Résonances, écoles de musique, écoles de citoyenneté - Fondation Daniel et Nina Carasso
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Fondation Daniel Séminaire Salle de conférence et Nina Carasso lundi 26 mars 2018 Philharmonie de Paris Résonances, écoles de musique, écoles de citoyenneté.
R ÉS O N A N C ES, É C O L ES D E M U S I Q U E , É C O L ES D E C I TOY E N N E T É 2
Sommaire
03 Édito 20 able-ronde 3
T
Marie-Stéphane Maradeix, déléguée générale Comment ces projets font-ils évoluer à la fois
de la Fondation Daniel et Nina Carasso les pratiques pédagogiques, les pratiques
amateures et les modes de diffusion de la
04 able-ronde 1
T musique ?
•Impact social des projets de pédagogie musicale
Comment les projets d’éducation musicale
•Penser de nouvelles gouvernances
peuvent-ils créer une dynamique citoyenne
•Impacter et se laisser impacter
sur un territoire ?
• De quel « éloignement culturel » parle-t-on ? vec
A
•Fédérer les acteurs, un défi à tous les étages Gilles Delebarre, directeur adjoint du département
éducation de la Philharmonie de Paris, responsable
•Faire résonner les singularités locales pédagogique du projet Démos
Jean-Louis Galy, directeur du Conservatoire de musique
Avec et de danse de Vaulx-en-Velin
Maryline Alguacil-Preslier, adjointe au maire de La Chapelle Claire Gibault, fondatrice et cheffe d’orchestre
Gauthier ( Seine-et-Marne ), en charge de la culture, du Paris Mozart Orchestra
de la communication et du patrimoine Guillaume Martigné, violoncelliste au sein
Nicolas Lescombe, directeur artistique du JOSEM du Paris Mozart Orchestra
( Entre-deux-Mers ) Floriane Mercier, cheffe du Bureau des pratiques et
Gisèle Magnan, directrice de l’association Concerts de Poche, de l’éducation artistique et culturelle,Direction Générale
Pascal Troadec, Adjoint au maire en charge de la Culture et de de la Création Artistique ( DGCA ) ministère de la Culture.
la Formation de la Ville de Grigny ( Essonne ),
Jean-Michel Verneiges, directeur de l’ADAMA ( Aisne )
27
Restitution de la session collaborative « Impact
11 Table-ronde 2 Social » avec le cabinet de conseil Nuova Vista
L’Éducation nationale, un partenaire essentiel, • À travers nos projets, quels changements
mais comment ? souhaitons-nous impulser ?
• L’école au centre de partenariats horizontaux • Témoignages de deux porteurs de projet
• Les contenus pédagogiques entre dispositifs sur la démarche d’évaluation
nationaux et pratiques de terrain Avec
•Un orchestre, et après ? Hélène Billard, directrice de l’association Polynotes ( Paris )
Clément Dumesnil, directeur du Conservatoire d’Aix-les-Bains
• Enseignant-artiste, un nouveau statut
à inventer ?
32 Synthèse de la journée
Avec
Marianne Blayau, déléguée générale et co-fondatrice •D e quel orchestre parle-t-on ?
de l’association Orchestre à l’École •L es conditions de l’orchestration territoriale
Marianne Calvayrac, déléguée académique à l’éducation
artistique et à l’action culturelle, conseillère technique •Répertoires musicaux et référentiels culturels
du Recteur de l’académie de Versailles •Les besoins formulés
Maxime Leschiera, directeur du Conservatoire
à Rayonnement Régional de Rennes Laura Jouve-Villard, coordinatrice scientifique
Nicolas Saddier, chargé d’études Éducation musicale du Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes
au Bureau des écoles de la Direction générale
de l’enseignement scolaire ( DGESCO )
William Waquet, professeur de carrosserie et animateur 37 Présentation des intervenants
du club de musique du lycée polyvalent Nicolas Joseph Cugnot, aux tables-rondes
Neuilly-sur-Marne
42 La Fondation Daniel et Nina Carasso
43 Animation et créditsÉ D I TO - M A R I E -S T É P H A N E M A R A D E I X 3
Édito
Marie-Stéphane Maradeix,
déléguée générale de la
Fondation Daniel et Nina Carasso
Pour la Fondation Daniel et Nina Carasso, également à tous les acteurs institutionnels de ces
« L’Art Citoyen », du nom de notre axe, est vecteur secteurs, pour ouvrir des horizons sur des actions
d’épanouissement personnel, mais aussi un moyen concertées et la mutualisation d’outils.
d’exercice de la citoyenneté et de la compréhension
de la société. Cette ambition nous a conduits à nous Autant de témoignages, débats et enseignements
pencher sur un objectif clé : redonner à l’éducation issus de cette journée, que nous partageons à travers
musicale une place centrale, grâce à une diffusion les actes de ce séminaire. De nouvelles voies s’ouvrent
originale et généreuse et à des apprentissages pour réfléchir sur les multiples enjeux, tant en matière
novateurs. de renouvellement des pédagogies et des expériences
artistiques, que de développement culturel et social
Avec notre appel à projets « Résonances, écoles des territoires.
de musique, écoles de citoyenneté », lancé en 2016
et renouvelé en 2017, nous avons souhaité soutenir Un grand merci à tous les participants qui nous ont
des méthodes d’enseignement innovantes, mais aussi accompagnés durant ce temps de rencontres et à
l’ouverture aux territoires des écoles de musique ceux qui nous lisent aujourd’hui.
et des conservatoires.
En poursuivant ces échanges, regards croisés
Ce sont toutes ces initiatives que nous avons réunies et expériences communes, nous pourrons continuer
autour d’un séminaire qui s’est tenu le 26 mars 2018, à construire ensemble, à travers la formidable
au cœur de la Philharmonie de Paris. Après deux expérience de la musique, de nouvelles écoles
années de travail et d’accompagnement, nous avons de citoyenneté.
voulu donner la parole à nos partenaires maisTA B L E - R O N D E 1 4
Table-ronde 1
Comment les projets d’éducation
musicale peuvent-ils créer
une dynamique citoyenne sur
un territoire ?
Intervenants de la table-ronde Modération
Maryline Alguacil-Preslier Florence Castera
Maire adjointe en charge de la culture, de la communication Conseil en ingénierie des programmes éducatifs et culturels
et du patrimoine de La Chapelle Gauthier ( Seine-et-Marne )
Nicolas Lescombe
Directeur artistique du JOSEM, Jeune Orchestre Symphonique
de l’Entre-deux-Mers
Gisèle Magnan
Fondatrice et directrice de l’association Concerts de Poche
Pascal Troadec
Adjoint au maire de Grigny en charge de la culture
et de la formation de la Ville de Grigny ( Essonne )
Jean-Michel Verneiges
Fondateur et directeur de l’Association pour le développement
des activités musicales dans l’Aisne ( ADAMA ), délégué
départemental à la musiqueTA B L E - R O N D E 1 5
De quel
« éloignement culturel »
parle-t-on ?
Maryline Alguacil-Preslier est maire-adjointe en proximité en salles de concert, construisant ainsi une
charge de la culture, de la communication et du scène musicale éclatée. L’association s’est appuyée
patrimoine de la petite commune Seine-et-Marnaise sur quelques individus musiciens et quelques écoles
de La Chapelle Gauthier ( 1470 habitants ) et de musique avant de toucher un public plus large,
conseillère communautaire de la communauté et notamment des personnes qui n’avaient jamais joué
de communes de la Brie Nangissienne. Elle souligne de la musique. Les dispositifs itinérants tels que Les
la complexité qu’élus, acteurs culturels et artistes Concerts de poche viennent combler un manque
rencontrent à placer la culture, et qui plus est les que ressentent les habitants des communes rurales.
projets d’éducation musicale, au cœur des Ce ne sont pas les habitants qui vont au spectacle,
préoccupations des territoires ruraux. La Chapelle mais le spectacle qui vient à eux. Ce sont les artistes
Gauthier illustre ces innombrables communes qui se déplacent, et trouvent ainsi une manière
à la fois trop proches de Paris pour faire prévaloir un de s’engager dans la cité.
dynamisme culturel propre, et en même temps trop
éloignées pour permettre à ses habitants de profiter Gisèle Magnan souligne que les artistes qui
facilement des offres culturelles parisiennes. participent aux Concerts de poche y trouvent eux
Dans ce contexte, certaines initiatives revêtent le rôle aussi un réconfort. Ils participent à la construction
de déclencheurs de dynamiques locales nouvelles : d’une vie publique, ils aident à transformer les
ce fut le cas du partenariat tissé entre la commune représentations que les habitants se font de leurs
de La Chapelle Gauthier et les Concerts de poche, lieux de vie. Ils se sentent utiles. Le projet des
mais qui dès 2019 sera porté par la Communauté Concerts de Poche tente à la fois de répondre aux
de Communes de la Brie Nangissienne. Ce besoins des territoires de s’organiser différemment
projet a permis de façon assez inédite de rendre pour ne plus dépendre de pôles d’attractivité et
plus accessibles des pratiques et des œuvres qui aux besoins des artistes de trouver une place dans
paraissaient éloignées pour les citoyens et la société. Les artistes sont alors des médiateurs :
laborieuses à inscrire localement pour les élus. ils jouent un rôle pédagogique à la fois envers
les participants des ateliers et envers les élus.
L’association des Concerts de Poche a été fondée
en 2002 par la pianiste concertiste Gisèle Magnan. Créé en 1988 dans la région naturelle de l’Entre-deux-
Les Concerts de Poche programment des artistes mers, dans le département de la Gironde, le Jeune
reconnus de la musique classique, du jazz et de Orchestre Symphonique de l’Entre-deux-mers
l’opéra dans des communes rurales enclavées et dans ( JOSEM ) est un orchestre qui réunit une
des quartiers prioritaires éloignés des équipements soixantaine de jeunes âgés de 12 à 25 ans.
culturels. L’association propose des concerts qui L’objectif initial du projet, créé alors dans les sillons
s’accompagnent toujours d’ateliers, qu’il s’agisse de l’Éducation populaire, était de rendre la musique
d’ateliers de création ou d’ateliers de chorale, ouverts symphonique accessible aux habitants des territoires
à des publics de tout âge. En 2017, les Concerts ruraux. Depuis trente ans, le territoire de l’Entre-Deux-
de poche ont proposé plus de 1500 ateliers et 97 Mers s’est urbanisé, l’agglomération de Bordeaux
concerts, et impliqué près de 41 000 participants en s’est agrandie, mais l’association conserve son rôle
France. Le dispositif renverse la logique selon laquelle de coordinatrice locale des actions d’éducation
les publics de territoires peu pourvus en équipements musicale et de pratiques musicales collectives.
culturels se déplacent vers des territoires mieux Outre les cours et répétitions de l’orchestre lui-même,
dotés. Dans la Brie Nangissienne, l’association des l’association organise des ateliers en amont de l’âge
Concerts de poche a investi des maisons de retraite, « plancher » ( un Orchestre à l’école dans un collège
des centres sociaux et transformé des lieux de de Créon, un atelier un atelier TAP (Temps d’ActivitéTA B L E - R O N D E 1 6
Périscolaire ) clarinette-violon et un atelier pré- de rock que dans les maisons de retraite ; et rencontrer
JOSEM, sur le principe d’ateliers gratuitsou semi- des artistes qui vont renforcer la valeur de ce que font
gratuits ). Elle a en outre mis sur pieds un orchestre ces jeunes. L’orchestre a ainsi partagé la scène de
amateur adulte pour les 26-65 ans, le FC la Rue Ketanou en 2009 et 2011, celle de DJ Stanbul
Symphonique. Le JOSEM joue dans des festivals en 2012. La gouvernance de l’association a été
du département, nationaux et internationaux et adaptée à l’objectif d’engagement dans une
organise entre autres Entre2airs, festival international pratique collective « à tous les étages » de l’orchestre :
de jeunes orchestres symphoniques. Après le succès les jeunes musiciens prennent part aux conseils
d’une édition en 1998 et une autre d’administration et décident eux-mêmes des
en 2003, la troisième édition a lieu du 14 au événements où ils vont intervenir, font des
21 juillet 2018. propositions, sont guidés dans leur participation
aux impératifs de gestion et de communication
Nicolas Lescombes a été musicien membre du de la vie associative.
JOSEM avant d’en prendre la direction pendant sept
ans. Il est aujourd’hui musicien professionnel et Pascal Troadec est maire-adjoint en charge
enseignant ( clarinette ), entre autres dans le cadre de la culture et de la formation professionnelle
des ateliers du Dispositif d’Education Musicale de la Ville de Grigny, en Essonne, ainsi que conseiller
à Vocation Sociale ( Démos ), à Bordeaux. A l’aune de l’agglomération Grand-Paris Sud – Seine-Essonne-
de son propre parcours, il prend la mesure des Sénart qui regroupe 24 communes et 356 000
possibilités d’émancipation et d’épanouissement habitants. La conviction qui anime son travail et
qu’offre le JOSEM, qui prend racine selon lui et en son rôle dans la vie de la cité est que la musique,
premier lieu dans le plaisir de jouer de la musique tout comme la culture, est un outil d’émancipation
ensemble. C’est cette « boussole » du plaisir de jouer des personnes et des groupes, que ce soit en zone
qui gouverne les projets et objectifs de l’orchestre : rurale ou en zone urbaine dite « prioritaire ». Le terme
jouer partout, pour tous ; aussi bien dans les festivals important de l’équation n’est pas le rural ou l’urbain,TA B L E - R O N D E 1 7 mais le rapprochement des offres culturelles, où que l’on soit. La ville de Grigny compte 30 000 habitants,25% de chômeurs ( dont 45% de chômage chez les jeunes ), une forte proportion de familles monoparentales, 92 nationalités et plus de 50 langues parlées. En tant qu’élu, il considère qu’il est de sa responsabilité de soutenir des projets culturels favorisant la reconnaissance et la valorisation de la richesse culturelle des habitants, et ce au moyen d’une volonté politique forte et constante, lisible par tous et soutenue financièrement. De même, Jean-Michel Verneiges, délégué départemental à la musique dans le département de l’Aisne, Directeur de l'ADAMA depuis sa création en 1983, se bat contre l’idée reçue mais jamais formulée comme telle, selon laquelle les territoires ruraux pourraient se satisfaire d’une culture au rabais : « loin de tout, on devrait se satisfaire de peu ». Face à ce préjugé tenace, les porteurs de projets doivent pouvoir démontrer au moyen de la mutualisation des objectifs et des dispositifs, que la médiocrité artistique en milieu rural n’est pas une fatalité. Dans le cas de l’Aisne, un département rural à 100 kilomètres de Paris, ce sont 804 communes qui sont touchées par différents dispositifs d’éducation et d’action artistique et culturelle. Le département aurait pu faire le choix comme d’autres de construire une école départementale de musique, mais il a préféré organiser le maillage en préservant l’autonomie de toutes les structures : un Conservatoire à Rayonnement Départemental ( CRD ), deux conservatoires à rayonnement intercommunal, des structures associatives et des écoles de musique de petite taille. Ces structures présentes sur tout le territoire coordonnent leurs programmes, leurs moyens et leurs actions de façon à ce qu’elles soient complémentaires, dans le cadre du Schéma départemental de développement des enseignements artistiques. Il insiste sur la nécessité pour ces territoires de créer leurs propres « dispositifs intermédiaires ». Le programme national Demos, présent sur le territoire avec deux orchestres, est ainsi considéré comme un maillon parmi d’autres d’un réseau de dispositifs de pratique orchestrale qui d’année en année atteint un public de plus en plus large et varié, et de mieux en mieux formé à la musique.
TA B L E - R O N D E 1 8 Fédérer les acteurs : un défi à tous les étages Maryline Alguacil-Preslier souligne que ce qui fait Pascal Troadec remarque que la baisse constante la fiabilité d’un projet, ce sont avant tout les des budgets des collectivités peut inciter les élus des convictions que l’on y met soi-même. Pour l’année petites communes comme des plus grandes à 2018-2019, une enveloppe budgétaire a été votée raisonner par urgences a priori vitales pour la ville. à la communauté de communes pour lancer le Mais la nature et la mesure de la vitalité n’est pas nouveau partenariat avec l’association Les Concerts la même pour tous et la mission de développement de poche et développer la diffusion sur l’ensemble culturel de la commune se retrouve bien souvent du territoire. Mais aucun soutien n’est jamais reléguée à une place optionnelle, que l’on met en durablement acquis : les demandes de subvention œuvre lorsqu’il reste des moyens disponibles pour doivent la plupart du temps être renouvelées cela. Une façon de renverser cette logique est de faire annuellement, et l’investissement des porteurs de prendre conscience du « retour sur investissement » projets ne supporte aucune baisse de régime. qu’engendre une politique culturelle locale forte et En tant qu’élue sans agent à La Chapelle-Gauthier, audacieuse. La culture est pour lui la seule mission Maryline Alguacil-Preslier est directement au contact municipale capable d’installer les habitants dans de ses concitoyens et s’efforce de créer des liens un univers commun...ce qui coûte moins cher que de entre les différentes communes, services et construire des bâtiments ou de faire venir des CRS. équipements. À Nangis, les Concerts de Poche sont par exemple intervenus dans le cadre d’un Centre Jean-Michel Verneiges rappelle que le département de Formation d’Apprentis ( CFA ) dans le secteur des de l’Aisne est un territoire rural qui ne compte Bâtiments et Travaux Publics ( BTP ). Leur intervention que trois villes de plus de 25 000 habitants : Laon, aujourd’hui terminée a été l’occasion de découvrir Soissons et Saint-Quentin. Sur ce territoire où les les potentialités de la structure, et de la réemployer communes sont petites et disséminées, la notion pour d’autres actions culturelles locales. C’est cette de regroupement est plus que jamais cardinale et polyvalence des porteurs de projet mais aussi de demande de savoir contourner certaines résistances. leurs tutelles, leur ouverture sur des champs Il est par exemple difficile d’envisager un projet professionnels, institutionnels ou disciplinaires qu’ils strictement rapporté à la notion d’enseignement n’auraient pas pu prévoir à l’avance qui détermine musical, sans perspective de diffusion. Les notions la cohérence de ces projets et la possibilité de les d’enseignement spécialisé, de pratique amateur et fédérer entre eux. de diffusion sont ainsi trois paramètres importants
TA B L E - R O N D E 1 9
à conjuguer entre eux pour décloisonner ceux qui Pascal Troadec insiste quant à lui sur la notion
enseignent, ceux qui pratiquent, ceux qui diffusent . de parcours pour penser la pérennité d’un projet.
Il faut donc imaginer des dispositifs qui conjuguent Mener un projet à bien implique d’appréhender à la
ces enjeux, ce qui au-delà de la stratégie, a l’avantage fois un temps court et un temps long. On ne peut
d’obliger tous et chacun à se donner des objectifs pas se lancer dans des opérations éphémères qui
pluriels : non seulement enseigner la musique, vont créer un espoir, une attente, et qui lorsqu’elles
mais aussi savoir la partager et savoir accueillir s’arrêtent génèrent une désillusion encore plus
et travailler avec des acteurs du territoire initialement importante. Pour optimiser les projets sur le temps
non pressentis. La pérennité de ces projets dépend long, les partenariats sont indispensables.
pour une très grande part de la possibilité de fédérer Le conservatoire peut alors être envisagé comme
les acteurs impliqués. le « corps de ferme » de la maison de l’enseignement
musical, avec ses portes et ses fenêtres ouvertes sur
À ce titre, Jean-Michel Verneiges mentionne le travail les partenaires et sur les usagers. Les partenariats
mené depuis une dizaine d’années autour de la « Jeune doivent être gérés et générés du point de vue de ce
Symphonie de l’Aisne » en collaboration avec le chef parcours nécessairement transversal entre les
d’orchestre François-Xavier Roth. Initialement engagé différents dispositifs culturels locaux. Les nouveaux
autour de la diffusion, il s’est profondément transformé temps périscolaires peuvent par exemple être utilisés
dans ses objectifs, ses participants et ses publics. comme des outils de conscientisation musicale :
Le projet rassemble aujourd’hui une centaine de à Grigny, près de 250 jeunes sont touchés par un
jeunes âgés de 10 à 20 ans, et est soutenu par les partenariat avec l’Opéra de Massy au travers de la
musiciens de l’Orchestre des Siècles, qui encadrent Maîtrise de Grigny et de l’Orchestre Symphonique
aussi pour certains d’entre eux les ateliers du des Enfants de Grigny. Le dispositif Démos touche
dispositif Demos. Ces multiples partenariats ont lui 12 enfants. Dansl’idéal, les élus devraient assurer
été déterminants pour la construction de la Cité de qu’il existe sur le territoire des espaces de création,
la Musique et de la Danse de Soissons, inaugurée de transmission et de diffusion. Mais ce n’est pas
en 2015. C’est ici que l’on peut constater et mesurer toujours évident : se doter d’un conservatoire, d’une
le cercle vertueux qu’engendrentune solide salle de concert ou d’un Fab Lab engendre des coûts
collaboration et un travail en bonne intelligence importants que beaucoup de collectivités locales ne
collective des acteurs de ces dispositifs d’éducation peuvent se permettre.
musicale « déconcentrée ».TA B L E - R O N D E 1 10
Faire résonner
les singularités locales
La pérennité d’un projet musical dépend aussi de sa Par ailleurs, la diversité culturelle des habitants,
capacité à s’appuyer sur les singularités sociales et à condition qu’elle ne soit pas conçue comme une
culturelles et sur les dynamiques associatives locales. juxtaposition de communautés culturelles, est
Gisèle Magnan remarque à ce titre qu’il est une ressource locale pour les partenariats. Il en va de
indispensable de prendre en compte les publics la responsabilité des élus locaux de créer des points
amateurs du territoire où l’on cherche à développer de contact entre ces communautés. Le directeur
son projet. Les Concerts de Poche font un état des du conservatoire de la ville de Grigny situé au cœur
lieux systématique des espaces de pratiques du quartier prioritaire de la Grande Borne a dans
musicales amateur d’un territoire avant de se lancer cette optique mis en place l’Orchestre Nomade Des
dans le montage des ateliers et des concerts. Enfants ( ONDE ), un dispositif autour des percussions
Le principe de leur action, c’est d’agir aussi en amont du monde entier. Il en est de même pour la
des pratiques amateurs, c’est à dire auprès des programmation d’événements municipaux : la Ville
personnes qui ne savent pas encore qu’un jour elles de Grigny propose ainsi un Festival de l’Oralité,
vont aimer la musique, avoir envie d’en jouer, un temps de rassemblement des différents mondes
voire même d’en composer, et en tout cas se sentir culturels qu’abrite le territoire, et dans lequel on
plus proches de l’offre culturelle de leur territoire. retrouve des contes et conteurs du Bénin à la
Les concerts organisés dans les salles des fêtes et les Bretagne.
maisons de quartier sont en ce sens des appels à aller
vers de plus grandes structures et vers des quartiers Le choix du répertoire détermine lui aussi l’inscription
ou communes qui jusqu’alors leur paraissaient « trop locale des projets musicaux. Le répertoire du JOSEM
loin ». L’action des Concerts de Poche participe ainsi est en général choisi par le chef d’orchestre, remarque
à former de nouveaux publics. Dans ce maillage entre Nicolas Lescombe. Le JOSEM, du fait des goûts
petites et grandes structures, entre néophytes et de ses participants, joue beaucoup de musiques
amateurs, les personnes qui pratiquent déjà la du monde, sans se donner pour autant pour objectif
musique se sentent utiles : elles participent à de jouer un chant russe ou tsigane pour qu’il y ait
convaincre et à mobiliser celles qui ne la pratiquent effectivement des personnes russes ou tsiganes qui
pas encore, elles permettent de tisser des relations rejoignent l’orchestre. Si cela arrive, tant mieux,
entre les différents groupes de personnes qui peuvent mais ce n’est pas l’objectif. Dans l’Aisne, le répertoire
se trouver sur un territoire. Ce tissage demande du de musiques du monde intégré au projet Démos
temps, les territoires sont vastes, les communautés emprunte parfois au répertoire local, souligne
de communes s’agrandissent, six mois peuvent être Jean-Michel Verneiges. Le dispositif y est implanté
insuffisants pour monter un projet fédérateur. depuis 2013. Pour sa première année de
Les interventions des Concerts de Poche sont donc fonctionnement, il a mis à l’honneur le Chevalier de
progressives : d’années en année, elles impliquent Saint-Georges, musicien guadeloupéen qui a mené
davantage d’acteurs, de structures, de publics, une partie de sa carrière dans l’Aisne. Les dimensions
l’objectif étant qu’une fois suffisamment solides et ultra-marine et hexagonale se sont alors croisées et
implantés, ces projets puissent devenir autonomes ont pris sens pour les enfants et pour les intervenants.
et être portés par les territoires eux-mêmes. Les ateliers des Concerts de Poche s’ancrent parfois
dans les cultures familiales. Pour Gisèle Magnan, il
Les institutions telles que les Conservatoires et est toujours intéressant de partir des musiques que
les lieux de l’Éducation nationale sont encore bien les participants connaissent pour arriver à leur en faire
souvent considérées à tort comme des mastodontes connaître d’autres. La dynamique des ateliers de
difficiles d’accès, remarque Pascal Troadec. Pourtant, création permet ce passage. La musique que
les collectivités locales peuvent agir en concertation les participants créent est alors interculturelle et
avec elles, et leur proposer des partenariats durables intergénérationnelle. Pour Maryline Alguacil-Preslier,
dont tout le monde a besoin. La ville de Grigny la diversité des répertoires est l’une des missions des
compte par exemple trois Classes à Horaires élus à la culture, les répertoires doivent faire écho aux
Aménagés Musique ( CHAM ) : leur existence et leur patrimoines des habitants.
succès n’auraient pas été possibles sans une période
de concertation avec l’Éducation nationale.TA B L E - R O N D E 2 11 Table-ronde 2 L’Éducation nationale, un partenaire essentiel, mais comment ? Intervenants Modération Marianne Blayau Graziella Niang Déléguée générale et co-fondatrice de l’association Orchestre Consultante spécialisée culture et éducation à l’École Marianne Calvayrac Déléguée académique à l’éducation artistique et à l’action culturelle, conseillère technique du recteur de l’académie de Versailles Maxime Leschiera Directeur du Conservatoire à Rayonnement Régional de Rennes Nicolas Saddier Chargé d’études Éducation musicale au Bureau des écoles de la Direction générale de l’enseignement scolaire ( DGESCO ) William Waquet Professeur de carrosserie et animateur du club de musique du lycée polyvalent Nicolas Joseph Cugnot, Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis)
TA B L E - R O N D E 2 12
L’école au centre
de partenariats horizontaux
L’École est le centre de gravité de l’éducation un directeur d’établissement, un enseignant et un
artistique et culturelle, et l’Éducation nationale professeur de conservatoire ou un artiste. Tout l’enjeu
un partenaire incontournable pour les projets est que chaque acteur trouve sa place sans que le rôle
d’éducation musicale, car tous les enfants passent de l’un ou de l’autre n’en soit fragilisé, sans donner le
par l’école remarque Marianne Calvayrac, déléguée sentiment que l’Éducation nationale ferme ses portes
académique à l’éducation artistique et à l’action ou que la collectivité territoriale foule l’espace de
culturelle et conseillère technique du Recteur l’Éducation nationale. Or une méconnaissance entre
de l’académie de Versailles. Elle souligne que l’État les services de l’État et les collectivités territoriales
comme les collectivités territoriales cherchent mène bien souvent à de mauvaises interprétations
aujourd’hui à mettre en cohérence leurs actions et à des résistances dommageables.
en appui sur la notion de parcours, évoquée lors
de la première table-ronde. Cette notion a le mérite Marianne Blayau est co-fondatrice de l’association
de donner de la cohérence aux différents temps Orchestre à l’école, dispositif né en 1999 avec deux
de la vie de l’enfant et d’inciter ces différents acteurs orchestres créés par la Chambre Syndicale de la
à concerter leurs démarches. Facture Instrumentale ( CSFI ). En 2017, l’association
compte 1230 orchestres sur le territoire français,
Dans les classes se joue une « tension positive » y compris en outre-mer, et touche 33 210 enfants.
entre l’enseignement et l’action éducative, et c’est Chaque projet d’orchestre émane du territoire, et il
à l’articulation de cette tension que les acteurs est important de recueillir les besoins, les objectifs
extérieurs peuvent trouver leur place à l’École. et les envies des partenaires : élus, enseignants,
Un partenariat avec l’Éducation nationale peut ainsi directeurs d’école et musiciens intervenants, avant que
impliquer un recteur d’académie, un( e ) conseiller( e ) l’orchestre à l’école ne voie le jour. La réussite
DRAC, un( e ) président( e ) de collectivité territoriale, d’un projet d’Orchestre à l’école repose sur un
des élus ; à un niveau « micro » elle peut impliquer véritable travail partenarial fait sur-mesure avecTA B L E - R O N D E 2 13 l’ensemble des acteurs du territoire, en tenant compte Le président d’une association qui pilote un Orchestre des ressources et particularités locales. Contrairement à l’école dans l’Aube prend la parole en évoquant à ce que le dispositif Orchestre à l’École a connu les difficultés qu’il rencontre dans ses tentatives de dans ses débuts, la plupart des acteurs sont tisser des collaborations avec l’Éducation nationale. aujourd’hui convaincus de l’apport de la musique pour Il constate et regrette que ce qui prime pour les élus, l’épanouissement des enfants et de l’intérêt de la le personnel enseignant et les inspecteurs d’académie, pratique instrumentale orchestrale pour la dynamique c’est le « spectacle musical » au détriment du chemin collective d’une classe. En 2018 l’association estime parcouru. les demandes d’accompagnement au nombre de 120, sans que cela signifie qu’elles soient toutes mises en Nicolas Saddier, chargé d’étude « éducation place. Cette dynamique favorable est en partie musicale » au bureau des écoles de la DGESCO due aux annonces gouvernementales, qui n’ont pas reconnaît que pour une heure d’orchestre en classe, seulement porté sur le chant choral mais aussi sur il y a une heure de travail en dehors, à laquelle l’idéal la pratique de la musique à l’école. Si les projets sont serait que les enseignants participent. Le secret de proposés par les conservatoires, les collectivités ou la réussite d’un orchestre à l’école tient à cette les établissements scolaires, la présence des communication interne et à la capacité à rebondir – DUMistes, enseignants titulaires d’un diplôme certains projets s’effondrent à cause du départ d’un de musiciens intervenants, est un plus pour cette enseignant ou intervenant qui faisait « tenir » dynamique : ils facilitent le lien entre la communauté l’orchestre. Il existe heureusement au niveau national éducative scolaire et les professeurs des des textes et des accords visant à faciliter le dialogue conservatoires et écoles de musique. avec l’Éducation nationale. Maxime Leschiera, directeur du conservatoire Marianne Blayau abonde dans le sens d’une évolution de Rennes situé au cœur de la ville, a fait du maillage positive des collaborations entre Éducation nationale, de son action à l’échelle du territoire municipal un collectivités territoriales et structures d’enseignement engagement fort, en raison notamment d’un projet de la musique : l’association Orchestre à l’Ecole a de bâtiment pour les activités du Conservatoire d’ailleurs été créée et est soutenue dans l’objectif dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. d’injecter du dialogue entre ces différents partenaires. Pour accompagner ce projet architectural, un projet de « classe orchestre » se développe en partenariat avec l’Éducation nationale et avec le soutien la Fondation Daniel et Nina Carasso. Plusieurs centaines d’enfants et adolescents du quartier fréquentent ainsi déjà le conservatoire via leur école. La construction du bâtiment a pris du retard, mais lorsqu’il sera érigé, les enfants et adolescents du quartier pourront poursuivre dans le cadre du conservatoire les activités musicales initiées dans le cadre scolaire. A Rennes, le « plan chorale » arrive aussi à un moment où les acteurs locaux de l’Éducation nationale et du conservatoire émettent le souhait partagé de renouveler la « carte scolaire » ainsi que l’inscription de l’enseignement artistique musical dans la ville. Ce projet permet donc à la fois de maintenir des objectifs quant aux contenus d’apprentissage musicaux et des objectifs politiques de mixité sociale.
TA B L E - R O N D E 2 14 Les contenus pédagogiques entre dispositifs nationaux et pratiques de terrain Le chant choral compte parmi les dispositifs Par ailleurs, l’Éducation nationale a mis en place pédagogiques récemment revalorisés au sein de le site « musique PRIM », un site ressource pour l’Éducation nationale. Le bureau des écoles l’éducation musicale dans le premier degré, et bientôt de la Direction générale de l’enseignement scolaire le second degré. Ce site a vu le jour en 2012 en ( DGESCO ), où travaille Nicolas Saddier, mène partenariat avec Tous Pour La Musique ( TPLM ), une réflexion sur les pédagogies mises en place dans association qui regroupe l’essentiel des défenseurs les écoles maternelles et élémentaires dans tous de droits de la filière musicale. L’objectif de ce site les domaines d’enseignement. Le « plan chorale » , est de sensibiliser le monde de l’Éducation nationale annoncé par le ministre de l’éducation et la ministre au respect des droits d’auteur, à une meilleure de la culture en décembre 2017 acte qu’à la rentrée connaissance de ce qu’est la filière musicale et de ce 2019, le chant choral deviendra au collège une option qu’implique la création musicale. Cette plateforme pour un enseignement de deux heures par semaine. de ressources est divisée en deux grandes rubriques : Il vient renforcer les chartes départementales de la musique à écouter ( 150 titres à disposition avec chant choral portées par le réseau Canopé. des fiches pédagogiques ) et la musique à chanter, Mises en place en 2002, ces chartes bénéficient où sont notamment mis en ligne des opéras pour d’un financement national et du soutien de la enfants, commandés grâce au soutien de la Fondation Fondation Daniel et Nina Carasso. Le financement Carasso et l’académie musicale de Villecroze et pour de ce dispositif de chant choral a été doublé cette lesquels Radio France a réalisé le matériel audio mis année, et représente la somme de 350 000 euros. à la disposition des enseignants. Ces opéras pour Grâce à lui, chaque département peut recevoir un enfants connaissent un grands succès à travers les financement modeste, mais qui permet de développer territoires et de nouvelles commandes sont en cours. des projets de deux sortes : des projets territoriaux de production chorale ou des formations.
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À propos du choix des répertoires musicaux, Pour attirer les jeunes, il faut déjà les accrocher avec
Maxime Leschiera souligne que le terme principal de quelque chose qu’ils aiment, remarque William
la problématique n’est pas tant le répertoire que le Waquet, professeur de carrosserie-construction au
contenu pédagogique que l’on construit autour de lui. Lycée polyvalent Nicolas Joseph Cugnot à Neuilly-sur-
Il faut en tout cas éviter de le choisir sur la simple Marne en Seine-Saint-Denis, et animateur d’un club
base de « ce qui plaît », mais explorer ce qu’il permet de musique. Le premier principe consiste à partir des
en termes d’apprentissage et de développement de envies des apprentis musiciens puis au fur et à
nouvelles sensibilités et connaissances. Si l’équipe mesure, de s’éloigner de leur répertoire initial pour
pédagogique est motivée et compétente, elle peut aller en explorer d’autres qu’ils ne connaissent pas
amener les enfants vers tous les répertoires, affirme encore, tout en veillant à ce qu’ils restent accessibles
Marianne Blayau. Il est important qu’il y ait une et ne dépassent pas leurs compétences du moment,
véritable concertation entre les équipes des sans quoi cela créerait l’effet inverse et les élèves se
conservatoires et les enseignants de l’Éducation démotiveraient. Les partenariats avec les artistes
nationale, pour que le choix du répertoire soit en lien sont dans cette optique essentiels. William Waquet
avec leurs projets pédagogiques et soit accompagné a ainsi associé l’une de ses classes au « Paris Mozart
aussi bien dans l’orchestre que dans d’autres Orchestra » afin d’inciter ses élèves à découvrir
disciplines. Le répertoire peut également être inspiré un monde artistique, des œuvres et finalement de
par la vie culturelle du territoire et les partenaires nouvelles perspectives de mise en pratique de
potentiels localement. En effet, l’orchestre participe à leurs compétences industrielles automobile. Ce
des fêtes ou des cérémonies citoyennes locales, joue partenariat avec le Paris Mozart Orchestra se fait
dans les maisons de retraite, monte des projets dans le cadre du programme « un orchestre dans
communs avec les orchestres ou structures de mon bahut » et a mobilisé sa classe de carrosserie-
développement locaux : le champ des possibles est construction dans la construction de statues
vaste. représentant Galatée ( le thème annuel du programme
« un orchestre dans mon bahut » était consacré au
Le répertoire choisi, ainsi que les instruments mythe de Pygmalion ).
présents dans l’orchestre dépendent également des
intervenants qui sont volontaires pour participer au
projet. Les esthétiques musicales, les instruments et
les formes orchestrales sont très différents d’un projet
à l’autre. Certaines instrumentations, telles que les
cornemuses et vielles à roue, comme on en trouve
dans les Landes par exemple, dictent en partie les
répertoires.TA B L E - R O N D E 2 16
Un orchestre, et après ?
Que se passe-t-il pour les enfants lorsqu’un projet Maxime Leschiera ajoute qu’un projet pluriannuel tel
d’éducation musicale prend fin ? Cette question se que l’Orchestre à l’école peut aussi avoir un sens en
pose dès le montage de chaque partenariat au sein soi. S’il n’y a pas de poursuite vers une autre structure,
de l’association Orchestre à l’École. Les passerelles ce n’est pas forcément un échec. Se fixer comme
vers d’autres dispositifs ou lieux d’enseignement et objectif de réussite que le maximum d’enfants
de pratique musicales peuvent prendre des formes possible poursuivent vers une autre structure
très diverses et demandent elles aussi un travail sur d’enseignement musical est illusoire. Un enfant peut
mesure avec les équipes de terrain et les élus. très bien avoir fait trois ans de pratique instrumentale,
La passerelle peut se traduire par une inscription être heureux, et ne pas avoir envie de poursuivre.
dans l’école de musique ou le conservatoire local, En revanche lorsque certaines familles en ont le
avec une concertation sur les moyens financiers qui souhait mais rencontrent des difficultés sociales
aideront les parents à accompagner leur( s ) enfant( s ) et financières, il faut faire en sorte de prendre en
dans cette transition, ainsi que sur les moyens charge l’accompagnement de l’enfant pour que la
pédagogiques qui permettront aux enfants de ne pas poursuite soit la plus simple et durable possible.
repartir de zéro dans les nouvelles structures. Quand Le bât ne blesse pas seulement au niveau financier,
cela est possible, l’Orchestre à l’école qui a débuté un puisque les participations aux frais du conservatoire
partenariat en primaire sur un territoire cherche des répondent aujourd’hui à des quotients familiaux qui
passerelles vers le collège sur le même territoire. en réduisent le coût. Les difficultés de cette transition
sont plus souvent liées à l’organisation du temps de
la vie de l’enfant, ou à des procédures administratives.TA B L E - R O N D E 2 17 Marianne Calvayrac rappelle la nécessité de penser l’articulation entre la pratique artistique et la pratique culturelle des enfants et des jeunes. Au-delà du répertoire à jouer, il y a le répertoire à connaître et à appréhender. Il faut créer du désir chez l’élève pour qu’il aille au conservatoire, et peut-être assister à un concert à la Salle de Musiques Actuelles, tout comme il faut donner sens à son parcours à la fois vis-à-vis de sa vie de citoyen et de ses autres apprentissages. Cette façon de penser peut éviter l’écueil de se dire : « à quoi bon, si l’élève arrête au bout de trois ans ? ». L’élève aura de toute manière fait un travail de contextualisation culturelle qui aura participé à une large acquisition de connaissances. Les enseignements artistiques restent des clés pour tous les autres apprentissages.
TA B L E - R O N D E 2 18 Enseignant-artiste : un nouveau statut à inventer ? Le club de musique que William Waquet anime heures hebdomadaires à son club de musique, sans bénévolement depuis dix ans au Lycée polyvalent compter les répétitions pour les représentations. Son Nicolas Joseph Cugnot à Neuilly-sur-Marne en Seine- parcours pose ainsi la question des limites du Saint-Denis est gratuit et ouvert à tous les élèves du bénévolat, et de la pertinence d’un statut mixte lycée. Il y enseigne la guitare, la basse et la batterie d’enseignant-artiste, qui serait peut-être à inventer. et propose également un accompagnement à la formation de groupes à destination des jeunes ayant Marianne Calvayrac souligne que les professeurs de déjà une pratique musicale. William Waquet précise lycées professionnels ont souvent un temps d’avance que la plupart, si ce n’est la totalité des élèves en ce qui concerne la mise en place de partenariats participant au club vivent dans des familles qui n’ont artistiques, peut-être car la démarche de projet pas les moyens de leur financer un apprentissage qui les pousse à tisser des liens avec des structures musical en conservatoire. Pour certains élèves publiques et privées du territoire est inhérente à qui ne se sentent pas « chez eux » à l’école, jouer de ces établissements. la musique est un moyen de les faire venir, de les accrocher à l’établissement. Ils trouvent dans Concernant les actions de formation à destination la pratique musicale la satisfaction de travailler et de des professeurs, l’académie de Versailles compte profiter des résultats de ce travail. par exemple 63 formations dans le champ de William Waquet s’est lui-même trouvé dans une l’enseignement artistique et culturel. Des programmes situation de difficulté scolaire. Il a commencé à jouer pédagogiques tels que « un orchestre dans mon de la musique dans un lycée professionnel et c’est ce bahut » ou « dix mois d'école et d'opéra » en partenariat qui lui a donné envie de continuer à fréquenter avec l’Opéra National de Paris participent à la l’établissement, où il trouvait du matériel gratuit et des formation des équipes pédagogiques par leur enseignants disponibles. Par la suite, il a fréquenté le caractère modélisant et leur donnent des clés de conservatoire et est aujourd’hui un professeur de compréhension sur le travail en partenariat et en carrosserie-construction qui consacre entre 3 et 7 particulier la collaboration artiste/enseignant.
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Après avoir participé à ce genre de projet, les Au-delà de l’hybridité de rôle et de statut que l’on
professeurs deviennent plus autonomes pour peut constater à l’échelle de l’enseignant artiste,
développer d’autres projets avec des partenaires l’enjeu principal est de ne pas confondre
locaux et territoriaux. enseignement général et enseignement artistique,
de ne pas chercher nécessairement à fondre l’un
Dans la salle, un directeur de conservatoire d’une dans l’autre mais à inciter les collaborations entre
commune rurale du Puy-de-Dôme et vice-président Éducation nationale et Culture à différentes échelles
de la Confédération Nationale des Batteries-Fanfares territoriales. Dans cette optique l’application ADAGE,
prend la parole pour évoquer ce qui ressemble selon mise en place à la rentrée 2017, recense l’ensemble
lui à un grand paradoxe : celui de mettre en place de des actions éducatives et des enseignements
nouveaux plans et programmes d’actions nationaux artistiques et culturels de l’académie de Versailles.
sans pour autant réussir à stabiliser les initiatives Toute la communauté éducative prend connaissance
qui existent déjà et qui survivent grâce au bénévolat de ce que font les uns et les autres en matière
et à l’énergie militante de nombreux enseignants d’éducation artistique et culturelle, tout en ayant
et intervenants musicaux. Il souligne en outre que la possibilité de mettre ses propres projets en valeur.
de trop nombreux projets partenariaux s’effondrent
lorsque ces personnes engagées, isolées et non
rétribuées pour tout ce qu’elles font, partent.
Dans un certain nombre de territoires, il est
impossible d’envisager la création de postes dédiés
à ces projets partenariaux. Pourquoi ne pas inventer
des diplômes mixtes, à cheval entre l’Éducation
nationale et la Culture ?
Pour Marianne Calvayrac, le cas de William Waquet,
et notamment son bénévolat dans le cadre du club
de musique, reste singulier. Elle se bat elle-même
pour rétribuer les intervenants extérieurs, et aucun
d’eux n’intervient bénévolement. L’académie de
Versailles a tout à fait conscience du travail
d’éducation populaire historique qui a été fait sur son
territoire. En revanche, les statuts mixtes peuvent être
de faux amis : il est plus facile de parler de
complémentarité entre artiste et enseignant que
de doubler le statut, au risque qu’une des deux
composantes soit fragilisée. Cela n’exclut pas qu’il
y ait un jour, en lycée professionnel, une certification
complémentaire en musique pour des professeurs.Vous pouvez aussi lire