L'AVENIR DES OCÉANS AIRES MARINES PROTÉGÉES - FRANCE - La presse magazine
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SUPPLÉMENT RÉALISÉ EN COLLABORATION AVEC L’AGENCE DES AIRES MARINES PROTÉGÉES FRANCE AIRES MARINES PROTÉGÉES L’AVENIR DES OCÉANS NGFRMER_0001 1 23/08/13 14:54
Photos : W. Bra d b erry – R. Ca rey/Shu tterstoc k w .i m p a c 3 .o rg ww Ressources, climat, bien-être : notre avenir dépend de la santé des océans. Objectif : multiplier par cinq la surface d’aires marines protégées d’ici 2020. Impac3.indd 1 30/08/2013 15:18:30
SOMMAIRE « Ces gens ont un tel respect pour la mangrove que, malgré leur pauvreté, ils ne la surexploitent pas. » page 36 XAVIER DESMIER Dans les Sundarbans, ces filets capturent les alevins de crevettes destinés à l’élevage. 05 Actus 28 Haïdar El Ali Océan Atlantique, océan Pacifique, océan Bien avant de devenir ministre de la Pêche Indien : le point sur des aires marines protégées du Sénégal, il a créé en 2002 la toute première à travers le monde. aire marine protégée au cœur du delta du Saloum. 08 Méditerranée : vers une renaissance 30 Les Florida Keys : un paradis en péril de la biodiversité Le sanctuaire marin américain abrite des Le navire scientifique Alcyone est retourné sur récifs coralliens exceptionnels. Et attire à la fois les traces du commandant Cousteau, dans les des scientifiques et des touristes. Pour le meilleur aires marines protégées. Celles-ci prouvent et parfois pour le pire. que l’écosystème est capable de se régénérer. 34 L’Iroise au naturel 18 Mers nourricières Interview de Philippe Le Niliot, adjoint au directeur Les océans sont menacés, mais pourquoi devons- du Parc naturel marin d’Iroise. nous mieux les préserver ? Quels « services » nous rendent-ils ? Infographie. 36 Sundarbans : une mangrove en équilibre précaire 20 Le « dernier océan » sera-t-il protégé ? Au Bangladesh, cet écosystème de marais En Antarctique, des scientifiques luttent pour la maritime constitue un immense milieu protecteur protection de la mer de Ross, considérée comme et nourricier. Mais, malgré les mesures de soutien l’ultime écosystème marin intact de la planète. dont il bénéficie, sa survie est menacée. NGEHSMER_SOMMAIRE.indd 3 03/09/13 13:36
ÉDITO Des raisons d’espérer « L’eau, aussi fluide que notre esprit… Quand le commandant Cousteau commença à plonger mère de toute vie, en Méditerranée, près de Marseille, dans les années 1940, garante fragile de il n’imaginait pas que la moitié des récifs coralliens, des notre survie. » mangroves et des herbiers sous-marins qui font la richesse – J.-Y. Cousteau des eaux tropicales était vouée à disparaître en quelques décennies. Les grands bancs de thons, les requins et les nuages étincelants de petits poissons argentés sem- blaient inépuisables. Mais depuis, dans le monde entier, les populations de nombreux animaux marins ont TYRONE TURNER / NATIONAL GEOGRAPHIC STOCK chuté de 90 %. Certains ont entière- ment disparu. Il a suffi d’un instant, à l’échelle géologique, pour rayer des pans vitaux du cœur bleu de notre planète, que la vie avait mis 4 milliards d’années à façonner. Désormais, nous le savons : l’océan est vaste, résilient, mais pas indestructible. Ambassadrice d’Impac3 et exploratrice Il y a néanmoins de nombreuses raisons de rester de la National Geographic Society, Sylvia Earle a dirigé plus de 100 expéditions et optimiste, à commencer par les technologies accumulé 7 000 heures de plongée au qui nous ont permis des découvertes inouïes quant à notre service des océans. propre place au sein des systèmes biologiques. Plus de 90 % des océans restent inexplorés, en profondeur, sous leur partie éclairée. Nous en savons assez pour mesurer à quel point l’océan régit le fonctionnement de la planète : il régule le climat et les échanges chimiques à grande échelle, en générant de l’oxygène et en piégeant du dioxyde de carbone. Comme tous les êtres vivants, nous sommes finalement des créatures marines, reliées à l’océan par chaque bouffée d’oxygène, par chaque goutte d’eau que nous buvons. La principale ressource que En couverture Dans une calanque des îles du Frioul, un nous devons à l’océan, c’est notre propre survie. pisciculteur prélève dans sa ferme des daurades royales certifiées biologiques. SYLVIA EARLE Photo : Frédéric Larrey/Biosphoto 4 national ge o graphic NGFRMER_0004 4 23/08/13 15:00
ACTUS Par Joséphine Lefevre OCÉAN ATLANTIQUE L’aire du large La création de l’Aire marine protégée (AMP) de Charlie-Gibbs était un pari risqué. Avant sa concrétisation en 2010, on la disait même impossi- ble. Pourquoi ? Parce que la zone n’appartient à personne. Ou plutôt à tout le monde. Située au milieu de l’Atlantique Nord, cette aire de 325 000 km2 se trouve dans les eaux internationales. Un contexte particulier, propice aux difficultés lorsqu’il s’agit d’établir une réglementation et un accord communs. Finalement, l’AMP Charlie-Gibbs a pu voir le jour grâce à la convention OSPAR pour la protection de l’Atlantique Nord-Est, qui regroupe quinze gouvernements des côtes et îles occidentales d’Europe. Son objectif : protéger les ressources naturelles uniques et la biodiversité particulièrement riche qui se trouvent dans la zone dénommée Charlie-Gibbs. Ici se situe une gigantesque De la famille fracture dans la dorsale Nord-Atlantique, avec des reliefs des Borostomias, ce poisson doté sous-marins vertigineux : les fonds descendent jusqu’à d’un appendice 4 500 m et les monts sous-marins culminent entre 700 m et bioluminescent 800 m de profondeur. Ici aussi se rencontrent les eaux polaires et celles du Sud. Les chercheurs espèrent mieux comprendre DAVID SHALE vit entre 300 m et 2 600 m la répartition et la structure des populations des abysses. de profondeur. a i re ma ri ne 5 NGFRMER_0005 5 23/08/13 14:57
ACTUS BRIAN J. SKERRY / NATIONAL GEOGRAPHIC STOCK OCÉAN PACIFIQUE sous-marine exceptionnelle. seront aussi exclus des zones Une aire géante Mais cette aire géante est de pêche. Ces reliefs abritent également victime de la un grand nombre d’espèces aux Phœnix surpêche, de la pêche illégale et de la dégradation de ses endémiques, propres à cet habitat. Toutefois, sur les monts marins. Afin d’intensifier 30 000 monts sous-marins qui Classée au patrimoine mondial sa protection, un plan de existeraient dans le monde, de l’Unesco, l’Aire marine gestion de quatre ans a été seuls environ 150 d’entre eux protégée des îles Phœnix lancé en 2010, en accord avec ont été explorés. De par leurs (APIP), dans l’archipel des l’Unesco. Dans un premier ressources halieutiques, ces Kiribati, au beau milieu de temps, l’APIP a fermé à la pêche monts sont tout aussi impor- l’océan Pacifique, est l’une des 3,12 % de sa surface. Une zone tants écologiquement qu’écono- plus grandes au monde. Avec essentiellement centrée sur miquement. Aux Kiribati, le ses 408 250 km2 (quasiment les habitats menacés (lagunes, maintien des populations de la taille de la Californie !), elle récifs coralliens…). Certains thons dépend surtout de la dispose d’une biodiversité de ses 14 monts sous-marins préservation de ces milieux. OCÉAN INDIEN Acte de naissance En avril dernier, les îles du Prince-Édouard, en Afrique du Sud, sont venues gonfler le nombre d’aires marines protégées dans le monde. Pour la ministre sud-africaine de l’Eau et de l’Environnement, Edna Molewa, « cette nouvelle AMP contribuera à l’engagement national et international de l’Afrique PETER RYAN / FITZ PATRICK INSTITUTE du Sud envers la protection de la biodiversité ». Situées à près de 1 800 km à l’est du continent africain, ces deux îles inhabitées sont un lieu de reproduction pour les phoques, les manchots, les albatros et les pétrels. Leur classement vise aussi à rétablir la population de légine australe, un poisson succulent des eaux antarctiques souvent braconné. 6 national ge o graphic NGFRMER_0006 6 23/08/13 14:57
OCÉAN ATLANTIQUE Le chaînon manquant Le personnel du Parc national de Monte León (Argentine) se battait depuis des années pour la création d’une aire marine protégée, au large de leur réserve : « L’un ne fonctionne pas sans l’autre. Toute une chaîne alimentaire lie les environne- ments marins et terrestres », explique Alejandro Valenzuela, un des employés du parc. Cette cause a été entendue en 2012 et 640 km2 de mer se sont ajoutés aux 620 km2 de terre qu’englobe le parc. Depuis, le suivi des populations est régulier. « Nous nous intéressons de près aux manchots de Magellan, note Alejandro Valenzuela, car ils sont un élément charnière de la chaîne JEFF ROTMAN alimentaire. En se nourrissant des poissons, ils en régulent la population. » Dans cette affaire, OCÉAN PACIFIQUE Au cœur des îles Cocos, même l’homme trouve son Les abysses à au large du Costa Rica, compte, puisque les pumas, se trouve un concentré de autre espèce protégée du parc, se rassasient avec les manchots et sont moins tentés de s’attaquer portée de tous technologie au service de la science. Long de 6 m et large de 3 m, avec une aux troupeaux de moutons qui sphère acrylique offrant une vision à 360° : DeepSee est évoluent aux alentours du Parc un submersible unique en son genre. Armé de caméras très national de Monte León. haute définition et d’un bras articulé, le sous-marin permet de conduire des observations et des échantillonnages réguliers au cœur de l’aire marine protégée, jusqu’à 475 m de profondeur. Pour en faire profiter les scientifiques en mal de financement, ses exploitants ont trouvé une solution originale : « Certaines recherches sont basées sur la participation et le sponsoring des touristes qui, depuis 2005, peuvent s’offrir ce voyage », explique Avi Klapfer, p-dg du groupe Undersea Hunter qui exploite l’engin. L’université du Costa Rica peut utiliser gratuitement DeepSee pour ses ROBERTO CINTI recherches scientifiques dans l’AMP des îles Cocos. De leur côté, deux touristes (en plus du pilote) peuvent découvrir les abîmes de l’aire marine à chaque plongée. a i res ma ri nes protégées 7 NGFRMER_0007 7 23/08/13 14:57
MÉDITERRANÉE VERS UNE RENAISSANCE DE LA BIODIVERSITÉ ? Quand les écosystèmes ne sont plus soumis au stress environnemental causé par l’activité humaine, leur reconstitution est presque toujours possible. Les réserves marines de la Mare nostrum prouvent, en seulement quelques dizaines d’années, que la mer peut être sauvée. DE EVA VAN DEN BERG PHOTOGRAPHIES DE ENRIC SALA 8 NGFRMER_0008 8 23/08/13 15:09
Dans les eaux de Ses Rates, un des îlots du Parc national maritime et terrestre de l’archipel de Cabrera, dans les îles Baléares, une dorade grise (Spondyliosoma cantharus) nage au-dessus du fond marin rocheux à la recherche d’algues et d’invertébrés dont elle se nourrit. NGFRMER_0009 9 23/08/13 15:09
La girelle paon (Thalassoma pavo) est extrêmement active pendant la journée et se repose au coucher du soleil. Ce banc de poissons se nourrit dans les profondeurs de S’Espardell, îlot proche de Formentera (îles Baléares), capturant de petits mollusques ainsi que des crustacées et des échinodermes. N otre mer est ancienne. Sur son rivage Ces constats n’ont rien de nouveau ; bien au le plus oriental, elle a vu, il y a plus de contraire. Depuis des années, la communauté 3 000 ans, les Phéniciens apprendre scientifique met en garde contre la pression à construire des bateaux capables de excessive que l’homme exerce sur ses ressources naviguer en haute mer et partir et ses écosystèmes. Il y a un demi-siècle, le explorer des rivages et territoires commandant Jacques-Yves Cousteau, le célèbre inconnus. Les Grecs et les Romains océanographe, explorateur, inventeur et plon- l’appelaient « la mer au milieu des terres ». Les geur français disparu en 1997, avait déjà tiré la Arabes, eux, l’ont baptisée « la mer inter- sonnette d’alarme. Après des années de plon- médiaire ». À cheval sur trois continents, son gées dans des eaux qui exerçaient une grande littoral – îles comprises – s’étire sur 46 000 km, fascination sur lui, il a commencé à déceler de et près de 130 millions de personnes peuplent graves problèmes écologiques qui l’ont conduit actuellement ses rives. Ce chiffre s’élève à à prendre fermement position en faveur de 500 millions si l’on compte tous les habitants des mesures de protection. pays entourant le bassin. Si souvent appelée En 2010, pour commémorer le centenaire de « berceau des civilisations », la Méditerranée a la naissance du plongeur, le navire océanogra- exercé pendant des milliers d’années – et exerce phique Alcyone – vaisseau amiral de la Cousteau encore – une influence déterminante sur ceux Society depuis le naufrage accidentel de la qui vivent sur les terres baignées par ses eaux. Calypso, en 1996 – a quitté son port d’attache de Des millions d’individus survivent grâce aux Concarneau pour rejoindre celui de Marseille. ressources qu’ils en tirent, mais le développe- Objectif de sa mission : retourner sur quelques- ment démographique et industriel de la ving- uns des sites méditerranéens où cet homme aux taine de pays concernés a entraîné la multiples casquettes avait tourné des films sous- surexploitation de notre mer intérieure. marins extraordinaires dès les années 1940. 10 nat ional ge o graphic NGFRMER_0010 10 23/08/13 15:09
Dans la Réserve marine de Scandola, à l’ouest de la Corse, près de 200 mesures de protection ont favorisé le développement d’abondantes colonies de corail rouge sain (Corallium rubrum). L’espèce est exploitée depuis l’Antiquité, mais sa population est exceptionnelle ici. À bord de l’Alcyone, un équipage de premier eux, la surexploitation, la destruction de l’habi- ordre : Pierre-Yves Cousteau, le fils cadet du tat, la contamination, l’augmentation de la commandant, une équipe composée de réali- température de surface de la mer due au réchauf- sateurs et de caméramen de la chaîne National fement climatique, ainsi que l’arrivée d’une flopée Geographic, et Enric Sala, écologiste marin et d’espèces invasives. Nous en avons dénombré explorateur de National Geographic. Leur plus de 600 à ce jour ! » La plupart d’entre elles mission : réexaminer les habitats marins filmés arrivent par le canal de Suez, transportées dans par Cousteau soixante-cinq ans auparavant, l’eau de ballast qui sert à stabiliser les navires. tourner de nouveaux films et comparer le « Parmi elles, deux méduses, Mnemiopsis leidyi monde sous-marin actuel avec celui d’hier. Le et Rhopilema nomadica, deux espèces invasives résultat a servi à formuler des propositions très nuisibles, ajoute-t-elle. Dans certaines concrètes pour protéger la santé des écosys- régions de la Méditerranée orientale, en Israël tèmes de la mer Méditerranée sur le long terme. par exemple, elles endommagent gravement les Et ceux-ci en ont bien besoin ! écosystèmes et nuisent à la pêche. » Un ensemble de facteurs qui esquissent un scénario écolo- les conclusions d’une étude effectuée par des gique inquiétant, non durable, et qui menace un chercheurs du Conseil supérieur de la recherche grand nombre d’espèces. scientifique (CSIC), de l’Institut des sciences de « Quand Jacques-Yves Cousteau a commencé la mer, à Barcelone, ont montré que la biodiver- à plonger dans ces eaux, il y a plus de soixante sité marine de la Méditerranée était l’une des ans, il a vu des fonds marins intacts, avec des plus menacées du monde. « De nombreux pro- forêts d’algues et de posidonies en bonne santé, blèmes mettent en péril les organismes qui où les grands poissons abondaient, fait remar- vivent sous ses eaux, explique Marta Coll, bio- quer Enric Sala, directeur scientifique de l’ex- logiste marine et coordinatrice de l’étude. Parmi pédition. Aujourd’hui, ces forêts et prairies a i res ma ri nes protégées 11 NGFRMER_0011 11 23/08/13 15:09
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Lors d’une plongée, Pierre-Yves Cousteau prend des notes en observant les fonds marins de Cabrera. À côté de lui, un énorme mérou surgit d’une cavité dans la roche. Appartenant à une espèce solitaire, il semble perturbé par la présence des membres de National Geographic. NGFRMER_0013 13 23/08/13 15:09
DAVE MCALONEY L’Alcylone (ici, au mouillage en Corse) est équipé de ses deux turbovoiles de 10 m de haut et de 21 m2 de surface exposée. Ce système de propulsion innovant a été mis au point par Cousteau et son équipe dans les années 1980. Il permet une économie de 35 % de carburant. sous-marines sont fortement dégradées et sou- faire. « Il faudrait qu’au moins 10 % de la vent recouvertes d’une couche muqueuse d’al- Méditerranée soit sous protection, et cela ne gues et de bactéries filamenteuses. » Lorsqu’il y a suffirait même pas : la communauté scientifique beaucoup de matières organiques en suspension, recommande d’atteindre 20 %. » les algues se propagent, étouffant les herbiers de posidonies jusqu’à ce que ceux-ci disparaissent en 2012, 677 aires marines et côtières protégées et, avec eux, toutes les espèces qu’ils abritent. méditerranéennes étaient recensées, avec une Un grand nombre de zones non protégées sont surface en augmentation de 7 % par rapport à ainsi devenues de vastes étendues arides. Rien n’y 2008. Leur progression est notamment suivie rappelle la biodiversité filmée par Cousteau. par le réseau MedPAN (Mediterranean Dans les zones protégées, en revanche, la biodi- Protected Areas Network, qui représente des versité a pu se reconstituer. Pour Pierre-Yves gestionnaires d’AMP de dix-huit pays), et par les Cousteau, plonger en Méditerranée a été une vingt et un pays signataires de la Convention de expérience extraordinaire. « Les aires marines Barcelone, dédiée à la protection du milieu bien gérées sont des oasis de vie dans une mer marin en Méditerranée. La plupart des AMP de en train de mourir, souligne-t-il. Nous devrions la Grande Bleue se concentrent près des côtes. être reconnaissants envers ceux qui, il y a dix, Pour équilibrer leur distribution, la Convention vingt ou trente ans, ont décidé de protéger ces de Barcelone encourage aussi depuis 1999 la zones : elles sont à présent un modèle de ce que création d ’aires spécialement protégées la vie sous-marine était à l’époque. » (ASPIM) en mer ouverte (voir carte p 16), impli- Bien que la Mare nostrum soit l’une des mers quant une coopération transfrontalière. les plus riches en biodiversité au monde, « seuls Dans la même optique, Enric Sala et Frédéric 4,6 % de ses eaux sont protégés », souligne Enric Briand, directeur général de la Commission Sala, qui confirme qu’il reste encore beaucoup à internationale pour l’exploration scientifique de 14 nat ional ge o graphic NGFRMER_0014 14 23/08/13 15:09
Les algues filamenteuses ont proliféré massivement et étouffé un herbier de posidonies à Punta de la Gavina, sur l’île de Formentera (Baléares). Une contamination organique – due notamment au rejet des eaux fécales – est très certainement à l’origine de la propagation de ces algues. Il faudrait qu’au moins fonds marins sont pauvres, à Scandola il est manifeste qu’après des années de protection les 10 % de la Méditerranée espèces se sont reconstituées et l’écosystème est stable, se réjouit Enric Sala. Les colonies de soit sous protection. La corail rouge, les araignées de mer et les forêts d’algues brunes sont quelques-unes des espèces communauté scientifique les plus emblématiques. » recommande même 20 %. Quand une zone marine est protégée, l’éco- système est progressivement recolonisé. « Les espèces qui se reconstituent les premières sont la mer Méditerranée (CIESM), proposaient, dès celles qui croissent le plus vite. Elles ont une 2010, la création de huit parcs marins interna- espérance de vie plus courte et un taux de repro- tionaux (dits « parcs de la paix »). « Les zones duction élevé. En revanche, les grands préda- concernées comprennent des aires côtières et teurs croissent lentement et peuvent vivre des eaux internationales, ce qui permettrait une jusqu’à 50 ans, de sorte que la reconstitution est gestion et une protection harmonisées d’habi- à plus long terme », explique Enric Sala. Au tats marins interconnectés », s’enthousiasme début, les espèces deviennent plus abondantes. Frédéric Briand. L’instauration de ces parcs Mais quand les populations de prédateurs préserverait 15 % de la Méditerranée. atteignent leur apogée, celles de leurs proies L’Alcyone a mis le cap sur la Réserve naturelle tendent à diminuer. « Dans la mer, il se produit de Scandola, créée en 1975 sur la côte ouest de la même chose que sur terre, où des populations la Corse et inscrite sur la liste du patrimoine de prédateurs stables comme les lions ou les mondial de l’Unesco, avec le Parc naturel régio- loups régulent les effectifs de leurs proies, et nal de Corse, en 1983. « Alors qu’à Marseille les l’écosystème est plus sain », ajoute-t-il. a i res ma ri nes protégées 15 NGFRMER_0015 15 23/08/13 15:09
FRANCE SLOVENIE CROATIE BOSNIE- HERZEG. Mer Ligurienne ITALIE MONTE- Golfe Rés. de NEGRO du Lion Scandola Mer Îles Medes CORSE Adriatique Mer ALBANIE des Baléares ESPAGNE SARDAIGNE Mer Tyrrhénienne GRECE Mer Île de Cabrera Égée TURQUIE Île d’Espardell BASSIN Détroit Mer Île de Formentera OCCIDENTAL de Sicile SICILE Ionienne Mer Détroit d’Alborán de Messine Mer de Crète MALTE CRETE SYRIE ALGERIE Détroit de Gibraltar BASSIN ORIENTAL CHYPRE Mer LIBAN TUNISIE de Libye Mer du Levant MAROC Golfe de Syrte LIBYE EGYPTE ISRAEL 0 300 km Aire spécialement protégée d'importance méditerranéenne Aire prioritaire de conservation en mer ouverte, au titre de la Convention de Barcelone (ASPIM) où la création de nouvelles ASPIM est encouragée Lieux visités par l’Alcyone Autres aires marines protégées identifiées par le réseau MedPAN (2012) : Sources des données : AMP nationale - ASPIM : UICN, WWF, CAR/ASP - AMP de Méditerranée : base de données MAPAMED, MedPAN - CAR/ASP, 2012 Réseau Natura 2000 - Aires prioritaires de conservation : PNUE – PAM CAR/ASP, 2010 (S. Requena) En 2012, la Méditerranée comptait 677 aires marines protégées. Depuis 2008, leur surface totale a augmenté de 7 %. La création de nouvelles AMP et la nécessaire mise en réseau de certaines d’entre elles se poursuit, avec une attention particulière à la mer ouverte, encore peu protégée. Ayant quitté Scandola, l’Alcyone a vogué vers des réserves. Certains réclament même l’exten- l’Espagne pour gagner les îles Medes, puis les sion des réserves, conscients que, sans de telles Baléares, avec une première escale dans la mesures, leurs enfants ne pourront continuer ce réserve S’Espardell, à Formentera, et à Cabrera, métier. En outre, ces espaces sont une source de un parc national. Partout, la reconstitution des revenus. « Dans les îles Medes, par exemple, espèces a été spectaculaire. On y trouve souvent grâce au tourisme, une réserve d’une surface de de grands mérous, d’abondantes colonies de 1 km2 à peine peut générer un revenu de six mil- gorgones, de splendides herbiers de posidonies lions d’euros : vingt fois plus que celui de la et d’innombrables autres espèces qui abon- pêche. Sans parler du nombre d’emplois créés daient jadis dans toute la Méditerranée et sont pour répondre aux besoins des touristes qui aujourd’hui confinées dans ces petits refuges. viennent observer là ce que l’on ne peut prati- « La protection des écosystèmes marins est quement plus voir ailleurs en Méditerranée. » désormais une nécessité, autant qu’un “busi- L’utilité des réserves marines a été prouvée ness” où tout le monde est gagnant, insiste Enric sous tous ses aspects. Cette conviction doit Sala. Quelques années après la création d’une maintenant atteindre l’ensemble de la société afin réserve marine, les effectifs de poissons sont tels que les centres de décision agissent en consé- qu’un certain nombre d’adultes, de juvéniles et quence. Si les Romains ont inventé le nom Mare de larves franchissent les limites de la zone pro- nostrum quand, à l’apogée de leur splendeur, ils tégée et vont gonfler les populations environ- régnaient sur tout le Bassin méditerranéen, il est nantes de poissons d’intérêt commercial. Ils temps de nous le réapproprier. Non pas à des fins sont particulièrement bénéfiques à la pêche d’exploitation illimitée, mais en harmonie avec artisanale, la seule forme que l’on puisse actuel- les objectifs d’un nouveau millénaire, qui exigent lement considérer comme durable. » De l’avis que nous procédions à des changements considé- du biologiste, les pêcheurs comprennent l’utilité rables à l’échelle planétaire. j 16 national ge o graphic CONCEPTION CARTE : AGENCE DES AIRES MARITIMES PROTÉGÉES/HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC NGFRMER_0016 16 23/08/13 15:09
Réserves naturelles corses : 0 25 km Scandola et les bouches de Bonifacio ORéserve de Scandola À l’ouest de la Corse, la Réserve naturelle de Scandola a été créée en 1975 et CORSE inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1983. Cette partie du Ajaccio Parc naturel régional de Corse occupe une presqu’île constituée d’impression- nantes roches magmatiques. Quantité d’oiseaux marins nichent à terre ; sous l’eau, une grande variété de crustacés (araignée de mer, Maja squinado, en bas) et de poissons tels que le lieu, le denti, le corb, le rouget et la murène (Muraena Bouches O helena, ci-contre) bénéficient d’un écosystème où les algues, les herbiers de de Bonifacio posidonies et les colonies de corail abondent. Entre Corse et Sardaigne, le Parc marin internatio- nal des bouches de Bonifacio regroupe l’Office de l’environnement de la Corse, gestionnaire de la Réserve naturelle des bouches de Bonifacio, la plus grande de France métropolitaine, et le Parc national de l’archipel de La Maddalena (Italie). Sur ce terri- toire de plus de 1 000 km², plus de 2 700 espèces (dont près de 320 sont protégées), ont été recen- sées. Ce premier parc marin international est l’aboutissement de plus de trente ans d’efforts de protection d’un patrimoine naturel unique. a i res ma ri nes protégées 17 NGFRMER_0017 17 23/08/13 15:09
Mers INFOGRAPHIE Oiseaux marins nourricières Les océans sont précieux à plus d’un titre. Pour que les générations futures continuent d’en profiter, les aires marines protégées Cétacés constituent des outils efficaces. Illustration d’Antoine Levesque P Poissons ourquoi vouloir préserver la faune, la flore et le bon état des océans ? Pour le plaisir et le bien-être qu’ils nous procurent, bien sûr, mais aussi pour l’ensemble de biens et services qu’ils nous rendent. Les scientifiques Récifs se sont rendu compte qu’il était vain de vouloir protéger coralliens Mollusques une espèce isolée sans préserver le reste de son écosystème – son habitat et les espèces qu’elle consomme notamment. Une aire marine protégée (AMP) est ainsi un espace choisi pour sa richesse et sa diversité en espèces. Elle bénéficie d’un niveau de protection variable, tenant compte des nécessités du milieu et des compromis trouvés entre les différents usa- gers (pêcheurs, professionnels du tourisme…). En France, Algues Plancton il existe 15 catégories d’AMP. Aujourd’hui, les Etats tentent de les constituer en réseaux, voire de les coupler avec des espaces terrestres protégés, afin d’améliorer leur efficacité. Espèces des abysses QUELS BÉNÉFICES NOUS APPORTE 5 LA BIODIVERSITÉ MARINE ? 6 Les services fournis par les écosystèmes côtiers constituent une valeur annuelle de 1 600 mil- liards d’euros. Les poissons et les mollusques représentent une part conséquente de l’alimen- tation humaine. Les cétacés, les récifs coralliens et les oiseaux marins génèrent une importante économie touristique (en 2012, le tourisme sur la Grande Barrière de corail a produit 4 milliards QUELLES SONT LES MENACES d’euros). Les algues entrent dans QUI PÈSENT SUR LES OCÉANS ? la composition de cosmétiques On pense souvent aux marées noires, mais la pollution et d’aliments, tandis que le tellurique (d’origine terrestre et véhiculée par les cours phytoplancton produit un tiers de d’eau et les canalisations) constitue la principale source notre oxygène. Certains micro- de pollution marine. Cette contamination atteint les organismes des abysses sont poissons qui, en bout de chaîne alimentaire, finissent dans utilisés dans nos lessives, dans les nos assiettes. Par ailleurs, selon la FAO (Organisation des crèmes à bronzer et dans le Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), deux tiers diagnostic de maladies génétiques. des espèces sont surexploitées dans le monde. 18 national ge o graphic NGFRMER_0018 18 23/08/13 16:54
230 000 SCIENCE C’est le nombre d’espèces marines décrites scientifiquement 29% à ce jour. Un million d’autres seraient encore inconnues. 12% 5,4 millions TRAVAIL C’est le nombre d’emplois liés 3% à la mer dans l’Union euro- péenne en 2012 (il y avait 93 000 pêcheurs en France en 2010). 71% 20-30 % CLIMAT C’est la part de CO2 émis par Part de la surface du globe occupée par la Part protégée des terres émergées/Proportion l’homme qui est terre/par la mer. protégée des océans. absorbée par les océans chaque LES ESPACES PROTÉGÉS année. Un taux Le globe est recouvert à 71 % par les mers et les océans. en baisse avec le Pourtant, moins de 3 % de leur surface sont protégés. réchauffement. L’objectif international est d’atteindre 10 % en 2020. Ce SOURCES : WORLD REGISTER OF MARINE SPECIES - RAPPORT réseau d’aires marines protégées permettrait de mieux FINAL DE LA CROISSANCE BLEUE, COMMISSION EUROPÉENNE ET MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE - INSU/CNRS connaître et gérer le milieu par des pratiques respectueuses. 4 3 2 1 1 Pollution tellurique (engrais, pesticides…) 2 Surexploitation des côtes 3 Surpêche 4 Plastiques flottants 5 Dégazages, marées noires 6 Déchets de pêche SOURCE : UNESCO NGFRMER_0019 19 23/08/13 16:54
Le « DERNIER OCÉAN » SERA-T-IL PROTÉGÉ ? En Antarctique, la mer de Ross est considérée comme l’écosystème marin le mieux préservé de la planète. Toutefois, elle est aujourd’hui menacée par la pêche industrielle. Des scientifiques luttent pour sa protection. Gelée une grande partie de l’année, la mer de Ross est un refuge pour les organismes cryophiles, qui se développent dans les milieux froids. Les scientifiques cherchent à comprendre comment ils survivent à des températures auxquelles, normalement, la plupart des proces- sus biologiques s’arrêtent. 20 NGFRMER_0020 20 23/08/13 15:04
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22 nat ional ge o graphic MARCO GROB NGFRMER_0022 22 23/08/13 15:04
Les manchots empereurs se nourrissent de krill, de poissons et de calmars, une nourriture abondante en mer de Ross. Pour faciliter la pêche, les colonies s’ins- tallent toujours à proximité de polynies, des zones toujours libres de glace. a i re ma ri ne 23 NGFRMER_0023 23 23/08/13 15:04
DE LUCIA SIMION PHOTOGRAPHIES DE PAUL NICKLEN D u sommet du Melbourne, un volcan de 2 732 m d’altitude, le regard se perd ZONE 7 0°S Cap Adare AGRANDIE sur la surface de la mer de Ross. Tout Cap Hallett T er r e Pôle Sud n’y est que bleu, vif et intense, émaillé Vi ctor i a ANTARCTIQUE AN TARCTIQUE T de blocs de banquise, de glaciers Edmonson Point Mont Melbourne majestueux et de rivages enneigés. Cap Washington Baie de Terra Nova 7 5°S Nous sommes en Antarctique. En ce Île de Beaufort Mer de Ross Monts Mont Erebus matin limpide de l’été austral, la mer, décou- Botany Île de Ross verte en 1841 par l’explorateur anglais James Bay Île Black Tra Clark Ross, est éblouissante. Au pied du Terre 8 0°S nsa Iceshelf Marie Byrd Byr d B Melbourne se trouvent le cap Washington et la nt de Ross banquise, sur laquelle se forme chaque année ar ct Zones une des deux plus grandes colonies de man- iq spécialement ue protégées de s chots empereurs du continent. En mai dernier, l’Antarctique 0 250 km toute la zone du cap Washington (280 km2) a été classée « zone spécialement protégée » (ASPA), avec un accès strictement réglementé. Au centre des intérêts, la légine antarctique. Au-delà, la mer de Ross forme une vaste Un gros poisson (il peut atteindre 100 kg et 2 m échancrure du sixième continent : elle s’étend de long) à la chair blanche et fondante, vendu du cap Adare, au nord de la terre Victoria, particulièrement cher sur le marché américain jusqu’aux abords de la terre Marie Byrd, au sud- et asiatique. Rien qu’en Nouvelle-Zélande, la ouest (voir carte). Comme l’a révélé une étude pêche autorisée représente un chiffre d’affaires publiée par la revue Science en 2008, elle consti- annuel d’environ 15 millions d’euros. tue l’écosystème océanique le mieux préservé de la planète. Le dernier océan épargné par la l’espèce fascine aussi les biologistes. Car pollution et la surpêche. Lors du printemps aus- Dissostichus mawsoni vit entre 500 et 2 200 m de tral, la poussée phytoplanctonique est si consi- profondeur, dans une eau à - 1,87 °C. Pour sur- dérable qu’on la mesure depuis l’espace. Cette vivre à de telles conditions, il produit des pro- zone abrite également des espèces charisma- téines antigel, sa flottabilité est neutre grâce à tiques : un quart des manchots empereurs de d’importantes réserves de graisse, et son cœur l’Antarctique se reproduit ici, ainsi que trois mil- ne bat que six fois par minute. Pour frayer, les lions de manchots Adélie (38 % de la population légines migreraient au nord de la mer de Ross. mondiale). Des prédateurs comme l’orque, le Œufs et larves seraient ensuite emportés vers le léopard des mers, le calmar colossal, la baleine sud par des courants. Cependant, aucune larve de Minke, la bérardie d’Arnoux (un cétacé qui n’a jamais été observée et, si l’on sait que ce pois- peut atteindre 12 m de long), pas moins de cinq son n’atteint sa maturité sexuelle qu’entre 13 et espèces de phoques et près de cent espèces de 17 ans et qu’il peut vivre jusqu’à 48 ans, son poissons – dont plus de la moitié est issue d’un cycle de vie demeure assez mystérieux. ancêtre commun – peuplent ces eaux. Mais la Il y a quarante ans, les chercheurs capturaient mer de Ross est aussi splendide que fragile. En 500 légines par saison, les marquaient et les relâ- cause : la pêche industrielle qui accroît sa pression chaient. Aujourd’hui, ils reviennent bredouilles. et menace l’équilibre de l’écosystème. L’objet de leur étude a quasiment disparu. La 24 national ge o graphic CARTE : HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC NGFRMER_0024 24 27/08/13 10:19
La mesure de l’épaisseur de la banquise fait partie des études menées à cap Washington (ci-dessus). La légine antarctique (ci-dessous) est examinée notamment pour son éton- nante capacité à fabriquer des protéines antigel. Celle-ci a été capturée, conservée en aquarium, avant qu’on lui prélève du sang et des tissus et qu’on la rende à la mer. CHRIS CHENG / UNIVERSITY OF ILLINOIS a i res ma ri nes protégées 25 NGFRMER_0025 25 27/08/13 10:19
Pour les scientifiques, il y a urgence. Outre la légine, l’ensemble de l’écosystème pâtit déjà de l’exploitation de la mer de Ross. pêche industrielle n’a débuté qu’en 1996. Aujourd’hui, vingt-deux palangriers de sept pays (Corée du Sud, Grande-Bretagne, Espagne, Nouvelle-Zélande, Norvège, Russie, Ukraine) sont autorisés par la Convention sur la conser- vation des ressources marines vivantes de l’Antarctique (CCAMLR) à travailler durant l’été austral. Les ONG s’alarment du quota annuel : 3 000 tonnes, soit environ 100 000 cap- tures, sans compter la pêche illicite. Une quantité basée sur l’évaluation de la biomasse réalisée par les pêcheries elles-mêmes ! Pour y remédier, un nouveau secteur de cette partie de l’océan Austral pourrait obtenir le statut d’aire marine protégée (AMP). La déci- sion, attendue en octobre prochain, lors de leur réunion annuelle, dépend des vingt-cinq Etats membres de la CCAMLR, dont l’objectif est de préserver la vie marine sur le continent blanc. les négociations sur les limites de cette nou- velle AMP (ainsi que sur celles de l’Est Antarctique) s’annoncent animées. La Nouvelle- Zélande et les Etats-Unis veulent maintenir leur activité économique liée à la légine. Ils pro- posent de créer « la plus grande AMP de la pla- nète », qui exclut toutefois les meilleures zones constitués du plateau et du talus continental de pêche. Des scientifiques, eux, ne l’entendent (l’escarpement qui relie le plateau à la plaine pas ainsi. « La mer de Ross est un laboratoire abyssale). Avec interdiction de pêcher. extraordinaire et précieux, qui nous permet de En juillet dernier, en Allemagne, la réunion mesurer la dynamique d’un océan ainsi que les spéciale de la CCAMLR s’est soldée par un effets du changement climatique, sans la super- échec : la Russie et l’Ukraine considèrent que les position d’autres formes d’activité humaine », projets de création d’AMP ne sont pas définis explique David Ainley, biologiste américain qui, juridiquement. «L’enjeu économique est très depuis quarante ans, étudie l’écologie de cette important, il s’agit d’une décision politique», mer et plaide la cause de cet éden blanc, notam- explique Philippe Koubbi, écologue marin et ment dans le documentaire «The last ocean». représentant scientifique français à la CCAMLR. L’homme a aussi fédéré plusieurs dizaines de ses Pour les scientifiques, il y a urgence. Outre la pairs afin d’obtenir le classement en AMP du légine, tout l’écosystème pâtit déjà de cette secteur le plus riche en biodiversité : 650 000 km2 exploitation. Chercheuse au centre d’écologie 26 nat ional ge o graphic NGFRMER_0026 26 27/08/13 10:19
LUCIA SIMION Le cap Adare sépare la mer de Ross (à fonctionnelle et évolutive de Montpellier et l’est) de l’océan Austral (à l’ouest). Camp membre de l’équipe de David Ainley, Amélie de base durant les premières expéditions Lescroël a participé à six expéditions en mer de en Antarctique, il abrite une grande Ross. Elle a observé un déclin des populations colonie de manchots Adélie et a été classé d’orques, prédateurs de la légine antarctique. en aire spécialement protégée (ASPA). « Une bascule vers un changement d’état de cet écosystème est déjà évident, s’alarme-t-elle. Cela de calandres augmentent avec la population de va réduire sa résilience vis-à-vis du changement manchots Adélie, déréglant l’harmonie et climatique. » La colonie de cap Crozier, sur l’île l’équilibre de l’écosystème. de Ross, compte à elle seule 500 000 manchots Quel sera le destin de ce « dernier océan » du Adélie. Une « ville des manchots » qui bout du monde ? Si l’esprit de collaboration du consomme de considérables quantités de krill Traité sur l’Antarctique l’emporte, l’issue pour- et de calandre antarctique, un poisson prisé par rait être positive. Mais tous le savent, la bataille la légine. Puisque celle-ci devient rare, les stocks promet d’être longue et très difficile. j a i res ma ri nes protégées 27 NGFRMER_0027 27 23/08/13 15:04
De Bernadette Gilbertas Photographie Jean-François Hellio / Nicolas Van Ingen Haïdar El Ali Un poisson-pilote au Sénégal L ’océan lui est apparu pour la première fois au débouché d’une rue de Dakar, si lumineux que, du haut de ses 8 ans, le petit Haïdar El Ali en a été subjugué. « Happé par sa présence, je n’ai cessé de vouloir le retrouver », raconte l’écologiste, devenu ministre de l’Environnement puis ministre de la Pêche du Sénégal. Il apprend seul à nager, préfère « l’enseignement de la nature à celui de l’école », plonge et plonge encore. Tour à tour chasseur d’épaves, technicien sur devenu en 1990 une incontournable association des chantiers sous-marins, moniteur, Haïdar de protection de la nature. Sa vie pour « réveiller débarque à l’Océanium, club de plongée daka- les consciences » se transforme en combat. Il rois dont il prend les rênes en 1988. Pour cet arraisonne l’Orient Flowers, bateau chargé de homme-poisson, capable de se repérer au son et produits toxiques amarré à Dakar, obtient de aux infimes mouvements du courant, lié à la mer haute lutte un décret imposant le repos biolo- par une relation mystique, tout en elle n’est que gique (l’interdiction de pêche pendant un cer- plaisir et beauté. Jusqu’à ce fameux jour où il tain temps) d’un mollusque, le yet, dénonce les assiste à une pêche à l’explosif. techniques illégales de pêche, les filets aux « Sous l’eau, j’ai vu les poissons déchiquetés mailles trop fines, plonge lui-même pour arra- et, en surface, l’innocence des pêcheurs. J’ai cher ceux qui sont restés accrochés au fond… décidé de prendre les armes de la parole et de En 2002, il crée l’Aire marine communautaire l’image pour protéger la mer muette. » Caméra protégée (AMCP) du Bamboung, la toute pre- au poing, il filme les fonds marins. Ses images mière du Sénégal, au cœur du delta du Saloum. servent d’outils de sensibilisation à l’Océanium, Dans un pays où la pêche, premier secteur 28 nationa l ge o graphic NGEHSMER_HAIDAR.indd 28 03/09/13 13:38
Haïdar El Ali a passé des années à la tête de l’association dakaroise Océanium. Il y a orchestré notamment la économique, fait vivre 650 000 personnes, il plantation de milliers d’hectares de mangrove. Après avoir devenait urgent de répondre à la préoccupation été ministre de l’Environnement du Sénégal (2012), il est aujourd’hui celui de la Pêche et des Affaires maritimes. des pêcheurs artisanaux n’arrivant plus à nour- rir leur famille du fait de la raréfaction des réussie ? « Le choix du site, l’implication des prises. Deux années de palabres et de sensibili- populations comme facteurs de stabilité, l’éco- sation ont motivé les villageois à prendre leur tourisme pour sa pérennité, et la beauté du destin en main. Aujourd’hui, l’AMCP du lieu ! », répond Haïdar El Ali. Bamboung a gagné son autonomie par la mise À l’Environnement, il a cherché à multiplier en place d’un campement écotouristique, et les les aires marines - véritables assurances-vie pour ressources biologiques du chenal d’eau salée – le l’Afrique - et a créé, au sein du ministère, la bolong – ont été multipliées par deux. L’aire de Direction des AMCP. Nommé en septembre à la Bamboung est un exemple à suivre pour les Pêche, il devrait se concentrer sur une gestion quatre autres AMCP du Sénégal et les deux aires durable de l’activité. Et s’il venait à quitter le gou- de patrimoine autochtones et communautaires vernement? « Je continuerais mon combat en mer prévues en Casamance. Les secrets d’une AMCP et sur terre. Ministre un jour, écolo toujours ! » j a i res ma ri nes protégées 29 NGEHSMER_HAIDAR.indd 29 03/09/13 13:38
Dans les Florida Keys, les bateaux doivent obligatoirement s’amarrer aux bouées. Ils évitent ainsi d’endommager les superbes formations coralliennes avec leurs ancres. 30 nat ional ge o graphic NGFRMER_0030 30 23/08/13 15:00
LES FLORIDA KEYS UN PARADIS EN PÉRIL Splendide sanctuaire marin américain, les Florida Keys abritent des récifs coralliens exceptionnels. Et attirent à la fois des scientifiques et des touristes. Ce qui ne les met pas à l’abri du danger. FLORIDE Miami Golfe du Mexique P.N. de Parc national Biscayne des Everglades ETATS- TA UNIS FLORIDE Overseas Highway ZONE Key Largo AGRANDIE Islamorada S Y OCÉAN Marathon E K Big Pine Key ATLANTIQUE D A O R I F L Sanctuaire Key West national marin des 0 25 km Florida Keys CARTE : HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC NGFRMER_0031 31 23/08/13 15:00
De Hélène Crié-Wiesner Photographies de Stephen Frink D ommage pour l’exotisme : pour rejoindre les Florida Keys, il faut utiliser la route. Mais quelle route ! Les 1 700 îles et îlots de l’archipel sont reliés par l’Overseas Highway, qui franchit quarante-deux ponts, dont un de 7 km. Du sud de Miami à Key West, pendant 200 km, vous roulerez sur l’eau, ou presque. Une eau pro- de soustraire à l’exploitation et la navigation commerciale un espace aussi stratégique, à la limite du Golfe du Mexique et de l’Atlantique. Dès les années 1970, les scientifiques avaient prévenu que les coraux caribéens se détérioraient. Par petits bouts, des zones des Keys sont entrées dans le réseau de l’ONMS. Mais l’intensification tégée, un parc naturel liquide : le Florida Keys des forages pétroliers et gaziers des années 1980 National Marine Sanctuary. ainsi que des naufrages catastrophiques ont En contrebas de la route, vous apercevrez des accéléré la détérioration de la qualité des eaux. dauphins bondir, des tortues géantes alanguies Les coraux s’affaiblissaient toujours. Il fallait sur les hauts fonds, des bancs de poissons mor- élargir la zone de protection. L’agence fédérale dorés nager, et des oiseaux plonger. Mais vous en charge des océans et de l’atmosphère, la verrez aussi des bateaux de pêche hérissés de NOAA, dont dépend l’ONMS, se vit confier la harpons sportifs, une forêt mouvante de kite- tutelle du large des Florida Keys. surfs, des yachts luxueux et les canots à moteur Des mesures ont alors été prises : interdiction des tour-opérateurs transportant des hordes de des forages et des activités ayant un impact sur plongeurs vers la barrière de corail. Vous réali- les fonds, restriction de la navigation des gros serez que le mot « sanctuaire » a peut-être une navires, limitation drastique de la manipulation signification plus vaste que ce à quoi vous vous des coraux. Il a ensuite fallu près de dix ans de attendiez en venant aux Keys. discussions entre scientifiques et acteurs locaux Le sanctuaire marin des Florida Keys s’étend pour s’entendre sur une charte de gestion, régu- sur 10 000 km2 autour des îles. Créé en 1990, il lièrement actualisée en fonction des impératifs fait partie de l’Office national des sanctuaires économiques et écologiques du moment. marins (ONMS), la structure administrative S’il n’a pas été question de limiter le tourisme, américaine regroupant les eaux protégées des d’interdire les embarcations motorisées ou la Etats-Unis. Doté du plus vaste espace maritime pêche sportive, certaines mesures d’abord consi- mondial, le pays a commencé en 1966 à se doter dérées comme coercitives ont fait leurs preuves. de lois et de réglementations protégeant certaines Notamment le système de bouées, qui pullulent zones marines et lacustres. Aujourd’hui, l’Office dans la zone protégée et permettent de localiser compte 14 sanctuaires couvrant 440 298 km2 les coraux, les récifs artificiels, les épaves, et les dans l’Atlantique, le Pacifique et les Grands Lacs. réserves écologiques spécifiques. Les bateaux s’y La troisième plus grande barrière de corail du amarrent sans avoir à jeter l’ancre. monde se situe à quelques encablures des Florida Les milliers de professionnels d’un tourisme Keys. Sans elle, jamais le congrès des Etats-Unis florissant, qui avaient pu craindre une mise sous et le gouvernement de Floride n’auraient accepté tutelle écologique de leur outil de travail, sont 32 nat ional ge o graphic NGFRMER_0032 32 23/08/13 15:00
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