Résonances, écoles de musique, écoles de citoyenneté - Fondation Daniel et Nina Carasso

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Résonances, écoles de musique, écoles de citoyenneté - Fondation Daniel et Nina Carasso
Fondation Daniel   Séminaire            Salle de conférence
et Nina Carasso    lundi 26 mars 2018   Philharmonie de Paris

Résonances,
écoles
de musique,
écoles
de citoyenneté.
Résonances, écoles de musique, écoles de citoyenneté - Fondation Daniel et Nina Carasso
R ÉS O N A N C ES, É C O L ES D E M U S I Q U E , É C O L ES D E C I TOY E N N E T É                                                                            2

Sommaire

03	 Édito                                                                             20	    able-ronde 3
                                                                                              T
	   Marie-Stéphane Maradeix, déléguée générale                                               Comment ces projets font-ils évoluer à la fois
     de la Fondation Daniel et Nina Carasso                                                   les pratiques pédagogiques, les pratiques
                                                                                              amateures et les modes de diffusion de la
04	    able-ronde 1
       T                                                                                      musique ?
                                                                                              •Impact social des projets de pédagogie musicale
       Comment les projets d’éducation musicale
                                                                                              •Penser de nouvelles gouvernances
       peuvent-ils créer une dynamique citoyenne
                                                                                              •Impacter et se laisser impacter
       sur un territoire ?
       • De quel « éloignement culturel » parle-t-on ?                                         vec
                                                                                              A
       •Fédérer les acteurs, un défi à tous les étages                                       Gilles Delebarre, directeur adjoint du département
                                                                                              éducation de la Philharmonie de Paris, responsable
       •Faire résonner les singularités locales                                              pédagogique du projet Démos
                                                                                              Jean-Louis Galy, directeur du Conservatoire de musique
	
 Avec                                                                                         et de danse de Vaulx-en-Velin
 Maryline Alguacil-Preslier, adjointe au maire de La Chapelle                                 Claire Gibault, fondatrice et cheffe d’orchestre
 Gauthier ( Seine-et-Marne ), en charge de la culture,                                        du Paris Mozart Orchestra
 de la communication et du patrimoine                                                         Guillaume Martigné, violoncelliste au sein
 Nicolas Lescombe, directeur artistique du JOSEM                                              du Paris Mozart Orchestra
 ( Entre-deux-Mers )                                                                          Floriane Mercier, cheffe du Bureau des pratiques et
 Gisèle Magnan, directrice de l’association Concerts de Poche,                                de l’éducation artistique et culturelle,Direction Générale
 Pascal Troadec, Adjoint au maire en charge de la Culture et de                               de la Création Artistique ( DGCA ) ministère de la Culture.
 la Formation de la Ville de Grigny ( Essonne ),
 Jean-Michel Verneiges, directeur de l’ADAMA ( Aisne )
                                                                                       27	
                                                                                          Restitution de la session collaborative « Impact
11	Table-ronde 2                                                                        Social » avec le cabinet de conseil Nuova Vista
     L’Éducation nationale, un partenaire essentiel,                                      • À travers nos projets, quels changements
     mais comment ?                                                                          souhaitons-nous impulser ?
     • L’école au centre de partenariats horizontaux                                  	• Témoignages de deux porteurs de projet
     • Les contenus pédagogiques entre dispositifs                                          sur la démarche d’évaluation
       nationaux et pratiques de terrain                                                      Avec
     •Un orchestre, et après ?                                                               Hélène Billard, directrice de l’association Polynotes ( Paris )
                                                                                              Clément Dumesnil, directeur du Conservatoire d’Aix-les-Bains
     • Enseignant-artiste, un nouveau statut
       à inventer ?
                                                                                       32     Synthèse de la journée
	Avec
   Marianne Blayau, déléguée générale et co-fondatrice                                          •D e quel orchestre parle-t-on ?
   de l’association Orchestre à l’École                                                         •L es conditions de l’orchestration territoriale
   Marianne Calvayrac, déléguée académique à l’éducation
   artistique et à l’action culturelle, conseillère technique                                   •Répertoires musicaux et référentiels culturels
   du Recteur de l’académie de Versailles                                                       •Les besoins formulés
   Maxime Leschiera, directeur du Conservatoire
   à Rayonnement Régional de Rennes                                                            Laura Jouve-Villard, coordinatrice scientifique
   Nicolas Saddier, chargé d’études Éducation musicale                                          du Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes
   au Bureau des écoles de la Direction générale
   de l’enseignement scolaire ( DGESCO )
   William Waquet, professeur de carrosserie et animateur                              37     Présentation des intervenants
   du club de musique du lycée polyvalent Nicolas Joseph Cugnot,                                aux tables-rondes
   Neuilly-sur-Marne
                                                                                       42	 La Fondation Daniel et Nina Carasso

                                                                                       43	 Animation et crédits
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É D I TO - M A R I E -S T É P H A N E M A R A D E I X                                                          3

Édito
Marie-Stéphane Maradeix,
déléguée générale de la
Fondation Daniel et Nina Carasso

Pour la Fondation Daniel et Nina Carasso,               également à tous les acteurs institutionnels de ces
« L’Art Citoyen », du nom de notre axe, est vecteur     secteurs, pour ouvrir des horizons sur des actions
d’épanouissement personnel, mais aussi un moyen         concertées et la mutualisation d’outils.
d’exercice de la citoyenneté et de la compréhension
de la société. Cette ambition nous a conduits à nous    Autant de témoignages, débats et enseignements
pencher sur un objectif clé : redonner à l’éducation    issus de cette journée, que nous partageons à travers
musicale une place centrale, grâce à une diffusion      les actes de ce séminaire. De nouvelles voies s’ouvrent
originale et généreuse et à des apprentissages          pour réfléchir sur les multiples enjeux, tant en matière
novateurs.                                              de renouvellement des pédagogies et des expériences
                                                        artistiques, que de développement culturel et social
Avec notre appel à projets « Résonances, écoles         des territoires.
de musique, écoles de citoyenneté », lancé en 2016
et renouvelé en 2017, nous avons souhaité soutenir      Un grand merci à tous les participants qui nous ont
des méthodes d’enseignement innovantes, mais aussi      accompagnés durant ce temps de rencontres et à
l’ouverture aux territoires des écoles de musique       ceux qui nous lisent aujourd’hui.
et des conservatoires.
                                                        En poursuivant ces échanges, regards croisés
Ce sont toutes ces initiatives que nous avons réunies   et expériences communes, nous pourrons continuer
autour d’un séminaire qui s’est tenu le 26 mars 2018,   à construire ensemble, à travers la formidable
au cœur de la Philharmonie de Paris. Après deux         expérience de la musique, de nouvelles écoles
années de travail et d’accompagnement, nous avons       de citoyenneté.
voulu donner la parole à nos partenaires mais
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Table-ronde 1
Comment les projets d’éducation
musicale peuvent-ils créer
une dynamique citoyenne sur
un territoire ?
Intervenants de la table-ronde                                    Modération

  Maryline Alguacil-Preslier                                      	Florence Castera
	Maire adjointe en charge de la culture, de la communication       Conseil en ingénierie des programmes éducatifs et culturels
  et du patrimoine de La Chapelle Gauthier ( Seine-et-Marne )

  Nicolas Lescombe
	Directeur artistique du JOSEM, Jeune Orchestre Symphonique
  de l’Entre-deux-Mers

  Gisèle Magnan
	Fondatrice et directrice de l’association Concerts de Poche

        Pascal Troadec
         Adjoint au maire de Grigny en charge de la culture
         et de la formation de la Ville de Grigny ( Essonne )

  Jean-Michel Verneiges
	Fondateur et directeur de l’Association pour le développement
  des activités musicales dans l’Aisne ( ADAMA ), délégué
  départemental à la musique
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De quel
« éloignement culturel »
parle-t-on ?

Maryline Alguacil-Preslier est maire-adjointe en           proximité en salles de concert, construisant ainsi une
charge de la culture, de la communication et du            scène musicale éclatée. L’association s’est appuyée
patrimoine de la petite commune Seine-et-Marnaise          sur quelques individus musiciens et quelques écoles
de La Chapelle Gauthier ( 1470 habitants ) et              de musique avant de toucher un public plus large,
conseillère communautaire de la communauté                 et notamment des personnes qui n’avaient jamais joué
de communes de la Brie Nangissienne. Elle souligne         de la musique. Les dispositifs itinérants tels que Les
la complexité qu’élus, acteurs culturels et artistes       Concerts de poche viennent combler un manque
rencontrent à placer la culture, et qui plus est les       que ressentent les habitants des communes rurales.
projets d’éducation musicale, au cœur des                  Ce ne sont pas les habitants qui vont au spectacle,
préoccupations des territoires ruraux. La Chapelle         mais le spectacle qui vient à eux. Ce sont les artistes
Gauthier illustre ces innombrables communes                qui se déplacent, et trouvent ainsi une manière
à la fois trop proches de Paris pour faire prévaloir un    de s’engager dans la cité.
dynamisme culturel propre, et en même temps trop
éloignées pour permettre à ses habitants de profiter       Gisèle Magnan souligne que les artistes qui
facilement des offres culturelles parisiennes.             participent aux Concerts de poche y trouvent eux
Dans ce contexte, certaines initiatives revêtent le rôle   aussi un réconfort. Ils participent à la construction
de déclencheurs de dynamiques locales nouvelles :          d’une vie publique, ils aident à transformer les
ce fut le cas du partenariat tissé entre la commune        représentations que les habitants se font de leurs
de La Chapelle Gauthier et les Concerts de poche,          lieux de vie. Ils se sentent utiles. Le projet des
mais qui dès 2019 sera porté par la Communauté             Concerts de Poche tente à la fois de répondre aux
de Communes de la Brie Nangissienne. Ce                    besoins des territoires de s’organiser différemment
projet a permis de façon assez inédite de rendre           pour ne plus dépendre de pôles d’attractivité et
plus accessibles des pratiques et des œuvres qui           aux besoins des artistes de trouver une place dans
paraissaient éloignées pour les citoyens et                la société. Les artistes sont alors des médiateurs :
laborieuses à inscrire localement pour les élus.           ils jouent un rôle pédagogique à la fois envers
                                                           les participants des ateliers et envers les élus.
L’association des Concerts de Poche a été fondée
en 2002 par la pianiste concertiste Gisèle Magnan.         Créé en 1988 dans la région naturelle de l’Entre-deux-
Les Concerts de Poche programment des artistes             mers, dans le département de la Gironde, le Jeune
reconnus de la musique classique, du jazz et de            Orchestre Symphonique de l’Entre-deux-mers
l’opéra dans des communes rurales enclavées et dans        ( JOSEM ) est un orchestre qui réunit une
des quartiers prioritaires éloignés des équipements        soixantaine de jeunes âgés de 12 à 25 ans.
culturels. L’association propose des concerts qui          L’objectif initial du projet, créé alors dans les sillons
s’accompagnent toujours d’ateliers, qu’il s’agisse         de l’Éducation populaire, était de rendre la musique
d’ateliers de création ou d’ateliers de chorale, ouverts   symphonique accessible aux habitants des territoires
à des publics de tout âge. En 2017, les Concerts           ruraux. Depuis trente ans, le territoire de l’Entre-Deux-
de poche ont proposé plus de 1500 ateliers et 97           Mers s’est urbanisé, l’agglomération de Bordeaux
concerts, et impliqué près de 41 000 participants en       s’est agrandie, mais l’association conserve son rôle
France. Le dispositif renverse la logique selon laquelle   de coordinatrice locale des actions d’éducation
les publics de territoires peu pourvus en équipements      musicale et de pratiques musicales collectives.
culturels se déplacent vers des territoires mieux          Outre les cours et répétitions de l’orchestre lui-même,
dotés. Dans la Brie Nangissienne, l’association des        l’association organise des ateliers en amont de l’âge
Concerts de poche a investi des maisons de retraite,       « plancher » ( un Orchestre à l’école dans un collège
des centres sociaux et transformé des lieux de             de Créon, un atelier un atelier TAP (Temps d’Activité
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Périscolaire ) clarinette-violon et un atelier pré-        de rock que dans les maisons de retraite ; et rencontrer
JOSEM, sur le principe d’ateliers gratuitsou semi-         des artistes qui vont renforcer la valeur de ce que font
gratuits ). Elle a en outre mis sur pieds un orchestre     ces jeunes. L’orchestre a ainsi partagé la scène de
amateur adulte pour les 26-65 ans, le FC                   la Rue Ketanou en 2009 et 2011, celle de DJ Stanbul
Symphonique. Le JOSEM joue dans des festivals              en 2012. La gouvernance de l’association a été
du département, nationaux et internationaux et             adaptée à l’objectif d’engagement dans une
organise entre autres Entre2airs, festival international   pratique collective « à tous les étages » de l’orchestre :
de jeunes orchestres symphoniques. Après le succès         les jeunes musiciens prennent part aux conseils
d’une édition en 1998 et une autre                         d’administration et décident eux-mêmes des
en 2003, la troisième édition a lieu du 14 au              événements où ils vont intervenir, font des
21 juillet 2018.                                           propositions, sont guidés dans leur participation
                                                           aux impératifs de gestion et de communication
Nicolas Lescombes a été musicien membre du                 de la vie associative.
JOSEM avant d’en prendre la direction pendant sept
ans. Il est aujourd’hui musicien professionnel et          Pascal Troadec est maire-adjoint en charge
enseignant ( clarinette ), entre autres dans le cadre      de la culture et de la formation professionnelle
des ateliers du Dispositif d’Education Musicale            de la Ville de Grigny, en Essonne, ainsi que conseiller
à Vocation Sociale ( Démos ), à Bordeaux. A l’aune         de l’agglomération Grand-Paris Sud – Seine-Essonne-
de son propre parcours, il prend la mesure des             Sénart qui regroupe 24 communes et 356 000
possibilités d’émancipation et d’épanouissement            habitants. La conviction qui anime son travail et
qu’offre le JOSEM, qui prend racine selon lui et en        son rôle dans la vie de la cité est que la musique,
premier lieu dans le plaisir de jouer de la musique        tout comme la culture, est un outil d’émancipation
ensemble. C’est cette « boussole » du plaisir de jouer     des personnes et des groupes, que ce soit en zone
qui gouverne les projets et objectifs de l’orchestre :     rurale ou en zone urbaine dite « prioritaire ». Le terme
jouer partout, pour tous ; aussi bien dans les festivals   important de l’équation n’est pas le rural ou l’urbain,
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mais le rapprochement des offres culturelles, où que
l’on soit. La ville de Grigny compte 30 000
habitants,25% de chômeurs ( dont 45% de chômage
chez les jeunes ), une forte proportion de familles
monoparentales, 92 nationalités et plus de 50 langues
parlées. En tant qu’élu, il considère qu’il est de
sa responsabilité de soutenir des projets culturels
favorisant la reconnaissance et la valorisation
de la richesse culturelle des habitants, et ce
au moyen d’une volonté politique forte et constante,
lisible par tous et soutenue financièrement.

De même, Jean-Michel Verneiges, délégué
départemental à la musique dans le département
de l’Aisne, Directeur de l'ADAMA depuis sa création
en 1983, se bat contre l’idée reçue mais jamais
formulée comme telle, selon laquelle les territoires
ruraux pourraient se satisfaire d’une culture au rabais :
« loin de tout, on devrait se satisfaire de peu ». Face à
ce préjugé tenace, les porteurs de projets doivent
pouvoir démontrer au moyen de la mutualisation
des objectifs et des dispositifs, que la médiocrité
artistique en milieu rural n’est pas une fatalité.
Dans le cas de l’Aisne, un département rural à 100
kilomètres de Paris, ce sont 804 communes qui sont
touchées par différents dispositifs d’éducation et
d’action artistique et culturelle. Le département aurait
pu faire le choix comme d’autres de construire une
école départementale de musique, mais il a préféré
organiser le maillage en préservant l’autonomie
de toutes les structures : un Conservatoire
à Rayonnement Départemental ( CRD ), deux
conservatoires à rayonnement intercommunal,
des structures associatives et des écoles de musique
de petite taille. Ces structures présentes sur tout
le territoire coordonnent leurs programmes,
leurs moyens et leurs actions de façon à ce qu’elles
soient complémentaires, dans le cadre du Schéma
départemental de développement des enseignements
artistiques. Il insiste sur la nécessité pour ces
territoires de créer leurs propres « dispositifs
intermédiaires ». Le programme national Demos,
présent sur le territoire avec deux orchestres,
est ainsi considéré comme un maillon parmi d’autres
d’un réseau de dispositifs de pratique orchestrale
qui d’année en année atteint un public de plus en
plus large et varié, et de mieux en mieux formé
à la musique.
Résonances, écoles de musique, écoles de citoyenneté - Fondation Daniel et Nina Carasso
TA B L E - R O N D E 1                                                                                               8

Fédérer les acteurs : un défi à tous les étages

Maryline Alguacil-Preslier souligne que ce qui fait        Pascal Troadec remarque que la baisse constante
la fiabilité d’un projet, ce sont avant tout les           des budgets des collectivités peut inciter les élus des
convictions que l’on y met soi-même. Pour l’année          petites communes comme des plus grandes à
2018-2019, une enveloppe budgétaire a été votée            raisonner par urgences a priori vitales pour la ville.
à la communauté de communes pour lancer le                 Mais la nature et la mesure de la vitalité n’est pas
nouveau partenariat avec l’association Les Concerts        la même pour tous et la mission de développement
de poche et développer la diffusion sur l’ensemble         culturel de la commune se retrouve bien souvent
du territoire. Mais aucun soutien n’est jamais             reléguée à une place optionnelle, que l’on met en
durablement acquis : les demandes de subvention            œuvre lorsqu’il reste des moyens disponibles pour
doivent la plupart du temps être renouvelées               cela. Une façon de renverser cette logique est de faire
annuellement, et l’investissement des porteurs de          prendre conscience du « retour sur investissement »
projets ne supporte aucune baisse de régime.               qu’engendre une politique culturelle locale forte et
En tant qu’élue sans agent à La Chapelle-Gauthier,         audacieuse. La culture est pour lui la seule mission
Maryline Alguacil-Preslier est directement au contact      municipale capable d’installer les habitants dans
de ses concitoyens et s’efforce de créer des liens         un univers commun...ce qui coûte moins cher que de
entre les différentes communes, services et                construire des bâtiments ou de faire venir des CRS.
équipements. À Nangis, les Concerts de Poche sont
par exemple intervenus dans le cadre d’un Centre           Jean-Michel Verneiges rappelle que le département
de Formation d’Apprentis ( CFA ) dans le secteur des       de l’Aisne est un territoire rural qui ne compte
Bâtiments et Travaux Publics ( BTP ). Leur intervention    que trois villes de plus de 25 000 habitants : Laon,
aujourd’hui terminée a été l’occasion de découvrir         Soissons et Saint-Quentin. Sur ce territoire où les
les potentialités de la structure, et de la réemployer     communes sont petites et disséminées, la notion
pour d’autres actions culturelles locales. C’est cette     de regroupement est plus que jamais cardinale et
polyvalence des porteurs de projet mais aussi de           demande de savoir contourner certaines résistances.
leurs tutelles, leur ouverture sur des champs              Il est par exemple difficile d’envisager un projet
professionnels, institutionnels ou disciplinaires qu’ils   strictement rapporté à la notion d’enseignement
n’auraient pas pu prévoir à l’avance qui détermine         musical, sans perspective de diffusion. Les notions
la cohérence de ces projets et la possibilité de les       d’enseignement spécialisé, de pratique amateur et
fédérer entre eux.                                         de diffusion sont ainsi trois paramètres importants
Résonances, écoles de musique, écoles de citoyenneté - Fondation Daniel et Nina Carasso
TA B L E - R O N D E 1                                                                                                9

à conjuguer entre eux pour décloisonner ceux qui            Pascal Troadec insiste quant à lui sur la notion
enseignent, ceux qui pratiquent, ceux qui diffusent .       de parcours pour penser la pérennité d’un projet.
Il faut donc imaginer des dispositifs qui conjuguent        Mener un projet à bien implique d’appréhender à la
ces enjeux, ce qui au-delà de la stratégie, a l’avantage    fois un temps court et un temps long. On ne peut
d’obliger tous et chacun à se donner des objectifs          pas se lancer dans des opérations éphémères qui
pluriels : non seulement enseigner la musique,              vont créer un espoir, une attente, et qui lorsqu’elles
mais aussi savoir la partager et savoir accueillir          s’arrêtent génèrent une désillusion encore plus
et travailler avec des acteurs du territoire initialement   importante. Pour optimiser les projets sur le temps
non pressentis. La pérennité de ces projets dépend          long, les partenariats sont indispensables.
pour une très grande part de la possibilité de fédérer      Le conservatoire peut alors être envisagé comme
les acteurs impliqués.                                      le « corps de ferme » de la maison de l’enseignement
                                                            musical, avec ses portes et ses fenêtres ouvertes sur
À ce titre, Jean-Michel Verneiges mentionne le travail      les partenaires et sur les usagers. Les partenariats
mené depuis une dizaine d’années autour de la « Jeune       doivent être gérés et générés du point de vue de ce
Symphonie de l’Aisne » en collaboration avec le chef        parcours nécessairement transversal entre les
d’orchestre François-Xavier Roth. Initialement engagé       différents dispositifs culturels locaux. Les nouveaux
autour de la diffusion, il s’est profondément transformé    temps périscolaires peuvent par exemple être utilisés
dans ses objectifs, ses participants et ses publics.        comme des outils de conscientisation musicale :
Le projet rassemble aujourd’hui une centaine de             à Grigny, près de 250 jeunes sont touchés par un
jeunes âgés de 10 à 20 ans, et est soutenu par les          partenariat avec l’Opéra de Massy au travers de la
musiciens de l’Orchestre des Siècles, qui encadrent         Maîtrise de Grigny et de l’Orchestre Symphonique
aussi pour certains d’entre eux les ateliers du             des Enfants de Grigny. Le dispositif Démos touche
dispositif Demos. Ces multiples partenariats ont            lui 12 enfants. Dansl’idéal, les élus devraient assurer
été déterminants pour la construction de la Cité de         qu’il existe sur le territoire des espaces de création,
la Musique et de la Danse de Soissons, inaugurée            de transmission et de diffusion. Mais ce n’est pas
en 2015. C’est ici que l’on peut constater et mesurer       toujours évident : se doter d’un conservatoire, d’une
le cercle vertueux qu’engendrentune solide                  salle de concert ou d’un Fab Lab engendre des coûts
collaboration et un travail en bonne intelligence           importants que beaucoup de collectivités locales ne
collective des acteurs de ces dispositifs d’éducation       peuvent se permettre.
musicale « déconcentrée ».
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Faire résonner
les singularités locales

La pérennité d’un projet musical dépend aussi de sa       Par ailleurs, la diversité culturelle des habitants,
capacité à s’appuyer sur les singularités sociales et     à condition qu’elle ne soit pas conçue comme une
culturelles et sur les dynamiques associatives locales.   juxtaposition de communautés culturelles, est
Gisèle Magnan remarque à ce titre qu’il est               une ressource locale pour les partenariats. Il en va de
indispensable de prendre en compte les publics            la responsabilité des élus locaux de créer des points
amateurs du territoire où l’on cherche à développer       de contact entre ces communautés. Le directeur
son projet. Les Concerts de Poche font un état des        du conservatoire de la ville de Grigny situé au cœur
lieux systématique des espaces de pratiques               du quartier prioritaire de la Grande Borne a dans
musicales amateur d’un territoire avant de se lancer      cette optique mis en place l’Orchestre Nomade Des
dans le montage des ateliers et des concerts.             Enfants ( ONDE ), un dispositif autour des percussions
Le principe de leur action, c’est d’agir aussi en amont   du monde entier. Il en est de même pour la
des pratiques amateurs, c’est à dire auprès des           programmation d’événements municipaux : la Ville
personnes qui ne savent pas encore qu’un jour elles       de Grigny propose ainsi un Festival de l’Oralité,
vont aimer la musique, avoir envie d’en jouer,            un temps de rassemblement des différents mondes
voire même d’en composer, et en tout cas se sentir        culturels qu’abrite le territoire, et dans lequel on
plus proches de l’offre culturelle de leur territoire.    retrouve des contes et conteurs du Bénin à la
Les concerts organisés dans les salles des fêtes et les   Bretagne.
maisons de quartier sont en ce sens des appels à aller
vers de plus grandes structures et vers des quartiers     Le choix du répertoire détermine lui aussi l’inscription
ou communes qui jusqu’alors leur paraissaient « trop      locale des projets musicaux. Le répertoire du JOSEM
loin ». L’action des Concerts de Poche participe ainsi    est en général choisi par le chef d’orchestre, remarque
à former de nouveaux publics. Dans ce maillage entre      Nicolas Lescombe. Le JOSEM, du fait des goûts
petites et grandes structures, entre néophytes et         de ses participants, joue beaucoup de musiques
amateurs, les personnes qui pratiquent déjà la            du monde, sans se donner pour autant pour objectif
musique se sentent utiles : elles participent à           de jouer un chant russe ou tsigane pour qu’il y ait
convaincre et à mobiliser celles qui ne la pratiquent     effectivement des personnes russes ou tsiganes qui
pas encore, elles permettent de tisser des relations      rejoignent l’orchestre. Si cela arrive, tant mieux,
entre les différents groupes de personnes qui peuvent     mais ce n’est pas l’objectif. Dans l’Aisne, le répertoire
se trouver sur un territoire. Ce tissage demande du       de musiques du monde intégré au projet Démos
temps, les territoires sont vastes, les communautés       emprunte parfois au répertoire local, souligne
de communes s’agrandissent, six mois peuvent être         Jean-Michel Verneiges. Le dispositif y est implanté
insuffisants pour monter un projet fédérateur.            depuis 2013. Pour sa première année de
Les interventions des Concerts de Poche sont donc         fonctionnement, il a mis à l’honneur le Chevalier de
progressives : d’années en année, elles impliquent        Saint-Georges, musicien guadeloupéen qui a mené
davantage d’acteurs, de structures, de publics,           une partie de sa carrière dans l’Aisne. Les dimensions
l’objectif étant qu’une fois suffisamment solides et      ultra-marine et hexagonale se sont alors croisées et
implantés, ces projets puissent devenir autonomes         ont pris sens pour les enfants et pour les intervenants.
et être portés par les territoires eux-mêmes.             Les ateliers des Concerts de Poche s’ancrent parfois
                                                          dans les cultures familiales. Pour Gisèle Magnan, il
Les institutions telles que les Conservatoires et         est toujours intéressant de partir des musiques que
les lieux de l’Éducation nationale sont encore bien       les participants connaissent pour arriver à leur en faire
souvent considérées à tort comme des mastodontes          connaître d’autres. La dynamique des ateliers de
difficiles d’accès, remarque Pascal Troadec. Pourtant,    création permet ce passage. La musique que
les collectivités locales peuvent agir en concertation    les participants créent est alors interculturelle et
avec elles, et leur proposer des partenariats durables    intergénérationnelle. Pour Maryline Alguacil-Preslier,
dont tout le monde a besoin. La ville de Grigny           la diversité des répertoires est l’une des missions des
compte par exemple trois Classes à Horaires               élus à la culture, les répertoires doivent faire écho aux
Aménagés Musique ( CHAM ) : leur existence et leur        patrimoines des habitants.
succès n’auraient pas été possibles sans une période
de concertation avec l’Éducation nationale.
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Table-ronde 2
L’Éducation nationale,
un partenaire essentiel,
mais comment ?
Intervenants                                                       Modération

	Marianne Blayau                                                  	Graziella Niang
  Déléguée générale et co-fondatrice de l’association Orchestre      Consultante spécialisée culture et éducation
  à l’École

	Marianne Calvayrac
  Déléguée académique à l’éducation artistique et à l’action
  culturelle, conseillère technique du recteur de l’académie
  de Versailles

	Maxime Leschiera
  Directeur du Conservatoire à Rayonnement Régional de Rennes

	Nicolas Saddier
  Chargé d’études Éducation musicale au Bureau des écoles
  de la Direction générale de l’enseignement scolaire ( DGESCO )

 William Waquet
	
 Professeur de carrosserie et animateur du club de musique
 du lycée polyvalent Nicolas Joseph Cugnot, Neuilly-sur-Marne
 (Seine-Saint-Denis)
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L’école au centre
de partenariats horizontaux

L’École est le centre de gravité de l’éducation              un directeur d’établissement, un enseignant et un
artistique et culturelle, et l’Éducation nationale           professeur de conservatoire ou un artiste. Tout l’enjeu
un partenaire incontournable pour les projets                est que chaque acteur trouve sa place sans que le rôle
d’éducation musicale, car tous les enfants passent           de l’un ou de l’autre n’en soit fragilisé, sans donner le
par l’école remarque Marianne Calvayrac, déléguée            sentiment que l’Éducation nationale ferme ses portes
académique à l’éducation artistique et à l’action            ou que la collectivité territoriale foule l’espace de
culturelle et conseillère technique du Recteur               l’Éducation nationale. Or une méconnaissance entre
de l’académie de Versailles. Elle souligne que l’État        les services de l’État et les collectivités territoriales
comme les collectivités territoriales cherchent              mène bien souvent à de mauvaises interprétations
aujourd’hui à mettre en cohérence leurs actions              et à des résistances dommageables.
en appui sur la notion de parcours, évoquée lors
de la première table-ronde. Cette notion a le mérite         Marianne Blayau est co-fondatrice de l’association
de donner de la cohérence aux différents temps               Orchestre à l’école, dispositif né en 1999 avec deux
de la vie de l’enfant et d’inciter ces différents acteurs    orchestres créés par la Chambre Syndicale de la
à concerter leurs démarches.                                 Facture Instrumentale ( CSFI ). En 2017, l’association
                                                             compte 1230 orchestres sur le territoire français,
Dans les classes se joue une « tension positive »            y compris en outre-mer, et touche 33 210 enfants.
entre l’enseignement et l’action éducative, et c’est         Chaque projet d’orchestre émane du territoire, et il
à l’articulation de cette tension que les acteurs            est important de recueillir les besoins, les objectifs
extérieurs peuvent trouver leur place à l’École.             et les envies des partenaires : élus, enseignants,
Un partenariat avec l’Éducation nationale peut ainsi         directeurs d’école et musiciens intervenants, avant que
impliquer un recteur d’académie, un( e ) conseiller( e )     l’orchestre à l’école ne voie le jour. La réussite
DRAC, un( e ) président( e ) de collectivité territoriale,   d’un projet d’Orchestre à l’école repose sur un
des élus ; à un niveau « micro » elle peut impliquer         véritable travail partenarial fait sur-mesure avec
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l’ensemble des acteurs du territoire, en tenant compte      Le président d’une association qui pilote un Orchestre
des ressources et particularités locales. Contrairement     à l’école dans l’Aube prend la parole en évoquant
à ce que le dispositif Orchestre à l’École a connu          les difficultés qu’il rencontre dans ses tentatives de
dans ses débuts, la plupart des acteurs sont                tisser des collaborations avec l’Éducation nationale.
aujourd’hui convaincus de l’apport de la musique pour       Il constate et regrette que ce qui prime pour les élus,
l’épanouissement des enfants et de l’intérêt de la          le personnel enseignant et les inspecteurs d’académie,
pratique instrumentale orchestrale pour la dynamique        c’est le « spectacle musical » au détriment du chemin
collective d’une classe. En 2018 l’association estime       parcouru.
les demandes d’accompagnement au nombre de 120,
sans que cela signifie qu’elles soient toutes mises en      Nicolas Saddier, chargé d’étude « éducation
place. Cette dynamique favorable est en partie              musicale » au bureau des écoles de la DGESCO
due aux annonces gouvernementales, qui n’ont pas            reconnaît que pour une heure d’orchestre en classe,
seulement porté sur le chant choral mais aussi sur          il y a une heure de travail en dehors, à laquelle l’idéal
la pratique de la musique à l’école. Si les projets sont    serait que les enseignants participent. Le secret de
proposés par les conservatoires, les collectivités ou       la réussite d’un orchestre à l’école tient à cette
les établissements scolaires, la présence des               communication interne et à la capacité à rebondir –
DUMistes, enseignants titulaires d’un diplôme               certains projets s’effondrent à cause du départ d’un
de musiciens intervenants, est un plus pour cette           enseignant ou intervenant qui faisait « tenir »
dynamique : ils facilitent le lien entre la communauté      l’orchestre. Il existe heureusement au niveau national
éducative scolaire et les professeurs des                   des textes et des accords visant à faciliter le dialogue
conservatoires et écoles de musique.                        avec l’Éducation nationale.

Maxime Leschiera, directeur du conservatoire                Marianne Blayau abonde dans le sens d’une évolution
de Rennes situé au cœur de la ville, a fait du maillage     positive des collaborations entre Éducation nationale,
de son action à l’échelle du territoire municipal un        collectivités territoriales et structures d’enseignement
engagement fort, en raison notamment d’un projet            de la musique : l’association Orchestre à l’Ecole a
de bâtiment pour les activités du Conservatoire             d’ailleurs été créée et est soutenue dans l’objectif
dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.   d’injecter du dialogue entre ces différents partenaires.
Pour accompagner ce projet architectural, un projet
de « classe orchestre » se développe en partenariat
avec l’Éducation nationale et avec le soutien la
Fondation Daniel et Nina Carasso. Plusieurs centaines
d’enfants et adolescents du quartier fréquentent ainsi
déjà le conservatoire via leur école. La construction du
bâtiment a pris du retard, mais lorsqu’il sera érigé, les
enfants et adolescents du quartier pourront poursuivre
dans le cadre du conservatoire les activités musicales
initiées dans le cadre scolaire. A Rennes, le « plan
chorale » arrive aussi à un moment où les acteurs
locaux de l’Éducation nationale et du conservatoire
émettent le souhait partagé de renouveler la « carte
scolaire » ainsi que l’inscription de l’enseignement
artistique musical dans la ville. Ce projet permet donc
à la fois de maintenir des objectifs quant aux contenus
d’apprentissage musicaux et des objectifs politiques
de mixité sociale.
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Les contenus pédagogiques entre
dispositifs nationaux et pratiques de terrain

Le chant choral compte parmi les dispositifs               Par ailleurs, l’Éducation nationale a mis en place
pédagogiques récemment revalorisés au sein de              le site « musique PRIM », un site ressource pour
l’Éducation nationale. Le bureau des écoles                l’éducation musicale dans le premier degré, et bientôt
de la Direction générale de l’enseignement scolaire        le second degré. Ce site a vu le jour en 2012 en
( DGESCO ), où travaille Nicolas Saddier, mène             partenariat avec Tous Pour La Musique ( TPLM ),
une réflexion sur les pédagogies mises en place dans       association qui regroupe l’essentiel des défenseurs
les écoles maternelles et élémentaires dans tous           de droits de la filière musicale. L’objectif de ce site
les domaines d’enseignement. Le « plan chorale » ,         est de sensibiliser le monde de l’Éducation nationale
annoncé par le ministre de l’éducation et la ministre      au respect des droits d’auteur, à une meilleure
de la culture en décembre 2017 acte qu’à la rentrée        connaissance de ce qu’est la filière musicale et de ce
2019, le chant choral deviendra au collège une option      qu’implique la création musicale. Cette plateforme
pour un enseignement de deux heures par semaine.           de ressources est divisée en deux grandes rubriques :
Il vient renforcer les chartes départementales de          la musique à écouter ( 150 titres à disposition avec
chant choral portées par le réseau Canopé.                 des fiches pédagogiques ) et la musique à chanter,
Mises en place en 2002, ces chartes bénéficient            où sont notamment mis en ligne des opéras pour
d’un financement national et du soutien de la              enfants, commandés grâce au soutien de la Fondation
Fondation Daniel et Nina Carasso. Le financement           Carasso et l’académie musicale de Villecroze et pour
de ce dispositif de chant choral a été doublé cette        lesquels Radio France a réalisé le matériel audio mis
année, et représente la somme de 350 000 euros.            à la disposition des enseignants. Ces opéras pour
Grâce à lui, chaque département peut recevoir un           enfants connaissent un grands succès à travers les
financement modeste, mais qui permet de développer         territoires et de nouvelles commandes sont en cours.
des projets de deux sortes : des projets territoriaux de
production chorale ou des formations.
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À propos du choix des répertoires musicaux,                Pour attirer les jeunes, il faut déjà les accrocher avec
Maxime Leschiera souligne que le terme principal de        quelque chose qu’ils aiment, remarque William
la problématique n’est pas tant le répertoire que le       Waquet, professeur de carrosserie-construction au
contenu pédagogique que l’on construit autour de lui.      Lycée polyvalent Nicolas Joseph Cugnot à Neuilly-sur-
Il faut en tout cas éviter de le choisir sur la simple     Marne en Seine-Saint-Denis, et animateur d’un club
base de « ce qui plaît », mais explorer ce qu’il permet    de musique. Le premier principe consiste à partir des
en termes d’apprentissage et de développement de           envies des apprentis musiciens puis au fur et à
nouvelles sensibilités et connaissances. Si l’équipe       mesure, de s’éloigner de leur répertoire initial pour
pédagogique est motivée et compétente, elle peut           aller en explorer d’autres qu’ils ne connaissent pas
amener les enfants vers tous les répertoires, affirme      encore, tout en veillant à ce qu’ils restent accessibles
Marianne Blayau. Il est important qu’il y ait une          et ne dépassent pas leurs compétences du moment,
véritable concertation entre les équipes des               sans quoi cela créerait l’effet inverse et les élèves se
conservatoires et les enseignants de l’Éducation           démotiveraient. Les partenariats avec les artistes
nationale, pour que le choix du répertoire soit en lien    sont dans cette optique essentiels. William Waquet
avec leurs projets pédagogiques et soit accompagné         a ainsi associé l’une de ses classes au « Paris Mozart
aussi bien dans l’orchestre que dans d’autres              Orchestra » afin d’inciter ses élèves à découvrir
disciplines. Le répertoire peut également être inspiré     un monde artistique, des œuvres et finalement de
par la vie culturelle du territoire et les partenaires     nouvelles perspectives de mise en pratique de
potentiels localement. En effet, l’orchestre participe à   leurs compétences industrielles automobile. Ce
des fêtes ou des cérémonies citoyennes locales, joue       partenariat avec le Paris Mozart Orchestra se fait
dans les maisons de retraite, monte des projets            dans le cadre du programme « un orchestre dans
communs avec les orchestres ou structures de               mon bahut » et a mobilisé sa classe de carrosserie-
développement locaux : le champ des possibles est          construction dans la construction de statues
vaste.                                                     représentant Galatée ( le thème annuel du programme
                                                           « un orchestre dans mon bahut » était consacré au
Le répertoire choisi, ainsi que les instruments            mythe de Pygmalion ).
présents dans l’orchestre dépendent également des
intervenants qui sont volontaires pour participer au
projet. Les esthétiques musicales, les instruments et
les formes orchestrales sont très différents d’un projet
à l’autre. Certaines instrumentations, telles que les
cornemuses et vielles à roue, comme on en trouve
dans les Landes par exemple, dictent en partie les
répertoires.
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Un orchestre, et après ?

Que se passe-t-il pour les enfants lorsqu’un projet        Maxime Leschiera ajoute qu’un projet pluriannuel tel
d’éducation musicale prend fin ? Cette question se         que l’Orchestre à l’école peut aussi avoir un sens en
pose dès le montage de chaque partenariat au sein          soi. S’il n’y a pas de poursuite vers une autre structure,
de l’association Orchestre à l’École. Les passerelles      ce n’est pas forcément un échec. Se fixer comme
vers d’autres dispositifs ou lieux d’enseignement et       objectif de réussite que le maximum d’enfants
de pratique musicales peuvent prendre des formes           possible poursuivent vers une autre structure
très diverses et demandent elles aussi un travail sur      d’enseignement musical est illusoire. Un enfant peut
mesure avec les équipes de terrain et les élus.            très bien avoir fait trois ans de pratique instrumentale,
La passerelle peut se traduire par une inscription         être heureux, et ne pas avoir envie de poursuivre.
dans l’école de musique ou le conservatoire local,         En revanche lorsque certaines familles en ont le
avec une concertation sur les moyens financiers qui        souhait mais rencontrent des difficultés sociales
aideront les parents à accompagner leur( s ) enfant( s )   et financières, il faut faire en sorte de prendre en
dans cette transition, ainsi que sur les moyens            charge l’accompagnement de l’enfant pour que la
pédagogiques qui permettront aux enfants de ne pas         poursuite soit la plus simple et durable possible.
repartir de zéro dans les nouvelles structures. Quand      Le bât ne blesse pas seulement au niveau financier,
cela est possible, l’Orchestre à l’école qui a débuté un   puisque les participations aux frais du conservatoire
partenariat en primaire sur un territoire cherche des      répondent aujourd’hui à des quotients familiaux qui
passerelles vers le collège sur le même territoire.        en réduisent le coût. Les difficultés de cette transition
                                                           sont plus souvent liées à l’organisation du temps de
                                                           la vie de l’enfant, ou à des procédures administratives.
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Marianne Calvayrac rappelle la nécessité de penser
l’articulation entre la pratique artistique et la pratique
culturelle des enfants et des jeunes. Au-delà du
répertoire à jouer, il y a le répertoire à connaître et
à appréhender. Il faut créer du désir chez l’élève pour
qu’il aille au conservatoire, et peut-être assister
à un concert à la Salle de Musiques Actuelles,
tout comme il faut donner sens à son parcours à
la fois vis-à-vis de sa vie de citoyen et de ses autres
apprentissages. Cette façon de penser peut éviter
l’écueil de se dire : « à quoi bon, si l’élève arrête au
bout de trois ans ? ». L’élève aura de toute manière fait
un travail de contextualisation culturelle qui aura
participé à une large acquisition de connaissances.
Les enseignements artistiques restent des clés pour
tous les autres apprentissages.
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Enseignant-artiste :
un nouveau statut à inventer ?

Le club de musique que William Waquet anime                  heures hebdomadaires à son club de musique, sans
bénévolement depuis dix ans au Lycée polyvalent              compter les répétitions pour les représentations. Son
Nicolas Joseph Cugnot à Neuilly-sur-Marne en Seine-          parcours pose ainsi la question des limites du
Saint-Denis est gratuit et ouvert à tous les élèves du       bénévolat, et de la pertinence d’un statut mixte
lycée. Il y enseigne la guitare, la basse et la batterie     d’enseignant-artiste, qui serait peut-être à inventer.
et propose également un accompagnement à la
formation de groupes à destination des jeunes ayant          Marianne Calvayrac souligne que les professeurs de
déjà une pratique musicale. William Waquet précise           lycées professionnels ont souvent un temps d’avance
que la plupart, si ce n’est la totalité des élèves           en ce qui concerne la mise en place de partenariats
participant au club vivent dans des familles qui n’ont       artistiques, peut-être car la démarche de projet
pas les moyens de leur financer un apprentissage             qui les pousse à tisser des liens avec des structures
musical en conservatoire. Pour certains élèves               publiques et privées du territoire est inhérente à
qui ne se sentent pas « chez eux » à l’école, jouer de       ces établissements.
la musique est un moyen de les faire venir, de
les accrocher à l’établissement. Ils trouvent dans           Concernant les actions de formation à destination
la pratique musicale la satisfaction de travailler et de     des professeurs, l’académie de Versailles compte
profiter des résultats de ce travail.                        par exemple 63 formations dans le champ de
William Waquet s’est lui-même trouvé dans une                l’enseignement artistique et culturel. Des programmes
situation de difficulté scolaire. Il a commencé à jouer      pédagogiques tels que « un orchestre dans mon
de la musique dans un lycée professionnel et c’est ce        bahut » ou « dix mois d'école et d'opéra » en partenariat
qui lui a donné envie de continuer à fréquenter              avec l’Opéra National de Paris participent à la
l’établissement, où il trouvait du matériel gratuit et des   formation des équipes pédagogiques par leur
enseignants disponibles. Par la suite, il a fréquenté le     caractère modélisant et leur donnent des clés de
conservatoire et est aujourd’hui un professeur de            compréhension sur le travail en partenariat et en
carrosserie-construction qui consacre entre 3 et 7           particulier la collaboration artiste/enseignant.
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Après avoir participé à ce genre de projet, les            Au-delà de l’hybridité de rôle et de statut que l’on
professeurs deviennent plus autonomes pour                 peut constater à l’échelle de l’enseignant artiste,
développer d’autres projets avec des partenaires           l’enjeu principal est de ne pas confondre
locaux et territoriaux.                                    enseignement général et enseignement artistique,
                                                           de ne pas chercher nécessairement à fondre l’un
Dans la salle, un directeur de conservatoire d’une         dans l’autre mais à inciter les collaborations entre
commune rurale du Puy-de-Dôme et vice-président            Éducation nationale et Culture à différentes échelles
de la Confédération Nationale des Batteries-Fanfares       territoriales. Dans cette optique l’application ADAGE,
prend la parole pour évoquer ce qui ressemble selon        mise en place à la rentrée 2017, recense l’ensemble
lui à un grand paradoxe : celui de mettre en place de      des actions éducatives et des enseignements
nouveaux plans et programmes d’actions nationaux           artistiques et culturels de l’académie de Versailles.
sans pour autant réussir à stabiliser les initiatives      Toute la communauté éducative prend connaissance
qui existent déjà et qui survivent grâce au bénévolat      de ce que font les uns et les autres en matière
et à l’énergie militante de nombreux enseignants           d’éducation artistique et culturelle, tout en ayant
et intervenants musicaux. Il souligne en outre que         la possibilité de mettre ses propres projets en valeur.
de trop nombreux projets partenariaux s’effondrent
lorsque ces personnes engagées, isolées et non
rétribuées pour tout ce qu’elles font, partent.
Dans un certain nombre de territoires, il est
impossible d’envisager la création de postes dédiés
à ces projets partenariaux. Pourquoi ne pas inventer
des diplômes mixtes, à cheval entre l’Éducation
nationale et la Culture ?

Pour Marianne Calvayrac, le cas de William Waquet,
et notamment son bénévolat dans le cadre du club
de musique, reste singulier. Elle se bat elle-même
pour rétribuer les intervenants extérieurs, et aucun
d’eux n’intervient bénévolement. L’académie de
Versailles a tout à fait conscience du travail
d’éducation populaire historique qui a été fait sur son
territoire. En revanche, les statuts mixtes peuvent être
de faux amis : il est plus facile de parler de
complémentarité entre artiste et enseignant que
de doubler le statut, au risque qu’une des deux
composantes soit fragilisée. Cela n’exclut pas qu’il
y ait un jour, en lycée professionnel, une certification
complémentaire en musique pour des professeurs.
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