse de la DIF, augmentation du trou anionique, hyperlactatémie).
    Dans ce cas il est nécessaire de ne pas modifier les paramètres de réglages de l’EER.

    2. Une accumulation de citrate non métabolisé par le patient. Celle ci sera marquée par
    l’apparition d’une acidose métabolique avec élévation du TIF (SIG) et du trou anionique

                                                               Anticoagulation au CiCa en EER de réanimation
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sans diminution de la DIF. L’origine de cette acidose n’est en général pas seulement
l’accumulation de CCC. La survenue d’une hypocalcémie ionisée et/ou d’une élévation
du rapport Catot/Ca2+ sont alors des signes d’alarmes. Dans ce cas il convient de réduire
au moins temporairement l’administration de citrate et surtout d’augmenter sa clairance
(en fait celle des CCC) par l’accroissement des débits de dialysat ou d’ultrafiltrat.
3. Une acidose métabolique hyperchlorurémique apparaissant malgré l’EER (baisse de
la DIF, TIF et trou anioniques normaux, hyperchlorémie et/ou hyponatrémie) doit faire
évoquer une forte inadéquation du débit sang et du débit de dialysat en cas d’utilisation
de citrate trisodique (le dialysat étant riche en chlorure et pauvre en Na+). Cette
situation incite à réduire le débit de dialysat et/ou à augmenter le débit de sang (pour
accroitre l’apport en Na+).

L’alcalose métabolique en rapport avec l’usage du citrate trisodique est liée à
l’accumulation ou à l’insuffisance d’élimination de Na+. On a vu qu’elle n’est en aucun
cas liée au citrate lui même. Le citrate serait au contraire pourvoyeur d’acidose (c’est un
anion fort) si il n’était pas entièrement chélaté par le calcium présent dans le plasma ce
qui lui confère une faible acidité résiduelle.

Trois principaux mécanismes peuvent entrainer une alcalose (Figure 8). Ils sont
aisément prévisibles de sorte qu’une équipe entrainée peut simplement se donner pour
objectif de ne jamais en voir se développer.

  1.    Un objectif de calcémie ionisée circuit bas. Il est obtenu par des apports de
        citrate trisodique importants qui représentent une charge d’ion sodium
        importante à éliminer. Si l’épuration n’est pas réglée en conséquence, une
        hypernatrémie se développe progressivement, non accompagnée d’une
        accumulation d’anion minéral, la DIF augmente et une alcalose apparait. La
        correction est d’adopter un meilleur réglage, réduisant la citratémie et
        accroissant donc légèrement la calcémie ionisée du circuit pendant une durée
        qui peut être longue, équivalente à celle qui a été nécessaire au déséquilibre pour
        être diagnostiqué. On voit ici l’intérêt de gérer la position du patient au milieu
        de la fourchette des calcémies ionisés circuits acceptables pour éviter la
        constitution progressive de ce type d’alcalose.

  2.    Un objectif de calcémie circuit élevé. Cette alcalose est paradoxale puisque
        située à l’exact opposé de la précédente, elle trouve son explication dans
        l’insuffisance de clairance et en particulier d’épuration du sodium et des ions
        citrate-calcium du fait d’une thrombose progressive et infra-clinique des
        capillaires du filtre. La créatininémie ne baisse pas à la vitesse habituelle, une
        accumulation d’indosés anioniques peut cacher l’alcalose qui se développe du

                                                  Anticoagulation au CiCa en EER de réanimation
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            fait d’une DIF progressivement accrue. La surveillance des pressions du circuit
            (∆P et PTM) et de l’aspect de l’extrémité veineuse du filtre permettent le
            diagnostic “clinique”.

      3.    Une hypercalcémie ionisée systémique indépendante du traitement. Il s’agit
            typiquement des situations d’hyperparathyoïdisme et donc le plus souvent de
            patients insuffisants rénaux chroniques pris en charge en réanimation. Leur
            hypercalcémie est totale et ionisée. Afin de ne pas l’accroitre, le prescripteur
            limite les apports de chlorure de calcium post-filtre. Il en résulte une carence
            d’apport de chlorure qui déstabilise le modèle du dispositif d’anticoagulation au
            citrate-calcium. La prévention et le traitement de cette alcalose reposent sur les
            apports de chlorure “libre” c’est à dire lié à un cation labile. En pratique on
            utilise HCl ou le chlorhydrate d’arginine. Leur disponibilité étant inconstante il
            s’agit alors d’une très rare situation où la technique ne peut pas être poursuivie.

Le monitorage répété de la calcémie circuit et de la calcémie systémique peut mettre en
évidence la survenue d’écarts aux valeurs attendues. Le clinicien dispose alors de quatre
principaux réglages pour restaurer l’objectif souhaité :

  •     Les débits de sang et d’épuration envisagés plus haut

  •     L’objectif de concentration de citrate dans le circuit

  •     L’objectif de concentration de calcium en sortie de circuit

Il est très important de comprendre que les bornes proposées, en particulier pour la calcémie
circuit représentent des limites à ne pas franchir. cependant toute position à l’intérieur de ces
bornes n’est pas forcément la meilleure.

La figure ci-dessous propose un schéma d’adaptation visant les valeurs de 0,34 mM pour la
calcémie ionisée post filtre et de 1,20 pour la calcémie ionisée systémique. La valeur de 0,34
doit être modifiée selon le dispositif de mesure employé mais le principe reste le même avec
une autre valeur {Schwarzer, 2015}.

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Figure 9. Proposition de schéma d’adaptation des réglages d’objectifs de concentration en fonction des valeurs
mesurées. Ce protocole cible une valeur idéale plutôt qu’une fourchette de valeurs admissibles.

    L’objectif de citratémie circuit sert à adapter rapidement les valeurs de la calcémie
    ionisée mesurée dans le circuit (ou post filtre). Il s’agit de la concentration de citrate
    obtenue en théorie, d’après le modèle mathématique, compte tenu de tous les autres
    réglages connus de la machine d’EER. Sa valeur usuelle est de 3,8 à 4,1 mM mais elle
    peut et doit être modulée en fonction d’autres d’impératifs médicaux. Par exemple si la
    calcémie circuit se situe plutôt vers le bas de la fourchette acceptable (vers 0,30 mM) il
    est sage de réduire l’objectif de citratémie de façon à réduire la charge en citrate et en
    sodium qui ne sont pas nécessaires.

      En pratique la méthode la plus simple n’est pas de rester dans la fourchette mais de
      viser son milieu : 0,34 mM. Ainsi le patient ne restera pas de longues heures avec
      des apports de citrate acceptables mais importants (calcémie basse) ou avec des
      apports faibles mais avec une membrane mal protégée de la thrombose (calcémie
      haute).

    L’objectif de calcémie de sortie de circuit sert à adapter rapidement les valeurs de la
    calcémie ionisée systémique. Sa valeur usuelle est de 1,7 mM et elle aussi est à régler en
    fonction du contexte, en particulier de la calcémie préalable du patient. La fourchette de

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calcémie systémique à maintenir est classiquement de 1,10 à 1,30 mM. Là encore
l’objectif dépend du contexte et de l’homéostasie calcique antérieure du patient.

 En pratique, à nouveau, la méthode la plus simple n’est pas de rester dans la
 fourchette mais de viser son milieu : 1,20 mM.

Le chlorure de calcium doit être utilisé (jamais de gluconate) car la charge en chlorure
est attendue par les modèles pharmacocinétiques de façon à maintenir l’équilibre acido-
basique (risque d’alcalose importante et rapide).

Il faut savoir être alerté par deux situations opposées :

  •     des besoins en calcium décroissants au cours du temps. En pratique, face à une
        calcémie progressivement à la hausse, on réduit la concentration cible de calcium
        post circuit. Cette situation peut trouver son origine dans une altération de la
        clairance du filtre (thrombose) qui induit la non élimination des CCC et, du
        fait d’une parfaite métabolisation du citrate, une élévation de la calcémie ionisée.

  •     Des besoins en calcium s’accroissants au cours du temps. En pratique des
        ajustements sont régulièrement requis du fait d’une calcémie ionisée systémique
        qui refuse de s’accroitre. Cette situation a des chances d’être le signe d’une
        insuffisance de métabolisme du citrate (le patient est sans doute en état de choc
        sévère avec une lactatémie également à la hausse). Le calcium chélaté n’est pas
        rendu disponible. Il s’accumule sous une forme inutile pour la physiologie.

Les premiers protocoles d’anticoagulation au citrate trisodique destinés à la pratique
clinique proposait le maintien de la calcémie postfiltre dans une fourchette de valeurs
admissibles. Après quelques années d’utilisation il apparait que cette méthode, efficace
en première approche, induit du fait de son application prolongée des risques d’alcalose
par deux mécanismes différents exposés par les figures ci-dessous.

                                                   Anticoagulation au CiCa en EER de réanimation
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