FONDS DE FONDS SPÉCULATIFS, FLAIR SÉLECTIF ET OPPORTUNISME DÉCISIONNEL

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FONDS DE FONDS SPÉCULATIFS, FLAIR SÉLECTIF ET OPPORTUNISME DÉCISIONNEL

    FONDS DE FONDS SPÉCULATIFS, FLAIR SÉLECTIF
          ET OPPORTUNISME DÉCISIONNEL

                           Greg N. Gregoriou (PSUNY)
                      Guy Charest (Université Laval, UQUAM)1
Résumé. Les auteurs offrent un aperçu des fonds dits spéculatifs2 et des porte-
feuilles les réunissant, appelés fonds de fonds spéculatifs (FFS). Ils revoient et
réinterprètent des résultats de la période 1993-2001 visant à établir si les manageurs
de FFS démontrent et du flair sélectif et de l’opportunisme décisionnel. Ils appli-
quent des modèles classiques ainsi que des modèles conditionnels à l’information
disponible. Le marché des FFS y est représenté par trois indices concurrents. Les
régressions conditionnelles révèlent trois fois moins d’indications significatives de
flair et d’opportunisme tout en expliquant mieux les primes boursières des FFS.
Globalement, les résultats s’avèrent instables, en particulier d’un indice de marché
à l’autre. Le recours à l’indice HFR débouche sur des indications convergentes de
flair. Avec l’indice ZCM, les régressions donnent des indications convergentes
d’opportunisme. Avec ALTVEST, on ne décèle aucune indication valable. Les
contradictions nombreuses et l’instabilité des résultats inclinent les auteurs à retenir
l’hypothèse prudente voulant que les manageurs de FFS ne se démarquent pas dura-
blement en termes de flair sélectif et d’opportunisme décisionnel, du moins si l’on
en juge par la période étudiée et les modèles utilisés. Ils évoquent la possibilité que
les modèles utilisés ne permettent pas de détecter l’opportunisme décisionnel qui
compte: celui qui protège l’investisseur en marchés baissiers.

1    M. Greg N. Gregoriou professe la finance et coordonne la recherche à la School of Business
     and Economics, Plattsburgh State University of New York, 101 Broad Street, Plattsburgh,
     N.Y. 12901-2681. On le joint via greg.gregoriou@plattsburgh.edu. M. Guy Charest
     (jag.charest@videotron.ca) dirige la revue Finéco de l’Université Laval et professe la fi-
     nance à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). N.B.: La sortie retardée du volume
     14(2004) a permis d’y inclure le présent article finalisé en 2008. Celui-ci adapte en français,
     met à jour et réinterprète le contenu du principal chapitre de thèse de Gregoriou (2003). Les
     auteurs remercient le professeur Komlan Sédzro (UQAM) pour sa direction doctorale et
     Mme Inès Gargouri pour sa précieuse assistance.
2    Les FS sont aussi appelés de couverture ou alternatifs. Ils se prêtent à des stratégies toujours
     plus nombreuses aux étiquettes souvent mal choisies, confondantes, voire changeantes.
     L’innovation constante fait que le vocabulaire du domaine tarde à se fixer.

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1.     INTRODUCTION

        La prolifération, depuis les années 90, des fonds spéculatifs (FS) privés, à
fortes mises et aux vocations disparates, a créé un potentiel de diversification qu’on
a vite exploité en composant des fonds de fonds spéculatifs (FFS). Ceux-ci n’ont
fait l’objet d’aucun article dans Finéco. D’où l’a-propos d’en donner un aperçu en
français à ses lecteurs à partir d’une relecture de travaux récents typiques, y com-
pris Gregoriou et al. (2003) et Gregoriou (2003). Vu l’objectif affirmé de
surperformance des FFS, il nous importe d’en vérifier l’atteinte, tant d’après ce
qu’en rapportent les écrits empiriques que par nos propres mesures appliquées à
437 FFS sur la période 1993-2001. Nos mesures exigent des modèles aptes à
détecter pour ces fonds toute surperformance significative. Celle-ci se capte par des
coefficients liés à des qualités manageuriales comme le flair sélectif et l’opportu-
nisme décisionnel. Bien sûr, d’une part, tout portefeuilliste compte sur son flair
pour mieux composer son fonds. D’autre part, il veut détecter les tournants des
marchés et pouvoir décider à temps d’en faire profiter son fonds. Si plus souvent
qu’à son tour, il pressent de tels tournants et les exploite à temps, alors il fait preuve
d'opportunisme décisionnel, dit market timing ability dans les cercles du place-
ment. La réputation d’un tel manageur va vite devenir enviable et une vive concur-
rence pour ses services fera exploser sa rémunération.

      Le milieu des FS3 et des FFS ayant généré ses propres sources de données
(dont celles décrites à la section III), les universitaires n’ont pas tardé à s’en servir
pour étendre leur champ d’évaluation de performance, en adaptant diverses
mesures pointues réservées jusque-là aux fonds classiques, comme celles prônées
par Ferson et Schadt (1996).

      Rappelons qu’un FS typique vise l’enrichissement absolu plutôt que relatif à
des normes passives (da Costa, 2001). Sa nature spéculative vient de ses stratégies
dynamiques. Celles-ci s’appuient d’ordinaire sur des positions très endettées et
capitalisent tant sur les distorsions de prix que sur les tendances des marchés.
L’auteur francophone Capocci (2004, p. 17-19) a fait le tour de six définitions con-
currentes. Nous en tirons la vision d’un FS comme étant un fonds privé, peu
transparent, pour gens fortunés, manageurs compris, aux fortes mises minimales
(amputées d’ordinaire d’une commission de 1% à 2%) et à la gestion dynamique
(coûtant de 15% à 25% du résultat net) pratiquée selon une stratégie dominante.
Celle-ci est appliquée via divers outils (positions longues/courtes, levier, arbi-
trage, etc.) et produits (simples ou dérivés) en visant un haut rendement à

3    Pour plus ample informé sur les FS, consultez l’Alternative Investment Management Asso-
     ciation (www.aima.org) et The Hedge Fund Association (www.thehfa.org).

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dispersion contenue. S’agissant d’un FFS, il réunit plusieurs FS aux stratégies
et gestions différentes et concrétise une diversification raffinée dont on espère
encore plus de rendement et moins de dispersion. Notons qu’il y a eu évolution
démocratique et que les mises minimales dans les FS ont eu tendance à baisser au
fil des ans, en passant de 1 M $ à 25 000 $, voire moins, quoique ce mouvement
pourrait être renversé4.

        La prolifération des FS à partir des années 80 a suscité d’amples inquiétudes,
suite à divers constats établis, notamment, par le Fonds Monétaire International
(FMI, 2005; de Rato, 2007). En 2000, on dénombrait pas moins de 8 000 FS en
hausse constante jusqu’à 9 500 en 2007, avec bien au-delà de 1 000 milliards $ sous
gestion. Le FMI constate que le secteur FS aurait fleuri au point d’offrir un (dan-
gereux?) substitut aux placements classiques des caisses de retraite ou fonds
communs ayant devoir de prudence. Il constate aussi que les FS se sont développés
autour des grands négociants sur les marchés instables (obligataires, monétaires,
etc.). Il semble toutefois qu’avec la multitude tant des FS que des investisseurs ri-
chissimes, institutionnels ou privés, les participations dans les FS deviennent
davantage des placements vitaminés au sein d’énormes portefeuilles plutôt que des
paris isolés sur des stratégies de FS. Néanmoins il existerait un danger réel qu’une
concordance poussée dans l’adoption de stratégies à rendements et leviers tous azi-
muts mette en péril le système financier. Il donne l’exemple de la débâcle du FS
géant, Long-Term Capital Management (LTCM) en 1998, à la faveur d’un mora-
toire inattendu sur la dette russe, et son rescapage in extremis par un grand
consortium privé soutenu massivement en liquidités par la Réserve Fédérale US.
Nous y revenons à la section II. Capocci (2004, chap. 5) en relate toutes les péripé-
ties. Notons que le FMI désapprouve de tels sauvetages car ils encouragent certains
fonds à investir avec imprudence. Or voilà que survient en 2007 l’interminable
crise des dérivés hypothécaires hors normes (crise dite des subprimes) dont le coût
global avoisinerait mille milliards $ (selon l’Union des Banques Suisses, en mars
2008). Tout indique que les grands investisseurs et arbitrageurs du monde entier
auraient agi comme un insouciant troupeau. Précisons que les dérivés en cause sont
adossés à une immensité de prêts hypothécaires douteux qu’on a titrisé en masse,
puis structuré en énormes tranches à risque gradué, de qualité admissible pour
revente aux grands investisseurs de partout, banques et caisses de retraite com-
prises. La bulle immobilière ayant explosé aux USA, les titres adossés s’en trouvent

4   L’avoir minimal qu’exige la SEC des investisseurs de FS se situe, depuis 1982, à 1 M $ en
    valeur nette ou à 200 000 $ de revenu annuel. Mais selon le Wall Street Journal du 14/12/
    06 (p. C1), on exigerait bientôt une fortune investie d’au moins 2,5 M $ (domicile exclu).
    Le pourcentage des ménages américains aptes à investir dans les FS passerait alors de 8,5%
    à 1,3%, ce qui renverserait le mouvement existant vers plus d’accès aux FS.

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dévalorisés à l’extrême et le système financier ébranlé d’autant. La faillite de la
grande banque d’affaires Bear Stearns, en témoigne. Encore une fois la Réserve
Fédérale intervient radicalement. Elle abaisse fortement son taux directeur en
prélude à ses prêts massifs à vil taux à un repreneur (J.P. Morgan), le tout aidant à
mener les USA vers la récession en 2008. Dans les deux crises ci-dessus, il y a une
parenté: des événements inattendus, comme le moratoire sur la dette russe en 1998
et le krach immobilier en 2007 aux USA, conjugués à l’accumulation irresponsable
des risques (notamment via surendettement extrême) minent la confiance et
assèchent les marchés, ce qui provoque d’immenses pertes dans l’économie alors
que ses grands acteurs se croyaient bien couverts dans leurs énormes placements.
L’on peut mieux comprendre ici pourquoi il est plus juste de parler de fonds spécu-
latifs plutôt que de couverture car ils offrent une protection trop conditionnelle.

        Par ailleurs, les FS sont confondants à plus d’un égard. Ils se démarquent par
leur stratégie dominante, dont l’éventail ne cesse de s’élargir dans la confusion.
Parmi les plus connues, l’on compte: (1) la stratégie d’événements qui capitalise
sur les grands moments de la firme: émission première ou ultérieure, acquisition,
absorption, rachat d’actions, réorganisation; etc.; (2) la stratégie d’arbitrage, no-
tamment celle axée sur les groupements propices aux gains boursiers (voir Kirouac
et al. dans le présent volume de Finéco) ou celle basée sur les écarts de prix entre
titres semblable; (3) la stratégie macro qui mise sur l’anticipation de tendances glo-
bales et de tournants dans les marchés (boursiers, monétaires, obligataires, etc.) au
niveau tant national qu’international, avec prise en compte de leurs intercon-
nexions, et où l’opportunisme décisionnel y a toute sa place; et (4) la stratégie
longue/courte appliquée surtout au marché des actions où l’achat de titres tenus
pour sous-évalués couvre la vente à découvert de titres tenus pour surévalués; c’est
d’ailleurs la stratégie à l’origine des fonds de couverture et de leur appellation. Le
lecteur francophone trouvera une ample description de l’éventail des stratégies der-
rière les FS avec exemples à l’appui dans le chapitre 3 de Capocci (2004).

       Ci-dessous, nous abordons les écrits sur les mesures de performance des FS
et FFS (section II). Nous caractérisons ensuite nos données (III) avant de présenter
et d’interpréter nos résultats (IV), puis de conclure (V).

II.     ÉCRITS PERTINENTS ET MESURES DE PERFORMANCE

a.      Généralités

      À partir d’écrits représentatifs, faisons le point sur les mesures de perfor-
mance des portefeuillistes, ces spécialistes qui composent et qui, d’ordinaire,
gèrent plus activement que passivement les portefeuilles. Avant d’expliquer les

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mesures de pointe, dites conditionnelles aux chocs informatifs, qui nous serviront
à évaluer la performance des manageurs de FFS, voyons un peu comment ont
évolué les mesures inconditionnelles classiques. Celles-ci dérivent du modèle
d’évaluation d’actifs dominant des années 60, le CAPM (Capital Asset Pricing
Model), dû surtout aux célèbres chercheurs Sharpe et Lintner. Mais d’abord, rap-
pelons avec Elton et Gruber (1981, chap. 21), que toute évaluation est matière de
comparaison. Ainsi importe-t-il que la performance obtenue d’un portefeuille sous
gestion soit jugée par rapport à un rendement de référence peu contestable. Il peut
s’agir souvent d’un rendement indiciaire approprié, corrigé pour le risque couru. En
situation unifactorielle très simple, par exemple, il conviendra d’adopter un indice
équipondéré d’actions crédible si le manageur sous évaluation gère un fonds
mutuel visant l’équipondération dans les limites de la loi. En situation plus com-
plexe où l’on veut juger tant de flair sélectif que d’opportunisme décisionnel, il
importe sensément que le rendement référentiel englobe tant l’influence des fac-
teurs agissants que la valeur prédictive des chocs informatifs récents, de sorte que
tout excédent significatif en devient plus crédible.

b.    Les premières mesures

       Les premières mesures marquantes, toujours usitées, nous viennent de
Sharpe (1966) et de Jensen (1968). On peut dire que Sharpe relativise en plusieurs
dimensions la performance du portefeuille p. D’abord, il traduit son rendement r en
écart relatif au taux sûr, f, du marché qu’il standardise ensuite par le risque total
couru (le sigma: σ), d’où Sp = (r-f)/σ. Cette prime obtenue par unité de sigma se
prête déjà aux comparaisons entre fonds, mais elle devient plus significative si on
la juge par rapport à la prime observée pour le marché m, soit Sm = (m-f)/σm, où
m correspond en pratique à un rendement indiciaire réputé pertinent. La mesure de
Sharpe se comprend puisqu’il la proposait pour évaluer la performance des fonds
mutuels d’actions (diversifiés de par la loi) sous hypothèse implicite que l’investis-
seur en actions d’alors, soucieux de diversification, ne pouvait guère faire mieux
que de miser largement sur un fonds mutuel donné. Notons ici la nécessité d’établir
la performance d’un portefeuilliste par rapport à des critères acceptables par les
acteur du marché. Et ces critères évoluent bien sûr avec les progrès conceptuels de
la science financière et l’accès à des données fiables. Jensen, par exemple, concur-
rence Sharpe en adoptant le risque indiversifiable, dit bêta, plutôt que le risque
total, dit sigma, pour évaluer les fonds mutuels, le CAPM voulant que seul l’indi-
versifiable soit rémunéré par le marché. Via régression, il retranche la prime de
marché justifiée par le bêta, soit β(m-f), de la prime (r-f) observée pour le fonds et
obtient ainsi l’alpha (α), soit l’ampleur de l’écart de performance autour du niveau
zéro attendu selon le CAPM. Si le portefeuilliste tend à accumuler des α positifs

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significatifs d’une période d’évaluation à l’autre, on estime alors qu’il sait com-
poser ses portefeuilles avec un flair sélectif plus qu’ordinaire.

c.     Opportunisme décisionnel et mesures inconditionnelles

       À partir de la décennie 60, les évaluateurs ont vite compris qu’il importait
d’ajouter l’opportunisme décisionnel comme dimension de la performance. Il leur
a suffi de constater que les portefeuilles se gèrent presque tous en mode actif, même
si le mode passif se justifie sous deux hypothèses soutenables: le marché tend vers
l’efficience et la gestion passive, peut-être parce que contre nature, demeure li-
mitée... car autrement le manque d’activité dans le marché en atténuerait l’effi-
cience. Quoi qu’il en soit, tout manageur confiant s’estime judicieux dans son choix
initial de portefeuille et capable ensuite de le remanier opportunément puisqu’il
croit pouvoir prédire les tournants du marché. D’où l’apparition d’extensions ad
hoc à la relation unifactorielle du CAPM pour estimer conjointement le flair sélectif
et l’opportunisme décisionnel du manageur. On conçoit que le manageur va jouer
sur ses poids d’actions et d’obligations selon les tournants de marché qu’il prévoit.
Par exemple, s’il prévoit un marché haussier d’actions, il augmente la proportion
d’actions et, du même coup, le bêta de son portefeuille. Pour la même prévision,
s’il n’a que des actions en portefeuille, il peut vendre celles à faible bêta pour en
acheter d’autres à fort bêta, et vice versa s’il prévoit un marché d’actions baissier.

      Treynor et Mazuy (1966) ont proposé d’ajouter une prime de marché au carré
             2
[(m-f)2 = p m ] dans la régression explicative de la prime obtenue (p=r-f). D’où
                    2                        2
p=α+β1(pm)+β2( p m ) + aléa. Comme p m est toujours positive, l’opportunisme
décisionnel devrait se traduire par un coefficient β2 positif significatif. En effet, le
manageur ayant don de pressentir les mouvements boursiers voudra augmenter, ou
baisser, opportunément son risque systématique (β1) selon que le marché va
monter, ou baisser, respectivement. Dès lors, son portefeuille jouira d’un surgain
du fait qu’il répondra plus positivement à une hausse de marché que négativement
à une baisse. Cela contraste avec la réponse symétrique qui prévaudrait sous ges-
tion passive du risque Son opportunisme décisionnel lui vaudra donc un surgain se
reflétant dans un coefficient β2 positif. Notons que si le même manageur actif se
méprenait grandement quant aux tournants du marché, on devrait observer un β2
négatif significatif, tandis qu’il sera insignifiant si la justesse de son action ou sa
méprise, relève du hasard. Sous hypothèse que les manageurs pressentent différem-
ment les états du marché (haussier ou baissier), Henriksson et Merton (1981) ont
proposé un modèle à double sensibilité pour expliquer la prime gagnée par les

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fonds (p=r-f). Dans la régression de Treynor et Mazuy, ils ont remplacé la com-
             2
posante β2( p m ) par β2( D • p m ) où la binaire D vaut -1 en marché baissier (m
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en portefeuille. En théorie, les statistiques veulent qu’avec plus de choix pour un
risque pondéré donné, le meilleur rendement potentiel se situe sur une frontière
efficiente plus haute dans l’espace rendement-risque.

       Et si en pratique ces hauts rendements potentiels se concrétisent pendant bien
des années, l’attrait des FS s’exerce bien au-delà du cercle des investisseurs, for-
tunés et riscophiles, à leur origine. Il amène, par exemple, des caisses de retraite,
astreintes à la prudence, à y investir peut-être indûment et à manquer ainsi à leur
devoir de vigilance. Selon de Rato (2007), le Directeur du FMI, il y a péril en la
demeure, puisque pas loin du tiers du financement des FS vient des caisses de
retraite. Or elles s’acheminent vers des résultats peu avouables en 2008.

       Nous avons déjà évoqué, en introduction, la débâcle du FS Long-Term Cap-
ital Management (LTCM) en 1998. LTCM se voulait surtout grand et audacieux
arbitre des taux d’intérêt à l’international. Avec son levier d’alors de 25 (= Actif/
Propre = 120MM$/4,8MM) et les centaines de contreparties plutôt inaptes à per-
cevoir ses problèmes de liquidité, LTCM fut ébranlé d’abord par la crise asiatique
(1997), puis la crise russe (issue d’un moratoire inattendu sur dette en 1998). Le
tout généra à la fois des corrélations désastreuses entre familles de titres obli-
gataires et des écarts de taux accrus, plutôt que leur resserrement attendu. La
liquidité de divers marchés se tarit alors, ce qui emprisonna un grand nombre
d’acteurs dans des positions hautement dévalorisées. En août 1998, la valeur à ris-
que (VaR) quotidienne de LTCM, estimée avant à 35M$, passa à 500M$, son levier
à 50 et son actif à 2/3 du niveau antérieur. Septembre fut pire. Le levier dépassa
100. Une telle faillite aurait pu entraîner celle de ses contreparties majeures et un
krach dans le système financier. Un consortium (Oversight Partners), issu d’une
quinzaine parmi les gros contrepartistes concernés, et disposant de l’appui de la
Réserve Fédérale US, permit un sauvetage in extremis en injectant autour de
3,65MM$ (le total des pertes) contre 90% des droits de vote et le contrôle des
opérations. L’échec de LTCM s’amorça donc par une conjugaison de circonstances
peu prévisibles mais se concrétisa par son incapacité à prévoir des scénarios
extrêmes et à les gérer le cas échéant. L’on répète aussi qu’il péchait par des trans-
actions peu diversifiées. Le chapitre 5 de Capocci (2004) en dit beaucoup plus long
sur la débâcle de LTCM. Elle renvoie nécessairement au manque de transparence
des FS et à l’imprudence les poussant à rallonger leur levier financier.

e.     Gestion des FFS

      Gérer un FFS n’a rien de simple à cause de ses nombreuses dimensions.
Autant de fonds réunis, autant de manageurs et d’égos coriaces à contenir, voire à
contredire. Si le gérant se croit, à tort ou à raison capable d’opportunisme décision-

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nel, il voudra en vitesse repondérer ses mises de fonds, tout en considérant
l’évolution dans les rentrées des fonds et les différences dans les égos et habiletés
des manageurs, en plus des exigences de la gestion continue. On peut imaginer le
doigté et la claire vision qu’il faut à un gérant de FFS pour s’approcher d’une per-
formance optimale (Sharpe, 1999; Ineichen, 2002b).

       Heureusement pour les chercheurs, les FFS étant fort diversifiés et aptes à
survivre, leurs rendements s’avèrent moins biaisés que ceux des FS (Fung et Hsieh,
2002a). Les fichiers de FS souffrent d’un biais de sélection, car seuls les FS à suc-
cès offrent leurs données aux diffuseurs de fichiers, en plus d’un biais rétroactif: si
le FS réussit ultimement, il veut bien s’inscrire rétroactivement au fichier. Ces biais
ne jouant pas au niveau d’un FFS, il s’ensuit que ses rendements en sont moins
déformés (Fung et Hsieh, 2000).

       Par ailleurs, Ineichen (2002b) estime que l’écart de performance s’élargit
entre bons et piètres manageurs de FFS. À cause que perdure la grande volatilité du
marché et que les FS se multiplient, les FFS émergent plus vite que les bons ma-
nageurs se créent. Pour Ineichen (2002a), le FFS qui optimalise sa valeur réunit et
compose judicieusement ses FS, certes, mais il sait surtout en bien choisir et sur-
veiller les manageurs. Anson (2000) n’y voit que réunion judicieuse de FS.
Toutefois, comme chaque FFS a sa façon plus ou moins éprouvée de choisir ses
manageurs, les résultats du portefeuille global s’avèrent souvent sous-optimaux.

       Par ailleurs, investir dans des FFS établis ajoute une strate de frais pour ges-
tion (1% à 2%) et de performance (10% à 20%, parfois plus). Pourtant, on évite
d’ordinaire de constituer, surveiller et maintenir son propre fonds. L’attrait
d’investir plutôt dans un FFS bien choisi tient à ce que l’investisseur bénéficie
d’une précieuse diversification, de nombreux manageurs étalant le risque sur un
large éventail de stratégies (Schneeweis et Spurgin, 2000; Martin et Spurgin,
1998). Il demeure que le FFS fait payer cher son activité permanente de gestion
(Anson, 2001; Acito et Fisher, 2002). Le danger existe aussi que le FFS, en comp-
tant trop de fonds (disons plus de 40), s’apparente à un indice FFS, tant la
dispersion et l’asymétrie de rendement diminuent et tant l’alpha possible se dilue
(Brooks et Kat, 2001). De plus, souvent dans les FFS on gèle le placement jusqu’à
2 ans et on préavise de tout retrait longtemps d’avance, ce qui entrave l’opportu-
nisme décisionnel chez l’investisseur. Mais le gel protège le FFS contre les retraits
massifs tout en permettant l’exécution de ses stratégies. En général toutefois, on
offre des remises au mois (Fothergill et Coke, 2001; Ineichen, 2002b). C’est le cas
de 75% des FFS du fichier Zurich (ZCM).

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       Malgré les coûts et contraintes des FFS établis, ils attirent néanmoins de
nombreux investisseurs institutionnels en manque d’expertise, vu que leurs ma-
nageurs sont réputés capables de flair sélectif comme d’opportunisme décisionnel.
Gregoriou et al. (2003, chap. 2) en discutent. Ils éprouvent cette réputation en
recourant au modèle de Treynor et Mazuy (1966) en deux versions, originale et
modifiée, ainsi qu’à des données sur 953 fonds en vie et 541 disparus. Les tests
indiquent la présence de flair sélectif mais un manque d’opportunisme décisionnel.
Toutefois, leurs résultats ne sont pas robustes et souffrent dans leur interprétation
des biais inhérents aux FS (Edwards et Caglayan, 2001; Liang, 2000; Fung et
Hsieh, 2000). De plus, l’intuition suggère que les mesures de performance issues
des modèles classiques ou plus récents, du type conditionnel à la Ferson et Schadt
(1996), seraient économétriquement inaptes à déceler l’opportunisme qui compte,
celui que les meilleurs manageurs de fonds savent pratiquer en pressentant des états
de la nature critiques pour leurs investisseurs. On pense, par exemple, à leur apti-
tude à limiter les pertes en cas de coups durs dans l’économie. Cette intuition
d’assurance critique via l’exploitation de l’asymétrie des rendements en gestion de
portefeuille se retrouve dans les écrits depuis au moins les années 80 (Friend et
Westerfield, 1980). Une décennie plus tard, Racine (1992, 1993) y consacre une
thèse et un article. Ses résultats indiquent que la coasymétrie positive des actifs
avec le marché (qui accentue le gain en période d’expansion, et atténue la perte en
cas de récession) n’est rémunérée qu’en récession.

       Enfin, dans les recherches très récentes, dont celle de Glode (2007), l’on
impute à diverses lacunes dans les modèles utilisés les constats récurrents de sous-
performance des fonds communs depuis les années 60, les constats ne semblant
guère meilleurs du côté des FS depuis les années 90. Devant la persistance de tels
résultats négatifs, pourquoi investit-on toujours plus dans ces fonds? En élaborant
à partir de Moscowitz (2000) et de Kosowski (2006), Glode peut soutenir pour les
fonds mutuels que la gestion active, contrairement à la gestion passive, offre une
protection lorsque l’économie flanche, ce que d’ailleurs revendiquent les FS depuis
leur création. Nous rejoignons ici Racine (1992, 1993) qui décèle l’existence de
primes d’assurance anti-récession dans son étude de la coasymétrie des actifs avec
le marché. Par transposition, peut-on croire que la gestion active du portefeuilliste
créerait pour son fonds une coasymétrie positive avec le marché et donc atténuerait
la baisse du fonds en période de chute? La question est tentante vu que l’on espère
toujours voir deux filons de recherche soutenir une même hypothèse, ici celle d’une
assurance critique contre les coups durs dans l’économie.

98   FINÉCO, volume 14, année 2004
FONDS DE FONDS SPÉCULATIFS, FLAIR SÉLECTIF ET OPPORTUNISME DÉCISIONNEL

Mesures conditionnelles

       Nous avons déjà présenté divers modèles classiques pour mesurer la perfor-
mance des fonds. Il s’agit des modèles à mesure unique de Sharpe (1966) et de
Jensen (1968), ainsi que des modèles à double mesure (flair sélectif et opportu-
nisme décisionnel) proposés par Treynor et Mazuy (1966) et par Henriksson et
Merton (1981) en version inconditionnelle (TMI et HMI ci-après). Mais l’on sait
qu’en gestion active le portefeuilliste tient compte, au minimum, des derniers chocs
informatifs de nature macro ayant un pouvoir prédictif. Il s’impose alors que l’on
conditionne toute preuve de surperformance à l’intégration des chocs informatifs
dans la norme de performance. Dans nos tests sur les fonds de fonds spéculatifs
(FFS) ci-dessous, nous obtenons des résultats avec les modèles inconditionnels
TMI et HMI, et cela afin de mieux relativiser notre interprétation des résultats con-
ditionnels obtenus avec TMC et HMC selon l’approche de Ferson et Schadt (1996).
Cette approche a fait école à cause d’une innovation crédible. Par prudence, pour
rendre la méprise moins probable, elle prend en compte l’effet que l’information
macro disponible peut avoir sur la performance subséquente du fonds, avant
d’imputer un effet possible à l’opportunisme décisionnel du manageur. D’où son
adoption par nous vu notre ambition de déceler une composante d’opportunisme
décisionnel dans la performance des FFS. Rappelons qu’ils s’agit d’habileté chez
le manageur à pressentir les tournants du marché et à agir à temps au bénéfice des
fonds sous gestion. Les précisions sur l’approche conditionnelle sont intégrées aux
résultats à la section IV. Mais décrivons d’abord nos données.

III. DONNÉES

       Nos données de la période 1993-2001 couvrent des marchés tant haussiers
que baissiers, aux pointes parfois aiguës. Sont concernés 437 fonds de fonds spécu-
latifs (FFS) ayant des résultats mensuels, nets de frais, sur le fichier Zurich, dont
227 survivants (intérieurs ou hors-rive5) de la période, contre 210 disparus dans
l’intérim. Le tableau 1 les caractérise. On y voit, d’une part, des répartitions quasi-
ment symétriques car η3 avoisine zéro et m ≈ m' , en même temps que très
anormalement effilées au centre et épaisses aux deux bouts (η4 >> 3). Donc, la
fréquence des rendements extrêmes dépasse la normale chez les FFS. D’autre part,
le rendement mensuel moyen approchant m=0,5% (ou 6% l’an) révèle une perfor-
mance (nette de tous frais) pour les FFS qui semble bien modeste. Certes, la
dispersion à chaque mois étant en moyenne assez serrée ( σ = 3,62%), le rendement
mensuel dépasse zéro en toute probabilité. Notons aussi le champ très large du ren-

5   NDLR: Parce que plus courts, jolis et évocateurs, nous préférons “intérieur” et “hors-rive”
    à “territorial” et “extra-territorial” pour traduire “onshore” et “offshore”.

                                                            FINÉCO, volume 14, année 2004         99
GREG N. GREGORIOU ET GUY CHAREST

                                                   TABLEAU 1
                             Caractérisation du rendement mensuel, nets de tous frais,
                                  des FFSa d’après le fichier ZCMb (1993-2001)

 Nombre de FFS (N)                                           437                      227                       210
                                                                               survivants en 2001       disparus avant 2001

 Rendement mensuel moyen (m)                                0,45%                     0,52%                    0,30%

 Médiane ( m' )                                             0,45%                     0,47%                    0,34%

                                                            3,62%                     3,11%                    4,68%
 Écart type mensuel moyen ( σ )

 Asymétrie (3e moment: η3)                                   0,19                      0,34                      0,12

 Aplatissement anormal (η4-3)c                              17,90                     15,82                     13,62

 Minimum                                                   -49,41%                   -49,37%                  -49,41%

 Maximum                                                   71,14%                    48,28%                    71,14%

 Statistique t ( m ≠ 0? )                                   20,93Δ                    23,08Δ                    5,76Δ

 Δ
   Significatif au seuil de 0,0001; a FFS symbolise les fonds de fonds spéculatifs; b ZCM réfère au Zurich Capital Mar-
 kets Database; c Un coefficient d’aplatissement η4 exactement normal égale 3 avec ± 1 comme champ assez normal: la
 répartition trop effilée ou amincie (lepto) au centre et épaisse aux bouts se reflète dans un écart η4-3 positif. Celle qui
 serait trop aplatie (platy) au centre et mince aux bouts donnerait un écart η4-3 négatif.

                                                    TABLEAU 2
                            Corrélations intéressantes issues des données pour 1993-2001

                                                                                 Indice spéculatif
 A.      Indice classique
                                                              HFR                      ZCM                    ALTVEST

         S&P 500                                              0,51                      0,56                    0,57
         Mondial (MSCI)a                                      0,59                      0,59                    0,62
         Salomon (Dette US)                                   0,03                      0,11                    -0,11
         Dow-Jones (30)                                       0,43                      0,50                    0,43
         Nasdaq                                               0,64                      0,59                    0,82
         Russell 2000                                         0,68                      0,70                    0,83

 B.      Spéculatif

         Hedge Fund Research (HFR)                            1,00                      0,93                     0,81
         Zurich Capital Markets (ZCM)                         0,93                      1,00                     0,75
         Investor Force (ALTVEST)                             0,81                      0,75                     1,00

 C.      Variable d’information                               DEF                      ECH                       VIM

         Prime de défaut (DEF)                                1,00                     -0,13                     0,44
         Prime d’échéance (ECH)                               -0,13                    1,00                     -0,01
         Volatilité intramensuelle (VIM)                      0,44                     -0,01                     1,00

 a
  : MCSI: Il s’agit de l’indice Morgan Stanley Capital International couvrant des milliers de compagnies dans plus de 20 pays.

100    FINÉCO, volume 14, année 2004
FONDS DE FONDS SPÉCULATIFS, FLAIR SÉLECTIF ET OPPORTUNISME DÉCISIONNEL

dement mensuel pour les N fonds de l’indice ZCM. Il va d’environ -50% à +70%,
ce qui s’accorde à l’épaisseur déjà notée en bouts de répartition. Comme on s’y
attend, les fonds survivants performent mieux (0,5% contre 0,3%) avec moins de
dispersion (3,1% contre 4,7%). Brown et al. (2001) et Gregoriou (2002) trouvent
des résultats semblables.

       Le tableau 2, pan A, montre que les indices spéculatifs HFR, ZCM et
ALTVEST sont surtout corrélés, à hauteur de 75% environ, avec l’indice immobi-
lier Russell 2000 et à environ 70% avec l’indice Nasdaq. Au pan B, on voit les
grandes corrélations entre indices spéculatifs (de 75% à 93%) et au pan C, la fai-
blesse des corrélations entre variables d’information, hormis peut-être celle de 44%
entre prime de défaut et volatilité intramensuelle. Au tableau 3, on note la similarité
des statistiques indiciaires pour HFR et ZCM alors que pour ALTVEST la perfor-
mance s’avère meilleure, à en juger notamment par les faits suivants: le rendement
et la dispersion sont à peu près le double, tandis que la fréquence de gain égale celle
de ZCM et dépasse celle de HFR. On note aussi que de 1993 à 2001 le nombre de
FFS dans les indices croît très vite, de 17% à 31% l’an selon l’indice, ce qui reflète
la prolifération de tels fonds. Par ailleurs, nous pouvons rapporter que HFR et ZCM
ont environ 70% de fonds en commun. En combinant l’un ou l’autre avec
ALTVEST, la proportion tombe à environ 60%. Mais notons que les 437 FFS rete-
nus par nous sont communs aux trois indices.

       Le tableau 4 caractérise l’évolution de l’information macro prise en compte
durant la période étudiée. Outre qu’elle soit seule à se répartir avec asymétrie nota-
ble à droite (1,55 >> 0), la prime de défaut (DEF) s’avère 5 fois plus forte (0,71%
contre 0,14%) et 14 fois moins dispersée (0,13% contre 1,87%) que la prime
d’échéance (ECH). Il semble donc que durant la décennie 90, le marché, a, avec
constance, plus craint la défaillance des firmes que l’inflation dans l’économie.
Notons aussi l’aplatissement prononcé de la répartition de la volatilité (VIM)
puisque son coefficient -0,52 se trouve à -3,52, sous le niveau 3 de parfaite normal-
ité. Rappelons que DEF se mesure par l’écart de rendement entre les dettes
corporatives BAA et AAA selon Moody’s tandis que celui entre les Trésors à 10
ans et à 3 mois mesure ECH. La VIM est disponible de la Bourse des options de
Chicago (CBOE). Elle combine les volatilités implicites de huit options d’achat et
de vente sur l’indice S&P 100 à échéance de 30 jours. Elle représente une estima-
tion de la volatilité boursière aux USA. Enfin, il semble probable que l’information
inhérente aux variables DEF, ECH et VIM entre dans les prédictions des porte-
feuillistes (Fama et French, 1989) et d’autant plus que les FFS misent grandement
sur les options et s’exposent amplement aux risques de défaut et d’échéance.

                                                   FINÉCO, volume 14, année 2004   101
GREG N. GREGORIOU ET GUY CHAREST

                                              TABLEAU 3
                          Statistiques sur les indices spéculatifs (1993-2001)
NB: Les indices se composent des fonds de fonds spéculatifs (FFS) réunis dans les fichiers Hedge Fund Research (HFR), Zurich
Capital Markets (ZCM) et Investorforce (ALTVEST). Les rendements ci-dessous sont bruts (avant frais). Mois t=1: jan. 1993;
Mois t = 108: déc. 2001.

                                                                              HFR               ZCM           ALTVEST

  • Rendement indiciaire mensuel (mt)
   Moyenne des mt, t=1,2,...,108, m , %
   Médiane, %                                                               0,80              0,84               1,54
   Ecart type, σ, %                                                         0,89              0,84               1,55
   Coefficient d’asymétrie (Norme 0)                                        1,92              1,48               2,60
   Coefficient d’aplatissement (Norme 3)                                   -0,33             -1,00               0,62
   mt maximal, %                                                            3,07              4,92               2,81
                                                                            6,85              4,50              11,54
   mt minimal, %
                                                                           -7,47             -6,40              -5,92
   Proportion des mois de gain ( m t ≥ 0 ), %
                                                                           67,59             77,78              76,85
   Gain moyen dans les mois de gain, %                                      1,76              1,38               2,48
   Perte moyenne dans les mois de perte, %                                 -1,22             -1,05              -1,57

  • Autres statistiques
   Rendement composé sur 9 ans, 100 {[(1+m1)...(1+m106)]-1}, R, %         131,12             143,41            405,83
   Rendement annualisé correspondant, 100[(1+R)1/9-1], %                   9,75               10,39             19,74
   Écart type annualisé ( σ 12 ) , %                                       6,65               5,09              9,00
   Ratio de Sharpe annualisé, (Rendement - Taux sûr)/Écart type            0,80               1,14              1,59

  • Nombre (N) de FFS dans l’indice au fil des ans

  Année             93       94        95       96     97         98     99         00     01           Taux annuel*
                                                                                                        de croissance

  HFR               72       88       113       138   161         194   230         256   250               17%

  ZCM               57       80       115       142   182         217   255         300    338              25%

  ALTVEST           37       42       56        87    116         165   205         225   326               31%

  * Taux = {[N(2001)/N(1993)]1/8 -1}100%

102     FINÉCO, volume 14, année 2004
FONDS DE FONDS SPÉCULATIFS, FLAIR SÉLECTIF ET OPPORTUNISME DÉCISIONNEL

                                                    TABLEAU 4
                                               Variables d’information
Elles reflètent les chocs informatifs inhérents à l’évolution d’indicateurs macroéconomiques susceptibles d’avoir un pouvoir pré-
dictif pour les portefeuillistes. Elles sont prises en compte à t-1, en même temps que divers facteurs pour établir le rendement
attendu à t. La prime de défaut (DEF) mesure l’écart de rendement entre les dettes corporatives BAA et AAA selon Moody’s. La
prime d’échéance (ECH) égale la différence de rendement entre des Trésors à 10 ans et des Trésors à 3 mois. La volatilité intra-
mensuelle est disponible de la Bourse des options de Chicago (CBOE). Elle combine les volatilités implicites liées à diverses
options d’achat et de vente sur indices, avec échéances de 30 jours.

                          DEF: Prime de défaut             ECH: Prime d’échéance             VIM: Volatilité intramensuelle

  Moyenne                         0,71%                             0,14%                                5,97%

  Médiane                         0,68%                             0,11%                                6,20%

  Écart type                      0,13%                             1,87%                                2,01%

  Asymétrie                        1,55                             -0,07                                 0,41
  (Norme: 0)

  Aplatissement                    4,15                              0,17                                 -0,52
  (Norme: 3)

  Minimum                         0,53%                            -4,60%                                3,06%

  Maximum                         1,31%                             5,27%                               11,33%

       Pour constituer nos échantillons, tel que recommandé par Fung et Hsieh
(2000), nous ne retenons que les FFS ayant au moins 24 mois de données. Avec un
critère de 36 mois, le biais de survie serait trop fort car les FFS éphémères affichent
d’ordinaire un rendement peu reluisant (Edwards et Caglayan, 2001). Il importe
que les performances mesurées en série et par sous-période reflètent le plus possi-
ble l’évolution des survies et des disparitions chez les fonds. Reconnaissons que les
fichiers de FFS sont problématiques à plus d’un égard. Le FFS a la liberté de
s’inscrire au fichier. Il le fera s’il accumule de bons rendements. D’où un biais
d’autosélection. De plus, l’inscription peut être rétroactive, ce qui accentue le biais.
Néanmoins, il est raisonnable d’estimer que nos trois échantillons de la période
1993-2001, constitués à notre manière, conviennent aux fins poursuivies. En effet,
ils renferment assez de FFS pour que nos mesures de performance tant globales que
particulières représentent convenablement l’évolution réelle des performances
dans ce secteur d’investissement aussi bouillonnant de croissance que peu règle-
menté. L’on se doit d’oeuvrer avec ce que l’on a, quitte à interpréter les résultats
obtenus avec une prudence accrue. Finalement, mentionnons que nous retenons les
fichiers HFR, ZCM et ALTVEST parce que les manageurs des FFS en cause se
concurrencent entre eux plutôt que de viser à dépasser des normes reliées à l’inves-
tissement passif (Brown et al., 2001; Fung et Hsieh, 1997, 2002a; Rostron et
Colvin, 1999). D’ailleurs, il est recommandé d’utiliser des indices de FFS en ma-
tière d’évaluation de leurs manageurs (Sharpe, 1999).

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GREG N. GREGORIOU ET GUY CHAREST

IV. RÉSULTATS

a.    Introduction et attentes

       Nous combinons ci-dessous l’explication de notre méthodologie à la présen-
tation de nos résultats visant à détecter du flair sélectif et de l’opportunisme déci-
sionnel chez les manageurs de FFS durant la période 1993-2001. Nos régressions
inconditionnelles(I) se conforment aux modèles classiques déjà introduits à la sec-
tion II, soit les modèles TMI (Treynor et Mazuy, 1966) et HMI (Henriksson et
Merton, 1981). Nos régressions conditionnelles correspondantes (TMC et HMC)
empruntent à la méthodologie référentielle en matière de performance de fonds
(Ferson et Schadt, 1996; Ferson et Warther, 1996) que nous transposons au monde
des FFS. Elles incorporent divers chocs, ou changements, dans l’information macro
disponible au moment des décisions des portefeuillistes. Rappelons d’abord qu’il
s’agit de chocs dans les primes de défaut (DEF) et d’échéance (ECH) ainsi que dans
la volatilité intramensuelle (VIM). Rappelons: (1) que rpt, ft, mt et εpt symbolisent,
dans l’ordre, le rendement du FFS p au mois t, le taux sûr des bons du Trésor US à
30 jours, le rendement mensuel indiciaire des FFS (qui diffère selon le fichier uti-
lisé) et le terme résiduel de l’équation; (2) que la prime (rpt - ft) observée pour le
FFS s’explique tant par ce que commande son risque de marché inconditionnel
[β1p(mt - ft)] ou conditionnel [β0p + β1p DEFt-1 + β2p ECHt-1 + β3p VIMt-1]
(mt - ft) que par l’opportunisme décisionnel des manageurs de FFS se reflétant dans
les coefficients β2p du modèle TMI, ou γp des modèles TMC, HMI et HMC; et (3)
que les estimations de flair sélectif se retrouvent dans les alphas des régressions
pratiquées. Les parties TMI et TMC du tableau 5 renferment les résultats incondi-
tionnels et conditionnels selon Treynor et Mazuy, HMI et HMC étant les parties
correspondantes selon Henriksson et Merton. L’addendum au tableau 5 réunit les
résultats clés ou en ajoute des complémentaires. Toutes les régressions visent à
expliquer l’évolution des primes mensuelles de rendement obtenues par les FFS
échantillonnés au fil des années 1993 à 2001 en fonction du risque, ou des effets
d’entraînement, du marché des FFS, tel que représenté par trois indices concurrents
issus des fichiers HFR, ALTVEST et ZCM (déjà décrits).

       Dépendant du modèle en cause, l’on présume que le manageur opportuniste,
celui qui pressent les tournants du marché et décide d’agir opportunément, aug-
mente son risque systématique avant un tournant positif de marché ou le baisse
avant un tournant négatif. Dans les deux cas, le FFS répondrait plus dans son ren-
dement aux hausses qu’aux baisses du marché, ce qui dans le modèle TMI se révèle
par un β2p positif et donc une corrélation positive entre Primept et (mt - ft)2 vu la
stricte positivité de ce dernier. Mais si les manageurs se méprennent souvent quant

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FONDS DE FONDS SPÉCULATIFS, FLAIR SÉLECTIF ET OPPORTUNISME DÉCISIONNEL

aux tournants du marché, β2p serait négatif tandis qu’il ne différerait pas de zéro si
leurs succès ou insuccès décisionnels relèvent du hasard. Toutefois, selon Brown
et al. (1999), puisque les fonds au sein des FFS changent de bêtas et de poids à notre
insu, le modèle TMI donnerait une mesure convenable de l’opportunisme décision-
nel des manageurs de FFS.

       D’après le modèle TMC, le conditionnement aux trois chocs informatifs à
t-1 procède de la prudence et épure en principe les mesures liées au risque systéma-
tique, β0p, et à l’opportunisme décisionnel, γp. Pour qu’un constat d’opportunisme
soit crédible, il faut qu’il tienne compte des derniers chocs informatifs jugés perti-
nents. Or, une prime de défaut (DEF) qui varie annoncerait du changement dans la
solvabilité des firmes, du moins selon le modèle d’évaluation par la consommation
(dit CCAPM, de Breeden, 1979; Harvey, 1988, etc.). L’on s’attend ici à un signe
négatif pour β1p dans l’équation TMC. En effet, une DEF qui s’amincit annonce
une consommation future accrue, une meilleure solvabilité des firmes, donc de
l’expansion et un meilleur rendement des FFS. Une DEF qui s’élargit augure d’une
solvabilité en baisse, voire d’une récession, et d’un rendement amoindri pour les
FFS. Pour sa part, la pente des taux d’intérêt, mesurée par la prime d’échéance
(ECH), peut en dire long sur l’évolution des taux futurs et sur l’activité économique
à venir (Estrella et Hardouvelis, 1991; Estrella et Mishkin, 1997). L’on s’attend ici
à un β2p positif dans l’équation C-1. Car une pente en hausse annonce certes des
taux futurs plus élevés mais aussi une confiance accrue en une activité économique
plus robuste, en une expansion favorable aux FFS. Avec une pente en baisse,
l’éventualité d’une récession, et de FFS moins performants, en devient plus proba-
ble. Quant à la volatilité intramensuelle (la VIM), elle révèle, par sa nature implicite
même et son calcul, la volatilité à venir sur un horizon rapproché. Toute hausse
annonce donc plus d’incertitude, soit un résultat négatif. Mais comme toute baisse
annonce l’inverse, l’on s’attend à un β3p négatif dans l’équation TMC. En résumé,
pour le modèle inconditionnel TMI, le β2p moyen devrait s’avérer positif si oppor-
tunisme décisionnel il y a, tandis que pour le modèle conditionnel TMC
l’estimation moyenne correspondante (γp) serait positive avec des coefficients liés
aux chocs informatifs DEF, ECH et VIM respectant, dans l’ordre les attentes, déjà
explicitées, suivantes: β1p < 0, β2p > 0 et β3p < 0.

b.    Coefficients moyens selon Treynor et Mazuy (TM)

       Qu’en est-il des résultats compris dans les parties TMI et TMC du tableau 5?
On y voit que l’estimation inconditionnelle moyenne d’opportunisme (β2p de
l’équation TMI) ne s’avère significativement positive (0,0185) qu’en marché indi-
ciaire ZCM, alors qu’en marché HFR elle ne diffère pas de zéro, tout en révélant
un manque significatif (-0,0167) d’opportunisme (donc une tendance à décider, à

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GREG N. GREGORIOU ET GUY CHAREST

contretemps) en marché ALTVEST. Devant ces trois réponses aussi parfaitement
contradictoires quant à la capacité d’opportunisme des manageurs de FFS mesurée
sans conditions d’information selon le modèle TMI, l’équivoque est totale. Par
ailleurs, les α reflétant leur flair sélectif ne s’avèrent probants qu’en utilisant
l’indice HFR (0,0782% par mois) alors que selon les deux autres indices, ils man-
queraient significativement de flair (-0,2232%; -0,1544%). Nos résultats TMI
s’avèrent donc, ou fort équivoques, ou plus accablants que positifs, pour les ma-
nageurs de FFS.

      Toutefois, si l’on passe aux résultats conditionnels de la partie TMC du ta-
bleau 5, ils révèlent du flair significatif, quel que soit l’indice, avec des alphas moy-
ens de l’ordre de 0,05% à 0,12% par mois (ou 0,6% à 1,5% par année). La
crédibilité s’amplifie si l’on s’arrête aux moyennes des α positifs (entre 0,17% et
0,23%) et à leur fréquence d’au moins [(255/437)100 =] 58% dans le marché défini
par HFR en allant jusqu’à 68% dans le cas d’ALTVEST.

       Notons que le risque systématique estimatif dénué d’effets informatifs (β0p)
change peu si l’on passe du marché référentiel HFR à ALTVEST (de l’ordre de 0,7
à 0,8) alors qu’il double, et plus, avec ZCM (2,0). Comme β0p = ρpmσp/σm, la
grande disparité s’expliquerait par la conjuguaison d’une plus faible dispersion
(σm) dans les primes de marché établies selon l’indice ZCM et d’une corrélation
(ρp,m) plus grande entre primes p des fonds et primes de marché. Or, les données
du tableau 3 vont dans ce sens, vu la plus faible dispersion des rendements du fi-
chier ZCM et son nombre plus grand de fonds en tout mois. On notera aussi que
seule la sensibilité (β3p) à la variable d’interaction entre volatilité (VIM) et prime
de marché (mt - ft) s’avère, selon nos attentes, significativement négative. Elle est
de l’ordre de -0,14 [=(1/3)(-0,07 - 0,22 - 0,12), quel que soit l’indice de marché.
L’indication ici est qu’avec 1% de changement dans l’interaction avec VIM, le bêta
du FFS baisse d’environ 0,14, ce qui rejoint la logique voulant que le manageur,
énervé par une volatilité en hausse, se protège du potentiel accru de baisse via
options de vente et, par là, diminue le risque de marché qu’il prend. À noter la néga-
tivité attendue pour les trois coefficients β1p d’interaction entre primes de marché
(mt - ft) et de défaut (DEF), dont un seul significatif en marché ZCM, alors qu’un
seul β2p d’interaction avec la prime d’échéance (ECH) possède le signe positif
attendu sans être significatif. En somme, nos résultats conditionnels selon le
modèle TMC l’emportent largement en crédibilité sur les inconditionnels selon
TMI. D’ailleurs, ils affichent un meilleur degré d’explication des variations dans
les primes de rendement observées pour nos FFS de la période 1993-2001, du
moins à en juger par les moyennes des trois R2aj respectifs (0,49 versus 0,44).

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