Siméon-Denis Poisson Les mathématiques au service de la science
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Illustration de couverture : En 1804, Poisson était professeur suppléant à l’École polytechnique Il fut nommé professeur deux ans plus tard © Collections École polytechnique-Palaiseau Illustration ci-contre : Portrait d’après nature de Siméon-Denis Poisson par Antoine Maurin Lithographie de François-Séraphin Delpech, vers 1820 © Collections École polytechnique-Palaiseau
Histoire des Mathématiques et des Sciences physiques Siméon-Denis Poisson Les mathématiques au service de la science Yvette Kosmann-Schwarzbach éditrice
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Préface Ce livre est un hybride. Treize des dix-neuf chapitres répartis en sept parties reproduisent les articles de Siméon-Denis Poisson en son temps, livre édité par Michel Métivier, Pierre Costabel, et Pierre Dugac, publié en 1981 par l’École polytechnique, Palaiseau (France), à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Poisson, qui y fut élève avant d’y enseigner. Cet ouvrage, diversement dactylographié, eut une diffusion très limitée et, trente ans plus tard, il nous a paru souhaitable qu’une nouvelle édition en soit entreprise. À notre avis, son contenu, qui n’avait rien perdu de sa valeur, méritait une plus grande diffusion, tout en exigeant des compléments importants pour indiquer des prolongements récents de l’œuvre de Poisson et pour traiter certains sujets de manière plus approfondie. Nous avons reproduit en tête de ce nouveau livre la préface de Paul Germain et la postface de Jean Dieudonné. La Partie I par Pierre Costabel, Ernest Coumet et Bernard Bru, les trois premiers chapitres de la Partie II par Robin Rider, A.P. Youschkevitch, et S.S. Demidov, le deuxième chapitre de la Partie III par Louis L. Bucciarelli et le troisième par David H. Arnold, la Partie IV par Paul Brouzeng, André Chappert, et R.W. Home, et la Partie V par Bernard Bru et Oscar Sheynin ont fait partie de l’édition de 1981. La liste des travaux de Poisson avec les remarques de Pierre Dugac, qui figuraient dans l’édition de 1981, constituent la nouvelle Partie VII. La plupart de ces textes, dont plusieurs auteurs sont aujourd’hui décédés et regrettés, sont inchangés à quelques corrections éditoriales près. Cependant, certains ont été révisés par leur auteur, leurs références ont été mises aux normes de l’ouvrage, et trois chapitres, originellement écrits en anglais, ont été traduits en français pour cette édition. Il fallait aussi que cet ouvrage fût mis à jour par des contributions plus récentes. L’introduction, un chapitre par moi-même dans la Partie II, les trois chapitres écrits par Franco Magri, Alain Albouy, et Patrick Iglesias-Zemmour pour la Partie III, et les deux chapitres de la Partie VI, écrits l’un par moi-même et l’autre par Catherine Meusburger et Winston Fairbairn, sont originaux. De nouvelles avancées sur Poisson et sur la science aux XIXe et XXe siècles pourront-elles prendre appui sur les recherches anciennes et récentes que contient ce livre ? Nous l’espérons. Paris et Palaiseau, mai 2013 Yvette Kosmann-Schwarzbach
Table des matières Préface de l’édition de 1981, Paul GERMAIN vii Postface de l’édition de 1981, Jean DIEUDONNÉ xi Introduction, Yvette KOSMANN-SCHWARZBACH 1 Remarques sur la bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 I SIMÉON-DENIS POISSON EN SON TEMPS 19 Siméon-Denis Poisson, aspect de l’homme et de son œuvre, Pierre COSTABEL 21 Poisson élève à l’École polytechnique, Ernest COUMET 41 Deux attestations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 « L’affaire du binôme de Newton » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 « Société d’enseignement » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Poisson et l’instruction publique, Bernard BRU 63 Les écoles de la Révolution et l’Université impériale . . . . . . . . . . . . . 64 La carrière de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 Nominations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Programmes des collèges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Programmes des facultés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 II LES MATHÉMATIQUES DE POISSON 77 Poisson et l’algèbre à l’aube du XIXe siècle, Robin E. RIDER 79 i
ii TABLE DES MATIÈRES L’élimination au XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Euler et Bézout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 L’argument de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 Algèbre et enseignement à l’École polytechnique . . . . . . . . . . . . . . . 85 S.-D. Poisson et la théorie de l’intégration, Adolph P. YOUSCHKEVITCH 89 Aperçu historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Newton et Leibniz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 Euler : intégrales particulières et intégrales déterminées . . . . . . . . . . . 93 L’intégrale définie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Le Traité de Lacroix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Difficultés pour les fonctions discontinues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 L’apport de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Nouvelle conception de Cauchy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 Cauchy vu par Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 Des parenthèses de Poisson aux algèbres de Lie, Sergei S. DEMIDOV 113 Les parenthèses de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Jacobi et le théorème de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Parenthèses de Poisson et équations aux dérivées partielles . . . . . . . . . . 116 Précurseurs des transformations infinitésimales de Lie . . . . . . . . . . . . 118 Les travaux de Lie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Algèbres de Lie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Le formalisme des parenthèses de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 La géométrie de Poisson, création du XXe siècle, Yvette KOSMANN-SCHWARZBACH 129 Aperçu de géométrie différentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Lagrange, Poisson, Hamilton, Liouville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 Géométrie projective, groupe symplectique et géométrie symplectique . . . 133 Lie et Klein . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 Du « groupe complexe » aux espaces linéaires symplectiques . . . . . . 136 La géométrie symplectique de Carl Siegel . . . . . . . . . . . . . . . . 137 La géométrie symplectique des variétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 Ehresmann : variétés presque symplectiques . . . . . . . . . . . . . . . 138 Ehresmann : variétés symplectiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 Le colloque de Strasbourg de 1953 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Le colloque de Rome de 1973 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 Géométrie symplectique et mécanique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 Géométrie de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
TABLE DES MATIÈRES iii De nombreux précurseurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Mécanique quantique et crochets de Poisson généralisés . . . . . . . . 150 Encore des précurseurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 Les orbites coadjointes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 D’autres approches encore dans les années 1970 . . . . . . . . . . . . . 160 Les travaux de Lichnerowicz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 Petite histoire d’une importante formule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 D’immenses développements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168 III POISSON ET LA MÉCANIQUE 173 La dynamique des corps solides de d’Alembert à Poisson, Franco MAGRI 175 Le mouvement de l’axe de la terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 Un nouveau principe de dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 La libration de la lune . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 Les équations de d’Alembert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 Les équations d’Euler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 La synthèse de Lagrange . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 La synthèse de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Poisson et la mécanique des surfaces élastiques, Louis L. BUCCIARELLI 207 Les mémoires de 1812 et de 1823 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 Le problème de la plaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 Vers une théorie de l’élasticité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215 Après Laplace : la mécanique moléculaire de Poisson, David H. ARNOLD 217 Premières années . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 La physique selon Laplace : le programme laplacien . . . . . . . . . . . . . . 219 L’évolution de la pensée de Poisson sur les mathématiques de la mécanique moléculaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 L’inquiétude sur les intégrales définies, contexte d’une controverse . . . . . 221 La mécanique physique de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226 Quelques conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227 Histoire des équations de la mécanique analytique : repères chronologiques et difficultés, Alain ALBOUY 229 La mécanique des forces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 La relation fondamentale de la dynamique avant les Principia . . . . . 231
iv TABLE DES MATIÈRES Hésitations. Des idées « venoient à la traverse » . . . . . . . . . . . . . 242 Le principe de la liste d’équations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Principe de d’Alembert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254 La mécanique conservative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 Principe variationnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 Forces dérivant d’un potentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262 La Révolution, Poisson et le réveil du lion . . . . . . . . . . . . . . . . 270 Lagrange et Poisson, sur la variation des constantes, Patrick IGLESIAS-ZEMMOUR 281 Parenthèses de Lagrange . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282 Parenthèses de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287 Parenthèses ou crochets ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289 IV POISSON PHYSICIEN 293 Poisson et la capillarité d’après un manuscrit de Duhem, « Leçons sur les théories de la capillarité », Paul BROUZENG 295 L’histoire des théories dans l’énergétique de Duhem . . . . . . . . . . . . . . 295 La place de l’histoire dans l’œuvre scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . 296 Les oppositions d’écoles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 La théorie de Poisson selon Duhem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298 Mécanique analytique et mécanique physique . . . . . . . . . . . . . . . . . 300 Capillarité et thermodynamique générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301 Poisson et les problèmes de l’optique, la controverse avec Fresnel, André CHAPPERT 303 Poisson opticien ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304 La démarche de Fresnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306 La controverse de 1823 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306 Le problème de la diffraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310 Le problème de la réfraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 Opposition de deux conceptions scientifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 312 Évolution des conceptions de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313 Électricité et magnétisme : principes physiques et théorie mathématique, Roderick W. HOME 315 Sur l’usage des mathématiques en physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316 Nécessité de lois quantitatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317 L’expérience de van Musschenbroek sur le magnétisme . . . . . . . . . . . . 318 Loi de la force électrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321
TABLE DES MATIÈRES v Tentatives de quantification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322 Charge et potentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324 Les articles de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325 Vers des sciences quantitatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 328 V L’ŒUVRE DE POISSON EN PROBABILITÉS ET EN STATISTIQUE 331 Poisson et le calcul des probabilités, Bernard BRU 333 Le jeu de trente et quarante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333 Laplace, Fourier, Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335 Théorème de Laplace et théorie des erreurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340 Statistiques des naissances et théorie de l’inférence poissonnienne . . . . . . 343 Loi des grands nombres et probabilité des jugements . . . . . . . . . . . . . 350 Poisson et la statistique, Oscar SHEYNIN 357 Statistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 357 Théorie des erreurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361 Statistique judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362 Physique statistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 Statistique médicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364 VI LES CROCHETS DE POISSON APRÈS POISSON 367 Les crochets de Poisson, de la mécanique céleste à la mécanique quantique, Yvette KOSMANN-SCHWARZBACH 369 Les « expressions » de Poisson : de Lagrange à Hamilton . . . . . . . . . . . 370 Quand et comment Jacobi a-t-il démontré l’« identité de Jacobi »? . . . . . 375 Les années 1850 : le théorème de Liouville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 382 Transmission : de Jacobi à Lie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 386 Sophus Lie : les groupes de fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 388 Équations différentielles et géométrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 394 Au XXe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 396 Crochets de Poisson, théories de jauge et quantification, Winston FAIRBAIRN et Catherine MEUSBURGER 403 Théorie classique et quantification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403 Systèmes hamiltoniens avec contraintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 404 Quantification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 411 Le rôle des crochets de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415
vi TABLE DES MATIÈRES VII ÉLÉMENTS POUR UNE ÉTUDE SUR SIMÉON-DENIS POISSON 417 Sur les travaux de Poisson, Pierre DUGAC 419 Abréviations utilisées 421 Liste des travaux de Siméon-Denis Poisson, établie par Pierre DUGAC 423 Remarques sur la liste des travaux de Siméon-Denis Poisson, Pierre DUGAC 437 TABLE DES ILLUSTRATIONS 469 BIBLIOGRAPHIE 471 INDEX 513 LISTE DES CONTRIBUTEURS 523
Préface de l’édition de 1981 Paul GERMAIN Il m’est très agréable d’avoir à présenter l’ouvrage consacré à Siméon-Denis Poisson à l’occasion du deuxième centenaire de sa naissance. Dès que j’eus connais- sance des intentions de ceux qui prirent l’heureuse initiative de mener à bien ce projet, j’ai immédiatement manifesté tout l’intérêt que j’y attachais personnellement et c’est sans doute pourquoi il m’est demandé aujourd’hui d’indiquer très brièvement pour- quoi une telle publication me paraît particulièrement opportune. L’histoire des sciences, cette discipline trop souvent méconnue dans notre pays, nous permet de porter un regard sur l’émergence et l’élaboration des connaissances scientifiques avec un certain recul et d’affiner notre jugement sur les progrès des sciences et les conditions réelles dans lesquelles ils peuvent être acquis. Elle offre à ceux qui s’intéressent à l’aventure scientifique une moisson de faits d’expérience propres à enrichir et à contrôler leurs réflexions. À cet égard, l’étude de la vie et de l’œuvre d’un savant représente l’une des modalités privilégiées par laquelle l’histoire des sciences peut remplir sa mission. S’il est évident que l’exemple des « géants » de la Science, de ceux dont l’œuvre n’a cessé de susciter l’admiration en raison du génie créateur qu’elle manifeste, retient au premier chef l’attention, il apparaît que le cas des savants qui, tout en marquant leur époque, ont été l’objet de contestations ou qui se sont aventurés dans des voies qui ne se sont pas toujours révélées les plus fructueuses, est sans doute en définitive aussi instructif. La vision selon laquelle il est possible de rendre compte des progrès des sciences en ne retenant que les contributions décisives d’un petit nombre de sa- vants de tout premier plan est trop systématique, et en définitive fallacieuse. Elle pourrait même s’avérer néfaste, si on voulait en tirer une « politique » de la science. Un chercheur doit certes avoir du talent ; mais ce talent peut s’exercer de diverses manières. Une œuvre peut être utile, même si certaines de ses composantes s’avèrent ne pas répondre à toutes les attentes de son auteur. Siméon-Denis Poisson fut un jeune polytechnicien particulièrement brillant qui attira immédiatement l’attention de ses maîtres. Ses premiers succès furent accueillis vii
viii Paul Germain avec faveur si bien qu’il eut le privilège d’être élu à l’Académie des Sciences, quand il venait tout juste de dépasser la trentaine. Il travailla avec acharnement, rédigea de nombreux articles et ouvrages, se dévoua complètement à sa tâche et notamment à sa mission d’enseignement. Son nom reste encore présent aujourd’hui en mécanique analytique, en théorie des probabilités, dans la théorie des champs attractifs, dans la théorie de l’élasticité ; preuve de l’empreinte qu’il a laissée sur ces grandes théories de la physique mathématique. Mais il s’est trouvé engagé dans plusieurs controverses, par exemple avec Laplace sur la capillarité, avec Fourier sur la théorie de la chaleur, avec Fresnel sur la diffraction, et avec Navier sur l’élasticité ; en général, les points de vue défendus par Poisson ne sont pas ceux qui devaient être retenus. C’est ce qui explique les jugements parfois sévères dont il a été l’objet et qui sont très objectivement rapportés dans divers chapitres de l’ouvrage. L’article du Dictionnaire Larousse du XIXe siècle consacré à Poisson dont Pierre Costabel a extrait quelques citations significatives montre l’ampleur des critiques formulées à l’égard de Poisson une trentaine d’années après sa mort. Certes, l’auteur de cette notice était-il porté à de tels jugements, en partie fondés, mais souvent aussi excessifs, en raison du caractère quelque peu opportuniste des positions politiques prises par Poisson. « La carrière politique de Poisson », écrit ce chroniqueur à la fin de son article, « dénote encore moins d’intelligence véritable ; il commence par tomber dans les exagérations des écoles socialistes de Jean-François Clouet et de Saint-Simon ; il excite les élèves de l’École polytechnique contre l’Empire et applaudit à sa chute. Il devient alors royaliste et reçoit plus souvent que ne le voudrait le calcul des probabilités les fonctions de juré dans les principaux procès politiques ». Moins influencés aujourd’hui par les polémiques auxquelles Poisson a pu donner prise, face aux remous d’une histoire assez mouvante qui restaient encore sensibles il y a une centaine d’années, il est possible d’analyser les points forts et les points faibles de son œuvre scientifique avec plus de sérénité ; c’est ce que font les différentes contributions, fort intéressantes et très documentées, rassemblées dans cet ouvrage. Celui-ci pourra inspirer à chaque lecteur des réflexions qui peuvent garder aujour- d’hui un certain intérêt. En voici quelques-unes que je me permets de proposer parmi beaucoup d’autres possibles. Poisson n’a-t-il pas été un peu victime des trop grandes espérances qu’ont mises en lui les savants prestigieux qui furent ses maîtres à l’École polytechnique, très im- pressionnés par ses remarquables succès scolaires ? Les éloges dont il fut l’objet ne l’ont-ils pas porté à donner trop d’importance à ce qui les motivait, c’est-à-dire à l’art du calcul et des transformations algébriques ? Il vaut peut-être mieux laisser le jeune chercheur s’attaquer à des questions de fond où des concepts nouveaux doivent être élaborés plutôt que de l’encourager très vite au vu d’une grande habilité technique. Poisson avait l’ambition de faire une grande œuvre en physique mathématique. Or il n’était guère doué pour le travail expérimental. Lui a-t-on rendu service en
Préface de l’édition de 1981 ix le dispensant à l’École des enseignements expérimentaux, en raison de ses brillantes performances en mathématiques ? Un physicien mathématicien peut être un médiocre expérimentateur ; encore faut-il, surtout s’il veut s’adonner à des recherches ayant un caractère appliqué, qu’il acquière d’une manière ou d’une autre, et sans doute par le contact avec le laboratoire et avec les problèmes pratiques, un sens physique sans lequel il risque de ne pas orienter ses recherches dans les voies les plus prometteuses. Je me demande enfin, après avoir lu certains chapitres de ce volume, si l’une des raisons des échecs de Poisson ne tient pas au fait que, très attaché à la théorie molécu- laire, il n’a pas su réaliser que la physique macroscopique, champ de ses investigations, devait se développer néanmoins sur un modèle continu : un tel modèle en effet de- mande la prise en considération de concepts mathématiques appropriés qui n’ont pas directement une interprétation claire et rigoureuse au niveau moléculaire, mais qui trouvent en définitive leur justification par leur aptitude à rendre compte et à prévoir des résultats globaux de l’expérience. Sans doute l’ambition de Poisson d’analyser en priorité les phénomènes à petite échelle pour en déduire rigoureusement le com- portement macroscopique était-elle fondée ; mais elle était prématurée. La physique fine des milieux condensés et la mécanique des milieux continus n’étaient pas encore de son temps suffisamment élaborées pour que sa visée puisse aboutir. Aujourd’hui encore, le dialogue entre ces deux disciplines est à peine engagé ; on peut simplement escompter que les premières réponses aux questions que se posait Poisson, avec un acharnement émouvant, seront données dans les années qui viennent. Je serais enclin à tirer de ses mésaventures la conclusion qu’une des qualités essentielles du chercheur est de bien sentir le sens des évolutions scientifiques pour porter en priorité ses efforts sur les situations physiques qu’il saura modéliser convenablement pour pouvoir les traiter avec succès, compte tenu de l’état des connaissances assez sûres déjà acquises. L’aventure scientifique, dans laquelle Poisson s’est lancé avec passion, ne va pas sans risque. Bien des voies doivent être explorées qui se révèlent souvent être des im- passes avant de dégager celles qui conduisent à des belvédères insoupçonnés d’où l’on découvre des perspectives jusqu’alors ignorées. L’œuvre imposante de Poisson, qui peut être créditée de nombreux apports qui justifient pleinement le juste et raison- nable hommage qui lui est rendu dans cet ouvrage, nous rappelle les dures exigences du travail scientifique où le succès n’est pas toujours garanti, quels que soient le ta- lent mis en œuvre et les efforts consentis. Elle nous invite, nous les hommes de science d’aujourd’hui, à l’humilité et à la patience, mais aussi à la perspicacité. Je forme le vœu que ce volume trouve de nombreux lecteurs ; en méditant sur la vie et l’œuvre de Siméon-Denis Poisson, puissent-il se rendre compte que l’édifica- tion jamais achevée de ce magnifique édifice qu’est la Science est l’œuvre collective d’hommes qui, en dépit de leurs limites, lui ont consacré et lui consacrent le meilleur de leurs capacités, et que ces hommes méritent estime et reconnaissance.
Postface de l’édition de 1981 Jean DIEUDONNÉ La postérité est souvent injuste à l’égard des savants qui n’ont pas occupé le pre- mier rang parmi les novateurs de leur temps ; on ne donne pas à leurs idées originales le relief qu’elles mériteraient lorsqu’elles sont éclipsées par les grandes découvertes de leurs contemporains. C’est le sort que connaissent, parmi les mathématiciens, d’Alem- bert au XVIIIe siècle et Poisson 80 ans plus tard : le premier a souffert du voisinage d’Euler et de Lagrange, et le second de celui de Gauss et de Cauchy. Le parallèle entre ces deux hommes pourrait d’ailleurs se poursuivre, en rappelant leur prédilec- tion commune pour les applications des mathématiques, leurs nombreuses activités extra-scientifiques et jusqu’aux fréquentes polémiques qui ont jalonné leur carrière. Paradoxalement, ce ne sont cependant pas les nombreux travaux de Poisson en physique mathématique qui nous paraissent aujourd’hui les plus intéressants : trop souvent il a eu la malchance de mettre ses talents d’analyste au service de concep- tions physiques discutables ou erronées. Par contre, après plus d’un siècle d’énormes progrès en mathématiques pures, il est juste de souligner l’influence durable qu’y ont exercée quelques-unes de ses idées originales. Sans doute, comme le souligne un peu cruellement son disciple et protégé Cournot, « il n’a pas eu le rare bonheur de rencon- trer une de ces conceptions tout à fait neuves et saillantes qui fixent à perpétuité dans l’histoire des sciences le nom de l’inventeur » (p. 25)1 . Sans doute aussi est-il resté à l’écart du renouvellement de l’algèbre, de la théorie des nombres et de la géométrie qui se manifestait déjà de son vivant. Mais le jugement de Cournot doit être révisé au moins en ce qui concerne le calcul des probabilités, où l’œuvre de Poisson, longtemps négligée, a été remise à notre époque à la place éminente qui lui revient (p. 37 et p. 338). 1 Les références renvoient aux pages de ce volume. xi
xii Jean Dieudonné En analyse harmonique, il a eu le mérite de formuler de façon générale un des théorèmes fondamentaux, ce qu’on appelle maintenant la « formule de Poisson », relation entre une fonction et sa transformée de Fourier que nous écrivons2 Σn∈Z f (n) = Σn∈Z F f (n) (1) qui est devenue une pierre angulaire des applications de l’analyse harmonique en théorie des groupes et théorie des nombres et a connu des extensions insoupçonnées à une époque récente. Comme le rappelle S. Demidov (p. 113), l’introduction de « parenthèses de Pois- son » en théorie des équations aux dérivées partielles a inspiré les travaux de Jacobi et de Hamilton, ainsi que la théorie des groupes de Lie. Ce sont aussi les travaux de Poisson sur la théorie de la chaleur, autant que ceux de Fourier, qui ont certainement motivé Sturm et Liouville dans leur théorie spectrale des équations différentielles du second ordre ; et A. Youschkevitch attire avec juste raison l’attention (p. 103) sur le fait que les difficultés rencontrées par Poisson, dans sa tentative de définir l’intégrale d’une fonction analytique lorsque la variable prend des valeurs complexes, ont proba- blement amené Cauchy à réfléchir plus profondément à cette question et à baser sa théorie des fonctions d’une variable complexe sur l’idée d’intégrale curviligne dans le plan complexe3 . Toutefois, le domaine où l’influence de Poisson a été la plus sensible et la plus durable est la théorie du potentiel newtonien qu’il a véritablement inaugurée : d’une part en montrant comment l’équation ∆v = 0, pour le potentiel d’un corps attractif à l’extérieur de ce corps, doit être remplacée par ∆v + 4πρ = 0 aux points intérieurs au corps ; d’autre part, en donnant pour la première fois par la « formule de Poisson » ZZ 2 1 r − ρ2 V (M ) = V (P ) dσ (avec r = M P, ρ = OM ) (2) 4π Σ ar3 la solution de ce qu’on appellera plus tard le « problème de Dirichlet » pour une boule de centre O, de rayon a et de frontière Σ, sous une forme complètement explicitée. On a trop tendance, depuis quelques années, à mettre au premier plan les travaux de Gauss de 1830–1840 sur le potentiel, en raison de l’impulsion qu’y ont trouvée les spécialistes modernes de cette théorie. Cela revient à négliger injustement le fait que les premiers pas décisifs dans la théorie générale du potentiel sont l’œuvre de George Green dans son mémoire de 1828. Or, Green cite expressément Poisson (p. 35) et on reconnaît sans peine cette influence, non seulement dans sa conception de la « fonction de Green » et son utilisation, généralisation directe de (2), mais aussi dans la façon 2 Gauss connaissait des cas particuliers de cette formule, mais n’a jamais rien publié à ce sujet. 3 On sait que Gauss, là aussi, était arrivé dès 1811 aux mêmes conceptions, mais il ne s’en est ouvert que dans une lettre à Bessel, publiée seulement après sa mort.
Postface de l’édition de 1981 xiii dont il démontre ce résultat, calquée sur la démonstration donnée par Poisson de l’équation ∆v + 4πρ = 0 en isolant dans le corps attractif une portion « infiniment petite » entourant un point. Il ne faut pas oublier non plus que, même dans la dernière portion du XIXe siècle, c’est directement sur les résultats de Poisson que reposent les inégalités de Harnack, le procédé alterné de Schwarz et le balayage de Poincaré. Il était donc tout à fait justifié, pour le second centenaire de la naissance de Poisson, d’attirer l’attention des historiens des sciences sur ce savant trop méconnu, et il est à espérer qu’une édition moderne de ses principaux travaux leur fournira la possibilité de le mieux étudier et apprécier.
François Arago (1786–1853) Portrait par S.M. Cornu, 1840 In : A. Rebière, Les savants modernes, leur vie et leurs travaux, Paris, Librairie Nony et Cie, 1899
Introduction Yvette KOSMANN-SCHWARZBACH Il est bien des manières d’employer nos mathématiques à une meilleure intelligence du concret André Lichnerowicz1 Qui n’a entendu parler de la « loi de Poisson » en théorie des probabilités ? Quel étudiant en mathématiques n’a jamais étudié la « formule sommatoire de Poisson » ? L’« équation de Poisson » est un terme familier en théorie de l’électricité, le « rapport de Poisson » est important en élasticité, l’« intégrale de Poisson » est essentielle en théorie du potentiel, les « crochets de Poisson » ont eu une fortune immense en mécanique classique et quantique, et c’est d’après eux qu’ont été nommées les « algèbres de Poisson » et la « géométrie de Poisson », et même la « tache de Poisson » est bien connue en optique. On trouve aussi en analyse le « noyau de Poisson » et, en mécanique, le « théorème de Poisson » et les « termes de Poisson ». Nombreux sont les mathématiciens et les physiciens dont la spécialité emprunte à Poisson un concept ou un résultat et, même si l’attribution d’une découverte à un savant ou à un autre prête le plus souvent à discussion, il reste que Siméon-Denis Poisson (1781–1840) nous a laissé un legs scientifique considérable. Auteur de très nombreux mémoires et notes de mathématiques pures sur des sujets très divers, il mit aussi les mathématiques au service de la science en général : la mécanique céleste, les sciences physiques, par ses travaux sur l’électricité, le magnétisme, la capillarité, l’élasticité, la chaleur, les fluides, l’optique, et les sciences sociales, telle l’étude statistique des populations. Enfin, il joua un grand rôle dans la vie scientifique de son temps, en particulier mais pas seulement à l’École polytechnique, où il avait été admis premier en 1798, étant peu après nommé répétiteur, puis professeur, et au Bureau des Longitudes à partir de 1808, à la Faculté des Sciences de Paris où il fut nommé professeur de mécanique rationnelle en 1809, à l’Académie des Sciences, où il fut élu en 1812 dans la section de 1 Géométrie et physique, dans Geometry and Physics, Proceedings of the International Meeting on Geometry and Physics (Florence, 1982), M. Modugno, éd., Bologne, Pitagora, 1983, p. 1. 1
2 Yvette Kosmann-Schwarzbach physique et qu’il présida pendant les années 1826 et 1839, et dans l’établissement des programmes d’enseignement, comme le montre Bernard Bru dans son article « Poisson et l’instruction publique ». Éloges grandiloquents et jugements sévères Poisson reçut après sa mort les plus grands éloges, d’abord dans les discours pro- noncés lors de ses funérailles le 30 avril 1840, par Victor Cousin, alors ministre de l’instruction publique, qui, le qualifiant de « premier géomètre de l’Europe », déclara : M. Poisson appartenait à cette grande école de mathématiciens, qui re- connaît pour chefs dans les temps modernes Galilée et Newton [...]. M. Poisson est le disciple direct et l’héritier de Laplace. Son nom demeu- rera attaché à une foule d’écrits où les problèmes les plus difficiles de la physique mathématique sont abordés avec la méthode la plus rigoureuse2, et par François Arago, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences pour les sciences mathématiques depuis 1830, en termes également grandiloquents et pré- monitoires : Le génie ne meurt pas ainsi ; il se survit dans ses œuvres ; les découvertes dont il a enrichi la science doivent porter son nom jusqu’à nos derniers neveux3 . À la mort de Poisson, le comte Guillaume Libri, lui-même membre de l’Académie des Sciences, dans un article non signé, « Lettre à un Américain sur l’état des sciences en France », pleure « la perte grande et prématurée [de l’]une des plus éclatantes lumières » de l’Institut et de l’Université, alors que « sa haute raison et son génie pénétraient [ses amis] d’admiration et de respect » et que les sciences « n’avaient nulle part de plus ardent promoteur ni de plus digne représentant »4 . Dix ans plus tard, le 16 décembre 1850, Arago lut un éloge de Poisson à l’Académie des Sciences. Il écrivait au début de la partie scientifique de cette biographie, qui fut la source de divers portraits ultérieurs : Les recherches de Poisson embrassent toutes les branches des mathé- matiques pures et appliquées. Et il énonçait en conclusion : Je n’ai jusqu’ici analysé qu’une minime partie des Mémoires de Poisson. On se demandera sans doute comment, durant une vie si courte et consa- 2 Discours prononcé aux funérailles de M. Poisson, par le ministre de l’Instruction publique, au nom du Conseil royal, le 30 avril 1840, Œuvres de Victor Cousin, t. 4, Bruxelles, Hauman et Cie, 1854, p. 22. 3 Le mot « neveux » est pris dans son sens dérivé du latin, « petits-enfants », d’où le sens aujour- d’hui vieilli de « descendants ». 4 Revue des deux mondes, 4e série, 23 (1840), p. 410.
Introduction 3 crée en grande partie au professorat, notre confrère était parvenu à atta- quer et à résoudre tant de problèmes. Je répondrai que c’est par la réunion de trois qualités : le génie, l’amour du travail et l’érudition mathématique5 . Mais tous les jugements ne furent pas aussi favorables, ni pour la personne ni pour l’œuvre de Poisson, dont l’originalité fut souvent contestée de son vivant et après. Ceux de Jacques Frédéric Saigey, parus du vivant de Poisson en 1836, puis, après sa mort en 1840, se veulent objectifs mais sont sévères6. Poisson fut âprement critiqué dès 1835 par Auguste Comte qui, voyant en lui un ennemi du positivisme, émettait de très vives critiques à l’encontre de ses travaux sur l’acoustique, la physique en général et le calcul des probabilités7 . Vers la fin du siècle, vinrent les critiques extrêmement sévères de Maximilien Marie qui annonce dans son Histoire des sciences mathématiques et physiques, Poisson n’a pas tenu, à beaucoup près, les promesses de sa jeunesse. [...] Quand il avait à choisir, entre deux idées contraires, celle à laquelle il ferait l’honneur d’y appliquer son analyse, il se trompait généralement8 . Poisson fut vilipendé dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, principalement pour ses idées politiques, dans un article dont l’auteur l’ac- cuse avec une mauvaise foi évidente de n’avoir eu pour idées « que celles des autres »9 . Le XXe siècle fut plus généreux. En 1927, Gaston Bachelard, examinant le travail de Poisson dans son livre sur la propagation des ondes, prenait véritablement sa défense contre Comte, car la méthode de Poisson « prend le phénomène dans une richesse plus grande [que celle de Comte] en l’abordant cependant avec des notions réduites au minimum »10 . Pour une opinion exprimée avec le recul de plus d’un siècle, ouvrons le livre de réflexions historiques, The Role of Mathematics in the Rise of Science, du grand mathématicien Salomon Bochner, composé en 1966, peu avant sa retraite de l’Université de Princeton. Il y trace en quelques lignes un portrait élogieux de Poisson, puis tente d’expliquer pourquoi sa réputation n’est pas à la hauteur de ses mérites : 5 Cet éloge fut publié dans les Œuvres complètes de François Arago, Notices biographiques, t. 2, Paris, Gide et J. Baudry, Leipzig, T.O. Weigel, 1854. Il est suivi du « Catalogue des travaux laissés par Poisson, rédigé par lui-même » et du « Discours prononcé aux funérailles de Poisson ». Voir les citations p. 604, 655 et 693. Le discours d’Arago, suivi du discours de Victor Cousin, fut édité par l’Institut royal de France sous le titre Funérailles de M. Poisson, Paris, F. Didot frères, s.d. 6 [Saigey, J.F.], « M. Poisson », Revue scientifique et industrielle, 1 (1840), p. 233-241, et 2 (1840), p. 131-141. Cette nécrologie est suivie d’une liste des principaux ouvrages de Poisson classés par sujet. 7 Philosophie première, Cours de philosophie positive : leçons 1 à 45, présentation et notes par Michel Serres, François Dagognet, Allal Sinaceur, Paris, Hermann, 1975. Voir, par exemple, p. 520 : « Les physiciens [...] ont trop souvent compté sur le secours de l’analyse mathématique, si fréquem- ment inefficace ». 8 Histoire des sciences mathématiques et physique, Paris, Gauthier-Villars, t. 11, 1887, p. 176. Les jugements extrêmes de Marie sur Poisson, p. 174–179, sont suivis, p. 179–191, d’une liste des principaux ouvrages de Poisson, tirée de celle imprimée dans les œuvres d’Arago. 9 Voir, infra, la citation par Costabel, p. 24. 10 L’intuition et la construction de Poisson, dans Étude sur l’évolution d’un problème de physique. La propagation thermique dans les solides, Paris, Vrin, 1927, p. 88.
4 Yvette Kosmann-Schwarzbach French mathematician, worked most successfully in virtually all parts of mathematics and mathematical physics. He was probably the greatest French mathematician in the 19th century. Et il poursuit : But two circumstances conspire against this being generally conceived of. First, he lacked a certain firmness of assertion and conceptualization. Thus, while he incontestably was the creator of magneto- and electrostat- ics, yet he did not set down the physico-mathematical conception of a potential [...]. And secondly, there is no edition of his complete works to impress us with the volume and magnitude of his achievements11. Ailleurs, Bochner assigne à Poisson, au même titre qu’à Laplace et Gauss, le rôle du mathématicien qui assura la transition qui mène de l’analyse de Lagrange à celle de Cauchy, avec la définition rigoureuse des limites et de la continuité, et il déplore à nou- veau que Poisson soit le seul des mathématiciens français importants dont les œuvres complètes n’ont jamais été éditées et duquel aucune bonne biographie scientifique ne fut écrite12 . Il est vrai que de son vivant Poisson se trouva impliqué dans des polémiques acerbes avec plusieurs savants, parmi lesquels Joseph Fourier – polémique évoquée plus loin par Pierre Costabel13 –, Augustin Fresnel – ce dont rend compte André Chappert dans son texte, « Poisson et les problèmes de l’optique, la controverse avec Fresnel » –, Sophie Germain et Claude-Louis Navier – polémiques qu’évoquent plus loin Louis Bucciarelli et David H. Arnold –, ainsi qu’avec Louis Poinsot. Ces échanges étaient parfois d’une vigueur étonnante, comme le montrent plusieurs textes des Annales de chimie et de physique de 1828 qui reflètent la polémique de Poisson avec Navier. Dans sa « Réponse à une Note de M. Navier dans le dernier cahier de ce Journal », Poisson se défend de l’accusation d’avoir omis de citer Navier, car, s’il est vrai qu’il était au courant du travail de celui-ci, il le jugeait inexact : « C’est pour cela que [...] j’avais cru qu’il suffisait d’avoir indiqué verbalement à l’auteur la contradiction que ses formules présentent »14 . L’ironie de la riposte de Navier est dévastatrice lorsqu’il écrit, parlant de Poisson, « Je demanderai, de plus, s’il suffit, pour être dispensé de citer les travaux des autres, de croire qu’il s’y trouve quelque inexactitude. [...] Quant à son nouveau principe sur les citations, il n’est point encore admis, et l’inventeur n’a point à craindre qu’on en revendique la découverte »15 . On trouve aussi dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences de 1838 de brefs mais savoureux échanges entre Poisson et Poinsot. Poisson, répondant à des objections précédentes, défend sa méthode de décomposition d’un ellipsoïde en couches minces « qui trouve 11 The Role of Mathematics in the Rise of Science, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1966, p. 356–357. 12 Mathematical reflections, American Mathematical Monthly, 81 (Octobre 1974), p. 837. 13 Voir infra, p. 31. 14 Annales de chimie et de physique, 38 (1828), p. 440. 15 Remarques sur l’article de M. Poisson, inséré dans le cahier d’août, Annales de chimie et de physique, 39 (1828), p. 151.
Introduction 5 une application immédiate dans la théorie de l’électricité » contre celle de Legendre « qui n’aurait pu le conduire [...] presque à aucune conclusion après d’aussi longs calculs ». Il conteste aussi la priorité sur ce sujet d’Olinde Rodrigues et il ajoute que celui-ci, dans sa thèse soutenue en 1815, a rapporté la démonstration « que M. Gauss avait donnée en 1813 ». Suit une réplique de Poinsot, suivie d’un second échange acrimonieux. Le débat continue la semaine suivante, et Poinsot déclare : « J’espère que lui-même [Poisson] se rendra à l’évidence sans que j’aie besoin de lui signaler les erreurs sur lesquelles il a fondé sa prétendue réfutation de l’opinion que j’avais émise au sujet du travail de M. Rodrigues »16 . Nous avons cité deux exemples seulement, mais débats de priorité et accusations réciproques étaient nombreux. On a reproché à Poisson d’avoir soutenu l’hypothèse corpusculaire contre l’hypo- thèse ondulatoire en optique. Or, en tant que membre de la commission appelée en 1817 à juger les soumissions, dont celle de Fresnel, au « grand prix » de l’Académie pour 1819 pour une étude sur la diffraction de la lumière, Poisson suggéra une expé- rience qui devait démontrer que la conséquence mathématique des formules avancées par Fresnel était contraire à l’intuition, et devait infirmer la thèse de celui-ci. Le ré- sultat du calcul de Poisson fut alors vérifié expérimentalement, mettant en évidence ce qui avait paru absurde – l’apparition d’une tache lumineuse au centre de l’ombre d’un disque éclairé par une source située sur son axe. Ce phénomène fut appelé la « tache de Poisson ». L’historien des sciences, Maurice Crosland, suggère que l’idée de Poisson favorisa en fait Fresnel, tenant de la théorie ondulatoire, qui gagna le prix : The commission appointed to judge the prize contained partisans of both the corpuscular and wave theories and one of its members, Poisson, even suggested a further experiment to Fresnel which turned out in [Fresnel’s] favour and in support of the wave theory17 . On a, avec raison, reproché à Poisson de ne pas avoir reconnu le génie de Galois. Mais l’histoire est complexe : un premier mémoire de Galois, encore étudiant en 1829, fut soumis à Cauchy pour présentation à l’Académie des Sciences. Cauchy ne le jugea pas digne d’un rapport. Son deuxième mémoire échut à Fourier qui mourut peu après, et le mémoire fut perdu. Quand, en janvier 1831, Poisson et Sylvestre- François Lacroix signent un rapport sur le troisième mémoire soumis par Galois, ils le jugent sévèrement, estimant qu’une partie en est inintelligible et le reste semblable à un travail publié par Abel : Ses raisonnements ne sont ni assez clairs ni assez développés pour que nous ayons pu juger de leur exactitude, et nous ne serions pas en état d’en donner une idée dans son rapport. Pourtant ils concluent : 16 Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 7 (1838), 2e semestre, p. 1–3 et 23–24. 17 MauriceCrosland, Science Under Control : the French Academy of Sciences, 1795–1914, Cam- bridge, MA, New York, Port Chester, Cambridge University Press, 1992, p. 273. Voir aussi les articles de Robert Fox (1974) et de John Worrall (1989), cités par Crosland.
6 Yvette Kosmann-Schwarzbach L’auteur annonce que la proposition qui fait l’objet spécial de son Mémoire est une partie d’une théorie générale susceptible de beaucoup d’autres applications [...]. On peut donc attendre que l’auteur ait publié en entier son travail pour se former une opinion définitive18 . Un jugement prudent sur des mathématiques très novatrices, qui n’était ni l’appré- ciation d’un travail original et profond qu’un mathématicien du calibre de Poisson aurait dû reconnaître, ni un rejet catégorique. Poisson a été beaucoup critiqué, mais il a eu des défenseurs, par exemple, Augustin Cournot qui exprime dès 1859, dans ses Souvenirs, sa reconnaissance et aussi son admiration modérée pour le grand savant qui avait favorisé sa carrière : L’analyse de M. Poisson vise plus à la clarté qu’à l’élégance ; personne n’a montré plus d’abondance, de souplesse, de ressource dans les hauts calculs19 . Il eut de son vivant un rôle de première importance, et tant d’aspects de son œuvre eurent une postérité considérable qu’il faut lui reconnaître le statut de figure majeure des mathématiques du XIXe siècle20 . La statue que lui a élevée sa ville natale, Pi- thiviers, a disparu comme bien d’autres monuments en bronze, mais la place Denis Poisson y existe toujours. Tout comme dans le cas de Lagrange, Monge, Laplace, Le- gendre, Fourier, Navier, Arago, Fresnel, Poncelet, Cauchy, Liouville, et de beaucoup de personnages qui n’ont rien apporté à la science de leur époque, une rue de Paris porte son nom. Poisson est assurément beaucoup plus qu’une gloire locale. Considérations sur la « formule de Poisson » Jean Dieudonné, dans la postface qu’il écrivit pour le livre de 1981, que nous avons reproduite dans les pages précédentes, attribue à Poisson le mérite d’avoir formulé « ce qu’on appelle maintenant la ‘formule de Poisson’ ». Or, comme c’est souvent le cas, la postérité a attribué à un auteur à la fois plus et moins que son apport véritable. Cet aspect de l’héritage de Poisson n’apparaissant pas dans les autres textes de ce livre, nous essayons de préciser ici l’origine de cette formule dans ses travaux. On trouve en 1999 dans le livre de John Conway et N.J.A. Sloane, Sphere 18 Institut, Fonds Joseph Bertrand, MS 2031 f. 71 (4 juillet 1831). Procès-verbaux des séances de l’Académie des Sciences, t. 9, 1828–1931, séance du 4 juillet 1831, p. 660–661. Cité par Caroline Ehrhardt dans Évariste Galois. La fabrication d’une icône mathématique, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011, p. 132. Voir aussi Crosland, op. cit., p. 344. 19 Œuvres complètes d’Augustin Cournot, t. XI, Écrits de jeunesse et pièces diverses, Paris, Vrin, 2010, Bernard Bru et Thierry Martin, éds., vol. 1, p. 958. 20 De nombreuses informations et des hypothèses sur la « sous-évaluation des travaux mathéma- tiques de Poisson » se trouvent dans les notes de Bru et Martin du tome XI des Œuvres de Cournot, en particulier, celles sur « Coup d’œil sur la marche actuelle des sciences mathématiques » (vol. 2, p. 533–543, voir notes 82, 91 et 95).
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